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Le Code criminel—La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Motion d'amendement--Ajournement du débat

15 novembre 2022


Honorables sénateurs, j’aimerais vous en dire plus sur S.B. et sur l’histoire que j’avais commencé à raconter avant la pause repas.

Pendant son enfance marquée par la pauvreté, l’instabilité et les traumatismes, S.B. a été souvent victime de violence physique, y compris de violence sexuelle. En effet, selon le rapport présentenciel, elle a dit avoir été agressée par 13 membres de sa famille dans son enfance.

Dans un affidavit, elle a dit qu’elle a commencé à boire à l’âge de 15 ans et qu’elle est devenue dépendante à la méthamphétamine en cristaux à 18 ans. Elle a dit qu’elle avait réussi à arrêter de consommer de la méthamphétamine lorsqu’elle est tombée enceinte de son premier enfant, et qu’elle n’a pas consommé de drogue pendant 14 ans. Elle a fait une rechute en 2019, et elle a vécu dans les rues de Winnipeg pendant cinq mois avant son arrestation. Elle a maintenant six enfants dont elle avait perdu la garde avant son arrestation.

S.B. avait un casier judiciaire incluant 19 infractions, ce qui peut sembler assez grave, mais 14 de ces infractions ont trait à des choses comme le défaut de comparaître en cour et le défaut de respecter le couvre-feu. Sa plus longue peine d’emprisonnement était de 30 jours. Elle n’avait pas de graves antécédents de violence. D’ailleurs, avant son arrestation, elle avait seulement été accusée en 2017 d’une agression mineure pour laquelle elle avait bénéficié d’une absolution conditionnelle.

Vous pouvez imaginer que cette femme aurait peut-être pu contester l’accusation de meurtre au deuxième degré lors du procès. Vous pourriez supposer, par exemple, que son avocat aurait pu faire valoir qu’elle n’était pas criminellement responsable parce qu’elle souffrait d’un trouble mental qui la rendait incapable de comprendre la nature et la qualité de ses actions, ou de savoir qu’elles étaient mauvaises, compte tenu surtout de sa croyance qu’elle était possédée par des démons, ou qu’elle était en transe.

Vous imaginez peut-être qu’un avocat aurait pu soutenir que S.B. souffrait d’une psychose causée par des drogues ou d’une ivresse extrême volontaire, d’autant plus que cette jeune femme a été condamnée avant que nous adoptions à toute vitesse — sans examen approprié, dois-je préciser — le projet de loi C-28 en juin. Vous supposerez peut-être que de demander simplement que la Couronne prouve hors de tout doute raisonnable que S.B. avait commis le crime, étant donné le peu de preuves physiques contre elle aurait pu être une stratégie juridique viable.

En effet, en juin 2021, après l’audience préliminaire, la Couronne a demandé de suspendre les procédures dans l’affaire en déclarant qu’elle avait déterminé qu’il n’y avait aucune probabilité raisonnable de condamnation. Pourtant, en janvier 2022, l’avocat de la femme a écrit au tribunal que sa cliente accepterait de plaider coupable. Après tout, une accusation de meurtre au deuxième degré est assortie d’une peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans. En plaidant coupable d’homicide involontaire, S.B. a reçu une peine d’emprisonnement de huit ans, moins le temps passé en détention, ce qui lui laissait un peu plus de quatre ans à purger sur sa peine.

Ce n’est peut-être pas l’intention du régime de peines minimales obligatoires, mais il est conçu de manière à encourager de tels plaidoyers de culpabilité, même lorsqu’un accusé peut avoir une défense viable devant le tribunal. Les accusés les plus pauvres, les plus vulnérables et les plus impuissants sont ceux qui sont le plus souvent poussés à accepter ces accords de plaidoyer parce qu’ils n’ont pas la capacité de se défendre et n’ont franchement aucun espoir.

Examinons le résultat dans ce cas-ci. Puisqu’il n’y a pas eu de procès, il n’y a pas eu de couverture médiatique, d’intérêt public, de questions du public sur les faits et d’indignation du public. S.B. a été condamnée de manière discrète et invisible, sans que les gens aient l’occasion d’entendre son histoire ou de défendre sa cause. Elle a ensuite été transportée à des milliers de kilomètres de sa famille pour purger sa peine dans une prison surpeuplée remplie de femmes autochtones dont les histoires sont presque aussi sombres que la sienne.

Si j’ai décidé de vous raconter l’histoire de cette personne, c’est parce qu’elle illustre véritablement la crise dans notre système carcéral et, soyons honnêtes, dans la société. L’amendement que j’appuie aujourd’hui n’autoriserait pas les juges à faire fi des peines minimales obligatoires. Cet amendement leur donnerait simplement la possibilité, dans des cas sortant vraiment de l’ordinaire — des cas où une peine minimale obligatoire est manifestement inadéquate —, de suggérer pour la partie défenderesse une peine de substitution et de justifier celle-ci.

Je conviens et j’accepte, pour toutes les raisons énoncées par le sénateur Gold, qu’il s’agit d’une solution imparfaite. C’est peut-être une solution qui manque de diplomatie. Je sais que dans un monde débordant d’adeptes de la réalpolitique nous courons un risque bien réel en insistant sur cet amendement à l’étape de la troisième lecture.

Honorables sénateurs, j’ai eu le privilège de siéger au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pendant qu’il étudiait le projet de loi C-5. J’ai entendu une série de témoins — des universitaires, des avocats et des militants — nous demander un amendement de cette nature. Je ne peux pas, en toute conscience, ne pas tenir compte de leurs conseils, pas plus que je ne peux fermer les yeux sur des histoires comme celle dont je vous ai fait part ce soir.

J’espère que vous y réfléchirez sérieusement au moment de voter.

Merci. Hiy hiy.

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