Le cent vingt-cinquième anniversaire de la Loi sur le Yukon
Interpellation--Suite du débat
5 décembre 2023
Je vous remercie, honorables sénateurs. Merci de m’accorder votre temps, malgré l’heure tardive.
Je prends la parole pour lancer mon interpellation et pour attirer votre attention sur le 125e anniversaire de la Loi sur le Yukon, une Loi du Parlement adoptée le 13 juin 1898.
Il y aurait tellement d’histoires à raconter à propos du Yukon. Peut-être pourrais-je, d’ici la fin de ma carrière de sénatrice, prendre moi aussi le temps de partager un chapitre par jour pendant les déclarations de sénateurs. Bien que les histoires soient tout aussi passionnantes, il me faudrait peut-être faire quelques exercices d’éloquence et adopter un accent terre-neuvien ou labradorien. Quoi qu’il en soit, peu importe l’accent, personne ne parle du Yukon avec plus d’éloquence que notre poète Robert Service, qui a écrit ce qui suit :
[...] Il y a la terre. (Vous l’avez vue?)
Je ne connais aucune terre plus obstinée,
Depuis les montagnes vertigineuses qui la cachent
Jusqu’aux profondeurs désespérées des vallées.
Aujourd’hui, je ne veux pas m’attarder sur le poème The Spell of the Yukon, d’où j’ai tiré ces mots, mais plutôt parler de politique et de la Loi sur le Yukon. Soit dit en passant, je m’en voudrais de ne pas rendre hommage aux politiciens yukonnais qui ont laissé leur marque à Ottawa, à l’autre endroit, où la Loi sur le Yukon a été adoptée. Je m’en voudrais de ne pas les remercier. Nos députés ont été Larry Bagnell, Audrey McLaughlin, ancienne chef du NPD, Erik Nielsen, vice-premier ministre sous le premier gouvernement Mulroney, et Martha Louise Black. Vous ne savez peut-être pas que Martha Louise Black a été élue à 70 ans pour représenter le Yukon à l’autre endroit, la deuxième femme à être élue ainsi.
Honorables sénateurs, j’aimerais attirer votre attention sur une partie de leur travail et sur le nôtre concernant la Loi sur le Yukon en tant que mesure législative.
Chers collègues, tous les jours, nous faisons un second examen objectif des projets de loi. Vous vous demandez peut-être ceci : pourquoi la Loi sur le Yukon, et pourquoi maintenant?
Nous célébrons cette année le cent-vingt-cinquième anniversaire du Yukon, un jalon historique dans l’histoire de ce territoire et du Canada. Je vais demander pardon à mes érudits collègues sénateurs avocats en droit constitutionnel, plutôt que leur demander la permission de parler de la Loi sur le Yukon comme de notre « constitution ».
Les honorables sénateurs savent que la Constitution du Canada reconnaît l’individualité des provinces. Contrairement aux provinces, le Yukon est reconnu comme un territoire unique grâce à une loi du Parlement, la Loi sur le Yukon, qui a reçu la sanction royale le 13 juin 1898.
J’ai trouvé qu’il était utile dans mes réflexions que je me penche sur les débats du Sénat portant sur l’Acte ayant pour objet de pourvoir à l’administration du district du Yukon. À l’époque, les débats ont noté que cette loi avait été faite aussi courte que possible afin de permettre au gouvernement de l’époque de nommer — vous pardonnerez le langage de l’époque — un commissaire chargé d’administrer le gouvernement, de nommer un conseil chargé d’aider et de conseiller ce commissaire dans la préparation des ordonnances du gouvernement ainsi que dans l’administration de la justice.
Pour mettre les choses en contexte, le Yukon a fait son apparition sur la scène internationale lorsqu’on y a découvert de l’or en 1896, deux ans avant ce débat au Sénat. Peu de gens savent que la découverte de l’or est principalement attribuée à un groupe de trois personnes, soit Shaaw Tláa ou Kate Carmack, comme on l’appelait, une femme de la Première Nation Tagish, ainsi que son frère et son conjoint de fait. Soit dit en passant, chers collègues, les deux hommes de ce trio ont été admis au Temple de la renommée du secteur minier canadien en 1999. Kate Carmack, elle, y a été admise en 2019.
Honorables sénateurs, cette découverte et l’afflux massif de personnes venues chercher fortune ont fait de Dawson City, au Yukon, la plus grande ville au nord de San Francisco et à l’ouest de Chicago en 1897. Beaucoup de ces gens ont franchi la frontière entre le Canada et les États-Unis en passant par le col de Chilkoot, comme le montre la photo emblématique en noir et blanc d’une longue file d’aventuriers escaladant une montagne escarpée et enneigée.
En réponse à cet afflux de personnes, le Canada a affirmé sa souveraineté en postant la Police à cheval du Nord-Ouest au col de Chilkoot. Les agents ne vérifiaient pas les passeports et ne s’appuyaient pas sur l’application ArriveCAN; ils s’assuraient plutôt que chaque personne avait suffisamment de provisions pour survivre au voyage vers les champs aurifères et à l’hiver — plus précisément, 2 000 livres de provisions.
L’afflux de personnes venant de divers endroits dans le monde au Yukon a été souligné, peut-être de façon moins charitable, dans les débats du Sénat sur la Loi sur le Yukon. En effet, l’honorable M. Mills avait déclaré :
La situation au Yukon n’est pas du tout la même. Comme je l’ai dit, neuf au moins sur dix de ceux qui composent la population sont des étrangers, auxquels on ne [pourrait] pas confier le devoir de légiférer et d’administrer.
Puis, quant aux quelques rares sujets britanniques qu’il y a, ce ne sont pas des gens qui y ont fixé [en permanence] leur demeure; ils ne sont pas allés là pour y établir leur domicile. Ils se sont rendus là, dans le but de s’enrichir [...].
La Loi sur le Yukon est née du désir d’affirmer la souveraineté du Canada et de réglementer la consommation d’alcool dans le territoire. Le principe voulant que l’on affirme la souveraineté du Canada par l’entremise des populations du Nord et du soutien envers cette région constitue le fondement de la politique pour le Nord canadien depuis un certain temps.
Honorables sénateurs, la Loi sur le Yukon a été modifiée assez fréquemment depuis ces débats initiaux. Comme il s’agit de la « constitution » du Yukon et que nous célébrons un jalon important, le contexte ayant mené à l’adoption de cette loi et le contexte actuel, dans lequel nous examinons aujourd’hui des amendements — en fait, la Loi sur le Yukon a été mentionnée pendant notre étude des amendements aujourd’hui — sont la raison pour laquelle je m’adresse à vous ce soir.
En 1998, à l’occasion du centième anniversaire de la Loi sur le Yukon, l’Assemblée législative du Yukon, dont je faisais partie, a tenu une séance extraordinaire dans l’ancienne salle du conseil et a adopté la Loi sur la fête du Yukon.
Au Yukon, nous célébrons également les chiens. Même les armoiries territoriales sont surmontées d’un husky. Sur une photo d’époque du premier conseil territorial, qui avait été prise sur les marches de la salle du conseil, il y a un chien. Lors des célébrations du centième anniversaire, nous avons également inclus un chien.
Je garde dans mon bureau un souvenir précieux : un présentoir qui contient les photos du conseil territorial de 1898 et de l’Assemblée législative du Yukon de 1996, ainsi que la Loi sur la fête du Yukon.
Tandis que nous travaillons avec les Premières Nations pour garantir les infrastructures nécessaires à nos concitoyens, que nous exploitons les ressources naturelles — y compris les minéraux critiques et stratégiques —, que nous nous engageons dans la lutte contre les changements climatiques et que nous continuons de protéger les vastes étendues sauvages qui abritent les Premières Nations depuis des millénaires, il faut être conscient de ce contexte historique pour comprendre notre situation actuelle au sein du Canada et le contexte yukonnais afin d’aller de l’avant.
Pour les Yukonnais, le cent vingt-cinquième anniversaire de la Loi sur le Yukon est l’occasion de faire connaître leur point de vue sur les changements apportés à la loi et sur leur place dans le Canada d’aujourd’hui, sans oublier le contexte dans lequel ces amendements sont soumis à cette chambre.
Honorables sénateurs, le premier des trois grands moments de l’histoire sur lesquels nous allons nous pencher remonte à 1979, lorsque des discussions ont eu lieu entre le commissaire du Yukon, le conseil territorial dûment élu et le gouvernement du Canada. Depuis 1898, le rôle du commissaire consistait à administrer le territoire pour le compte d’Ottawa.
Celui qui occupait cette fonction en 1979 était Ione Christensen, sénateur du Yukon de 1999 à 2006. En 1966, le conseil territorial — installé à Whitehorse depuis 1953, date à laquelle cette ville est devenue la capitale du Yukon —, a adopté une motion demandant l’élargissement du conseil, l’obtention du statut de province dans un délai de 12 ans et la création d’un comité exécutif doté de tous les pouvoirs d’un cabinet.
La motion a été rejetée. Cependant, elle a donné lieu à des négociations et, en fin de compte, lors des élections de 1978, des candidats de trois partis politiques ont été élus à une assemblée législative composée de 16 députés. Le Yukon est le seul territoire dont le conseil est composé de députés affiliés à des partis politiques.
Les modifications apportées à la structure de gouvernance du Yukon ont été présentées dans une lettre du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l’époque, l’honorable Jake Epp, au commissaire Christensen.
Il a écrit ce qui suit :
Je vous ordonne d’accepter les recommandations du conseil en ce qui concerne tous les aspects de la Loi [sur le Yukon] qui sont délégués au commissaire en conseil, à condition que ceux-ci répondent aux exigences de l’article 17 de cette Loi et à l’exception de l’article 46 de celle-ci.
Autrement dit, grâce à cette lettre, les députés dûment élus de l’Assemblée législative du Yukon ont commencé à être, en quelque sorte, maîtres chez eux, même s’ils n’avaient ni les moyens financiers ni le contrôle des terres et des ressources.
C’est en 1985 que ces dispositions financières ont changé, lorsque le Canada a adopté la formule de financement des territoires pour le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest, qui est comparable au programme de péréquation mis en place pour les provinces.
Honorables sénateurs, le contrôle des terres et des ressources comporte deux éléments importants : la signature par le Conseil des Premières Nations du Yukon, le gouvernement du Yukon et le gouvernement du Canada de l’accord-cadre définitif entre les parties en 1993, et l’Entente sur le transfert des responsabilités signée en 2001.
Les honorables sénateurs savent que les Premières Nations du Yukon sont actuellement à Ottawa non seulement pour célébrer le 50e anniversaire de la présentation du document intitulé Together Today for our Children Tomorrow, mais aussi les ententes habilitantes d’autonomie gouvernementale et les relations de gouvernement à gouvernement, comme en témoigne aujourd’hui le forum intergouvernemental.
Ce cadre unique au Canada a donné vie et sens à l’expression inventée par les Premières Nations, particulièrement par Kluane Adamek de l’Assemblée des Premières Nations, pour décrire notre territoire commun comme « Un Yukon qui montre la voie ».
Hier, une lettre d’intention trilatérale a été signée pour « [...] confirm[er] leur engagement à travailler collectivement à la construction et à l’exploitation d’un centre de guérison dirigé par les Premières Nations du Yukon ». Il s’agit d’une entente conclue entre le Canada, les Premières Nations et le gouvernement du Yukon.
Le Yukon a également été le premier territoire à négocier, avec l’approbation des Premières Nations, une entente de transfert de responsabilités qui conférait au Yukon l’autorité sur les terres et les ressources, entente que j’ai signée en 2001. Lors des délibérations du Sénat sur le projet de loi qui a donné force de loi à l’entente de transfert de responsabilités dans la Loi sur le Yukon en 2002, la sénatrice Ione Christensen a déclaré ceci :
[...] le projet de loi sur le Yukon reconnaît les réalités politiques du Nord et les changements radicaux qui ont été observés depuis 1979, année où l’on a reconnu pour la première fois l’existence d’un gouvernement responsable au Yukon. Le projet de loi C-39 permettra d’harmoniser le cadre législatif avec ce qui est devenu pratique courante au Yukon au cours des 20 dernières années, en reconnaissant l’existence d’un gouvernement local responsable et en habilitant son assemblée législative à fonctionner selon les mêmes modalités que les assemblées législatives provinciales.
Les sénatrices Cordy et Jaffer étaient présentes pour ces changements. La Loi modifiant la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon et modifiant une autre loi en conséquence est régulièrement mentionnée dans cette assemblée. Je remercie les sénateurs de leur appui à la Loi sur le Yukon.
J’aimerais parler brièvement des séances d’information qui ont eu lieu à Ottawa pendant l’entente de transfert de responsabilités. Faisant partie de l’opposition à l’époque, il m’incombait d’informer le Bloc québécois de l’évolution du dossier. J’ai rassuré les bloquistes en leur disant que les modifications apportées à la Loi sur le Yukon n’avaient pas d’incidence sur la reconnaissance constitutionnelle du Québec. Les Yukonnais ont été sincèrement reconnaissants de la contribution dynamique de la population francophone, d’autant plus qu’à l’époque, le Yukon avait la population francophone connaissant la croissance le plus rapide par habitant, en dehors du Québec. Cette population francophone dynamique y est présente depuis l’époque de la ruée vers l’or au magasin de Mme Tremblay, qui est un lieu historique national au sein du site du patrimoine mondial de l’UNESCO qu’est Tr’ondëk-Klondike, se trouvant en partie à Dawson.
Ce contexte est essentiel pour comprendre comment et pourquoi des infrastructures essentielles telles que la reconstruction de ponts, le déploiement de connexions Internet par fibre optique et l’exploitation de ressources telles que les minéraux stratégiques peuvent être mises en place au Yukon.
J’ai également remarqué que l’Accord-cadre définitif comprenait des dispositions prévoyant que le processus d’évaluation des activités de développement soit supervisé par un conseil composé du Canada, des Premières Nations du Yukon et du gouvernement du Yukon. La Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon est la loi fédérale qui régit ce processus.
Plus tôt, dans mon discours, j’ai parlé de la Loi sur le Yukon comme étant une constitution, en référence à ce que mes éminents collègues ont dit.
Je crois que le temps qui m’était imparti arrive rapidement à sa fin. Je serai brève dans ma conclusion. Je voudrais simplement citer une déclaration d’une éminente Yukonnaise sur la question de la place du Yukon dans la Constitution du Canada. Pamela Muir, de l’University of Edinburgh, a écrit ce qui suit dans le résumé d’un article fondé sur sa thèse de maîtrise en droit :
[...] Le présent article porte sur trois piliers soutenant le statut constitutionnel normatif du Yukon. Le premier est un examen de la fonctionnalité [...] Le second pilier est la permanence [...] Le dernier pilier concerne la souveraineté [...]
J’invite mes collègues à lire le résumé dans Northern Review. Je serai heureuse de vous en remettre un exemplaire. L’article présente un examen plus détaillé des observations que j’ai faites aujourd’hui.
La connaissance de ce contexte est essentielle pour comprendre la relation entre le gouvernement du Yukon et les Premières Nations du Yukon ainsi que les rôles du Sénat, du sénateur du Yukon et du député de Yukon. Cette connaissance est nécessaire pour tous les parlementaires en ce qui concerne la Loi sur le Yukon, qu’on a parfois l’impression d’être appelés à étudier quotidiennement. L’histoire du Yukon est une histoire fascinante qui continue d’évoluer. C’est une partie de l’histoire du Canada dont je suis honorée de faire partie et de vous faire part.
Je vous remercie beaucoup de votre patience à cette heure tardive et de l’occasion que vous m’avez donnée de parler de la Loi sur le Yukon et du contexte entourant la constitution de ma région.
Je conclus en citant une dernière fois le « chantre du Yukon », Robert Service, qui a écrit quelque chose qu’on pourrait dire de l’ensemble du Canada...
Sénatrice Duncan, je suis désolée. Votre temps de parole est véritablement écoulé.
Merci, gùnáłchîsh, mahsi’cho.