La Loi constitutionnelle de 1867
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
20 juin 2022
Propose que le projet de loi C-14, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation électorale), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de prendre la parole au Sénat pour appuyer le projet de loi C-14 émanant du gouvernement, intitulé Loi sur le maintien de la représentation des provinces à la Chambre des communes. Ce projet de loi fera en sorte qu’aucune province n’ait moins de sièges à la Chambre des communes qu’en 2021.
Comme nous le savons tous, chaque décennie, notre Constitution exige que soit effectuée une révision de la représentation à la Chambre des communes. Cette révision vise à réévaluer le nombre de sièges attribués à chaque province et les limites des circonscriptions électorales pour tenir compte des changements démographiques survenus dans notre pays.
Au cours des 10 dernières années, la population du Canada a augmenté de plus de 3,5 millions d’habitants, passant d’un peu plus de 33 millions d’habitants en 2011 à près de 37 millions d’habitants aujourd’hui.
La croissance de la population ne se fait pas de façon égale d’une province à l’autre et il est essentiel que chaque citoyen canadien soit pris en compte en ce qui a trait aux circonscriptions fédérales. Je voudrais profiter de l’occasion pour parler en premier lieu de la façon dont les sièges sont attribués aux provinces.
D’abord, le processus implique que le directeur général des élections calcule le nombre de sièges qui seront attribués à chacune des provinces à partir des estimations de la population produites par Statistique Canada. Le calcul repose sur une formule mathématique prévue dans la Loi électorale de 1867; il s’agit d’une formule simple en quatre étapes que le directeur général des élections applique sans avoir à intervenir.
La première étape de la formule est la répartition initiale des sièges entre les provinces, qui est obtenue en divisant la population de chaque province par le quotient électoral.
Le quotient électoral est obtenu en multipliant le quotient du dernier redécoupage décennal, qui était de 111 166 électeurs par circonscription, par la moyenne des taux de croissance démographique des 10 provinces au cours des 10 dernières années, soit 9,65 %.
Le quotient électoral de 2021 est de 121 891 électeurs. Ce nombre correspond à peu près à la taille moyenne des circonscriptions dans les provinces.
Ensuite, on applique la clause sénatoriale et la clause des droits acquis, qui établissent le nombre minimal de sièges pour chacune des provinces et empêchent qu’une province se retrouve avec moins de sièges qu’au Sénat ou avec moins de sièges qu’en 1985, respectivement. Ces clauses continuent à assurer que les provinces plus petites et celles dont la population est en déclin continueront d’être bien représentées à la Chambre des communes.
La troisième étape de la formule est l’application de la « règle de représentation », qui fait en sorte que les provinces qui étaient surreprésentées à la Chambre des communes par rapport à leur poids démographique lors du redécoupage précédent restent surreprésentées au redécoupage suivant.
Une fois les clauses spéciales et la règle de représentation appliquées, le nombre de sièges de chaque province est déterminé.
Enfin, un siège est attribué à chacun des territoires : le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut. Cette dernière étape détermine le nombre de sièges à la Chambre.
Le 15 octobre 2021, le directeur général des élections a publié les résultats de ce calcul et a annoncé que la nouvelle attribution de sièges à la Chambre des communes par province pour la décennie allant de 2022 à 2032 ferait passer le nombre de sièges de 338 à 342. La nouvelle répartition prévoit l’ajout d’un siège pour la Colombie-Britannique, de trois sièges pour l’Alberta et d’un siège pour l’Ontario, compte tenu de la croissance démographique plus rapide dans ces provinces, mais elle prévoit le retrait d’un siège pour le Québec. Comme cette perte d’un siège pour le Québec suscite des préoccupations, le gouvernement a présenté le projet de loi C-14, Loi sur le maintien de la représentation des provinces à la Chambre des communes.
Le projet de loi C-14 vise à modifier l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui porte sur la révision de la représentation à la Chambre des communes. Plus précisément, il ferait en sorte que le Québec conserve le siège qu’il aurait perdu.
Cependant, et cela est très important, il faut maintenir aussi toutes les mesures de protection qui existent à l’heure actuelle et permettre une augmentation progressive du nombre de sièges dans les provinces dont la population augmente.
De toute évidence, cela signifie que les gains mentionnés précédemment pour la Colombie-Britannique, l’Alberta et l’Ontario seront maintenus au titre du projet de loi C-14. Ainsi, l’approche proposée permet, à mon avis, d’établir un équilibre approprié entre une représentation régionale efficace et une représentation en fonction de l’évolution démographique au Canada. Pour ce qui est de la façon d’atteindre cet objectif, précisons que le projet de loi C-14 vise à mettre à jour la disposition de droits acquis inscrite dans la règle 2 de la Loi constitutionnelle de 1867, pour qu’aucune province n’ait moins de sièges qu’elle n’en avait en 2021, au cours de la 43e législature.
Cela établirait un nouveau seuil minimum de sièges à la Chambre des communes pour toutes les provinces et permettrait de maintenir le nombre de sièges du Québec à au moins 78 sièges lors du prochain redécoupage électoral.
Étant donné qu’aucun changement n’est apporté aux autres étapes de la formule de répartition des sièges, son calcul et ses objectifs restent inchangés : les provinces à démographie faible ou faiblement croissante sont protégées, et le projet de loi C-14 permet l’augmentation progressive du nombre de sièges pour les provinces dont la population augmente.
Si ce projet de loi est adopté, le nombre de sièges au cours de la décennie de 2022 à 2032 sera de 343 au lieu de 342, et le Québec conservera 78 sièges au lieu d’en perdre un.
Cependant, comme beaucoup d’entre vous le savent, le redécoupage des circonscriptions électorales a déjà commencé, puisque le directeur général des élections a annoncé la nouvelle répartition des sièges en octobre 2021. Par conséquent, j’aimerais profiter de l’occasion pour vous parler également de la révision en cours des limites des circonscriptions électorales, et de son rapport avec le projet de loi C-14.
Comme l’exige la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales, 10 commissions de délimitation des circonscriptions électorales indépendantes et non partisanes, soit une pour chaque province, ont été établies le 1er novembre 2021. Il est important de mentionner que la nature indépendante et non partisane de ces commissions a été établie délibérément. Cette indépendance sert à limiter l’ingérence politique dans le processus et à maintenir l’intégrité et la transparence de nos système et institutions démocratiques.
Le 9 février 2022, les données définitives du recensement de 2021 ont été publiées et les commissions ont commencé leur examen des limites. Cet examen est prévu pour une période de 10 mois, au cours de laquelle les commissions tiendront des audiences publiques ouvertes au public canadien, y compris les députés, et chacune d’entre elles produira un rapport à la fin du processus. Une fois que les commissions auront terminé leurs rapports sur les nouvelles circonscriptions électorales, le directeur général des élections les acheminera au Président de la Chambre.
Ces rapports seront déposés et renvoyés au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre aux fins d’étude et les députés auront l’occasion de soumettre des objections écrites.
Une fois l’étude terminée, les rapports sont renvoyés aux commissions. Dans les 30 jours suivant la réception des rapports, qui peuvent contenir des objections et des recommandations, chaque commission détermine si elle modifiera ou non les limites et le nom des circonscriptions électorales avant de présenter son rapport définitif. C’est alors que le directeur général des élections rédige le décret de représentation électorale, lequel décrit les circonscriptions établies par les commissions, qu’il remet au ministre responsable. Enfin, le décret de représentation électorale est proclamé par le gouverneur en conseil et est publié dans la Gazette du Canada.
Pour que ce travail crucial se poursuive sans interruption et sans ingérence politique, tout en veillant à ce que la nouvelle répartition préserve au Québec ses 78 sièges, le projet de loi C-14 prévoit des dispositions transitoires essentielles.
Tout d’abord, lorsque le projet de loi C-14 entrera en vigueur, il obligera le directeur général des élections à recalculer le nombre de sièges attribués à chaque province. Comme nous l’avons déjà établi, cela ne changera pas le nombre de sièges de chaque province, à l’exception du Québec, et permettra au travail effectué par les commissions provinciales de ne pas être interrompu. Toutefois, le projet de loi C-14 exigera que la commission du Québec reprenne le processus d’examen des limites des circonscriptions électorales à zéro, conformément aux nouveaux calculs fournis par le directeur général des élections.
La commission du Québec aura ainsi le temps de mener ses travaux et bénéficiera d’un nouveau délai de 10 mois pour réexaminer sa proposition de délimitation en s’appuyant sur la disposition des droits acquis, telle qu’elle a été actualisée en 2021.
Comme le Québec serait la seule province concernée par l’adoption du projet de loi C-14, cela signifie qu’une nouvelle proposition de délimitation des circonscriptions et un décret de représentation distinct seront rédigés pour cette province tel qu’il est requis et seulement pour cette province.
En conclusion, le projet de loi C-14 apporte à la Constitution une modification mineure qui relève le seuil du nombre de sièges et qui garantit qu’aucune province ne reçoive moins de sièges qu’en 2021. Ce faisant, il établit un équilibre approprié pour assurer à la fois une forte représentation régionale et une représentation par population. Il prévoit également des dispositions transitoires essentielles pour veiller à ce que le travail des commissions se poursuive sans interruption tout en faisant en sorte que le nombre de sièges du Québec soit préservé lors du prochain redécoupage électoral.
Merci, honorables sénateurs.
Le sénateur Dawson accepterait-il de répondre à une question?
Certainement.
Sénateur Dawson, j’aimerais d’abord vous remercier d’être le parrain de ce projet de loi, comme vous l’êtes pour le projet de loi C-11; cela vous fait pas mal de travail.
Je vais vous poser une question peut-être un peu épineuse. Comme Québécoise, je voterai en faveur de ce projet de loi; cette idée que l’on ne veut pas reculer sur le nombre de sièges fait consensus au Québec. Cependant, comme j’ai étudié en sciences politiques, la question de la représentation et du nombre à peu près égal de citoyens qui sont représentés par un député me touche. Je sais bien sûr que le système canadien n’est pas parfait et que lorsqu’on est député dans une région éloignée, on représente déjà moins de personnes que lorsqu’on est député dans une grande ville.
Tout de même, ce projet de loi vise à accorder un seuil minimum aux provinces dont la population augmente le moins rapidement. Avez-vous un malaise à faire ce compromis — car il s’agit essentiellement d’un compromis sur les principes de représentation — ou vous dites-vous plutôt que plusieurs compromis ont déjà été faits, par le passé? Je pense à d’autres provinces qui comptent effectivement moins de citoyens par député.
J’aimerais entendre votre opinion à ce sujet, parce que je me suis interrogée moi-même quant à ces questions de principe.
Merci de votre question, sénatrice.
J’ai moi-même étudié en sciences politiques, à l’Université Laval et à l’Université d’Ottawa, et je suis d’accord avec vous quant aux problèmes inhérents à la représentation. Toutefois, le projet de loi ne touche en rien cette représentation; ce n’est pas à cet élément que s’applique le projet de loi, mais bien à la représentation entre les provinces et à une clause d’antériorité pour conserver 78 sièges, semblable à celle que nous avons créée pour protéger les provinces maritimes il y a quelques années.
On pourrait certainement en débattre, et même se poser des questions plus profondes sur la réforme électorale à venir, mais le projet de loi, malheureusement, ne me donne pas le mandat de traiter de ce sujet.
Le sénateur Dawson accepterait-il de répondre à une autre question?
Oui, madame.
Merci. Sénateur Dawson, pendant votre présentation, je crois vous avoir entendu mentionner le principe de la représentation selon la population. Je me demande si ce principe ne s’érode pas de plus en plus. Ma province, l’Ontario, est sous-représentée pour ce qui est du nombre de sièges. Si je fais le calcul à partir du nombre total de sièges, soit 343, l’Ontario devrait en avoir 137, étant donné que 40 % de la population y habite.
Mais combien de sièges obtenons-nous réellement selon ce projet de loi? S’agit-il de 122? Nous en avons actuellement 121. Si vous faites le calcul et ajoutez 1, cela donne 122. Pour moi, cela montre clairement qu’il n’y a pas de représentation selon la population. Peut-être que nous nous éloignons encore plus de ce principe, et cela m’inquiète.
Nous, au Sénat, savons que nous sommes inégalement — ou certains pourraient dire injustement — représentés. L’Ontario n’a que 24 sièges. Cette province devrait en avoir quelque chose comme 42, proportionnellement parlant, mais ce n’est pas le cas. Mais c’est le Sénat; la Chambre des communes est censée utiliser la représentation selon la population.
Craignez-vous que nous nous éloignions du principe au fur et à mesure que nous avançons dans le temps? Merci.
Comme je l’ai dit à votre collègue, je suis entièrement d’accord. Il faudrait se pencher sur cette question. S’il y a une commission, c’est en partie pour éviter les contraintes politiques liées au fait que des parlementaires de chaque province viendraient défendre leurs droits. Mais lorsqu’il s’agit d’appliquer une disposition de droits acquis au Québec et aux Maritimes, cela signifie qu’il existe un déséquilibre inhérent dans le système.
Cela dit, il y a certainement matière à débat sur ce sujet. Malheureusement, ce n’est pas ce dont il est question aujourd’hui. Nous n’avons pas à interférer dans le processus de détermination. Nous devons déterminer la représentation minimale, comme nous l’avons déjà fait dans le passé au sujet des quatre sénateurs de l’Île-du-Prince-Édouard ou encore des Maritimes en 2010 ou en 2011.
C’est un sujet qui mérite qu’on en débatte, mais je ne pense pas que ce soit l’objectif du projet de loi. Si ce projet de loi a été rédigé le plus simplement possible, c’est parce que si nous commençons à débattre de ce sujet, nous savons tous que la réforme du Parlement prendra plus de temps que le fait d’accorder un siège de plus au Québec.
Acceptez-vous de répondre à une question complémentaire, sénateur?
Oui, sénatrice Dasko.
Je vous remercie, sénateur. Je comprends la notion de droits acquis. Comme vous l’avez expliqué, le projet de loi prévoit l’application de certains principes de droits acquis, notamment pour ce qui est de la répartition des sièges. Cependant, la solution aux droits acquis serait d’augmenter la taille de la Chambre des communes de façon à traiter équitablement les provinces plus populeuses qui ne jouissent pas d’une représentation équitable. Ces provinces seraient l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique. Ce serait la solution si nous adoptions vraiment — ou si nous avions — un système de représentation fondé sur la population. Voilà ce que nous ferions. Je me demande si vous pourriez faire part de vos observations à cet égard.
Je pense que Son Honneur la Présidente intérimaire pourrait vous dire, puisqu’elle a déjà occupé des fonctions à l’autre endroit, que ce débat a lieu chaque fois que l’on parle de la carte électorale et des défis qui en découlent.
Parfois, je me répète. Ce mois-ci, cela fera 45 ans que je suis arrivé au Parlement. Il y avait alors 285 sièges. Si le Parlement avait grossi au même rythme que la population canadienne, il y aurait probablement 375 sièges à l’heure actuelle. Cependant, l’une des constatations qui a fait consensus est que si l’on essayait de modérer la représentation, cela ne ferait qu’accentuer la différence entre les grosses provinces et les petites provinces. Je le répète, ce n’est pas l’objectif du projet de loi, mais je serais favorable à toute motion allant dans cette direction. Cependant, nous ne jouons pas à ce jeu dans cette enceinte, contrairement à l’autre endroit.
Si les parlementaires élus veulent changer le système électoral pour leur enceinte, je ne leur mettrais pas de bâtons dans les roues. Toutefois, je m’attendrais à ce qu’ils nous rendent la pareille si nous voulions procéder à une réforme à la Chambre haute.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?
Oui.
Voici la question que je vous adresse, inspirée par la question de la sénatrice Dasko : les Albertains ont la mauvaise habitude d’entretenir un sentiment de rancune, qu’ils nourrissent comme ils nourriraient une fleur délicate. Dans ce cas-ci, toutefois, nos préoccupations sont légitimes. La Colombie-Britannique et l’Alberta figurent parmi les provinces de la Confédération qui affichent la croissance la plus rapide. La Colombie-Britannique compte un peu plus de 5 millions d’habitants et l’Alberta, un peu moins de 5 millions. Chacune de ces provinces n’a que six sièges au Sénat, un fait intéressant quand on considère que les petites provinces du Canada atlantique en ont beaucoup plus.
Quand je vois une situation de ce genre, je ne peux décidément pas reprocher à mes compatriotes du Québec de s’inquiéter de l’enjeu de la représentation, mais je crains que le maintien continu des droits acquis des petites provinces ait pour effet de perpétuer non seulement les inégalités que la sénatrice Dasko a mentionnées, mais aussi des inégalités encore plus marquées selon certains, puisque la Colombie-Britannique et l’Alberta continuent de croître et qu’elles ne peuvent pas raisonnablement s’attendre à être représentées adéquatement au Sénat. Elles doivent donc compter sur la Chambre des communes pour pouvoir faire entendre leur voix équitablement.
Cette observation est judicieuse et tout à fait justifiée, mais nous ne sommes pas dans le forum approprié pour que j’en débatte dans le contexte du projet de loi C-14. Pour être honnête, je crois, ayant servi à l’autre endroit, que ce serait le bon forum pour débattre de cet enjeu. Les députés devraient en débattre. Je suis d’accord avec vous. J’ai tenté d’y retourner, mais je n’étais pas le bienvenu; je suis donc venu ici.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin d’appuyer le projet de loi C-14, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation électorale). Aujourd’hui, mes propos seront brefs, car je réserverai des observations plus détaillées à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-14. J’espère que mes observations répondront notamment aux questions de la sénatrice Julie Miville-Dechêne.
Essentiellement, le projet de loi C-14 vient modifier la clause de droits acquis que l’on retrouve dans la formule de délimitation des circonscriptions électorales. Actuellement, cette clause de droits acquis, que l’on désigne comme la « clause de 1985 », prévoit qu’aucune province, au moment du redécoupage de la carte électorale, ne peut avoir moins de circonscriptions qu’elle en avait en 1985. La modification apportée par le projet de loi C-14 vient actualiser cette clause à la 43e législature, c’est-à-dire que, au moment d’une éventuelle révision de la carte électorale, aucune province ne pourrait se voir attribuer moins de circonscriptions que ce qu’elle comptait lors de la 43e législature.
En définitive, cette disposition vise à éviter que le Québec ne perde une circonscription, comme le prévoyaient les nouvelles projections du directeur général des élections du Canada.
Comme vous le savez, chers collègues, conformément au paragraphe 51(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, on doit, tous les 10 ans, procéder à une révision de la carte électorale. L’introduction du paragraphe 51(1) dit ceci :
À l’issue de chaque recensement décennal, il est procédé à la révision du nombre de députés et de la représentation des provinces à la Chambre des communes selon les pouvoirs conférés et les modalités de temps ou autres fixées en tant que de besoin par le Parlement du Canada […]
Comme le Canada est un pays en grande évolution depuis sa création en 1867, les gouvernements successifs profitent de la révision décennale pour ajuster les règles de représentation, afin de se mouler aux réalités contemporaines de notre société, notamment sur le plan démographique.
Ainsi, en 1986 le Parlement a adopté le projet de loi C-74, Loi de 1985 sur la représentation électorale. Les deux objectifs de ce projet de loi étaient, d’une part, de limiter la croissance du nombre d’élus qu’aurait alors engendrée la formule de l’époque, par souci d’économie, mais également pour éviter un parlement trop populeux, ce qui aurait limité les privilèges de chaque député.
À l’époque, on prévoyait que, si l’on n’agissait pas ainsi, la Chambre des communes compterait 369 députés au tournant du recensement de 2001. Rappelons qu’il y en a aujourd’hui 338, après la dernière révision de la carte électorale qui a fait suite à l’adoption la Loi sur la représentation équitable adoptée en 2011. J’y reviendrai.
Le deuxième but du projet de loi C-74, adopté en 1986, était d’introduire une clause de droits acquis, qui prévoyait que le nombre de députés d’une province ne pouvait diminuer, malgré une faible décroissance démographique. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la clause de 1985, et elle est directement visée par le projet de loi C-14.
Puis, après le recensement de 2011, le gouvernement conservateur du premier ministre Harper a fait adopter la Loi sur la représentation équitable, comme je l’ai mentionné précédemment. Ce projet de loi visait à corriger un certain déséquilibre qui s’était installé dans la représentation des provinces à la Chambre des communes. Deux des « attendus » de ce projet de loi disaient ce qui suit :
que le principe de la représentation proportionnelle des provinces exige un équilibre entre la représentation juste et équitable des provinces dont la population augmente plus rapidement et la représentation efficace des plus petites provinces et de celles dont la population augmente moins rapidement;
que les populations des provinces dont la population augmente plus rapidement sont actuellement sous-représentées à la Chambre des communes et que les députés de ces provinces représentent donc, en moyenne, des circonscriptions électorales considérablement plus populeuses que celles des autres provinces;
À la suite de l’adoption de ce projet de loi, la Chambre des communes est passée de 308 députés à 338. Toutefois, la clause d’antériorité de 1985 n’a pas été modifiée par le projet de loi sur la représentation équitable sanctionné le 16 décembre 2011.
Pour donner suite au dernier recensement de la population canadienne mené par Statistique Canada, déposé à l’automne 2021 et actualisé en février 2022, le directeur général des élections du Canada a l’obligation de revoir la carte électorale qui tiendra compte de l’évolution démographique du pays, comme le prescrit l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Ce dernier décompte augmentait le nombre de députés pour trois provinces, soit un de plus pour l’Ontario, trois de plus pour l’Alberta et un de plus pour la Colombie-Britannique. Toutefois, compte tenu de sa croissance démographique plus lente, le Québec perdait un siège, passant de 78 députés à 77. À l’unanimité, les parlementaires de la Chambre des communes ont dénoncé cette situation et ont présenté différentes propositions. Le Bloc québécois a déposé un projet de loi faisant en sorte que le Québec n’ait jamais moins de 25 % de la représentation à la Chambre des communes. Ce projet de loi est toujours à l’étude à l’autre endroit, mais je ne parierais pas sur ses chances de progresser. Ensuite, le gouvernement a présenté le projet de loi C-14 dont nous amorçons l’étude aujourd’hui. Il a été adopté le 15 juin 2022 à l’autre endroit.
Lorsque nous procéderons à la troisième lecture de ce projet de loi, j’aborderai la formule de modification de la carte électorale, la notion de représentation effective, le rôle du Sénat et l’importance de la nouvelle clause d’antériorité de 2021.
Je vous invite donc, à l’étape de la deuxième lecture, à voter en faveur de ce projet de loi.
C’est avec plaisir que je prends la parole concernant le projet de loi C-14 qui vise à préserver le 78e siège du Québec à la Chambre des communes.
Comme vous le savez, tous les 10 ans, on remanie la carte électorale pour s’assurer que les circonscriptions électorales conservent relativement le même poids. L’idée est de faire en sorte qu’on se rapproche le plus possible de l’égalité politique de chaque citoyen, un principe fondamental de la démocratie. Même si la Constitution affirme le principe de représentation proportionnelle à la population, il est important de noter qu’elle prévoit des exceptions à ce principe pour assurer une représentation effective qui tienne compte de la diversité régionale et géographique de notre pays.
Par exemple, on prévoit qu’une province doit toujours avoir droit à un nombre de députés à la Chambre des communes non inférieur au nombre de sénateurs qui représentent cette province. On accorde aux trois territoires un député chacun, peu importe la fluctuation relative de leur population, et on applique la clause des droits acquis qui garantit qu’aucune province ne peut avoir moins de sièges qu’elle en avait en 1985. Notons que la clause des droits acquis signifie un seuil de 75 députés au Québec, ce qui n’est pas suffisant pour lui garantir les 78 sièges dont il dispose en ce moment.
Il est important de mentionner que ces exceptions à la représentation proportionnelle de la population ont été testées devant les tribunaux. Ceux-ci ont reconnu leur légitimité.
En vertu de la formule de révision actuelle, le Québec devrait donc perdre un siège. Selon la proposition du directeur général des élections, le poids du Québec à la Chambre des communes se serait encore amenuisé pour atteindre 22,5 %. Rappelons que, en 1867, les représentants du Québec comptaient pour 36 % de la Chambre des communes et qu’ils sont passés sous le seuil des 25 % lors du redécoupage de 1999.
Le projet de loi C-14 permet d’éviter que le Québec ne perde un siège au cours du processus de révision. Ce projet est le fruit d’un compromis politique : le projet de loi C-14 a été adopté à la Chambre des communes avec dissidence. Cela dit, je m’en voudrais de mentionner que si le projet de loi C-14 permet au Québec de conserver son 78e siège, il ne permet pas au Québec de conserver son poids relatif à la Chambre des communes en raison de l’ajout de sièges pour le reste du Canada. Dans les faits, la représentation québécoise à la Chambre des communes passera de 23,1 % à 22,7 %, même avec le maintien du 78e siège que prévoit le projet de loi C-14.
Le bureau de la ministre québécoise responsable des Relations canadiennes, Mme Sonia LeBel, estime que le projet de loi C-14 est un très bon premier pas, mais celle-ci rappelle qu’il reste nécessaire pour le Québec de conserver son poids relatif. En ce sens, elle indique qu’elle continuera de travailler pour atteindre cet objectif. Le gouvernement Legault reste ainsi fidèle à la position constitutionnelle traditionnelle du Québec qui réclame une protection contre l’érosion de son poids relatif à la Chambre des communes.
Il n’est pas inutile de rappeler que l’entente de Charlottetown de 1992 garantissait au Québec 25 % des sièges à la Chambre des communes. Rappelons aussi que, en 2010, lorsque le gouvernement Harper a déposé un projet de loi qui diminuait le poids du Québec à la Chambre des communes, l’Assemblée nationale avait réaffirmé unanimement ce qui suit :
[...] le Québec, en tant que nation, doit pouvoir bénéficier d’une protection spéciale du poids de sa représentation à la Chambre des communes;
De plus, l’Assemblée nationale demandait aux élus de tous les partis politiques siégeant à Ottawa de renoncer à adopter tout projet de loi qui avait pour effet de diminuer le poids de la représentation du Québec à la Chambre des communes.
Je comprends que l’article de la Constitution qui contient les énoncés liés au nombre de sièges pour chaque province est modifiable unilatéralement par le Parlement canadien et que ce n’est pas le cas pour le principe de la représentation proportionnelle qui, lui, requiert l’assentiment de sept provinces qui représentent 50 % de la population.
En conclusion, j’affirme que si le projet de loi C-14 évite au Québec d’être la première province à perdre un siège à la Chambre des communes depuis 1966, il n’en demeure pas moins que sans ce changement constitutionnel, le Québec est condamné à voir son poids politique s’éroder, comme c’est le cas depuis 1867, en raison de son poids démographique.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Dawson, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)