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La Loi sur la radiodiffusion

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

23 juin 2021


L’honorable Dennis Dawson [ - ]

Propose que le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour vous présenter le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Comme vous le savez, nous ne nous attendions pas à passer à l’étape de la deuxième lecture aujourd’hui, et comme nous prévoyons maintenant siéger la semaine prochaine, j’espère que nous pourrons renvoyer le projet de loi au Comité sénatorial permanent des transports et des communications le plus tôt possible. Des négociations sont en cours pour savoir quand le comité se réunira, mais pour l’instant, je vais me concentrer sur le renvoi du projet de loi au comité.

Le projet de loi C-10 mérite beaucoup d’attention et de rigueur, et nous devons remplir notre rôle de Chambre de second examen objectif. L’intention du gouvernement n’a jamais été de faire adopter le projet de loi à toute vapeur à la fin de la session. Je suis heureux d’en parler aujourd’hui.

Je tiens à informer les sénateurs que le ministère du Patrimoine canadien organisera des séances d’information sur le projet de loi lundi prochain. Vous recevrez les détails plus tard aujourd’hui ou demain. Ce sera à 11 h 30 en français et à 11 h 45 en anglais. Je passe maintenant à mon discours.

En juin 2018, le gouvernement du Canada a nommé un groupe d’experts pour passer en revue le cadre législatif de la radiodiffusion et des télécommunications. Ils ont reçu plus de 2 000 mémoires et entendu de nombreux témoignages lors des conférences organisées d’un bout à l’autre du pays. Le rapport Yale a été publié en janvier 2020. Les recommandations fondées sur l’examen exhaustif des experts ont jeté les assises du projet de loi C-10 et de la modernisation de la Loi sur la radiodiffusion.

Le projet de loi C-10 a été présenté le 3 novembre 2020, et il est resté 112 jours entre les mains du Comité permanent du patrimoine canadien pour l’étape de l’étude en comité. Cela représente plus de 40 réunions et près de 50 témoins, sans compter les séances d’information ministérielles. Donc, la version actuelle du projet de loi comporte plus de 100 amendements, et d’innombrables sous-amendements.

Le Bloc québécois et le NPD ne cachent pas leur mépris à l’égard du Sénat : ils voudraient que les sénateurs s’en remettent à leur analyse du projet de loi et que nous l’acceptions et l’approuvions aveuglément sans lui accorder le second examen objectif qu’il mérite.

Regardons de plus près le projet de loi, ses objectifs et la raison pour laquelle c’est une mesure législative d’une grande importance.

Honorables sénateurs, le Canada appuie depuis longtemps les industries canadiennes du film, de la musique et de la télévision. Permettez-moi de vous faire part de ce que j’avais déclaré à l’autre endroit en 1982 :

La politique est conçue de manière à offrir aux Canadiens un plus grand choix de services de télévision et de radiodiffusion, tout en leur permettant d’apprécier davantage le riche patrimoine social, historique et culturel du Canada.

J’avais mis l’accent sur la nécessité de mettre à jour régulièrement la Loi sur la radiodiffusion. Or elle n’a pas été révisée depuis 30 ans. Il est grand temps de le faire.

Même si la Loi sur la radiodiffusion a été promulguée à l’origine en 1936, elle n’a pas connu de révision majeure depuis 1991, soit bien avant que tout le monde ait un téléphone cellulaire dans sa poche et qu’Internet soit assez rapide pour diffuser des émissions de télévision. Il est inutile de vous dire que ce projet de loi était attendu depuis longtemps.

Le projet de loi vise à étendre le régime législatif et réglementaire pour inclure les télédiffuseurs en ligne en confirmant la compétence et le pouvoir réglementaire du CRTC sur ces services.

Il favorisera également une plus grande diversité et une meilleure inclusion dans le secteur de la radiodiffusion. Plus précisément, le projet de loi précisera que la radiodiffusion en ligne entre dans les champs d’application de la loi.

Il actualisera les politiques de radiodiffusion et de réglementation afin, notamment, qu’elles tiennent mieux compte des Autochtones, des personnes handicapées et des divers groupes qui forment le Canada.

Ce projet de loi donnera un appui solide au contenu original en français.

Je veux maintenant parler de la question du soutien aux créateurs francophones et au contenu de langue française, y compris celui qui est produit par les communautés francophones en situation minoritaire. J’en profite d’ailleurs pour féliciter la ministre Joly d’avoir reconnu le Québec comme un État français.

De prime abord, il est important de reconnaître qu’il s’agit d’un enjeu fondamental et que les préoccupations exprimées par les parties prenantes sont tout à fait légitimes.

Il ne faut pas oublier le statut minoritaire des francophones en Amérique du Nord. On peut présumer que, dans un univers dominé par l’anglais, les géants de la radiodiffusion en ligne comme Netflix et Spotify n’auront pas nécessairement le réflexe de penser aux besoins des francophones du Canada, qu’ils habitent au Québec ou en milieu minoritaire ailleurs au Canada. Pourtant, nous savons que la radio et la télévision sont d’une importance vitale pour la langue, la culture et l’identité de la seule minorité francophone en Amérique du Nord.

Il va sans dire que les histoires et la musique francophones doivent faire l’objet de mesures de soutien et de promotion. Là-dessus, je pense que nous sommes tous d’accord, d’autant plus que l’arrivée des radiodiffuseurs en ligne est venue chambouler le secteur canadien de la radiodiffusion et que le marché de langue française n’a pas été épargné.

Les radiodiffuseurs en ligne présentent des défis particuliers en ce qui concerne la disponibilité et la promotion du contenu de langue française, notamment le contenu produit par nos communautés francophones en situation minoritaire.

À cet égard, il est important de noter que, à l’heure actuelle, 47 % des francophones regardent un contenu majoritairement anglophone sur Netflix. Il s’agit d’un fort contraste avec le visionnement d’émissions de la télévision traditionnelle et les services en français, qui captent 92 % de l’auditoire dans le marché francophone.

Par ailleurs, alors que la moyenne des budgets de production de films et de vidéo en anglais est en hausse depuis de nombreuses années, tout comme le financement provenant d’investisseurs étrangers, on peut constater que les budgets moyens pour les productions en français ont diminué et que le financement provenant d’investisseurs étrangers demeure très peu élevé. Pour ce qui est de la musique et des plateformes numériques, il est important de souligner que, en 2017, il n’y avait que 6 artistes canadiens francophones figurant dans le palmarès des 1 000 artistes les plus populaires au Canada dont la musique était diffusée en continu; on parle bien de 6 sur 1 000.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-10 modernisera l’approche canadienne en matière de réglementation pour veiller à ce que les diffuseurs traditionnels et en ligne soient tous les deux traités de manière juste et équitable. Il modernisera aussi les pouvoirs d’exécution par l’intermédiaire d’un nouveau régime de sanctions administratives pécuniaires.

Le projet de loi C-10 mettra à jour les dispositions sur la surveillance et l’échange de renseignements afin de renforcer le rôle du CRTC en tant qu’organisme de réglementation moderne et indépendant, prêt pour le XXIe siècle.

Le projet de loi C-10 avantagera tous les artistes et les créateurs canadiens. Il offrira davantage de possibilités aux producteurs, aux réalisateurs, aux écrivains, aux acteurs et aux musiciens canadiens. Cela leur permettra de créer du contenu audio et audiovisuel d’excellente qualité, et ils pourront rendre ce contenu accessible au public canadien.

Le cadre réglementaire sera à la fois équitable et flexible, car des services de radiodiffusion comparables seront soumis à des exigences réglementaires semblables. Il tiendra également compte de leurs modèles d’affaires distincts.

Le système de radiodiffusion du Canada sera plus diversifié, plus inclusif, et correspondra mieux à la société canadienne. Mais surtout, on aura accès plus facilement à la musique et aux histoires du Canada à partir de divers services.

Examinons quelques aspects techniques du projet de loi. À l’heure actuelle, les licences obligent les services de programmation télévisuelle à consacrer, chaque année, un certain pourcentage de leurs revenus à du contenu canadien. Les distributeurs de services par câble et par satellite doivent verser un pourcentage de leurs revenus et de leurs redevances à des fonds de production et contribuer à une programmation locale, de manière à soutenir la conception et la production de contenu canadien. Les radiodiffuseurs commerciaux et les entreprises de radio par satellite consacrent une partie de leurs revenus au soutien de projets liés à la conception de contenu et au contenu canadien, notamment à la musique. Ces contributions se sont chiffrées à 3,4 milliards de dollars en 2019.

La concurrence exercée par les diffuseurs en ligne crée toutefois des perturbations qui menacent ce soutien. Avec la présence accrue des diffuseurs en ligne, les services traditionnels voient leurs revenus baisser. Ainsi, les revenus des diffuseurs traditionnels ont baissé de 1,5 % de 2018 à 2019. Résultat : en fin de compte, il y aura moins de financement pour la musique et les productions canadiennes.

La domination du marché est en train de changer de mains, comme le montre l’exemple de Netflix, un service qui est accessible actuellement dans la plupart des foyers canadiens — plus précisément dans 62 % d’entre eux — et qui a généré des revenus d’un milliard de dollars au Canada en 2019. D’après des estimations faites, à l’interne, par Patrimoine canadien, la production de contenu télévisuel canadien pourrait diminuer de 34 % entre 2018 et 2023 en raison de la baisse des revenus des diffuseurs commerciaux.

Si le CRTC exige des diffuseurs en ligne qu’ils contribuent au contenu canadien à un taux similaire à celui des diffuseurs traditionnels, les contributions des diffuseurs en ligne à la musique canadienne pourraient atteindre 830 millions de dollars par an d’ici 2023.

Les services de médias sociaux sont devenus un lieu important d’accès aux productions, y compris aux productions musicales et audiovisuelles. YouTube est devenu l’application de diffusion musicale en continu la plus utilisée à tous les âges, le nombre d’heures d’utilisation active par semaine étant le plus élevé parmi les 16-19 ans, où le taux de pénétration est de 70 %.

Si la loi est modifiée pour confirmer qu’elle s’applique aux plateformes de médias sociaux, le CRTC pourra s’assurer que ces services contribuent à l’équilibre du système de distribution. Les services de médias sociaux sont également devenus un lieu d’expression personnelle. Le projet de loi C-10, tel qu’il a été adopté par la Chambre des communes, comprend des garanties spéciales pour assurer la sécurité de la liberté d’expression des Canadiens. Croyez-moi, les vidéos de chats seront toujours autorisées, et le CRTC ne vous empêchera pas d’en faire si vous aimez cela.

Soulignons, par exemple, que les utilisateurs des services de médias sociaux ne seront pas réglementés et ne seront pas considérés comme des diffuseurs, contrairement à ce qui a été affirmé à maintes reprises aux cours des dernières semaines et des derniers mois.

En outre, le CRTC sera autorisé à recueillir des informations sur les services de médias sociaux et leurs utilisateurs, à demander aux services de médias sociaux des contributions financières pour soutenir le secteur canadien de la création et à exiger des services de médias sociaux qu’ils rendent les œuvres des créateurs canadiens accessibles en ligne. Ces exigences réglementaires seront imposées au service lui-même, et non aux utilisateurs des services de médias sociaux.

Le CRTC doit interpréter la Loi sur la radiodiffusion de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion. Le ministère de la Justice a examiné ces changements et a déterminé que le projet de loi demeure conforme à la Charte.

Le projet de loi C-10 améliorera la représentation de tous les Canadiens dans les émissions qu’ils consomment. Lorsque la majorité des émissions mises à la disposition des Canadiens ne reflètent pas les expériences réelles vécues par la population, quelque chose doit changer.

C’est pourquoi le projet de loi fait des progrès pour veiller à ce que la Loi sur la radiodiffusion favorise une plus grande diversité. Une programmation représentative des peuples autochtones, des minorités ethnoculturelles, des communautés racialisées, des francophones et des anglophones, y compris ceux qui appartiennent à la communauté LGBTQ+ — dont d’autres discours ont traité aujourd’hui —, et des personnes qui sont en situation de handicap ne sera plus fournie « au fur et à mesure de la disponibilité des moyens ». L’offre et la responsabilité de cette programmation sont essentielles à la réalisation personnelle.

Les objectifs des politiques énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion feront en sorte que notre système de radiodiffusion reflète la société canadienne et qu’une programmation diversifiée et inclusive soit accessible pour tous. Cela est essentiel pour que le système canadien de radiodiffusion puisse contribuer à l’élargissement des perspectives, à susciter l’empathie et la compassion parmi les citoyens et à célébrer nos différences tout en renforçant les liens communs de notre société si typiquement canadienne.

Honorables collègues, lorsque nous aurons fait notre devoir en étudiant le projet de loi C-10, le ministre du Patrimoine canadien compte demander au gouverneur en conseil de fournir des instructions au CRTC pour orienter l’application des nouveaux outils réglementaires que le projet de loi met à sa disposition.

Ensuite, en consultation avec les intervenants, le CRTC va concevoir et mettre en œuvre un nouveau cadre de réglementation pour que les services de radiodiffusion traditionnels et en ligne offrent suffisamment de contenu canadien et contribuent à la création de contenu canadien, et ce, dans les deux langues officielles, évidemment.

Le projet de loi C-10 profitera à nos artistes et à nos créateurs canadiens partout au pays. Il y aura plus de possibilités pour les producteurs, les réalisateurs, les scénaristes, les acteurs et les musiciens canadiens. Ils seront habilités à créer le contenu audio et audiovisuel de haute qualité et ils pourront rendre le contenu accessible aux auditoires canadiens.

Le cadre réglementaire sera à la fois équitable et flexible, car des services de radioffusion comparables seront soumis à des exigences réglementaires semblables. Il tiendra également compte de leurs modèles d’affaires distincts.

Honorables sénateurs, j’en ai parlé plus tôt dans mon discours, mais ce sont des aspects qui méritent d’être répétés et clairs. Actuellement, comme condition pour obtenir une licence, les services de programmation de télévision sont tenus de consacrer chaque année un pourcentage de leurs revenus au contenu canadien. Les entreprises de câblodistribution et de satellite sont tenues de verser un pourcentage de leurs revenus sous forme de redevance aux fonds de production et de contribution à la programmation locale qui appuient le développement et la production de contenu canadien. Les radiodiffuseurs commerciaux et les entreprises de radio par satellite consacrent une partie de leurs revenus annuels au soutien d’initiatives de développement de contenu canadien, y compris le contenu musical. Ces contributions totalisaient 3,4 milliards de dollars en 2019.

Cependant, la perturbation numérique et la concurrence des diffuseurs en ligne menacent ce soutien. La concurrence croissante des radiodiffuseurs en ligne entraîne une diminution des revenus et des services traditionnels, les revenus de la radiodiffusion traditionnelle ayant diminué de 1,5 % entre 2018 et 2019. En fin de compte, cela entraînera une diminution du financement de la musique et de la programmation canadiennes.

La domination changeante du marché est illustrée par Netflix, qui est maintenant présent dans 62 % des foyers canadiens et a généré 1 milliard de dollars de revenus en 2019. Les projections internes du ministère révèlent que la baisse de revenus de la radiodiffusion commerciale devrait entraîner une baisse de production du contenu télévisuel canadien de 34 % de 2018 à 2023.

Honorables sénateurs, encore une fois, j’aimerais revenir sur ce point important. Si le CRTC exige que les télédiffuseurs en ligne contribuent au contenu canadien à un taux semblable à celui des télédiffuseurs traditionnels, les contributions des télédiffuseurs en ligne à la musique et aux histoires canadiennes pourraient atteindre jusqu’à 830 millions de dollars de nouveaux revenus par année d’ici 2023.

Les médias sociaux sont devenus un lieu important pour accéder à la programmation, y compris la programmation musicale et audiovisuelle. YouTube est devenue l’application de diffusion musicale en continu la plus utilisée par les personnes de tous les âges, l’utilisation active hebdomadaire étant la plus élevée chez les 16 à 19 ans, avec un taux de pénétration de 70 %.

Chers collègues, comme je l’ai indiqué plus tôt, le Bloc québécois et le NPD ne cachent pas leur mépris envers cette Chambre et voudraient bien qu’on se fie à leur analyse du projet de loi, qu’on l’accepte aveuglément et qu’on ne lui accorde pas le second examen sérieux qu’il mérite.

Je crois que nous devons aller de l’avant.

Lors des délibérations du comité de l’autre endroit, on a beaucoup parlé de la liberté d’expression. J’aimerais faire des observations à ce sujet. La Loi sur la radiodiffusion comprend une disposition disant expressément que la loi doit être interprétée de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance en matière de journalisme et de création. C’est une disposition qui existe depuis 30 ans. Lors des travaux du Comité permanent du patrimoine canadien, le gouvernement a ajouté une disposition qui réaffirme que cette protection s’applique plus précisément aux entreprises de médias sociaux.

L’énoncé concernant la Charte et l’analyse de l’amendement par le ministère de la Justice du Canada confirment que le projet de loi C-10 ne porte pas atteinte à la liberté d’expression. Ce projet de loi uniformise les règles du jeu et oblige les géants du Web à contribuer à la production d’émissions et d’œuvres musicales canadiennes. Je répète : il ne porte pas atteinte à la liberté d’expression.

Le projet de loi C-10 profitera à nos artistes et à nos créateurs canadiens partout au pays. Ce projet de loi mettra aussi à jour les dispositions sur la surveillance et le partage de renseignements afin de renforcer le rôle du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) en tant qu’organisme de réglementation moderne et indépendant, prêt pour le XXIe siècle.

Le ministère du Patrimoine canadien organisera une séance d’information la semaine prochaine.

Je veux fournir une liste de personnes et d’organisations qui sont en faveur de cette mesure législative, qui obtient un très vaste appui des intervenants de l’industrie : Peter Grant, avocat-conseil et ancien président du groupe du droit de la technologie, des communications et de la propriété intellectuelle chez McCarthy Tétrault; Janet Yale, présidente du Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications; Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal et premier titulaire de la Chaire L.R. Wilson en droit des technologies de l’information et du commerce électronique; la Coalition pour la diversité des expressions culturelles; l’Alliance nationale de l’industrie musicale; l’Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française; la Canadian Actors’ Equity Association, et j’en passe.

Je vous exhorte donc à renvoyer ce projet de loi au comité pour qu’il puisse être analysé et que nous puissions faire le second examen objectif que je crois qu’il mérite.

Merci.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénateur Dawson, quelques sénateurs aimeraient vous poser des questions. Accepteriez-vous de répondre à des questions?

Le sénateur Dawson [ - ]

Oui, Votre Honneur.

L’honorable Pamela Wallin [ - ]

Je suis en désaccord avec plusieurs choses que vous venez de dire, sénateur Dawson.

J’ai des questions à propos des atteintes à la liberté d’expression des gens. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi l’article 4.1 a été délibérément retiré du projet de loi, en dépit des demandes répétées de tiers et des députés eux-mêmes?

Il s’agissait de la disposition d’exemption du contenu généré par les utilisateurs. En l’excluant et en refusant d’inclure une disposition de protection, les gazouillis, les publications sur Facebook et sur YouTube, et ainsi de suite, sont sujets à la découvrabilité par les géants de la technologie.

Pourquoi cette section a-t-elle été supprimée?

Le sénateur Dawson [ - ]

Lorsque le gouvernement est minoritaire et qu’il est dans une situation minoritaire dans un comité, il faut faire des compromis. Plusieurs partis, y compris les conservateurs, ont demandé de se pencher sur cette question pour essayer de l’encadrer. Au fil du travail, il y a eu un va-et-vient d’amendements — c’est une des raisons pour lesquelles j’estime que nous devons faire un examen objectif de ce projet de loi —, et je pense que nous devons les réexaminer.

Croyez-moi, cette disposition ne s’applique pas aux gens, elles s’appliquent aux organisations. La liberté de parole et d’expression n’est pas menacée par ce projet de loi.

Nous appliquons simplement les mêmes règles aux réseaux sociaux que nous avions déjà pour la radiodiffusion et les émissions radiophoniques depuis 50 ans. Le CRTC mène cette mission depuis toujours et n’a jamais étouffé la liberté d’expression, et je ne crois pas que nous devrions nous inquiéter de la liberté d’expression du fait que des sociétés américaines seront désormais concernées.

La sénatrice Wallin [ - ]

J’ai une question complémentaire.

Je crains que ce ne soit tout simplement pas le cas. C’est le gouvernement lui-même qui a supprimé l’article 4.1. Je ne crois donc pas que vous puissiez attribuer cela à l’opposition ou aux détracteurs.

L’étude de ce projet de loi a été suivie très attentivement, même si bon nombre des audiences ont été tenues sans préavis. Des amendements ont été « adoptés » — et je mets cela entre guillemets — en secret, sans la moindre présentation de leur libellé.

Nous venons d’examiner ce projet de loi et l’article 4.1 n’y figure pas. On peut confier la surveillance du contenu généré par les usagers aux entreprises de technologie. Cette possibilité existe toujours : la possibilité que les géants de la technologie assurent cette surveillance au nom du CRTC, du gouvernement ou d’autres intérêts particuliers.

Je reviens à la question fondamentale. Si vous croyez que la liberté d’expression est protégée, alors pourquoi n’a-t-on pas conservé l’article 4.1 pour la protéger?

Le sénateur Dawson [ - ]

Comme je l’ai dit, des amendements ont été présentés à l’étape de l’étude en comité. Comme vous le savez, le gouvernement a modifié son propre projet de loi parce qu’il subissait des pressions extérieures pour qu’il clarifie certains éléments, et c’était l’un d’entre eux.

Je répète que le CRTC ne se voit pas confier de nouveaux pouvoirs pour contrôler la liberté d’expression. Oui, il y a un rétablissement de l’égalité entre les radiodiffuseurs et les sociétés comme Netflix et Google. Les particuliers qui publient des vidéos de chaton sur Google ne seront pas soumis à ce contrôle. Les sociétés qui utilisent ces choses — si elles en tirent un profit et ne partagent pas ces revenus avec les Canadiens — devront respecter les nouvelles règles. Elles participeront au financement des artistes et des producteurs canadiens, et je crois que c’est tout à fait normal.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénatrice Wallin, un autre sénateur veut poser une question. S’il reste du temps, je reviendrai à vous.

La sénatrice Wallin [ - ]

Merci.

L’honorable Leo Housakos [ - ]

Sénateur Dawson, je vous remercie de votre allocution.

Cette mesure législative compte peu d’éléments auxquels je souscris, mais je reconnais que vous en êtes le parrain, non l’auteur. Nous devons l’examiner et, dans la mesure du possible, l’améliorer, l’élaguer et faire en sorte qu’elle atteigne l’objectif initialement visé.

Sénateur, avant que j’aborde le contenu du projet de loi, j’aimerais parler de méthode. Vous siégez au Sénat depuis longtemps et vous avez également siégé à la Chambre des communes. Je suis fort préoccupé par ce qu’on pourrait essentiellement qualifier de processus législatif secret à la Chambre des communes. A-t-on déjà vu un comité de la Chambre des communes qui siège à huis clos proposer des amendements que le Président de la Chambre juge irrecevables?

Sénateur Dawson, je sais que vous souscrivez au principe de la suprématie du Parlement. Pouvez-vous nous faire part de vos observations? Êtes-vous, comme la sénatrice Wallin, d’autres collègues et moi, préoccupé par la méthode utilisée à l’autre endroit pour que ce projet de loi arrive coûte que coûte à la fin du processus législatif ici au Sénat?

Le sénateur Dawson [ - ]

Je dois vous corriger, Sénateur Housakos. Les travaux concernant les amendements ont eu lieu en public et ont été diffusés sur la chaîne CPAC dans le cadre de la diffusion parlementaire; ils ne se sont pas faits pendant une séance à huis clos. De toute évidence, puisque le Président a dû annuler la décision que le comité avait prise pour dire au président de procéder de cette façon, le Règlement a été appliqué. Voilà pourquoi le Président l’a fait. Le processus a été repris et les amendements ont été étudiés de nouveau en respectant la structure des amendements à la Chambre.

Évidemment, comme on avait imposé l’attribution de temps, le comité n’allait pas débattre des 100 amendements car, comme je l’ai dit, il disposait de cinq heures pour en débattre. Il était impossible de débattre de chacun des amendements en cinq heures puisque — et je ne suis pas partisan — les conservateurs avaient manifestement pour objectif de faire de l’obstruction pour empêcher l’adoption des amendements. Ils ont réussi. La communication a été rompue parce que le comité n’a pas respecté la décision de son président, après quoi le Président a invalidé la décision du comité.

Tout cela n’a pas été fait en secret, et puisque vous en parlez, ce n’était pas un secret.

Le sénateur Housakos [ - ]

Sénateur Dawson, ce n’est pas une question de partisanerie. La question est de savoir comment, pour la première fois dans l’histoire du Parlement, la présidence libérale d’un comité parlementaire a été renversée par ses propres membres qui ont tenté de faire approuver à toute vitesse des amendements dans une réunion à huis clos. Vous avez tout à fait raison : Dieu merci pour le rappel au Règlement soulevé par les conservateurs. Encore une fois, le Président de la Chambre a fait la bonne chose.

Ma question, pour en revenir au sujet discuté, concerne le ministre du Patrimoine canadien, qui déclare constamment que le projet de loi C-10 permettra d’investir 830 millions de dollars par année dans la culture canadienne. Pourtant, il refuse toujours de fournir la formule qu’il a utilisée pour en arriver à ce montant.

Lors d’un débat à la Chambre cette semaine, le secrétaire parlementaire a déclaré que le projet de loi C-10 devait être adopté pour que le gouvernement sache quelles sont les recettes des fournisseurs de services de diffusion en continu au Canada. Si c’est le cas, comment peut-il connaître la somme d’argent obtenue grâce au projet de loi? Sur quoi fonde-t-on les promesses faites au secteur des arts avec de tels chiffres?

Le sénateur Dawson [ - ]

Évidemment, comme les services de diffusion en continu ne sont pas soumis aux dispositions de divulgation du CRTC, une partie de ce qui a été dit repose sur des spéculations. Une fois de plus, je vous invite à écouter les séances d’information lundi.

Une des raisons pour lesquelles nous renvoyons le projet de loi à un comité est pour que vous ayez la possibilité de demander au ministre d’expliquer comment il a obtenu ce chiffre. Essentiellement, une des raisons pour lesquelles ces chiffres sont contestés est que nous savons combien certaines entreprises gagnent; toutefois, il est difficile de savoir le montant qui sera redistribué au contenu canadien, car cela dépendra de la quantité de contenu canadien qui n’est pas payé en ce moment.

Le sénateur Housakos [ - ]

Sénateur Dawson, l’ensemble de ce projet de loi semble plutôt spéculatif. Les chiffres semblent peu fiables, puisque nous ne savons pas comment ils sont calculés. Beaucoup de gens répètent, comme vous l’avez fait dans votre discours, qu’il suffit de vous faire confiance et que la liberté d’expression ne sera nullement en péril.

Je vous ai aussi entendu dire que ce projet de loi renforcerait la diversité et la présence des groupes minoritaires. Je crois personnellement qu’à l’heure actuelle, la Loi sur la radiodiffusion ne renforce pas la voix des minorités, notamment celle des communautés multiculturelles. Le premier ministre et d’autres députés de son parti répètent souvent que la diversité fait notre force, et je suis d’accord. Des gens répètent que ce projet de loi protégera la diversité, notamment la voix des Autochtones et des personnes LGBTQ. Selon mon évaluation, le projet de loi C-10 aura plutôt pour effet de nuire à la diversité, ce qui est paradoxal. La façon de définir le contenu canadien forcera les créateurs autochtones et LGBTQ à adapter leur contenu en fonction des gens avec lesquels, de l’avis du CRTC, ils devraient travailler.

Comment cela aidera-t-il les minorités à faire entendre leur voix, sénateur Dawson?

Le sénateur Dawson [ - ]

La première réalité, c’est que tout le monde aura beaucoup plus d’argent à sa disposition et obtiendra sa juste part, qui sera déterminée d’avance. Évidemment, les lois sur la radiodiffusion, rédigées il y a 30 ans, ont besoin d’être modernisées en grande partie. C’est l’un des objectifs du projet de loi.

J’essaie de trouver le chapitre, mais je vais donner des directives au Conseil privé au sujet des mandats clairs à confier au CRTC sur la manière dont cela s’appliquera, après consultation, aux groupes, aux industries et aux personnes concernées, qui sont essentiellement les artistes.

La sénatrice Wallin [ - ]

Honorables sénateurs, j’aimerais revenir sur certaines observations formulées par le sénateur Dawson.

Sénateur Dawson, vous dites que l’étude effectuée par la Chambre des communes était publique. Il est vrai que les audiences du comité étaient télédiffusées. Le problème, c’est que la discussion, le débat et les amendements étaient secrets. Les amendements étaient écrits sur des bouts de papier, et il fallait voter pour l’amendement no 1, le no 2 ou le no 3. Même les membres du comité n’étaient pas autorisés à voir cela. Il est tout simplement scandaleux que l’on ait présenté un projet de loi ainsi construit.

Le ministre lui-même a dit, à l’occasion, que le but était la découvrabilité, pour que nous — qui que soit ce « nous » de majesté — puissions voir le contenu des messages en ligne, des gazouillis et des vidéos publiées sur YouTube. Le gouvernement veut pouvoir surveiller ce contenu et prendre des décisions à son égard. Il ne le fera pas nécessairement lui-même, mais plutôt sous les auspices du CRTC ou, pis encore, par l’entremise des services de diffusion en continu eux-mêmes. Ainsi, on pourrait se mettre à censurer le contenu qu’on n’aime pas.

En quoi cela équivaut-il à préserver, à sauvegarder ou à protéger la liberté d’expression? C’est tout simplement illogique.

Le sénateur Dawson [ - ]

Cela m’étonne que la question vienne de quelqu’un comme vous, qui a travaillé si longtemps dans le domaine des médias.

La sénatrice Wallin [ - ]

C’est exactement pour cela que je pose la question.

Le sénateur Dawson [ - ]

Pourriez-vous me donner des exemples de cas où le CRTC vous a dit ce que vous étiez autorisé à dire ou ne pouviez pas dire? Ce n’est vraiment pas de cela qu’il s’agit.

La seule chose que fera le projet de loi, c’est appliquer au contenu d’Internet les mêmes règles qui vous sont appliquées. Il ne s’agit pas d’étrangler la liberté d’expression. Vous aurez les mêmes libertés que vous aviez lorsque vous émettiez en tant que radiodiffuseur depuis chez vous. Votre balado en est un bon exemple. Personne ne le bloquera, mais si les balados canadiens commencent à gagner de l’argent avec des programmes produits par des Canadiens, le CRTC voudra sa juste part des revenus. C’est le seul objectif de cet ajout au projet de loi.

La sénatrice Wallin [ - ]

Il y avait un moyen beaucoup plus simple de faire cela, qui semblait contenter tout le monde. Si vous voulez plus d’argent pour générer plus de contenu canadien ou francophone — ce qui semble être la priorité du ministre —, il suffit d’imposer une taxe pour les géants du Web, et voilà l’argent. Vous n’avez pas besoin de passer par ce chemin détourné pour faire du contenu généré par l’utilisateur une source possible de revenus. Il y a un moyen d’obtenir ces revenus.

Le sénateur Dawson [ - ]

Vous soutenez que beaucoup de personnes ne croient pas que ce projet de loi est la bonne solution. Or, il a été adopté par la Chambre des communes, ce qui signifie que la majorité des députés ne partage pas cet avis.

Depuis le début du débat, tout le monde mentionne que cette mesure législative est un premier pas. Nous devons examiner la Loi sur les télécommunications et toutes les autres lois, mais ce projet de loi est la première étape dans la modernisation de la Loi sur la radiodiffusion. Comme je l’ai dit, cette dernière ne mentionne aucunement Internet parce qu’elle a été rédigée avant qu’il devienne l’outil puissant qu’il est actuellement.

Ces modifications à la loi signifient que davantage de personnes toucheront des revenus parce que nous obtiendrons de l’argent d’organisations qui n’en donnaient pas auparavant. Je le répète : ce n’est pas uniquement une question d’ordre fiscal. Il ne s’agit pas de donner de l’argent au gouverneur en conseil. Le projet de loi aidera plutôt les artistes parce qu’ils pourront obtenir leur juste part de ces revenus.

L’honorable Donna Dasko [ - ]

Honorables sénateurs, il est bon que le gouvernement donne une autre séance d’information. J’en ai parlé à la secrétaire parlementaire en avril dernier, avant la présentation des amendements. Elle m’avait promis qu’il y aurait une séance d’information. J’ai hâte d’y assister.

J’ai une question à poser au sénateur Dawson à propos du contenu canadien. Des représentants des radiodiffuseurs ont donné leur avis sur le sujet au Groupe des sénateurs indépendants et à d’autres personnes. Certains d’entre eux ont notamment affirmé qu’ils souhaitent un allègement des règles sur le contenu canadien. Ils espèrent que ce projet de loi ou les mesures qui le suivront supprimeront une partie de leurs obligations actuelles.

J’aimerais vous entendre à ce sujet. Pensez-vous que c’est ce qui se passera? Comment un tel allègement cadrerait-il avec la réglementation des services en ligne en ce qui concerne le contenu canadien? Merci.

Le sénateur Dawson [ - ]

Merci, sénatrice Dasko. Je pourrais continuer à énumérer les personnes qui soutiennent le projet de loi et qui ne sont pas d’accord avec vous. Je ne sais pas qui vous avez invité à vos rencontres. De mon côté, j’ai rencontré un grand nombre de ces organisations, et tout le monde reconnaît qu’il contient des lacunes. Personne ne dit que le projet de loi est parfait. C’est un pas dans la bonne direction. Si toutes ces organisations qui survivent grâce à l’existence de cette mesure législative et si tous ces intervenants soutiennent cette solution, je ne vois pas pourquoi nous serions préoccupés. Bien sûr, il y aura toujours des avis divergents.

En ce qui concerne la définition de contenu canadien, je le répète : c’est un compromis. Vous aurez l’occasion d’en savoir plus lors de la séance d’information lundi prochain. Étant donné que vous êtes membre du Comité des transports et des communications, je serais très heureux que vous posiez ces questions.

Tout d’abord, comme je ne suis pas membre de votre caucus, je n’ai pas été invité à ces séances d’information. Je ne suis donc pas au courant des informations qui vous y ont été fournies.

La sénatrice Dasko [ - ]

Les informations dont on nous a fait part ne sont pas secrètes. Il s’agit des positions publiques des intervenants qui sont venus nous parler ainsi qu’à d’autres personnes, qui se sont exprimés publiquement et ainsi de suite.

Je m’interroge simplement sur leur allègement souhaité des règles sur le contenu canadien à l’avenir. C’est tout ce que je veux savoir. Cette information n’est pas secrète. Ce sont des positions publiques qu’ils ont prises.

Ils disent vouloir un allègement des règles sur le contenu canadien en raison des conditions onéreuses actuelles, qui sont attribuables à l’environnement économique dans lequel ils se trouvent et dont vous avez parlé dans votre discours. Je vous demande simplement si vous envisagez cette possibilité à l’avenir, c’est tout.

Le sénateur Dawson [ - ]

Tout d’abord, je serai modeste en disant que je ne fais pas partie du gouvernement, alors je dois limiter ce que je peux vous promettre.

Je peux vous donner une copie de la liste des personnes qui ont appuyé le projet de loi. J’ignore qui a fait cette déclaration. Bien sûr, je ne suis pas contre le fait que vous avez tenu des séances d’information. J’encourage le plus de gens possible à en apprendre autant qu’ils le peuvent sur le projet de loi, mais je ne peux pas me prononcer sur des gens alors que je n’étais même pas là. Je sais qu’on a déployé beaucoup d’efforts afin de mener des consultations pour le projet de loi, et j’en suis reconnaissant. Je crois que nous aurons l’occasion d’utiliser ces consultations plus tard, et on répondra convenablement à vos questions.

Comme je l’ai mentionné et parce que c’est vrai, on a parlé de certaines de ces lacunes au comité de l’autre endroit. Au bout du compte, en dépit de ces lacunes, trois partis sur quatre à la Chambre des communes, représentant la majorité des parlementaires, ont appuyé le projet de loi, puis ils nous l’ont renvoyé pour que nous l’étudiions. Selon moi, si l’autre endroit a adopté le projet de loi, cela doit répondre en partie à votre question.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénateur Housakos, souhaitez-vous poser une autre question?

Le sénateur Housakos [ - ]

Oui. Sénateur Dawson, j’ai une ou deux autres questions pour vous.

Le sénateur Dawson [ - ]

Sénateur Housakos, comment puis-je refuser?

Le sénateur Housakos [ - ]

Vous êtes toujours bienveillant, sénateur Dawson.

Je ne vous fais pas de reproche puisque vous n’êtes pas l’architecte du projet. Je vous remercie de reconnaître que c’est un projet de loi qui doit faire l’objet d’une étude.

Vous avez souligné à plusieurs reprises que nous n’avons pas à nous inquiéter de la liberté d’expression, que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes continuera de faire ce qu’il a toujours fait, soit étendre et appliquer ces règles, bien sûr, à d’autres plateformes.

Le fait est, comme vous l’avez reconnu, qu’il s’agit d’une loi sur la radiodiffusion désuète et que les temps ont radicalement changé. L’approche est très différente. Cela n’a rien à avoir avec la réglementation, par le Conseil, des diffuseurs traditionnels, classiques. Il s’agit de réglementer les nouvelles plateformes. Twitter est une nouvelle plateforme. YouTube est une nouvelle plateforme. Les jeunes Canadiens — pas notre génération, sénateur Dawson — font désormais partie intégrante de ces plateformes et ils tiennent à ce que leurs libertés soient protégées.

J’aimerais savoir ce que vous pensez du fait que le Conseil poursuive ses activités comme si de rien n’était, et que nous devons simplement croire qu’il n’empiétera pas sur la liberté d’expression des particuliers sur diverses plateformes.

Brian Wyllie, de Calgary, est un joueur chevronné de jeux vidéo qui a 1 million d’abonnés à son compte Twitch. La Montréalaise Kiana Gomes a créé une entreprise en bonne et due forme au moyen de TikTok. Justin Bieber — je pense que vous avez déjà entendu parler de lui —, offre du contenu canadien ayant une visibilité internationale. Il y a aussi Shawn Mendes et Lilly Singh. Ce sont tous des Canadiens qui ont bâti leur succès avec des plateformes comme YouTube, cette nouvelle plateforme qui terrifie tant les diffuseurs traditionnels canadiens. Aujourd’hui, ces artistes ne seraient pas assez « Canadiens » en vertu de la nouvelle loi, en raison de cette exigence de pourcentage de contenu canadien pour réduire les écarts.

Sénateur Dawson, pourrais-je connaître votre point de vue au sujet de ces deux aspects?

Le sénateur Dawson [ - ]

Premièrement, je répète que la modernisation ne s’applique pas uniquement aux nouveaux diffuseurs. Elle s’applique aussi aux diffuseurs traditionnels. Le ministre donnera des directives au CRTC pour clarifier ce point. Cela sera intégré dans le processus de consultation des joueurs prévu dans le projet de loi. Tout cela sera clarifié.

En ce qui a trait à la question hypothétique des gagnants et des perdants en lien avec l’arrivée d’Internet, il est évident que beaucoup de ces gens n’auraient pas eu autant de visibilité. S’ils avaient obtenu des revenus garantis dès le départ parce que la loi aurait été applicable à Internet — évitant que des milliards de dollars ne soient détournés des diffuseurs canadiens —, les artistes canadiens et les distributeurs canadiens n’auraient pas eu à s’en remettre aux entreprises américaines. Ces milliards de dollars auraient plutôt été envoyés aux artistes, aux producteurs et aux organisations du Canada.

L’honorable Patricia Bovey [ - ]

Sénateur Dawson, je me demande si vous pourriez remonter un peu dans le temps. J’ai sous les yeux le rapport de la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada, publié en 1951. On y dit que la télévision représente un dangereux rival pour d’autres médias de masse et on souligne le rôle important qu’elle pourrait jouer pour les artistes.

Je me demande si certaines des préoccupations dont nous discutons actuellement sont semblables à celles qui ont été soulevées, à la fin des années 1940, à propos de cette nouvelle technologie qu’était la télévision.

Le sénateur Dawson [ - ]

Je citerai encore une fois un extrait de l’entrevue que j’ai accordée en 1982 sur ce même enjeu :

Si on ne met pas en place de nouvelles politiques, l’industrie sera confrontée à une nouvelle concurrence technologique et mondiale qui risque de détruire l’infrastructure servant à la production de programmes canadiens.

Ce n’est pas la première fois que ces enjeux sont soulevés. La modernisation de 1991 devait les régler. Trente ans ont passé depuis, et il faut maintenant mettre à jour la réglementation. Si nous avons l’industrie culturelle qui est la nôtre aujourd’hui, c’est parce que les deux partis qui ont été alors au pouvoir se sont servis de ces outils pour aider l’industrie canadienne de la production et de la culture.

J’espère que les gens appuieront ce projet de loi, car, en ce moment même, des fonds qui pourraient aider les artistes, les producteurs et les distributeurs d’ici s’en vont à l’étranger.

L’honorable Tony Loffreda [ - ]

Honorables sénateurs, je veux faire quelques remarques sur le projet de loi C-10, qui vise à moderniser la Loi sur la radiodiffusion, en deuxième lecture. L’un de ses principaux objectifs est d’étendre la portée de la loi aux entreprises offrant du contenu audio ou audiovisuel en ligne et de donner de nouveaux pouvoirs au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pour qu’il puisse réglementer ce contenu.

Comme vous le savez, la Loi sur la radiodiffusion a été adoptée en 1991. À l’époque, nous n’avions pas de téléphones intelligents, Mario Lemieux avait gagné sa première coupe Stanley, et la TPS venait de faire son apparition. Nous en avons fait du chemin. Mario Lemieux a maintenant cinq coupes Stanley à son actif.

Par ailleurs, la façon dont nous regardons, écoutons et consommons ce contenu audio et audiovisuel a changé considérablement en 30 ans. Internet et les technologies numériques se sont développés à la vitesse de l’éclair, ce qui a eu des conséquences majeures sur les diffuseurs traditionnels. Il ne fait aucun doute qu’il est grand temps de moderniser la Loi sur la radiodiffusion, et je suis heureux d’avoir l’occasion de participer au débat sur le projet de loi C-10.

Mon intention n’est pas de commenter certaines des questions controversées qui ont été soulevées depuis que le projet de loi a été présenté en novembre dernier, à savoir les dispositions qui, selon certains, censureront l’Internet ou restreindront la liberté d’expression. Je ne suis pas en mesure de faire des commentaires sur ces questions à ce stade précoce de l’étude du projet de loi par le Sénat. J’ai pleinement confiance dans le fait que nos collègues qui siègent au comité qui étudiera ce projet de loi feront un travail remarquable et étudieront le texte de loi en profondeur.

Je conviens que le projet de loi mérite une étude approfondie du comité. Je pense que maintenant, plus que jamais, le Sénat a l’occasion de passer outre à tout le bavardage et de prendre le temps nécessaire pour examiner ce projet de loi, en adoptant une approche indépendante et non partisane.

Aujourd’hui, je veux axer mon intervention sur une question qui a suscité peu d’intérêt à l’autre endroit et qui, à mon humble avis, mérite l’attention du Sénat. Dans son document d’information sur le projet de loi C-10, le gouvernement déclare :

On y reconnaît que le système canadien de radiodiffusion, tant dans son contenu que dans les possibilités d’emploi qui découlent de ses activités, devrait répondre aux besoins et aux intérêts de toute la population canadienne, c’est-à-dire les francophones, les anglophones, les Autochtones, les Canadiens et Canadiennes issus de groupes racisés et de diverses origines ethnoculturelles, conditions socioéconomiques, capacités et incapacités, orientations sexuelles, identités et expressions de genre et de tous âges.

Malgré cet objectif louable, certains groupes et particuliers au sein des communautés ethnoculturelles et racisées du Canada estiment que la Loi sur la radiodiffusion ne permet pas d’inclure et de refléter adéquatement leurs contributions au système de radiodiffusion canadien, et le projet de loi C-10 ne permet pas non plus d’y remédier complètement.

Selon certains intervenants, y compris la Canadian Ethnocultural Media Coalition, qui regroupe le Conseil ethnoculturel du Canada, la Canadian Ethnic Media Association, l’Ethnic Channels Group et le TLN Media Group, la Loi sur la radiodiffusion et le projet de loi C-10 ne permettent pas aux communautés racisées du Canada de participer pleinement et équitablement au système de radiodiffusion.

Le projet de loi C-10 propose de modifier le sous-alinéa 3(1)d)(iii) de la loi pour préciser que le système canadien de radiodiffusion :

[...] par sa programmation et par les chances que son fonctionnement offre en matière d’emploi, [répond] aux besoins et aux intérêts de l’ensemble des Canadiens — notamment des Canadiens qui sont issus des communautés racisées ou qui représentent la diversité de par leurs antécédents ethnoculturels [...]

Cependant, le projet de loi C-10 vise seulement les programmes et les emplois, et non les exploitants et les propriétaires de services de radiodiffusion qui s’adressent aux minorités ethnoculturelles et racisées. Selon moi, cette modification vise à s’assurer que la diversité est reflétée à l’écran, sur les ondes et au sein de la main d’œuvre, mais on ne prévoit pas accorder de l’aide, des garanties ou un traitement équitable aux médias ethniques. Je crois qu’il faut se pencher davantage là-dessus au comité.

De plus, le projet de loi C-10 comprend une nouvelle section, le sous-alinéa 3(1)(d)(iii), qui stipule que le système canadien de radiodiffusion doit offrir des possibilités aux Autochtones en vue de l’exploitation d’entreprises de radiodiffusion et de la production d’une programmation en langues autochtones, en français, en anglais ou toute combinaison de ces langues.

J’appuie fermement cette disposition, mais je pense qu’elle ne va peut-être pas assez loin et qu’elle laisse en plan un segment important de la population qui voudrait produire du contenu dans une langue autre que le français, l’anglais ou une langue autochtone.

Des représentants des secteurs canadiens de la radiodiffusion et des médias ethnoculturels avec lesquels j’ai discuté considèrent qu’il serait justifié de proposer un amendement qui assurerait la création de contenu pour les communautés ethniques et son accès par celles-ci. Un très grand nombre de médias partout au pays proposent du divertissement perspicace et de qualité dans d’autres langues, qui mérite d’être reconnu et protégé par la Loi sur la radiodiffusion.

En outre, un des amendements proposés au projet de loi C-10 veut changer le sous-alinéa 3(1)(k) sur la politique canadienne de radiodiffusion. Cette section indique qu’« une gamme de services de radiodiffusion en français et en anglais doit être offerte à tous les Canadiens. » Il pourrait y avoir lieu d’élargir cet énoncé pour inclure diverses langues. Je crois qu’il s’agit là aussi d’un élément qu’il vaut la peine d’examiner au comité.

Les prévisions indiquent que les minorités visibles pourraient représenter environ 30 % de la population canadienne d’ici 2031, et le Canada veut accueillir plus de 1 million de nouveaux immigrants au cours des trois prochaines années. À mon avis, cela justifie la nécessité de prendre au moins en considération ce que les organismes ethnoculturels suggèrent comme modifications à la Loi sur la radiodiffusion en matière d’inclusion et de diversité.

Chers collègues, il était important pour moi de soulever brièvement la question à l’étape de la deuxième lecture dans l’espoir qu’elle pique votre curiosité et, espérons-le, qu’elle mette en lumière une question qui a été étouffée par toute la controverse entourant le projet de loi C-10.

J’espère que le comité qui sera chargé d’étudier le projet de loi C-10 envisagera sérieusement de se pencher sur la question et qu’il lancera une invitation à tout témoin pertinent qui pourrait en parler. Je pense que c’est le moins que nous puissions faire, puisque ces personnes n’ont pas eu l’occasion de comparaître devant la Chambre des communes.

Je vous remercie, meegwetch.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénateur Housakos, souhaitez-vous poser une question?

Le sénateur Housakos [ - ]

Le sénateur Loffreda accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Loffreda [ - ]

Oui.

Le sénateur Housakos [ - ]

Sénateur Loffreda, je vous remercie de votre discours réfléchi et, surtout, d’avoir souligné l’étroitesse du champ d’application du projet de loi et le fait qu’il entrave les voix minoritaires extrêmement importantes du Canada, comme les communautés ethnoculturelles, les peuples autochtones et d’autres groupes.

Je tiens également à aborder un autre sujet. Je comprends que le gouvernement voudrait nous faire croire que la suppression du fameux article dont nous discutons de part et d’autre, soit l’article 4.1, est pertinente parce que les utilisateurs individuels sont protégés par d’autres articles. Combien de fois le sénateur Dawson nous a-t-il demandé de lui faire confiance? Je fais évidemment confiance au sénateur Dawson, mais je ne fais pas confiance ni au CRTC ni à des bureaucrates qui auraient seulement à rendre des comptes à l’exécutif.

Cependant, grâce à la découvrabilité et au fait que cette loi accorde au CRTC le pouvoir d’obliger les plateformes à élaborer et à utiliser des algorithmes qui déterminent la priorité du contenu en fonction des sujets qui devraient être prioritaires, la vérité est que le contenu n’est pas protégé. C’est clairement indiqué : c’est écrit noir sur blanc quand vous lisez le projet de loi. Le contenu apparaîtra en tête des suggestions de visionnement, non pas en fonction de ce que le consommateur regarde ou recherche habituellement, mais en fonction de ce que le CRTC pense qu’il devrait regarder.

En quoi est-ce neutre? Convenez-vous que ce n’est pas neutre, comme ils le prétendent?

Le sénateur Loffreda [ - ]

Je vous remercie de votre question, sénateur Housakos. Comme je l’ai mentionné aujourd’hui dans mon discours, mon intention n’est pas de commenter certains des aspects les plus controversés. Ils sont nombreux; nous sommes tous au courant de ce dossier.

Cependant, je souscris à ce qui a été dit et à ce que le sénateur Dawson a déclaré : ce projet de loi doit être soumis à un examen approfondi en comité. Encore une fois, le Sénat a la possibilité d’améliorer la mesure législative, de l’étudier comme il se doit et d’inviter des témoins qui répondront à votre question et qui répondront à vos inquiétudes — et aux miennes — à l’égard de ce projet de loi. Je fais entièrement confiance au comité. Les sénateurs sont compétents et ils font de l’excellent travail. Attendons de voir le rapport du comité.

Le sénateur Housakos [ - ]

Merci, sénateur Loffreda.

Le sénateur Loffreda [ - ]

Merci.

Honorables sénateurs, nous avons entamé aujourd’hui le débat sur le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

Comme son nom plutôt long l’indique, le projet de loi C-10 est un ensemble de modifications importantes à la Loi sur la radiodiffusion du Canada. Cette loi n’a pas été modifiée de façon importante depuis 30 ans. À l’époque, nous regardions tous des émissions à la télévision, nous écoutions de la musique à la radio et nous louions des films chez Blockbuster. Internet en était encore à un stade expérimental et il comptait quelques utilisateurs précoces qui utilisaient un accès par ligne commutée. Les téléphones étaient fixés au mur et servaient à passer des appels téléphoniques. Parallèlement, nous avions des règlements stricts en matière de contenu canadien et des exigences rigoureuses en matière de propriété canadienne pour les radiodiffuseurs et les télédiffuseurs commerciaux dont la programmation était réglementée par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou le CRTC.

Aujourd’hui, les radiodiffuseurs conventionnels sont plongés dans une crise existentielle. Les stations de radio et de télévision privées de tout le pays sont dans une situation financière très précaire, et bon nombre d’entre elles sont au bord de la fermeture et de l’effondrement, ce qui risque de créer de nouveaux déserts médiatiques dans certaines régions rurales du Canada. Ces stations ont perdu leurs clients publicitaires au profit de sites Web comme Google et Facebook, et leurs auditoires au profit de services de diffusion en continu comme Spotify, de sites de partage de vidéos comme YouTube et de services vidéo qui vont prétendument trop loin, notamment Netflix, Disney+, Prime Video, BritBox et j’en passe. Le CRTC ne réglemente aucun de ces géants internationaux de la diffusion en continu. Techniquement, ils bénéficient d’une exemption officielle, mais la question de savoir si le CRTC a le pouvoir légal de les réglementer demeure en quelque sorte ouverte.

Dans ce contexte, certains pourraient être étonnés d’apprendre que la production cinématographique et télévisuelle canadienne est plus robuste que jamais : en 2018-2019, avant la COVID, les productions ont atteint des niveaux records. Soulignons par exemple que Netflix, qui n’a pas l’obligation légale de produire du contenu canadien, finance une quantité surprenante et non négligeable de productions canadiennes originales. Elle met aussi à la disposition d’un vaste public international des films et des émissions de télévision tels que Schitt’s Creek, Kim’s Convenience et Funny Boy.

Par contre, les productions et le contenu canadiens sont inexistants ou presque dans d’autres services de diffusion en continu spécialisés, comme BritBox. Pour sa part, Disney produit des émissions ici, mais aucune ne comporte des thèmes ou un environnement clairement canadiens.

Le projet de loi C-10 met à la disposition du CRTC un cadre réglementaire plus large. Il conserve un système de licences pour les diffuseurs conventionnels, mais il crée aussi une nouvelle catégorie d’entreprises enregistrées pour les services de diffusion en continu comme Prime et Spotify, qui seraient assujettis à la réglementation du CRTC selon le nouveau cadre proposé.

Cela dit, le projet de loi C-10, ne cherche pas à gérer tous les détails de ce système, du moins en théorie. Il vise à fournir un large cadre réglementaire qui laisserait de nombreuses décisions — la plupart des décisions spécifiques, en fait — à l’organisme de réglementation, le CRTC.

La mise à jour de la Loi sur la radiodiffusion n’est pas une mince affaire. Il y a tellement d’intérêts divergents et d’intervenants qui ont des visions différentes à savoir à quoi sert le projet de loi et à qui il est destiné. Il y a ensuite une question plus vaste : le Canada devrait-il réglementer ou microgérer les entreprises en ligne qui sont hébergées sur des plateformes se trouvant à l’extérieur du Canada?

L’idée de réglementer la radiodiffusion est née durant les balbutiements de la radio, alors que les décideurs canadiens craignaient que le Canada soit envahi par des signaux de radio provenant de l’autre côté de la frontière avec les États-Unis. C’est ce qui a mené à la Commission Aird, dont le nom officiel est la Commission royale de la radiodiffusion, qui a été créée en 1927. Elle a formulé des recommandations en 1929, qui ont mené à la création de CBC/Radio-Canada et du Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion, qui allait devenir le CRTC que nous connaissons aujourd’hui.

En 1929, la logique était relativement simple : il n’y avait qu’un accès limité au spectre de radiodiffusion et une place limitée sur le cadran de la radio AM. Ce spectre était un bien public, et il n’y en avait pas beaucoup pour tout le monde. L’État, par l’entremise de l’organisme de réglementation de la radiodiffusion, a donc joué le rôle de gardien. Il a décidé quelles stations de radio étaient approuvées et quel serait leur contenu général afin de s’assurer que les auditeurs canadiens étaient exposés à un large éventail de contenu en ondes. Cette philosophie a été transposée dans le domaine de la télévision et a servi de base philosophique aux règles musclées de contenu canadien défendues par Pierre Juneau au début des années 1970. Les règles sur le contenu canadien ont beaucoup contribué à soutenir et à promouvoir la production musicale, cinématographique et télévisuelle canadienne à une époque où, une fois de plus, le Canada risquait de voir les Américains prendre le dessus sur ses secteurs de la culture populaire.

Cependant, nous ne sommes pas en 1927. Nous ne sommes pas en 1971. Les technologies auxquelles nous avons affaire aujourd’hui ne sont pas la radio et la télévision. À l’époque, la Couronne avait un lien juridique clair pour réglementer et contrôler le contenu de la radio et de la télévision. Elle était, après tout, responsable du rationnement du nombre limité de stations de radio et de télévision canadiennes. Elle était responsable de la gestion du spectre dans l’intérêt national et public.

Les perturbations numériques ont complètement renversé l’ancien ordre des choses. Au lieu d’un nombre restreint de chaînes voyageant sur les ondes ou de services limités de câblodistribution, nous avons maintenant accès à ce qui semble parfois une gamme infinie d’options : nous pouvons suivre les nouvelles en diffusion continue sur nos ordinateurs portables, nos téléphones et nos tablettes. Les technologies et l’air du temps évoluent constamment. Il y a à peine quelques années, nous commencions à apprivoiser les innovations comme YouTube, Facebook et Netflix. Elles représentent maintenant la vieille garde. Les jeunes branchés passent notamment à TikTok, Discord et Disney+.

De plus, nous n’avons pas seulement accès aux services américains de nos voisins du Sud. Il est possible d’accéder tout aussi facilement à des fournisseurs de contenu en Inde, à Taïwan, en Grande-Bretagne ou en France. Si le service n’est pas officiellement offert au Canada, il suffit d’utiliser un réseau privé virtuel, ou VPN, pour voyager partout dans le monde sans quitter son canapé ou sa terrasse arrière. Il est aussi possible de se tourner vers un abonnement à la télévision par IP, qui permet d’accéder à un monde de contenu international, voire de le pirater.

Dans le contexte actuel, comment le Canada peut-il exercer un pouvoir juridique, un pouvoir moral et, surtout, un pouvoir concret de façon à réglementer les émissions des services internationaux de diffusion en continu qui ne sont pas diffusées sur les ondes canadiennes? Quels sont les moyens juridiques à notre disposition pour réglementer ou promouvoir la production d’émissions par des entreprises internationales? Dans un monde numérique sans frontières, les consommateurs canadiens devraient-ils être libres de regarder n’importe quelle émission en provenance de n’importe quelle région du monde sans ingérence de la part du gouvernement, ou est-ce que les entreprises qui font des affaires au Canada et qui reçoivent de l’argent des consommateurs canadiens peuvent être assujetties à la réglementation canadienne? Voilà la question fondamentale qui se trouve au cœur du projet de loi C-10. Est-il même logique d’essayer de réglementer Internet? Allons-nous essayer d’imposer un modèle uniforme qui date des années 1970 à un médium imprévisible qui fait fi des obstacles, des barrières et des frontières nationales?

Comme l’a si bien dit un de mes concitoyens d’Edmonton, le grand théoricien des communications Marshall McLuhan, le médium est le message. Il entendait par là que le médium lui-même change notre façon d’assimiler l’information que nous recevons et d’y réagir. De façon similaire, on ne peut pas réglementer un médium numérique comme on réglemente un système conventionnel de radiodiffusion ou de câblodistribution; on ne peut pas réglementer convenablement des médias numériques avec des instruments conçus pour les médias analogiques. Les médias numériques sont utilisés différemment, d’une manière moins passive et plus interactive qui privilégie avant tout la possibilité pour le spectateur et le consommateur de choisir et d’interagir.

Une génération du numérique est arrivée à maturité et recherche avec assurance, en ligne, les contenus audiovisuels du monde entier qui l’intéressent. L’époque où nous lisions le guide des émissions de télévision et consommions docilement ce qui était programmé est révolue. Bien sûr, il y aura un schisme générationnel si nous essayons de dire aux jeunes que des surveillants en ligne vont gérer ce qu’ils regardent et entendent.

Au cours des derniers mois, semaines, jours et heures, les discours politiques concernant le projet de loi C-10 se sont quelque peu éloignés de la réalité. Permettez-moi de prendre un instant pour expliquer ce que le projet de loi fait et ne fait pas. Le projet de loi C-10 n’impose pas de quotas de contenu canadien aux services internationaux de diffusion en continu. Il n’exige pas qu’un pourcentage précis des revenus canadiens d’un service de diffusion en continu soit investi au Canada. Malgré ce que vous avez pu entendre — et le sénateur Housakos a tout à fait raison à ce sujet —, il ne crée pas une sorte de merveilleux fonds de production d’un milliard de dollars par an fourni par les services internationaux pour soutenir la production canadienne. Au lieu de cela, le projet de loi donne une grande latitude au CRTC pour élaborer des arrangements appropriés avec chacun des services de diffusion en continu en fonction de ses modèles de programmation uniques. Ne vous méprenez pas : il ne s’agit pas d’une sorte de manne financière instantanée pour les producteurs canadiens.

Le projet de loi C-10 ne réglemente pas directement le contenu des services de diffusion en continu sur Internet. Il n’interdit ni ne réglemente le contenu haineux, les fausses nouvelles politiques ou la pornographie. Il ne confère pas à la Couronne le pouvoir de retirer vos vidéos de YouTube, vos gazouillis de Twitter ou vos publications de Facebook parce qu’ils ne sont pas assez canadiens ou pas assez purs. Malgré ce que vous avez pu lire ou entendre, il ne s’agit pas d’une mesure de censure. Il ne limite pas votre liberté de parole.

Toutefois, le projet de loi augmente considérablement le risque d’obstacles réglementaires. Il pourrait, surtout compte tenu des récents amendements apportés, limiter les services auxquels nous pouvons nous abonner. Nous pouvons débattre, à juste titre, des avantages et inconvénients d’un tel modèle. Le projet de loi, tout récemment amendé, impose un nombre absurde de directives et donne toutes sortes de précisions sur la façon dont les services de diffusion en continu doivent sélectionner, organiser et afficher le contenu canadien. Je crois que ces amendements sont fondamentalement malavisés, et je pense qu’ils découlent d’une méconnaissance de ce qu’est la découvrabilité et du fonctionnement des algorithmes. Cependant, ce n’est pas de la censure par l’État, dans le sens traditionnel du terme.

Le projet de loi C-10 ne réduit ni ne modifie les obligations des radiodiffuseurs conventionnels. Rien dans le projet de loi ne les dispense des quotas de contenu canadien actuels ou de leurs obligations d’investir dans la production télévisuelle et cinématographique canadienne. Le projet de loi ne fait rien non plus pour remédier aux pressions économiques qui mènent à la fermeture des stations de radio et de télévision régionales — pressions qui sont largement liées à l’effondrement des marchés publicitaires et au quasi-monopole que des entreprises comme Facebook et Google détiennent sur les revenus publicitaires canadiens. Même si l’on affirme vouloir rendre les règles du jeu équitables, le projet de loi ne fait pas grand-chose pour aider les radiodiffuseurs ou les câblodistributeurs canadiens ou pour empêcher l’appauvrissement de la production journalistique.

Bref, après toute la série d’amendements de dernière minute, tous les malentendus et toute la désinformation, ce projet de loi a désespérément besoin de faire l’objet d’une étude approfondie et d’une révision complète au Sénat, car de graves questions restent en suspens. Quelle est la meilleure façon de renforcer et de soutenir l’industrie canadienne du cinéma et de la télévision? Comment faire de même pour l’industrie canadienne de la musique? Comment veiller à ce que les scénaristes, les compositeurs, les acteurs, les réalisateurs et les producteurs canadiens puissent avoir la chance de raconter des histoires canadiennes? Comment pouvons-nous préparer nos industries du divertissement à livrer concurrence à l’élite mondiale et à trouver un auditoire au Canada comme à l’étranger? Comment faire en sorte que toutes les communautés du Canada — les communautés autochtones, francophones, ethnoculturelles, rurales et des personnes handicapées — puissent accéder aux choix dont elles ont besoin et qu’elles méritent en matière d’information et de divertissement? En même temps, nous devons veiller à ne pas établir par inadvertance un régime de réglementation qui étouffe l’innovation, qui décourage ou écrase les nouveaux artistes en ligne ou qui les désavantage par rapport aux artistes établis.

Voici la principale question : le protectionnisme culturel est-il toujours le modèle fondamental que nous souhaitons employer en 2021, ou devons-nous effectuer un changement de paradigme au profit d’un modèle qui met l’accent sur la préparation de nos secteurs technologiques et culturels à former des acteurs robustes sur la scène mondiale pour faire connaître au reste du monde le contenu canadien exceptionnel créé en français, en anglais, en mandarin, en inuktitut, en pendjabi, etc.?

J’espère que nous pourrons renvoyer ce projet de loi au comité dès que possible, non pas parce que je l’appuie sans réserve, mais parce que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications a besoin de temps pour l’étudier comme il se doit, entendre des témoins — notamment des défenseurs des droits des consommateurs ainsi que des producteurs de contenu numérique, qui n’ont pas été entendus à l’autre endroit —, et comprendre les répercussions réelles de tous les amendements apportés récemment à ce projet de loi important. Merci, hiy hiy.

Le sénateur Housakos [ - ]

La sénatrice Simons accepterait-elle de répondre à une question?

Je serais ravie de répondre à une question.

Le sénateur Housakos [ - ]

J’aimerais entendre vos observations sur quelques points. Premièrement, vous avez tout à fait raison de dire que le projet de loi ne donne pas au CRTC le pouvoir de retirer du contenu, mais convenez-vous qu’il donne au CRTC le pouvoir d’ordonner aux plateformes d’enterrer du contenu ou de le retirer?

Nous reconnaissons tous à quel point le Web et les nouvelles plateformes sont puissants aujourd’hui. À bien y penser, le projet de loi montre-t-il le fossé entre les manières archaïques dont nous avons réglementé la radiodiffusion et l’état d’esprit des jeunes générations du monde entier et des Canadiens en matière de contenu?

Je vais d’abord répondre à la deuxième question, parce qu’elle est plus facile. Oui, il le montre. Personne de moins de 30 ans ne regarde la télévision comme vous et moi le faisions lorsque nous étions jeunes. Nous avons un certain âge et nous consommions l’offre médiatique d’une façon complètement différente de celle de nos enfants et qui sait comment nos petits-enfants le feront. Nous avons besoin d’un cadre réglementaire qui est assez souple pour s’adapter à l’évolution rapide des plateformes numériques.

Le projet de loi me fait un peu penser à la ligne Maginot. Les Français avaient creusé des tranchées où devait s’engouffrer la cavalerie, mais les Panzers sont arrivés et la ligne Maginot n’a pas servi à grand-chose. Nous sommes à réglementer pour rattraper un retard de 10 ans, alors que nous devrions travailler à prévoir la réglementation dont nous aurons besoin dans 10 ans.

Quant à votre première question, je m’inquiète effectivement, non pas de la possibilité pour le CRTC de faire retirer du contenu, mais du fait que le projet de loi, dans sa forme actuelle, obligera le CRTC à contraindre les services de vidéo en continu à privilégier certains types de contenus canadiens d’une façon tellement pointue que, honnêtement, ce sera carrément impossible pour bien des plateformes. Ce n’est pas de cette façon que ces plateformes fonctionnent. Leurs algorithmes ne fonctionnent pas comme ça.

Il est important de faire la distinction. Je ne crois pas que ce projet de loi censure ou réglemente la liberté d’expression, mais je pense qu’il impose des conditions presque impossibles pour les plateformes de diffusion en continu, dont certaines pourraient tout simplement se retirer du marché canadien, ce qui réduirait notre choix. Nous savons tous que les Canadiens de moins de 30 ans se servent de leur réseau privé virtuel pour obtenir ce qu’ils veulent, alors que devons-nous faire?

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