L'étude sur les dispositions et l'application de la loi de Sergueï Magnitski et de la Loi sur les mesures économiques spéciales
Dixième rapport du Comité des affaires étrangères et du commerce international et demande de réponse du gouvernement--Ajournement du débat
18 mai 2023
Propose :
Que le dixième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, intitulé Renforcer l’architecture des sanctions autonomes canadiennes: Examen législatif quinquennal de la loi de Sergueï Magnitski et de la Loi sur les mesures économiques spéciales, qui a été déposé au Sénat le mardi 16 mai 2023, soit adopté et que, conformément à l’article 12-24(1) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement, le ministre des Affaires étrangères étant désigné ministre chargé de répondre à ce rapport, en consultation avec le ministre de la Sécurité publique.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du dixième rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, intitulé Renforcer l’architecture des sanctions autonomes canadiennes : Examen législatif quinquennal de la loi de Sergueï Magnitski et de la Loi sur les mesures économiques spéciales.
Ce rapport exhaustif est l’aboutissement de huit réunions qui se sont tenues entre le 26 octobre 2022 et le 15 février de cette année. Au cours de son étude, le comité a entendu 26 témoins experts, notamment des fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada, de l’Agence des services frontaliers du Canada et de la Gendarmerie royale du Canada, des experts des domaines juridique et bancaire, des universitaires de renom, des défenseurs des sanctions et des membres de la société civile. Je mettrai l’accent sur trois témoins particulièrement connus que le comité a eu l’honneur d’entendre.
Bill Browder est un auteur et le responsable de la campagne mondiale pour la justice Magnitski. Son avocat, Sergueï Magnitski, est, bien entendu, la source d’inspiration de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, également appelée loi de Sergueï Magnitski.
Evguenia Kara-Murza est coordinatrice des activités de défense de la Free Russia Foundation. Son mari, Vladimir Kara-Murza, militant politique russe et leader de l’opposition, est emprisonné en Russie pour trahison, en partie pour avoir dénoncé la guerre en Ukraine. Comme son mari, Mme Kara-Murza est une militante de longue date, inébranlable et courageuse, en faveur de l’introduction de lois de Magnitski dans le monde entier, et de l’imposition de sanctions du type prévu par ces lois contre la Russie en particulier.
Enfin, nous avons entendu notre chère ancienne collègue sénatrice et ma prédécesseure à la présidence du comité, l’honorable Raynell Andreychuk. Au Canada, c’est l’ancienne sénatrice Andreychuk qui est à l’origine de la loi de Sergueï Magnitski. Elle a parrainé projet de loi S-226, qui a reçu la sanction royale le 18 octobre 2017.
Le projet de loi de la sénatrice Andreychuk et la date à laquelle il est entré en vigueur ont motivé le comité à mener son étude. L’article 16 de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus exige la production d’un rapport et la réalisation d’un examen. L’article 16(1) se lit comme suit :
Dans les cinq ans qui suivent la date d’entrée en vigueur du présent article, un examen approfondi des dispositions et de l’application de la présente loi et de la Loi sur les mesures économiques spéciales doit être fait par les comités du Sénat et de la Chambre des communes que chaque chambre désigne ou constitue à cette fin.
Du point de vue de la procédure, c’est ce qui explique pourquoi le comité a décidé d’entreprendre cette étude à ce moment-là. Notons toutefois qu’elle ne lui a pas été imposée. Le comité a activement cherché à obtenir du Sénat l’autorisation de mener cette étude, ce qui lui a été accordé le 17 octobre l’année dernière. À mon avis tout à fait objectif, parmi les comités des deux Chambres du Parlement, le comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce était le mieux placé pour s’occuper de ce dossier, étant donné la solide réputation des comités du Sénat et la nature moins partisane de ce dernier.
L’article 16(2) se lit comme suit :
Dans l’année qui suit le début de son examen ou dans le délai supérieur que la chambre en question, selon le cas, lui accorde, chaque comité visé au paragraphe (1) remet son rapport au Parlement, accompagné des modifications qu’il recommande.
C’est ce que le comité a fait, chers collègues, bien avant l’échéance d’un an, et j’y reviendrai un peu plus en détail aujourd’hui.
Si, en tant que président, je tenais tant à ce que le comité entreprenne le premier examen complet des dispositions et des opérations de la loi de Sergueï Magnitski et de la Loi sur les mesures économiques spéciales, c’est en partie parce que, comme nous le savons tous, les sanctions ont été l’un des outils diplomatiques les plus utilisés et l’une des questions les plus débattues au cours des 15 derniers mois, depuis que la Russie a envahi l’Ukraine, le 24 février 2022.
Par ailleurs, il est de plus en plus important d’inclure ces instruments législatifs dans les outils à la disposition du gouvernement, d’autant plus que la Loi sur les Nations unies est employée moins fréquemment en raison de l’impasse qui subsiste au Conseil de sécurité des Nations unies en ce qui concerne les sanctions et de bien d’autres problèmes. Autrement dit, honorables collègues, le moment est bien choisi pour faire cette étude, compte tenu des procédures et des sujets d’actualité.
Comme le rapport l’indique, au cours de l’étude, les témoins ont souligné diverses améliorations apportées au régime de sanctions au cours des cinq dernières années, dont la création de la Liste consolidée des sanctions autonomes canadiennes. Toutefois, ils ont aussi souligné que le gouvernement du Canada doit améliorer la façon dont il communique avec le public l’information sur les sanctions autonomes, et ils ont demandé au gouvernement d’élaborer des directives claires concernant l’interprétation des règlements en matière de sanctions.
Après avoir entendu l’avis des 26 témoins experts, le comité est arrivé à la conclusion que le Canada doit énoncer les objectifs qu’il aimerait atteindre par l’imposition de sanctions et analyser les résultats obtenus de façon périodique.
Il ressort clairement de nos délibérations que le comité estime que la loi de Sergueï Magnitski et la Loi sur les mesures économiques spéciales sont des textes législatifs pertinents. Cependant, comme l’indique le rapport, le comité fait 19 recommandations pour améliorer la cohérence et l’application du régime de sanctions du Canada. J’aimerais souligner quelques-unes des recommandations les plus importantes.
La recommandation 19 demande au gouvernement de :
[...] modifie[r] la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski) afin d’exiger que les nouveaux règlements pris au titre de l’une ou l’autre de ces lois comportent une disposition de caducité qui fixerait une date pour l’expiration d’un régime de sanctions, à moins qu’il ne soit renouvelé avant la date d’expiration prévue.
Comme le comité l’a entendu, il existe de nombreux précédents concernant l’utilisation de dispositions de caducité et de lois sur les sanctions dans le monde entier, y compris par l’Union européenne et les Nations unies.
Au cours de la réunion du comité du 2 novembre 2022, Mme Meredith Lilly, une professeure à la Norman Paterson School of International Affairs de l’Université Carleton, a résumé la nécessité d’avoir des dispositions de caducité. Mme Lilly a déclaré que ces mesures pourraient « [entraîner] la levée des sanctions devenues désuètes et inutiles et [contribuer] aussi à les dépolitiser ». Elle a ajouté que les dispositions de caducité automatiques :
[...] empêcheraient tout relâchement de la part des fonctionnaires et les obligeraient à demeurer au courant de l’évolution de la situation en prévision de la décision de renouvellement.
En gros, le comité recommande d’assortir les modifications apportées aux régimes de sanctions du Canada de dispositions de caducité afin de garantir que les lois soient toujours utilisées à leurs fins prévues et qu’elles soient régulièrement passées en revue, sans être politisées, par des décideurs bien informés.
À la recommandation 18, le comité recommande que les comités du Sénat et de la Chambre des communes mènent un examen approfondi des deux lois tous les 10 ans pour veiller à ce que les régimes de sanctions autonomes du Canada soient toujours adaptés à la situation géopolitique actuelle. Cette recommandation a été laissée volontairement non prescriptive afin que le gouvernement au pouvoir ait toute la souplesse nécessaire de déterminer comment modifier la loi de Magnitski à cet égard.
À mon avis, si l’objectif est d’assurer un examen en continu, les comités désignés du Sénat et de la Chambre des communes pourraient alterner les périodes de cinq ans de façon à ce que, concrètement, la loi de Magnitski et la Loi sur les mesures économiques spéciales fassent l’objet d’un examen aux cinq ans, et d’un examen par chaque comité aux 10 ans.
Par exemple, le Comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce a révisé les lois en 2023. Le comité de la Chambre des communes pourrait procéder à sa révision en 2028, puis ce serait au tour du Sénat en 2033, et ainsi de suite.
Les autres recommandations essentielles portent sur les communications; la coordination interministérielle; l’administration et l’application de la loi; la collaboration avec les alliés, la société civile et les milieux universitaires et de la recherche; et la radiation.
En ce qui concerne la coordination interministérielle, le comité souligne la mise sur pied d’un bureau spécialisé en matière de sanctions, sous la gouverne d’Affaires mondiales Canada, et la nécessité de veiller à ce que les fonctionnaires affectés aux travaux entourant les sanctions — surtout à la Gendarmerie royale du Canada, à l’Agence des services frontaliers du Canada, au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, au Service canadien du renseignement de sécurité et au Centre de la sécurité des télécommunications — soient très bien informés. Or, pour améliorer la coordination entre les ministères et les agences au Canada, il faut miser sur une collaboration plus étroite avec des entités similaires des instances gouvernementales avec qui le Canada entretient une relation d’allié.
En ce qui concerne la communication, j’ai été frappé par la mesure dans laquelle l’efficacité d’un régime de sanctions se résume à une meilleure communication avec le public concernant les effets et la mise en œuvre de sanctions autonomes. C’est pourquoi la recommandation 10 invite le gouvernement à fournir :
[...] des renseignements d’identification plus détaillés sur les personnes et les entités sanctionnées dans les règlements pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski).
Le comité recommande en outre :
[...] que le gouvernement inclue les renseignements d’identification détaillés dans la Liste consolidée des sanctions autonomes canadiennes, de même que les raisons qui expliquent l’inscription des individus et des entités.
Chers collègues, je ne vais pas réciter toutes les recommandations. Je souhaite simplement en souligner quelques‑unes qui me semblent particulièrement importantes.
J’encourage les intéressés parmi vous à lire le rapport, car il s’agit, je pense, d’un travail exceptionnel, dont je suis fier en tant que président, sur un sujet qui est à la fois crucial et opportun, compte tenu notamment de l’augmentation significative de l’utilisation, par le Canada et nos alliés, de sanctions autonomes depuis que la Russie a envahi l’Ukraine.
Je souhaite remercier les membres du comité et les autres sénateurs qui ont participé aux réunions, le personnel — en particulier les analystes du comité qui ont rédigé le rapport — et les témoins, sans le temps et les commentaires desquels l’étude n’aurait pas eu lieu et le rapport n’existerait pas.
Chers collègues, d’autres sénateurs voudront peut-être aussi prendre la parole au sujet du rapport. J’attends avec impatience de poursuivre le débat sur ce sujet. J’espère que cette motion et, par conséquent, le rapport seront adoptés très prochainement — c’est‑à‑dire très, très prochainement — afin que nous puissions maintenir l’élan et commencer à compter les 150 jours dont dispose le gouvernement pour fournir une réponse en bonne et due forme. Merci beaucoup.
Honorables sénateurs, compte tenu de l’avertissement du sénateur Boehm, j’ai décidé de prendre la parole maintenant plutôt que la semaine prochaine. Par conséquent, mes commentaires risquent d’être moins organisés que je ne le souhaiterais.
Je n’ai rien à redire au résumé du président et je tiens à le remercier, ainsi que le vice-président, le sénateur Harder, et tous mes collègues, pour l’excellent travail que nous avons accompli pour produire ce rapport.
Chers collègues, le rapport porte essentiellement sur les mécanismes de notre régime de sanctions et sur la manière dont nous pourrions l’améliorer. Il aborde notamment les questions de l’administration, de la clarté des outils de sanction, de la coordination avec les alliés, de l’établissement de rapports, ainsi que de la prise en compte des conséquences involontaires.
Nous avons toutefois consacré beaucoup moins de temps à la question de l’efficacité, c’est-à-dire à la question de savoir si les sanctions fonctionnent. Sur ce point, la conclusion la plus proche que nous ayons trouvée consiste à dire que c’est « difficile à évaluer », comme le mentionne le communiqué de presse officiel.
En ce qui concerne les critères traditionnels de mesure du succès des sanctions, c’est-à-dire le changement de comportement ou la dissuasion d’un mauvais comportement à l’avenir, je n’ai pas entendu un seul témoin affirmer sans équivoque que les sanctions avaient été couronnées de succès. En revanche, on nous a dit que les sanctions peuvent être considérées comme efficaces sur la base d’un certain nombre d’autres critères non traditionnels. Il s’agit notamment du désir de punir, de la nécessité de faire preuve de solidarité avec les alliés et de la nécessité de faire écho à l’opinion publique.
Malheureusement, ces critères non traditionnels ne sont pas ceux que nous avons donnés comme raisons officielles pour imposer des sanctions. Il s’agit peut-être des véritables raisons pour l’imposition par le Canada de sanctions, mais si c’est le cas, nous devons avoir l’honnêteté de le dire.
Si je soulève cette question, c’est parce que, ces derniers temps, nous sommes devenus les champions du monde des sanctions autonomes et que nous avons peut-être oublié, comme le sénateur Boehm l’a signalé à juste titre, que le recours aux sanctions n’est qu’un des nombreux outils diplomatiques à notre disposition pour résoudre des problèmes internationaux épineux, et que ce n’est peut-être pas le meilleur outil pour tous les problèmes.
Vous connaissez le vieux dicton qui dit que l’on a tendance à utiliser l’outil qu’on a devant soi pour corriger un problème. Si vous avez une masse, c’est ce que vous utiliserez, même si ce n’est peut-être pas le meilleur outil pour la tâche.
Les sanctions représentent essentiellement une forme de contrainte économique, et c’est quelque chose qui provoque évidemment un grand ressentiment chez ceux qui en sont la cible.
Il y a prolifération du recours aux sanctions. Leur utilisation est de plus en plus répandue. On privilégie cette tactique à la mode, on en raffine les diverses formes et leur donne de l’expansion. C’est peut-être nécessaire, mais au bout du compte, cela témoigne de l’échec de la diplomatie. Je doute que cette situation mérite une médaille d’or.
C’est réellement préoccupant. Nous nous vantons à travers le monde d’être les champions des sanctions autonomes. Je me demande quels nouveaux critères nous utilisons pour nous attribuer ce titre. Méritons-nous la médaille d’or parce que nous sommes solidaires de nos alliés lorsqu’il s’agit d’imposer des sanctions? La méritons-nous parce que nous sommes les meilleurs pour punir les autres? Ou la méritons-nous parce que nous sommes les meilleurs sur le plan de l’avantage politique des sanctions, l’instinct populiste de vouloir intervenir lorsqu’une situation difficile survient? Je l’ignore. Cependant, je suis pas mal certain que nous n’avons pas encore la preuve que les critères traditionnels du changement de comportement et de la dissuasion ont été satisfaits pour justifier cette appropriation du premier prix.
Honorables sénateurs, ce problème est aggravé par un autre problème, celui de l’incohérence dans l’application des sanctions autonomes, qui, soit dit en passant, est l’une des conclusions de notre rapport, mais probablement une de celles qui ne recevront pas beaucoup d’attention. Elle est pourtant importante, car parler du problème de l’incohérence dans l’application des sanctions autonomes n’est pas qu’une simple tentative de détourner la question; ce problème sape fondamentalement la mince autorité morale sur laquelle nous nous appuyons pour imposer des sanctions en premier lieu. Ce problème fait l’objet d’une recommandation, et j’espère que nous y prêterons attention.
Les sanctions ont des conséquences réelles et à long terme pour les pays concernés, même lorsqu’elles tentent de cibler uniquement les personnes mal intentionnées. Il est difficile de s’en défaire une fois qu’elles sont appliquées, c’est pourquoi je suis tout à fait d’accord avec l’une des recommandations concernant la disposition de caducité pour les sanctions autonomes. Il s’agit là aussi d’une conclusion importante du rapport, et j’espère qu’elle fera l’objet d’une attention particulière.
Pour conclure, honorables sénateurs, la production de ce rapport a été un exercice très utile dans le cadre de notre examen législatif de la loi de Sergueï Magnitski. J’espère que le gouvernement le prendra au sérieux. Quand nous procéderons au prochain examen quinquennal ou, comme le suggère le sénateur Boehm, le prochain examen décennal, j’espère que nous pourrons dire avec une certaine satisfaction que nous avons réussi à réduire notre utilisation des sanctions et que nous employons les sanctions de manière plus judicieuse, non pas parce que nous aurons tourné le dos aux injustices dans le monde, mais parce que nous aurons trouvé un meilleur moyen de lutter contre elles. Merci.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)