Le Code criminel—La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Rejet de la motion d'amendement
17 novembre 2022
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ne soit pas maintenant lu pour une troisième fois, mais qu’il soit renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour étude additionnelle.
Honorables sénateurs et sénatrices, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a étudié le projet de loi C-5 au cours de neuf réunions réparties sur cinq semaines. Il a entendu plus de 40 témoins et a reçu 13 mémoires. Il n’est pas nécessaire de le renvoyer à un comité. Cela entraînerait des retards inutiles alors que des experts juridiques nous exhortent à adopter ce projet de loi le plus rapidement possible.
Il est vrai qu’il y a eu beaucoup de litiges au cours des dernières années concernant les questions dont traite le projet de loi C-5, notamment quant aux peines avec sursis et aux peines minimales obligatoires. Certaines affaires ont été réglées, comme l’arrêt Sharma tout récemment; d’autres demeurent en cours.
Cette abondante jurisprudence nous offre un contexte pertinent. Cependant, le projet de loi C-5 n’a jamais été conçu comme une réponse directe à l’arrêt Sharma ou à toute autre affaire. Le gouvernement ne l’a pas présenté comme tel à la Chambre des communes; moi, je ne l’ai certainement pas présenté de cette façon lorsque j’ai pris la parole à l’étape de la deuxième lecture. D’ailleurs, le ministre Lametti ne l’a pas présenté de cette façon non plus lorsqu’il a comparu devant le comité.
Le projet de loi à l’étude n’a jamais été conçu comme une réponse à l’arrêt Sharma. C’est simplement un choix politique proposé par le gouvernement, et j’exhorte les sénateurs à l’adopter rapidement parce que c’est une bonne politique, voilà tout.
Voici quelques précisions à propos de l’affaire Sharma. Cheyenne Sharma était une mère autochtone de 20 ans qui a transporté de la drogue pour le compte de son petit-ami afin d’éviter que sa jeune fille et elle soient jetées à la rue. Elle a dû passer 17 mois en détention parce que la loi restreignait son accès à une peine d’emprisonnement avec sursis ou à une peine communautaire.
Comme l’a dit le sénateur Plett, en 2020, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que cette restriction était inconstitutionnelle. Par conséquent, depuis deux ans, les gens reconnus coupables d’infractions en Ontario ont un accès accru aux peines d’emprisonnement avec sursis.
Comme nous le savons, il y a deux semaines, la Cour suprême — à l’issue d’un vote serré de cinq voix contre quatre — a infirmé la décision de la cour ontarienne, concluant que la loi restreignant l’accès de Mme Sharma à une peine avec sursis était, en fin de compte, constitutionnellement acceptable. Cela ne signifie pas pour autant que c’était nécessaire sur le plan constitutionnel, ou approprié, et cela ne signifie certainement pas que c’était une bonne idée.
En fait, dans son jugement, la cour dit ceci : « Le Parlement a le pouvoir exclusif de légiférer pour élaborer une politique en matière de détermination de la peine. »
Autrement dit, la décision nous revient. En 2012, le Parlement a décidé de restreindre l’accès aux peines avec sursis. Aujourd’hui, 10 ans plus tard, nous pouvons choisir de l’accroître, et c’est ce que nous devrions faire.
Pendant l’étude menée par le comité, de nombreux témoins ont fait valoir les avantages des peines avec sursis pour les personnes comme Cheyenne Sharma qui ne présentent pas de risque pour la sécurité publique. Nous avons entendu des témoins dire que les peines avec sursis sont importantes, notamment puisqu’elles donnent aux juges le pouvoir discrétionnaire de prévoir des peines appropriées pour les délinquants autochtones, noirs et les autres délinquants marginalisés. En outre, nous avons entendu dire que nous nous en porterons mieux, et que nous serons plus en sécurité, si nous tenons responsables les personnes qui enfreignent la loi sans les séparer inutilement de leur emploi, de leur éducation, de leur communauté et de leur famille.
C’est pourquoi, chers collègues, dans les heures et les jours qui ont suivi la décision de la Cour suprême, de nombreux juristes et criminalistes ont placé leurs espoirs dans l’adoption rapide du projet de loi C-5. Selon Lisa Kerr, professeure de droit à l’Université Queen’s : « [...] l’adoption du projet de loi C-5 est maintenant devenue si importante [...] »
Mme Kerr a également déclaré ceci :
Les peines avec sursis sont cruciales pour intégrer les conceptions et les méthodes des Autochtones en matière de justice. Nous plaçons notre espoir dans le projet de loi C-5 pour ouvrir cette porte.
Theresa Donkor, avocate en droit criminel spécialisée dans la lutte contre le racisme anti-Noir, a déclaré : « Nous avons plus que jamais besoin que le projet de loi C-5 soit adopté. »
Voici la déclaration de la Criminal Lawyers’ Association :
La décision [de la Cour suprême] rendue aujourd’hui dans l’affaire R. c. Sharma montre l’importance du projet de loi C-5. Nous demandons [au Sénat] d’adopter rapidement le projet de loi C-5 afin que les juges aient de nouveau le pouvoir discrétionnaire d’élaborer des peines adaptées qui tiennent compte du #racismesystémique.
Comme le dit la section de droit pénal de l’Association du Barreau canadien :
[...] nous exhortons le Sénat à adopter le projet de loi C-5, et rapidement, afin de rétablir le pouvoir discrétionnaire des juges d’imposer une peine avec sursis lorsque c’est approprié.
Chris Rudnicki, un avocat criminaliste qui enseigne à l’Université métropolitaine de Toronto, a déclaré ce qui suit :
Il est maintenant urgent d’adopter le projet de loi C-5, qui accomplira ce que nous avons essayé de faire, notamment dans l’affaire Sharma. Au boulot!
Janani Shanmuganathan, une avocate criminaliste que nous avons entendue au comité et qui est membre du conseil d’administration de la South Asian Bar Association of Toronto, a déclaré :
Le résultat de l’affaire Sharma est décevant pour bien des gens aujourd’hui, mais cela ne fait que rendre encore plus importante l’adoption du projet de loi C-5 [...]
Mme Shanmuganathan conclut en disant : « [...] je vous en prie, adoptez le projet de loi C-5, et ce, sans tarder. »
Honorables sénateurs, loin de justifier un délai supplémentaire, la décision récente de la Cour suprême ne fait qu’intensifier l’urgence d’adopter ce projet de loi. Nous n’avons pas besoin d’autres études. Nous devons débattre le projet de loi C-5, le mettre aux voix et faire en sorte qu’il devienne loi avec toute la diligence voulue. Merci, chers collègues.
Sénateur Gold, vous avez parlé du nombre de réunions que le Comité des affaires juridiques a consacrées au projet de loi C-5. Si je me souviens bien, vous avez d’ailleurs assisté à plusieurs d’entre elles.
Après toutes ces réunions du Comité des affaires juridiques au sujet du projet de loi C-5, la Cour suprême du Canada a rendu une décision très importante sur un élément majeur du projet de loi C-5, les peines avec sursis. C’est une situation plutôt rare. À mon souvenir, jamais, dans les neuf années que j’ai passées au Sénat et où j’ai siégé au Comité des affaires juridiques, une décision majeure a ainsi été rendue juste après que nous ayons étudié la même question en comité, mais avant que nous ayons l’occasion d’adopter le projet de loi.
Il semble que l’occasion soit parfaite pour tenir quelques réunions. D’ailleurs, sénateur Gold, lorsque le ministre Lametti a tenté de justifier au comité pourquoi il présentait le projet de loi C-5, il a justement invoqué ce scénario relativement à l’affaire Sharma, parmi d’autres motifs.
Puisque le gouvernement a affirmé que la surreprésentation observée des délinquants noirs et autochtones dans les prisons était l’une des principales raisons justifiant la présentation de ce projet de loi — vous avez donné différentes raisons —, pourquoi ne pas permettre au Comité des affaires juridiques de tenir deux ou trois réunions au sujet de ce projet de loi afin qu’il puisse poursuivre le travail entrepris au sujet des aspects relatifs à la Constititution établis si judicieusement par la Cour suprême?
Merci de votre question.
Bien que le Comité des affaires juridiques ait fait un travail exemplaire, je le répète : ce projet de loi n’est pas une réponse à l’arrêt Sharma. Ce projet de loi ne découle pas d’une demande de la Cour suprême de corriger une loi inconstitutionnelle.
Comme l’a dit le sénateur Plett dans un autre contexte, ce projet de loi est un exemple de la compétence exclusive du Parlement pour ce qui est de définir des politiques et d’adopter des lois encadrant le droit en général et la détermination des peines en particulier.
L’affaire Sharma illustre le problème que pose le fait qu’il soit difficile d’imposer des peines avec sursis. Qu’une mince majorité de juges de la Cour suprême — cinq contre quatre — ait confirmé sa constitutionnalité ne signifie pas pour autant que cette loi est judicieuse, convenable ou adaptée aux circonstances dans lesquelles se trouvent les personnes accusées de crimes.
Le fait de poursuivre notre débat et de mettre ce projet de loi aux voix pour qu’il soit adopté rapidement n’est pas un manquement à notre devoir de sénateurs. C’est ce que la majorité des témoins, même ceux qui voulaient que le projet de loi aille plus loin, nous demandent de faire. L’arrêt Sharma les a poussés à multiplier leurs demandes en ce sens. En adoptant ce projet de loi, en lui permettant d’obtenir la sanction royale et en donnant effet aux réformes que les députés élus et nous, sénateurs, avons dûment étudiées, nous agirons de façon responsable. Merci.
Sénateur Gold, vous avez dit deux fois que le projet de loi n’est pas une réponse à l’arrêt Sharma. C’est parce que l’arrêt Sharma n’avait pas encore été rendu par la Cour suprême du Canada lorsque le gouvernement a présenté le projet de loi et lorsque le Comité des affaires juridiques l’a étudié.
Toutefois, étant donné que le projet de loi n’a pas encore été adopté — nous approchons de la fin —, c’est le moment idéal pour que le Comité des affaires juridiques organise quelques réunions et étudie le projet de loi C-5 dans ce contexte.
Je constate également, sénateur Gold, que vous avez parlé à deux reprises de la décision serrée à cinq contre quatre de la Cour suprême du Canada. Remettez-vous en question le jugement de la Cour suprême dans cette affaire?
Sénatrice Batters, je vais faire valoir seulement deux arguments. Premièrement, comme je l’ai déjà dit, le projet de loi C-5 est un choix politique du gouvernement dans l’exercice de sa compétence plénière en matière de droit pénal. La Cour suprême a souligné à maintes reprises le rôle du Parlement dans l’élaboration des principes d’établissement de la peine et dans le choix d’une peine appropriée. C’est exactement ce que fait le projet de loi C-5.
Sénatrice Batters, vous connaissez, comme le connaissent tous les sénateurs, le respect que j’éprouve pour la Cour suprême du Canada et pour ses jugements. Je souligne à quel point la décision a été serrée, car, en fait, les avis étaient très partagés dans un tribunal dont la composition a changé. Mais peu importe que je préfère la dissidence à la majorité, ce n’est pas important.
Ce projet de loi n’était pas une réponse à une déclaration de constitutionnalité ou d’inconstitutionnalité, que ce soit dans Sharma ou toute autre affaire. Cela n’a jamais été la raison d’être de cette mesure législative.
La raison d’être de cette mesure législative était que les restrictions qui ont été imposées aux peines avec sursis par le gouvernement précédent non seulement se sont révélées inefficaces pour dissuader la criminalité et réduire la violence, mais, en fait, ont contribué à la surreprésentation de ces personnes, qu’elles soient autochtones, noires, marginalisées ou autre, pour qui une peine adaptée dans la collectivité aurait été plus appropriée. C’est pourquoi c’est une bonne politique et c’est pourquoi nous avons fait notre travail dans ce dossier.
Les membres du Comité des affaires juridiques, sous la présidence avisée de la sénatrice Jaffer, et tous ceux qui y ont contribué, peuvent être fiers du travail que nous avons accompli. Nous avons correctement étudié ce texte de loi de la manière dont il a été présenté et justifié devant nous. Il n’est pas nécessaire d’attendre davantage.
Sénateur Gold, je ne suis pas avocate, mais j’ai lu la décision Sharma, et j’ai vraiment été frappée par cette phrase, où la majorité dit :
En fin de compte, comme notre Cour l’a expliqué, le choix final ne repose pas sur les préférences des juges, mais sur l’intention collective exprimée par le Parlement en tant que représentant de l’électorat.
Ne pourrait-on pas dire que le projet de loi C-5 est la réponse parfaite à la décision Sharma, dans laquelle on dit que c’est le Parlement qui devrait décider des paramètres d’imposition des peines avec sursis? N’est-ce pas exactement ce que fait le projet de loi C-5?
Je vous remercie de votre question, mais permettez-moi de vous répondre ainsi : le projet de loi C-5 illustre comment le Parlement répond à des décennies de jurisprudence des tribunaux soulignant la juridiction exclusive et le rôle du Parlement de légiférer dans de tels cas. C’est ce que fait ce projet de loi.
Le fait de le renvoyer au comité ne serait‑il pas la contrepartie de la réponse sensée à cette décision?
Je vous remercie une fois de plus de votre question. Je crois qu’il serait inutile et malavisé de le renvoyer au comité pour toutes les raisons que j’ai mentionnées.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
J’ai une courte intervention à faire sur l’amendement, en débat.
Je suis contre cet amendement, d’abord en raison de la façon dont il est rédigé. En effet, on nous l’a présenté comme une volonté de renvoyer la discussion au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour qu’il étudie l’effet de la décision Sharma.
Cependant, si vous lisez bien le texte de l’amendement — je ne sais pas si vous l’avez reçu —, vous constaterez que l’on dit qu’on veut que le projet de loi C-5 soit renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles « pour étude additionnelle ».
Si je lis bien et si je comprends bien le français, cela veut dire qu’on va étudier n’importe quoi en se servant du prétexte du projet de loi C-5. Je pense que ce n’est pas une bonne idée, car cela risque de nous amener à examiner des sujets qui n’ont rien à voir avec le projet de loi C-5.
Il est question ici d’un projet de loi que nous avons étudié sérieusement. J’ai des collègues — dont certains qui se sont exprimés aujourd’hui et qui ont assisté aux réunions du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles — qui doivent se rappeler qu’ils étaient là et que nous avons étudié ce projet de loi tout à fait sérieusement.
Enfin, pour être très claire — et c’est mon dernier commentaire —, la proposition d’amendement n’a rien à voir avec ce que j’ai proposé il y a quelques minutes ici aujourd’hui, soit de mandater le comité pour qu’il fasse une étude en profondeur des principes de détermination de la peine. Merci.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
En amendement, l’honorable sénateur Plett propose, avec l’appui de l’honorable sénatrice Batters :
Que le projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ne soit pas maintenant lu pour une troisième fois, mais qu’il soit renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour étude additionnelle.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Convoquez les sénateurs pour un vote à 18 h 11.