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Le Sénat

Motion concernant un retrait possible de l'Alberta du Régime de pensions du Canada--Suite du débat

19 mars 2024


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion no 172, qui propose que le Sénat du Canada demande à l’actuaire en chef du Bureau du surintendant des institutions financières de publier une étude actuarielle portant sur :

a) un retrait possible de l’Alberta du Régime de pensions du Canada (RPC), y compris une analyse de la viabilité du RPC après un tel retrait par l’Alberta;

b) une estimation raisonnable du coût de sortie de la part de l’Alberta dans le fonds du Régime de pensions du Canada;

c) toute autre information que l’actuaire en chef juge pertinente dans le cadre de l’étude de cette question [...]

La motion demande également au Bureau du directeur parlementaire du budget d’étudier la possibilité que l’Alberta se retire du Régime de pensions du Canada, y compris les répercussions fiscales ou économiques d’un tel retrait du régime sur les Canadiens.

En tant que fière Albertaine et fière Canadienne, je pense que les gens de l’Alberta et les citoyens du Canada ont besoin de l’information la plus exacte, la plus indépendante et la plus impartiale possible sur les conséquences économiques d’un éventuel retrait de l’Alberta du Régime de pensions du Canada.

Il s’agit d’une question d’intérêt national, car le retrait de l’Alberta pourrait avoir de très graves conséquences sur la sécurité et la durabilité du Régime de pensions du Canada. Par ailleurs, l’Alberta est une province où des Canadiens de partout au pays viennent pour travailler et gagner un revenu ouvrant droit à pension. Des habitants de Corner Brook, Charlottetown, Toronto, Tofino, Saskatoon, Saint John, Whitehorse ou Winnipeg ont peut-être travaillé pendant une partie ou la totalité de leur carrière en Alberta et ils ont le droit de savoir ce qui arrivera à leur pension si l’Alberta se retire.

Si l’Alberta se retire du Régime de pensions du Canada, il est fort possible que les personnes qui y ont travaillé pendant une partie ou la totalité de leur vie et qui prennent leur retraite ailleurs au pays deviennent automatiquement inadmissibles au Régime de pensions du Canada. Elles recevraient des prestations du régime de pension proposé de l’Alberta, mais elles n’auraient pas la possibilité de voter dans le cadre d’un référendum qui pourrait avoir une grande incidence sur leur retraite.

Il faut savoir que le Régime de pensions du Canada compte parmi les plus performants au monde. En date du 31 décembre 2023, il valait 590,8 milliards de dollars et son rendement annualisé net sur 10 ans était de 9,3 %, ce qui représente un bénéfice net cumulatif de 319,4 milliards de dollars au cours des 10 dernières années. Dans un récent rapport publié par le site Global Pension Transparency Benchmark, qui évalue les 1 000 principaux régimes de pension au monde, le Régime de pensions du Canada s’est classé au deuxième rang, derrière celui de la Norvège, au chapitre de la transparence globale, du coût et du rendement. En matière de gouvernance, le Régime de pensions du Canada s’est classé au premier rang mondial.

La gouvernance du Régime de pensions du Canada est gérée conjointement par les provinces et le gouvernement fédéral. Toutefois, le fonds lui-même est administré par un conseil indépendant. Aucun premier ministre, ministre des Finances ou groupe de premiers ministres provinciaux ne peut intervenir dans ses décisions d’investissement, et il est plus difficile de changer cette structure gouvernementale que de modifier la Constitution. En effet, il faudrait le consentement des deux tiers des provinces qui représentent les deux tiers de la population canadienne.

L’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada est un acteur international majeur, qui possède des bureaux à Londres, au Luxembourg, à Bombay, à Hong Kong, à New York, à San Francisco, à São Paulo et à Sydney. Son objectif n’est pas de réaliser les rêves politiques ou les ambitions commerciales de qui que ce soit. D’ailleurs, seuls 14 % des actifs du fonds sont investis au Canada. La stratégie consiste à placer nos œufs dans le plus grand nombre de paniers possible.

Le RPC est également entièrement transférable. Il permet aux gens de chercher du travail dans n’importe quelle province, sachant que leur pension les suivra où qu’ils déménagent. Grâce à cette sécurité, une personne qui travaille à Edmonton peut accepter du travail à Ottawa. Une personne qui vit à Glace Bay peut se rendre fréquemment à Fort McMurray en avion pour y travailler. Une personne qui vit à Grande Prairie peut prendre sa retraite à Kelowna. Cette transférabilité n’aide pas seulement les travailleurs. Elle aide les employeurs à recruter les talents dont ils ont besoin n’importe où au pays et à s’adapter rapidement aux pénuries de main-d’œuvre en période d’essor économique.

En fait, on pourrait appeler le RPC l’arme secrète de l’Alberta. Nulle province au sein de la Confédération ne tire plus d’avantages de ce régime que l’Alberta, puisqu’il permet aux entreprises de cette province de faire venir du personnel au moment et à l’endroit où elles en ont besoin. C’est peut-être la raison pour laquelle le RPC est si populaire dans l’ensemble du Canada et en Alberta. Selon les résultats d’un sondage de Bruce Anderson et spark*advocacy publié à la fin du mois dernier, 88 % des Canadiens, dont 81 % des Albertains, estiment qu’il faut maintenir le Régime de pensions du Canada à l’échelle nationale.

Dans ce cas, pourquoi l’Alberta propose-t-elle de se retirer de ce régime de pension qui fonctionne pourtant très bien et qui a une si bonne réputation?

Certains Albertains soutiennent que nous versons un montant disproportionné au régime de pension national et que nous ne recevons pas notre juste part en retour. Il est vrai que, globalement, année après année, les Albertains versent plus d’argent au Régime de pensions du Canada qu’ils n’en reçoivent. Toutefois, cela s’explique par le fait que notre province a une population jeune avec de nombreux jeunes travailleurs, un taux de participation à la population active extrêmement élevé et des salaires supérieurs à la moyenne et, bien sûr, par le fait que, bien souvent, les personnes âgées de l’Alberta partent à la retraite dans des régions plus chaudes du Canada.

La province compte tout simplement plus de travailleurs et moins de retraités, ce qui ne veut pas dire que le régime est injuste. Chaque Albertain touchera les prestations auxquelles il a droit quand il prendra sa retraite, où qu’il la prenne. La plupart des Albertains toucheront individuellement des pensions plus importantes parce qu’ils auront gagné plus de revenus ouvrant droit à pension.

Et puis, bien sûr, il y a les Albertains qui pensent que nous devrions avoir notre propre régime de retraite, propre à l’Alberta, pour qu’elle puisse l’utiliser pour diriger les investissements vers son secteur énergétique, à un moment où les entreprises d’extraction de ressources ont de plus en plus de mal à attirer des capitaux d’investissement internationaux. On peut se demander si la microgestion d’un fonds de pension pour soutenir une industrie précise en difficulté est la meilleure façon de protéger les retraites des Albertains, surtout si on la compare à la stratégie globale du Régime de pensions du Canada.

Enfin, certains Albertains veulent que nous nous retirions du Régime de pensions du Canada par principe, quels qu’en soient les coûts économiques, une sorte de geste symbolique qui exprime l’autonomie de l’Alberta. Ils estiment qu’un régime de pensions de l’Alberta est le premier pas vers la souveraineté-association, voire la séparation. Pour eux, il ne s’agit pas d’un argument économique ou logique. Il s’agit d’indépendance politique et d’identité culturelle.

Dans ce contexte, en septembre dernier, le gouvernement de l’Alberta a publié un rapport rédigé par des experts-conseils qui décrit la manière dont l’Alberta pourrait mettre en place son projet de régime de pensions autonome. Selon les conclusions du rapport, sur la base d’une lecture littérale de la loi, l’Alberta avait le droit de retirer 117 % de la valeur totale des actifs du Régime de pensions du Canada. Oui, j’ai bien dit 117 %.

Cependant, les experts-conseils ont reconnu qu’un tel plan, qui consiste à retirer plus d’argent qu’il n’y en avait dans le fonds, était probablement irréaliste. En guise de compromis, ils ont proposé une lecture qui donnerait à l’Alberta le droit d’obtenir 53 % des actifs totaux du fonds, soit 334 milliards de dollars. À titre d’information, cela représente évidemment plus de la totalité des revenus du fonds au cours des dix dernières années.

En se fondant sur cette prémisse provocatrice et sur l’hypothèse que la population de l’Alberta demeurera plus jeune que la moyenne nationale, le rapport prédit que les travailleurs et les employeurs de l’Alberta cotiseront moins à un régime de pensions géré par l’Alberta qu’ils ne le font actuellement au Régime de pensions du Canada, tout en touchant des pensions plus élevées que celles des autres Canadiens lorsqu’ils prendront leur retraite. En se fondant sur ces hypothèses très précises, les consultants ont estimé qu’un régime de pensions géré par l’Alberta pourrait permettre aux hauts salariés de la province d’économiser jusqu’à 1 400 $ par année. Cependant, le rapport ne précise pas combien les salariés albertains à revenu moyen ou faible pourraient économiser. Toutefois, ces économies potentielles reposent bel et bien sur un modèle qui permettrait à l’Alberta de retirer plus de la moitié de la valeur totale du Régime de pensions du Canada au moment de son retrait.

Les Albertains se sont fait dire qu’ils auront l’occasion de voter dans le cadre d’un référendum sur la création d’un régime de pensions géré par l’Alberta. Toutefois, comment peuvent-ils prendre une décision éclairée sans savoir si cette estimation de 53 % et les projections qui en découlent sont plausibles? De plus, comment peuvent-ils, en leur âme et conscience, prendre une décision sans comprendre les répercussions de leur retrait sur leurs concitoyens canadiens?

C’est pourquoi, en décembre dernier, j’ai donné avis de cette motion, qui demande au Bureau de l’actuaire en chef de préparer un rapport visant à répondre à ces questions.

Le Bureau de l’actuaire en chef est une unité indépendante au sein du Bureau du surintendant des institutions financières. Même si l’actuaire en chef, Assia Billig, relève du surintendant, elle est la seule responsable du contenu de ses rapports et des opinions actuarielles qu’elle y formule.

Le Bureau de l’actuaire en chef a été créé pour fournir des services actuariels et autres au gouvernement du Canada ainsi qu’aux gouvernements provinciaux, qui sont des parties prenantes du Régime de pensions du Canada. Étant donné que le bureau ne fait pas partie de l’appareil gouvernemental, il est conçu pour être impartial et indépendant.

Je suis heureuse de pouvoir dire que les choses ont quelque peu progressé depuis que j’ai inscrit la motion au Feuilleton. Le mois dernier, Mme Billig, qui se trouve à être titulaire d’un doctorat en mathématiques de l’Université de l’Alberta, a mis sur pied un comité d’experts composé de cinq actuaires indépendants, qui ont été chargés d’examiner le libellé juridique et technique quelque peu litigieux de la Loi sur le Régime de pensions du Canada, puis de présenter leurs propres analyses et évaluations concernant la juste part du fonds qui devrait revenir à l’Alberta. Ce groupe de cinq personnes est censé terminer son travail au cours du printemps. L’actuaire en chef présentera ensuite son propre rapport à la fin de l’automne.

Compte tenu de ces développements, la motion dont nous sommes saisis peut maintenant sembler superflue. Or, la motion no 172 va plus loin qu’établir simplement la part qui revient à l’Alberta. Elle demande explicitement une analyse de la viabilité du RPC après le retrait de l’Alberta, en plus de confier à l’actuaire en chef le pouvoir de faire rapport de toute autre question qu’elle juge pertinente. De plus, ce dossier évolue en grande partie de manière discrète, dans les coulisses, loin des yeux du public. Vu l’importance de la question, je crois qu’il est important, voire essentiel, que nous soyons transparents et que nous rendions publics cette demande et le rapport qui en découlerait.

En tant que sénateurs, nous représentons notre province et notre région. Si le Sénat indépendant demande lui-même un tel rapport, cela n’a pas le même poids que si un gouvernement qui participe aux négociations le demande.

La motion no 172 demande en outre au directeur parlementaire du budget, un mandataire indépendant du Parlement, de préparer son propre rapport indépendant distinct concernant les possibles répercussions de l’éventuel retrait de l’Alberta du RPC sur le ministère fédéral des Finances et les finances du gouvernement en général. Cela n’est pas superflu. Je ne demande pas au directeur parlementaire du budget de produire une analyse rivale ou distincte de la part qui revient à l’Alberta. Ce travail revient comme il se doit à l’actuaire en chef, qui disposera des ensembles de données les plus complets à cette fin.

Cependant, la viabilité future du Fonds du Régime de pensions du Canada n’aurait pas seulement une incidence sur les pensionnés. Le fait de priver le fonds de plus de la moitié de ses actifs et de réduire ainsi son influence sur les marchés internationaux pourrait avoir des conséquences économiques considérables pour le pays et le gouvernement fédéral, surtout si Ottawa doit alors intervenir pour protéger les régimes de retraite des habitants des autres provinces. C’est pourquoi je pense que le directeur parlementaire du budget devrait publier son propre rapport indépendant sur cette question.

J’espère que vous vous joindrez à moi pour formuler cette demande, et ce, en temps opportun. Les Albertains ont besoin de données précises, indépendantes et objectives avant de prendre cette décision capitale, tout comme les autres Canadiens d’ailleurs.

Merci. Hiy hiy.

L’honorable Karen Sorensen [ - ]

Accepteriez-vous de répondre à une question, sénatrice Simons?

Je serais heureuse de le faire.

La sénatrice Sorensen [ - ]

Je suis Albertaine et j’habite dans l’une des principales destinations touristiques du Canada. Il y a beaucoup de gens d’autres régions du pays qui viennent vivre et travailler en Alberta pendant la saison touristique, puis qui retournent vivre dans leur province pendant le reste de l’année.

Si l’Alberta se retirait du Régime de pensions du Canada et créait son propre régime, quelle serait, selon vous, sa capacité à attirer des travailleurs saisonniers?

Je vous remercie de votre excellente question. Je dois avouer que pendant que je rédigeais mon discours, c’est plutôt aux travailleurs du secteur pétrolier et gazier que je pensais, mais vous avez tout à fait raison. Comme je l’ai dit, la formule magique de l’Alberta réside en partie dans sa capacité à attirer des travailleurs lorsqu’elle en a besoin, et ces travailleurs savent que leurs pensions sont transférables. Les employeurs savent qu’ils n’ont pas à créer un autre régime de pensions.

Je pense que c’est une question tout à fait cruciale pour les travailleurs saisonniers, afin que Banff, Jasper et d’autres parcs nationaux et sites touristiques puissent attirer des travailleurs. En fait, cela peut avoir une incidence sur les travailleurs agricoles saisonniers, y compris ceux qui viennent de l’étranger, car à l’heure actuelle, le Régime de pensions du Canada a conclu des ententes avec 70 pays étrangers, je crois, pour harmoniser les régimes de pension, et le régime de pensions de l’Alberta ne pourrait pas offrir la même chose, du moins pas au début.

L’honorable Donna Dasko [ - ]

La sénatrice Simons accepterait-elle de répondre à une autre question?

Volontiers.

La sénatrice Dasko [ - ]

Monsieur le sénateur, vous avez mentionné qu’environ 80 % des Albertains sont en faveur d’un système national pour le Régime de pensions du Canada, mais il y a aussi le chiffre de 53 % qui circule et celui des 117 % du régime qui reviendraient à l’Alberta. Y a-t-il des raisons de penser que les Albertains vont croire à la désinformation qui est présentée au moyen de ces chiffres? Ils sont tellement incroyables que personne ne pourrait les croire. Pourtant, comme nous le savons, si une chose est répétée à maintes reprises, elle risque d’être crue par le public.

Avez-vous le sentiment que les Albertains pourraient en venir à croire ce genre de chiffres, qui me semblent évidemment absurdes? Merci.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénatrice Simons, le temps dont vous disposiez est écoulé. Voulez-vous plus de temps pour répondre à la question?

J’aimerais bien demander cinq minutes de plus, mais je suis consciente que je retarde le souper des sénateurs.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Est-ce que l’on consent à ce que la sénatrice Simons réponde à la question de la sénatrice Dasko?

Le gouvernement de l’Alberta s’est engagé dans une campagne de communication extrêmement sophistiquée pour tenter d’expliquer aux Albertains pourquoi il pense qu’un régime de retraite albertain est viable. Toutefois, il a été difficile d’obtenir des données de sondage cohérentes et, comme vous le savez, les résultats des sondages dépendent de la manière dont on pose la question.

J’ai lu aujourd’hui un article dans mon ancien journal, l’Edmonton Journal, où l’on raconte que le journal a tenté de déposer une demande d’accès à l’information pour obtenir certains documents issus des tables rondes et des journées portes ouvertes organisées par le gouvernement. Le gouvernement a refusé de divulguer ces documents en prétendant que ces séances de questions-réponses constituent des conseils au gouvernement et qu’elles doivent donc rester confidentielles.

Selon moi, si les Albertains disposaient d’informations exactes sur ce que ce régime de retraite obtiendrait réellement en matière d’actifs de départ, leur réaction serait très différente, car on leur dit qu’ils obtiendront automatiquement 53 % du fonds. C’est pourquoi je pense qu’il est absolument essentiel que nous obtenions ces informations le plus rapidement possible, afin que les Albertains puissent se faire leur propre opinion sur la base de données objectives.

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