Le Sénat
Motion exhortant le gouvernement à étudier la création d’un programme souverain et national de Voyageurs vérifiés--Ajournement du débat
24 septembre 2025
Conformément au préavis donné le 29 mai 2025, propose :
Que le Sénat exhorte le gouvernement du Canada d’étudier la création d’un programme souverain et national de Voyageurs vérifiés pour les Canadiens.
— J’espère que vous vous joindrez tous à moi pour soutenir cette motion modeste, mais urgente. Permettez-moi de vous expliquer.
Quiconque fréquente les aéroports canadiens connaît bien cette scène : une très longue file de passagers attend pour passer les contrôles de sécurité. Pourquoi la file avance-t-elle si lentement? C’est en partie parce que les passagers qui passent les contrôles doivent s’arrêter pour sortir leur ordinateur portable de leur sac ou de leur mallette, puis le placer dans un bac spécial pour inspection. Ils doivent ensuite mettre les petits flacons de shampoing et les petits tubes de dentifrice dans de minuscules sacs en plastique et les placer sur des bacs pour inspection.
Ils doivent enlever leur chandail à capuchon, leur cardigan ou leur veste de costume. S’ils portent des bottes qui montent légèrement au-dessus de la cheville, ils doivent les retirer et passer le contrôle de sécurité en chaussettes, sur le sol froid de l’aéroport, en espérant qu’ils n’ont pas enfilé par inadvertance une paire trouée. S’ils ont un équipement médical, comme un appareil de ventilation en pression positive continue, celui-ci doit également être retiré et placé dans un bac séparé.
Certaines de ces mesures peuvent être essentielles; d’autres peuvent simplement relever d’un simulacre de sécurité, vestige de la panique qui a suivi le 11 septembre. En bons Canadiens polis, nous faisons la queue et nous nous soumettons au rituel.
Pendant que les passagers attendent dans de longues files d’attente, sautant d’un pied à l’autre dans leurs chaussettes, ils ne peuvent s’empêcher de regarder les voyageurs chanceux qui passent rapidement par la file d’attente courte et rapide réservée aux voyageurs vérifiés. Dans cette file, les voyageurs peuvent laisser leur ordinateur dans son étui et leur dentifrice dans leur trousse de toilette, et garder leur cardigan boutonné et leurs bottes dans leurs pieds.
Pourquoi les voyageurs vérifiés bénéficient-ils de ce traitement privilégié, qui leur permet d’attendre moins longtemps? C’est parce qu’ils ont préalablement fait l’objet d’une série de contrôles de sécurité pour vérifier leurs antécédents. Ils ont fait l’objet d’un contrôle préalable pour déterminer qu’ils ne sont ni des terroristes ni des pirates de l’air, et qu’ils ne présentent aucune menace, quelle qu’elle soit.
Pendant que vous faites la queue dans la file qui avance lentement, vous vous demandez peut-être : « Comment puis-je devenir un voyageur vérifié? Comment puis-je obtenir ce statut privilégié? »
Il existe en fait quatre catégories de Canadiens qui peuvent utiliser la « bonne file » à l’aéroport. La première est celle des membres actifs des Forces armées canadiennes, y compris les réservistes. La deuxième est celle des membres de la GRC, ainsi que la plupart des membres des forces de police provinciales et municipales. La troisième catégorie est celle des pilotes, des agents de bord et des autres membres de l’équipage aérien en uniforme, ainsi que tous les employés de l’aéroport qui possèdent une carte d’identité spéciale pour les zones réglementées, ou CIZR.
Cependant, si vous n’êtes ni soldat, ni policier, ni pilote, ni agent de services aux passagers, le seul moyen pour vous, en tant que Canadien, de devenir un voyageur vérifié est de demander une carte NEXUS. Ce programme conjoint des États-Unis et du Canada nous permet d’entrer plus facilement aux États-Unis. C’est idéal pour les gens dont le travail les amène à traverser fréquemment la frontière ou pour ceux qui travaillent dans les deux pays. Toute personne qui demande une carte NEXUS doit se soumettre à une vérification des antécédents à des fins de sécurité ainsi qu’à une entrevue en personne auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada et du département de la Sécurité intérieure des États-Unis.
Nous sommes plusieurs au Sénat à avoir déjà franchi toutes les étapes nécessaires, payé les droits exigés et attendu des lunes pour obtenir l’approbation des États-Unis.
Toutefois, ce n’est pas un processus simple, surtout pas maintenant.
Au cours de la première présidence de Trump, quand la COVID a frappé, l’ensemble du système NEXUS a été paralysé, et les délais pour obtenir une carte se sont alors comptés en années. Puis, les États-Unis ont resserré les règles pour les entrevues. Auparavant, les Canadiens pouvaient se rendre dans n’importe quel grand aéroport international, comme celui de Calgary, d’Edmonton, de Montréal, de Toronto ou d’Halifax, pour passer une entrevue avec des agents frontaliers américains. Il n’était pas nécessaire de se rendre aux États-Unis par avion, on pouvait simplement venir à l’aéroport. Ce n’est plus le cas.
On peut encore se rendre dans un grand aéroport international pour une vérification de sécurité, mais il faut maintenant acheter un billet et se rendre aux États-Unis pour passer l’entrevue.
À l’heure où de nombreux Canadiens ressentent de la méfiance ou de la nervosité à l’idée de visiter l’Amérique de Trump, ou encore boycottent tout simplement les États-Unis pour des motifs politiques, obliger quelqu’un à acheter un billet pour les États-Unis rien que pour obtenir l’approbation dans le cadre du programme NEXUS semble un peu injuste.
L’autre option consiste à traverser la frontière en voiture pour passer une entrevue. Ce n’est pas si difficile, en toute honnêteté, si l’on habite à Vancouver, à Montréal ou à Ottawa, mais c’est beaucoup plus compliqué si l’on habite à un endroit comme Edmonton, qui est à six heures et demie de route du poste frontalier le plus proche, à Sweet Grass, au Montana.
Outre les aspects logistiques liés au voyage, il n’est pas facile d’obtenir un rendez-vous pour un entretien. Quand j’ai parlé à l’Agence des services frontaliers du Canada, il y a quelques mois, on m’a confirmé que plus de 100 000 Canadiens attendaient un rendez-vous aux postes frontaliers américains.
Le processus est plus compliqué si vous êtes francophone. Bien que tous les formulaires de demande américains soient disponibles en anglais, en espagnol et en français, il pourrait être plus difficile d’organiser une entrevue en français avec les agents frontaliers américains, en particulier en dehors du Québec.
Voici ce que l’Agence des services frontaliers du Canada a répondu à mon bureau au sujet de la possibilité de prendre rendez-vous pour un entretien avec ses agents et ceux du département de la Sécurité intérieure qui parlent français :
La possibilité de choisir de passer l’entretien dans l’une des deux langues officielles dépend de la capacité opérationnelle et de la disponibilité des agents chargés des entretiens. Il n’est pas possible de présélectionner la langue de votre choix, mais les agents feront de leur mieux pour répondre à votre demande, si possible.
Ce n’est cependant pas le seul problème. Pour de nombreux Canadiens, l’idée même de se soumettre au contrôle de l’appareil de sécurité intérieure de Donald Trump — de fournir au régime Trump leurs empreintes digitales et rétiniennes — est plus qu’inquiétante.
Puis, en août, un nouveau problème est survenu. En raison des politiques du gouvernement Trump à l’encontre des personnes transgenres, les nouvelles cartes NEXUS ne peuvent plus comporter la lettre « X » pour indiquer le sexe d’une personne. Il est uniquement possible d’utiliser la lettre « F » pour les femmes ou « M » pour les hommes, et cette lettre doit désormais correspondre au sexe attribué à la naissance.
Les personnes qui utilisent actuellement une carte NEXUS marquée d’un « X » peuvent continuer à l’utiliser pour l’instant, mais quand cette carte expirera, elles ne pourront obtenir une autre que si elles reviennent à la lettre qui indiquait leur ancien sexe. Pour les Canadiens transgenres, bispirituels, de genre fluide ou non binaires, cela peut signifier que la carte NEXUS est tout simplement hors de portée.
Les tribunaux canadiens ont affirmé que l’identité de genre est protégée par la Charte des droits et libertés, et pourtant, pour se conformer au sectarisme étatsunien, le seul programme de voyageurs vérifiés au Canada discrimine désormais activement tout Canadien qui n’entre pas dans l’étroite conception binaire du genre. À mon avis, il s’agit là d’une violation de la Charte.
Pourtant, nous n’avons pas le choix. Peu importe que l’on soit ministre, diplomate, sénateur, lieutenant-gouverneur, juge à la Cour suprême, archevêque ou simplement un très grand voyageur. Le problème ne touche pas seulement les dirigeants d’entreprise ou l’élite politique. Si on prend souvent l’avion — que ce soit pour rendre visite à ses parents âgés, à ses nouveaux petits-enfants ou à son amoureux qui habite loin, ou pour se rendre à sa destination de vacances préférée — et que l’on veut passer par la file express, on a besoin de l’accord de Donald Trump. C’est insensé, d’autant plus que la grande majorité des gens qui demandent une carte NEXUS sont des Canadiens et que beaucoup d’entre eux, bien franchement, veulent utiliser leur carte pour se déplacer plus facilement en avion à l’intérieur du Canada.
L’Agence des services frontaliers du Canada a informé mon bureau du problème cet été. Nous avons appris que le nombre de demandes de cartes NEXUS émanant du Canada a commencé à diminuer de façon notable en novembre dernier, juste après la seconde élection de M. Trump. Il est difficile d’imaginer que cette tendance s’inversera bientôt, et c’est un problème pour les aéroports canadiens. S’il n’y a pas suffisamment de voyageurs vérifiés dans les files d’attente qui leur sont destinées, les aéroports ne peuvent pas affecter le personnel nécessaire pour les maintenir ouvertes.
Déjà, l’aéroport d’Ottawa n’ouvre sa file de voyageurs vérifiés que pendant des heures de pointe limitées. Le Conseil des aéroports du Canada fait pression depuis des années pour la création d’une carte canadienne de voyageur vérifié, et maintenant, il prévient que si nous n’avons pas suffisamment de voyageurs vérifiés, les voies rapides pourraient fermer, et le temps d’attente pour la sécurité augmenterait alors pour tout le monde.
Pourquoi comptons-nous encore sur un pays qui a menacé notre souveraineté pour enquêter sur nos citoyens, puis recueillir et conserver leurs renseignements personnels et biométriques simplement pour qu’ils puissent ensuite transiter par les aéroports canadiens?
Il n’y a pas que les Canadiens de diverses identités de genre qui risquent d’être exclus. Que se passera-t-il si le gouvernement Trump n’aime tout simplement pas vos opinions politiques, vos publications sur les réseaux sociaux, votre religion ou la couleur de votre peau? Pourquoi avons-nous cédé à un autre pays le pouvoir absolu de déterminer quels Canadiens peuvent voyager en toute confiance à l’intérieur de nos frontières?
Vous pensez peut-être que vous n’avez pas besoin d’une carte NEXUS. Après tout, les Canadiens ont considérablement réduit leurs voyages aux États-Unis depuis les menaces d’annexion de Donald Trump. Cependant, si vous voulez prendre l’avion d’Edmonton à St. John’s sans retirer vos bottes, vous devez montrer une carte NEXUS.
Si vous souhaitez prendre l’avion de Montréal vers Paris sans déballer votre dentifrice, vous avez besoin d’une carte NEXUS. Est‑ce vraiment nécessaire? Pourquoi?
Comme l’Agence des services frontaliers du Canada effectue déjà, en parallèle, ses propres vérifications des antécédents afin de délivrer les cartes NEXUS, je me dois de poser cette question : qu’est-ce qui empêche le Canada de délivrer ses propres cartes de « voyageur digne de confiance » aux Canadiens qui prennent souvent l’avion, qui n’ont pas l’intention de se rendre aux États-Unis et qui souhaitent simplement se buter à moins de tracas et de complications quand ils voyagent à l’intérieur du pays ou à l’étranger?
Puisque l’Agence des services frontaliers du Canada effectue déjà les vérifications des antécédents et les entrevues dans les deux langues officielles, il ne devrait pas être si difficile de mettre en place un programme souverain et national de voyageurs vérifiés pour les Canadiens, tant francophones qu’anglophones, qui ne nécessite pas l’accord de l’Oncle Sam.
J’ai posé ces questions à l’Agence des services frontaliers et à Transports Canada. Pour être honnête, le problème semble être simplement d’ordre bureaucratique, juridique et logistique : il s’agit de déterminer comment transférer les données nécessaires d’un ministère à l’autre.
De toute évidence, en tant que sénateurs non élus, nous ne pouvons pas obliger le gouvernement à dépenser de l’argent pour un nouveau programme canadien de voyageurs dignes de confiance. Je pense toutefois que nous sommes tout à fait en droit de demander au gouvernement d’étudier la faisabilité et la viabilité de la mise en place d’un tel programme, sans parler des risques du point de vue de la sécurité nationale et de la Charte si ce n’est pas fait.
Il est grand temps que nous reprenions le contrôle des systèmes de vérification des voyageurs dans les aéroports et que nous cessions de confier nos évaluations de sécurité nationale à une puissance étrangère de plus en plus imprévisible et de moins en moins fiable.
Cela coûtera peut-être un peu plus cher, mais vaudra son pesant d’or puisque nous retrouverons notre souveraineté nationale, nous garantirons à tous les Canadiens dignes de confiance le même droit et la même possibilité d’obtenir une carte et nous veillerons à ce que nos aéroports fonctionnent aussi bien et aussi efficacement que possible dans l’intérêt des voyageurs canadiens et de l’économie canadienne.
J’espère inspirer certains d’entre vous, chers collègues, à aborder cette question et j’espère que nous pourrons ensuite soumettre cette motion au vote.
Laissons savoir au gouvernement que nous voulons quelque chose de mieux et de plus équitable : un programme canadien de voyageur vérifié qui respecte nos droits linguistiques, nos droits civils et notre souveraineté nationale.
Merci, hiy hiy.