La Loi sur la citoyenneté—La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
2 juin 2022
Propose que le projet de loi S-235, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, soit lu pour la deuxième fois.
—Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier la sénatrice Pate, qui m’a aidée à élaborer ce projet de loi et m’a soutenue à toutes les étapes. Elle m’a fourni une aide précieuse, je l’en remercie.
Voici ce que dit le sommaire du projet de loi, honorables sénateurs :
Le texte modifie la Loi sur la citoyenneté afin que certaines personnes obtiennent la citoyenneté lorsqu’elles cessent d’être prises en charge par un organisme de protection de la jeunesse ou un parent nourricier. Il modifie aussi la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés afin de prévoir que, dans certaines situations, une mesure de renvoi prise contre une personne qui n’avait pas qualité de citoyen lorsqu’elle a cessé d’être ainsi prise en charge ne peut être exécutée.
Ce projet de loi vise essentiellement à régler la situation des mineurs qui arrivent au Canada, sont pris en charge par l’État et ne deviennent jamais citoyens canadiens parce que le gouvernement, leur parent, n’a jamais fait les démarches nécessaires pour qu’ils obtiennent la citoyenneté. Le gouvernement devient le parent de ces enfants quand il les retire à leurs propres parents, mais il ne prend pas ses responsabilités de parent en ce qui concerne les demandes de citoyenneté. En effet, à l’heure actuelle, le gouvernement ne demande jamais la citoyenneté canadienne pour les enfants qui sont à sa charge.
Par conséquent, à l’âge de 18 ans, lorsque ces enfants sont libérés du système canadien de placement en famille d’accueil, ils risquent d’être expulsés s’ils ont des démêlés avec la justice. Beaucoup sont renvoyés dans le pays de leurs parents, un pays où ils n’ont aucun lien et dont, souvent, ils ne parlent pas la langue.
Honorables sénateurs, cela indique que le gouvernement échoue complètement dans son rôle de parent envers ces mineurs. Le projet de loi fera en sorte qu’après avoir vécu au Canada pendant un minimum d’un an, un mineur placé en famille d’accueil se verra accorder la citoyenneté. En outre, il empêchera ou atténuera le recours injustifié et inutile à des mesures de renvoi à l’égard d’adultes qui sont venus au Canada alors qu’ils étaient mineurs, mais qui ne sont jamais devenus des citoyens canadiens par la faute du gouvernement, lequel agit à titre de parent.
Grâce à ce projet de loi, il sera inscrit dans la loi que tous les jeunes qui viennent au Canada obtiendront leur citoyenneté canadienne et que leurs droits seront respectés s’ils sont pris en charge. À l’heure actuelle, le gouvernement canadien laisse tomber certaines des personnes les plus vulnérables. Le gouvernement canadien laisse tomber les enfants qui sont venus au Canada avec l’espoir d’un avenir meilleur.
En 2007, l’examen des rapports annuels provinciaux effectué par le Portail canadien de la recherche en protection de l’enfance a conclu que, chaque jour, plus de 65 000 enfants canadiens sont pris en charge. Comme cette statistique remonte à il y a 15 ans, on ne peut qu’imaginer à quel point elle a augmenté depuis. Cette augmentation signifie que davantage de non-citoyens canadiens élevés par le gouvernement se font expulser vers le pays de leurs parents, qui leur est inconnu.
Parmi les innombrables histoires des victimes anonymes de notre système de familles d’accueil, dont beaucoup se terminent par l’expulsion, permettez-moi de vous faire part de trois cas qui mettent en lumière la noirceur et la souffrance vécues par ceux dont l’expérience illustre cette réalité.
En 2017, pendant les débats du Sénat au sujet du projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et une autre loi en conséquence, on a cité le cas de Fliss Crammam comme exemple des raisons pour lesquelles il est urgent de protéger les enfants non citoyens qui sont dans le système de familles d’accueil canadien. C’était en 2017, honorables sénateurs, et la nécessité d’agir n’a qu’augmenté depuis.
Soit dit en passant, nous devons beaucoup au travail du sénateur Oh sur le projet de loi C-6. Grâce à son travail, le Sénat a réussi à amender le projet de loi pour y ajouter des clarifications afin que les tuteurs autres que les parents d’un enfant puissent présenter une demande de citoyenneté pour lui et pour que les enfants plus âgés puissent présenter une demande de citoyenneté eux-mêmes.
Ces améliorations étaient un important pas en avant, mais, malheureusement, cela n’a pas suffi. Malgré ces améliorations, sous sa forme actuelle, le projet de loi C-6 n’est pas suffisant pour assurer la protection de ces enfants. Le cas de Fliss Cramman est l’un des exemples qui illustrent pourquoi.
Fliss Cramman est arrivée au Canada quand elle avait huit ans et elle est devenue pupille de l’État à 11 ans. Elle avait des problèmes de santé mentale et elle a été victime de violence et d’agressions sexuelles durant toute son enfance au Canada.
Quand elle a commis une infraction alors qu’elle avait 33 ans, Mme Cramman — qui était mère de quatre enfants et cheffe cuisinière — a appris qu’elle n’avait jamais obtenu la citoyenneté canadienne.
Après sa libération de l’Établissement Nova pour femmes de Truro, en Nouvelle-Écosse, Mme Cramman a été prise en charge par l’Agence des services frontaliers du Canada et elle est devenue gravement malade. On a dû l’hospitaliser pour traiter une perforation intestinale. Pendant son séjour à l’hôpital, Mme Cramman était menottée à son lit. Or, ainsi menottée, Mme Cramman a pris part à une audience durant laquelle on lui a annoncé qu’elle était sujette à un renvoi du Canada.
Imaginez, honorables sénateurs, cette jeune fille qui est arrivée au Canada en provenance du Royaume-Uni, qui a passé son enfance sous tutelle, puis qui, une fois adulte, ayant des enfants et un emploi stable, a connu des ennuis avec la justice et s’est retrouvée menottée à un lit d’hôpital, et qui se fait annoncer qu’elle devait quitter le pays qu’elle considérait comme le sien. Elle ne connaissait pas le pays de ses parents.
Dans ce cas-ci, en raison de l’attention accordée à cette affaire à l’échelle nationale et du travail de la Société Elizabeth Fry, le ministre fédéral de l’Immigration de l’époque, John McCallum, est intervenu pour empêcher l’expulsion de Mme Cramman pour des raisons d’ordre humanitaire. Sans l’intervention du ministre McCallum, Mme Cramman aurait été obligée de se rendre immédiatement au Royaume-Uni, en laissant derrière elle quatre enfants et une bonne carrière.
Le cas de Mme Cramman illustre pourquoi les amendements au projet de loi C-6 sont insuffisants, car permettre simplement à un enfant pris en charge par l’État de demander la citoyenneté par ses propres moyens est inutile si l’enfant ne sait pas qu’il n’est pas citoyen. Dans bien des cas, ces personnes, comme Fliss Cramman, ne savent pas qu’elles n’ont pas la citoyenneté canadienne avant qu’il soit trop tard.
La situation de Kiwayne Jones est un autre cas qui s’apparente à celui de Mme Cramman. M. Jones est né en Jamaïque. À l’âge de 10 ans, il est arrivé au Canada avec ses parents. Moins d’un an plus tard, alors qu’il avait 11 ans, M. Jones a été pris en charge par la Société d’aide à l’enfance de Toronto. Peu après, il est devenu pupille permanent de l’État — autrement dit, le gouvernement est devenu sa famille.
Cela signifie que M. Jones était un non-citoyen qui a été retiré de sa famille et pris en charge par le gouvernement de l’Ontario. Le gouvernement de l’Ontario est pour ainsi dire devenu sa famille.
Durant tout le temps où il a été pris en charge par le gouvernement de l’Ontario, M. Jones n’avait accès à aucun de ses documents personnels. C’est seulement quand il a eu 21 ans que le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse de l’Ontario lui a remis certains de ses documents. Quand il a reçu ces documents, il a découvert que son certificat de naissance jamaïcain n’était plus valide dans son pays de naissance, et que sa carte de résident permanent du Canada était presque expirée. Avant cela, M. Jones croyait qu’il était citoyen canadien. Il a été stupéfié d’apprendre qu’il ne l’était pas.
Je le cite :
« Je me suis senti renié, en quelque sorte. J’étais perplexe. Je ne pouvais pas comprendre ce qui s’était passé », a-t-il dit dans une entrevue accordée au Toronto Star, en parlant de la confusion entourant son statut au Canada lorsqu’il a cessé d’être pupille de l’État.
M. Jones a contesté, à juste titre, la façon dont il avait été traité, et a affirmé ceci :
[…] l’État a décidé qu’il me servirait de parents et que cela ferait de moi un Canadien d’adoption. Cependant, la réalité est tout autre.
Or, c’est la réalité de bien trop de gens. Ils viennent au Canada comme enfants avec leur famille, sont placés en foyer d’accueil et se sentent abandonnés quand ils deviennent majeurs.
Les personnes ne détenant pas la citoyenneté canadienne qui grandissent en étant des pupilles de l’État risquent d’être expulsées vers un pays qu’elles ne connaissent même pas. On leur refuse tous les avantages qui accompagnent la citoyenneté canadienne. On les prive de leurs droits démocratiques garantis par la Charte. Elles se voient refuser des occasions d’emploi et d’éducation importantes. Elles souffrent la perte inimaginable de leur identité, de leur communauté et de leur sentiment d’appartenance.
Honorables sénateurs, de nombreux autres cas exposent les injustices flagrantes au sein du régime d’immigration qui assujettissent des personnes à un risque injuste d’expulsion. En conséquence, en Ontario, un recours collectif de plusieurs millions de dollars est intenté contre la province pour avoir manqué à son devoir d’obtenir la citoyenneté pour les pupilles de l’État non citoyens. Le représentant des demandeurs dans cette affaire est Kiwayne Jones.
Selon la déclaration déposée auprès de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, la partie poursuivante fera valoir que le gouvernement a manqué à son devoir :
[...] de prendre toutes les mesures raisonnables pour maintenir le statut de résident permanent des pupilles de l’État non citoyens sous sa tutelle ainsi que pour demander et obtenir leur citoyenneté canadienne.
De plus, la déclaration mentionne qu’en ne leur procurant pas le statut de citoyen, le Canada porte atteinte à leurs droits constitutionnels.
Honorables sénateurs, d’où qu’ils viennent, lorsque ces enfants sont arrivés au Canada, ils s’attendaient à avoir un nouveau foyer et à être protégés par leur nouveau pays, en particulier lorsqu’ils étaient pris en charge par le gouvernement. Ils se considéraient comme des citoyens canadiens. Toutefois, après leur arrivée, lorsqu’ils ont été pris en charge par le gouvernement, ils n’étaient pas des citoyens canadiens, mais ils relevaient de la responsabilité du Canada. Le Canada est devenu le parent de ces enfants à partir du moment où il les a pris en charge.
Comme vous le savez tous, le fait d’être parent s’accompagne de nombreuses responsabilités. Le Canada ne peut pas choisir quel droit il doit défendre selon son bon vouloir. Au contraire, ces obligations sont fondamentales; elles le sont en vertu de nos obligations dans le cadre des lois internationales et nationales, mais aussi, sans doute, en vertu des valeurs canadiennes.
Certains d’entre vous ont peut-être entendu parler de l’histoire d’Abdoul et de Fatouma Abdi. En 2000, Abdoul, alors âgé de 6 ans, et Fatouma, alors âgée de 8 ans, sont arrivés avec leur tante en Nouvelle-Écosse à titre de réfugiés, alors qu’ils fuyaient la Somalie.
En 2001, ces deux enfants ont été pris en charge par les services à l’enfance lorsque leur tante les a retirés de l’école à cause du harcèlement racial dont il faisait l’objet. Pendant tout le temps qu’il a été pris en charge par les services à l’enfance, Abdoul a été accueilli dans 31 familles d’accueil différentes.
Pire encore, Abdoul et Fatouma ont tous deux fait un récit détaillé d’horribles histoires de sévices sexuels, physiques et psychologiques subis lorsqu’ils étaient sous la garde de familles d’accueil, et affirmé qu’on leur interdisait notamment d’utiliser leur langue ou leurs coutumes lorsqu’ils étaient en famille d’accueil.
Dans sa jeunesse, Abdoul a fini par accumuler les accusations criminelles. Lorsque la tante de M. Abdi a tenté de lui faire obtenir sa citoyenneté, le service est intervenu sous prétexte que M. Abdi était sous la tutelle du gouvernement et que seul le gouvernement pouvait demander qu’il obtienne sa citoyenneté. Même si les services à l’enfance auraient dû tenter d’obtenir la citoyenneté canadienne pour M. Abdi, ils ne l’ont jamais fait.
Jeune adulte, M. Abdi a accumulé des accusations criminelles de plus en plus graves, jusqu’à ce qu’il se retrouve en prison. C’est à ce moment qu’il a été visé par une mesure de renvoi pour sa déportation vers la Somalie, un endroit qu’il ne connaissait pas et où il ne connaissait personne. En 2017 et en 2018, après avoir purgé des peines d’emprisonnement, Abdoul a été visé par de telles mesures pour sa déportation vers la Somalie, mais, dans les deux cas, la Cour fédérale a annulé l’exécution des mesures en question. Dans sa décision, la cour a souligné que le gouvernement avait la responsabilité de faire obtenir sa citoyenneté à M. Abdi, ce qu’il n’a jamais fait.
Je le répète, la cour a affirmé que le gouvernement avait la responsabilité de lui faire obtenir sa citoyenneté.
Le gouvernement fédéral a finalement abandonné le processus de déportation.
D’une part, cette affaire a entraîné un changement de politique en Nouvelle-Écosse. Elle a conféré aux travailleurs sociaux le pouvoir de demander la citoyenneté canadienne au nom d’un enfant. Ce n’est toutefois pas suffisant, honorables sénateurs. Pour vraiment corriger cette injustice, le gouvernement fédéral doit intervenir. Il faut adopter le projet de loi S-235 dès maintenant.
En 2018, lors d’une assemblée publique, Fatouma Abdi a posé une question au premier ministre Trudeau sur le cas de son frère. Le premier ministre a reconnu que le système de soins canadien a laissé tomber Abdoul et que sa situation :
[...] nous a ouvert les yeux sur un problème que beaucoup d’entre nous savaient être présent dans de nombreuses collectivités, mais que nous n’avons pas encore réglé.
Honorables sénateurs, ce sont les paroles de notre premier ministre. Même le premier ministre a reconnu l’injustice faite aux enfants et a admis qu’il fallait y remédier. Cependant, rien n’a été fait.
De toute évidence, les lois canadiennes en matière d’immigration sont injustes et incapables de résoudre la crise à laquelle nos enfants sont confrontés. La loi canadienne actuelle permet à chaque ministère de décider s’il doit demander la citoyenneté pour un jeune dont il a la charge et quand il doit le faire. Bien trop souvent, ces enfants ne deviennent jamais des citoyens si le gouvernement ne demande pas la citoyenneté en leur nom et beaucoup d’entre eux ne savent même pas qu’ils ne sont pas citoyens jusqu’à ce qu’ils aient des problèmes.
Le gouvernement les laisse tomber et les enfants doivent ensuite réparer les pots cassés. Nous laissons tomber nos enfants.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-235 s’attaquera au problème des mineurs qui arrivent au Canada, qui sont pris en charge par le gouvernement et qui ne deviennent jamais des citoyens parce que le gouvernement a omis de leur accorder la citoyenneté. Le projet de loi S-235 est le seul moyen de remédier de manière significative et complète à cette injustice. C’est la seule façon de s’assurer que les jeunes qui viennent au Canada en tant qu’immigrants et réfugiés sont équitablement protégés et représentés dans notre pays, tout en veillant au respect de leurs droits les plus fondamentaux.
En conclusion, permettez-moi de vous rappeler que les tribunaux se sont prononcés sur cette question. Le premier ministre s’est prononcé sur cette question et a demandé au ministre d’agir. Le gouvernement fédéral a déclaré à deux reprises qu’il avait la responsabilité d’accorder la citoyenneté à M. Abdi, ce qu’il n’a pas fait.
Qui plus est, les juges ont déterminé que lorsque les autorités publiques avaient omis de prendre des mesures raisonnables pour accorder la citoyenneté à M. Abdi sur une période de plusieurs années, il y avait lieu de s’interroger sur le bien-fondé de la déportation.
Le projet de loi S-235 répond à ces préoccupations. Je vous encourage à penser à tous les enfants qui passent à travers les mailles du filet. Honorables sénateurs, nous avons l’occasion de réparer le tort fait à nos enfants. Je vous demande donc respectueusement d’appuyer ce projet de loi. Je vous remercie, sénateurs.
L’honorable sénatrice voudrait-elle répondre à une question?
Oui.
Sénatrice Jaffer, vous et moi avons déjà discuté du fait que ce sont les gouvernements provinciaux qui ont la responsabilité d’agir à titre de tuteurs de ces enfants. Ce sont les gouvernements provinciaux qui, souvent, omettent de présenter une demande de citoyenneté. Comme on ne peut bien entendu pas dire aux provinces ce qu’elles doivent faire, comment espérez-vous que votre projet incitera les gouvernements provinciaux à présenter ces demandes en premier lieu?
Merci beaucoup, sénatrice Simons. Cela m’a causé bien des soucis, car c’est vrai. Nous savons tous que ce sont les provinces qui prennent en charge les enfants.
Toutefois, selon notre merveilleux système fédéral, la loi sur l’immigration est de compétence fédérale. Je crois vraiment que cela relève de notre responsabilité. La loi sur l’immigration ne peut être modifiée que par le gouvernement fédéral ou par nous, au Parlement. C’est la beauté de notre système fédéral : si la loi fédérale change et que le changement a force de loi, les travailleurs sociaux provinciaux devront présenter une demande de citoyenneté.
Cela m’a donné du fil à retordre, mais c’est la seule façon de procéder. Les tribunaux sont du même avis, car les provinces ne rédigent pas les lois sur l’immigration.