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Projet de loi sur la diffusion continue en ligne

Projet de loi modificatif--Message des Communes--Motion d'adoption des amendements des Communes et de renonciation aux amendements du Sénat--Rejet de la motion d'amendement

26 avril 2023


L’honorable Claude Carignan [ + ]

Honorables sénateurs, je regrette vivement que l’amendement du sénateur MacDonald ait été défait, mais je veux croire que les sénateurs l’ont rejeté parce qu’ils souhaitent que tous les amendements refusés par le gouvernement soient reconsidérés, ce que vise justement à faire la proposition d’amendement du sénateur Plett. Avant toute chose, je veux à nouveau déplorer la situation dans laquelle nous place le leader du gouvernement, sans raison valable.

En imposant le bâillon au débat sur le projet de loi C-11, le sénateur Gold limite notre capacité à nous exprimer sur des enjeux fondamentaux liés à un projet de loi qui touche directement la liberté d’expression. Il nuit ainsi, à mon avis, à notre travail de Chambre de second examen objectif. Comment pouvons-nous réaliser une étude complète empreinte de sagesse et de recul si nous sommes bousculés dans nos travaux? Encore une fois, je le déplore vivement, sénateur Gold.

D’ailleurs, le sénateur Cowan, qui était alors leader de l’opposition libérale et que l’ancien sénateur Austin connaît bien, disait ce qui suit au moment du débat sur une motion d’attribution de temps dans le cadre de l’étude du projet de loi C-19 sur le registre des armes à feu :

Honorables sénateurs, le projet de loi C-19 prête à controverse. Les Canadiens de tout le pays, dans un camp comme dans l’autre, ont des idées très arrêtées. On peut invoquer de solides arguments pour dire que le projet de loi est mauvais pour le Canada. Mes collègues d’en face ne sont peut-être pas de cet avis, mais ils conviennent sûrement que ces arguments méritent d’être entendus et discutés sans qu’on ait à se préoccuper du temps qui file.

Pour ajouter à son argumentation, le sénateur Cowan y était allé de cette affirmation :

Pourquoi le gouvernement a-t-il si peur d’un débat libre et ouvert? Un ancien juge de la Cour suprême des États-Unis, William Brennan, a écrit dans un arrêt célèbre : « Le débat sur les enjeux d’intérêt public devrait être sans entraves, robuste et largement ouvert. »

De son côté, la sénatrice Tardif, qui était leader adjointe de l’opposition libérale en 2012, avait affirmé ce qui suit lors de l’étude du projet de loi C-10, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés :

Honorables sénateurs, la motion proposée par le leader adjoint du gouvernement ferait en sorte que le débat, à l’étape de l’étude du rapport et de la troisième lecture du projet de loi omnibus en matière de justice, serait limité. J’ai peine à croire que les membres de ce gouvernement, qui se vantent fièrement de défendre la liberté d’expression, puissent se permettre d’utiliser tous les moyens à leur disposition pour limiter le droit des sénateurs de l’opposition de s’exprimer, surtout qu’aucun sénateur du gouvernement ne nous a raisonnablement expliqué la ou les raisons pour lesquelles une telle motion d’attribution de temps s’avère nécessaire dans les circonstances actuelles.

D’autant plus que nous débattons la motion de fixation de délai à la réponse au message de la Chambre des communes, ce qui est probablement une première au Sénat.

Après ce petit rappel historique, je reviendrai à la proposition d’amendement du sénateur Plett.

Je rappelle que cet amendement visait à modifier la proposition du sénateur Gold, c’est-à-dire de ne pas insister auprès du gouvernement et d’accepter le message de la Chambre des communes tel qu’il nous a été envoyé.

Le sénateur Plett proposait donc :

Que la motion, telle que modifiée, soit modifiée à nouveau :

1. par substitution, au sous-paragraphe b), de ce qui suit :

« b) insiste sur ses amendements auxquels la Chambre des communes n’a pas acquiescé; »;

2.par adjonction, avant le dernier paragraphe, du nouveau paragraphe suivant :

« Que, conformément à l’article 16-3 du Règlement, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications soit chargé de rédiger les motifs de l’insistance du Sénat sur ses amendements; »

3.par substitution, dans le dernier paragraphe, aux mots « Qu’un message soit transmis », des mots « Que, après que le Sénat a accepté les motifs de son insistance, un message soit transmis ».

En prononçant mon discours sur la motion de sous-amendement du sénateur MacDonald, j’ai abordé succinctement les éléments entourant l’amendement 3, qui vise à protéger les créateurs amateurs de contenu numérique. Aux yeux de plusieurs sénatrices et sénateurs, dont moi-même, cet amendement revêt une importance considérable.

Il y a aussi un autre amendement qui a été rejeté par le gouvernement et bien honnêtement, chers collègues, cela me renverse.

L’amendement 2e)(i), s’il avait été adopté, aurait créé l’alinéa 3(1)r.1) de la Loi sur la radiodiffusion.

Voici le texte de cet alinéa :

r.1) les entreprises en ligne doivent mettre en place des mécanismes, tels que des mécanismes de vérification de l’âge, pour empêcher que des émissions consacrées à la présentation, dans un but sexuel, d’activités sexuelles explicites ne soient rendues accessibles aux enfants par Internet;

C’est ce que je pourrais appeler l’amendement Miville-Dechêne.

Cet amendement, qui est essentiel, selon moi, vise à assurer la mise en place de mécanismes de vérification de l’âge pour mieux protéger les enfants contre l’exposition à la pornographie en ligne. Cet amendement, qui a été présenté par la sénatrice Miville-Dechêne, a été adopté à la réunion du 6 décembre 2022 du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, notamment grâce à l’appui des sénateurs conservateurs membres du comité.

Je rappelle le motif justifiant cet amendement qui est expliqué dans le discours de la sénatrice Miville-Dechêne du 31 janvier dernier et qui se lit comme suit :

Le but du projet de loi C-11 est de donner au CRTC le pouvoir de réglementer les plateformes en ligne de la même façon qu’il peut réglementer les diffuseurs traditionnels. Le CRTC a déjà la compétence requise pour réglementer l’accès aux contenus sexuels explicites dans la radiodiffusion traditionnelle, par câble ou par satellite, et mon amendement ne fait que transposer cette compétence au contenu en ligne.

L’importance de l’amendement 2e)(i) saute aux yeux, selon la majorité des sénateurs qui l’ont adopté tant en comité qu’au Sénat.

Malheureusement, une majorité de députés a décidé de rejeter cette modification au projet de loi C-11, qui était pourtant toute simple. Le refus des députés d’appuyer cette mesure sensée du Sénat me laisse perplexe, si on se rappelle que les personnes mineures sont vulnérables aux conséquences à un accès précoce à la pornographie sur Internet.

La sénatrice Martin a très bien décrit ces méfaits pendant son discours du 18 avril dernier portant sur un autre projet de loi, le projet de loi S-210. À cette occasion, elle a rappelé que de plus en plus d’enfants — dont certains en très bas âge — sont régulièrement exposés à la pornographie sur Internet. De plus, elle a souligné ce qui suit :

Les conséquences individuelles et sociétales de l’exposition des enfants à du contenu sexuellement explicite, en particulier au matériel violent, sont de plus en plus évidentes au fur et à mesure que des études sont publiées.[…]

Les filles qui regardent de la pornographie ont un taux plus élevé d’automutilation et sont plus vulnérables à l’exploitation sexuelle et à la traite des personnes.

Pour les garçons, comme vous pouvez vous en douter, le mal tend à se manifester sous la forme d’agressions sexuelles envers les femmes, de violences dans les fréquentations à l’école secondaire et d’une difficulté à nouer des relations intimes avec les femmes dans la vie réelle.

Quel que soit leur sexe, les jeunes qui regardent de la pornographie ont des taux plus élevés d’anxiété et de dépression.

On ne saurait trop insister sur la gravité de ce problème.

L’un des rôles du Sénat, lorsque nous étudions des projets de loi comme le projet de loi C-11, est de présenter des amendements que nous jugeons essentiels pour protéger les minorités et les groupes vulnérables.

Je m’appuie sur le Renvoi relatif à la réforme du Sénat de 2014 de la Cour suprême du Canada, qui disait ceci :

Avec le temps, le Sénat en est aussi venu à représenter divers groupes sous-représentés à la Chambre des communes. Il a servi de tribune aux femmes ainsi qu’à des groupes ethniques, religieux, linguistiques et autochtones auxquels le processus démocratique populaire n’avait pas toujours donné une opportunité réelle de faire valoir leurs opinions.

Bien que les enfants et les adolescents ne soient pas nommés dans le passage de la Cour suprême que je viens de citer, ils constituent assurément un groupe sous-représenté à la Chambre de communes. En effet, les personnes mineures sont vulnérables, car elles n’ont pas le même degré de maturité ou d’éducation que la plupart des adultes. De plus, elles n’ont pas l’âge de voter, ce qui pose une difficulté importante à participer au processus démocratique.

En suivant cette logique, je suis d’avis que le Sénat doit renvoyer un message à la Chambre des communes pour insister sur le maintien de tous les amendements qui ont été rejetés et, tout particulièrement, sur l’amendement 2e)(i), qui vise la mise en place des mécanismes de vérifications de l’âge.

Cet amendement, s’il est intégré au projet de loi C-11, aiderait — j’en suis convaincu — à prévenir que les personnes vulnérables comme les jeunes subissent un préjudice grave par le visionnement en bas âge d’activités sexuelles explicites sur Internet, comme les chercheurs l’ont démontré.

Rappelons-nous que, dans leur message envoyé au Sénat, les députés reconnaissent que cet amendement vise à légiférer sur une question relative au système de radiodiffusion. Toutefois, ils le rejettent en invoquant simplement dans leur message qu’il s’agit d’une question qui va au-delà de l’objectif politique du projet de loi.

En insistant sur son amendement 2e)(i), le Sénat enverrait un signal clair et fort à la Chambre des communes. D’une part, les sénateurs exprimeraient ainsi qu’ils trouvent nettement insuffisantes les explications des députés ayant refusé l’amendement du Sénat, compte tenu de la gravité des méfaits sociétaux auxquels l’amendement permettrait de s’attaquer.

D’autre part, les sénateurs, en insistant sur cet amendement, mettraient une pression justifiée sur les députés pour que ces derniers tentent de trouver un terrain d’entente, une contre-proposition à l’amendement du Sénat afin de modifier le projet de loi C-11 de manière à mieux protéger les mineurs contre cette faille de la Loi sur la radiodiffusion qui laisse actuellement la porte grande ouverte à une exposition précoce et néfaste à la pornographie en ligne.

Dans mon intervention finale sur la proposition du sénateur Gold — proposition qui sera modifiée, je le souhaite, par la motion du sénateur Plett —, j’aborderai d’autres amendements importants adoptés par le Sénat après son étude minutieuse, mais qui ont été rejetés.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Est-ce que le sénateur Carignan accepterait de répondre à une question?

Le sénateur Carignan [ + ]

Bien sûr.

Le sénateur Gold [ + ]

Sénateur Carignan, j’admets avoir été assez perplexe de vous voir vous vanter fièrement de ne jamais avoir choisi d’utiliser la motion de clôture pour traiter les messages de la Chambre des communes lors de votre mandat comme leader du gouvernement au Sénat. Toutefois, je comprends que votre mandat, qui s’est produit de 2013 à 2015, coïncide avec celui d’un gouvernement majoritaire conservateur dans les deux Chambres du Parlement.

Dois-je également comprendre — et corrigez-moi si j’ai tort — que seulement un des 61 projets de loi d’initiative gouvernementale adoptés durant cette période a été modifié par le Sénat? En comparaison, le tiers des projets de loi aurait été amendé lors du mandat majoritaire du premier ministre Trudeau. Pouvez-vous nous confirmer combien de messages le Sénat a reçus pendant votre mandat sur des projets de loi du gouvernement qui ont été présentés à la Chambre des communes, puis amendés par le Sénat, contrairement à la volonté du gouvernement?

Le sénateur Carignan [ + ]

Je vous remercie de votre question. C’est intéressant, parce que cela permet de démontrer l’importance, pour des sénateurs, de siéger au sein d’un caucus, comme un caucus à la Chambre des communes. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que les sénateurs sont consultés de l’autre côté. Cela nous permet d’améliorer les projets de loi, de donner notre avis avant même que le projet de loi arrive au Sénat et de proposer des amendements.

C’est ce que j’ai fait en ce qui concerne la réforme électorale avec mon chef actuel, Pierre Poilievre, qui était ministre responsable de la réforme démocratique et de la Loi sur l’intégrité des élections. J’ai proposé, avant même son arrivée ici, plusieurs amendements qui ont été intégrés dans le projet de loi initial. Voilà l’avantage d’avoir accès au premier ministre et au Cabinet, au gouvernement, ce que vous n’avez manifestement pas, parce que je suis toujours en attente de la réponse au sujet de ma question sur la fameuse carte de crédit du premier ministre Trudeau.

Son Honneur la Présidente intérimaire

Nous en sommes maintenant à 14 secondes de 18 heures. Si les sénateurs souhaitent poser d’autres questions, il faudrait demander le consentement pour prolonger le temps de parole de cinq minutes.

Le sénateur Carignan [ + ]

Je n’ai aucun problème à demander une prolongation de cinq minutes si la sénatrice Miville-Dechêne veut me poser une question, car elle semblait en avoir une.

Son Honneur la Présidente intérimaire

Premièrement, le sénateur Carignan demande le consentement pour que la Chambre lui accorde cinq minutes de plus de temps de parole. Est-ce que les sénateurs sont d’accord?

Son Honneur la Présidente intérimaire

Il n’y a pas consentement. Est-ce que les sénateurs sont prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente intérimaire

En amendement, l’honorable sénateur Plett propose, avec l’appui de l’honorable sénateur Housakos :

Que la motion, telle que modifiée, soit modifiée à nouveau :

1. par substitution, au sous-paragraphe b), de ce qui suit :

« b) insiste sur ses amendements auxquels la Chambre des communes n’a pas acquiescé; »;

2.par adjonction, avant le dernier paragraphe, du nouveau paragraphe suivant :

« Que, conformément à l’article 16-3 du Règlement, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications soit chargé de rédiger les motifs de l’insistance du Sénat sur ses amendements; »

3.par substitution, dans le dernier paragraphe, aux mots « Qu’un message soit transmis », des mots « Que, après que le Sénat a accepté les motifs de son insistance, un message soit transmis ».

Plaît-il aux honorables sénateurs d’adopter la motion d’amendement?

Son Honneur la Présidente intérimaire

Que ceux qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire

Que ceux qui sont contre veuillent bien dire non.

Son Honneur la Présidente intérimaire

À mon avis, les non l’emportent.

Son Honneur la Présidente intérimaire

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Son Honneur la Présidente intérimaire

Quinze minutes, honorables sénateurs? A-t-on le consentement ou non? La sonnerie retentira pendant 60 minutes, puisqu’il ne semble pas y avoir d’accord. Le vote aura lieu à 19 h 6. Convoquez les sénateurs.

La motion d’amendement de l’honorable sénateur , mise aux voix, est rejetée :

POUR

Les honorables sénateurs

CONTRE

Les honorables sénateurs

ABSTENTIONS

Les honorables sénateurs

Aucun

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