Projet de loi sur la protection des pensions
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Suite du débat
30 mars 2023
Honorables sénateurs, j’aimerais intervenir brièvement, avec une certaine appréhension, en faveur du projet de loi C-228, qui est parrainé par le sénateur Wells et critiqué de façon amicale par le sénateur Yussuff.
Plus tôt cet après-midi, un collègue que je ne nommerai pas pour l’instant a souligné le risque associé à l’utilisation du mot « équité » dans nos discours. J’ai rapidement parcouru le mien, et je constate que ce mot y revient à cinq occasions. En toute équité, je vous préviens que je n’ai pas encore eu le temps de les enlever.
Je vais limiter mes remarques à des déclarations de principe sur le projet de loi C-228 et sur un sujet connexe.
J’aimerais commencer en disant simplement qu’à mon avis, ce qui est au cœur de ce projet de loi, c’est la valeur, le respect et l’équilibre que nous accordons aux contributions respectives des capitaux et de la main-d’œuvre pour une entreprise. Mais avant, j’aimerais vous faire part de ce que je considère être une métaphore de ce thème.
Vendredi dernier, j’ai eu l’honneur d’assister au discours présenté par le président Biden à l’autre endroit, ainsi qu’à l’excellent discours du Président Furey lui rendant hommage, ainsi qu’au Sénat et à chacun d’entre nous. Je tiens à le souligner.
Mon histoire commence dans la dernière rangée, là où les sénateurs étaient assis à l’autre endroit. Sept d’entre nous étaient plus ou moins à l’arrière. Un des sénateurs — dont je ne peux pas dire le nom, même si je peux dire que j’étais assis juste derrière un éminent psychiatre de la Nouvelle-Écosse —, qui voulait sans doute rendre hommage au sénateur Wells pour avoir parrainé un projet de loi d’initiative parlementaire sur les paris sur une seule épreuve sportive, a proposé que nous fassions un pari sur la durée du discours du président Biden. Si je me souviens bien, nous avons tous parié 1 million de dollars, et nous avons demandé au membre le plus digne de confiance de notre petit groupe de sept, la sénatrice Clement, de conserver l’argent. Pour vous donner une idée du climat de confiance qui régnait, nous avons insisté pour que deux sénateurs plutôt qu’un s’occupent du chronométrage afin d’assurer l’intégrité du processus. Il s’en est fallu de peu, mais c’est le sénateur Loffreda qui a remporté le pari.
En y réfléchissant bien, je me suis dit qu’il s’agissait d’une métaphore de la vie, surtout dans ce contexte. Sans vouloir offenser le sénateur Loffreda, la morale de cette histoire, c’est que la banque gagne toujours.
Pour revenir plus sérieusement à mes observations, le problème de l’équilibre entre les capitaux et la main-d’œuvre dans les entreprises et leur contribution à une société productive est difficile à résoudre lorsque les entreprises font faillite et qu’il n’y a pas suffisamment d’actifs pour dédommager les différents contributeurs des entreprises.
Notre façon de répondre à cette question est largement articulée par les forces du marché, modérée de temps à autre par les lois afin de garantir certaines formes d’équité, si j’ose dire, sur la base de nos valeurs. La tension dans cette conversation se situe essentiellement entre le respect que nous accordons aux contributions en capital d’une entreprise et celui que nous accordons aux contributions des travailleurs.
Je ne suis pas opposé à ce que ceux qui investissent du capital cherchent à protéger leurs investissements. En effet, une grande partie de ce dont nous avons besoin dans notre société est le soutien que le capital apporte et qui ne serait pas accessible autrement, mais les forces du marché, sans modération, favoriseront toujours la priorisation du capital par rapport à la main-d’œuvre. Le meilleur exemple, clairement pertinent ici, est la manière dont les investissements en capital sont couramment titrisés. En comparaison, les contributions versées par les travailleurs ne bénéficient presque jamais du même niveau de sécurité.
Je suis soulagé que le sénateur Wells soit présent, ce qui me permet de l’appeler par son nom, dans un sens positif.
Cela a d’énormes conséquences dans le contexte de l’insolvabilité et des faillites, et voici la façon la plus simple de l’expliquer. J’ai un ami qui, après l’université, est déménagé à Vancouver. Il tenait à acheter un voilier. Il avait un bon emploi, mais peu d’argent. Il m’a décrit son acquisition de la manière suivante : « La Banque Royale est maintenant la fière propriétaire d’un autre voilier. »
Ce qu’il voulait dire — et j’ai fini par le comprendre —, c’est que la banque avait pris une garantie sur le voilier, une part dans celui-ci. Dans le cas d’insolvabilité et de faillites, cela signifie que les actifs soumis à ces garanties, comme les hypothèques et d’autres types de réclamations, ne sont pas, considérés légalement comme les actifs de l’entreprise, mais comme ceux du prêteur garanti selon l’ampleur de l’endettement de l’entreprise et dans les limites prévues par la loi quant aux garanties. Cette façon de procéder ne laisse, dans bien des cas, rien, ou bien peu, aux autres créanciers qui ne disposaient pas d’une position dominante leur permettant de protéger leurs intérêts à l’aide de garanties. Le manque à gagner dans les cotisations patronales aux pensions en est un exemple. On peut utiliser des mesures législatives pour tempérer une situation où une position dominante crée ce que la société considère généralement, dans ce type de circonstances, comme une forme d’injustice économique.
C’est ce que fait ce projet de loi. Selon le régime législatif actuel, les cotisations de retraite des travailleurs et les promesses contractuelles des employeurs de contribuer aux retraites des travailleurs ont été sacrifiées lorsque les actifs de l’entreprise en faillite étaient insuffisants pour couvrir le déficit de solvabilité du régime de pension parce que, légalement, ces actifs appartenaient aux créanciers garantis. Les sénateurs Wells et Yussuff ont évoqué les conséquences pour les travailleurs qui comptaient légitimement sur les pensions de retraite de leur employeur pour leurs vieux jours, avant de découvrir et de subir les conséquences des déficits de solvabilité non compensés. Ce projet de loi dénonce cette répartition socialement injuste des actifs de l’entreprise en faillite.
Un autre argument convaincant repose sur la distribution du risque. Ceux qui investissent du capital ont accès à divers mécanismes pour se prémunir contre le risque. Le risque peut être inclus dans le prix; il peut être distribué; il peut être refinancé. Par contraste, même si les travailleurs songent à l’importance de protéger la valeur de leur pension, ils n’ont pas accès à de telles options. Pour ces raisons, je trouve très convaincante l’idée d’instaurer une superpriorité pour les cas où un régime à prestations déterminées est insolvable. Tout en étant conscient qu’un tel changement pourrait entraîner des conséquences indirectes, je remercie la marraine du projet de loi à l’autre endroit — la députée Marilyn Gladu —, l’ensemble des députés, le parrain du projet de loi au Sénat, le porte-parole et, je l’espère, l’ensemble des sénateurs d’appuyer ce rééquilibrage. Je salue ceux qui se sont longtemps battus pour arriver à ce résultat alors que, dans bien des cas, ils ne luttaient pas pour eux-mêmes, mais bien pour les travailleurs d’aujourd’hui et de demain.
Passons brièvement à mon deuxième sujet, le même équilibre sociétal et le même risque existent pour la quasi-totalité des travailleurs salariés de notre société dans un autre contexte. J’aimerais que vous réfléchissiez à la question suivante : combien d’entre vous sont créanciers du gouvernement du Canada? Vous vous demandez probablement ce qui suit : quand mes dépenses de la semaine ou du mois dernier me seront-elles remboursées? À quel point votre pension du gouvernement est-elle bonne? J’aimerais toutefois vous donner un exemple qui vous touche d’un peu plus près. Vous pouvez répondre par l’affirmative à toutes ces questions, mais il n’en demeure pas moins que pendant 29 ou 30 jours chaque mois, vous êtes un créancier du gouvernement du Canada puisque vous attendez votre salaire à la fin du mois. Nous ne sommes payés qu’à la fin du mois. Pratiquement aucun d’entre nous n’a eu le courage de dire à son employeur : « Je vais travailler pendant le mois de février, mais j’aimerais être payé le 1er février au lieu du 28 février. » Essayez-le, je ne pense pas que vous obtiendriez le poste.
Ainsi, nous sommes tous des créanciers, tout au long du mois, jusqu’à ce que nous recevions notre paie. Il s’agit pratiquement d’un employé sur deux au Canada. Heureusement, nous recevons notre paie, et nous ne songeons probablement jamais au risque de ne pas recevoir notre salaire. Cependant, chaque année, pour des milliers de Canadiens qui ont fait un travail honorable pour leur employeur — et qui ont aussi mérité des avantages aux termes de leur contrat, comme les indemnités de vacances —, le risque de ne pas être payé devient, malheureusement, une réalité. Ils se situent en bas de la hiérarchie de la rémunération, pour les mêmes raisons — la priorité va aux créanciers garantis — qui ont la place d’honneur en cas de faillites et de situation d’insolvabilité.
Ma thèse de maîtrise en droit portait sur le recouvrement du salaire par les employés. Elle a ensuite été intégrée à un chapitre de l’ouvrage incontournable sur le droit du travail au Canada, qui a été rédigé par Innis Christie, un éminent avocat en droit du travail et de l’emploi. En fait, certaines éditions étaient signées par Christie et Cotter, mais mon nom a fini par disparaître.
J’avais deux idées de titre pour le premier chapitre. La première est un peu un clin d’œil au film Luke la main froide. Si vous avez vu le film, vous vous souvenez peut-être du gardien qui donne la réplique à Paul Newman avec un de ces accents du Sud que je n’arrive pas à bien reproduire. Je voulais que la phrase suivante soit le titre du chapitre : « Ce que nous voyons ici, c’est une absence de rémunération. » Je suis désolé pour la piètre qualité de la blague. Ma deuxième proposition de titre, qui n’a pas été acceptée, était la suivante : « Recouvrement du salaire par les employés : les créanciers garantis gagnent toujours ».
La vérité, c’est que, dans chacune des provinces — et dans la plupart des territoires, je crois —, des efforts ont été déployés par les gouvernements en vue de mieux protéger les travailleurs contre la possibilité qu’ils ne soient pas rémunérés. Toutes sortes d’outils plus imaginatifs les uns que les autres, comme le recours à des hypothèques ou des fiducies, ont été employés pour essayer de répondre aux problèmes que vivent les travailleurs en cas de faillite et d’insolvabilité. À peu près tous ces efforts ont échoué : en partie à cause des règles relatives à la propriété; en partie parce qu’ils ont été perçus comme des tentatives déguisées de s’ingérer dans les questions relatives à l’insolvabilité et aux faillites, qui sont de compétence fédérale d’après la Constitution.
Plus récemment, certains progrès ont été réalisés, avec l’appui du gouvernement fédéral, grâce au Programme de protection des salariés et à l’octroi d’une certaine priorité en cas de faillite ou d’insolvabilité, un filet de sécurité en quelque sorte.
Soit dit en passant, à peu près toutes ces initiatives qui viennent en aide aux banquiers sont attribuables aux efforts du sénateur Yussuff.
Dans ce domaine, même d’après les évaluations du gouvernement du Canada, jusqu’à la moitié de la rémunération promise et due aux employés n’est jamais récupérée.
Ces créances sont invariablement plus petites que le manque à gagner des fonds de pensions dont nous parlons, mais j’aimerais que vous réfléchissiez à ces nombreux travailleurs. Souvent, ils sont les derniers à apprendre que leur employeur est en difficulté financière. Ils vivent d’un chèque de paie à l’autre et découvrent soudainement qu’ils ont perdu leur emploi et qu’ils devront faire une tonne de démarches s’ils veulent récupérer, souvent au mieux, la moitié du salaire qui leur est dû. Entre-temps, ils doivent continuer de verser les montants qu’ils doivent payer tels que leur loyer, leur hypothèque, l’épicerie, leur prêt-auto, leurs cartes de crédit, et ainsi de suite.
Un amendement visant à mieux protéger ces salaires impayés, ces indemnités de licenciement et ces indemnités de vacances, ainsi qu’à remédier à cette injustice sociétale urgente a été largement soutenu à l’autre endroit, mais il y a finalement été rejeté. Il est tentant pour moi de proposer un amendement à ce projet de loi pour remédier à une anomalie et à une injustice persistantes — une préoccupation qui me passionne depuis plus de 40 ans —, mais faire passer la ligne d’arrivée aux projets de loi d’initiative parlementaire, c’est un peu comme pousser une boule de neige jusqu’en haut d’une colline.
Ce projet de loi est habilement poussé en haut de la colline par le sénateur Wells, qui est peut-être notre sénateur le plus en forme, assisté par le sénateur Yussuff. J’ai discuté de cet amendement avec eux deux et avec le sénateur Plett, qui me l’a déconseillé. Le sénateur Plett et moi ne sommes pas toujours d’accord, mais, cette fois-ci, j’ai suivi son conseil avec sagesse, il me semble. Je pense que le message du sénateur Plett, même s’il ne l’a pas formulé de cette manière, était qu’en mettant plus de poids sur ce projet de loi, même le sénateur Wells pourrait ne pas être en mesure de l’amener au sommet de la colline.
Après des efforts qui ont été déployés pendant près de 40 ans, nous approchons du fil d’arrivée, et je ne voulais pas risquer de devoir faire face aux conséquences qui pourraient survenir si on tardait à adopter le projet de loi. Par respect pour les personnes qui ont défendu cette initiative, que ce soit ici, ailleurs et bien au-delà du domaine parlementaire, j’ai décidé de garder mon amendement en réserve. Cependant, je tiens à indiquer que j’ai l’intention d’élaborer prochainement un projet de loi distinct pour remédier à cette injustice qui subsiste. J’espère que vous l’appuierez. Merci.
Votre temps est écoulé, et la sénatrice Lankin a une question. Sénateur Cotter, demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre à la question?
Oui.
Y a-t-il consentement? J’ai entendu un « non ».