Le Sénat
Motion tendant à modifier le Règlement du Sénat--Suite du débat
23 juin 2020
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion du sénateur Woo proposant des modifications au Règlement du Sénat et l’égalité entre les groupes parlementaires de notre institution.
J’ai examiné attentivement la motion et chacune des modifications proposées, et j’ai écouté attentivement le discours du sénateur dans cette enceinte en mars dernier. Je suis absolument d’accord pour dire qu’on devrait sans attendre reconnaître pleinement l’égalité des groupes de sénateurs et des membres de ces groupes, étant donné les changements historiques apportés à notre institution au cours des cinq dernières années.
Aujourd’hui, il y a quatre groupes reconnus au Sénat du Canada, dont trois ne sont pas officiellement liés à un parti politique de l’autre endroit. Quand je suis arrivé ici, il y a sept ans, 95 % des sénateurs étaient liés à un caucus, libéral ou conservateur. Nous sommes maintenant 80 % à n’avoir aucune affiliation politique officielle, libérale ou conservatrice.
Autre changement à souligner, le représentant du gouvernement au Sénat n’est à la tête d’aucun caucus reconnu.
Tout cela aurait été inimaginable il n’y a pas si longtemps, mais nous sommes parvenus à rendre une telle situation fonctionnelle. Franchement, à mon avis, le Sénat d’aujourd’hui est plus dynamique et bien plus utile pour les Canadiens que le Sénat qui existait à mon arrivée.
Certains changements ont déjà été faits dans le Règlement du Sénat en novembre 2017, dans le but d’accorder plus d’autonomie au Sénat. En ce qui concerne d’autres aspects pour lesquels le Règlement du Sénat n’a pas été modifié, des ordres sessionnels ont été adoptés pour accroître l’égalité entre les groupes. Par exemple, au cours de la précédente législature, on a accordé le statut de membre d’office à tous les leaders ou facilitateurs de groupes reconnus.
En décembre 2018, le rapport final du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, présidé par le sénateur Greene, concluait que pour augmenter l’égalité au sein du Sénat il fallait apporter des changements sur trois plans. L’un de ces plans, qui fait l’objet de la motion du sénateur Woo, est le Règlement du Sénat. Les deux autres plans sont le Règlement administratif du Sénat et la Loi sur le Parlement du Canada. Toutefois, cette motion porte uniquement sur le Règlement du Sénat.
J’aimerais citer un passage qui se trouve à la page 8 du 13e rapport de ce comité spécial :
Dans bien des cas, le Sénat a déjà apporté des ajustements à ces règles et procédures afin de répondre aux besoins des nouveaux groupes parlementaires et de tenir compte des nouvelles configurations de leadership [...]
Cela fait référence à des ententes temporaires. Le passage se poursuit ainsi :
[...] Toutefois, il est temps de stabiliser ces correctifs.
Il est temps de rendre ces changements permanents. Il est temps de reconnaître la réalité.
Alors que nous renforçons l’indépendance du Sénat, que les sénateurs ont plus de latitude pour former des groupes avec des collègues qui ont les mêmes idées en matière de politiques publiques, optiques régionales ou autres points de vue, il nous faut veiller à ce que les changements proposés par le sénateur Woo permettent deux choses : d’abord, des conditions qui sont les mêmes pour tous pour en arriver à une plus grande égalité entre les groupes reconnus; ensuite, le respect des caractéristiques fondamentales du Sénat dont l’une des principales fonctions consiste à effectuer un second examen objectif des projets de loi du gouvernement. Il y a toujours un représentant du gouvernement au Sénat et un leader de l’opposition, ce qui doit rester.
Il y a deux choses dans la motion du sénateur Woo qui m’ont amené à faire cette observation. D’abord, plusieurs de ces modifications ont simplement pour but, comme je l’ai mentionné, de donner les mêmes conditions à tous les groupes. Les propositions sont cohérentes et logiques. Il est proposé, par exemple, que le Président consulte tous les leaders et les facilitateurs lorsqu’il envisage de prolonger une période d’ajournement. Cette situation s’est produite et c’est ce que fait le Président depuis la mi-mars.
Il est également proposé d’obtenir l’accord de tous les facilitateurs et les leaders pour nommer des membres au Comité sénatorial sur l’éthique, prolonger la période des discours en hommage, définir les conditions de l’attribution d’un délai au débat des projets de loi gouvernementaux et établir la durée de la sonnerie lors des votes.
Plusieurs de ces modifications étaient proposées dans le rapport final du Comité spécial sur la modernisation du Sénat, en décembre 2018. Cependant, certaines modifications que propose la motion devraient peut-être faire l’objet d’un débat plus approfondi. Voilà pourquoi j’aimerais proposer au Sénat un amendement qui vise à favoriser ce genre de discussion. Je songe en particulier à deux de ces modifications.
La première modification concerne la qualité de membre d’office des comités qui est conférée aux leaders ainsi que leur droit de vote. Le douzième point de la motion du sénateur Woo vise à étendre à tous les leaders et tous les facilitateurs des groupes reconnus la qualité de membre d’office des comités, à l’instar des leaders du gouvernement et de l’opposition. Je suis d’accord.
Cependant, la motion du sénateur Woo dit plus loin qu’il interdirait aux leaders de voter lors des réunions des comités, ce qui serait une nouvelle règle. Au cours de la dernière législature, et même avant 2015, le droit de vote des membres d’office constituait une zone floue, surtout en ce qui avait trait au Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration. Dans son discours, le sénateur Woo a déclaré qu’il voulait simplement éviter des surprises lors des travaux des comités, étant donné que le Sénat comporte beaucoup de groupes.
Je pense que le droit de vote des leaders des groupes en tant que membres d’office s’avérera plus important que jamais dans un Sénat constitué de différentes formations, car il fera en sorte que les situations potentiellement conflictuelles, quand des groupes sont en désaccord, soient examinées en bonne et due forme. C’est particulièrement vrai pour les comités qui sont essentiels à l’organisation du Sénat, c’est-à-dire le Comité de la Régie interne et celui du Règlement.
J’appelle donc à une grande prudence : au lieu d’interdire expressément aux membres d’office de voter en comité, nous devrions laisser chaque comité trancher en fonction de son organisation particulière.
C’est le premier point que j’entends régler par mon amendement. Le second porte sur la nomenclature des diverses catégories de porte-parole des projets de loi.
Le sénateur Woo, aux points 4 et 17 de sa motion, propose de supprimer le rôle de porte-parole tel qu’il est défini à l’annexe I du Règlement du Sénat, puisque tous les groupes, y compris ceux de l’opposition, auraient des porte-parole autorisés à parler pendant une période de 45 minutes.
Je n’ai rien contre l’idée que les porte-parole de tous les groupes aient droit aux 45 minutes allouées, mais nous devons reconnaître et nous garder d’occulter le fait que le Sénat fait partie d’un parlement bicaméral essentiellement façonné selon le modèle du régime parlementaire de Westminster. Le Sénat a un leader du gouvernement et un leader de l’opposition depuis 1867. Le sénateur Gold conserve le privilège de nommer un parrain pour promouvoir un projet de loi ministériel. Par conséquent, je suis d’avis que le leader de l’opposition devrait continuer de jouir du même privilège, de la même obligation et de la même responsabilité de nommer un porte-parole — ou plutôt un critique — pour un projet de loi : rien de plus, mais rien de moins.
J’ai déjà dit plus tôt que, selon moi, le nouveau Sénat fonctionne bien. Il est plus dynamique et plus palpitant, ce qui s’explique en partie parce que, tous les jours, quelqu’un s’efforce de trouver des failles dans l’argumentaire du gouvernement. Sans cela, les choses seront beaucoup moins dynamiques. Nous avons déjà abordé ce sujet. Le fait est que les décisions importantes devraient être prises par des gens qui remettent les choses en question. C’est le rôle que joue l’opposition.
Je propose que le rôle de porte-parole demeure dans les définitions et que nous réservions simplement celui de critique d’un projet de loi aux groupes de sénateurs du gouvernement et de l’opposition.
Je tiens à dire une chose de manière explicite aux sénateurs du caucus conservateur, car je crois que de bon nombre d’entre eux craignent de leur propre aveu que l’on s’en prenne à l’opposition. Je ne vois pas en quoi les amendements que je propose constituent une attaque, directe ou détournée, contre l’opposition. Selon moi, ils assurent doublement que ce ne soit pas le cas.
Je prie tous les sénateurs de prendre cela en considération durant le présent débat. Assurément, c’est l’optique que mon équipe de recherche et moi avons adoptée lorsque nous avons étudié la motion du sénateur Woo et celle qui a guidé la formulation de mes amendements.
Dans la présente réforme, le temps des jeux politiques et des tactiques dilatoires est largement révolu. Il est temps de terminer le travail de modernisation entrepris en 2016, il y a quatre ans.
Je crois sincèrement qu’uniformiser les règles du jeu comme le propose la motion n’amoindrit pas le rôle de l’opposition et ne la prive pas des outils dont elle dispose.
Selon moi, nous jouirons tous des retombées de l’important travail accompli par le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, le sénateur Woo et d’autres distingués sénateurs en vue de modifier notre Règlement.