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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Vingt-septième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles--Suite du débat

1 octobre 2024


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du rapport sur le projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation).

Je prends également la parole aujourd’hui en tant qu’Albertaine. Normalement, lorsque je dis cela, c’est avec fierté, mais pas aujourd’hui, car je veux commencer par vous parler de l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire de l’Alberta.

En 1928, le gouvernement de l’Alberta a adopté la Sexual Sterilization Act, ce qui a permis à la province de stériliser les personnes atteintes de graves maladies mentales. L’Alberta est ainsi devenue le premier et le seul territoire de ce qui s’appelait alors l’Empire britannique à adopter et à poursuivre agressivement une politique d’eugénisme.

De notre point de vue, 100 ans plus tard, cela peut sembler difficile à croire, mais dans les années 1920, l’eugénisme était à bien des égards une idée sociale progressiste adoptée par des ingénieurs sociaux avides qui pensaient faire ce qu’il y avait de mieux pour la société et pour les gens qu’ils estimaient non qualifiés pour fonder et élever une famille en bonne santé. Tommy Douglas, l’un des fondateurs de la Fédération du Commonwealth coopératif, était un adepte de l’eugénisme, à l’instar de la Dre Elizabeth Bagshaw, médecin féministe en croisade pour l’accès aux contraceptifs, qui a été louangée pour son travail de pionnière dans ce domaine. Les Célèbres cinq, les pionnières albertaines féministes qui ont mené le combat pour que les femmes soient reconnues comme des personnes sur le plan juridique, étaient également adeptes de l’eugénisme. Nous passons devant leurs statues tous les jours quand nous entrons au Sénat.

En 1928, l’Alberta était gouvernée par les Cultivateurs unis de l’Alberta, un parti populiste-progressiste, dont beaucoup de membres étaient partisans de l’évangile social. Irene Parlby, l’une des Célèbres cinq, était membre du Cabinet de ce parti. En fait, c’était la première femme à occuper un poste de ministre dans l’histoire de la province.

En outre, ce sont les Cultivateurs unis de l’Alberta qui ont mis sur pied la Commission eugénique, qui décidait du sort des patients qui se présentaient devant elle. La Commission était dirigée par John M. MacEachran, fondateur du Département de philosophie et de psychologie de l’Université de l’Alberta et premier doyen de l’université. M. MacEachran, un Canadien titulaire de deux doctorats, avait étudié avec certains des plus éminents philosophes et psychologues de l’époque à Berlin, à Leipzig et à Paris. Parmi ses professeurs et mentors figurait Alfred Binet, le créateur du test de quotient intellectuel. On avait convaincu M. MacEachran d’abandonner sa vie universitaire en Europe pour venir à Edmonton afin de contribuer à la création d’une nouvelle université dans une nouvelle province.

Dans ses discours et ses articles, MacEachran se plaisait à citer Platon, son philosophe grec préféré, pour faire valoir que restreindre le droit de porter des enfants était un moyen de perfectionner la race humaine — un véritable idéal platonicien. Au cours d’un exposé présenté en 1932, il a dit :

Il faut s’efforcer de renoncer à une forme de sentimentalité très coûteuse, pour nous consacrer davantage au rehaussement et à la préservation de la pureté de la race. Nous permettons à des hommes et à des femmes avec une déficience intellectuelle ou des tendances criminelles d’avoir des enfants [...] Il existe un remède à de telles éventualités et nous avons heureusement commencé à l’utiliser en Alberta — bien que ce ne soit pas encore assez répandu. Il s’agit de l’Alberta Sterilization Act. Puisque l’État doit assumer en grande partie la responsabilité relative aux enfants déficients, il est certainement justifié qu’il adopte des mesures raisonnables pour se protéger contre leur multiplication.

À l’origine, le but déclaré de l’Alberta Sterilization Act était de faciliter la sortie des établissements psychiatriques des personnes souffrant de maladies mentales, notamment des vétérans de la Première Guerre mondiale souffrant d’un traumatisme lié aux bombardements, ce que nous appellerions aujourd’hui le syndrome de stress post-traumatique.

L’idée de départ était de faire sortir les patients :

[...] si le danger de procréation et le risque connexe de la multiplication du mal par transmission du handicap à la descendance étaient éliminés.

Au départ, toutes les stérilisations devaient être volontaires, quoique la promesse de pouvoir quitter l’asile puisse remettre en question la nature volontaire du consentement. Pourtant, au cours de sa première année d’existence, la commission n’a procédé qu’à trois stérilisations.

Néanmoins, les choses ont changé après l’arrivée au pouvoir en Alberta du gouvernement créditiste de William « Bible Bill » Aberhart. En 1937, le gouvernement quasi fasciste d’Aberhart a élargi le champ d’application de la Sexual Sterilization Act pour y inclure les personnes qu’il qualifiait de « handicapés mentaux », et a ajouté que, puisque ces personnes étaient mentalement handicapées, leur consentement n’était manifestement plus nécessaire.

En 1942, les personnes atteintes d’épilepsie, de syphilis et de la maladie de Huntington ont été ajoutées à la liste. Au moment où les nazis d’Hitler consolidaient leur pouvoir et mettaient en place leur propre régime eugénique, en Alberta, de 300 à 400 personnes par an étaient stérilisées en vertu de la loi, sous la présidence sereine du professeur MacEachran, ce « noble » roi philosophe et universitaire respecté.

En réalité, si le régime nazi a stérilisé plus de personnes sur une période plus courte, l’Alberta a stérilisé à peu près le même pourcentage de sa population pendant la durée du programme.

Au fil du temps, la commission eugénique de l’Alberta a accordé de moins en moins d’importance à la validité des preuves de l’existence d’un handicap, entendant chaque cas pendant une dizaine de minutes environ. À mesure que le nombre de procédures a augmenté, un nombre disproportionné des personnes stérilisées étaient de nouveaux immigrants ou des Autochtones, dont certains ont « échoué » aux tests de QI simplement parce qu’ils ne savaient pas parler ou lire en anglais.

Les patients autochtones comptaient pour 6 % de tous les cas de stérilisation soumis à la commission, même si les Autochtones ne représentaient qu’environ 3 % de la population.

Il y a eu d’autres changements démographiques considérables. Dans les années 1940, on a commencé à voir plus de cas chez les femmes que chez les hommes. Sur les 2 832 stérilisations effectuées pendant l’existence de la Sexual Sterilization Act, 58 % ont été pratiquées sur des femmes.

En 1959, le nombre de cas avait diminué. Cependant, cette année-là, la commission a examiné 95 patients et autorisé la stérilisation de 94 d’entre eux.

Le Dr MacEachran a présidé la commission pendant 37 ans et n’a pris sa retraite qu’en 1965, à l’âge de 88 ans. Cet adepte de la philosophie « morale » semble n’avoir jamais douté du bien-fondé de sa grotesque croisade pour « parfaire » l’humanité, faisant ainsi preuve d’une arrogance sur le plan intellectuel et éthique qui me sidère.

La Sexual Sterilization Act n’a été abrogée qu’en 1972, l’année suivant l’arrivée au pouvoir de Peter Lougheed et de ses progressistes-conservateurs. À l’époque, David King, le jeune ministre qui a présenté la motion visant à abroger la loi, a déclaré tout simplement :

[...] que la loi viole des droits fondamentaux de la personne. Il s’agit d’une loi fondée sur la présomption que la société, ou du moins le gouvernement, sait à quel genre de personnes on peut permettre ou interdire d’avoir des enfants [...] Nous sommes d’avis qu’il s’agit là d’une philosophie et d’un programme répréhensibles et inadmissibles pour cette province et ce gouvernement.

C’est ainsi qu’on racontait cette histoire. C’est ce que j’ai appris, que la stérilisation forcée ou involontaire des personnes vulnérables avait pris fin en 1972. J’ai eu un choc brutal et troublant quand j’ai pris conscience, grâce au travail inlassable et au militantisme de notre collègue, la sénatrice Yvonne Boyer, et du Comité sénatorial des droits de la personne, que ce n’est pas le cas et que cette pratique s’est simplement soustraite aux regards. J’ai été tout aussi effarée quand j’ai appris que des médecins, ici et maintenant, 100 ans plus tard, véhiculent toujours les préjugés et l’arrogance de John M. MacEachran et pratiquent des stérilisations involontaires, convaincus dans leur conviction condescendante baignée de racisme, de classisme et de misogynie, qu’eux seuls savent ce qui est le mieux pour leurs patients.

Pourtant, je dois vous dire que, quand la sénatrice Boyer a proposé le projet de loi S-250, dans sa forme initiale, j’avais de vives préoccupations. Dans sa première version, le projet de loi aurait en fait pu rendre illégales toutes les stérilisations — hystérectomie, ligature des trompes et vasectomie — et exposer tout médecin pratiquant ces interventions à des poursuites criminelles s’il n’avait pas suivi un protocole très précis pour s’assurer du consentement éclairé. Aucune exception n’était prévue, même pour un médecin tenu de pratiquer une opération chirurgicale d’urgence pour sauver une vie.

Je craignais qu’une telle loi ne laisse les femmes canadiennes dans la même situation que tant de femmes américaines aujourd’hui, c’est-à-dire incapables de contrôler leur propre corps ou d’exercer leur propre choix en matière de procréation. Je craignais qu’une telle loi ait un effet dissuasif, que les médecins refusent tout simplement de pratiquer des procédures de stérilisation par crainte d’être poursuivis. Je craignais que des femmes ne se vident de leur sang sur la table d’opération, tandis que leurs chirurgiens se demandent comment respecter la loi.

Je craignais également que les personnes transgenres ne puissent pas avoir accès à des procédures chirurgicales d’affirmation du genre parce que les médecins pourraient craindre le risque de responsabilité criminelle.

La version initiale du projet de loi S-250 aurait également érigé en infraction criminelle le fait d’essayer de convaincre une personne ou de lui conseiller de subir une procédure de stérilisation, ce qui, je le crains, aurait dissuadé la tenue de conversations nécessaires avec les médecins, les infirmiers et les travailleurs sociaux, ou même entre partenaires mariés, puisque même une femme qui aurait tenté de persuader son mari de subir une vasectomie aurait pu se retrouver en danger sur le plan juridique.

Le projet initial partait d’une bonne intention et reflétait l’engagement passionné de la sénatrice Boyer à protéger les femmes vulnérables, en particulier les femmes autochtones, contre les lésions corporelles graves et les atteintes à leur autonomie corporelle. Cependant, en essayant de mettre fin à un type de violation des droits de la personne, je craignais que la version initiale du projet de loi S-250 n’ouvre la voie à toutes sortes d’autres violations des droits de la personne.

Je suis donc soulagée et reconnaissante de dire que le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui ne fait rien de tout cela. Depuis des mois, la sénatrice Boyer travaille d’arrache-pied pour remanier son projet de loi afin de trouver un moyen de protéger les personnes vulnérables de l’exploitation et de l’arrogance médicale tout en veillant à ce que les personnes souhaitant subir une vasectomie, une hystérectomie, une orchidectomie ou une ligature des trompes puissent recevoir les soins qu’elles veulent et dont elles ont besoin sans subir de coûteux retards.

La tâche n’a pas été facile. Je tiens à féliciter la sénatrice Boyer pour son courage, sa détermination et sa volonté d’écouter avec respect et attention ses détracteurs et de travailler avec ses collègues du Sénat et les fonctionnaires du ministère de la Justice afin de rédiger un projet de loi qui indique clairement que la stérilisation forcée est une forme grave d’agression — sans courir le risque de criminaliser les soins médicaux nécessaires et souhaités.

La version du projet de loi S-250 dont nous sommes saisis représente le meilleur compromis possible et rend hommage au travail réfléchi de la sénatrice Boyer et de l’ensemble du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Tous les membres de ce dernier ont examiné et débattu le projet de loi de manière vraiment approfondie et respectueuse. Parfois, même dans cette Chambre de second examen objectif, la politique et la partisanerie peuvent triompher de nous. Dans ce cas-ci, toutefois, le comité s’est élevé au-dessus de tout cela et a adopté, à l’unanimité, une solution élégante sur le plan juridique qui s’insère parfaitement dans le Code criminel. J’espère maintenant que le projet de loi franchira rapidement l’étape du rapport et passera à l’étape de la troisième lecture afin que nous puissions le renvoyer à la Chambre dans les meilleurs délais.

Cette collaboration a nécessité une dose d’humilité et de compassion que le professeur John M. MacEachran, ce monstre platonicien déterminé à concevoir son monde parfait, n’aurait jamais pu imaginer.

L’histoire du mouvement eugénique en Alberta et au Canada nous rappelle les dangers que représente le fait d’adhérer à la droiture et à la pureté au détriment de l’appartenance commune au genre humain. L’eugénisme a été défendu par des gens de gauche et de droite, par des partisans tellement aveuglés par l’idéalisme moral et la supériorité morale qu’ils ne pouvaient plus voir les personnes bien réelles à qui ils volaient leur autonomie.

Nous élaborons des lois qui façonnent la vie de nos concitoyens. Souvenons-nous tous, chacun d’entre nous dans cette Chambre, de ne pas laisser l’arrogance et la morale nous aveugler.

Merci et hiy hiy.

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