Le Code criminel—La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
20 juin 2022
Propose que le projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, soit lu pour la deuxième fois.
Honorables sénateurs, j’interviens pour lancer le débat en deuxième lecture du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Le projet de loi prévoit d’importantes améliorations à la manière dont nous abordons la détermination de la peine au Canada. Il ne résoudra pas tous les problèmes, mais il contribuera à recentrer le système de justice pénale sur la réadaptation, le bien-être de la collectivité et la véritable sécurité communautaire. Je suis fier d’en être le parrain.
Mon bureau a déjà eu des discussions sur le projet de loi avec de nombreux sénateurs. Certains d’entre vous ont demandé s’il aura une incidence significative. De toute évidence, je pense que oui.
Permettez-moi de commencer en citant d’autres voix crédibles sur ce point afin que vous n’ayez pas à croire le gouvernement sur parole.
L’Association du Barreau canadien affirme que le projet de loi C-5 « prévoit des mesures importantes en vue de réformer le Code criminel pour favoriser une procédure de détermination de la peine fondée davantage sur la preuve et les principes ».
En effet, elle prévoit que le projet de loi :
[…] mènera à un régime de détermination de la peine plus juste et plus équitable, un régime qui reconnaît que les infractions criminelles peuvent être commises de diverses façons et qu’il n’y a pas de solution universelle, surtout en ce qui concerne les délinquants issus de communautés traditionnellement marginalisées.
Ce sont les mots de l’Association du Barreau canadien.
Une directrice de la South Asian Bar Association of Toronto a dit au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de l’autre endroit que « nous avons besoin d’une mesure législative comme le projet de loi C-5 », car ce dernier « conférerait encore une fois au système de justice pénale le pouvoir discrétionnaire ».
Un conseiller juridique principal de l’African Nova Scotian Justice Institute a aussi témoigné en faveur du projet de loi C-5, le qualifiant d’« étape nécessaire vers la justice ».
L’Association des femmes autochtones du Canada parle du projet de loi C-5 comme « une étape significative vers la réconciliation » et prévoit qu’il « commencera immédiatement à réduire le taux d’incarcération des femmes autochtones, qui sont surreprésentées dans le système. »
Autrement dit, il s’agit d’un projet de loi important qui aura des répercussions considérables, et beaucoup d’intervenants pertinents le jugent grandement utile. J’ai hâte de renvoyer ce projet de loi au comité pour qu’il soit étudié comme il se doit. J’espère qu’à la fin de nos délibérations, nous pourrons transformer la promesse de ce projet de loi en réalité pour les nombreux Canadiens qui bénéficieront de ses dispositions.
Pour bon nombre d’entre nous, la législation en matière pénale est personnelle. Il y a des sénatrices et des sénateurs dans cette enceinte qui ont été directement touchés par des actes criminels. Plusieurs d’entre eux ont des proches et des connaissances qui ont été victimes d’actes criminels et qui ont ressenti la colère, le chagrin et la vulnérabilité qui peuvent en résulter, ainsi que la détermination à veiller à ce que personne d’autre ne connaisse le même sort.
Plusieurs d’entre nous connaissent également des personnes qui ont fait face à des accusations criminelles et qui sont prises dans les mailles du système judiciaire, un système qui n’est pas toujours équitable. Nos prisons sont pleines de personnes qui ont été sujettes à une combinaison et à un degré de pauvreté, de mauvais traitements, de maladies mentales, de dépendances, de troubles du comportement et de troubles d’apprentissage, souvent superposés à un héritage de colonialisme et de racisme, et ainsi qu’à des institutions conçues pour contrôler ces personnes et leur communauté, plutôt que de les soutenir.
J’ai souvent constaté cette situation au cours des années où j’ai siégé à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Lorsque vous apprenez à connaître des personnes qui sont dans cette situation et que vous comprenez à quel point le potentiel gaspillé se retrouve inutilement derrière les barreaux, cela peut, ou, oserais-je dire, cela devrait conduire à une volonté à améliorer les choses. Ce projet de loi permettra de faire cela sur deux plans : il répond à la fois aux préoccupations concernant la victimisation et la surincarcération, et il contient plusieurs éléments conçus pour améliorer la capacité de notre système de justice pénale à réagir de manière juste et efficace lorsque des personnes enfreignent la loi.
Le projet de loi C-5 réserve des sanctions sévères pour des comportements criminels graves tout en reconnaissant que, dans certains cas, les intérêts de la justice et de la sécurité publique sont mieux desservis par des approches flexibles et créatives en matière de détermination de la peine ou même par l’absence de peine.
Les mesures du projet de loi qui ont le plus attiré l’attention sont celles qui visent à éliminer les peines minimales obligatoires pour certaines infractions. Cependant, avant de parler de ces mesures, j’aimerais parler d’autres aspects du projet de loi qui n’ont pas fait les manchettes aussi souvent, mais qui auront également d’importants effets positifs.
Le premier aspect se trouve dans la partie du projet de loi qui vise à modifier certaines dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Le projet de loi C-5 exigerait que les policiers et les procureurs envisagent d’autres options au lieu de porter des accusations au criminel pour possession simple de drogue.
Cette partie du projet de loi C-5 vise essentiellement à mettre en place les mesures de l’ancien projet de loi d’initiative parlementaire C-236, parrainé à la Chambre des communes par Nathaniel Erskine-Smith, lors de la dernière législature.
Cette approche s’accorde avec la Stratégie canadienne sur les drogues et autres substances, mise en œuvre par le ministère de la Santé plutôt que par le ministère de la Justice ou le ministère de la Sécurité publique. Cette stratégie repose sur quatre piliers : la prévention, le traitement, la réduction des méfaits et l’application de la loi. Elle repose aussi sur le principe voulant que la toxicomanie soit traitée principalement comme un problème social et médical, car c’est bien de cela qu’il s’agit, honorables collègues.
Cette approche s’accorde aussi avec les directives publiées en 2020 par la directrice des poursuites pénales. Selon ces directives, les procureurs fédéraux doivent porter des accusations seulement pour « les cas les plus graves » d’infractions relatives à la possession de drogue, comme lorsqu’un entraîneur ou un enseignant consomme de la drogue pendant que des enfants sont sous sa garde.
L’approche s’appuie également sur un rapport de 2020 de l’Association canadienne des chefs de police qui appuie « les alternatives aux sanctions pénales rattachées à la simple possession de drogues illicites » et affirme que la déjudiciarisation peut avoir des effets positifs, notamment « la réduction du récidivisme, [la] réduction des infractions secondaires et [l’]amélioration de la santé et de la sécurité ».
On a longtemps pensé qu’une approche pénale forte à l’encontre de ceux qui consomment des drogues et de ceux qui sont impliqués dans la production et le trafic de drogues conduirait à une diminution constante de la consommation de drogues, à une réduction importante du marché des drogues contrôlées et à la réalisation d’un environnement sans drogues.
Cependant, plus de 50 ans d’efforts en matière de répression n’ont pas permis de réduire sensiblement la consommation ou la distribution de drogues. Cette approche reposait en grande partie sur l’idée selon laquelle la consommation problématique de drogues reposait sur des actions volontaires de la part des toxicomanes et que les personnes souffrant d’un problème de toxicomanie, si elles le voulaient vraiment, pouvaient tout simplement arrêter.
Ce que la recherche a montré, c’est que le trouble de la consommation de substances a une base neurobiologique et que ce trouble doit être traité comme un problème médical, comme tout autre problème de santé. En conséquence, les attitudes à l’égard de la consommation de drogues ont évolué. Aujourd’hui, de nombreux professionnels de la santé, des organisations de lutte contre la drogue, des membres des forces de l’ordre et de nombreux Canadiens appellent à une approche sanitaire de la consommation de drogues. C’est ce qui ressort des réactions des Canadiens face à la crise des opioïdes et au nombre élevé de décès qui en a résulté.
Les modifications proposées au moyen du projet de loi C-5 proposent un ensemble de principes qui reconnaissent le changement d’attitude et encouragent les agents de la paix à garder à l’esprit que la consommation problématique de drogues devrait être abordée principalement comme une question de santé et de société lorsqu’ils exercent leurs pouvoirs discrétionnaires d’accuser ou non une personne en possession d’une drogue illicite.
En vertu du projet de loi C-5, plutôt que de porter des accusations pour possession de drogue, un agent de la paix doit — non pas peut, mais doit :
[...] évalue[r] s’il est préférable [...] de ne prendre aucune mesure, de donner un avertissement [à l’individu] ou de le renvoyer, s’il y consent, à un programme ou à un organisme ou à un autre fournisseur de services dans la collectivité susceptible de l’aider.
Le projet de loi stipule que les poursuites pour possession simple n’auront lieu que si le procureur est d’avis qu’un avertissement, un renvoi ou d’autres mesures de rechange seraient inappropriés.
Pour aider la police et les procureurs à déterminer ce qui est approprié et ce qui ne l’est pas, le projet de loi énonce une série de principes. Ils se trouvent à l’article 20. Je ne les lirai pas en entier. Essentiellement, ils donnent la priorité à la santé, à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes qui consomment des drogues, ainsi qu’à ceux de leur famille et de leur collectivité, et ne recommandent des inculpations et des poursuites que lorsque la sécurité publique serait autrement menacée.
Comme je l’ai mentionné, l’approche proposée par le projet de loi C-5 pour la possession de drogues s’apparente à la façon dont le Service des poursuites pénales du Canada fonctionne depuis maintenant deux ans. Le projet de loi enchâsse cette approche dans la loi et étend son application à la police et aux procureurs de la Couronne dans les provinces.
En plus de ce qui précède, trois modifications concernant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ont été apportées en comité à l’autre endroit. La première précise le type d’informations qui sont conservées dans le dossier de police et l’utilisation qui peut en être faite, ainsi que les personnes à qui elles peuvent être divulguées, comme de façon anonyme à des agences de recherche, afin que nous puissions voir, par exemple, l’effet de ces mesures et si la déjudiciarisation est utilisée plus souvent pour des membres de certaines communautés que pour d’autres. Il est important de noter que ces informations ne peuvent pas être utilisées dans le cadre de procédures judiciaires.
La deuxième modification est particulièrement importante. Lorsqu’un individu est reconnu coupable de simple possession de drogue, ses condamnations passées et futures doivent être conservées séparément des autres condamnations pénales deux ans après la fin de sa peine, c’est-à-dire que son casier judiciaire sera suspendu. Il ne sera pas nécessaire de soumettre une demande ou de payer les frais.
La même chose arrivera à tous les dossiers existants pour possession de drogue dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur du projet de loi. Cela permettra aux individus ayant été condamnés pour possession de drogue de continuer à vivre leur vie, que ce soit en faisant des études, en profitant de perspectives d’emplois ou en s’engageant au sein de leur communauté, sans être freinés par un dossier lié à une condamnation antérieure pour possession simple.
Par le truchement de cet ajout, le projet de loi fournit ainsi un mécanisme permettant de réduire la stigmatisation associée aux condamnations pour simple possession de drogue.
Enfin, le dernier ajout permet de préciser que les travailleurs sociaux, les professionnels de la santé et les prestataires de services ne commettent pas d’infraction lorsqu’ils entrent en possession de drogues dans l’exercice de leurs fonctions et qu’ils ont l’intention de s’en débarrasser légalement dans un délai raisonnable.
En pratique, cet article du projet de loi C-5 vise à rendre rares les poursuites pour possession de drogue et à codifier le concept voulant que le rôle de la police et des procureurs ne consiste pas à attraper des toxicomanes pour les enfermer, mais à faire partie d’une infrastructure communautaire qui encourage la sécurité et le bien-être de chacun. De cette manière, quand la police surprend un jeune de 18 ans en possession d’une petite quantité de cocaïne, par exemple, au lieu de se retrouver dans le système judiciaire pendant un an pour finir avec une peine de deux ans et un casier judiciaire — ce qui implique que personne ne voudra l’embaucher ni lui louer un logement, ou que sa jeunesse se transforme généralement en brouilles, en colère et en désespoir —, ce jeune aura une seconde chance. Il sera plus enclin à adhérer à un programme de traitement dans la collectivité, à terminer l’école secondaire et à commencer à bâtir sa vie. C’est mieux pour le jeune et pour la sécurité de la collectivité, parce qu’une personne en bonne santé qui mène une vie productive commet moins de crimes et fait moins de victimes.
Honorables sénateurs, si c’était là l’ensemble du projet de loi, ce serait suffisant pour qu’on lui accorde notre appui, mais, bien entendu, il y a plus.
Le projet de loi C-5 annule aussi des restrictions imposées il y a une décennie sur les ordonnances de sursis. Quand le ministre Lametti a rencontré récemment les membres du Groupe de travail des sénateurs autochtones, il a exprimé un enthousiasme particulier pour cette partie du projet de loi. C’est aussi le cas d’un certain nombre d’intervenants du système de justice pénale, même des personnes ayant critiqué d’autres parties du projet de loi C-5. L’Association des femmes autochtones du Canada croit que cette partie permettrait de commencer immédiatement à réduire le recours excessif à l’incarcération des femmes autochtones.
Honorables sénateurs, les ordonnances de sursis sont en vigueur au Canada depuis 1996. Dans les cas où un juge détermine qu’une peine de moins de deux ans est indiquée et que la sécurité communautaire ne serait pas menacée, ces ordonnances permettent aux juges d’imposer une peine communautaire au lieu d’une peine d’emprisonnement. Cette sorte de peine est assortie de conditions fixées par le juge, telles que des assignations à résidence, des heures de rentrée ou des programmes de traitement obligatoires. La solution de rechange est souvent des prisons territoriales ou provinciales, l’endroit où les peines de moins de deux ans sont purgées au Canada. Les ordonnances de sursis ont l’avantage de ne pas enlever les gens de leur collectivité inutilement et d’éviter toutes les conséquences à long terme que l’incarcération aurait sur eux et leur famille.
Une ordonnance de sursis permettrait à une mère de rester avec ses enfants au lieu d’être envoyée en prison et d’éviter que ses enfants soient confiés aux services de protection de l’enfance. Une ordonnance de sursis permettrait à une personne de garder son emploi plutôt que de lutter pour gagner sa vie lorsqu’elle sortira de prison. Dans les collectivités éloignées du Nord, l’ordonnance de sursis signifie qu’un jeune qui commet un crime mineur contre les biens n’a pas à être envoyé en prison à Iqaluit, à Yellowknife ou à Whitehorse, à des centaines, voire des milliers de kilomètres de chez lui, alors qu’il pourrait en toute sécurité être tenu responsable de ses actes et assurément avoir de meilleures perspectives de réadaptation dans sa communauté d’origine.
Lorsqu’on leur a donné la possibilité d’imposer des ordonnances de sursis dans les années 1990, les tribunaux se sont mis à y avoir recours dans une grande mesure. En 2004 et 2005, près de 19 000 ordonnances de sursis ont été imposées au Canada. Autrement, ces 19 000 personnes se seraient retrouvées dans une prison provinciale ou territoriale, même si elles ne représentaient aucun risque pour la sécurité publique.
En 2007, puis en 2012, le recours aux ordonnances de sursis a été ciblé par une série de restrictions. Une longue liste d’infractions est devenue inadmissible même si un juge pensait qu’une telle ordonnance serait appropriée selon les circonstances. On ne pouvait plus recourir aux ordonnances de sursis pour toute infraction assortie d’une peine maximale de 14 ans ou plus.
Chers collègues, prenons la peine de nous arrêter pour bien comprendre ce que je viens de dire. Prenons l’exemple d’une infraction pour laquelle la peine maximale possible est de 14 ans, comme le trafic de biens volés d’une valeur de plus de 5 000 $. Cette infraction peut couvrir un large éventail de comportements, du baron à la tête d’une grosse entreprise criminelle à la personne qui traverse une ville en cachant des bijoux dans le coffre de sa voiture, parce que son conjoint lui a dit de le faire. Un juge pourrait vouloir donner une peine avec sursis à cette personne s’il considère qu’elle ne représente aucune menace pour la société et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle aille en prison. Or, en vertu des modifications apportées en 2012, cette personne ne peut pas avoir une peine avec sursis à cause de la théorie de la peine maximale de 14 ans. Autrement dit, elle doit aller en prison simplement parce qu’il serait possible d’imaginer qu’une autre personne pourrait mériter une peine de 14 ans pour le même type de comportement, mais dans des circonstances différentes. Chers collègues, cela n’est pas vraiment logique et cela ruine des vies.
En 2018-2019, on prononçait environ 8 000 condamnations avec sursis de moins par an, comparativement à ce qui se faisait 15 ans plus tôt. Le résultat, c’est que 8 000 personnes par an ont été envoyées inutilement en prison. Elspeth Kaiser-Derrick, une chercheuse de l’Université de la Colombie-Britannique, a révélé que les femmes autochtones sont particulièrement touchées. Elle a étudié le cas de 44 femmes autochtones qui ont reçu une condamnation avec sursis. Elle a conclu qu’à cause des restrictions imposées en 2007 et en 2012, seulement 8 de ces 44 femmes seraient admissibles à une condamnation avec sursis aujourd’hui.
Une affaire est actuellement entendue par la Cour suprême du Canada, concernant une femme du nom de Cheyenne Sharma, une jeune mère âgée de 20 ans de la Première Nation Saugeen, qui a transporté de la cocaïne pour son petit ami afin d’éviter de se faire expulser avec sa fille.
En raison des restrictions imposées en 2012, elle n’est pas admissible à une peine avec sursis, un fait qui, selon la Cour d’appel de l’Ontario, contrevient aux droits que lui reconnaît la Charte. Selon la cour :
En restreignant l’admissibilité à une peine avec sursis, les amendements contestés...
... c’est-à-dire les restrictions imposées aux ordonnances de sursis...
... privent la cour d’un important moyen de remédier à la discrimination systémique contre les Autochtones au moment d’envisager une peine appropriée.
C’est ce que corrigerait le projet de loi C-5, en revenant, plus ou moins, à la façon de faire qui existait lorsque le concept des peines avec sursis est apparu pour la première fois.
Les ordonnances de sursis demeureraient inaccessibles dans le cas de certaines infractions graves, comme les infractions graves d’organisation criminelle, les tentatives de meurtre, la torture, le terrorisme et l’encouragement au génocide. Comme cela a toujours été le cas, les ordonnances de sursis ne peuvent pas être imposées lorsqu’une peine d’emprisonnement est exigée par la loi.
Or, selon les données sur l’impact des restrictions imposées entre 2007 et 2012, on peut s’attendre à ce que le recours aux ordonnances de sursis augmente, tandis que le nombre de personnes qui sont en prison, en particulier les femmes autochtones qui n’ont vraiment pas besoin d’y être, diminue.
Honorables sénateurs, rappelons-nous que, à mesure que les tribunaux rendaient un nombre croissant d’ordonnances de sursis, à la fin des années 1990 et dans les années 2000, le taux de criminalité au Canada diminuait. Il est tout simplement logique que, lorsque les gens préservent des liens avec leur communauté, qu’ils sont traités conformément aux conditions ordonnées par le tribunal et qu’ils ne sont pas inutilement déracinés de leur milieu, de leur famille et de leur travail, ils soient plus susceptibles de mener une vie stable et respectueuse des lois.
Fait important, chers collègues, de nombreuses personnes purgent leur première peine d’emprisonnement dans une prison provinciale avant de se retrouver dans un établissement fédéral. En évitant cette peine d’emprisonnement initiale dans une prison provinciale ou territoriale, une ordonnance de sursis peut rompre le cycle et garder les gens complètement hors du système fédéral.
De plus, comme je l’ai brièvement mentionné un peu plus tôt, les ordonnances de sursis peuvent avoir une incidence intergénérationnelle positive. Lorsqu’un parent, disons une mère autochtone monoparentale, obtient une ordonnance de sursis au lieu d’une peine d’emprisonnement, il est plus probable que ses enfants demeurent dans un domicile familial stable plutôt que d’être pris en charge par les services à l’enfance. Cela signifie de meilleures perspectives d’avenir pour ces enfants et une meilleure chance pour nous tous de rompre le cycle d’emprisonnement d’une génération à l’autre que favorise un système de justice qui va trop souvent à l’encontre du bien-être collectif.
En résumé, le projet de loi C-5 fait de la déjudiciarisation la réponse par défaut à l’égard de la possession de drogue et élimine les obstacles aux peines avec sursis. À elles seules, ces mesures considérables rendraient notre système de justice plus juste et plus efficace, réduiraient l’incidence disproportionnée sur les Autochtones et les communautés racisées et feraient en sorte que nous soyons tous plus en sécurité.
Comme je l’ai déjà dit, même si le projet de loi s’arrêtait là, il mériterait notre appui. Or, il va encore plus loin. Le projet de loi C-5 abroge également 20 dispositions imposant une peine minimale obligatoire.
Je dirai lesquelles dans un instant et j’expliquerai pourquoi, mais je voudrais d’abord donner un peu de contexte. Une peine minimale obligatoire établit un plancher pour la détermination de la peine. Dans une telle situation, le juge peut imposer une peine plus sévère, mais pas l’inverse, peu importent les détails de l’affaire ou les circonstances de la personne. Les peines minimales obligatoires font partie du système de justice pénale au Canada depuis la création du Code criminel, en 1892, et, à l’époque, elles allaient d’un mois d’emprisonnement pour corruption dans les affaires municipales à cinq ans pour l’arrêt du courrier dans l’intention de le voler.
Dans les 130 années qui ont suivi, des centaines de peines minimales obligatoires ont été imposées, des dizaines ont été ajoutées et certaines ont été abolies. Pour justifier l’instauration de telles peines, on affirme habituellement qu’elles envoient un message quant au type de comportements criminels les plus inadmissibles, qu’elles empêchent occasionnellement un juge sans jugement d’être tenté de donner un passe-droit et qu’elles ont un effet dissuasif sur les délinquants potentiels. Ce sont les arguments qu’on entend.
En vérité, cependant, aucune preuve n’indique que ces peines ont un effet dissuasif. Il existe un système d’appel qui nous protège contre les décisions judiciaires aberrantes et la plupart des Canadiens savent quels comportements sont inadmissibles même s’ils ne connaissent pas les dispositions sur la détermination de la peine du Code criminel.
Il y a donc lieu de s’interroger au sujet de l’utilité des peines minimales obligatoires. En fait, il est assez évident qu’elles n’envoient aucun message. En outre, il est évident qu’elles favorisent le racisme systémique et la surreprésentation des Autochtones, des Canadiens d’origine africaine et d’autres groupes historiquement marginalisés.
La plus grande partie de ce que nous savons sur la surreprésentation des peuples autochtones, des personnes noires et des membres des communautés marginalisées dans le système de justice pénale provient des statistiques nationales recueillies par divers gouvernements et organismes fédéraux. Nous savons, par exemple, que les Noirs et les Autochtones sont surreprésentés dans la population des accusés.
Selon les données de Service correctionnel Canada, les Noirs et les Autochtones sont surreprésentés dans les établissements fédéraux. De plus, entre 2010 et 2020, ils étaient plus susceptibles — les Noirs à 53 % et les Autochtones à 36 % — d’avoir été admis dans un pénitencier fédéral pour une infraction passible d’une peine minimale obligatoire.
Il y a toujours une surreprésentation marquée des Autochtones et des personnes racisées dans le système de justice pénale, et cette situation est exacerbée par les peines minimales obligatoires.
Les peines minimales obligatoires empêchent notamment les tribunaux d’appliquer pleinement les principes établis dans l’arrêt Gladue qui sont censés guider la détermination de la peine des Autochtones reconnus coupables d’une infraction. Ces principes, qui ont été établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Gladue en 1999 et réaffirmés en 2012, sont fondés sur le paragraphe 718.2e) des lignes directrices du Code criminel sur la détermination de la peine :
e) l’examen, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité.
Selon la Cour suprême, un juge chargé de la détermination de la peine est « [...] tenu de donner une force réelle à l’objet réparateur de la disposition » en tenant compte, entre autres, de ce qui suit :
[...] les facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles le délinquant autochtone se retrouve devant les tribunaux [...]
Dans l’ensemble, nous sommes loin de faire un assez bon travail au Canada pour faire de ces principes une réalité dans chaque cas. Je suis toutefois encouragé de voir que les récents budgets fédéraux ont alloué de nouvelles ressources aux rapports Gladue sur la détermination de la peine et à des initiatives similaires qui peuvent s’appliquer aux membres d’autres communautés surreprésentées dans le système de justice pénale. Cependant, le recours excessif aux peines minimales obligatoires signifie souvent que, même lorsque les juges veulent donner un poids réel aux principes établis dans l’arrêt Gladue, ils ont les mains liées.
Disons-le clairement : les peines minimales obligatoires ne sont pas la seule cause de la surincarcération des Autochtones et des Noirs au Canada, mais elles font assurément partie du problème. L’élargissement du pouvoir discrétionnaire des juges pour qu’ils puissent traiter de manière juste et spécifique la personne qui se trouve devant eux fait certainement partie de la solution.
Le projet de loi C-5 se concentre principalement sur les peines minimales obligatoires liées aux drogues, promulguées en 2012, et sur celles liées aux armes à feu, promulguées dans les années 1990 et modifiées en 2008. Ces dernières sont à l’origine de la majorité des admissions dans les pénitenciers fédéraux assorties d’une peine minimale obligatoire. Chers collègues, il est important de souligner ce point : il est vrai que le projet de loi ne tient compte que de 20 des quelque 70 peines minimales obligatoires que prévoient nos lois pénales, mais la plupart des personnes qui reçoivent une peine minimale obligatoire reçoivent l’une de ces 20 peines.
J’aborderai d’abord les peines minimales liées aux drogues. Le projet de loi C-5 élimine toutes les peines minimales obligatoires pour les infractions liées aux drogues. Je le répète : si le projet de loi est adopté, il n’y aura plus de peine minimale obligatoire pour les infractions liées aux drogues au Canada. Il s’agirait d’une évolution considérable. Entre 2007-2008 et 2016-2017, sur toutes les admissions dans les établissements fédéraux pour des infractions actuellement visées par une peine minimale obligatoire, 75 % découlaient d’infractions liées aux drogues.
Les effets disproportionnés sont renversants. De toutes les personnes accusées d’importation ou d’exportation de drogues pendant cette période, 42 % étaient des Noirs. En ce qui a trait aux peuples autochtones, les chiffres révèlent une tendance très troublante. En 2012-2013, seulement 1 % des personnes accusées d’importation ou d’exportation de drogues étaient autochtones. En 2016-2017, ce chiffre est passé à 12,5 %. Cela représente une augmentation de 1 200 % au cours des cinq premières années après l’entrée en vigueur des peines minimales obligatoires.
Autrement dit, chers collègues, au cours des 10 dernières années, on a imposé des peines minimales obligatoires à des milliers de personnes pour des infractions liées aux drogues, et un nombre disproportionné de ces personnes étaient des Noirs et des Autochtones.
Le projet de loi C-5 ne règlera pas tous les problèmes connexes, comme les déterminants sociaux du crime et les iniquités dans les services de police, et il n’est pas conçu pour le faire. Toutefois, si nous l’adoptons, les juges n’auront plus les mains liées dans des cas semblables par les dispositions sur les peines minimales obligatoires. Au lieu de cela, ils pourront prendre en considération les circonstances particulières de la personne devant eux et imposer une peine qui lui est appropriée sur le plan de la sécurité publique et de la réadaptation, et qui tient compte des réalités du colonialisme, du racisme et des traumatismes intergénérationnels.
Dans l’ensemble, le projet de loi C-5 amène un changement majeur dans le droit pénal en ce qui concerne les infractions liées à la drogue. Comme je l’ai mentionné, dans la majorité des cas, la police et les procureurs seraient tenus de ne pas déposer d’accusations criminelles pour la possession de drogue. Toutefois, lorsque des accusations pour possession de drogue seraient déposées, les relevés de condamnations seraient automatiquement supprimés deux ans après la fin de la peine. Toutes les peines minimales obligatoires pour les infractions liées aux drogues seraient éliminées, mais les peines avec sursis demeureraient une option pour les cas où cette option serait appropriée, notamment dans l’intérêt de la sécurité publique.
Je le répète : si le projet de loi C-5 ne proposait que ces mesures, il y aurait suffisamment de raisons pour justifier notre appui. Cependant, il offre plus, et je parle de l’abrogation des peines minimales obligatoires pour une grande quantité de délits commis avec une arme à feu ou d’autres types d’armes.
Parmi les contrevenants de ces types de délits, on retrouve une surreprésentation des Autochtones et la situation empire au fil des années. Par exemple, en 2007-2008, 17,5 % des contrevenants admis dans les centres de détention sous responsabilité fédérale pour les délits commis avec une arme à feu menant à des peines minimales obligatoires étaient des Autochtones. En 2016-2017, ce pourcentage avait grimpé à 40 %.
Je sais qu’il s’agit d’une partie du projet de loi qui suscite un grand nombre d’inquiétudes et que les infractions liées aux armes à feu et aux armes sont sans aucun doute sérieuses. Je passerai donc en revue les peines minimales obligatoires que le projet de loi C-5 abrogerait en gardant à l’esprit que même sans peine minimale obligatoire, les juges peuvent imposer et imposent des peines sévères lorsqu’ils estiment que de telles peines sont appropriées.
À titre de précision, notre régime législatif établit une distinction entre une arme à feu prohibée, une arme à feu à autorisation restreinte et celles sans restrictions, en plus des armes, munitions et dispositifs interdits. Une arme à feu prohibée comprend notamment les armes de poing à canon court et celles qui sont énumérées dans le règlement.
Dans la catégorie des armes à autorisation restreinte, on compte les armes de poing qui ne sont pas prohibées, les fusils à canon court et les fusils semi-automatiques à percussion centrale ainsi que ceux qui sont proscrits par le règlement.
Enfin, une arme à feu sans restriction comprend toute arme à feu qui n’est pas prohibée ou restreinte. La plupart des armes d’épaule courantes se retrouvent dans cette dernière catégorie.
Le projet de loi abrogerait des peines minimales obligatoires liées au trafic, à l’importation et à l’exportation d’armes illégales ou à autorisation restreinte. Pour être clair, ces dispositions ne s’appliquent pas au trafic d’armes à feu. Les armes interdites par le Code criminel sont par exemple le gaz lacrymogène, les arbalètes ou les coups-de-poing américains. En ce moment, les juges canadiens sont obligés d’imposer une peine d’un an de prison pour une première infraction pour avoir par exemple importé du gaz poivré au Canada. Il peut certainement y avoir des cas où cette peine est appropriée, mais le juge devrait sûrement pouvoir être autorisé à faire la distinction entre, disons, une cargaison de gaz poivré destiné à la revente sur le marché noir et une personne qui aurait oublié qu’elle a une bonbonne de gaz poivré dans son coffre à gants lorsqu’elle se présente à la frontière.
Le projet de loi C-5 abrogerait aussi plusieurs peines minimales obligatoires concernant la possession d’une arme à feu ou d’une arme, d’un dispositif ou de munitions prohibés. Une de ces peines est déjà abrogée parce que la Cour suprême l’a invalidée en 2015 dans l’affaire R. c. Nur parce qu’il était beaucoup trop facile d’inventer un scénario hypothétique selon lequel il serait cruel et inhabituel d’imposer une peine minimale de trois ans pour une première infraction.
Cela pourrait par exemple s’appliquer à un propriétaire d’arme à feu détenant un permis qui entrepose son arme à feu à son chalet au lieu de sa résidence principale. Dans le cas d’une arme à feu obtenue par la perpétration d’une infraction, il pourrait s’agir d’une femme qui se retrouve en possession d’une arme volée par son copain et qui ne mériterait peut-être pas d’être condamnée à un an de prison, comme le prévoit actuellement la loi.
Ce projet de loi abrogerait aussi la peine minimale obligatoire liée à l’usage d’une arme à feu ou d’une fausse arme à feu lors de la perpétration d’une autre infraction. Comme vous pouvez l’imaginer, cette accusation est habituellement portée de concert avec l’accusation visant l’autre infraction, quelle qu’elle soit, et elle s’applique même si elle n’a pas causé de lésions corporelles. Ce qui importe, c’est que cette disposition ne s’applique pas à l’utilisation d’une arme à feu lors de la perpétration de nombreuses infractions graves comme les homicides involontaires coupables, les tentatives de meurtre, les agressions sexuelles ou les enlèvements, car ces infractions sont visées par des dispositions distinctes qui s’appliquent lorsqu’il y a usage d’une arme à feu.
Le projet de loi éliminerait les peines minimales obligatoires associées spécifiquement à l’utilisation d’une arme à feu pendant un vol qualifié ou une extorsion, mais seulement s’il n’y a aucun lien avec une organisation criminelle et s’il ne s’agit pas d’une arme à autorisation restreinte — autrement dit, s’il s’agit d’un fusil de chasse et non d’une arme d’assaut ou d’une arme de poing. L’idée, c’est que la probabilité de facteurs atténuants est plus forte dans une situation où un jeune perturbé prend le fusil de chasse de la famille que dans le cas d’affrontements armés entre des gangs.
De toute évidence, un vol à main armée est un crime très grave, peu importe les circonstances, et le juge imposera une peine sévère quand les circonstances de l’infraction le justifient. L’exemple que voici montre toutefois le genre de cas où il serait bon que les juges aient plus de pouvoir discrétionnaire.
En 2016, à Hay River dans les Territoires du Nord-Ouest, un Déné des montagnes de 21 ans nommé Cameron Bernarde est entré dans un dépanneur en tenant à la main un fusil, plus précisément un fusil au canon rouillé dont la culasse était ouverte, ce qui veut dire que le fusil ne pouvait pas tirer de balles. Le commis lui a donné 200 $ qui se trouvaient dans le tiroir-caisse, mais il a dit plus tard à des journalistes qu’il ne s’était « jamais fait voler par une personne aussi incompétente ». Cela n’a rien d’étonnant. Cameron a un trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, il a été victime d’agressions sexuelles et, selon le témoignage d’un psychologue, il a l’âge mental d’un enfant de 9 ans.
Cameron a plaidé coupable et a été condamné à la peine minimale obligatoire de quatre ans de prison. Son avocat a contesté la peine, la qualifiant de tout à fait disproportionnée et soutenant qu’elle était inconstitutionnelle. Cette contestation a échoué, mais même la juge qui a confirmé la peine minimale obligatoire dans l’affaire de Cameron a dit que, sans cette contrainte, elle aurait probablement imposé trois ans plutôt que quatre. Autrement dit, à cause de cette peine minimale obligatoire, un jeune homme autochtone ayant de graves difficultés psychologiques a écopé d’une année de prison de plus que ce que la juge aurait autrement considéré comme approprié.
Voilà le genre de détail humain qui peut nous échapper et le genre d’injustice qui peut survenir lorsque nous comptons seulement sur un raccourci comme « vol à main armée » pour décrire un éventail de comportements et toute une gamme de contextes.
De plus, le projet de loi C-5 abroge les peines minimales obligatoires pour le déchargement d’une arme à feu avec insouciance et le déchargement d’une arme à feu avec une intention particulière. Encore une fois, cela ne s’appliquerait qu’à des cas sans lien avec le crime organisé et où il ne s’agit pas d’arme à feu à autorisation restreinte.
Encore une fois, ces infractions sont évidemment très graves et, je le répète, le cas échéant, un juge imposera une peine appropriée. Cependant, permettez-moi de vous donner encore un exemple où les circonstances justifient que l’on s’en remette au pouvoir discrétionnaire des juges.
Cedric Ookowt est issu d’une famille inuite de Baker Lake, au Nunavut. Son père a des antécédents de consommation excessive d’alcool. En 2015, alors qu’il avait 18 ans, un de ses bons amis s’est suicidé et Cedric a commencé à boire beaucoup. Quelques mois plus tard, en 2016, Cedric marchait dans la rue en état d’ébriété et un autre homme, nommé Arnold, qui l’avait intimidé pendant des années, l’a attaqué, l’a frappé au visage et a essayé de lui voler sa bouteille d’alcool. Cedric est rentré chez lui, a pris un fusil et, depuis une colline voisine, a tiré un coup de feu sur la maison d’Arnold, sans savoir si quelqu’un était à l’intérieur. Il se trouve que l’oncle d’Arnold était à la maison, mais, heureusement, il n’a pas été blessé.
Le juge chargé de la détermination de la peine a estimé que la peine minimale obligatoire de quatre ans était excessive. Il a noté que Cédric avait déjà entamé des programmes de réadaptation, notamment un traitement pour toxicomanie au Centre correctionnel de Baffin, à Iqaluit.
Le juge a également cité la jurisprudence de la Cour suprême du Canada dans Gladue et dans une affaire semblable, la décision Ipeelee de 2012, qui disait ce qui suit, et je cite :
[...] les tribunaux doivent prendre connaissance d’office de questions telles que l’histoire de la colonisation, des déplacements de populations et des pensionnats et la façon dont ces événements se traduisent encore aujourd’hui chez les peuples autochtones par un faible niveau de scolarisation, des revenus peu élevés, un taux de chômage important, des abus graves d’alcool ou d’autres drogues, un taux élevé de suicide et, bien entendu, un taux élevé d’incarcération.
Le juge a écarté la peine minimale obligatoire et a plutôt imposé une peine de deux ans moins un jour. Cela signifiait que Cedric pouvait rester à Iqaluit et continuer d’être incarcéré et d’être traité là-bas, dans un environnement inuit. Si la peine minimale de quatre ans avait été imposée, Cedric aurait été transféré dans un pénitencier fédéral situé dans le sud du pays, car toutes les peines de deux ans ou plus sont purgées dans un établissement fédéral.
La décision a, par la suite, été cassée en appel, bien que Cedric ait purgé sa peine de deux ans à ce moment-là et que la Cour d’appel a choisi de ne pas le renvoyer en prison pour deux ans encore. Toutefois, il importe de noter que la Cour d’appel n’a pas décidé qu’il soit approprié d’imposer une peine de quatre ans. Elle a simplement déclaré que la peine minimale obligatoire n’était pas excessive au point d’être inconstitutionnelle. Enfin, je note que cette jurisprudence est sujette à une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada, mais son processus est retardé en raison du dépôt de la dernière version du projet de loi, laquelle, comme je l’ai déjà mentionné, propose d’éliminer la peine minimale contestée.
Il est encore trop tôt pour savoir comment le reste de la vie de Cedric se déroulera. Le juge qui a entendu le témoignage et a analysé la preuve a estimé qu’il était préférable de lui faire suivre un traitement de deux ans dans un établissement correctionnel au Nunavut plutôt que de l’emprisonner pendant quatre ans dans un endroit qui se trouve à des milliers de kilomètres de la communauté inuite et où il ne serait plus en contact avec sa culture. En éliminant ces peines minimales obligatoires, nous reconnaissons que le juge est mieux placé que nous pour examiner les faits et les circonstances propres aux personnes concernées, et que la décision lui appartient.
C’est tout ce qui est proposé, à part l’élimination des peines minimales obligatoires pour la contrebande de tabac. Les sénateurs se rappelleront que, en 2013 et 2014, lorsqu’on a débattu au sujet des peines minimales obligatoires pour la contrebande de tabac, on a dit craindre que l’on cible et que l’on criminalise des gens pauvres et marginalisés comme des membres des Premières Nations.
Chers collègues, le projet de loi C-5 propose essentiellement d’opter pour la déjudiciarisation plutôt que pour l’incarcération en cas de possession de drogue, de réduire les obstacles concernant l’accès aux peines d’emprisonnement avec sursis, d’éliminer complètement les peines minimales obligatoires pour les infractions relatives à la drogue et d’accorder plus de pouvoir discrétionnaire aux juges à l’égard de certaines infractions relatives aux armes, y compris les armes à feu.
Comme je l’ai indiqué plus tôt, cet ensemble de mesures n’est pas une solution miracle, mais il sera utile. Ces mesures contribueront de façon importante à lutter contre la discrimination systémique et à rendre les collectivités plus sûres, surtout si elles s’accompagnent de ressources pour les programmes communautaires et les services sociaux. Nous avons vu des progrès à ce chapitre, honorables collègues. Le budget de 2021 comprenait un investissement de 216 millions de dollars sur cinq ans et un investissement annuel de 43 millions de dollars par la suite pour les programmes de déjudiciarisation destinés aux jeunes. On a aussi offert un investissement de 75 millions de dollars sur trois ans pour l’élaboration d’une stratégie en matière de justice autochtone, en collaboration avec les peuples et les organisations autochtones, en vue de lutter contre les obstacles systémiques dans le système de justice pénale.
L’Énoncé économique de l’automne 2020 comprenait un investissement de 29 millions de dollars pour soutenir et accroître le financement des centres de justice communautaire, une mesure qui a mené à une entente tripartite entre le gouvernement fédéral, le gouvernement de la Colombie-Britannique et le BC First Nations Justice Council afin d’élargir l’accès aux centres de justice communautaire dans cette province.
Il y a également d’importants investissements visant à révéler les lacunes dans les données sur la surreprésentation, y compris les données nationales sur les services de police et les tribunaux et les données sur les délinquants purgeant des peines provinciales ou territoriales, qui ne comprennent pas d’identifiants autochtones ou ethnoculturels actuellement.
Le budget de 2021 a prévu d’octroyer plusieurs millions de dollars à Statistique Canada et à Justice Canada pour soutenir le développement des données recueillies au moyen de la recherche, pour éclairer les réponses politiques à la surreprésentation des Autochtones et des personnes racisées dans le système de justice pénale. De plus, le budget a alloué au-delà de 100 millions de dollars sur cinq ans pour un plan d’action sur les données désagrégées, qui soutiendra la collecte de nouvelles données sur les expériences des peuples autochtones et des groupes racisés dans le système de justice pénale, y compris une collaboration entre l’Association canadienne des chefs de police et Statistique Canada, qui permettra à la police de communiquer des statistiques sur les groupes autochtones et ethnoculturels.
Ces investissements constituent un bon point de départ. De toute évidence, tous les ordres de gouvernement doivent continuer d’investir et de faire des efforts soutenus pour que les chiffres budgétaires mènent à des résultats concrets sur le terrain, comme les ce qui s’est fait récemment en Colombie-Britannique. Je me réjouis du fait que nous sommes enfin sur la bonne voie, et le projet de loi C-5 en est un élément important.
Honorables sénateurs, je sais que certaines personnes demandent qu’on aille encore plus loin, par exemple, en abrogeant toutes les peines minimales obligatoires ou en légalisant pleinement toutes les substances contrôlées. Ce sont là des points de vue légitimes. Les sénateurs sont libres de les défendre pendant le débat de ce soir et en comité, mais je les encourage tout de même à reconnaître que le projet de loi C-5 n’est pas qu’un simple peaufinage. Il ne s’agit pas seulement de rafistoler la loi. C’est une entreprise importante qui aidera réellement des personnes et qui rendra nos collectivités plus saines et plus sûres.
Je tiens d’ailleurs à souligner qu’une dernière modification a été apportée au projet de loi C-5 à l’autre endroit, qui exige que le Parlement — et donc les deux Chambres, y compris la nôtre — procède à un examen complet des dispositions et du fonctionnement du projet de loi. Cet examen aurait lieu quatre ans après son entrée en vigueur.
Honorables sénatrices et sénateurs, j’espère que nous pourrons étudier ce projet de loi de manière approfondie et minutieuse, mais aussi le plus rapidement possible. Des centaines de personnes sont condamnées chaque mois partout au pays. Cela comprend des femmes autochtones qui iront en prison au lieu d’avoir une condamnation avec sursis dans leur communauté; des enfants autochtones qui seront confiés aux services de protection de l’enfance en conséquence; des adolescents inuits en difficulté, emprisonnés à des milliers de kilomètres de chez eux; de nombreux Noirs et Autochtones qui seront condamnés en vain à des années d’incarcération obligatoire.
Je terminerai par ceci : je sais que de nombreux Canadiens attendent un projet de loi comme celui-ci depuis longtemps et je compatis vraiment avec ceux qui souhaiteraient qu’il en fasse encore plus. Toutefois, je suis également conscient — et je suis sûr que vous l’êtes aussi — que c’est une chose difficile à faire pour un gouvernement. Il est très facile d’imposer des peines plus sévères et de sévir contre la criminalité. Cela paraît bien. Cela fonctionne bien dans un courriel de collecte de fonds. Cependant, le gouvernement essaie ici de faire quelque chose de difficile — de vraiment difficile — en abrogeant les peines minimales obligatoires et en permettant plus de souplesse et de nuance dans la détermination des peines.
Dans son état actuel, ce projet de loi a suscité à l’autre endroit de vives accusations de laxisme du gouvernement à l’égard de la criminalité, et je suis sûr que nous en entendrons aussi dans cette enceinte. Il faut toutefois garder à l’esprit où en est vraiment rendu le pays après des décennies d’arguments erronés selon lesquels plus de temps d’emprisonnement nous assurerait en quelque sorte plus de sécurité. Espérons que ce discours a commencé à changer et qu’il continuera à changer. À mon avis, chers collègues, il y a beaucoup de mérite dans une approche qui ne commence pas par viser la lune, dans une approche qui change les choses de façon réelle et tangible. À cet égard, j’ai bon espoir que nous pourrons amener les Canadiens sur la voie d’un meilleur système de justice plutôt que de nous écarter du courant dominant au point d’inviter le pendule à revenir en arrière.
Au début de mes remarques, j’ai cité l’African Nova Scotian Justice Institute, qui considère le projet de loi C-5 comme « une étape nécessaire vers la justice », ainsi que l’Association des femmes autochtones du Canada, qui l’appelle « une étape significative vers la réconciliation ».
J’espère que nous pourrons franchir cette étape ensemble et que nous le ferons bientôt. Honorables sénateurs, je vous encourage à appuyer le projet de loi C-5 en principe et à le renvoyer au comité pour qu’il fasse l’objet d’une étude appropriée. Merci.
Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?
Bien sûr.
Sénateur Gold, je vous félicite pour votre discours extrêmement bien préparé sur un sujet très complexe. Je félicite également le ministre. Comme vous l’avez dit dans votre discours, le changement n’est jamais facile, que ce soit dans le monde politique ou ailleurs. Toutes mes félicitations à vous et au ministre. Le ministre a été très courageux de présenter cette mesure législative.
Cela dit, monsieur le sénateur, vous savez où je veux en venir. Bien sûr, j’appuie tout ce que vous avez dit, chacun des mots que vous avez utilisés. Comme vous l’avez dit, une solution unique ne fonctionne pas et il faut accorder un pouvoir discrétionnaire au sein du système de justice, ce qui est difficile. C’est effectivement difficile. Ce que je veux vous dire, c’est de ne pas viser la lune. Il faut tenir compte de certains cas. Selon mes calculs — et nous réglerons cette question au comité —, vous avez parlé de 20 peines minimales obligatoires; j’aurais dit 22, mais ce n’est pas important.
Le gouvernement cible 20 peines minimales obligatoires. Selon mes calculs, il y a quelque 73 peines minimales obligatoires, et les juges en ont confirmé 37. Mes chiffres ne sont peut-être pas exacts. Je ne suis pas certaine : 37 peines minimales obligatoires semblent inconstitutionnelles.
On dirait qu’il y a un fouillis de chiffres. On parle de 20, 37 ou 73 peines minimales obligatoires. Le gouvernement serait-il prêt à accorder aux juges, dans des cas où les circonstances sont inhabituelles et cruelles, le pouvoir discrétionnaire de ne pas imposer les peines minimales obligatoires?
Je vous remercie encore une fois, sénateur Gold, de votre excellent exposé.
Merci, sénatrice Jaffer. Écoutez, le gouvernement a examiné attentivement cette question et bien d’autres, et il a conclu qu’il se concentrerait sur les infractions qui représentent une vaste majorité des cas — je pense avoir mentionné qu’il s’agissait de 75 % des cas — où les gens sont incarcérés. Il veut aussi mettre l’accent sur les types d’infractions — notamment les infractions en matière de drogue, mais aussi des infractions commises avec des armes d’épaule — ayant des effets graves disproportionnés sur les Autochtones et les Canadiens racisés. C’est manifestement une mesure majeure que le gouvernement prend pour s’attaquer à une grande partie du problème.
Nous étudierons ces questions, et j’attends avec impatience l’étude du comité. Le gouvernement et les fonctionnaires pourront écouter vos questions et y répondre mais, en bref, ce projet de loi est une mesure majeure qui se fait attendre depuis longtemps et un pas dans la bonne direction. Il donne suite à une promesse faite durant la campagne électorale, comme vous le savez. Le comité effectuera son travail, comme il le fait toujours, en s’assurant que la loi est bien comprise et que toutes les questions obtiennent une réponse. Le gouvernement est convaincu que la mesure qu’il prend maintenant constitue un progrès important. Cela n’empêche pas d’autres mesures d’être prises à l’avenir, mais c’est un projet de loi important qui mérite d’être étudié sérieusement en deuxième lecture, et c’est que nous ferons avec votre aide.
Sénateur Gold, dans votre discours, vous avez fait allusion à une peine minimale obligatoire d’un an pour une arme prohibée qui, d’après vous, inclut du gaz poivré. Voyons donc, sénateur Gold! Nous savons tous les deux que, avant même que cette affaire soit portée devant les tribunaux, la police et les procureurs de la Couronne déposeraient les accusations criminelles appropriées. De telles accusations criminelles ne seraient probablement même pas déposées si elles n’étaient pas appropriées. Cependant, puisque vous avez utilisé cet exemple, au cours des cinq dernières années au Canada, combien de condamnations au criminel relatives au gaz poivré y a-t-il eu où l’accusé a reçu une peine minimale obligatoire d’un an? Je dirais que ce nombre tourne autour de zéro.
Je vous remercie de votre question. Encore une fois, il vaut mieux poser ce type de question directement aux fonctionnaires qui ont cette information — même si vous pouvez me la poser, c’est de bonne guerre.
Madame la sénatrice, j’ai utilisé cet exemple pour illustrer que dans toute situation, surtout concernant l’usage d’armes et non d’armes à feu ou d’armes de poing interdites, il y a probablement des circonstances à prendre en compte.
Le point à faire valoir, c’est que dans de telles circonstances, nous voulons que les juges puissent avoir toute la latitude nécessaire pour prendre la bonne décision. Comme vous l’avez justement fait remarquer, il est vrai que la police a un pouvoir discrétionnaire, tout comme les procureurs. Il est également vrai, bien malheureusement, que ce pouvoir discrétionnaire n’est pas toujours exercé de manière équitable vis-à-vis de certains délinquants, notamment les délinquants appartenant à une minorité raciale et les délinquants autochtones.
Le projet de loi C-5 permet de donner au juge — qui doit prendre une décision lorsque la police ou les procureurs ont porté des accusations au criminel pour port d’arme prohibée — le pouvoir discrétionnaire d’adapter la peine aux circonstances de l’affaire. C’est ce que les juges devraient pouvoir faire, et je pense que c’est la raison pour laquelle le projet de loi C-5 mérite d’être appuyé.
Sénateur Gold, étant donné que vous avez mentionné cet argument dans votre discours, pourriez-vous obtenir ce chiffre? Comme vous avez dit que les peines minimales sont utilisées pour le gaz poivré, pourriez-vous nous obtenir ce chiffre et le fournir au Sénat quand vous l’aurez?
Eh bien, je vais certainement m’informer. Je le ferai, mais je veux quand même souligner que ce projet de loi ne parle pas de l’utilisation du gaz poivré. Le projet de loi concerne le pouvoir discrétionnaire des juges en vue d’éviter les injustices lorsque les circonstances et la justice exigent le recours à ce pouvoir et que la loi ne laisse actuellement plus de place à l’exercice de ce pouvoir.
Merci, sénateur Gold. Je suis du même avis que la sénatrice Jaffer. Je vous remercie de ce discours réfléchi.
J’aurais cependant une question à vous poser. Lorsque j’ai rencontré des fonctionnaires du ministère de la Justice, j’ai réalisé que les recherches menées par le ministère n’indiquaient pas qu’il y aurait une forte diminution du nombre de personnes emprisonnées. D’ailleurs, ces recherches montrent que, comme vous l’avez mentionné — la plupart des exemples que vous avez donnés concernaient l’emprisonnement provincial et territorial —, il pourrait y avoir une certaine diminution chez les Noirs et les Autochtones, mais il ne devrait pas y avoir de diminution importante quant au nombre de détenus noirs ou autochtones qui purgent des peines de deux ans et plus.
En outre, la plupart des changements dont il est question au sujet de la législation en matière de drogues ont déjà été obtenus au moyen des politiques sanitaires et des négociations entre les provinces et les municipalités.
J’en viens à ma question. Vous avez mentionné le témoignage de l’Association du Barreau canadien, de la South Asian Bar Association, de l’African Nova Scotian Justice Institute, de la candidate au doctorat Elspeth Kaiser-Derrick, qui ont tous recommandé que le projet de loi aille beaucoup plus loin. Ne convenez-vous pas que, en fait, la plupart des témoins qui ont comparu devant le Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, dont Aboriginal Legal Services, l’Association canadienne des chefs de police et de nombreux autres, ont recommandé de ne pas être trop ambitieux et de conférer aux juges, d’ici à ce que d’autres peines minimales obligatoires soient abrogées, le pouvoir discrétionnaire structuré de ne pas imposer la peine minimale obligatoire dans des circonstances exceptionnelles?
Je vous remercie de votre question. La position du gouvernement est que les études et les témoignages appuient bel et bien, en fait, l’hypothèse selon laquelle le projet de loi C-5, s’il est adopté dans sa forme actuelle, aura une réelle incidence sur la surreprésentation des Canadiens racisés et autochtones.
Il est vrai que lorsque les circonstances sont telles que le juge estime approprié d’imposer une peine d’emprisonnement sévère, c’est-à-dire de deux ans ou plus, c’est le système fédéral qui reçoit le détenu. Toutefois, comme je l’ai dit dans mon discours, il est tout aussi vrai qu’il est important de rompre le cycle trop fréquent où une personne commence par l’emprisonnement dans un établissement provincial et se retrouve ensuite dans le système fédéral.
Nous étudierons la question au comité. J’espère que nous renverrons le projet de loi au comité afin qu’il fasse l’objet d’une étude en bonne et due forme et que l’on se penche sur toutes ces questions. Je suis convaincu que le comité s’acquittera de la tâche avec la même diligence dont nous faisons preuve dans tous nos travaux. Je vous remercie de votre question.
Sénateur Gold, serait-il possible de fournir cette information? Selon mes dernières discussions avec les représentants du ministère de la Justice, 34 % de toutes les contestations fondées sur la Charte qu’ils traitent portent sur des peines minimales obligatoires et ils espèrent que le projet de loi réduira ce pourcentage considérablement, mais ils ne peuvent pas produire de chiffres à l’appui de cet espoir. Vous serait-il possible de nous fournir ces chiffres, s’il vous plaît?
Bien sûr, je vais certainement en faire la demande. Je suis sûr que le comité présentera sa demande et qu’il fournira toutes les données probantes, tous les chiffres et toutes les recherches dont il dispose.
L’art de légiférer est l’art de s’en tenir aux faits dont on dispose et de prendre une décision jugée favorable en matière de politique publique pour rendre le système de justice — dans ce cas-ci, le système de justice pénale — plus juste, plus équitable et plus humain.
J’ai confiance dans le processus que nous avons entamé. Je suis convaincu que le comité aura accès à tous les renseignements sur lesquels le gouvernement a fondé sa décision. J’espère que dans le cadre de l’examen du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, à l’étape du comité et à l’étape de la troisième lecture, qui aura lieu à notre retour en automne, les sénateurs reconnaîtront le mérite du projet de loi en tant que grand pas en avant. Il ne sera peut-être pas le dernier ou le seul pas en avant, mais il en sera un grand pour remédier à une situation injuste dans le système de justice pénale.
Sénateur Gold, en tant que parrain du projet de loi et représentant du gouvernement au Sénat, pourriez-vous nous donner des informations sur l’analyse comparative entre les sexes plus qui a été effectuée lors de la préparation du projet de loi? Vous savez que le gouvernement exige qu’une telle analyse soit effectuée, et nous savons qu’un document confidentiel a été soumis dans le mémoire au Cabinet. Ce n’est pas ce dont je parle; je parle plutôt du contenu de l’analyse. À mon avis, cela aiderait le comité à faire son travail quand il examinera ce projet de loi.
Je vous remercie de votre question. Je vais m’informer sur ce qui existe et ce qui peut être déposé. J’encourage les honorables sénateurs et sénatrices à poser ces questions devant le comité. Je ferai tout de même des recherches à ce sujet.
Sénateur Gold, je vous remercie de m’encourager à poser la question au comité. C’est ce que je fais systématiquement depuis des années au Sénat. J’essaie de trouver une façon plus efficace d’obtenir de l’information qui, comme le déplore régulièrement le vérificateur général dans son rapport annuel, est souvent « manquante ». Je prends note du fait que vous vous engagez à obtenir ces informations et je vous en remercie.
Mes questions au représentant du gouvernement sont les suivantes. Est-ce que, au moment de la rédaction et de la préparation de ce projet de loi, on a tenu compte de tout ce qui découle de la décision Gladue, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et de toutes ces recommandations par lesquelles l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a proposé le virage nécessaire dans le but de diminuer le pourcentage très élevé de femmes et d’hommes autochtones se trouvant dans les différentes prisons et institutions fédérales?
De plus, pouvez-vous me confirmer qu’il y aura un mécanisme de suivi de ce que propose le gouvernement, qui fera en sorte que tout cela est encourageant pour les nations, pour les femmes et les hommes autochtones?
Je vous remercie de la question. Dans un premier temps, il est clair que le projet de loi s’inspire de la nécessité de donner aux juges la possibilité d’appliquer comme il se doit les principes de la décision Gladue.
Il est évident aussi que le projet de loi s’inspire du problème réel et déplorable de la surreprésentation des femmes autochtones et des Canadiens issus des communautés marginalisées dans les pénitenciers.
À l’étape de la deuxième lecture, l’objectif est de présenter les principes du projet de loi, d’en débattre, et, si c’est la volonté du Sénat, d’appuyer le projet de loi. La prochaine étape serait de le renvoyer à un comité, afin que celui-ci mette la main à la pâte et fasse un examen plus détaillé, en profitant de la comparution du ministre et de ses fonctionnaires pour répondre à des questions plus précises.
Je vous encourage à faire partie du processus. Même s’ils ne sont pas membres du comité, tous les sénateurs et sénatrices ont le droit d’assister aux réunions du comité et de participer. C’est de cette façon que nous pourrons répondre de façon appropriée à vos questions, qui sont tout à fait valables et légitimes.
Merci pour vos observations, sénateur Gold. Les nombreux exemples de personnes qui pourraient bénéficier de l’abrogation des peines minimales obligatoires sont très utiles.
Sénateur Gold, j’aimerais vous poser une question similaire aux autres questions de mes honorables collègues. Si ces peines minimales obligatoires étaient abolies, disposons-nous d’estimations ou d’études pour prévoir à quoi pourrait ressembler la réduction des taux d’incarcération des Autochtones dans les centres de détention sous responsabilité fédérale après l’adoption de ce projet de loi?
Je vous remercie de votre question. Je ne sais pas si des estimations de ce genre ont été faites, sénateur Christmas. Cependant, comme j’ai tenté de l’expliquer au moyen de mes observations, que lorsque les peines minimales obligatoires ont été ajoutées aux infractions supplémentaires, les taux d’incarcération des Autochtones et d’autres personnes issues de diverses communautés ont augmenté.
On peut raisonnablement s’attendre — selon les statistiques que j’ai fournies — à ce qu’il y ait une diminution chez ces groupes. Par contre, je ne sais pas s’il existe des estimations à proprement parler. Je proposerais que cet aspect soit examiné en comité à partir des renseignements déjà disponibles dans ce domaine.
Je vous remercie, sénateur Gold. Je serais très curieux de prendre connaissance des études et des estimations disponibles. Je pense que ce type de données seraient très utiles.
Je me réjouis du rétablissement des ordonnances de travaux communautaires, et je crois que le succès de cet amendement dépendra de l’augmentation des services de soutien offerts aux collectivités. Il arrive très souvent que les juges hésitent à envoyer les contrevenants dans les collectivités en raison des services insuffisants.
Vous avez fait allusion à une certaine augmentation du financement, mais est-ce que Services aux Autochtones Canada est inclus dans ce projet de loi? Le gouvernement va-t-il augmenter de manière significative le nombre de services de soutien offerts aux collectivités afin que ces dernières encadrent les contrevenants ayant reçu une ordonnance de travaux communautaires?
C’est une bonne question, et je ne connais pas précisément le degré ou l’étendue de la participation des Services aux Autochtones à la rédaction de ce projet de loi, le cas échéant. Une fois de plus, je m’attends à ce que cette réponse soit facilement accessible au comité.
Vous soulevez un point plus important, que j’ai soulevé dans mon intervention, mais qui mérite d’être répété. Nous nous concentrons sur la surreprésentation des délinquants autochtones et des délinquants issus de communautés racisées. Nous nous concentrons sur le système de justice pénale. Toutefois, il y a tout un monde et toute une histoire qui nous ont menés à cet endroit, et nous le savons. Nous, au Sénat, le savons bien. Le Comité des peuples autochtones le sait bien, et il y a eu des travaux sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Nous savons également, pour répondre à votre question et comme je l’ai mentionné en passant, que le succès de n’importe laquelle de ces mesures dépend d’une approche pansociétale de notre histoire. Dans certains cas, ce qui manque, de toute évidence et comme vous l’avez souligné à juste titre, ce sont les ressources, le financement. C’est bien d’avoir un programme de déjudiciarisation si vous êtes au centre-ville de Toronto ou de Montréal, mais si vous êtes dans une région beaucoup plus éloignée où il n’y a pas de ressources, pas de centre de traitement, pas d’installations appropriées, alors c’est une promesse creuse. Il y a eu des investissements. Il faut continuer à investir aux niveaux fédéral, territorial et provincial, ainsi qu’au sein des collectivités des Premières Nations et des autres collectivités.
Il existe une foule de façons de faire en sorte que le mieux ne soit pas l’ennemi du bien. Dans le cas présent, on tente de corriger un problème de société historique. Il faudra du temps et peut-être des générations, mais le moindre pas dans la bonne direction — et à mon humble avis il s’agit d’un pas dans la bonne direction — en vaut la peine et il faut le souligner sans toutefois croire qu’il s’agit d’une panacée et sans mettre de côté toutes les autres mesures de soutien — financier, social et autres — qui doivent être mises en place pour transformer cette mesure en réalité concrète et apporter des améliorations tangibles dans le système de justice pour les Canadiens.
Le représentant du gouvernement au Sénat accepterait-il de répondre à une question supplémentaire?
D’accord, une autre.
J’aimerais pouvoir dire qu’il s’agit de la dernière question, mais je ne peux pas en faire la promesse.
J’ai mal entendu. Bien sûr.
Tout comme la sénatrice Jaffer et la sénatrice Pate, je crois que ce projet de loi a un énorme potentiel, et vous avez fait valoir avec éloquence pourquoi il s’agit d’une première étape importante et nécessaire.
Le gouvernement serait-il toutefois prêt à utiliser cette mesure comme une sorte de version bêta afin de déterminer l’efficacité de ces changements et faire fond sur ceux-ci pour envisager de s’attaquer à un deuxième groupe de peines? Une fois que l’on aura la preuve de l’efficacité du concept, pourrait-on s’attendre à ce que le gouvernement s’en serve comme base pour élargir le pouvoir discrétionnaire des juges à d’autres types d’accusations?
Je vous remercie de votre question. Je ne le sais pas, et je ne peux décidément pas prendre un tel engagement au nom du gouvernement, mais je soulignerai quelques points. Premièrement, selon un amendement apporté à l’autre endroit et intégré au projet de loi C-5, il faudra procéder à un examen parlementaire. C’est donc l’une des façons dont le Sénat, qui joue un rôle dans cet examen, pourra surveiller les retombées du projet de loi et déterminer les possibilités d’amélioration ou d’élargissement, si les éléments de preuve recueillis vont dans ce sens.
L’autre point est davantage de nature politique. Je l’ai mentionné dans mes observations. Dans une société démocratique, le gouvernement peut tracer la voie à suivre, un peu comme dans le cas de l’aide médicale à mourir ou de la légalisation du cannabis. Il arrive évidemment que ce soient les tribunaux qui tracent la voie à suivre, mais les gouvernements le font aussi parfois, comme nous l’avons fait dans le cas de la légalisation du cannabis. Je crois que notre collègue a rappelé, dans un autre contexte, que lorsqu’on a commencé à discuter de la légalisation du cannabis, le Sénat n’était pas nécessairement favorable à cette idée; mais avec le temps, au fil des études et des discussions, grâce à des discussions objectives, raisonnées et non idéologiques — dans le pire sens du mot « idéologique » — nous sommes arrivés à un point où nous pouvions faire un grand pas, et les Canadiens nous ont suivis.
Dans un même ordre d’idées, à mon avis, le gouvernement croit qu’il fait ce qu’il convient de faire par rapport à ce que les Canadiens sont prêts à accepter, et je crois que le gouvernement sera toujours ouvert à continuer à essayer d’améliorer le système. Cependant, en ce moment, il est d’avis qu’il s’agit d’une contribution importante et majeure à l’équité et à la justice au sein du système canadien. Je ne voudrais pas que nous nous prononcions trop précipitamment. Je veux adopter ce projet de loi et le renvoyer au comité. Je veux qu’il franchisse l’étape du comité et qu’il y ait un débat de troisième lecture, et s’il est adopté à la troisième lecture, ce que j’espère, il y aura alors des occasions, grâce au processus d’examen parlementaire et au processus politique, de voir ce qu’on pourra faire, s’il y a lieu.
Merci, sénatrice Simons, de m’avoir inspiré une autre question de ma part. Au cours des discussions avec le gouvernement, il était clair que l’objectif premier du projet de loi était de s’attaquer aux peines minimales obligatoires, ce qui figurait dans le programme électoral de 2015, comme vous le savez, ainsi que dans les appels à la justice issus de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Il a été clairement établi qu’il ne s’agit que d’un pas en avant, même s’il existe une multitude de peines minimales obligatoires; et, contrairement à l’aide médicale à mourir, où nos plus récents débats ont été déclenchés par le décision d’un tribunal inférieur, nous avons plus de 43 décisions de tribunaux — et ce n’est pas fini — qui ont conclu à l’invalidité des peines minimales obligatoires.
Irais-je trop loin si je disais qu’il a été porté à mon attention que c’est probablement une occasion unique et qu’il y a beaucoup de gens, tant au sein du gouvernement qu’à l’extérieur, qui veulent nous voir faire avancer le projet de loi pour l’aider à atteindre l’objectif que le gouvernement lui a assigné?
Sénatrice Pate, si j’ai bien compris votre question, je ne suis pas certain d’être d’accord avec vous. De toute évidence, il y a des gens qui veulent que ce projet de loi aille plus loin. Il y a aussi des gens qui déplorent toute progression de ce dossier, et nous entendrons ce débat au comité comme ailleurs.
De nombreuses peines minimales obligatoires ont été contestées devant les tribunaux, et ceux-ci en ont maintenu certaines et en ont invalidé d’autres. De plus, beaucoup sont devant les tribunaux à l’heure actuelle.
Respectueusement, vu toute la réflexion qui a été nécessaire à la création du projet de loi, je ne crois pas qu’il soit juste de le qualifier d’approche fragmentée. Il se concentre sur les 20 infractions qui, d’après le gouvernement, représentent la grande majorité des répercussions des peines minimales obligatoires sur la vie des personnes judiciarisées et sur les infractions, notamment en ce qui concerne la drogue et les armes d’épaule, comme je l’ai mentionné, dont l’impact se ressent de façon disproportionnée chez les membres des communautés autochtones et racisées.
Enfin, je ne crois pas que nous sachions si c’est notre dernière chance ou notre seule chance. Dans une démocratie, le processus législatif est itératif. Le gouvernement propose ce grand pas en avant. C’est trop pour certains, mais pas assez pour d’autres. Cela ne le rend pas parfait, parce que c’est un peu comme l’histoire de Boucle d’or et les trois ours, mais le gouvernement estime que c’est une réaction responsable et appropriée à un véritable problème social et que, si le projet de loi est adopté, il fera une véritable différence.
Sénateur Gold, je pense que vous savez que, si c’était vraiment le cas, le gouvernement aurait présenté des données qui l’indiquent. Or, tout ce qu’il a dit à ce sujet, c’est que 9 Canadiens sur 10 veulent qu’on élimine les peines minimales obligatoires. Ne croyez-vous pas que le ministère de la Justice a sûrement demandé et reçu des données?
Sénatrice Pate, pendant mon discours et au moment de défendre les principes qui sous-tendent ce projet de loi, je ne crois pas m’être fondé sur le point de vue des Canadiens ou sur l’opinion publique. Je parle du nombre d’infractions pour lesquelles la majorité des délinquants sont condamnés et incarcérés en application des peines minimales obligatoires. Voilà les données auxquelles je faisais allusion.
Comme tous les gouvernements de sociétés démocratiques — ce qui comprend certainement notre gouvernement élu démocratiquement —, le gouvernement du Canada devrait tenir compte de l’opinion publique, mais il a aussi la responsabilité de faire ce qu’il croit être juste dans les circonstances. Les mesures législatives ne sont pas adoptées par référendum, mais dans le cadre du processus auquel nous participons actuellement. Encore une fois, le gouvernement est d’avis que la portée du projet de loi est justifiée selon les données probantes. Les données observées sur le terrain justifient ces mesures qui, une fois adoptées, feront une différence sur le terrain.
Je m’excuse. Évidemment, je me suis mal exprimée, sénateur Gold. Ce que j’essayais de dire est que s’il y avait des données probantes pour montrer que les peines minimales obligatoires auraient une incidence importante sur les taux d’incarcération, on aurait cité ces données et cela aurait fait partie de votre discours. Je ne voudrais pas être à votre place pour défendre cette position, mais ces preuves auraient fait partie de votre discours. Il y a eu de nombreuses questions et il apparaît évident que les données n’ont pas été présentées. Vous n’êtes pas en mesure de fournir de chiffres réels. Quelque chose m’aurait-il échappé?
Je comprends votre question. J’ai présenté au mieux de mes capacités les raisons pour lesquelles le gouvernement croit que ce projet de loi est celui dont il faut débattre et, bien sûr, qu’il faut adopter. Le gouvernement s’appuie sur les preuves liées aux types d’infractions qui sont assorties de peines minimales obligatoires selon la loi actuelle, sur les conséquences pour les Canadiens qui sont soumis à ces peines minimales obligatoires et sur la surreprésentation de ces Canadiens, qu’il s’agisse d’Autochtones ou d’autres communautés racisées, qui en résulte. Comme je l’ai dit, j’ai répondu à toutes ces questions et à celles qui demandaient si des prévisions avaient été faites quant aux conséquences possibles. Je ne sais pas si des prévisions ont été faites à cet égard, et c’est pourquoi j’ai proposé que l’on étudie cette question au comité.
Il demeure légitime pour un gouvernement de légiférer en fonction de l’état des connaissances et de l’information dont il dispose, ce que nous appelons l’ensemble des faits législatifs. À cet égard, le gouvernement dispose d’un ensemble de faits législatifs sur lesquels il s’est appuyé, et le projet de loi C-5 en est le fruit. Voilà pourquoi il a reçu l’appui de principe d’organisations qui représentent les personnes les plus intimement touchées par les dispositions du Code criminel portant sur les peines minimales obligatoires.
Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Le projet de loi C-5 comporte les mesures suivantes, que j’aborderai dans cet ordre dans mon discours. Premièrement, il augmente le nombre d’infractions pour lesquelles le juge peut imposer comme sanction l’emprisonnement dans la collectivité. Comme le mentionne le résumé législatif du projet de loi, et je cite :
Les peines avec sursis sont des peines d’emprisonnement de moins de deux ans qui sont purgées dans la collectivité sous réserve de conditions particulières, plutôt que dans un établissement correctionnel.
Deuxièmement, le projet de loi C-5 abroge plusieurs peines minimales d’emprisonnement. Troisièmement, il propose un mécanisme de déjudiciarisation dans le cas d’infractions de possession simple de drogues autres que le cannabis.
Le projet de loi C-5 vise notamment à se conformer à l’arrêt R. c. Sharma, de la Cour d’appel de l’Ontario. Ce jugement a déclaré inconstitutionnel, d’une part, l’alinéa 742.1c) du Code criminel, qui interdit le recours à l’emprisonnement dans la collectivité pour les infractions punissables d’une peine maximale de 14 ans ou plus de prison et, d’autre part, le sous-alinéa 742.1e)(ii), qui interdit l’emprisonnement dans la collectivité pour les actes criminels passibles d’une peine maximale de 10 ans de prison et qui mettent en cause l’importation, l’exportation, le trafic ou la production de drogues.
Le projet de loi C-5 va toutefois plus loin que les conclusions de l’arrêt Sharma, parce qu’il propose aussi d’autoriser l’emprisonnement dans la collectivité pour une série d’infractions qui mettent en cause l’usage d’une arme ou dont la perpétration entraîne des lésions corporelles, y compris l’infraction d’agression sexuelle et de harcèlement criminel.
Il y a une incohérence, voire une approche très inefficace, dans la décision du ministre Lametti de déposer le projet de loi C-5 pour se conformer à un jugement qui est actuellement porté en appel par les procureurs fédéraux du Service des poursuites pénales du Canada devant la Cour suprême.
Je précise que cette affaire est en délibéré devant la Cour suprême du Canada depuis le 23 mars dernier et que la cour devrait donc rendre son jugement au cours des prochains mois.
Ainsi, ou bien la décision du ministre Lametti de présenter le projet de loi C-5 était prématurée, étant donné que la Cour suprême, pendant notre étude du projet de loi, pourrait rendre un jugement qui aurait pour effet d’annuler la déclaration d’inconstitutionnalité de la Cour d’appel, ou bien les procureurs fédéraux ont mené inutilement une procédure d’appel assurément coûteuse devant la Cour suprême, et ce, aux frais des Canadiens.
Je souligne que la version précédente du projet de loi C-5 était le projet de loi C-22, qui est mort au Feuilleton en raison des dernières élections. Or, pendant l’étude du projet de loi C-22, les procureurs fédéraux ont envoyé une lettre à la Cour suprême du Canada le 8 mars 2021. Cette lettre demandait à la cour de reporter l’audition de l’appel. Dans cette lettre, les procureurs fédéraux s’étaient engagés à abandonner la procédure d’appel si le projet de loi C-22 entrait en vigueur, puisqu’ils jugeaient que cet appel, par conséquent, deviendrait théorique.
Après que les élections ont été déclenchées, les procureurs fédéraux ont finalement décidé de poursuivre leur procédure d’appel. Or, je note que leurs arguments en appel — j’y reviendrai — contredisent la nécessité des mesures proposées par le ministre Lametti dans le projet de loi C-5 concernant l’emprisonnement dans la collectivité.
Je rappelle que ce projet de loi propose de donner un pouvoir discrétionnaire aux juges d’imposer l’emprisonnement dans la collectivité — c’est-à-dire que des délinquants purgent leur peine à la maison plutôt qu’en prison —, même dans le cas d’infractions pratiquement les plus graves du Code criminel, à savoir les infractions punissables d’une peine maximale de 14 ans et plus d’emprisonnement.
Pour vous en convaincre, je vous donne quelques exemples d’actes criminels intrinsèquement dangereux pour lesquels le projet de loi C-5 autoriserait l’emprisonnement dans la collectivité : l’infraction d’homicide involontaire coupable sans l’usage d’une arme à feu; la prise d’otage sans l’usage d’une arme à feu; le trafic de fentanyl ou de certaines armes à feu; l’agression sexuelle blessant, défigurant ou mettant en danger la vie d’une personne de 16 ans ou plus, pourvu que cette agression ne soit pas commise avec une arme à feu; le vol avec l’usage d’une arme à feu, sauf si ce vol est commis pour le compte d’une organisation criminelle. Je suis d’avis qu’il n’y a aucune logique dans le fait de permettre le recours à l’emprisonnement dans la collectivité pour des infractions aussi graves et aussi dangereuses pour la sécurité des Canadiens.
Mon argument se fonde sur le mémoire que les procureurs fédéraux ont adressé à la Cour suprême dans le cadre des procédures d’appel de l’arrêt Sharma, dont j’ai parlé plus tôt. Leur mémoire comprend une analyse convaincante d’extraits du hansard, qui appuie l’idée voulant que l’intention du gouvernement ait toujours été que les peines purgées à domicile soient réservées aux infractions moins graves du Code criminel. À cet égard, leur mémoire cite la déclaration suivante que l’ancien député Robert Goguen a faite à titre de secrétaire parlementaire du ministre de la Justice le 21 septembre 2011 :
Ce gouvernement est attentif aux préoccupations des Canadiens et des Canadiennes qui ne veulent plus voir l’emprisonnement avec sursis utilisé lors de crimes graves, qu’ils soient commis avec violence ou reliés à la propriété.
Les procureurs auraient aussi pu citer dans leur mémoire cette autre déclaration que M. Goguen a faite le même jour, et je cite :
L’emprisonnement avec sursis est entré en vigueur en 1996, à l’époque où le gouvernement voulait, entre autres, réduire le recours excessif à l’emprisonnement pour les crimes les moins graves. Je répète: les crimes les moins graves.
Toutefois, on a assisté, au cours des dernières années qui ont suivi la création de cette peine, à un manque de cohérence complète quant aux situations où l’emprisonnement avec sursis est adéquat.
Un bon nombre de décisions des tribunaux à l’époque ont accordé une telle peine pour des crimes violents et graves. Cela a contribué à une perte de confiance du public dans l’administration de la justice. Il va de soi que plusieurs personnes, ainsi que quelques provinces et territoires, se sont demandés si les limites au recours à l’emprisonnement avec sursis prescrites dans le Code criminel étaient suffisamment adéquates.
Ce problème qu’a décrit M. Goguen en 2011 se reproduira selon moi si le projet de loi C-5 est adopté. C’est l’une des raisons importantes pour lesquelles je m’oppose à ce projet de loi. En permettant aux tribunaux d’imposer à des délinquants qui ont commis une infraction intrinsèquement grave et dangereuse qu’ils purgent leur peine d’emprisonnement à la maison plutôt dans une prison provinciale, je crains que ce projet de loi ne banalise la commission de ces crimes. Je crains par le fait même qu’il diminue la protection du public contre les auteurs de ces infractions et qu’il mine ainsi, au cours des prochaines années, la confiance des Canadiens envers le système de justice pénale.
Une autre mesure importante du projet de loi suscite la même inquiétude chez moi : l’abrogation d’une série de peines minimales obligatoires. Par exemple, il propose d’abroger plusieurs peines minimales obligatoires pour les infractions liées à l’utilisation, à l’importation et au trafic d’armes à feu. Le gouvernement fédéral a bien mal choisi le moment pour proposer de telles mesures, qui réduiraient la sévérité des peines imposées par les juges alors que les crimes commis avec une arme à feu connaissent une augmentation spectaculaire, en particulier à Montréal. Par conséquent, il n’est pas surprenant que le gouvernement du Québec ait exprimé officiellement aux ministres Lametti et Mendicino ses vives inquiétudes au sujet du projet de loi.
En effet, les ministres québécois de la Justice et de la Sécurité publique ont écrit une lettre à leurs homologues fédéraux le 4 mai 2022. Cette lettre demande même au gouvernement fédéral de retirer du projet de loi l’abolition des peines minimales pour les infractions liées aux armes à feu :
L’ensemble des modifications prévues par le projet de loi C-5 aura des répercussions sur les responsabilités du Québec relatives à l’administration de la justice et des affaires policières sur son territoire. En effet, en ce qui concerne l’abolition des peines minimales associées à certaines infractions en lien avec les armes à feu, il s’avère qu’une telle modification pourrait entraîner un message contradictoire avec les initiatives que le gouvernement du Québec a adoptées récemment visant à contrer la violence par armes à feu. D’ailleurs, l’approche préconisée dans le projet de loi C-5 nous apparaît être aussi en contradiction avec les actions posées par votre gouvernement qui visent à lutter contre ce type de violence. Rappelons que le Québec fait face à une situation sans précédent. À Montréal, les infractions relatives aux armes à feu et aux autres armes ont particulièrement augmenté dans la dernière année.
Il est clair que les gestes du gouvernement fédéral doivent être cohérents avec les réalités vécues par les provinces et les territoires. Le Québec demande ainsi que le projet de loi ne prévoit pas l’abolition des peines minimales pour les infractions concernées en lien avec les armes à feu.
Dans un autre ordre d’idées, le projet de loi propose des mesures de déjudiciarisation applicables à une personne qui a commis une infraction de possession simple de certaines drogues.
Je reconnais l’importance de l’esprit des principes qui sont énoncés dans le projet de loi et qui peuvent justifier la déjudiciarisation. Le projet de loi énonce par exemple le principe suivant :
c) l’infliction de sanctions pénales pour la possession de drogues à des fins de consommation personnelle peut accroître la stigmatisation liée à la consommation de drogues […]
Il énonce aussi ce qui suit :
e) l’utilisation de ressources judiciaires est plus indiquée dans le cas des infractions qui présentent un risque pour la sécurité publique.
Cela dit, je m’oppose au caractère plutôt vague du texte actuel du projet de loi concernant l’application des mesures de déjudiciarisation. Je pense par exemple à cet extrait du projet de loi qui prévoit ceci :
L’agent de la paix évalue s’il est préférable [...] de [...] renvoyer [l’individu], s’il y consent, à un programme ou à un organisme ou à un autre fournisseur de services dans la collectivité susceptibles de l’aider.
Qu’est-ce qu’un « autre fournisseur de services dans la collectivité susceptible de l’aider » et à quel type d’aide réfère-t-on? Est-ce un centre de traitement de la toxicomanie qui offre une thérapie de plusieurs mois en milieu fermé? Si oui, comment un policier qui arrête dans la rue, en région, à 3 heures du matin, une personne fortement intoxiquée par la drogue peut-il être en mesure de trouver une maison de thérapie prête très rapidement à l’évaluer et à l’admettre en thérapie, si cette personne y consent? Si c’est le genre de mesure de déjudiciarisation que l’on souhaite permettre en vertu du projet de loi C-5, je peux aisément imaginer qu’il sera difficile de les appliquer, en particulier dans les communautés éloignées qui manquent trop souvent de ressources en matière de prévention et de traitement de la toxicomanie.
De plus, je me demande si les mesures de déjudiciarisation proposées par le projet de loi C-5 ont préséance sur les mesures de déjudiciarisation actuellement permises dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents dans le cas où les personnes visées auraient moins de 18 ans. Cette question se pose, lorsqu’on constate que le texte du projet de loi C-5 ne prévoit aucun renvoi entre les deux lois.
Enfin, je suis préoccupé par le fait que le projet de loi C-5 n’exige pas que le gouvernement de la province choisisse et autorise les organismes communautaires ou thérapeutiques ou le type de services offerts, qui devront intervenir dans le cadre de mesures de déjudiciarisation. L’accord de la province m’apparaît essentiel pour éviter que, sous le couvert de ses compétences en matière de droit criminel, le gouvernement fédéral s’immisce dans la compétence des provinces en matière de santé et de services sociaux. Le vocabulaire utilisé dans les principes énoncés dans le projet de loi C-5 montre selon moi que les mesures de déjudiciarisation proposées cherchent principalement à atteindre des objectifs de promotion de la santé et non des objectifs liés uniquement au droit criminel.
Pour toutes ces raisons, je vous invite donc à voter contre ce projet de loi. Merci.