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Projet de loi sur la protection des pensions

Projet de loi modificatif--Troisième lecture

18 avril 2023


L’honorable David M. Wells [ - ]

Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole encore une fois pour participer au débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-228, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, en ma qualité de parrain au Sénat de cette mesure législative.

Avant de commencer, je veux remercier le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie et sa présidente, la sénatrice Wallin, de leur travail expert sur ce projet de loi. Le comité a tenu 3 réunions, a entendu 16 témoins et a reçu 27 mémoires. Nous avons eu de longues discussions avec les témoins, et nous avons fini par convenir que le projet de loi C-228 devrait être adopté sans amendement.

Je veux aussi remercier mon collègue, le sénateur Yussuff, qui a appuyé vivement le projet de loi et qui a été le meilleur porte-parole qu’un parrain aurait pu espérer. Il a été agréable de pouvoir travailler ensemble pour faire avancer ce projet de loi qui se fait attendre depuis longtemps. La collaboration du sénateur Yussuff témoigne de l’importance de la mesure législative, et de l’urgence de la faire adopter.

En dernier lieu, j’aimerais féliciter l’auteure de ce projet de loi crucial, Marilyn Gladu, la députée de Sarnia—Lambton. Elle a créé une mesure législative qui apporte aux Canadiens une aide directe dans un domaine ayant une incidence importante sur leur retraite et leur qualité de vie. La députée Gladu a comparu devant le comité pour défendre le projet de loi. Elle l’a fait avec une habileté et une volonté impressionnantes.

Chers collègues, comme je l’ai mentionné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, le projet de loi comporte trois éléments simples. Premièrement, les travailleurs ayant un régime de retraite à prestations déterminées doivent être payés en priorité en cas de faillite de l’entreprise. Le projet de loi C-228 permettra enfin, en cas d’insolvabilité, d’accorder la priorité aux pensions des employés plutôt qu’aux primes des cadres et au remboursement des principaux créanciers.

Deuxièmement, le projet de loi fournira un mécanisme de transfert de fonds vers un fonds de pension afin de rétablir sa solvabilité.

Troisièmement, il obligera le surintendant des institutions financières à présenter au Parlement un rapport annuel qui décrit ce qui suit :

[...] la mesure dans laquelle les régimes de pension satisfont aux exigences de capitalisation [...] et les mesures correctives prises ou ordonnées pour remédier aux régimes de pension qui ne satisfont pas aux exigences de capitalisation.

Ces trois changements importants contribueront à protéger le revenu différé des employés qui participent à un régime privé à prestations déterminées.

Avant d’aller plus loin, je vais prendre un instant pour corriger une réponse que j’ai donnée après mon discours à l’étape de la deuxième lecture. Le sénateur Dalphond m’a demandé si la Loi sur les normes de prestation de pension s’appliquait seulement aux régimes de pension dans les secteurs de compétence fédérale ou si elle s’appliquait aussi aux régimes réglementés par les provinces. Je me suis trompé en disant qu’elle s’appliquait aux régimes de pension provinciaux, ce qui n’est pas le cas — du moins, pas entièrement. Permettez-moi de m’expliquer.

Le projet de loi C-228 modifie trois lois distinctes. L’une d’entre elles est la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension. Cette loi n’a d’incidence que sur les régimes de retraite sous réglementation fédérale. La modification apportée par le projet de loi C-228 à la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension crée simplement l’exigence d’un rapport annuel détaillé pour les régimes sous réglementation fédérale. Il ne crée aucune exigence de rapport pour les régimes réglementés par les provinces et n’empiète donc pas sur la compétence provinciale. Je crois que c’était la préoccupation du sénateur Dalphond, et il a raison.

Les deux autres lois modifiées par le projet de loi C-228 sont la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Ces deux lois ont une portée nationale, et elles ont des répercussions sur les procédures de faillite et d’insolvabilité de toutes les sociétés au Canada, qu’elles soient constituées en vertu d’une loi fédérale ou provinciale. C’est de cela que je parlais lorsque j’ai répondu à la question.

Alors que les modifications à la Loi sur les normes de prestation de pension créent l’obligation de faire rapport, tous les autres éléments du projet de loi C-228, y compris la création d’un nouvel ordre de priorité — un élément clé du projet de loi — sont créés par des modifications à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Chers collègues, les groupes de défense des pensionnés réclament depuis longtemps ce projet de loi, et ils ont comparu devant le comité pour nous donner leur appui sans réserve. Ils ont souligné que le projet de loi C-228 augmenterait enfin la protection pour des millions d’aînés canadiens et leur famille qui dépendent des régimes de pension à prestations déterminées pour leur sécurité financière pendant la retraite. C’est une mesure dont on a grandement besoin.

Comme je l’ai indiqué précédemment, le projet de loi C-228 permet de le faire en faisant passer les intérêts des personnes avant ceux des banques. À l’heure actuelle, si une entreprise dotée d’un régime à prestations déterminées devient insolvable ou déclare faillite, comme nous l’avons vu dans l’histoire récente du Canada, les titulaires de régimes de pensions n’ont pas voix au chapitre. Lorsqu’il s’agit de recouvrer ce qui leur est dû, ils se retrouvent à la queue de la file d’attente avec tous les autres créanciers non garantis. Le projet de loi C-228 remédie à cette situation en leur accordant ce que l’on appelle le statut de priorité absolue. Il s’agit du statut déjà accordé aux salaires et indemnités impayés qui sont dus aux employés, ainsi qu’aux cotisations de l’employé ou de l’employeur à un régime de pension agréé. Ce projet de loi place désormais les prestations de pension dans la même catégorie. Étant donné que les prestations de pension sont des revenus différés, ce changement est tout à fait logique.

Toutefois, chers collègues, je tiens à souligner que cela ne garantit pas que les prestations des régimes de pension seront toujours payées intégralement en cas d’insolvabilité ou de faillite. Il pourrait y avoir des cas où, malgré la priorité absolue, les actifs de l’entreprise en faillite ne suffisent pas à couvrir toutes les créances de la priorité absolue. Toutefois, le projet de loi a pour effet de placer les retraités vers l’avant de la file d’attente, au lieu de les laisser à l’arrière.

En outre, en créant une obligation de rapport annuel, les modifications apportées par le projet de loi C-228 se traduiront par une plus grande responsabilité et une plus grande transparence, ce qui contribuera à garantir que les régimes de pension soient entièrement contrôlés et capitalisés.

C’est en raison de ces simples objectifs que le projet de loi C-228 a été appuyé à l’unanimité à l’autre endroit. Les 318 députés qui étaient présents, le 23 novembre, lors du vote à l’étape de la troisième lecture, ont voté en faveur du projet de loi, y compris le premier ministre, la ministre des Finances, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, le ministre de la Justice et 31 autres ministres. Avec un tel appui à l’égard d’un projet de loi d’initiative parlementaire, il est difficile pour qui que ce soit de trouver des raisons de s’y opposer, mais certains ont tenté de le faire.

Un certain nombre d’associations, y compris des gestionnaires des régimes de pensions et des intervenants du milieu des finances et des affaires ont soulevé des préoccupations à l’égard du projet de loi, et le comité les a étudiées attentivement. Vous avez peut-être entendu parler de ces préoccupations sans toutefois avoir pu assister aux audiences du comité, alors je vais prendre un instant pour parler des principales préoccupations qui ont été soulevées.

Premièrement, le comité a entendu dire à plusieurs reprises que le projet de loi C-228 va plutôt nuire aux retraités s’il est adopté, puisqu’il poussera les employeurs à délaisser les régimes à prestations déterminées pour offrir plutôt des régimes inférieurs à cotisations déterminées.

Chers collègues, permettez-moi tout d’abord de dire que, même si cette affirmation était vraie, un régime de retraite à cotisations déterminées qui est garanti est plus précieux qu’un régime à prestations déterminées qui n’est pas garanti. Des prestations de retraite qui peuvent être réduites de 10 %, 20 %, 30 % ou même 50 % en cas de faillite n’offrent pas une grande sécurité. Si c’est la plus grande menace que les opposants au projet de loi C-228 peuvent trouver, elle n’a pas beaucoup de poids aux yeux des retraités.

Mais il s’avère que cette menace est facilement écartée. Comme l’ont souligné de nombreux témoins, les régimes de retraite privés à prestations déterminées sont déjà en déclin depuis plus de 20 ans. En 2000, 21,3 % des régimes de retraite du secteur privé étaient des régimes à prestations déterminées. En 2020, ce chiffre était passé à 9,6 %. Et il est encore plus bas aujourd’hui, chers collègues.

Les raisons de ce déclin des régimes à prestations déterminées n’ont pas été entièrement documentées, mais l’un des facteurs qui y a contribué, et qui a été souligné en comité, est que les régimes à prestations déterminées à employeur unique n’attirent plus les salariés comme auparavant. Pour maximiser les avantages des régimes à prestations déterminées à employeur unique, il faut travailler pour le même employeur pendant 25 ou 30 ans. Le problème est que la plupart des gens ne considèrent plus cela comme un plan de carrière probable. Les régimes à prestations déterminées à employeur unique sont de moins en moins utilisés depuis des décennies. C’est une menace vide de sens que de suggérer que le projet de loi C-228 déclenchera ce qui est déjà en train de se produire et qui se produit depuis une génération.

Toutefois, chers collègues, en plus de ceci, il y a trois autres raisons pour lesquelles le projet de loi C-228 ne constitue pas une menace pour les régimes à prestations déterminées et les pensions de plus de 1,2 million de Canadiens qui continuent de cotiser à ceux-ci. Premièrement, dans l’éventualité où le projet de loi C-228 effrayerait un employeur au point où il voudrait mettre fin à son régime à prestations déterminées, précisons qu’un grand nombre de ces régimes sont assujettis à des conventions collectives. Comme un témoin l’a soulevé, ces entreprises ne seront vraisemblablement pas capables de mettre fin à leur régime sans d’abord convenir d’une entente à la table de négociation.

Deuxièment, dans l’éventualité où une entreprise réussirait à négocier la fin d’un régime à prestations déterminées, la cessation de ce régime ne pourrait avoir lieu avant qu’il ne soit pleinement capitalisé. Cela signifie que tous les employés touchant une pension ou ayant droit à une pension future seraient protégés. Conformément à la loi en vigueur, si une entreprise veut mettre fin à un régime à prestations déterminées, elle a cinq ans pour veiller à ce qu’il soit pleinement capitalisé.

Troisièmement, si un employeur s’inquiète de l’incidence du projet de loi C-228 et qu’il souhaite offrir un régime à prestations déterminées et à employeur unique, il peut quand même se prévaloir de l’option de participer à un régime de pension interentreprises. Ces régimes sont solides et ils connaissent une croissance importante, en partie parce qu’ils offrent aux employés la possibilité d’avoir un seul régime de pension même s’ils changent d’employeur participant.

De plus, comme leurs fonds de pension sont mis en commun par de nombreux employeurs, la pension d’un membre n’est pas affectée si son employeur fait faillite. Son régime de retraite demeure intact parce qu’il fait partie d’un fonds beaucoup plus vaste qui ne dépend pas d’un seul employeur. Une des personnes venues témoigner devant le comité représentait le régime de retraite des Collèges d’arts appliqués et de technologie ou CAAT, et ce régime craignait que les employeurs croient à tort que le projet de loi C-228 vise leur régime de retraite interentreprises.

Dans son mémoire, le régime de retraite des CAAT admet que cette perception serait inexacte. Il note ceci :

Partout au Canada, il existe des types de régimes de retraite interentreprises [...] pour lesquels l’employeur, selon ce que prévoit la loi, n’a aucune obligation de financer des montants supérieurs à ses cotisations mensuelles.

Le régime ajoute ceci :

Nous reconnaissons que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ne peut pas créer une dette là où il n’y en a pas et que, par conséquent, les régimes interentreprises à risque partagé ne sont probablement pas couverts par le projet de loi C-228.

Ils ont raison sur ce point. Le projet de loi C-228 ne crée pas de créances en cas d’insolvabilité ou de faillite. Il fait simplement en sorte que s’il existe des créances, on accorde la priorité aux régimes de retraite des employés ainsi qu’aux traitements et aux salaires dus.

Le rapport du comité sénatorial concernant le projet de loi C-228 contenait une observation au sujet des régimes de retraite interentreprises :

[...] ce type de régime de retraite n’était pas visé par le projet de loi et [...] seuls les employeurs légalement responsables du maintien d’une caisse de retraite seraient tenus de verser les paiements dus à leurs employés en cas de faillite.

C’est une précision, chers collègues, que nous avons décidé d’inclure dans les observations.

Une autre préoccupation dont le comité a entendu parler à propos du projet de loi C-228 est l’idée que la priorité absolue accordée aux régimes de retraite des employés, parmi les créanciers, risquerait sérieusement de nuire à l’accès de l’entreprise au crédit. Il s’agit là, chers collègues, d’une curieuse objection au projet de loi. Au fond, on soutient que ce sont les salariés qui devraient assumer le risque associé à leurs régimes de retraite, et non les employeurs. On affirme que si l’on fait porter aux employeurs la responsabilité de respecter l’engagement qu’ils ont pris envers leurs employés, cette situation est injuste pour eux et menacera d’une certaine manière la viabilité de leur entreprise.

Non seulement cette position est étrange, mais il convient de souligner, tout d’abord, que si une entreprise peut démontrer que son régime à prestations déterminées est entièrement capitalisé, comme il devrait l’être, un tel risque n’existe pas.

En second lieu, le projet de loi C-228 donnera aux employeurs quatre ans pour s’assurer que leurs régimes sont solvables et les incitera à maintenir leurs régimes solvables. Si une entreprise n’est pas en mesure de rendre ses régimes solvables dans un délai de quatre ans, il est évident qu’elle présente un risque plus élevé et qu’elle devrait peut-être payer des taux d’intérêt plus élevés.

Laisser entendre que la loi ne devrait pas protéger les régimes de pension des employés seulement pour que les employeurs aient accès au crédit à moindre coût est incroyablement égoïste. Cela laisse entendre que ce sont les employés qui devraient supporter les risques de l’entreprise. Le comité n’a pas souscrit à cet argument.

Le comité a aussi entendu des intervenants s’inquiéter qu’en cas d’insolvabilité, le projet de loi C-228 risque d’empêcher une entreprise de se restructurer ou, si elle est vendue, d’empêcher l’acheteur d’assumer le passif du régime de pension afin d’en maintenir l’intégrité. On laisse entendre qu’en accordant la priorité absolue au passif des régimes de retraite on éliminerait en quelque sorte les options de restructuration qui existeraient autrement.

C’est inexact. En cas d’insolvabilité, le projet de loi C-228 garantirait aux retraités un siège à la table du processus de restructuration. Comme l’a fait remarquer le Congrès du travail du Canada :

En l’absence d’une super-priorité du déficit du régime de retraite, les personnes participantes actives et retraitées se trouvent dans une situation très difficile et très inéquitable. Afin d’éviter la liquidation du régime de retraite — et les tout à fait catastrophiques réductions des pensions et des prestations qu’elle comporte — les personnes participant au régime sont incitées à accepter « volontairement » des réductions radicales des pensions et des prestations au cours des procédures découlant de la LACC. Habituellement, les travailleurs et travailleuses et les personnes qui participent au régime sont incitées vers le début de la procédure à accepter des réductions massives sous la menace de subir des coupures encore plus dévastatrices si elles résistent.

Puisqu’elles n’ont aucune protection en cas de faillite ou de liquidation, ces personnes risquent de tout perdre si elles n’acceptent pas une profonde coupure de leurs pensions et prestations [...]

Chers collègues, le projet de loi C-228 n’augmente pas le risque pour les retraités; il le réduit. En cas de restructuration, il leur donne une voix forte et une bien meilleure position de négociation au lieu de les reléguer au dernier rang. Le projet de loi C-228 est grandement nécessaire et se fait attendre depuis trop longtemps. Au nom des travailleurs de tout le pays, je souhaite que nous adoptions rapidement ce projet de loi et que nous donnions aux travailleurs la protection qu’ils méritent. Merci.

L’honorable Hassan Yussuff [ - ]

Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-228, Loi sur la protection des pensions.

Bon nombre de retraités, de militants, de travailleurs et de syndicalistes ont travaillé sans relâche et avec dévouement pendant des décennies pour que ce jour arrive enfin. Aujourd’hui, nous devons penser à eux et aux efforts qu’ils ont déployés pour obtenir des résultats sans précédent pour les travailleurs et les retraités.

Honorables collègues, vous pouvez jouer un rôle de premier plan pour mener à bien ce projet en appuyant dès aujourd’hui ce projet de loi sans proposition d’amendement.

Lorsqu’on me demande en quoi consiste le projet de loi C-228, je réponds simplement que c’est une question d’équité, de respect à l’égard des contributions des travailleurs et de leur dévouement pour leurs employeurs, et qu’il s’agit de reconnaître le droit de tous de vivre leur retraite dans la dignité.

Honorables sénateurs, j’aimerais d’abord saluer le sénateur Wells et le remercier d’avoir parrainé le projet de loi. C’est un collègue formidable avec qui travailler. Je tiens aussi à remercier mes collègues du Comité sénatorial des banques de leur travail exceptionnel. Je remercie la sénatrice Wallin, présidente du Comité, et l’ensemble des membres du Comité pour le travail très important qu’ils ont fait avant de renvoyer le projet de loi au Sénat.

Je crois que les membres du Comité sont conscients de l’injustice fondamentale que des retraités ont subie à cause du cadre législatif actuel sur la faillite. Cette solution n’est peut-être pas parfaite, mais je sais que c’est la meilleure dont nous disposons à l’heure actuelle pour protéger les perspectives de retraite des travailleurs et des retraités.

Chers collègues, les détracteurs de ce projet de loi fondent leurs arguments sur les conséquences imprévues qu’il pourrait avoir s’il était adopté. Ils affirment que le projet de loi pourrait rendre l’accès aux capitaux plus difficile, qu’il pourrait augmenter les coûts d’emprunt, ou qu’il pourrait entraîner une diminution du nombre de régimes à prestations déterminées. Or, il ne s’agit que de suppositions. Ce sont des arguments qui ont peu de poids quand on les compare à la certitude que les lois actuelles sur la faillite ont coûté cher aux travailleurs et aux retraités qui travaillaient pour une entreprise ayant fait faillite avec un fonds de pension déficitaire.

Nos lois actuelles relèguent au second plan la dignité de ces travailleurs et le respect de leur carrière.

Chers collègues, ce sont les conséquences inhérentes et néfastes bien connues de nos lois actuelles sur la faillite que je vous demande de corriger dans l’intérêt des travailleurs qui, en toute bonne foi, ont convenu avec leur employeur de reporter leur salaire d’aujourd’hui pour assurer leur retraite demain.

Les sénateurs peuvent se demander ce qui fait que l’on doit accorder la priorité absolue à un régime à prestations déterminées en cas de déficit dans le cadre d’une procédure de faillite. Cela dépend de l’importance que l’on accorde au lien de confiance et au respect d’une promesse lorsqu’il s’agit de l’atout le plus important d’une entreprise, à savoir, ses employés. Les régimes à prestations déterminées établis par un employeur font partie intégrante du processus de négociation collective et du contrat de travail. Ils sont négociés et acceptés de la même manière que les salaires.

Les travailleurs seront souvent prêts à réduire leur salaire et préféreront que l’argent aille plutôt dans un régime de pensions afin d’avoir une retraite plus sûre — ce qui représente concrètement une rémunération différée. L’entente négociée repose sur la promesse de l’employeur de verser les contributions exigées dans le régime de pension des employés et sur la confiance des employés envers l’employeur à cet égard.

La future retraite des travailleurs repose sur le respect de cette promesse et de cette confiance. Dans la plupart des cas, la promesse est tenue et la confiance des employés était justifiée. Par contre, il est arrivé que l’employeur rompe sa promesse et trahisse la confiance des travailleurs. Nous connaissons ces employeurs : Nortel, Sears, Eaton, Massey Ferguson, Cliffs Natural Resources et bien d’autres encore. Les conséquences peuvent être dévastatrices pour les pensionnés et leur famille qui ont travaillé toute leur vie en croyant que la promesse serait respectée et que leur confiance serait récompensée.

Je veux parler un instant de ce que cela signifie pour un pensionné lorsque la promesse est rompue et que sa confiance est trahie. Je vais parler de pensionnés qui ont subi les conséquences imprévues de la législation actuelle en matière de faillites.

Ron, Audrey et Attilio sont 3 des 1 600 anciens employés de Sears qui ont dû composer avec la réalité d’une réduction de leur pension de près de 15 %. Voici quelques passages du mémoire de l’association des retraités de Sears Canada concernant ce projet de loi. Ron Husk, de Mount Pearl, à Terre-Neuve, qui a travaillé pour Sears durant 35 ans, a dit : « C’est épouvantable. Je n’en dors pas la nuit; je ne sais pas du tout quoi faire. »

C’est ce qu’a dit l’ancien vendeur d’appareils électroménagers aujourd’hui âgé de 77 ans. Ron a dû retourner sur le marché du travail pour compenser la baisse de sa pension et de ses prestations.

Audrey, de Beaver Dam, au Nouveau-Brunswick, a travaillé durant 50 ans pour Sears et jusqu’au dernier jour d’ouverture du magasin. Elle ne parvenait pas à croire que la pension à laquelle elle avait contribué et qu’on lui avait promise toute sa vie pouvait être amputée de 20 %. « C’est tellement injuste », s’est-elle désolée.

Attilio, de l’Alberta, a dû envisager de retourner travailler comme vendeur pour compenser la baisse de revenus, ce qu’il n’avait pas l’intention de faire. « Qui, dites-moi, va embaucher un vieil homme de 73 ans?, s’est-il exclamé. Je ne peux pas rester debout plusieurs heures. Je fais de l’arthrite. » Attilio a été au service de Sears durant 44 ans.

Voici un exemple provenant du mémoire des Métallos qui parlait des 1 700 pensionnés de Cliffs Natural Resources, qui a fait faillite en 2015 : pour Rose et Aurelien, la faillite de Cliffs représentait une perte de 400 $ par mois. Ils ont expliqué : « À notre âge, nous ne retournerons pas travailler. Nous vivrons avec ce qu’il nous reste. »

Les pensionnés de l’Usine Stadacona de Papiers White Birch ont fait face à une réduction de 47 % de leur pension en décembre 2012. Au bout du compte, après avoir fait des gains, ils doivent vivre le reste de leur vie avec une réduction de 30 % de leur pension. Ils en ont tous été touchés d’une manière ou d’une autre, au chapitre de la santé, de la famille, des loisirs, et ainsi de suite. Nombre d’entre eux vivent désormais sous le seuil de la pauvreté. Certains retournent au travail à 70 ans ou plus, s’ils sont en assez bonne santé pour pouvoir le faire.

Honorables sénateurs, ce projet de loi vise à empêcher que des pensionnés subissent le même sort que d’autres ont connu lors de faillites, par le passé. Les créanciers commerciaux, comme les banques et les institutions financières, sont des prêteurs avisés qui peuvent prendre des mesures pour protéger leur investissement contre le risque de défaut de paiement. Ils peuvent examiner minutieusement leurs prêts, transférant le risque à l’investisseur. Ils peuvent s’attendre à ce que les entreprises capitalisent entièrement leurs régimes de pension et d’avantages sociaux et qu’elles gèrent prudemment les risques. Ils peuvent aussi exiger qu’on leur divulgue plus de détails sur l’état de capitalisation de leur régime de pension.

Les pensionnés, eux, ne peuvent pas protéger leurs pensions et leurs prestations contre le risque de défaut de paiement. Ils n’ont pas de multiples régimes privés de pension et d’économies importantes pour compenser leurs pertes, et ils ne peuvent pas forcer leur ancien employeur à maintenir la pleine capitalisation de leur régime de pension.

J’aimerais revenir sur la question des conséquences involontaires que j’ai mentionnée plus tôt, un sujet dont les critiques ont souvent parlé et, en particulier, sur la façon dont ce projet de loi peut influer sur la capacité d’une entreprise d’accéder à des capitaux. Honorables sénateurs, je dirais que la question n’est pas de savoir si une entreprise risque de ne pas avoir accès aux capitaux. Il s’agit des conséquences des choix financiers qu’une entreprise fait lorsqu’il y a un déficit du fonds de pension. La seule conséquence involontaire de ce projet de loi est que les choix financiers d’une entreprise incluront désormais, bien sûr, les intérêts des pensionnés, ce que les lois actuelles sur la faillite ne prennent délibérément pas en compte. Je pense, comme beaucoup, que si l’on change les règles, les entreprises changeront de comportement.

Est-ce que je crois que ce changement de comportement sera encouragé par les institutions de crédit qui seront plus vigilantes et veilleront à ce que les entreprises auxquelles elles accordent des prêts disposent d’un régime de pension bien provisionné? Oui, je le crois. Cela signifie-t-il que les entreprises ne pourront pas verser de dividendes ou racheter des actions avant d’avoir comblé leur déficit? C’est très probable.

Honorables sénateurs, ne pensez-vous pas que ce serait une bonne chose si les pensionnés étaient moins susceptibles de perdre une grande partie de leur future retraite?

Avant de conclure, je tiens à saluer, bien évidemment, les nombreuses personnes qui ont permis que nous en soyons là aujourd’hui. D’abord, je remercie les parlementaires qui ont commencé à proposer des projets de loi d’initiative parlementaire et des projets de loi d’intérêt public sur le sujet il y a plus de 15 ans. Deux d’entre eux l’ont fait dans cette enceinte. Il s’agit, bien sûr, de l’actuel Président et du sénateur à la retraite Art Eggleton. Leurs efforts ont pavé la voie pour la députée Marilyn Gladu, qui a travaillé avec tous les partis à l’autre endroit pour que le projet de loi soit adopté à l’unanimité.

Je veux aussi souligner le travail des associations de travailleurs comme Unifor, le Syndicat des Métallos et le Congrès du travail du Canada, qui n’ont jamais laissé ce dossier tomber dans l’oubli au nom de leurs membres et de leurs pensionnés.

Je voudrais également remercier les pensionnés qui ont pris le temps de communiquer avec moi et tous les autres sénateurs, que ce soit par téléphone, par courriel ou par la poste. Bon nombre d’entre eux ne profiteront pas du projet de loi C-228, mais ils nous ont tout de même raconté leurs histoires émouvantes de stress, de difficultés et de dur labeur.

Enfin, je tiens à saluer tout particulièrement les défenseurs des pensions et les efforts inlassables et désintéressés qu’ils déploient pour assurer un avenir plus équitable aux retraités de tout le pays. Je tiens à reconnaître et à remercier des groupes comme la Fédération canadienne des retraités, le Groupe des pensionnés Pages Jaunes, l’organisation Pionairs d’Air Canada, CanAge, CARP, le Réseau canadien pour la prévention du mauvais traitement des aînés, le réseau FADOQ, l’Association des syndicalistes retraités du Canada et la Fédération nationale des retraités. Ces groupes ont lutté, non pas pour leur propre intérêt, mais pour celui de la prochaine génération de retraités au pays. C’est grâce à toutes ces personnes et à tous ces groupes que nous sommes saisis de ce projet de loi aujourd’hui.

Ils attendent de nous que nous fassions le dernier pas pour garantir une retraite juste et digne aux retraités comme eux.

En conclusion, honorables sénateurs, nous avons devant nous un projet de loi qui vise à corriger des lois injustes sur la faillite, qui ont maintenu la dignité des personnes et le respect de toute une vie de travail bien trop longtemps à l’arrière de la file d’attente dans des faillites qu’elles n’ont pas contribué à provoquer en premier lieu.

Les travailleurs et les retraités ne doivent pas être considérés comme des biens de consommation courante dans les procédures d’insolvabilité, comme cela a été le cas lors des faillites de Nortel, de Sears, de Massey Ferguson et de la White Birch Paper Company, ainsi que de bien d’autres entreprises. Les entreprises peuvent financer entièrement leurs régimes de retraite, mais elles choisissent de ne pas le faire, car la législation actuelle leur permet de sous-financer leurs régimes, ce qui a pour conséquence involontaire de ne léser personne d’autre que les employés et les retraités. Aujourd’hui, chers collègues, vous pouvez redresser la situation et rétablir l’équité pour les employés et les retraités dans nos lois sur les faillites, afin de garantir que leur travail soit placé au premier rang, et non pas au dernier.

Bien entendu, la question que vous devez vous poser est la suivante : après une vie de dur labeur, quelqu’un devrait-il peiner à joindre les deux bouts durant sa retraite à cause d’une loi injuste? Honorables sénateurs, je pense que la réponse est non, et je vous invite, bien sûr, à soutenir le droit des retraités à une retraite digne en adoptant ce projet de loi.

Sur une note personnelle, cela fait 30 ans que j’attends de pouvoir faire ce discours. Je me disais qu’un jour, la loi finirait par changer. Je ne m’attendais pas à me trouver dans cet endroit au moment où cela se produirait.

Je dois avouer que le chemin parcouru pour se rendre ici n’est pas tout à fait normal. J’aimerais remercie la députée Marilyn Gladu pour son ouverture à collaborer avec moi. J’ai communiqué avec elle pour m’informer sur son projet de loi. Elle m’a répondu : « Certainement. » Je lui ai dit que j’avais des suggestions à lui faire et lui ai demandé si elle voulait les examiner. Elle était d’accord. Nous avons discuté et travaillé ensemble, mais le plus important, c’est qu’elle a fait preuve d’ouverture pour collaborer avec les autres partis de l’autre endroit afin d’atteindre des objectifs communs. Je ne saurais dire à quel point la tâche a été colossale pour obtenir l’adhésion de tout le monde.

En terminant, chers collègues, je pourrais vous raconter de nombreuses autres histoires tristes. Je sais que des hommes et des femmes auraient aimé être avec nous ce soir pour prendre part à la discussion et être témoins de ce débat. En raison des contraintes de temps pour ce projet de loi, ces gens ne sont pas avec nous. Je sais par contre qu’ils lèveront leur verre pour nous remercier de faire la bonne chose. J’espère que vous vous joindrez à mes collègues et à moi pour voter en faveur de ce projet de loi dans sa forme actuelle, sans apporter d’amendements, afin de créer un moment historique pour les travailleurs de notre pays.

Merci.

L’honorable Tony Loffreda [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-228, Loi sur la protection des pensions, que j’appuie. Ce projet de loi a été présenté à l’autre endroit par notre collègue, la députée Marilyn Gladu, et parrainé de main de maître au Sénat par le sénateur Wells. Je les remercie tous les deux pour leur travail et leur engagement à veiller à ce que le Parlement adopte ce projet de loi visant à protéger les pensions des travailleurs canadiens.

Comme vous le savez, le projet de loi C-228 vise à modifier la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ainsi que la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies afin d’accorder la priorité absolue aux retraités lorsque des entreprises font l’objet de procédures de faillite ou d’insolvabilité. Il s’agit d’un changement bienvenu qui était attendu depuis longtemps.

Pendant les délibérations du comité, on nous a souvent rappelé que le projet de loi C-228 avait été adopté à l’unanimité à l’autre endroit par 318 voix contre 0. Si nous devons nous fier à nos boîtes de réception de courriels, des centaines, voire des milliers de Canadiens nous ont envoyé des messages pour nous demander d’adopter ce projet de loi le plus rapidement possible.

Je suis d’accord avec eux. C’est un bon projet de loi. Ses intentions sont bonnes, et il devrait être adopté dès que possible, voire ce soir.

La plupart d’entre nous peuvent probablement approuver l’idée de donner à la pension et aux prestations un statut de priorité absolue dans le cadre des procédures d’insolvabilité. Les travailleurs ont passé leur vie à travailler fort et à cotiser pour leur retraite, et nous devons les protéger. C’est un juste retour des choses. Je suis d’accord avec le sénateur Yussuff pour dire que les actifs les plus précieux d’une entreprise sont ses travailleurs.

J’ai toujours eu l’habitude de visualiser le triangle magique, où il y a le client au sommet, les actionnaires et les travailleurs. Sans les travailleurs, le client n’est pas satisfait.

Toutefois, je tiens à faire part de certaines préoccupations qui doivent être surveillées dans l’intérêt de tous les futurs travailleurs. J’ai toujours dit : « Les entreprises créent des emplois. Si les entreprises prospèrent, les clients prospèrent, les collectivités prospèrent et les travailleurs prospèrent. » Je veux présenter ces arguments, de même que ceux entendus en comité.

Certains intervenants s’inquiètent du fait qu’en donnant au passif des régimes de retraite la priorité sur les intérêts des créanciers garantis, il pourrait être de plus en plus difficile d’obtenir un financement et les régimes de retraite à prestations déterminées pourraient devenir moins attrayants et moins populaires.

À l’heure actuelle, le passif de l’employeur en matière de pension n’est « superprioritaire » en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies que dans la mesure où il s’agit, d’une part, de montants impayés déduits de la rémunération des employés pour contribuer au fonds de pension ou, d’autre part, de coûts normaux impayés ou d’autres montants impayés que l’employeur était tenu de verser au fonds de pension ou à l’administrateur dans le cadre d’une disposition à cotisations déterminées ou d’un régime de pension agréé, respectivement.

Le projet de loi C-228 propose d’élargir la liste des passifs en matière de pension ayant une superpriorité pour inclure, premièrement, les paiements spéciaux que l’employeur est tenu de verser au fonds pour liquider un passif non capitalisé ou combler un déficit de solvabilité et, deuxièmement, tout montant requis pour la liquidation de tout autre passif non capitalisé ou déficit de solvabilité du fonds.

Lorsqu’il est question du passif non capitalisé d’un régime de pension, il s’agit habituellement du montant additionnel qui doit être ajouté aux actifs du fonds pour permettre au fonds de continuer à payer les prestations à leur échéance si le fonds devait fonctionner indéfiniment. Le déficit de solvabilité est le montant supplémentaire dont le fonds a besoin pour remplir ses obligations s’il devait être liquidé.

Le passif non capitalisé et le déficit de solvabilité n’ont pas de valeur fixe parce qu’ils fluctuent de temps à autre et ne peuvent être évalués par les actuaires qu’à un moment donné. Cela peut être problématique dans le cas des régimes de retraite à prestations déterminées.

Pour plus de clarté, selon la définition de Statistique Canada, un régime de retraite à prestations déterminées est un type de régime de retraite dans lequel un employeur ou un promoteur promet un paiement de pension précis, un paiement forfaitaire ou une combinaison de ces paiements au moment de la retraite. L’employeur est responsable de la gestion des investissements et des risques du régime.

Nous savons que deux tiers de tous les participants à un régime de pension agréé au Canada sont couverts par un régime à prestations déterminées, soit 4,4 millions de Canadiens. Nous savons également que les régimes à prestations déterminées ont connu une forte baisse dans le secteur privé. Selon Statistique Canada, 21,3 % des régimes du secteur privé étaient des régimes à prestations déterminées en 2000. Ce pourcentage est tombé à 9,6 % en 2020. On nous a rappelé en comité que les petits et grands employeurs qui ont des régimes à prestations définies ont aussi de plus en plus tendance à faire la transition à des régimes à cotisations déterminées, ce qui n’est évidemment pas le scénario idéal pour les travailleurs canadiens. Par exemple, les régimes à cotisations déterminées, ainsi que les régimes mixtes et les modèles hybrides, sont passés de 6,8 % en 2000 à 14,5 % en 2020.

Je crois fermement qu’un régime de retraite à prestations déterminées présente encore de nombreux avantages lorsqu’il est correctement capitalisé. Le problème, c’est que le passif non capitalisé n’est pas toujours voulu. La capitalisation de ces régimes de retraite comporte une grande part d’incertitude. Ils doivent donc être correctement capitalisés, et de nombreuses solutions existent pour y parvenir. Toutefois, compte tenu de la valeur incertaine du passif non capitalisé et du déficit de solvabilité des régimes à prestations déterminées, les prêteurs ne seront pas en mesure de déterminer le montant du passif potentiel du régime de pension dans l’éventualité d’une faillite. Comme je l’ai indiqué, il s’agit d’une incertitude. Cette incapacité à mesurer le risque de manière fiable limitera probablement la volonté des prêteurs à accorder du crédit et augmentera les coûts d’emprunt pour les emprunteurs ayant des régimes à prestations déterminées, surtout dans les cas de restructuration pour insolvabilité, ce qui, malheureusement, pourrait accroître le risque de faillite.

Comme je l’ai indiqué, je suis favorable à ce plan, et je l’approuve. En revanche, il convient de surveiller ces risques à l’avenir. À titre d’ancien banquier, je peux affirmer que les banquiers n’aiment pas les incertitudes et les risques qu’ils ne sont pas en mesure de mesurer ou de limiter. Les prêteurs accordent des prêts en fonction de formules de calcul de la marge, qui sont exactes, et qui réduisent précisément les créances antérieures afin de déterminer les marges d’emprunt. L’adoption du projet de loi risque de réduire ces marges, notamment dans les cas d’insolvabilité, et d’avoir l’effet pervers de rendre les restructurations d’entreprises plus difficiles.

Au bout du compte, il est probable que le projet de loi C-228 provoque ou accélère le passage des employeurs des régimes de pension à prestations déterminées à des régimes à cotisations déterminées. Concrètement, même si le projet de loi a pour objectif de protéger les régimes de pension, il pourrait potentiellement amener les employeurs à profiter de la période de transition de quatre ans pour mettre de côté leurs régimes de pension à prestations déterminées.

Randy Bauslaugh, de McCarthy Tétrault, a récemment écrit pour l’Institut C.D. Howe que l’adoption du projet de loi C-228 allait probablement faire passer le risque financier sur les épaules des créanciers, des actionnaires et des partenaires financiers. À leur tour, les prêteurs :

[...] imposeront de nouvelles conditions pour l’obtention de prêts ou de capitaux. Il pourrait notamment s’agir de garanties de sécurité accrues équivalentes ou supérieures au passif du régime de pension, de l’imposition de coûts d’emprunt accrus, de l’exigence d’un financement complet, plutôt que provisoire, des charges à payer et, dans bien des cas, d’une exigence pour l’employeur de laisser tomber son régime de pension à prestations déterminées.

M. Bauslaugh a même laissé entendre que l’on conseillait déjà aux prêteurs et à d’autres intervenants du secteur financier de passer en revue la documentation et de la modifier afin que les débiteurs ou les partenaires n’aient pas de régime de pension à prestations déterminées et n’en créent pas de nouveaux. S’il a raison, cela laisse présager ce qui risque d’arriver.

Les leaders de l’industrie du secteur bancaire et du secteur des pensions ont fait écho, dans une lettre commune, aux observations de M. Bauslaugh et ont fait une mise en garde quant à la possibilité que « [...] le projet de loi C-228 modifie fondamentalement la façon dont les créditeurs évaluent le profil de risque [...] », ce qui les amènerait probablement à s’ajuster au risque accru de voir un emprunt ne pas être remboursé.

L’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation a également indiqué au comité qu’elle craignait la chose suivante :

 . . . la priorité absolue causera sans doute l’élimination progressive des régimes à prestations déterminées restants, en raison des défis que pose l’obtention du financement de la dette.

L’Association pense que le projet de loi C-228 :

… va probablement toucher les processus de réorganisation en vertu de la Loi sur l’insolvabilité, en décourageant le financement provisoire nécessaire pour envisager un processus de réorganisation ou pour débourser les fonds afin de terminer le processus.

Et cela permettra aussi de protéger des emplois.

Jean-Daniel Breton, le président de l’Association, fait aussi remarquer que :

Chaque fois qu’un créancier a la possibilité d’accorder ou non un crédit, il prend en considération le niveau de risque perçu à l’égard de l’entreprise.

Son collègue Alexander Morrison a ajouté que lorsqu’une entreprise traverse un processus de restructuration et se trouve en difficulté financière :

… il est essentiel qu’elle dispose de financement provisoire afin de gagner du temps et mener à bien la restructuration. Les créanciers qui se spécialisent dans le financement provisoire sont très réticents à offrir un prêt dans une situation où il y a une importante créance prioritaire potentielle sur un régime de retraite à prestations déterminées ayant priorité sur leur prêt.

En réponse à ce qu’ont dit certains joueurs de l’industrie, on nous a dit au comité que les banques trouveront des moyens de s’adapter et de se protéger de même que de contourner le système. Je suis d’accord pour dire que les banques vont s’adapter. Elles vont réévaluer leur formule de calcul de la marge, si bien qu’il pourrait être plus difficile pour les entreprises d’accéder à du financement si les calculs donnent un résultat négatif. Cependant, le problème, ce n’est pas seulement la banque, mais également l’employeur qui souhaite établir un régime de pension à prestations déterminées sachant que les banques considéreront d’abord les créances ayant préséance. Les banques vont évaluer les risques et pourraient, au bout du compte, exiger plus de frais pour accéder aux capitaux ou simplement réduire leur capacité de prêt. En fait, nous risquons d’observer une raréfaction des régimes à prestations déterminées en raison de ce projet de loi. Nous devrions pourtant encourager les employeurs à adopter de tels régimes, qui présentent, selon moi, de nombreux avantages comparativement aux régimes à cotisation déterminée.

Au contraire, étant donné que le marché du travail est très compétitif de nos jours, de nombreux employeurs se sentiront obligés d’adopter un régime à prestations déterminées pour attirer des employés et les conserver. On a présenté cet argument au comité. J’espère que ce sera le cas. Comme je l’ai déjà dit, la prospérité des entreprises et des employeurs entraîne la prospérité des collectivités et des employés ainsi que la création d’emplois.

Honorables sénateurs, compte tenu de ce que je viens de dire, je veux réaffirmer mon appui au projet de loi. Je l’appuie bel et bien. Il est essentiel que nous protégions les pensions des vaillants Canadiens, qui ont cotisé à leur régime de pension et comptent sur lui pour profiter d’une retraite bien méritée. Cependant, j’estimais important d’aborder et de ne pas perdre de vue certaines des conséquences involontaires que pourrait avoir le projet de loi C-228 ainsi que certains changements de dynamique qui pourraient avoir une incidence sur la relation entre les entreprises, les prêteurs et les travailleurs s’il est adopté.

Je ne veux certes pas avoir l’air d’être alarmiste, mais je soutiens que les créanciers ou les banques modifieront leur approche en matière d’octroi de prêts, ce qui pourrait compliquer de plus en plus les efforts de restructuration des entreprises en difficulté. On nous en a donné un exemple récent au comité quand on nous a parlé du cas de l’aciérie Algoma à Sault-Sainte-Marie. J’ai souvent entendu parler de la remise de chèques, de primes ou de dividendes. Au début de ma carrière dans le secteur bancaire, j’ai surveillé les activités de nombreuses entreprises insolvables, et je n’aurais jamais approuvé la remise de chèques, de primes ou de dividendes dans des situations d’insolvabilité. De tels chèques ne seraient jamais approuvés. Dans de tels cas, la banque travaille avec l’entreprise pour assurer sa viabilité et sa survie futures. On n’approuve jamais la remise de chèques en cas de restructuration.

À l’instar de la Chambre de commerce du Canada, j’estime que :

Les entreprises en difficulté auraient plus de mal à obtenir des prêts, ce qui irait à l’encontre d’un objectif fondamental de la législation sur l’insolvabilité, à savoir encourager les restructurations fructueuses qui permettent aux entreprises de continuer à employer des Canadiens […]

Je crois que, en tant que sénateurs, nous avons le loisir de prendre du recul par rapport à ces questions. Je crains que le projet de loi C-228 n’atteigne pas nécessairement les objectifs de toujours être avantageux pour les futurs travailleurs et de leur accorder la priorité. Il serait malheureux qu’il n’y parvienne pas.

On pourrait même faire valoir que le projet de loi C-228 risque d’être avantageux pour les travailleurs et les pensionnés d’aujourd’hui, mais d’avoir des répercussions négatives sur les travailleurs et les pensionnés de demain, ceux qui n’ont pas encore intégré le marché du travail et qui pourraient ne pas avoir de pension du tout ou avoir des régimes moins favorables.

J’espère que les régimes de pension à prestations déterminées ne continueront pas à reculer avec l’adoption du projet de loi. Les régimes de pension à prestations déterminées offrent une plus grande sécurité aux pensionnés et, comme on nous l’a dit au comité, une protection contre la volatilité des marchés. Nous voulons encourager les employeurs à adopter ce type de régimes. Il sera important de suivre la situation et de recueillir des données dans les années à venir pour tenir compte de l’évolution des régimes de pension, surtout pendant la période de transition de quatre ans.

J’exhorte les sénateurs à adopter le projet de loi dans sa forme actuelle aujourd’hui. C’est ce que les travailleurs et les pensionnés canadiens attendent de nous. Cependant, j’invite le Sénat à surveiller la situation et à déterminer si le projet de loi a des répercussions imprévues sur les pensionnés actuels et futurs. J’espère qu’il n’en aura pas. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente intérimaire

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

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