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Le Code criminel—La Loi sur les juges

Projet de loi modificatif--Troisième lecture

18 avril 2023


L’honorable Fabian Manning [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-233, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les juges (violence contre un partenaire intime). Comme je l’ai dit à l’étape de la deuxième lecture, j’appuie le projet de loi à titre de porte-parole officiel et je crois qu’il pourrait avoir une incidence importante sur le règlement des cas de violence à l’égard d’un partenaire intime et sur les accords de garde.

Je tiens également à saluer les nombreuses personnes qui se sont jointes à nous ce soir et qui ont travaillé sur ce projet de loi depuis des années. Je vous remercie sincèrement pour vos efforts, votre détermination et votre volonté de faire en sorte que ce jour arrive enfin.

Je m’intéresse à la violence entre partenaires intimes depuis 2017. J’ai parlé à de nombreuses victimes et j’ai entendu des histoires poignantes, dont certaines que j’ai racontées dans cette enceinte. Comme mes honorables collègues le savent, à la suite de mes consultations, j’ai présenté le projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale.

Les statistiques sont éloquentes, et elles brossent un portrait sombre qui montre à quel point aucun gouvernement n’a pris la violence conjugale au sérieux par le passé. C’est peut-être difficile à croire, mais à l’heure actuelle, le Canada n’a pas de plan ni de stratégie de lutte contre la violence envers les femmes à l’échelle nationale. Des déclarations ont été faites, on continue de publier des gazouillis pour offrir des condoléances à l’occasion de l’anniversaire de tragédies comme la fusillade de Polytechnique, et des consultations auraient eu lieu pour élaborer un nouveau plan, mais les personnes qui militent en faveur du changement en ont assez des promesses. Il est temps d’agir.

Le projet de loi C-233 fait partie des outils importants à notre disposition, mais j’espère sincèrement que l’étude du projet de loi S-249 avancera rapidement afin que nous puissions commencer à mettre en œuvre une stratégie nationale complète pour lutter contre ce problème de société complexe.

Je rappelle à mes honorables collègues que le projet de loi C-233 comporte deux dispositions clés qui visent à réduire la prévalence de la violence conjugale et à atténuer les méfaits qui s’y rattachent. Premièrement, le projet de loi prévoit que le juge ait l’obligation, avant de rendre une ordonnance de mise en liberté à l’égard d’un prévenu inculpé d’une infraction contre son partenaire intime, de considérer s’il est souhaitable pour la sécurité de toute personne d’imposer au prévenu, comme condition dans l’ordonnance, de porter un dispositif de surveillance à distance.

Les mesures relatives aux dispositifs de surveillance électronique ont fait l’objet de certaines critiques et il est possible qu’elles créent un faux sentiment de sécurité chez les victimes. J’ai eu l’occasion de participer à la première réunion du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles sur ce projet de loi et j’ai interrogé les marraines à ce sujet. Elles ont répondu que, dans le cadre de leur travail auprès des victimes et des refuges pour femmes, elles avaient constaté que l’option de la surveillance, même si elle n’est pas parfaite, contribue à atténuer le stress ressenti par les plaignantes, et peut donner aux victimes une tranquillité d’esprit.

Même si je pense que la technologie n’est probablement pas parfaite, je crois aussi qu’il est utile de donner aux victimes la possibilité d’évaluer si leur agresseur se trouve dans les environs. De cette façon, elles peuvent prendre les choses en main, alerter la police et trouver un endroit sûr pour se protéger et protéger leur famille. Nous savons que redonner aux victimes un sentiment de contrôle peut être un instrument puissant pour qu’elles reconstruisent leur vie.

La deuxième disposition majeure du projet de loi est la modification de la Loi sur les juges. Le projet de loi C-233 ajoute les thèmes de la « violence entre partenaires intimes » et du « contrôle coercitif » à la liste des colloques de formation continue pour les juges. Cette partie du projet de loi est appelée « Loi de Keira », en l’honneur de Keira Kagan, une fillette ontarienne de quatre ans qui aurait été tuée par son père dans un meurtre-suicide motivé par la vengeance.

Le père de Keira avait un comportement abusif à l’endroit de sa mère, mais les tribunaux n’ont pas reconnu que ce comportement constituait un risque accru pour la sécurité de Keira. Les faits démontrent que malgré le chevauchement des facteurs de risque en matière de violence familiale et de mauvais traitements infligés aux enfants, les juges négligent souvent ce lien lorsqu’ils examinent des affaires de garde d’enfants. Deux semaines avant la mort de Keira, sa mère, Jennifer Kagan-Viater, avait présenté une demande visant à empêcher le père de Keira de la voir ou de la voir sous supervision, car elle s’inquiétait pour la sécurité de sa fille. Deux semaines plus tard, on a retrouvé Keira et son père morts au fond d’un ravin à Milton, en Ontario.

Le 9 février 2023, à l’occasion du troisième anniversaire de la mort de Keira, le Comité d’examen des décès liés à la violence conjugale a publié un rapport à la suite de son examen. Ce rapport confirme que Keira avait probablement été tuée par son père, qui s’était suicidé par la suite. Toujours selon ce rapport, malgré des avertissements répétés, des facteurs de risque et de multiples audiences devant les tribunaux, le système avait été incapable de protéger Keira. Le même jour, le Bureau du coroner en chef de l’Ontario a annoncé qu’il allait mener une enquête sur la mort de Keira. Cette enquête se penchera sur les circonstances entourant sa mort, et un jury émettra des recommandations visant à prévenir d’autres décès.

Je n’ai aucun doute concernant le fait que ces développements sont dus à la ténacité de Jennifer et Philip Viater. Les efforts qu’ils ont déployés à la suite de cette tragédie pour faire avancer cette cause et attirer l’attention du public sur ce dangereux manque de compréhension sont vraiment louables et inspirants. Ils ont passé trois ans à promouvoir des propositions législatives et à mener une campagne de sensibilisation afin qu’aucune autre famille n’ait à vivre une tragédie aussi insensée et évitable.

M. et Mme Viater ont témoigné dans le cadre de l’étude du projet de loi devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, aux côtés de Jo-Ann Dusel, directrice générale de l’Association provinciale des maisons et services de transition de la Saskatchewan. Mme Dusel a travaillé aux premières lignes, avec des milliers de victimes et de survivants de la violence entre partenaires intimes. Dans son témoignage, elle a cerné le problème en déclarant :

À ce jour, il semble que trop de juges ne reconnaissent pas les torts causés aux enfants lorsqu’un parent a maltraité l’autre. Pourtant, lorsque les victimes de violence entre partenaires intimes soulèvent cette question devant le tribunal de la famille, cela peut réduire le temps que le parent non violent est autorisé à passer avec son enfant. Même lorsque les juges reconnaissent les cas d’abus, ils les considèrent souvent comme des incidents isolés, et estiment que cela ne se reproduira plus, que c’est du passé, ou que c’est une caractéristique typique d’une relation très conflictuelle.

Chers collègues, s’il semble évident pour beaucoup d’entre nous qu’un agresseur est un agresseur, ce n’est manifestement pas reconnu de manière universelle. Lorsque j’ai posé des questions sur ce manque de compréhension et sur la raison pour laquelle ces facteurs de risque cruciaux sont traditionnellement ignorés, Mme Dusel a indiqué que les juges ne disposent pas d’un mécanisme pour recevoir continuellement des informations sur les nouvelles recherches ou les facteurs de risque au fur et à mesure qu’ils sont déterminés. Par conséquent, ce n’est peut-être pas tant que les juges ignorent les facteurs de risque, mais plutôt qu’ils n’en sont pas conscients.

Philip Viater, qui est lui-même avocat en droit de la famille, a ajouté :

Les juges ne semblent pas être au courant des facteurs de risque. De plus, les évaluations des risques sont pratiquement inexistantes. Lorsque je souligne des facteurs de risque devant les tribunaux, je peux vous dire que je me fais souvent rabrouer, parce que les juges n’y croient pas. Il y a un manque flagrant d’éducation à ce sujet.

Chers collègues, voilà pourquoi la partie du projet de loi qui porte sur la formation continue est essentielle. Les enjeux ne pourraient pas être plus élevés. Nous parlons d’enfants qui sont sous la tutelle non supervisée d’un agresseur connu. Je suis impatient de voir l’adoption rapide du projet de loi et je suis reconnaissant de la coopération entre les caucus des deux Chambres pour le faire adopter aussi rapidement que nous l’avons fait. Je crois que cela témoigne de l’urgence des propositions.

Lorsque Mme Kagan a comparu devant le comité, je lui ai demandé de nous parler un peu plus de sa fille Keira. Pour rendre hommage à Keira et à sa famille, je pense qu’il est important que je vous fasse part de son témoignage ce soir :

Keira était une enfant adorable. À bien des égards, c’était une petite fille de 4 ans comme toutes les autres. Elle aimait jouer, elle aimait passer du temps avec ses amis. Elle était impétueuse et elle avait du cran. Elle disait ouvertement ce qu’elle pensait. Elle disait souvent qu’elle voulait changer le monde, qu’elle voulait transformer la vie des gens. Nous lui avons inculqué la valeur d’aider les personnes les plus vulnérables et d’essayer vraiment d’apporter sa contribution dans le monde, aussi fou que ce monde puisse nous sembler, de nos jours.

C’était une petite fille brillante, et je suis convaincue que si elle en avait eu l’occasion, elle aurait atteint son plein potentiel et accompli de grandes choses.

Selon moi, le projet de loi C-233 est empreint de l’esprit de Keira. Bien qu’il soit triste et malheureux qu’elle ne soit plus parmi nous, je souhaite que nous nous unissions pour adopter ce projet de loi pour réaliser le rêve de Keira de faire une différence en changeant les choses.

En pensant à Keira ce soir, je me suis rappelé la citation d’une autre personne spéciale, mère Teresa. Je la cite : « Seule, je ne peux pas changer le monde, mais en lançant une pierre dans l’eau je peux créer de nombreuses vagues. »

Chers collègues, en mémoire de Keira, je suis fier de voter en faveur du projet de loi C-233. J’espère que vous le ferez aussi.

Son Honneur la Présidente intérimaire

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

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