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Les contributions et l'impact des Premières Nations, des Métis et des Inuits

Interpellation--Suite du débat

9 mai 2023


L’honorable Tony Loffreda [ - ]

Honorables sénateurs, le débat sur cette interpellation est ajourné au nom de l’honorable sénatrice Petitclerc. Après mon intervention d’aujourd’hui, je demande le consentement du Sénat pour qu’elle reste ajournée à son nom.

Son Honneur la Présidente intérimaire

Le consentement est‑il accordé, honorables sénateurs?

Son Honneur la Présidente intérimaire

Il en est ainsi ordonné.

Le sénateur Loffreda [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de l’interpellation de la sénatrice Boyer concernant les contributions positives des Métis, des Inuits et des Premières Nations à notre pays et à l’échelle mondiale. J’espère que cette initiative contribuera à notre appréciation collective des peuples autochtones alors que nous nous engageons sur la voie d’une plus grande réconciliation.

Il est vrai que ma connaissance des questions autochtones était limitée avant mon arrivée au Sénat. L’histoire que l’on m’a enseignée à l’école était largement insuffisante. Heureusement, les choses sont en train de changer, et nos enfants apprennent aujourd’hui à connaître cette histoire, y compris ses aspects les plus sombres.

Nous avons parlé de grands universitaires autochtones, d’entrepreneurs accomplis et de sénateurs, bien sûr. Mais qu’en est‑il de notre sport national? Comme des millions de Canadiens, j’aime le hockey. J’ai donc choisi de partager des histoires inspirantes d’athlètes autochtones qui ont fracassé le plafond de verre dans ce sport et qui sont devenus des joueurs et des modèles exaltants.

Beaucoup ne le savent peut-être pas, mais les peuples autochtones ont contribué à la création et à l’évolution du jeu que nous appelons aujourd’hui le hockey. Je ne participerai pas au débat historique sur les origines du jeu — ce débat est réservé aux historiens et aux amateurs de hockey —, mais on a dit que deux cultures, celle des Mi’kmaq et celle des Irlandais, ont contribué aux origines du jeu.

La relation entre les Autochtones et le hockey est plus complexe qu’il n’y paraît. Si le hockey fait partie de notre identité culturelle, tout le monde ne partage pas ce sentiment. Certains Autochtones associent la douleur et le chagrin au hockey. Des articles universitaires ont été écrits sur le sujet; ils s’appuyaient sur les témoignages de survivants des pensionnats indiens, qui affirment que le hockey a été utilisé à des fins d’assimilation et pour effacer la présence autochtone. Selon certains universitaires, le hockey a été utilisé comme outil de sociologie appliquée et il est important de partager les expériences des élèves, mais ces expériences doivent être comprises dans le contexte plus large d’un système qui visait à dépouiller les jeunes Autochtones de leurs identités culturelles.

Les auteurs d’un article qui a récemment paru dans la revue Études ethniques au Canada ont cité Eugene Arcand, un homme cri qui a été honoré pour son travail à l’appui du sport autochtone, et ont écrit ceci :

M. Arcand estime que le hockey offre une possibilité d’autonomisation et de changement, mais il souligne aussi qu’il a été le théâtre de préjugés et de racisme brutaux.

Comme M. Arcand l’a dit :

Si j’ai survécu dans ma vie, c’est grâce au sport [...] Il m’a aidé à devenir le leader que je suis aujourd’hui [...] C’est un excellent moyen de développer des modes de vie positifs et des attitudes positives.

Je pense qu’il est important de parler de cette dichotomie. La relation entre les Autochtones et le hockey revêt de multiples facettes et elle révèle des cicatrices sombres et douloureuses dont nous devons être conscients. Cependant, j’ai l’intention aujourd’hui de me concentrer sur les réussites et sur les modèles qui ont atteint certains des échelons les plus élevés du hockey.

Le premier nom qui vient à l’esprit lorsqu’on pense aux héros autochtones du hockey, c’est peut-être celui de George Armstrong, qui était Algonquin. Il a été capitaine des Maple Leafs pendant 13 saisons et il a remporté quatre fois la Coupe Stanley, dont la dernière en 1967, ce qui, soit dit en passant pour les amateurs des Maple Leafs, remonte à plus de 20 000 jours. George Armstrong n’a jamais oublié ses racines et il est souvent retourné dans le Nord de l’Ontario pour parler aux jeunes. Comme l’a dit un commentateur :

Armstrong a toujours été une figure emblématique, non seulement pour le hockey des Maple Leafs, mais aussi pour le hockey, la culture et toutes les collectivités autochtones.

George Armstrong est décédé en 2021, mais son héritage de pionnier perdure.

Fred Sasakamoose est un autre joueur autochtone qui a joué un rôle de pionnier. Considéré comme le premier joueur autochtone de la LNH, Running Deer, comme on l’appelait, était un Cri de la Saskatchewan. Membre de l’Ordre du Canada, M. Sasakamoose est décédé en 2020. Heureusement, au moment de son décès, il travaillait sur ses mémoires, qui ont été publiées à titre posthume, et qui figurent sur la liste des 10 meilleurs livres de 2021 établie par Indigo.

M. Sasakamoose a fréquenté le pensionnat St. Michael’s, où il a appris à jouer au hockey et est tombé amoureux de ce sport. Dans son autobiographie, il explique comment le hockey l’a aidé à oublier les problèmes de sa vie :

Je me sentais fort, libre et plein de vie. J’oubliais le pensionnat et tout ce qui s’y passait pendant quelques heures.

Fred a fait ses débuts dans la LNH en 1953 et a joué pour les Blackhawks de Chicago. Bien que sa carrière dans la LNH ait été brève, il a ouvert la voie à des dizaines d’autres joueurs de la LNH. En dehors du hockey, M. Sasakamoose était un véritable pilier de sa collectivité, qu’il a servie pendant 35 ans à titre de conseiller de bande et de chef.

Il s’est investi dans l’école de hockey All Nations de Saskatoon et a lancé la semaine des étoiles du hockey Fred Sasakamoose. Voici ce qu’il a écrit à ce sujet :

C’était un camp destiné à permettre aux jeunes espoirs autochtones de perfectionner leur technique, mais qui était également ouvert aux enfants non autochtones. Il me semblait important de ne pas créer de clivages entre les jeunes joueurs.

En 1998, Fred s’est joint au groupe de travail sur la diversité de la LNH, ce qui lui a permis de se rendre dans des réserves pour trouver des jeunes talentueux. Deux de ces garçons, DJ et Dwight King, étaient des frères d’ascendance métisse. Dwight a remporté deux Coupes Stanley avec les Kings de Los Angeles.

Plus récemment, Fred a témoigné lors des audiences de la Commission de vérité et réconciliation. Il a dit ceci dans son livre :

Lorsque j’ai témoigné dans le cadre des audiences, j’ai parlé de mes expériences au hockey et de l’agression sexuelle que j’ai subie. Il me semblait important de parler du sport qui m’a aidé à composer avec les horribles expériences que j’ai vécues pendant ces années et qui m’a aidé à me bâtir une vie quand j’ai quitté l’école.

L’extrait suivant résume à quel point Fred a été important pour les peuples autochtones. Il dit ceci :

Dans plusieurs articles de journaux parus récemment, des auteurs m’ont décrit comme un pionnier en parlant de ma carrière. Selon eux, j’aurais en quelque sorte contribué à abattre des barrières pour les joueurs autochtones et de couleur. J’aime croire que c’est peut-être vrai.

C’est bien vrai, cela ne fait aucun doute.

Parmi les innombrables jeunes joueurs autochtones qu’il a inspirés, on compte un joueur étoile que Fred a influencé énormément, Bryan Trottier, de la Saskatchewan, dont le père était un Cri Métis. Le nom de Bryan Trottier est étroitement lié à la dynastie des Islanders de New York des années 1980. Il a aidé cette équipe à remporter quatre Coupes Stanley de suite, et il en a remporté deux autres avec les Penguins de Pittsburgh, ainsi qu’une septième en 2001, en tant qu’entraîneur adjoint de l’équipe du Colorado.

M. Trottier a rédigé l’avant-propos du livre de Fred Sasakamoose. Il y évoque sa fierté du fait que Fred ait été le premier joueur autochtone à part entière à percer dans la LNH. Il a écrit :

Cela représentait beaucoup pour moi et pour nous tous. Cela nous rendait tous très fiers de nos origines. Lorsque mes frères, mes sœurs et moi-même allions à l’école et faisions du sport, les autres enfants nous traitaient de tous les noms [...] Mais les réalisations de Fred nous ont rendus fiers [...]

Après sa carrière de hockeyeur, M. Trottier, qui a publié son autobiographie l’année dernière, a passé du temps à aider les jeunes Autochtones, et il a joué un rôle clé dans la création d’une équipe de hockey autochtone qui a parcouru le pays pour donner des cours de patinage et de hockey à des jeunes.

MM. Trottier et Armstrong ne sont pas les seuls joueurs autochtones dont le nom est gravé sur la coupe. Reggie Leach, Grant Fuhr, Jordan Nolan et l’entraîneur-chef Craig Berube ont également eu l’honneur de brandir la coupe de lord Stanley.

Un des noms qui n’a pas encore été gravé sur la coupe est celui d’un des joueurs autochtones les plus accomplis, celui de Carey Price. Son présentoir de trophées est bien garni : il a remporté la médaille d’or aux Olympiques et au Championnat mondial junior, ainsi que le trophée Vézina et le trophée Hart remis par la LNH. Outre les récompenses, une des plus grandes réalisations de ce gardien de but est la défense de sa communauté. Il a fait d’importants dons d’équipements aux associations de hockey, aux organismes pour les jeunes et aux écoles. En outre, Carey et sa femme sont les ambassadeurs nationaux du Club des petits déjeuners, qui offre des aliments nutritifs à plus d’un demi-million d’enfants canadiens chaque jour, y compris 41 000 jeunes Autochtones.

Carey a toujours été fier de ses racines. Voici ce qu’il a dit, en 2015, lors de la cérémonie de remise des prix de la LNH devant des gens de toute la planète lorsqu’on lui a remis un des quatre trophées qu’il a reçus cette année-là :

Je voudrais profiter de l’occasion pour encourager les jeunes des Premières Nations. Beaucoup de gens diraient qu’il était très improbable que je me rende jusqu’à ce point-ci dans ma carrière. Si j’ai réussi, c’est parce que je ne me suis jamais découragé. J’ai travaillé fort pour me rendre jusqu’ici, j’ai profité de toutes les occasions qui se sont présentées à moi. Je tiens vraiment à encourager les jeunes des Premières Nations à être des leaders dans leur communauté. Soyez fiers de votre patrimoine et ne vous laissez pas décourager par ce qui semble improbable.

Carey Price n’est pas le seul joueur de hockey autochtone ayant remporté une médaille olympique. Le hockey féminin est de plus en plus populaire et plus excitant que jamais. Je garde un excellent souvenir du match où le Canada a remporté la médaille d’or à Vancouver et de la déchirante défaite à la finale de Pyeongchang.

Parmi les fières médaillées d’argent en Corée, il y avait la Manitobaine Brigette Lacquette. Elle est devenue la première femme autochtone du Canada à jouer au hockey aux Jeux olympiques, et elle continue de briser le plafond de verre. En 2021, les Blackhawks de Chicago l’ont embauchée, faisant d’elle la première femme autochtone à recruter pour une équipe de la LNH. Elle n’a que 30 ans et déjà, elle est une inspiration pour les jeunes filles autochtones.

Honorables sénateurs, en plus d’être autochtones, tous ces joueurs ont une chose en commun : ils sont inspirants. D’une génération à l’autre, ces joueurs élites sont une source d’inspiration et de motivation. Ce sont des modèles. Lacquette, Price, Trottier et Leach ont tous reçu le prix Indspire en reconnaissance de leur puissant héritage.

À l’instar d’Ethan Bear, de Jordin Tootoo, de Zach Whitecloud et de Brandon Montour, ces superstars autochtones ont toutes dû surmonter l’adversité pour devenir des athlètes de haut niveau. Ils témoignent de ce que l’on peut accomplir lorsqu’on travaille fort et qu’on aime ce qu’on fait.

Fred Sasakamoose avait compris ce que cela signifiait que d’être un modèle. Il a écrit :

Il y a eu beaucoup de joueurs autochtones depuis que j’ai commencé, mais je suis heureux de penser que j’ai inspiré […] des enfants à l’époque. Je leur ai montré, j’ai montré à tout le monde, que nous pouvions réussir dans le monde des Blancs. C’est plus important que n’importe quel trophée. Et j’espère qu’en racontant mon histoire aujourd’hui, les lecteurs non autochtones comprendront mieux les obstacles que nous devons surmonter pour réussir.

La Ligue nationale de hockey est également consciente qu’elle a du travail à faire pour susciter des changements sociaux positifs et favoriser l’émergence de communautés plus inclusives. Grâce à son initiative Le hockey est pour tout le monde, la ligue veut que les programmes de hockey se déroulent dans un cadre sûr, positif et inclusif pour tous les joueurs et toutes les familles.

Par ailleurs, la Hockey Diversity Alliance a également été fondée en 2020 par des joueurs de couleur de la LNH afin de créer une plateforme visant à mettre fin au racisme et à l’intolérance.

Mes chers Canadiens de Montréal se sont également engagés sur la voie de la guérison et de la réconciliation. Les Canadiens reconnaissent désormais le territoire au Centre Bell, et ils ont rendu hommage à des leaders autochtones lors de leurs matchs à domicile.

Honorables collègues, je voulais aujourd’hui mettre en lumière des histoires inspirantes de joueurs autochtones pour susciter des vocations, dans l’espoir que les jeunes autochtones et d’autres groupes marginalisés sachent qu’en effet, le hockey est pour tout le monde.

Je voulais également souligner qu’avec de la confiance, de l’ambition et de la persévérance, il est possible de réussir et d’exceller dans la vie malgré les nombreux obstacles.

Permettez-moi de citer en terminant un dernier extrait du livre de Fred Sasakamoose, où il raconte un échange avec un journaliste sportif américain qui s’était rendu chez lui pour lui consacrer une chronique. Le journaliste a dit à Fred que le réseau voulait une « histoire heureuse ». Fred lui a répondu sans ménagement qu’il était venu au mauvais endroit.

Se remémorant de cette rencontre, Fred a écrit ceci :

Sa demande m’a fait penser qu’il ne savait pas grand-chose de ce qu’avaient vécu les Autochtones habitant sur ce continent au cours des derniers siècles. Il se peut aussi qu’il le savait, et qu’il était en train de me dire que ses téléspectateurs et lui s’en fichaient, qu’ils ne voulaient pas en entendre parler. Cependant, cela fait partie de mon histoire, et je veux que les gens le comprennent. Je suis un homme chanceux. Je fais partie de ces rares personnes dont le rêve s’est réalisé, qui a fait quelque chose que tant de gens aimeraient faire sans le pouvoir. Toutefois, j’essaie aussi de survivre dans un monde qui n’a pas toujours reconnu nos droits ou ne nous a pas toujours donné la liberté et l’honneur qui nous sont dus.

Merci, meegwetch.

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