Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
17 septembre 2024
Propose que le projet de loi C-332, Loi modifiant le Code criminel (contrôle coercitif d’un partenaire intime), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, j’ai le privilège d’amorcer le débat à l’étape de la deuxième lecture sur le projet de loi C-332, qui traite du contrôle coercitif d’un partenaire intime.
J’ai offert à la marraine du projet de loi à la Chambre des communes, la députée Laurel Collins, de marrainer son initiative au Sénat, car cette forme de violence insidieuse me préoccupe depuis des années.
Beaucoup de progrès ont été réalisés depuis l’adoption à l’unanimité du projet de loi C-332 à la Chambre des communes le 12 juin dernier, après avoir été grandement amélioré à divers égards grâce à une série d’importants amendements. Je vais y revenir plus tard, mais j’aimerais d’abord dire quelques mots au sujet du contexte.
La violence entre partenaires intimes à l’égard des femmes est une tragédie. Au Canada, une femme est tuée tous les six jours à la suite d’un acte de violence conjugale. Comme l’a expliqué la professeure Carmen Gill, de l’Université du Nouveau-Brunswick, le Code criminel est désuet, car il considère ces actes de violence comme des événements isolés et ponctuels.
Permettez-moi de la citer :
[L]e système de justice pénale canadien met principalement l’accent sur la preuve de violence physique, les premiers intervenants doivent trouver des preuves de cette violence. Par conséquent, on néglige le contexte de la violence et les préjudices causés dans le cadre de cette dynamique, de sorte que le contrôle coercitif n’est pas pris en compte ou est rejeté. Lors d’une intervention, il est presque impossible, pour un policier, de reconnaître la privation du droit à la liberté, l’obstruction de la liberté et la dynamique du pouvoir et du contrôle.
Qu’est-ce que le contrôle coercitif, la notion qui est au cœur du projet de loi C-332? Il s’agit de l’utilisation par l’agresseur de tactiques répétitives, notamment l’exploitation, l’humiliation, la manipulation, l’isolement et la microréglementation de la vie quotidienne de son partenaire intime. Il ne s’agit donc pas d’un seul comportement, mais d’un large éventail de comportements qui, pris séparément, ne sont pas nécessairement de nature criminelle, mais qui se transforment, par leur répétition, en contrôle coercitif.
C’est au cœur du projet de loi C-332, qui crée une nouvelle infraction de contrôle coercitif d’un partenaire intime dont les auteurs sont passibles d’une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement.
Ce n’est pas d’hier que les groupes venant en aide aux femmes ont réalisé qu’il y avait tout un ensemble de comportements contrôlants distincts des coups ou même, dans les pires cas, distincts des féminicides.
Quatre-vingt-quinze pour cent des victimes de violence physique signalent aussi la présence de contrôle coercitif. De plus, cette violence est genrée. Les femmes et les filles représentent 79 % des victimes de violence entre partenaires intimes déclarée à la police. L’enquête publique sur la fusillade de masse en Nouvelle-Écosse a établi que le tireur avait un passé de comportements coercitifs et qu’il avait notamment retiré les pneus de l’auto de sa partenaire pour l’empêcher de le quitter. Le soir de la fusillade, il l’a attaquée et séquestrée.
Au Québec, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a beaucoup travaillé depuis trois ans sur le contrôle coercitif en formant plus de 6 200 intervenants dans les milieux policier, judiciaire et de la santé. En effet, même en l’absence d’une loi, la sensibilisation au contrôle coercitif peut aider les intervenants à repérer une femme en détresse. Cette formation est basée notamment sur l’enfer qu’a vécu pendant 13 ans une mère que je surnommerai Marie, qui a accepté de me raconter son calvaire en détail.
Au départ, il y avait un conjoint attentionné qui a réussi peu à peu à l’isoler, qui la surveillait et qui était d’une jalousie obsessionnelle. Après la naissance de son premier enfant, il « lui criait dessus » — ce sont ses mots — jusqu’à ce qu’elle se mette en boule sur le plancher pour protéger son petit qui hurlait. Marie raconte que son conjoint buvait, hurlait de plus en plus, était extrêmement agressif, mais ne la frappait pas, disait-il, pour ne pas laisser de marques.
Marie, qui était financièrement dépendante de son partenaire, vivait dans la peur de la prochaine crise et a fini par s’enfuir quand sa mère lui a dit qu’elle allait se faire tuer. Le stress a été tel qu’une série de problèmes médicaux l’a laissée avec des séquelles cérébrales. Le contrôle coercitif n’étant pas encore une infraction, l’ex-partenaire d’une autre survivante, Brigitte, a été condamné pour un seul aspect de toute la violence qu’elle a subie : le harcèlement criminel. Il a été condamné non pas à cause de tous les actes contrôlants répétés et de violence psychologique qu’il a posés pendant neuf ans, mais parce qu’après la séparation, elle a enregistré durant six mois leurs conversations téléphoniques au sujet de la garde de l’enfant. La juge a lu quelques extraits de ces propos violents et dénigrants devant le tribunal. Je cite certains extraits : « Quand je te regarde, tu es morte, sans vie. Je ne comprends pas que tu ne sois pas malade, tu es bonne à rien. » « Tu vas fermer ta tabarnak de gueule. Tu es une pas bonne [...] Tu es une criss de retardée. »
Il la traite de grosse conne qui n’est pas assez intelligente, qui n’a pas de couilles.
Ou encore il disait : « Si tu savais comme je me fous éperdument de ce que tu dis. Je peux faire ce que je veux avec elle. Arrête de lui demander son opinion quant au fait qu’elle vienne souper chez moi. » Il parlait alors de sa fille.
L’accusé a été condamné à 30 jours de prison à purger chez lui, une journée par semaine.
Brigitte explique qu’il y a eu peu de violence physique. Cela lui a pris du temps à réaliser ce qui se passait. Le chantage, l’isolement de son cercle d’amis, les menaces, la manipulation, le dénigrement alternaient avec des cadeaux.
C’est précisément pour venir en aide à des femmes, à des mères de famille comme Brigitte et Marie, qu’il est temps de faire du contrôle coercitif une infraction criminelle. Cependant, ce n’est pas une notion simple à cerner.
La preuve, c’est que le projet de loi initial a été profondément transformé en comité à l’autre endroit par l’ajout de 14 amendements issus du ministère de la Justice, qui dit avoir tenu compte de l’apport des provinces, des territoires, des parties prenantes, et particulièrement de la loi écossaise sur le contrôle coercitif, qui est en vigueur depuis 2019.
L’infraction proposée comporte deux éléments distincts de nature psychologique.
264.01 (1) Commet une infraction quiconque se livre de façon répétée à des actes visés au paragraphe (2) :
a) soit avec l’intention de faire croire à son partenaire intime que sa sécurité est en danger;
b) soit sans se soucier si ces actes peuvent faire croire à son partenaire intime que sa sécurité est en danger.
Une des grandes forces du texte de loi est d’intégrer une liste non exhaustive d’une dizaine de comportements visés et répétés. Parmi ceux-ci se trouvent notamment les suivants : user de violence, ou tenter ou menacer de le faire envers le partenaire intime, un enfant, un animal, contraindre ou tenter de contraindre le partenaire intime à une activité sexuelle; contrôler ou tenter de contrôler ou surveiller les faits et gestes, déplacements, interactions sociales et la façon dont le partenaire intime prend soin d’un enfant; contrôler ou tenter de contrôler toute question touchant l’emploi, les études, les biens, la situation financière, l’expression de genre, l’apparence physique, l’habillement du partenaire et ainsi de suite.
Une telle liste a été réclamée par plusieurs témoins experts durant l’étude en comité afin d’aider les intervenants judiciaires à comprendre quels types de comportements peuvent constituer une infraction.
Un autre amendement adopté stipule par ailleurs que l’analyse doit être objective, c’est-à-dire qu’elle doit s’en remettre au test de la personne raisonnable.
Je demanderais aux avocats d’écouter ce qui suit. Cette approche diminue les risques de revictimisation en évitant que la preuve devant le tribunal repose uniquement sur les témoignages ou les perceptions de la victime. L’idée est de centrer l’analyse du tribunal sur les comportements de l’accusé.
La question se pose donc ainsi : est-il raisonnable, compte tenu du contexte, de s’attendre à ce que la partenaire intime croie que sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît est en danger? Ce test objectif permet de protéger une victime qui n’est pas en mesure de nommer la menace, alors que la conduite de l’accusé est objectivement de nature à susciter la crainte. Il permet aussi de protéger un accusé dont la conduite ne serait pas objectivement de nature à susciter la crainte, même dans les circonstances propres à la victime.
Mentionnons également d’autres améliorations notables au projet de loi.
Une précision est ajoutée, et je la cite : « Il est entendu que, pour l’application du présent article, la sécurité d’une personne vise également sa sécurité psychologique. »
L’idée ici est évidemment de mettre l’accent sur le fait que la violence, et donc la sécurité d’une personne, n’est pas seulement physique.
Il y a un autre ajout important. On écrit dans le projet de loi que l’on doit prendre en compte, et je cite, « la nature de la relation entre l’accusé et son partenaire intime, y compris la situation de vulnérabilité du partenaire intime envers lui. »
Il est question ici du mot « vulnérabilité ».
Pourquoi avoir fait cet ajout? Pour que le système judiciaire tienne compte du déséquilibre du pouvoir quand l’agresseur tente de retourner la plainte de contrôle coercitif contre son ou sa partenaire intime. Dans ces cas, l’analyse de vulnérabilité permet au tribunal d’identifier qui est la véritable victime, plutôt que de tomber dans une logique de fausse équivalence.
Depuis qu’il a été déposé, le projet de loi a suscité quelques critiques.
Certains groupes craignent que la création d’une nouvelle infraction criminelle sur le contrôle coercitif n’ait des conséquences négatives sur les Autochtones, les communautés racisées et les communautés marginalisées, qui sont déjà surreprésentées dans les prisons.
D’autres se sont inquiétés que cette nouvelle infraction puisse se retourner contre les femmes qui tentent de protéger leurs enfants contre la violence de leur conjoint. D’autres, enfin, jugent que le concept de contrôle coercitif est trop large et qu’il risque d’être contesté ou mal interprété.
Ces critiques sont légitimes, mais elles ont été formulées avant que le projet de loi ne soit modifié en profondeur. Il faudra évaluer en comité sénatorial si les amendements du gouvernement ont réussi à régler ces enjeux de manière raisonnable.
Par ailleurs, des conversations devront avoir lieu avec les communautés les plus inquiètes, et ce, avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-332. La flexibilité requise pour faire ces consultations existe, car aucun délai maximum n’est prévu pour l’entrée en vigueur de la loi.
J’ajouterai qu’il y a des façons de limiter les risques d’erreurs.
D’abord, tous s’entendent pour dire que le secret de la réussite est de sensibiliser la population et de former les intervenants qui ont des contacts avec les victimes pour bien détecter le contrôle coercitif.
Par exemple, il faudra plus de temps aux policiers et il faudra de nouveaux questionnaires plus longs et détaillés pour celles et ceux qui portent plainte. Selon Me Karine Barrette, chargée de projet au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, l’expérience de l’Écosse montre que, lorsque la dynamique et les schémas de contrôle coercitif sont bien maîtrisés, les procureurs et les policiers trouvent plus facile de prouver le contrôle coercitif que les incidents isolés de violence physique. Quand on comprend bien ce qu’est le contrôle coercitif, on est capable de mieux déterminer qui est l’agresseur principal, notamment quand il y a des plaintes croisées des deux partenaires. Il semble donc, en Grande-Bretagne du moins, que l’infraction de contrôle coercitif ne se soit pas jusqu’à maintenant retournée contre les victimes.
Une délégation composée de deux juristes et d’un policier québécois s’est rendue en Écosse et en Angleterre en mai dernier pour voir s’il y avait des leçons à tirer de leur expérience. Selon les membres de cette délégation, il y a eu quelques difficultés, mais les policiers, les procureurs et les groupes d’aide aux victimes britanniques et écossaises ne reviendraient pas en arrière. On n’a pas encore de données probantes — à cause notamment de toute la période de la COVID, qui a retardé la mise en vigueur de la loi —, mais l’Écosse croit qu’elle est sur la bonne voie, notamment parce que tout le monde a été formé avant l’entrée en vigueur de la loi.
En conclusion, contrairement à ce que prétendent certains, le projet de loi C-332 n’aura pas pour effet de tout transformer en contrôle coercitif. On parle vraiment de tendances comportementales sur des périodes prolongées. Chaque geste pris individuellement ne devient pas du contrôle coercitif.
Selon la professeure Carmen Gill, une sommité dans ce domaine, l’adoption du projet de loi C-332 est essentielle. Je la cite :
Il est important de renforcer la sécurité des femmes [...] L’infraction de contrôle coercitif serait une reconnaissance claire du fait que la violence entre partenaires intimes est un modèle de contrôle et de pouvoir à l’endroit de la victime et légitimerait les expériences vécues par les victimes. Une telle infraction pourrait également prévenir les homicides commis par un partenaire intime.
Ce qu’on ne veut plus, c’est que des victimes de contrôle coercitif ne cherchent pas à obtenir de l’aide, car elles estiment que ce qu’elles vivent n’est pas assez grave ou n’est pas criminel. C’est ce qui est arrivé à Marie pendant 13 ans. On veut éviter aussi que ces femmes ne soient pas prises au sérieux quand elles portent plainte parce qu’elles n’ont pas d’ecchymoses. Il faut retenir également que le harcèlement se poursuit souvent après la séparation, comme dans le cas de Brigitte, qui a vécu trois ans de violence après la séparation.
Je veux saluer le courage de ces deux survivantes, qui m’ont raconté le piège dans lequel elles se sont engouffrées peu à peu. Marie et Brigitte, je vous souhaite une vie meilleure.
Cela dit, chers collègues, j’ai hâte d’entendre vos points de vue respectifs sur le projet de loi C-332. Je souhaite ardemment que ce projet de loi attendu par beaucoup de femmes soit étudié sérieusement en comité le plus tôt possible. Merci.
Sénatrice Miville-Dechêne, acceptez-vous de répondre à des questions?
Certainement.
Je tiens à remercier ma collègue d’avoir présenté ce projet de loi très important, qui propose une nouvelle infraction pénale très importante. J’ai très hâte que nous en débattions et que nous l’étudiions. Lorsque nous examinons des infractions pénales, nous devons être très prudents parce que certains d’entre nous estiment qu’il y a déjà un problème de suremprisonnement au Canada.
Vous savez que je comprends fort bien la situation. J’ai parlé au Sénat de Shanna Borden Desmond, d’Anna Maria Tremonti et de Lisa Banfield. Ces trois femmes ont été victimes de contrôle coercitif dans ma province, la Nouvelle-Écosse. Nous savons également que le contrôle coercitif peut mener à l’homicide par un partenaire intime. Comme on l’a constaté dans le cas de la Nouvelle-Écosse, il peut également mener à l’homicide de manière plus générale. Il s’agit donc d’un problème grave.
Je voudrais poser une question sur les autres solutions, autre que la simple incarcération. Quelles sont les autres considérations prises en compte par ceux qui étudient le contrôle coercitif pour régler et prévenir le problème? Propose-t-on d’autres solutions que l’incarcération?
Je vais vous répondre en français. Je comprends, et j’ai mentionné qu’en effet, parce que les personnes marginalisées, racisées et discriminées sont en général surreprésentées dans les prisons, ce projet de loi soulève des enjeux importants. Il est donc clair qu’avant sa mise en vigueur, il faut qu’il y ait des conversations sérieuses avec ces milieux.
Il n’y a pas d’opposition dans tous ces milieux, parce qu’il y a de toute évidence une violence qui existe. Ce que je peux vous dire, c’est que tous ceux à qui j’ai parlé et qui travaillent dans ce domaine disent que même sans loi, il faut s’assurer de former les intervenants pour qu’ils détectent ce contrôle coercitif, parce que c’est la première chose importante. Si celle qui le subit — parce qu’en général, ce sont des femmes — ne se rend pas compte que cela en est, c’est beaucoup plus difficile pour elle de sortir de cette situation, parce qu’elle pense que c’est normal, que c’est une question de caractère, que c’est sa faute et qu’elle n’a pas fait ce qu’il fallait. Tout cela peut être repéré par des intervenants dans des hôpitaux et des centres d’aide, mais pour cela, il faut de la formation.
Ce que je trouvais assez formidable avec le regroupement québécois des maisons d’hébergement, c’est qu’il n’a pas attendu la loi. Cela fait trois ans qu’il fait de la formation et il dit que déjà, il y a une bien meilleure compréhension. Il y aura bientôt un site Web disponible et on est en train de traduire certains documents pour que tous puissent avoir accès à une explication simple de ce phénomène.
Or, je vous dirais que cette idée de former et de sensibiliser la population est sans doute la partie importante qui précède la loi. Toutefois, aucun de ceux à qui j’ai parlé longuement ne croit que le fait de ne pas légiférer pourrait régler la situation. C’est très bien de faire de la sensibilisation, c’est très bien de former les policiers, mais s’il n’y a pas de loi, si l’on ne modifie pas le Code criminel, on n’ira pas au bout de l’effort.
Je sais que l’incarcération n’est pas la seule solution; j’en suis très consciente, mais au bout du compte, pour éviter l’impunité, personnellement, j’ai le sentiment qu’il faut une infraction criminelle de contrôle coercitif.
Ma collègue accepterait-elle de répondre à une autre question?
Oui.
Dans votre présentation, vous avez surtout parlé de la violence entre partenaires intimes, mais si je lis bien le projet de loi, il s’appliquerait également à tous les membres d’une famille qui vivent ensemble. Est-ce exact? Cela engloberait les relations entre des parents vivant peut-être avec leurs enfants adultes, ou des frères et sœurs, ou une personne vivant avec un parent vieillissant. Cela s’appliquerait-il également?
Ce n’est pas de cette façon que je comprends la définition de l’expression « partenaire intime » qui existe déjà dans le Code criminel. Il est clair qu’user de violence contre toute personne de 18 ans qui est l’enfant du partenaire intime... En fait, un enfant peut être impliqué dans le contrôle coercitif dans la mesure où il peut devenir la victime d’un des partenaires intimes, mais il faut qu’il y ait des partenaires intimes, une relation passée ou présente, une relation qui a été intime pour que le concept de contrôle coercitif puisse être utilisé.
Je suppose que nous le saurons lorsqu’il sera soumis au Comité des affaires juridiques, mais cela me préoccupe. Bien entendu, j’éprouve le même écœurement que tout le monde ici face à la violence entre partenaires intimes. Nous avons tous parlé de cette question à maintes reprises. Bien d’autres sénateurs ont présenté des initiatives pour tenter de résoudre ce problème, mais je suis préoccupée par les infractions au Code criminel qui sont tellement vagues. Dans ce cas, on dit que l’interprétation à donner à des répercussions importantes serait quelque chose causant de l’inquiétude ou de la détresse. Je ne sais pas ce que causer de l’inquiétude ou de la détresse signifie. Quel est le test permettant de savoir si l’intimidation et le type de problèmes qui surviennent parfois dans une relation atteignent un niveau criminel?
Vous mettez le doigt sur ce que j’ai expliqué. C’est une nouvelle infraction difficile à cerner. Personne ne nie qu’il y aura un jugement à appliquer. Je crois que le mot important, c’est la répétition; une action en soi, une crise, des cris, une fois par opposition à des comportements répétés qui deviennent une façon d’être. Il y a une différence, de toute évidence. Toutes les infractions de violence sexuelle ne sont déjà pas faciles à prouver. Celle-là ne sera pas forcément différente de l’agression sexuelle où, comme vous le savez, ce n’est pas particulièrement évident. Plusieurs plaintes ne se rendent pas devant le tribunal, parce que les procureurs jugent qu’ils n’ont pas ce qu’il faut comme preuve indépendante. Cela ne sera jamais facile. Souvent, ces choses se passent dans l’intimité, mais il peut y avoir des témoins, des enfants, des parents, des confidences.
Donc, oui, il s’agit d’un saut dans l’inconnu, mais l’Écosse et l’Angleterre l’ont déjà fait et ces pays sont satisfaits dans la mesure où c’est un outil de plus pour détecter la violence faite aux femmes en général. Évidemment, l’inverse est possible également, mais c’est une violence genrée. L’idée, c’est d’avoir un outil supplémentaire pour aider ces femmes. Oui, il faut des services sociaux et tout le reste, mais cette idée d’une nouvelle infraction correspond à une réalité. Cela fait des décennies que des groupes de femmes disent qu’à côté de la violence physique, il existe un contrôle coercitif beaucoup plus insidieux. Dire qu’on n’agira pas parce que c’est compliqué, à mon avis, ce n’est pas une bonne façon de faire.
Je l’avoue, il s’agit d’une infraction assez complexe. C’est pour cela que le fait d’inclure des exemples à l’intérieur même du projet de loi aide le système judiciaire. Cela aide tout le monde. La première version du projet de loi avait deux pages et demie et ne contenait pas d’exemples. Cette version a été améliorée. Elle fait maintenant six pages. Les amendements — et j’en ai parlé à plusieurs intervenants — ont du sens. C’est d’ailleurs ce qu’avaient demandé plusieurs des intervenants pendant l’étude en comité.
J’ai l’impression qu’on a un projet de loi relativement solide dans la mesure où, comme vous l’avez dit, c’est une infraction qui sera sans doute difficile à cerner, mais qui le sera de moins en moins à mesure qu’il y aura de la sensibilisation et que l’on comprendra mieux le phénomène.
Merci de parrainer le projet de loi. Il s’agit d’une question importante. Comme l’indique mon interpellation, le sujet m’intéresse depuis longtemps.
Je veux simplement souligner que l’Ontario et le Québec font des choses très semblables dans le domaine policier, en matière de surveillance et de formation concernant les questions liées à l’évaluation du risque.
J’invite le comité à se pencher là-dessus afin d’examiner — si vous estimez que c’est un aspect important — les autres services disponibles, un peu dans lignée de l’observation formulée par la sénatrice Coyle. Dans ma province, comme l’indique la commission d’enquête de Renfrew, les services qui devraient être en place pour répondre à ce problème sont peu ou pas financés.
Le deuxième problème est que lorsqu’un délinquant à haut risque récidive avec différentes victimes, il n’y a jamais de suivi effectué concernant les peines et les sanctions déjà reçues, les conditions de probation et l’instruction de suivre un programme sur la maîtrise de la colère. Je vous demande, lorsque vous mènerez le dossier avec le comité, d’examiner l’ensemble de questions qui s’y rapporte, pour éviter que l’on se retrouve avec une nouvelle loi sans effet parce que les ressources connexes ne sont pas efficaces.
Merci pour ces remarques. Il est vrai, dans le cas de plusieurs lois, que tout ce qui a trait à la mise en vigueur manque beaucoup de ressources. Dans ce cas-ci, je ne favoriserais pas seulement une approche de criminalisation, car c’est un système au complet qui doit changer. On le dit aussi pour toutes les autres formes de violence.
Je dirais que c’est réellement un problème systémique. Il est nécessaire d’adopter des lois, bien sûr, mais il est aussi nécessaire de les mettre en vigueur et de changer les choses. Je dois vous dire que plusieurs lois que j’ai étudiées de près — je pense d’ailleurs à celle sur la prostitution — n’ont pas reçu l’encadrement nécessaire pour que les femmes puissent cesser cette activité si elles le souhaitent, qu’elles puissent être encadrées et qu’il y ait des campagnes de sensibilisation pour que ceux qui ont recours aux services sexuels puissent savoir qu’il s’agit d’exploitation sexuelle. Il faut changer les mentalités. Il faut des services sociaux pour s’en occuper, et c’est vrai également dans le cas du contrôle coercitif.
Ayant travaillé pendant environ 35 ans avec des organisations féminines qui luttent contre la violence fondée sur le sexe, avec tout ce que cela implique, je suis heureuse de l’attention qu’on portera à cette question grâce à ce projet de loi. J’ai quelques préoccupations concernant l’application, notamment en ce qui concerne les mesures qui seront prises pour protéger les communautés noires, autochtones et racialisées.
Vous avez dit que les changements ont été apportés depuis ce temps. Je serais ravie d’en apprendre davantage à ce sujet. Je suis désolée, mais je ne suis de retour que depuis aujourd’hui, alors je ne suis pas aussi renseignée que je devrais l’être, mais j’aimerais savoir comment cela fonctionne, parce qu’on voit ce genre de problème avec le cadre législatif actuel. Je ne voudrais pas que les nouvelles mesures législatives qui seront mises en place aggravent le problème qui existe déjà.
J’aimerais seulement en apprendre davantage à ce sujet et peut-être demander au comité d’expliquer de façon très précise comment on atténue ce problème. Merci.
Je vous remercie de la question. Si je vous ai bien comprise, vous dites que le système de justice prend déjà en considération le contrôle coercitif, ou ai-je mal compris? Je suis désolée.
Merci. Non. Je veux dire que les dispositions législatives actuelles en matière criminelle sont déjà appliquées de façon discriminatoire, alors j’aimerais savoir comment on pourra atténuer ce problème avec ces nouvelles dispositions législatives?
Oui, c’est mon erreur, je n’ai pas bien compris.
C’est une question très vaste et très complexe. Effectivement, la criminalisation n’a pas le même effet sur tous les segments de la population. Je l’ai mentionné parce que cela a été évoqué en comité. Je n’oserais pas parler au nom des communautés racisées ou de celles dont les membres sont disproportionnellement emprisonnés, mais il me semble que, dans ce cas-ci en particulier, le fait qu’on laisse du temps avant l’entrée en vigueur de la loi pour avoir des conversations permettrait au moins d’entendre ces communautés et de voir comment elles voient les choses.
Est-ce suffisant, une consultation? Je ne suis pas devin et je ne veux vous faire aucune promesse. C’est un problème au sein d’une société où il y a des inégalités flagrantes et où les lois sont censées s’appliquer également à tout le monde. Ce n’est pas le cas. Toutes ces questions de discrimination systémique, je les comprends.
Est-ce que cela veut dire qu’à cause de cela, on ne peut pas créer de nouvelles infractions qui correspondent à une réalité? Je n’irais pas jusque-là. Cependant, il faut prendre des précautions importantes. Ce qui me rassure un peu, c’est que les amendements viennent renforcer le projet de loi. Effectivement, le comité du Sénat pourra voir cette nouvelle infraction dans son contexte. Je crois qu’il y a suffisamment de mes collègues au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles qui sont très sensibilisés à cette question pour que le sujet soit soulevé et qu’on ait des témoins pour en parler.