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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Adoption du dix-septième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

26 octobre 2023


L’honorable Brent Cotter [ - ]

Propose que le rapport soit adopté.

 — Merci, Votre Honneur.

Je parlerai aujourd’hui du 17e rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui porte sur le projet de loi C‑48.

Pour bien vous situer, il s’agit du projet de loi intitulé Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution).

Je reviendrai au texte lui-même dans un instant. Pour vous donner une idée, l’objectif principal de cette mesure législative consiste à faire augmenter le nombre d’infractions prévues dans le Code criminel pour lesquelles le fardeau de la preuve est inversé, ce qui signifie que c’est à l’accuser de persuader le juge que, selon la prépondérance des probabilités, il peut être mis en liberté sous caution. En termes juridiques, pour toutes ces infractions, c’est l’accusé qui portera le « fardeau de la preuve » pour prouver qu’il peut être relâché en attendant son procès.

Commençons par un peu de contexte. En règle générale, les personnes qui sont accusées d’un crime sont mises en liberté moyennant une caution. On présume en général qu’elles peuvent être relâchées. Le Code criminel prévoit trois cas où une personne peut rester en détention : pour garantir sa présence en cour, afin de protéger le public et la ou les victimes, et pour maintenir la confiance dans l’administration de la justice. Généralement, c’est à la poursuite d’établir si l’une de ces situations, ou conditions, s’applique et si la mise en liberté sous caution doit être refusée au prévenu.

Cependant, pour certaines infractions, le Code criminel prévoit ce qu’on appelle l’inversion du fardeau de la preuve; c’est-à-dire que l’accusé doit démontrer qu’il peut être mis en liberté. Dans le jargon juridique, on dit que le fardeau, à savoir la responsabilité de démontrer la justification de la mise en liberté, incombe à l’accusé plutôt qu’à la poursuite. Cette inversion du fardeau pour les infractions ciblées a été jugée conforme à la Constitution par la Cour suprême du Canada.

Comme je l’ai dit, le projet de loi C‑48 ajoutera une série d’infractions aux situations où il y a inversion du fardeau pour la mise en liberté sous caution. Les catégories d’infractions ciblées sont généralement différentes infractions liées à l’utilisation d’une arme à feu. Elles sont ciblées dans le projet de loi par les paragraphes 1(2) et 1(3) et par une partie du paragraphe 1(4). Il y a également des infractions liées à la violence entre partenaires intimes dans les situations où l’accusé a déjà obtenu une absolution pour une infraction du même ordre.

Pour bien comprendre cet aspect du projet de loi — il est important, en plus de faire l’objet d’un amendement —, je précise qu’il y a absolution lorsqu’une personne a admis sa culpabilité ou qu’elle a été reconnue coupable, mais que le juge prescrit qu’elle soit absoute de l’infraction, inconditionnellement ou sous conditions. Lorsque les conditions sont respectées, même si le casier est maintenu, la condamnation n’est essentiellement pas inscrite. On considère généralement cette peine comme la plus clémente des sanctions pour des infractions criminelles.

Cela dit, le cheminement du projet de loi C‑48 a été légèrement inhabituel. Il a été présenté à l’autre endroit le 16 mai 2023. Il a fait l’objet de débats périodiques à la fin du printemps 2023. Des discussions entre les ministres responsables de la justice et de la sécurité du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires avaient eu lieu sur la teneur du projet de loi C‑48 avant sa présentation. La mesure législative était soutenue par les provinces et les territoires, ainsi que par les dirigeants des services de police du pays.

Comme bon nombre d’entre vous l’auront remarqué, au cours des derniers mois, on a beaucoup parlé des quelques rares cas où une personne en liberté sous caution, ou mise en liberté sur une base analogue, est accusée d’avoir commis un crime très grave, souvent un crime violent, ayant des conséquences tragiques pour les victimes. L’indignation suscitée par ces cas a motivé une approche rapide à l’égard du projet de loi C‑48.

Le 18 septembre de cette année — c’est-à-dire il y a environ un mois —, le projet de loi a franchi en une seule journée les étapes de la deuxième lecture, de l’étude en comité plénier et de la troisième lecture à l’autre endroit, en plus d’être adopté à l’unanimité sans renvoi au Comité de la justice de la Chambre des communes — et j’insiste sur ce point. Contrairement à presque tous les projets de loi de ce genre, il n’a pas fait l’objet d’une étude en comité avant son adoption à la Chambre.

Cela a transmis deux messages au Sénat : premièrement, l’urgence évidente de l’étude de ce projet de loi par le Sénat; deuxièmement, étant donné l’absence d’étude à l’autre endroit, c’était un argument de poids pour que le projet de loi fasse l’objet d’un examen sérieux et sans délai lorsqu’il a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles le jeudi 21 septembre de cette année.

Dans ce cas-ci, le projet de loi a nécessité un premier examen objectif, si je puis m’exprimer ainsi, et c’est ce qu’il a obtenu à notre comité.

Votre comité a tenu quatre réunions et entendu 26 témoins, dont le ministre de la Justice et procureur général du Canada, des fonctionnaires du ministère de la Justice, la procureure générale de la Colombie‑Britannique, des représentants d’associations policières et juridiques, des groupes de revendication, des universitaires et des experts, des représentants autochtones et d’autres parties intéressées.

Le comité a également reçu neuf mémoires.

J’aimerais souligner brièvement certains aspects de ce que nous avons entendu au comité et indiquer les trois cas où le comité a adopté des amendements au projet de loi.

J’imagine que mes collègues y reviendront et qu’ils nous feront part de leur point de vue. J’aimerais aussi parler brièvement des observations adoptées par le comité.

Mes propos peuvent être regroupés selon les mêmes quatre grandes catégories que l’on trouve dans le rapport du comité.

Premièrement, de nombreux témoins ont souligné l’importance de recueillir des données précises et exhaustives sur la mise en liberté sous caution au Canada afin, d’une part, de mieux comprendre et résoudre les problèmes qui affligent le système de mise en liberté sous caution — un point qui a été repris par à peu près tous les témoins — et, d’autre part, d’analyser l’incidence de mesures législatives comme le projet de loi C‑48 sur les groupes déjà surreprésentés dans le système judiciaire.

Le fait est que la collecte des données sur les mises en liberté sous caution relève des provinces et des territoires et que ces données ne sont pas prioritaires parmi les statistiques et les données sur la justice. De nombreux témoins ont toutefois indiqué que les lois fédérales comme celle-ci doivent être fondées sur des données probantes et des données empiriques exhaustives. Or, je ne crois pas me tromper en disant que les données empiriques sur la foi desquelles on nous demande d’adopter cette mesure législative sont faibles.

Comme le dit une des observations, nous devons absolument en apprendre davantage sur le système général de mise en liberté sous caution et sur les effets, néfastes ou bénéfiques, que les amendements comme celui-ci peuvent avoir sur ce même système.

Vient ensuite la sécurité publique. Les témoins ont exprimé des points de vue divergents quant à la nécessité, à l’utilité et aux effets des mesures contenues dans ce projet de loi au regard de la sécurité publique.

Dans le contexte des récents incidents tragiques de violence impliquant des personnes en liberté provisoire, plusieurs témoins ont souligné qu’il était important de préserver la sécurité du public et sa confiance envers le système de justice pénale canadien en veillant à ce que les prévenus soient détenus lorsque la sécurité publique le justifie.

Le comité a entendu des témoignages expliquant que le projet de loi contient des mesures ciblées censées répondre aux préoccupations soulevées par les forces de l’ordre de partout au pays, ainsi qu’aux demandes des 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux, qui souhaitent voir les dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve s’appliquer à certaines infractions supplémentaires, comme l’indique la lettre que ces derniers ont cosignée en janvier dernier.

En revanche, certains témoins ont mis en doute l’efficacité éventuelle des modifications proposées, en faisant valoir que les procureurs peuvent déjà plaider que la détention d’un prévenu est justifiée, y compris pour des motifs de sécurité publique.

Certains témoins ont déclaré que le projet de loi n’entraïnerait pas une diminution des crimes violents, parce qu’il ne s’attaque pas à leurs causes profondes, et qu’il est essentiel d’investir dans de nombreux domaines utiles.

Cela m’amène au premier amendement que le comité a adopté. Certains témoins ont recommandé de supprimer une modification que le projet de loi propose pour élargir la disposition inversant le fardeau de preuve en matière de mise en liberté sous caution afin qu’elle s’applique à un prévenu ayant déjà obtenu une absolution inconditionnelle ou sous conditions pour une infraction antérieure impliquant de la violence contre un partenaire intime. Il s’agit de l’une des dispositions qui renverseraient le fardeau de la preuve. Les témoins ont soutenu que cette mesure ciblerait et criminaliserait indûment les survivants de violence entre partenaires intimes, car il arrive souvent qu’il y ait un recoupement important entre les auteurs et les survivants de ce type de violence. En quelque sorte, la disposition d’inversion du fardeau de la preuve a tendance à toucher des personnes relativement vulnérables. D’autres parties, incluant les gouvernements provinciaux et territoriaux, ont appuyé le projet de loi dans sa forme actuelle, y voyant un moyen de protéger les survivants de la violence entre partenaires intimes.

Le comité a étudié et a adopté un amendement visant à supprimer la disposition relative à l’inversion du fardeau la preuve dans les cas de libération et de violence contre un partenaire intime. Il a été adopté avec dissidence, même si je pense que cette façon de le dire est correcte uniquement en raison d’un détail de procédure. La sénatrice Batters m’a fait remarquer qu’il y a eu un vote par appel nominal et que le vote a été de 8 à 5.

Troisièmement, le rapport résume ce que le comité a entendu au sujet des répercussions du projet de loi C‑48 sur les communautés autochtones, racisées et marginalisées. Certains témoins ont dit craindre que les modifications proposées se traduisent par des contestations prolongées lors des audiences sur le cautionnement, une augmentation des demandes d’aide juridique, ainsi qu’une augmentation des délais de libération sous caution et des périodes de détention, ce qui exacerberait les retards actuels dans le système de mise en liberté sous caution. Certains témoins ont prévenu que ces effets négatifs toucheraient de façon disproportionnée les groupes autochtones, racisés et marginalisés, qui sont déjà surreprésentés dans le système judiciaire et désavantagés lorsqu’il s’agit d’obtenir une mise en liberté sous caution.

Tout cela a amené le comité à examiner et à adopter un amendement proposé, en l’occurrence, par la sénatrice Clement. Cet amendement exige que les juges tiennent davantage compte de la situation des personnes vulnérables dans leurs décisions en matière de mise en liberté sous caution. Le comité a amendé l’article 1 du projet de loi C‑48 afin d’exiger qu’un juge qui préside une enquête sur le cautionnement explique, dans le compte rendu des délibérations, comment il a procédé pour déterminer si une personne faisait partie d’une des catégories de personnes visées à l’article 493.2 qui méritaient une attention particulière — les Autochtones ou les personnes autrement vulnérables — et, le cas échéant, comment le juge a appliqué sa pensée à la question de la mise en liberté avant procès.

La quatrième de mes observations, qui tirent à leur fin, porte sur la proposition de prévoir un examen quinquennal sur les effets du projet de loi C‑48. Comme on l’a indiqué dans cette enceinte et au comité, il est étrange que l’article 2 de ce projet de loi prévoie uniquement un examen quinquennal effectué par le Comité de la justice et des droits de la personne. C’est peut-être un oubli. Ce n’est pas la question la plus importante à régler, car le Sénat est habilité à lancer une telle étude sans mandat législatif de l’autre endroit, mais le comité a quand même donné son avis et souligné cette lacune. Il a présenté un amendement qui, selon mon souvenir, a été adopté à l’unanimité afin que l’examen par un comité du Sénat — probablement le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles — soit inclus à l’article 2 du projet de loi C‑48, qui porte sur l’examen quinquennal.

Enfin, je vais souligner les quatre thèmes qui ressortent des observations du comité.

J’aimerais d’abord parler d’un aspect que j’ai déjà mentionné, soit la nécessité d’apporter des réformes pour permettre la collecte de données exhaustives sur la mise en liberté sous caution au Canada. Il est décourageant que les données soient aussi fragmentaires, et ce n’est pas une priorité, mais pour la personne qui doit attendre la tenue de son procès en prison, c’est fichtrement important.

Deuxièmement, j’aimerais parler de la violence fondée sur le sexe et de la violence à l’égard des femmes. Il y a une observation disant que, de façon générale, il faut se pencher de façon prioritaire sur les facteurs de vulnérabilité entourant la violence fondée sur le sexe, comme on l’a indiqué dans des rapports précédents.

Troisièmement, le fait est qu’il s’agit d’un sujet idéal que la Commission du droit du Canada devrait examiner dans le cadre de son étude du droit criminel. Le Code criminel a été modifié au coup par coup, parfois par le Sénat, pendant des décennies et il ne fait aucun doute que certaines dispositions lourdes, répétitives ou incohérentes doivent être complètement remaniées.

Le dernier point est le besoin de réaliser une analyse comparative entre les sexes plus. Je pense qu’il est juste de dire que le comité continue d’éprouver de la frustration à l’égard du gouvernement puisqu’il tarde à fournir des renseignements au sujet de l’analyse comparative entre les sexes. Ce fut également le cas pour le projet de loi. Nous n’avons reçu cette information que quelques jours avant l’étude article par article et je pense qu’il est juste de dire que le comité a été déçu de ne pas recevoir l’information avant d’entendre le témoignage du ministre. Pour mener une étude sérieuse et complète d’un projet de loi d’initiative ministérielle, le comité doit avoir accès à cette analyse en temps opportun. Le résultat, c’est que le comité exhorte le gouvernement fédéral à fournir en temps opportun l’information liée à l’analyse comparative entre les sexes plus lorsque le projet de loi lui est renvoyé, à défaut de quoi, le comité peut retarder l’étude du projet de loi jusqu’à ce qu’il reçoive cette information.

Je tiens à remercier les membres et le personnel du comité pour leur appui tout au long des travaux du comité sur le projet de loi. C’est une situation inhabituelle où nous avons rempli à la fois le rôle de la chambre du premier examen objectif et du second examen objectif du projet de loi.

Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente intérimaire

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

Son Honneur la Présidente intérimaire

Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi modifié pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la troisième lecture du projet de loi modifié est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

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