Peuples autochtones
Motion tendant à autoriser le comité à étudier les effets de la fraude d’identité sur la marginalisation accrue des peuples autochtones--Suite du débat
6 juin 2023
Honorables sénateurs, en tant que résidante du territoire visé par le Traité no 6, je suis honorée de prendre la parole aujourd’hui sur le territoire ancestral non cédé du peuple algonquin anishinabe au sujet de la motion no 96, proposée par notre collègue, la sénatrice Mary Jane McCallum.
La motion no 96 demande que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, la fausse représentation de l’ascendance autochtone, les normes d’auto-identification inadéquates et les effets profonds que cette fraude d’identité a sur la marginalisation accrue des peuples autochtones, en particulier les femmes autochtones. Je tiens à remercier la sénatrice McCallum d’avoir porté à l’attention du Sénat ce problème compliqué et inquiétant.
Tous les après-midi, lorsque nous pénétrons dans la salle du Sénat, nous passons devant une statue du sénateur James Basil Gladstone, le premier Indien inscrit à avoir siégé au Sénat du Canada, où il a représenté ma propre province, l’Alberta.
Le sénateur Gladstone a été nommé par le premier ministre Diefenbaker en 1958, à une époque où les Indiens inscrits n’avaient pas encore le droit de voter aux élections fédérales. Ainsi, il pouvait voter sur les projets de loi au Sénat, mais pas pour élire le député qui allait le représenter.
Si l’on cherche James Gladstone sur Google, on trouve rapidement des articles qui disent que son père était cri et que sa mère était membre de la nation kainai, laquelle fait partie de la Confédération des Pieds-Noirs. Or, ce n’est pas vrai.
Selon les dossiers généalogiques publics, James Gladstone était officiellement le fils de Harriet Gladstone et de son partenaire de l’époque, James Bowes. James Bowes n’était pas Cri. Il n’était pas Autochtone. Les dossiers publics indiquent qu’il était de race blanche et qu’il venait du comté de Lanark, en Ontario.
L’arbre généalogique de Harriet est un peu plus compliqué. Son père, William James Shanks Gladstone, est né à Montréal de parents écossais.
Sa mère, qui s’appelait Harriette, était la fille de Louis Leblanc qui, selon les dossiers du gouvernement, était Canadien français, et d’Angelique Vallee, qui était Métisse avec des racines françaises, sioux et saulteaux.
Pour autant que je puisse en déduire, les revendications biologiques de James Gladstone concernant son identité autochtone passaient par son arrière-grand-mère métisse. À en juger par les dossiers généalogiques publics que j’ai trouvés, il n’était ni Cri ni Pied-Noir.
Ce sénateur a-t-il alors « prétendu » être le premier sénateur issu des Premières Nations? Ce n’est pas si simple.
Pour des raisons familiales, le jeune James Gladstone a été envoyé à l’âge de 7 ans au pensionnat anglican St. Paul près de Cardston, en Alberta. À 16 ans, il a été inscrit au pensionnat à vocation industrielle de St. Dustan, près de Calgary, où il a suivi une formation d’imprimeur.
À l’âge de 24 ans, il a épousé Janie Healy, connue sous le nom de Pok-otun ou Little Daughter. Elle était membre d’une importante famille pied-noir et elle était la fille de Joe Healy, connu sous le nom de Flying Chief.
Ensemble, ils ont élevé leur famille dans la réserve des Gens-du-Sang ou à proximité de cette dernière, qui est maintenant appelée la Première Nation Kainai. Pendant une décennie, il s’est battu pour être adopté comme membre de cette nation et recevoir le statut d’Indien, ce qui est finalement arrivé en 1920.
Devenu un agriculteur et un éleveur prospère, M. Gladstone a pris part activement à la vie politique des Premières Nations et à leur combat pour obtenir le droit de vote. En 1949, il a été élu président de l’Association des Indiens de l’Alberta. Lorsqu’il a prononcé son premier discours au Sénat en août 1958, il a commencé son intervention en pied-noir. Voici la traduction de son discours :
Les Indiens du Canada sont très heureux de savoir qu’ils ont quelqu’un à Ottawa pour les représenter au sein du gouvernement du Canada. J’espère que je serai en mesure de prononcer les mots justes pour eux.
Deux ans plus tard, le gouvernement Diefenbaker a adopté la Déclaration canadienne des droits et la loi accordant le droit de vote à tous les Indiens inscrits au Canada. M. Gladstone a joué un rôle clé dans ce processus. Comment devons-nous comprendre sa vie aujourd’hui?
Je voulais raconter son histoire pour montrer certains des enjeux complexes liés à la question des prétendus Indiens. Il est assez facile de condamner les personnes qui s’approprient l’identité autochtone de manière calculée et crapuleuse dans le but de commettre une fraude, d’escroquer quelqu’un, d’obtenir frauduleusement une bourse d’études, de vendre un livre ou d’obtenir une promotion dans le monde universitaire.
Se faire passer pour un membre des Premières Nations, un Inuit ou un Métis pour faire progresser sa carrière ou simplement pour se rendre intéressant est manifestement malhonnête et immoral. Une telle imposture est un véritable affront à tous les Autochtones, qui passent leur vie à être victimes de racisme, d’injustice économique et d’iniquité sociale. Cela revient à une imposture qui exploite non seulement la souffrance et les traumatismes vécus par les Autochtones, mais aussi la résilience et le courage d’une minorité marginalisée, dans le but de bénéficier d’un avantage économique ou social.
Cependant, il est plus difficile de savoir comment réagir vis-à-vis des personnes qui sont tombées amoureuses du concept romantique de l’identité autochtone. Personnellement, j’en tiens Jean-Jacques Rousseau, le philosophe que j’aime le moins, pour responsable. En effet, c’est lui qui a créé le concept romantique du noble sauvage dans les années 1750. Deux cent soixante-dix ans plus tard, il semble qu’un trop grand nombre de gens cherchent encore à s’approprier les idées popularisées par Jean-Jacques Rousseau.
Au Canada, ce phénomène a vu le jour avec Grey Owl, également connu sous le nom d’Archie Belaney, un aventurier britannique qui était également un arnaqueur et un défenseur des animaux de renommée internationale, et qui prétendait être d’origine apache. La supercherie qu’il a entretenue tout au long de sa vie n’a été dévoilée qu’après sa mort, en 1938. Britannique jusqu’au bout des ongles, il a réussi à se faire passer pour le noble Indien auquel les Américains et les Européens voulaient croire. C’était un escroc, mais il connaissait si bien son public qu’il a su exploiter sa fausse identité autochtone pour devenir un auteur à succès de renommée mondiale.
De nos jours, il semble parfois que nous nous trouvions au milieu d’une foule de successeurs de Grey Owl — des auteurs, des cinéastes, des artistes, des universitaires et des politiciens —, des personnes qui ont bâti leur identité et leur carrière sur des revendications très douteuses et parfois volontairement trompeuses de l’identité autochtone. Dans certains cas, ces revendications bidon semblent être fondées sur une interprétation erronée et naïve des histoires familiales. En effet, des personnes croyaient sincèrement qu’un de leurs grands-parents ou arrière-grands-parents était un autochtone secret ou perdu, peut-être à cause d’une tradition familiale mal entendue ou mal mémorisée. Cela pourrait expliquer les affirmations largement démenties de Danielle Smith, première ministre de l’Alberta, et d’Elizabeth Warren, sénatrice américaine, selon lesquelles elles auraient des racines cherokees — une exagération nostalgique et chimérique d’une tradition familiale obscure.
Dans d’autres cas, les gens semblent s’être enfoncés dans leurs illusions romantiques et avoir établi des vies professionnelles et sociales entières qui sont axées sur la fiction qu’ils sont Autochtones, à tel point que je soupçonne qu’ils en sont venus à croire ardemment à leurs mythologies personnelles. Peut-être sont-ils tout simplement épris de cette noble illusion sauvage, de l’idée que revendiquer un héritage autochtone rendra leur vie plus intéressante, plus intense ou plus « authentique ».
Peut-être sont-ils tellement horrifiés par la violence et l’injustice de la colonisation qu’ils préfèrent s’identifier aux colonisés plutôt qu’aux colonisateurs. Il peut être plus facile de prétendre être autochtone, et donc innocent, que de faire face à sa propre culpabilité dans le projet continu du colonialisme. Pour quelqu’un qui n’est pas proche de ses propres racines ou qui ne sait rien de son ascendance ou de son identité, adopter l’histoire de quelqu’un d’autre peut donner le sentiment d’être plus enraciné et plus centré et de faire davantage partie d’une communauté; il peut aussi se sentir moins aliéné dans notre culture moderne déracinée.
Pour certaines personnes, ce jeu de pseudo-identité peut être un acte d’imagination relativement bénin — elles portent des jupes à rubans, achètent des capteurs de rêves et vont à des séances de suerie. Leurs actions peuvent exaspérer, mais elles ne causent aucun préjudice direct à qui que ce soit.
Dans d’autres cas, par contre, ce jeu de pseudo-identité est bien plus corrosif. Chaque fois qu’un auteur, un journaliste, un artiste ou un cinéaste non autochtone remporte un succès professionnel et attire l’attention parce qu’il s’est présenté comme autochtone, sa voix étouffe la voix authentique de ceux qui ont véritablement l’expérience d’être membres des Premières nations, des Inuits ou des Métis. Chaque fois qu’un imposteur narcissique qui se berce d’illusions remporte un prix, est titularisé à l’université ou obtient un siège à la table d’un conseil d’administration, cela signifie qu’une personne authentique a été mise à l’écart ou s’est vu refuser l’accès. Il n’est que trop évident que nombre de ces imposteurs se plaisent à perpétuer les clichés et les stéréotypes sur les peuples autochtones. Résultat : les voix contemporaines authentiques ont encore plus de mal à se faire entendre.
Pourtant, les jugements moraux ne sont pas toujours aussi faciles à porter, d’autant plus que de nombreux « fauxtochtones » se considèrent comme des champions des causes autochtones et que peu d’entre eux ont véritablement accompli quoi que ce soit pour faire progresser la justice sociale chez les Canadiens autochtones, laissant souvent dans leur sillage des collègues trahis au cœur brisé une fois leur fraude révélée.
Il y a aussi le revers de la médaille. Pendant des décennies, voire des générations, de nombreux peuples autochtones, en particulier des Métis et des Indiens non inscrits, ont été encouragés, voire forcés, à nier et à cacher leur identité culturelle. D’autres ont perdu leur statut lorsque leurs mères se sont mariées et qu’elles ont été coupées de leur culture et de leurs droits issus des traités. Dans d’autres cas, des enfants autochtones ont perdu leur identité parce qu’ils ont été adoptés par des familles de Blancs ou élevés dans des foyers d’accueil de Blancs.
Dans un effort visant à éliminer les « fauxtochtones », il ne faut pas surcorriger et priver les personnes qui découvrent à peine leurs racines autochtones de la possibilité d’explorer et de revendiquer leur identité culturelle. Après environ 300 ans de mariages mixtes, il est dangereux de faire une fixation sur le degré de sang comme preuve de la condition autochtone. Cela réduit l’identité autochtone à une question de génétique et de pourcentages, et l’histoire nous a enseigné à maintes reprises que de tels calculs sont inquiétants et réducteurs.
J’ai commencé ce discours en notant que James Gladstone avait une arrière-grand-mère métisse, mais qu’il avait grandi parmi des enfants autochtones et avait vécu sa vie d’adulte comme un Autochtone, qu’il avait été adopté et revendiqué par la Confédération des Pieds-Noirs et qu’il avait consacré sa vie à la lutte pour les droits des Autochtones, notamment lorsqu’il était sénateur conservateur indépendant. En tant que personne non autochtone, quel droit ai-je de critiquer ou de contrôler son identité après sa mort?
Ces questions d’identité sont très politiques et personnelles. Que revendiquons-nous? Qu’avons-nous le droit de revendiquer?
Mon regretté père était juif. J’ai été élevé avec un sens aigu de mes racines culturelles juives, mais je ne suis pas juif, et je sais que j’offense et que je mets en colère de nombreux membres de la communauté juive s’ils perçoivent que j’essaie de me faire passer pour un Juif ou de revendiquer un droit à l’identité ou à la voix juive.
Ma regrettée mère est née dans une colonie mennonite en Ukraine. Son père était mennonite, mais elle n’a pas été élevée comme telle. Je n’ai pratiquement aucune expérience de la culture mennonite, mais mes racines mennonites sont réelles et authentiques. Ai-je le droit de revendiquer une partie de cet héritage? Ou est-ce que cet héritage fait de moi un prétendant d’un autre genre? Ai-je déjà, subtilement ou non, déformé mon héritage culturel dans le but de paraître plus intéressant ou de promouvoir mes intérêts professionnels et politiques? Eh bien, oui. Au fil des ans, c’est probablement ce que j’ai fait.
Pourtant, il y a quelque chose de tristement raciste et réducteur dans le fait de supposer que notre identité est entièrement liée à notre ADN et à nos liens de sang. Dans ce pays multiculturel, où nous sommes parfois un peu trop enclins à trier et à étiqueter les gens en fonction de leur identité raciale ou ethnique, il est peut-être trop tentant pour les gens de prétendre être ce qu’ils ne sont pas, simplement pour pouvoir épingler une étiquette commode à leur revers métaphorique.
Il est difficile de savoir précisément ce que le Sénat ou le gouvernement fédéral pourrait faire pour résoudre le problème de représentation erronée de l’identité autochtone. Nous ne voulons certainement pas que l’État interfère avec l’autonomie des universités en matière d’embauche de professeurs ni avec les droits des éditeurs de proposer des contrats aux écrivains qu’ils choisissent de publier. Quant au fait que l’État définisse qui est autochtone et qui ne l’est pas, c’est une histoire que nous avons déjà vue et qui ne se termine pas de manière heureuse.
Pourtant, il est exaspérant et frustrant de voir tant de personnes prétendre, sur des bases mythiques ou ténues, être autochtones pour faire avancer leur carrière ou prendre de la place dans le discours public. Parfois, elles semblent être les voix les plus fortes, utilisant leurs privilèges pour se glorifier et exclure les autres. J’espère donc que le Comité des peuples autochtones explorera, à un moment donné, les complexités de cette question délicate. Je sais qu’il le fera avec soin et nuance.
Je remercie la sénatrice McCallum d’avoir soulevé l’idée et, comme toujours, de tous nous inspirer. Merci et hiy hiy.