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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

8 février 2022


Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-213, Loi modifiant le Code criminel (indépendance des tribunaux).

Je prends la parole aujourd’hui avec une certaine impression de déjà vu. Il y a presque deux ans, en février 2020 pour être précise, j’ai pris la parole au Sénat pour parler du projet de loi qu’on appelait alors le S-208, Loi modifiant le Code criminel (indépendance des tribunaux). En novembre 2020, j’ai prononcé mon discours inaugural au Sénat par vidéoconférence à partir de ce même bureau dans cette même pièce sur ce qu’on appelait alors le projet de loi S-207, Loi modifiant le Code criminel (indépendance des tribunaux).

Les projets de loi S-207 et S-208 ont tous deux été parrainés par notre estimée collègue la sénatrice Kim Pate et sont tous deux morts au feuilleton.

Dans la présente session, c’est une autre collègue estimée, la sénatrice Jaffer, qui présente ce projet de loi. Même si j’admire et je salue la sénatrice Pate et la sénatrice Jaffer, je n’étais pas certaine de prendre la parole au sujet de ce projet de loi sous sa forme actuelle. Après tout, j’ai déjà présenté mes arguments à plus d’une reprise dans cette enceinte.

L’adoption aveugle des peines minimales obligatoires dans le Code criminel lie les mains des juges canadiens. Celles-ci les forcent à imposer des peines uniformes, sans nuances, sans clémence et sans bon sens. Le plus souvent, cette approche les prive de tout pouvoir discrétionnaire et de toute flexibilité et ne leur permet pas de faire preuve d’imagination. Une rubrique de peines obligatoires mine l’indépendance du judiciaire et, dans le pire des cas, réduit le rôle des juges à celui d’un tampon — un algorithme humanoïde qui doit imposer une peine sans référence à des faits, un cas, un contexte ou un délinquant précis.

Qui plus est, la menace d’une peine minimale obligatoire effraie souvent les gens au point où ils acceptent un plaidoyer plutôt que de défendre leur cause en cour, de crainte de recevoir une peine particulièrement lourde s’ils perdent. Ces peines altèrent le système de justice pénale et minent la confiance publique et l’impartialité et l’indépendance des tribunaux canadiens.

Cela étant dit, et ce, plus d’une fois, pourquoi ai-je décidé de reparler du projet de loi dans sa version la plus à jour? Principalement parce que je souhaite faire le point sur le cas d’Helen Naslund, une Albertaine dont j’ai raconté l’histoire pour la première fois au Sénat en novembre 2020.

Pour ceux qui ont oublié ce que j’ai dit la dernière fois ou qui étaient absents lors de mon intervention, Helen Naslund était l’épouse de Miles, un agriculteur vivant près de Holden, en Alberta. Son époux, un alcoolique violent, a abusé d’elle toute sa vie sur le plan physique, psychologique et économique et l’a tenue virtuellement prisonnière dans leur ferme familiale, qui était en difficulté. En 2011, un soir de septembre, après une soirée de violence et de menaces, Miles est finalement tombé ivre mort et Helen Naslund, qui n’en pouvait plus et craignait ce qui pourrait se produire par la suite, est allée chercher une carabine de calibre 22 et lui a tiré une balle derrière la tête. Ensuite, avec l’aide d’un de ses fils, elle a alourdi la dépouille et l’a cachée dans un marécage des environs.

Des années plus tard, les ragots du voisinage ont donné à la GRC les renseignements dont elle avait besoin pour trouver le corps.

La Couronne a accusé Helen Naslund de meurtre au premier degré. La peine minimale obligatoire? La prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle pendant au moins 25 ans. Étant donné l’âge de Mme Naslund, cela correspond essentiellement à une peine d’emprisonnement à perpétuité et à une condamnation à mort.

Suivant les conseils de son avocat et avec l’aval du procureur de la Couronne, Helen Naslund a plaidé coupable à des accusations d’homicide involontaire et elle a accepté une peine de 18 ans, soit une des plus longues peines jamais prononcées pour homicide involontaire lié à de la violence familiale. Lors d’un procès, elle aurait peut-être été en mesure de faire valoir l’argument valable de la légitime défense ou celui d’avoir agi dans un moment de trouble émotionnel extrême et qu’elle n’était donc peut-être pas criminellement responsable de ses actes. Cependant, confrontée à la possibilité de passer le reste de sa vie derrière les barreaux, elle a accepté l’entente, si mauvaise fût-elle.

Mme Naslund a été condamnée en octobre 2020 et l’affaire a immédiatement provoqué l’indignation au sein de groupes de femmes, de professeurs de droit, de juges à la retraite et de militants sociaux partout au pays et dans le monde entier. Même des défenseurs et des partisans d’aussi loin que l’Afghanistan se sont manifestés.

Helen Naslund pourrait-elle interjeter appel de la décision rendue à son égard? Cela s’avérerait plutôt difficile, étant donné que le juge, la Couronne, son avocat et elle-même ont accepté l’entente conclue à ce moment-là.

Le critère pour annuler une peine à laquelle toutes les parties ont consenti est extrêmement strict, pour des raisons évidentes. Une peine doit non seulement être considérée comme manifestement inappropriée, mais aussi d’une sévérité si excessive que le simple fait que le juge l’accepte irait à l’encontre de l’intérêt public et jetterait du discrédit sur l’administration de la justice. De surcroît, un défendeur ne dispose que de 30 jours pour interjeter appel d’une décision, et cette période était échue.

La sénatrice Pate a joué un rôle déterminant pour aider Helen Naslund à obtenir une prolongation extraordinaire de la période d’appel et pour la mettre en contact avec Mona Duckett, une des avocates de la défense en droit criminel les plus redoutables et les plus efficaces d’Edmonton.

Le mois dernier, dans une décision rendue à deux contre un, la Cour d’appel de l’Alberta a donné raison à Helen Naslund et réduit sa peine de moitié.

La juge Sheila Greckol, écrivant au nom de la majorité, a jugé que la peine était si « insensée » par rapport aux circonstances du crime, que cela pourrait donner l’impression à tout observateur raisonnable que notre système judiciaire ne fonctionne plus. En outre, la juge Greckol a décrété que les peines minimales obligatoires avaient créé un déséquilibre du pouvoir qui avait mené à ce qu’elle appelle une situation de « négociation coercitive », donnant à la Couronne plus de poids pour obtenir que l’accusé plaide coupable.

La juge Greckol poursuit en ces termes :

[...] une femme ayant subi des abus flagrants pendant 27 ans pourrait avoir tendance à croire qu’elle mérite d’être punie sévèrement. Ce n’est pas une raison pour que le système judiciaire en fasse autant.

Helen Naslund est toujours en prison, mais elle sera au moins admissible à une libération conditionnelle l’année prochaine. Grâce au travail acharné de ses défenseurs dans le monde entier, y compris celui de la sénatrice Pate, on rend enfin justice dans une certaine mesure à cette femme battue venant d’une région rurale agricole de l’Alberta. L’affaire Naslund aura au moins eu le mérite d’illustrer les problèmes fondamentaux causés par les peines minimales obligatoires qui peuvent devenir insensées par rapport aux faits et générer des craintes fondées chez les observateurs et les Canadiens raisonnables quant au bon fonctionnement du système judiciaire.

À quoi bon nommer des juges? À quoi bon parler des principes de l’indépendance judiciaire si nous ne faisons pas confiance aux juges pour qu’ils écoutent les faits, évaluent les éléments de preuve, tiennent compte de l’ensemble des circonstances et appliquent la loi de façon juste?

Dans une démocratie libre et équitable, l’appareil judiciaire ne devrait pas être contrôlé par des décrets gouvernementaux. Les députés et les sénateurs ne devraient pas non plus microgérer les tribunaux. Si nous voulons que les juges canadiens administrent la justice d’une façon impartiale et réfléchie, nous ne pouvons pas nous ingérer dans les processus en imposant des directives. Aujourd’hui, j’exprime encore une fois mon soutien à mes amies la sénatrice Jaffer et la sénatrice Pate. Aujourd’hui, je suis solidaire des juges et des juges de paix de partout au Canada, qui partagent une lourde responsabilité solennelle. Rétablissons la confiance du public dans les tribunaux, retirons la politique partisane du processus de détermination des peines et laissons les personnes que nous avons nommées pour juger les affaires utiliser leur jugement lorsque les circonstances l’exigent. Merci, hiy hiy.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu [ - ]

Merci pour votre discours sur ce projet de loi.

Je suis toujours renversé lorsque vous tentez de justifier l’abolition des sentences minimales en prenant l’exemple de cas extrêmes.

Je vais vous fournir des données du Québec qui sont à jour. Entre 2015 et 2019, le nombre de sentences à domicile a augmenté de 22 %. Entre 2020 et 2021, 5 047 criminels ont reçu des sentences à domicile au lieu de sentences à purger le week-end, ce qu’on appelle aussi des sentences « discontinuées ».

Comment pouvez-vous affirmer que notre système de justice ne donne pas aux juges la liberté d’assouplir des sentences dans des cas généraux et non particuliers?

Merci beaucoup de la question, sénateur Boisvenu. Au sujet de la détention à domicile, ces affaires ne font évidemment pas partie de celles qui entraînent ce genre de peines minimales obligatoires strictes. La détention à domicile peut être extrêmement efficace pour prendre en charge les délinquants à faible risque dans la communauté et les aider à réintégrer la société et à en devenir des membres à part entière. Cette approche a son utilité dans certaines circonstances.

Dans le cas d’un meurtre au premier degré, une telle peine ne s’appliquerait jamais.

Le sénateur Boisvenu [ - ]

Sénatrice, pouvez-vous fournir aux membres de cette Chambre le nombre de demandes de révision de dossiers judiciaires et le pourcentage de ces dossiers dont les sentences qui y sont associées ont été réduites, soit par la Cour d’appel ou par une autre cour?

Je suis désolée, sénateur Boisvenu, mais je n’ai pas l’information détaillée pour répondre à cette question pour l’instant. Je n’ai tout simplement pas accès aux données à jour en ce moment.

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