Projet de loi no 1 d'exécution du budget de 2023
Troisième lecture--Débat
21 juin 2023
Honorables sénateurs, sachez, tout d’abord, que je m’exprime en tant que sénateur de l’Alberta et non en ma qualité de leader du Groupe des sénateurs canadiens. Je prends la parole au sujet du projet de loi C-47, également appelé projet de loi d’exécution du budget. À mon avis, on devrait probablement le renommer « projet de loi d’exécution du budget et portant sur tout un tas d’autres choses », mais nous allons le laisser tel quel.
Il s’agit de ma 11e année au Sénat, et du 11e mois de juin où je vois un projet de loi d’exécution du budget franchir les étapes du processus législatif.
Mes observations d’aujourd’hui portent sur trois sujets. Premièrement, le problème croissant, selon moi, du caractère omnibus des projets de loi d’exécution du budget, de sorte qu’ils traitent d’un large éventail de dossiers qui n’ont aucun lien entre eux.
Je voudrais parler de ce qui, à mes yeux, est l’exemple le plus flagrant du problème croissant que pose le projet de loi qu’on nous demande d’adopter aujourd’hui.
Je vais finalement proposer un amendement simple qui nous permettrait d’améliorer cette mesure législative, ce qui est notre rôle, selon moi.
Commençons par le problème qu’il y a avec les projets de loi d’exécution du budget, du moins à mon avis. On peut lire ceci à la page 32 de la plateforme électorale libérale de 2015 :
M. Harper s’est [...] servi des projets de loi omnibus pour empêcher les parlementaires d’étudier ses propositions et d’en débattre convenablement. Nous mettrons un terme à cette pratique antidémocratique en modifiant le Règlement de la Chambre des communes.
Selon moi, il s’agit bel et bien d’une pratique antidémocratique. C’est aussi vrai maintenant qu’à l’époque. En revanche, on ne peut nier qu’elle accélère les choses.
Il s’agissait tout de même d’une plateforme bourrée de nouvelles idées qui proposait de nouvelles façons de faire. Je pense que le parti était animé des meilleures intentions du monde.
Quelques mois après l’élection d’un nouveau gouvernement et la reprise des travaux parlementaires, les libéraux ont présenté leur première loi d’exécution du budget. Celle-ci faisait 179 pages, c’est-à-dire 7 de plus que l’ultime et terrible projet de loi budgétaire du gouvernement Harper. Pour un gouvernement qui avait promis de restreindre le nombre de projets de loi omnibus, c’était plutôt mal parti. Les six ou sept derniers projets de loi budgétaires faisaient tous plus de 400 pages — l’un d’eux en comptait même 800.
Chers collègues, dans leur forme la plus pure et la plus absolue, les projets de loi d’exécution du budget devraient consister en une liste des mesures législatives qui sont liées aux dépenses et aux revenus figurant dans le budget et rien d’autre. C’est en quoi consiste une bonne partie du projet de loi à l’étude, c’est vrai, mais depuis quelques années, les projets de loi budgétaires contiennent aussi une litanie de mesures législatives qui n’ont rien à voir avec le budget lui-même et qui sont placées là parce que c’est plus pratique, plus efficace et plus rapide.
Il arrive aussi — de plus en plus souvent selon moi — que certaines mesures y soient glissées pour éviter qu’elles soient étudiées de trop près. Voilà qui devrait nous inquiéter tous.
Ma femme et moi avons aimé la série The Crown sur Netflix. Je ne sais pas si certains parmi vous l’ont aussi regardée; je vous recommande de le faire si ce n’est déjà fait. Dans le premier épisode, on voit le roi George en fin de vie dans son bureau avec Elizabeth, alors jeune mère et épouse, appelée à devenir reine sous peu, et le roi, sachant qu’il mourra bientôt, commence à lui enseigner des aspects pratiques de la vie de monarque. Dans cette scène, on voit une boîte rouge dans le bureau du roi. La boîte rouge contient tous les documents que le roi est censé lire au sujet de ce qui se passe au gouvernement. C’est ce qu’il explique à Elizabeth : « Voici une chose qu’il est très important de faire. » Il ouvre la boîte, prend la pile de papiers et la retourne. Il ajoute : « Ce qu’ils ne veulent pas que je lise, ils le mettent au bas de la pile. »
C’est ce qui m’amène à la section 39 de la loi d’exécution du budget. Elle se trouve au bas de la pile, à la page 401 du projet de loi, dont c’est la dernière section.
Cette section porte sur les lois relatives à la protection des renseignements personnels qui s’appliquent aux partis politiques fédéraux. En gros, jusqu’en 2018, les partis politiques fédéraux étaient exemptés des lois sur la protection des renseignements personnels. En 2018, le gouvernement a adopté une loi qui oblige les partis politiques fédéraux à élaborer et à adopter des politiques officielles en matière de protection des renseignements personnels. La loi ne précise pas le contenu de ces politiques et ne prévoit aucune conséquence. La loi prévoyait simplement que les partis politiques fédéraux devaient se doter de ces politiques — c’est la loi qui est en vigueur actuellement.
En 2018, lorsqu’on a instauré cette modeste disposition destinée à obliger les partis politiques à se doter de politiques de protection des renseignements personnels, le ministre l’a présentée comme une première étape vers la protection des renseignements personnels des citoyens.
Cinq ans plus tard, rien n’a changé. D’après les recherches que mon bureau et moi-même avons effectuées, au Canada, les partis politiques fédéraux sont les seules organisations qui échappent aux lois sur la protection des renseignements personnels.
Que contient donc ce projet de loi? C’est intéressant. Il ne contient rien du tout. Le texte du projet de loi indique seulement que ce qui existe actuellement est un régime national, uniforme, exclusif et complet applicable aux partis politiques, et que ces derniers doivent assurer la protection des renseignements personnels des citoyens. C’est tout. Le projet de loi ne prévoit rien d’autre, et ne donne aucun détail.
Tout ce que nous avons à l’heure actuelle, ce sont ces mots qui ne veulent rien dire.
Certains soutiendront — et je pense que le sénateur Loffreda en a fait mention — que la déclaration ouvre la voie à une éventuelle mesure législative, exactement comme la première étape d’il y a cinq ans a ouvert la voie à des changements. En fait, le sénateur Loffreda, lors de son intervention à l’étape de la deuxième lecture, a dit ce qui suit au sujet du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles qui s’est penché sur cette disposition en particulier :
Dans son rapport, le comité nous rappelle ceci : « L’amendement crée un cadre pour un futur régime potentiel. Il n’établit pas réellement un tel régime. »
Le sénateur a ajouté :
Certains diront peut-être que cette section n’est pas assez rigoureuse, qu’elle ne va pas assez loin, que les choses ne vont pas assez vite. Je presse donc le gouvernement d’en faire une priorité sans plus tarder.
J’estime que c’est un point de vue juste et optimiste exprimé par une personne qui se dit optimiste, ce que j’apprécie. Il est important de chercher à voir les meilleures intentions et ce qu’il y a de mieux chez les gens. J’ai moi-même tendance à voir les choses de cette façon.
Si on aborde cette section potentielle de façon plus cynique, on pourrait dire que cette déclaration vise à maintenir le statu quo qui permet aux partis politiques de fonctionner en toute impunité, alors que les commissaires à la protection de la vie privée des provinces sont bombardés de plaintes parce qu’il n’y a personne d’autre à qui les adresser. Ces commissaires envisagent de passer à l’action. En fait, dans une province, ils ont entrepris une contestation judiciaire.
Aussi cynique que cela puisse être, certains estiment qu’il n’y a pas d’intention de changement. C’est ce que certains ont dit au comité, mais peut-être pas officiellement. Étant donné le vide législatif actuel en matière de reddition de comptes, le gouvernement cherche simplement à mettre en place une protection pour empêcher les provinces d’agir au nom de leur population.
Mon amendement, dont je vais parler dans quelques instants, prend appui sur le travail et les délibérations des comités et prévoit un calendrier pendant lequel le nouveau régime doit être élaboré et mis en œuvre. Il prévoit une période de deux ans après laquelle, si rien n’est fait, ce semblant de régime disparaîtra.
À en croire les optimistes, deux années suffisent amplement pour mettre sur pied une bonne mesure législative. À en croire plutôt les cyniques, ce semblant de régime, qui protège le statu quo et tient les organismes de réglementation à l’écart, disparaîtra après cette période. Les organismes de réglementation provinciaux pourront alors reprendre le dossier au nom des citoyens qui jugent que les partis politiques ont utilisé leurs renseignements personnels à mauvais escient. C’est tout, et c’est aussi simple que cela.
Ce n’est pas la seule section du projet de loi d’exécution du budget qui pose problème. En fait, il y en a beaucoup. Ce projet de loi modifie une série de dispositions du Code criminel. Il contient aussi d’autres mesures qui nécessiteraient un examen approfondi et qui ont été ajoutées au projet de loi sans qu’on ait toujours expliqué pourquoi. En fait, le ministre Lametti a dit quelque chose d’intéressant en réponse à une question que je lui ai posée. Son commentaire était spontané, mais il a dit qu’il n’aime pas toujours ce qui est mis dans les projets de loi d’exécution du budget. Selon lui, les dispositions qu’ils contiennent devraient parfois faire l’objet de projets de loi à part entière, mais ce n’est pas toujours lui qui décide. Soit.
J’aimerais aborder quelques points avant de lire mon amendement. Je crois que nous sommes aux prises avec un problème de plus en plus sérieux, et ce problème, c’est aussi celui du Sénat. Les chiffres nous montrent qu’il n’y a pas que les taux d’intérêt et les prix qui gonflent au Canada, les projets de loi d’exécution du budget enflent eux aussi à vue d’œil. Nous sommes passés de 172 pages en 2015 à 430 aujourd’hui. Si nous ne faisons rien, nous nous retrouverons de plus en plus souvent dans une situation où le gouvernement se sert de ses projets de loi budgétaires à bon et à mauvais escient.
Peut-être pas aujourd’hui, mais un de ces jours, il faudra faire quelque chose. Si l’entente de confiance et de soutien qui a été conclue tient bon et que le gouvernement actuel termine son mandat, nous aurons droit à deux autres projets de loi d’exécution du budget, un en 2024 et un en juin 2025. Nous devons profiter de ce temps pour réfléchir et trouver des moyens de mieux gérer ces projets de loi au lieu de simplement y réagir. Je ne compte plus le nombre de gens et de rapports affirmant que certaines dispositions n’avaient pas d’affaire dans un projet de loi budgétaire, mais comme les autres fois, nous ne ferons rien encore aujourd’hui. Je vais proposer quelque chose. Je m’attends à perdre de façon spectaculaire, mais cela m’est égal. Nous aurons tous l’occasion de prendre la parole pour entamer la réflexion sur ce qu’il convient de faire dans les cas comme celui-là.
Je pense qu’il s’agit d’une question que nous devons aborder pour assurer l’utilité et la viabilité du Sénat. Nous devons communiquer à la Chambre des communes ce que nous voulons faire de manière appropriée à l’avenir et nous devons le faire avant qu’il y ait un changement de gouvernement. Imaginez que nous tardions à agir et que, tout à coup, nous ayons une illumination lorsque le gouvernement qui ne nous a pas nommés sera au pouvoir et que nous déciderons de faire quelque chose; nous aurions l’air d’une bande d’hypocrites. Réfléchissons donc à la situation jusqu’à l’année prochaine et trouvons une solution à ce problème entre nous et la Chambre des communes.