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Projet de loi visant l'égalité réelle entre les langues officielles du Canada

Motion d'amendement

15 juin 2023


L’honorable Tony Loffreda [ + ]

Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-13 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :

a) à l’article 2, à la page 3, par substitution, aux lignes 10 et 11, de ce qui suit :

« que l’Assemblée nationale du Québec a déterminé que le français est la langue officielle du Québec; »;

b) à l’article 3, à la page 4, par substitution, aux lignes 6 à 14, de ce qui suit :

« de l’anglais; »;

c) à l’article 24, à la page 21, par substitution, aux lignes 28 à 30, de ce qui suit :

« b) que l’Assemblée nationale du Québec a déterminé que le français est la langue officielle du Québec; ».

Accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Loffreda [ + ]

Oui.

Merci. Je regarde les articles auxquels vous voulez faire des amendements et dans ces articles, on fait à la fois référence à la Loi sur les langues officielles du Nouveau‑Brunswick, qui est une loi provinciale, et au Manitoba, qui a aussi une loi provinciale.

Pour tout dire, ma préférence est que j’aimerais bien aussi que l’Ontario ait une loi reconnaissant la minorité francophone en Ontario. Alors, si c’était le cas, on aurait pu le mettre également comme référence dans le projet de loi C-13.

Alors, sénateur Loffreda, pour ce qui est de votre question de référence, je comprends que vous ayez des préoccupations, mais je ne vois pas en quoi cette référence serait différente de la référence, aux mêmes endroits, en matière de droits linguistiques pour la population du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Loffreda [ + ]

La mention de la Charte de la langue française du Québec, qui inclut le projet de loi 96, est contestée devant les tribunaux. La disposition de dérogation a été utilisée de manière préventive, ce qui nous porte à croire que la mesure n’est pas constitutionnelle, et je ne crois pas que ce soit la bonne manière de gouverner.

Cela dit, je ne crois pas que ce soit le cas dans les autres provinces et c’est pour cette raison que j’aimerais supprimer ces trois mentions du projet de loi C-13. Que se passera-t-il lorsque nous modifierons la loi 96, si jamais nous modifions la Charte de la loi sur la langue française? Devrons-nous modifier le projet de loi C-13?

Je ne pense pas que les provinces que vous avez mentionnées se trouvent dans la même situation que le Québec, qui réduit en quelque sorte les droits de la minorité anglophone, et c’est pourquoi je pense que ces mentions doivent être supprimées.

L’honorable Claude Carignan [ + ]

Ma question va dans le même sens. Je comprends que vous ayez des préoccupations, des inquiétudes au sujet de la loi québécoise, mais vous proposez d’enlever tous les régimes linguistiques provinciaux, alors j’ai un peu de difficulté avec cela.

Quant à ce qui touche la loi québécoise, vous savez que le député Housefather a essayé de proposer le même amendement, qui a été rejeté à l’autre endroit. Je ne vois pas comment vous pourriez convaincre l’autre endroit, et que ce soit accepté.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur Loffreda, vous avez très peu de temps pour répondre.

Le sénateur Loffreda [ + ]

Je pense que nous avons le droit de défendre les minorités au Sénat. Nous sommes la voix des minorités. C’est exactement ce que je fais.

Je ne pense pas que tous les amendements proposés au Sénat concernent ou reflètent ce que pense l’autre endroit. Comme je l’ai dit dans mon discours, que je ne tiens pas à répéter, il y a un danger à conserver ces mentions et c’est pourquoi j’amende le projet de loi tel quel.

L’honorable Judith G. Seidman [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer l’amendement du sénateur Loffreda. Je vous remercie de l’avoir présenté, monsieur le sénateur.

Chers collègues, les mots que nous utilisons ont une réelle importance. Par conséquent, nous devons faire particulièrement attention aux mots que nous intégrons dans nos mesures législatives. On ne peut pas prédire quelles pourraient être les conséquences imprévues de ces trois références à la Charte de la langue française, mais on peut prédire avec plus de certitude qu’il n’y aura aucun préjudice à les supprimer. Après tout, le projet de loi C-13 ne fait aucune mention de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick ni à aucune des autres lois provinciales ou territoriales. Je soutiens que les mentions de la Charte de la langue française sont superflues et potentiellement nuisibles. Par conséquent, chers collègues, elles devraient être éliminées.

La semaine dernière, j’ai écouté l’entrevue d’Ezra Klein, du New York Times, avec Jennifer Pahlka au sujet de l’appareil gouvernemental. En 2013, Mme Pahlka était cheffe adjointe de la technologie dans l’administration du président Obama. En 2020, elle a aidé l’administration de Gavin Newsom, gouverneur de la Californie, à corriger son programme d’assurance-chômage. Comme le dit M. Klein, Mme Pahlka a des opinions très crédibles sur « pourquoi les choses vont mal [au sein du gouvernement], même quand les gens tentent de bien faire les choses ». Elle s’intéresse particulièrement à un aspect des politiques que les décideurs oublient trop souvent : la mise en œuvre. Ses réflexions peuvent être pertinentes pour les législateurs de n’importe quel pays, y compris le nôtre.

Dans l’entrevue, Mme Pahlka raconte comment un dispositif technologique mentionné dans une loi fédérale seulement à titre d’exemple est devenu une exigence à cause de l’interprétation par la hiérarchie des ministères gouvernementaux au cours des années depuis l’adoption de la loi. C’est parce qu’au sein des bureaucraties, les fonctionnaires sont le plus souvent tenus responsables selon qu’ils ont suivi ou non un processus, et les processus sont fondés sur les termes précis de la loi.

Les expériences de collaboration de Mme Pahlka avec les gouvernements américains aux niveaux des municipalités et des États et au niveau fédéral montrent que les mots employés dans une loi sont très importants et ont des conséquences. En tant que législateurs, nous devons examiner le projet de loi avec soin pour déterminer si son libellé pourrait avoir des conséquences imprévues.

La semaine dernière, Eva Ludvig, présidente du Quebec Community Groups Network, a fait part de ses préoccupations sur la façon dont le projet de loi C-13 pourrait être interprété par les fonctionnaires. Elle a dit ceci :

Une fois les dispositions législatives adoptées, on ne sait pas comment elles seront interprétées, non seulement par les tribunaux, mais aussi par les fonctionnaires qui doivent les appliquer.

Cependant, lorsque nous l’avons questionnée sur le libellé du projet de loi C-13, la ministre Petitpas Taylor n’était pas d’accord. Elle a dit ceci :

Oui, notre projet de loi mentionne la Charte de la langue française, mais ce n’est qu’à titre indicatif, pour dire que ce régime s’applique au Québec.

Elle nous a dit que les avocats du ministère de la Justice lui ont donné l’assurance que les risques liés à cette mention de la Charte sont minimes. Ils sont peut-être minimes, mais il y a quand même des risques, honorables collègues. Le comité a aussi entendu des avocats qui ne sont pas employés par le gouvernement et qui ont dit que ces mentions présentent des risques considérables.

Honorables sénateurs, au début de son entrevue avec Jennifer Pahlka, Ezra Klein a dit ceci :

Dans les médias [...] La politique, les élections, les grandes questions, les combats et les théories sont au centre de toutes les attentions. Mais ensuite, le projet de loi est adopté et les détails de la mise en œuvre de cette politique dans la vie des gens sont laissés à l’appréciation de quelqu’un quelque part. Et lorsqu’elle [...] rend la vie des gens plus difficile en raison de sa mise en œuvre, il n’y a souvent pas de tollé parce qu’il n’y a pas d’attention, et il n’y a donc pas de solution.

Chers collègues, l’amendement du sénateur Loffreda nous offre la possibilité de réduire le risque que pose la version actuelle du projet de loi, alors que les projecteurs sont encore braqués sur lui, afin d’éviter certaines des conséquences involontaires que le projet de loi pourrait avoir sur la vie des gens. Je vous invite à vous joindre à moi pour appuyer cet amendement.

Merci.

L’honorable René Cormier [ + ]

Merci, sénatrice Seidman. Vous savez à quel point j’apprécie votre implication dans la défense des droits des communautés d’expression anglaise du Québec.

Quand je regarde l’amendement du sénateur Loffreda, qui propose de faire trois modifications, dont deux à ces affirmations qui disent simplement, et je cite : « la Charte de la langue française du Québec dispose que le français est la langue officielle du Québec ». Je pense que personne ne peut s’opposer à cela.

Sénatrice Seidman, êtes-vous d’accord pour dire que cet amendement nie le fait qu’il existe une diversité de régimes linguistiques provinciaux et territoriaux? Comme Acadien, comme francophone du Canada, j’éprouve un profond malaise vis-à-vis de l’ampleur de cet amendement. Vous comprendrez donc que je voterai contre. Je voudrais vous entendre là-dessus. Merci.

La sénatrice Seidman [ + ]

Merci beaucoup, sénateur. Si j’ai bien compris, l’amendement reprend quatre articles — l’article 2 de la page 3, l’article 3 de la page 4 et l’article 24 de la page 21 — et remplace simplement le terme « Charte de la langue française » par celui qui a été présenté.

Le sénateur Cormier [ + ]

Je ferai une simple remarque : il fait plus que cela, en fait, madame la sénatrice. À la page 4, l’amendement vient enlever la notion qui dit qu’il existe une diversité de régimes linguistiques provinciaux et territoriaux, ce qui me semble extrêmement troublant. Merci pour votre réponse.

L’honorable Jean-Guy Dagenais [ + ]

Je ne croyais sincèrement pas devoir intervenir de nouveau sur le projet de loi C-13, mais l’amendement proposé par le sénateur Loffreda me semble tout à fait inutile et inacceptable. Je vais me permettre de vous dire pourquoi il devrait être rejeté sans détour.

Avec cet amendement, le sénateur Loffreda semble malheureusement avoir accepté de jouer le jeu du seul député de l’autre endroit qui a voté contre le projet de loi C-13, visant à moderniser la Loi sur les langues officielles.

Tous les députés de tous les partis politiques de l’autre endroit ont voté pour le projet de loi C-13, sauf un, qui se prétend le porte‑parole de quelques groupes anglophones du Québec. Je trouve regrettable de constater à quel point le sénateur Loffreda est prêt à endosser la vision obtuse véhiculée par ce député, qui estime que les droits des anglophones du Québec sont menacés par la référence tout à fait justifiée à la Charte de la langue française du Québec que l’on retrouve dans le texte du projet de loi.

Cette Charte de la langue française du Québec, elle est là, elle existe, elle a été adoptée par un gouvernement dûment élu. Il est donc tout à fait normal qu’un projet de loi comme le projet de loi C-13 la reconnaisse et y fasse référence. Pour une fois que les deux ordres de gouvernement acceptent de travailler ensemble pour protéger et revigorer la langue française, il serait inconcevable que le Sénat ne suive pas l’exemple donné par les députés des Communes. Après une étude et des amendements qui ont été habilement négociés, les députés ont compris que ce projet de loi est une pièce essentielle qui protège les deux langues officielles du pays lorsqu’elles sont en situation minoritaire.

Le fait de chercher, par des moyens détournés ou des subtilités linguistiques, à effacer les références à la Charte de la langue française du Québec dans le projet de loi du gouvernement fédéral provoque en moi des réflexions que je me dois de partager avec vous. Je n’oserai pas dire que c’est du mépris à l’endroit de la communauté francophone du Québec, mais je me permets de constater que, chez les anglophones bien choyés, il y a une volonté solidement et dangereusement ancrée de résister à toute initiative politique visant à garantir aux Québécois francophones le droit de vivre et de travailler dans leur langue dans cette province.

Comment les anglophones du Québec peuvent-ils plaider la menace? Il y a trois universités anglophones, quatre hôpitaux anglophones, des collèges anglophones et une commission scolaire anglophone protégée par la Constitution. Trouve-t-on autant de services consacrés aux francophones dans les autres provinces?

Avant d’être policier, le petit garçon que j’étais, celui du quartier Rosemont, à Montréal, a travaillé brièvement pour la Canadian Imperial Bank of Commerce, la CIBC. La CIBC ne m’a pas fait travailler dans Rosemont; on m’a plutôt expatrié dans le West Island pour s’assurer que j’apprenne l’anglais. Heureusement, les choses ont changé, mais il a fallu se battre pour protéger notre langue, ce que les anglophones de Montréal n’ont pas à faire et n’auront pas à faire, même avec l’adoption du projet de loi C-13. Il serait inconcevable que le Sénat mette en péril le projet de loi C-13, parce que des banques, des compagnies aériennes et quelques autres entreprises à charte fédérale ont peur de devoir communiquer en français avec leurs employés.

Revenons brièvement aux amendements du sénateur Loffreda. Dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, il a affirmé qu’il n’avait trouvé aucun argument soutenant la nécessité d’inclure des références à la Charte de la langue française du Québec. Il aurait eu intérêt à communiquer avec le gouvernement du Québec pour connaître la teneur des échanges qui ont permis de conclure une entente Ottawa et le gouvernement provincial, plutôt que de chercher à créer un environnement propice à des mésententes, comme on en a trop souvent vécu. Toujours dans son discours à l’étape de la deuxième lecture sur le projet de loi C-13, le sénateur Loffreda se présentait ainsi, et je cite :

Je suis très fier d’être Québécois, fier de parler français, fier de vivre dans une province où le français est la langue commune du peuple [...]

Toute cette fierté qu’il nous a exprimée, elle est représentée et enchâssée dans la charte à laquelle il ne faut surtout pas que l’on fasse référence.

Avec cette fierté diluée qu’il exprime aujourd’hui, je suis loin d’être convaincu qu’il sera bientôt invité par le premier ministre du Québec pour célébrer sa contribution au développement de la langue française.

Franchement, j’aurais souhaité un peu de retenue de la part de notre collègue et ami.

En terminant, je rappelle ce que j’ai dit : le projet de loi C-13 n’est pas parfait, mais il contient suffisamment d’éléments pour que nous permettions au gouvernement de le mettre en œuvre avec, bien entendu, toute la surveillance que le sujet impose, tant pour les anglophones que pour les francophones.

Pour y arriver rapidement, il faut donc rejeter les amendements présentés par le sénateur Loffreda.

Merci.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

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