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La Loi sur la citoyenneté—La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Ajournement du débat

13 juin 2024


Sénatrice Jaffer, accepteriez-vous de répondre à une question?

L’honorable Mobina S. B. Jaffer [ + ]

Oui.

J’ai entendu certains s’inquiéter de la possibilité que le projet de loi fasse perdre par accident la citoyenneté d’un autre pays à certains enfants, parce que ce ne sont pas tous les pays qui acceptent que leurs ressortissants aient la double citoyenneté. J’aimerais savoir si des amendements ont été apportés par le comité afin de répondre à ces inquiétudes.

La sénatrice Jaffer [ + ]

Merci de cette très importante question, sénatrice Simons.

Oui, c’est pourquoi, quand j’ai pris la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi, je disais qu’il fallait que la citoyenneté soit accordée automatiquement. Or, si la citoyenneté est accordée automatiquement, une personne qui désire conserver la citoyenneté d’un autre pays risquerait de la perdre. Maintenant, avec les amendements proposés par les fonctionnaires, il est question d’une attribution, ce qui signifie que la personne doit demander la citoyenneté, alors la situation que vous évoquez ne pourra pas arriver. Les gens auront le choix — ils devront faire une demande —; la citoyenneté ne sera pas accordée automatiquement.

L’honorable Kim Pate [ + ]

Honorables sénateurs, j’ai également le plaisir de prendre la parole aujourd’hui à l’appui du projet de loi S-235.

Comme vous l’avez entendu, ce projet de loi vise à combler certaines lacunes et injustices flagrantes dans nos systèmes de citoyenneté et de droit pénal. Il établit une voie d’accès à la citoyenneté pour les personnes qui sont arrivées au Canada lorsqu’elles étaient enfants et qui ont ensuite été retirées de leur famille par les autorités de protection de l’enfance, lesquelles sont devenues d’office leurs tuteurs à la place de leurs parents. Dans le cadre de leur rôle parental, ils n’ont pas assumé leur responsabilité d’obtenir la citoyenneté de leurs « enfants ». Si un individu — une personne, et non le gouvernement — était leur parent, nous identifierions clairement cela comme de l’irresponsabilité, voire de la négligence parentale.

Trop d’enfants de nouveaux arrivants subissent l’héritage du colonialisme au Canada, qui se traduit par l’institutionnalisation massive d’enfants racialisés dans le réseau de la protection de la jeunesse ou dans le système carcéral. Les enfants pauvres, autochtones et noirs font partie de ceux qui sont, souvent de force, pris en charge de manière disproportionnée, ce qui intensifie les effets intergénérationnels de la pauvreté et de l’inégalité.

Lorsque les enfants sont pris en charge par l’État, celui-ci devient légalement leur parent. Le projet de loi S-235 vise à s’appliquer à toutes les formes de cette « parentalité » étatique, y compris les placements en établissement, les placements en famille d’accueil, les placements chez un membre de la famille et les conventions alimentaires. Dans tous les cas, en tant que parent, l’État a la responsabilité légale d’agir dans l’intérêt de l’enfant. Cette responsabilité parentale comprend l’obtention du statut de citoyen ainsi que des protections et des droits qui en découlent. Trop souvent, les services de protection de l’enfance manquent à leur devoir à ce chapitre.

Les circonstances au sein du système de protection de l’enfance contribuent à la probabilité que les enfants soient marginalisés, traités injustement et judiciarisés. Depuis longtemps, il arrive que les places dans les foyers de groupe et les familles d’accueil servent à la fois à l’hébergement pour les services de protection de l’enfance et pour le système judiciaire pour les jeunes. Cette situation crée une pente glissante entre le placement dans le système de protection de l’enfance et la judiciarisation pour des jeunes qui, autrement, seraient très peu susceptibles d’être judiciarisés par leur propre famille pour des comportements irritants et parfois risqués, mais qui sont étroitement liés à l’âge et aux circonstances.

Par exemple, au Manitoba, pas moins d’un enfant sur trois ayant passé du temps dans le système de protection de l’enfance a été accusé d’au moins une infraction criminelle avant l’âge de 18 ans.

Comme vous l’a dit la sénatrice Jaffer, sans citoyenneté, les enfants qui ont d’abord été pris en charge par l’État, et qui sont ensuite judiciarisés risquent d’être expulsés vers des pays où ils n’ont ni liens ni soutien. Dans les cas où les frontières des États ont changé, certains se retrouvent même apatrides. La plupart ont grandi au Canada; ils pensent naturellement qu’ils sont Canadiens et ils ignorent qu’ils n’ont pas la citoyenneté.

Les personnes qui découvrent que l’État a manqué à ses devoirs parentaux s’en aperçoivent généralement trop tard — le plus souvent lorsqu’elles sont informées qu’elles seront expulsées en raison d’une condamnation au criminel et que cette condamnation les rend inadmissibles à présenter une demande de citoyenneté.

Soit dit en passant, de nombreux avocats criminalistes ignorent que la criminalité et certaines sanctions peuvent empêcher une personne de faire appel de son statut d’immigrant et imposer son expulsion.

Au cours de leur témoignage devant le Comité des affaires sociales, de nombreuses personnes, y compris — comme vous l’avez entendu — Andrew Brouwer d’Aide juridique Ontario, ont exhorté le gouvernement à adopter le projet de loi S-235 en guise d’engagement à l’égard de la lutte contre le racisme. Il a dit :

En grande partie, les infractions criminelles commises [par des enfants qui étaient autrefois sous la tutelle de l’État] étaient la conséquence naturelle et prévisible des circonstances de la personne, du fait qu’elle passe des services d’aide à l’enfance au système de justice pénale. Les jeunes sont judiciarisés pendant qu’ils sont pris en charge par l’État. Une fois le processus de judiciarisation entamé, il est loin d’être simple de s’extirper du système de justice pénale, surtout pour les personnes qui sont racisées, qui sont pauvres, qui ont possiblement des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale et qui n’ont aucun soutien familial à l’extérieur de l’État. Ces personnes sans citoyenneté passent du système de justice pénale à la prochaine étape — la pire des indignités, soit l’expulsion du seul pays qu’elles connaissent. Le projet de loi tente de mettre fin à ce pipeline.

Le Black Legal Action Centre a souligné ceci :

[...] les politiques de protection de l’enfance du Canada sont oppressives [...] les pratiques discrétionnaires sont empreintes de préjugés et [...] les services adaptés à la culture ne réagissent pas. Au Canada, lorsqu’un enfant est pris en charge, la responsabilité parentale est transférée aux forces de l’ordre. Elles sont responsables de choses comme le règlement des différends, la discipline et le respect des règles du foyer. Souvent, c’est là que les enfants noirs ont affaire avec le système de justice pénale pour la première fois.

D’après les données disponibles, nous savons qu’il est difficile d’obtenir la citoyenneté canadienne à part entière si on vient d’un pays où les Noirs sont prédominants. Nous savons que les familles noires sont beaucoup plus surveillées et appréhendées par les services de protection de l’enfance. Nous savons que les Noirs reçoivent toujours des peines plus sévères dans le système de justice pénale. Et nous savons que l’expulsion des enfants que nous avons échoué à protéger n’est pas la solution. Les enfants ne devraient pas être pénalisés parce qu’ils n’ont pas de statut d’immigration. C’est une question sur laquelle ils n’ont que peu ou pas de contrôle.

Honorables sénateurs, le gouvernement ne devrait pas avoir le droit de tenir un double discours en disant que, même s’il assume la responsabilité parentale d’un enfant, il peut l’abandonner et l’expulser. Les enfants qui sont pris en charge par l’État ne devraient pas se voir refuser la citoyenneté canadienne parce que leur parent étatique les néglige et ne s’assure pas qu’ils ont la citoyenneté. Le projet de loi de la sénatrice Jaffer vise à corriger les injustices et les inégalités qui découlent de cette situation.

Le gouvernement fédéral a récemment pris des mesures qui, essentiellement, reconnaissent les obligations particulières qu’il a envers les enfants sous sa tutelle qui n’ont pas la citoyenneté. En juillet 2023, le gouvernement a mis en place une politique afin de permettre la délivrance d’un permis de séjour temporaire aux étrangers pris en charge par un organisme de protection de la jeunesse au Canada.

En janvier 2024, le gouvernement a autorisé une période temporaire de trois ans qui ouvre la voie à la délivrance du statut de résident permanent aux enfants anciennement pris en charge.

Dans les deux cas, les demandeurs ne sont pas tenus de payer les frais habituels et ils ne sont pas assujettis aux interdictions en vigueur pour présenter une demande s’ils ont déjà été visés par des accusations criminelles. Malheureusement, comme les témoins l’ont souligné devant le comité, ces mesures ne règlent pas le problème. Elles constituent plutôt une solution provisoire jusqu’à ce que le projet de loi S-235 soit adopté.

À titre d’exemple, le statut de résident permanent — même s’il représente une voie plus prometteuse qu’un simple permis de séjour temporaire — demeure révocable. Par conséquent, ce n’est pas une protection suffisante contre l’expulsion.

Le projet de loi S-235 vise à mettre fin à ces injustices de longue date. Il donnerait la possibilité aux personnes qui étaient auparavant pris en charge par un organisme de protection de la jeunesse de présenter directement une demande de citoyenneté. Ce projet de loi prévoit que, même si ces personnes font l’objet d’une ordonnance d’expulsion, elles ne seront pas renvoyées du pays pendant le traitement de leur demande de citoyenneté.

Dans la version présentée à l’étape de la première lecture, le projet de loi S-235 aurait permis aux enfants pris en charge par l’État d’obtenir automatiquement la citoyenneté en toute légitimité, sans avoir à en faire la demande. Comme vous l’avez entendu, au comité, les témoins du gouvernement ont soulevé des préoccupations hypothétiques au sujet de cette approche, et ce, sans fournir de preuves ou de données concrètes pour appuyer leurs hypothèses. La sénatrice Jaffer a quand même travaillé avec des experts en droit de l’immigration qui défendent les intérêts des personnes qui ont été prises en charge dans leur enfance afin d’élaborer des amendements judicieux pour répondre aux préoccupations sans fondement du gouvernement.

En ajoutant l’exigence de présenter une demande, ces amendements au projet de loi vont certainement créer des obstacles supplémentaires à l’obtention de la citoyenneté pour les enfants pris en charge, car il faudra les informer de la nécessité de cette demande et ils devront faire des démarches pour répondre aux exigences. Ces obstacles ont été ajoutés dans le projet de loi en raison des craintes soulevées par le gouvernement. Le gouvernement devra donc prendre toutes les mesures nécessaires pour atténuer les obstacles qui seront imposés par ces changements.

Par ailleurs, comme le Comité des affaires sociales l’a indiqué dans ses observations sur le projet de loi S-235, le gouvernement doit veiller à ce que le processus de demande prévu dans le projet de loi soit sans frais, conformément à ses politiques récentes sur les demandes de résidence temporaire et de résidence permanente présentées par les personnes qui ont été prises en charge dans leur enfance.

Le gouvernement doit également assurer une certaine souplesse en ce qui concerne la documentation requise, d’autant plus que, comme la sénatrice Jaffer l’a également indiqué, les services de protection de l’enfance omettent trop souvent de veiller à ce que les enfants conservent des documents personnels essentiels alors que les enfants sont transférés de foyer d’accueil en foyer d’accueil, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus en âge d’être pris en charge.

Chers collègues, comprenez bien que le projet de loi S-235 ne vise pas à créer des privilèges spéciaux ou une voie rapide dans le système d’immigration. Il vise plutôt à combler un vide juridique qui a empêché des enfants élevés au Canada par l’État d’être reconnus comme les Canadiens qu’ils sont.

Comme l’a souligné la sénatrice Jaffer, le Sénat est au courant de cette injustice depuis longtemps. En 2017, alors que la sénatrice Omidvar dirigeait les travaux de modification de la Loi sur la citoyenneté par l’entremise du projet de loi C-6, le sénateur Oh a présenté un amendement qui visait à aider les personnes ayant fait partie du système de protection de l’enfance. Il avait alors évoqué la situation de Fliss Cramman, une femme dont j’avais suivi le dossier avant ma nomination au Sénat. Comme vous l’avez entendu, Mme Cramman est arrivée au Canada à l’âge de 8 ans, et elle a été prise en charge par l’État à l’âge de 11 ans afin de l’extraire d’un foyer où régnaient la violence et les sévices sexuels.

Elle a seulement découvert qu’elle n’avait pas la citoyenneté dans la trentaine, alors qu’elle purgeait une peine de prison et que les autorités pénitentiaires se sont renseignées sur son statut d’immigrante dans le cadre des préparatifs pour sa libération conditionnelle à des fins d’intégration dans la collectivité.

Malheureusement, comme certains d’entre vous s’en souviendront, les amendements apportés au projet de loi C-6 n’ont pas aidé Mme Cramman, ni de nombreux autres enfants placés, y compris des personnes comme Abdoul Abdi, Abdilahi Elmi et Mark Wollery Surgeon.

Les amendements du sénateur Oh offrent davantage d’options aux mineurs pour demander la citoyenneté, mais ils ne s’attaquent pas au principal obstacle systémique auquel se heurtent les anciens bénéficiaires du système de protection de l’enfance qui ne savent pas qu’ils n’ont pas la citoyenneté. Pourquoi? Parce qu’en réalité, ils ne savent pas qu’ils doivent faire une demande avant qu’il soit trop tard.

Le contenu de ce projet de loi a commencé par un amendement amical sur lequel j’ai travaillé avec le sénateur Oh pour faire en sorte que son amendement atteigne l’objectif qu’il s’était fixé. J’ai cru naïvement que le fait de collaborer en mettant de côté la partisanerie serait bien accueilli. Malheureusement, d’autres collègues n’étaient pas du même avis et certains ont menacé de s’opposer aux réformes du projet de loi C-6 en matière d’immigration si nous allions de l’avant. On m’a donc demandé de ne pas aller de l’avant et d’apporter les changements dans le cadre d’un projet de loi d’initiative parlementaire pour combler les lacunes du projet de loi et des amendements du sénateur Oh. Sept ans plus tard, mes amis, nous avons enfin le projet de loi de la sénatrice Jaffer. Entretemps, nous avons continué à ne pas obtenir justice pour les enfants que nous avons négligés pendant bien trop longtemps.

Pour les personnes qui sont arrivées au Canada dans leur enfance, souvent en fuyant la guerre ou la persécution, et qui ne connaissent aucun autre pays ou foyer, l’expulsion est une punition inimaginable. Les personnes qui ont été retirées à leurs parents et à leurs gardiens lorsqu’elles étaient enfants et qui ont été placées dans des systèmes qui ne sont pas équipés pour répondre à leurs besoins, et encore moins pour assumer pleinement des responsabilités parentales, ne devraient pas subir par la suite la punition et l’indignité supplémentaires d’être abandonnées après avoir été jetées dans le système de justice pénale. Lorsque l’État qui était censé agir comme leur parent ne parvient pas à leur assurer la citoyenneté, il ne faudrait pas abandonner les enfants autrefois pris en charge en les envoyant dans des pays où ils n’ont aucun espoir — pas de famille, pas de relations et aucun moyen de subvenir à leurs besoins.

Le Canada doit assumer ses responsabilités et remédier à son rôle — notre rôle, honorables collègues — dans la marginalisation, la victimisation, la criminalisation et l’institutionnalisation de ceux que nous avons laissés tomber lorsqu’ils étaient enfants. Adoptons le projet de loi S-235 et commençons à réparer ces erreurs pour les générations futures.

Meegwetch. Je vous remercie.

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