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La Loi sur la Banque du Canada

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

26 septembre 2023


L’honorable Diane Bellemare [ + ]

Propose que le projet de loi S-275, Loi modifiant la Loi sur la Banque du Canada (mandat, gouvernance de la politique monétaire et reddition de comptes), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je tiens d’abord à souligner que les terres sur lesquelles nous sommes rassemblés font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple anishinabe algonquin.

Le 31 août dernier, les premiers ministres de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et de Terre-Neuve-et-Labrador ont demandé au gouverneur de la Banque du Canada de cesser de hausser le taux directeur et de considérer les conséquences humaines de sa politique monétaire. Certains observateurs ont contesté ces propos et y ont vu une tentative d’ingérence politique auprès du gouverneur de la banque.

J’ai plutôt reconnu dans ces propos l’expression d’un sentiment d’insécurité économique profond ressenti par la population de ces provinces et auquel les premiers ministres provinciaux ont fait écho.

Nous souhaitons tous vivre dans un pays où nos gouvernements veillent à nous assurer une sécurité physique et économique de base. La sécurité économique seule ne fait pas le bonheur. Cependant, la vie familiale est certainement plus joyeuse et optimiste quand on peut planifier les dépenses et les revenus, et payer l’hypothèque ou le loyer sans avoir à réduire la nourriture ou les études des enfants. C’est justement l’essentiel de la motivation qui m’a animée tout au long de ma carrière : combattre l’insécurité économique et promouvoir les moyens pour y arriver. C’est ce qui m’a amenée à m’intéresser au marché du travail, au dialogue social et à la politique monétaire.

Vous demandez-vous quel est le lien entre cette anecdote et mon projet de loi? Il est bien simple : la prospérité d’un pays repose en grande partie sur la qualité de ses ressources humaines et ses ressources naturelles ainsi que sur sa capacité collective à les mettre en valeur.

Or, la politique monétaire détermine en grande partie le coût de base de l’investissement ou de la mise en valeur de nos ressources humaines et naturelles. La politique monétaire a donc un rôle majeur à jouer dans la promotion de la prospérité durable d’un pays, condition de base de la sécurité économique d’une nation. La politique monétaire est une question sérieuse et délicate et mérite une attention particulière, car le niveau de vie d’un pays en dépend largement.

Pour cette raison, on ne peut demander à une seule personne, même entourée d’une excellente équipe, d’en prendre l’entière responsabilité et d’en assumer les conséquences.

Chers collègues, dans ce qui suit, j’expliquerai d’abord en français et ensuite en anglais la nature de mon projet de loi ainsi que les grands principes qui le sous-tendent. Vous comprendrez, je l’espère, pourquoi il est important de le faire cheminer rapidement vers le comité.

Je souhaite que vous participiez à cette deuxième lecture en me posant des questions. Mon discours officiel sera relativement bref.

Quel serait l’objet de mon projet de loi en une phrase? Il vise à mieux équilibrer l’indépendance de la Banque du Canada et les nécessaires transparence et reddition de compte.

À cet effet, il modifie la Loi sur la Banque du Canada afin d’y ajouter une section sur la politique monétaire ainsi qu’un mandat et des objectifs. Ce projet de loi vise à combler un vide existentiel dans la loi actuelle, qui est complètement muette au sujet de la politique monétaire et qui n’en précise pas les objectifs.

Ce projet de loi contribue à mettre à niveau le cadre légal de la Banque du Canada à celui des autres banques centrales comparables à celle du Canada. La banque a été créée en 1935 et son préambule, qui agit à titre de mandat, n’a pas été reformulé depuis, et ce, même si la loi a été révisée en 1985. Ce projet de loi ne change pas l’esprit des objectifs énoncés dans le préambule en 1935. Il a pour effet d’exprimer le mandat de la banque d’une manière claire et avec des mots d’aujourd’hui.

Le projet de loi S-275 vise aussi à reconnaître l’indépendance institutionnelle de la banque tout en ajoutant des garde-fous et des obligations de transparence et de reddition de comptes. Il soulage ainsi le fardeau décisionnel du gouverneur. Imaginez qu’actuellement, il est le seul à décider du sort de millions de familles, et ce, avec son comité de direction, bien entendu. Mon projet de loi a également pour but de renforcer la confiance de la population dans les décisions de la banque.

À cette fin, il crée un comité de la politique monétaire appelé « comité permanent » dans mon projet de loi. Ce comité est présidé par le gouverneur et comprend des sous-gouverneurs, mais aussi des experts externes à la banque centrale. Cette bonne pratique de gouvernance existe dans plusieurs autres pays, notamment en Nouvelle-Zélande et en Angleterre, et on pourrait même dire qu’elle existe aussi aux États-Unis. Actuellement, l’Australie considère aussi d’emprunter cette avenue.

Ce comité composé d’experts provenant d’horizons divers permet d’assurer à la population que la politique monétaire est déterminée de manière indépendante, à l’abri d’influences politiques partisanes. Ce comité aura aussi la responsabilité de superviser des analyses coûts-avantages de la stratégie monétaire adoptée ainsi que l’évaluation de la politique monétaire, parce qu’actuellement, on ne fait pas d’analyse régulière des effets de la politique monétaire. Cette analyse ou évaluation de la politique monétaire est réalisée par la banque elle-même, contrairement à ce qui se fait encore dans d’autres pays.

Le comité participera également à l’élaboration de l’entente quinquennale entre la banque et le gouvernement qui prévoit le cadre de référence de la politique monétaire. Ce comité pourra également proposer des stratégies alternatives pour contrer les effets de chocs en matière d’offres, comme l’augmentation imprévue du prix du pétrole, ou encore des intempéries climatiques qui entraînent de mauvaises récoltes.

Ce comité d’experts rassurera les Canadiens et Canadiennes sur le fait que la banque assume pleinement son rôle de vecteur de prospérité économique. Il va sans dire que la composition des membres externes du comité permanent est de la plus haute importance. C’est pourquoi le projet de loi S-275 prévoit des conditions spécifiques d’admissibilité et de compétences. Le processus de nomination devra également être ouvert et transparent et les membres devront être choisis après avoir consulté de grands acteurs de l’économie, notamment les représentants des grandes associations patronales et syndicales. Il est essentiel que ces experts, qui ne travaillent pas nécessairement au sein de ces organisations, mais qui sont reconnus par elles, soient issus d’horizons divers. On ne veut pas d’experts issus de la même école et qui n’ont pas d’expérience du terrain.

Vous le savez, les Canadiens et les marchés financiers deviennent souvent nerveux lorsque vient le temps pour le gouverneur de la Banque du Canada d’annoncer le taux directeur. Ce n’est pas étonnant, compte tenu des conséquences financières pour le portefeuille des gens et de l’impact sur l’économie. En outre, la plupart des Canadiens ne savent pas vraiment comment cette décision se prend.

Techniquement, le gouverneur de la Banque du Canada est appelé à établir le taux d’intérêt directeur huit fois par année dans le cadre de sa politique monétaire. Il est appuyé par le conseil de direction de la banque, formé de sous-gouverneurs qu’il a nommés et qui travaillent pour la banque. Dans les derniers mois, un sous‑gouverneur non dirigeant externe s’est joint au conseil.

Le gouverneur et son équipe peuvent se tromper et la Loi sur la Banque du Canada n’est alors d’aucune assistance et n’offre aucune protection.

La Loi sur la Banque du Canada a été adoptée en 1935. Elle a été modifiée au fil du temps et a subi une refonte en 1985, mais les objectifs de la banque et le mandat de la politique monétaire n’ont jamais été précisés dans la loi. Il n’y a absolument rien à ce sujet dans la loi.

Le préambule de la Loi sur la Banque du Canada donne une liste d’objectifs sans ordre d’importance. Sur le site Web de la banque, on trouve un résumé du préambule, qui indique que la banque a comme mandat de « favoriser la prospérité économique et financière du Canada ». Pour arriver à cet objectif, l’article 8 de la loi donne au gouverneur les pouvoirs entiers pour agir à sa guise sans qu’il ait à rendre de comptes.

Cependant, depuis 1991, soit depuis plus de 30 ans, le cadre de politique monétaire est défini dans un accord quinquennal entre la Banque du Canada et le gouvernement, par l’entremise du ministre des Finances. Ce cadre détermine le taux d’inflation cible sans préciser de délai pour l’atteindre. Depuis 30 ans, et depuis la dernière fois qu’il a été renouvelé en décembre 2021, cet accord établit à 2 % le taux d’augmentation annuelle de l’indice global des prix à la consommation.

Bien que cet accord soit déposé au Parlement, il ne fait l’objet d’aucune approbation ni d’aucun examen de la part du Parlement. Ce document, qui n’a aucune valeur juridique car il n’est pas prévu par la loi, permet au gouverneur d’augmenter le taux d’intérêt de base si l’indice global des prix à la consommation augmente de plus de 2 %. C’est une règle simple qui s’applique à un problème complexe, qui a été créée au fil du temps, et qui n’a aucun fondement dans la Loi sur la Banque du Canada.

Honorables sénateurs, comme vous le savez, au XXIe siècle, l’inflation est devenue un problème plus complexe qu’au cours du siècle précédent. Ce n’est pas toujours un problème qui découle d’une demande excédentaire. La crise climatique, l’incertitude politique, l’inversion de la mondialisation, et les problèmes démographiques sont autant de facteurs de bouleversements des chaînes d’approvisionnement qui peuvent avoir un effet sur l’inflation. Il ne fait aucun doute que la hausse des taux d’intérêt entraîne une baisse de la demande globale. Cependant, les Canadiens n’ont pas la même certitude que la hausse des taux d’intérêt permettra de lutter contre l’inflation car, comme vous le savez, la hausse des taux d’intérêt peut avoir un effet boomerang. Lorsque la Banque du Canada augmente son taux de base, les taux hypothécaires augmentent également.

Selon Statistique Canada — et il s’agit d’une statistique très importante —, les hausses des coûts hypothécaires sont responsables de plus de 30 % de l’augmentation annuelle du coût de la vie. Ce pourcentage s’élève à 37 % pour l’augmentation du coût de la vie pour les locataires. Cela peut également avoir des effets néfastes sur des secteurs particuliers, par exemple le secteur du logement. Lorsque l’offre de logements est insuffisante et que les mises en chantier diminuent en raison de conditions hypothécaires moins abordables, les loyers augmentent. Ces deux facteurs combinés représentent environ 37 % de l’augmentation de l’indice des prix à la consommation qui peut être attribuée à la politique monétaire.

Il est difficile de prévoir les conséquences de la politique monétaire sur l’économie, car ses répercussions se font sentir avec un certain décalage. La banque peut facilement être trop sévère ou trop souple, et il est facile de pousser la politique monétaire trop loin et de précipiter une récession.

Par conséquent, certains pays ont inclus des mesures de protection dans leurs lois. Aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande par exemple, les politiques monétaires ont un double mandat, soit la stabilité des prix et le plein emploi. Ce double mandat oblige les banques centrales à faire preuve de prudence dans la gestion de leur politique monétaire.

Certains pays ont également créé des comités de la politique monétaire. Leurs membres externes peuvent aider à évaluer les risques encourus et se pencher sur divers scénarios.

Si la perturbation des chaînes d’approvisionnement devient monnaie courante, ne faudrait-il pas que la politique monétaire tienne compte des connaissances d’experts dans ce domaine?

Ce projet de loi ajoute des mesures de protection dans la gestion de la politique monétaire en précisant le double mandat de la politique monétaire et en créant un comité de la politique monétaire appelé comité permanent. La composition de ce comité et le processus de sélection de ses membres sont de la plus haute importance. Le processus doit être ouvert et transparent. Comme je l’ai dit plus tôt, ces experts devraient être nommés à la suite d’une consultation auprès d’organismes représentant la société civile et le secteur économique, comme des associations de gens d’affaires et des organisations syndicales, afin que le comité soit mieux en mesure de parvenir à un équilibre entre la stabilité des prix et le plein emploi. Ce comité aurait la crédibilité nécessaire pour exiger des comportements responsables de la part de tous les acteurs du secteur économique.

Le comité participerait à la discussion sur la détermination du taux directeur. Quand je dis « le comité », j’entends le grand comité présidé par le gouverneur et auquel siégeraient également le sous‑gouverneur et les experts externes. Ils participeraient et voteraient sur la détermination du taux directeur, comme ils le font autre part. Les membres adopteraient le cadre de l’analyse annuelle coûts‑bénéfices à l’appui de la politique, ils superviseraient l’évaluation de l’efficacité de la politique monétaire — car nous pouvons, comme je l’ai dit, remettre en question le lien entre la hausse des taux d’intérêt et la maîtrise de l’inflation —, ils veilleraient à ce que l’utilisation d’outils non traditionnels respect le mandat de la banque, et ils participeraient à la rédaction de l’accord quinquennal avec le gouvernement du Canada.

Enfin, et surtout, je dois dire que certaines parties de ce projet de loi sont inspirées du travail effectué par un comité spécial nommé par le gouvernement australien pour revoir la Reserve Bank of Australia Act. Ce rapport s’intitule An RBA fit for the future. Il a été publié en mars 2023.

Lorsque j’ai lu ce rapport, je me suis demandé de qui provenait ce cadeau qui venait donner de la légitimité à ce que je voulais faire, c’est-à-dire proposer des modifications à la Loi sur la Banque du Canada afin de la moderniser. Or, savez-vous qui siégeait au comité qui a rédigé ce rapport? Trois experts ont travaillé ensemble à l’élaboration de ce rapport, qui a bénéficié de l’expérience d’une ancienne sous-gouverneure de la Banque du Canada. Devinez de qui il s’agit. Il s’agit de Carolyn Wilkins. C’est très intéressant. La recommandation de ce rapport m’a incitée à élaborer ce projet de loi.

Il est temps, honorables collègues, d’exiger plus de transparence à l’égard des effets à court terme et à moyen terme de la politique monétaire sur l’économie canadienne et de fournir au gouverneur et à son équipe les outils dont ils ont besoin pour atteindre leur objectif, car le principal objectif de la Banque du Canada, c’est la prospérité. Ce n’est pas de stabiliser les prix coûte que coûte.

Lorsque j’ai pris conscience de cela, je me suis dit que je devais aborder la question sous cet angle. Le gouverneur et son équipe ont le pouvoir de faire ce qu’ils veulent pour favoriser la prospérité. Il n’est dit nulle part dans la Loi sur la Banque du Canada que la stabilité des prix doit être l’unique objectif. Elle ne peut pas l’être. Voilà pourquoi j’estime qu’il est très important de réfléchir à cela et d’apporter cette modification institutionnelle à la loi afin d’établir un juste équilibre entre l’indépendance de la banque et le principe de la reddition de comptes. La création de ce comité externe, qui serait autorisé à s’exprimer à l’extérieur de la banque, rassurerait la population que la banque fait la bonne chose.

J’ai terminé mon discours. Si vous avez des questions, je serais ravie d’y répondre. Merci beaucoup.

J’accepte volontiers votre offre, sénatrice Bellemare. Je vous remercie de votre discours.

Dans quelle mesure rendriez-vous publiques les délibérations du comité de la politique monétaire qui est proposé, particulièrement les procès-verbaux des réunions et les discussions détaillées qui révèlent le point de vue des membres? Comme vous le savez, dans le système américain de réserve fédérale il y a toujours beaucoup de spéculation au sujet des différents gouverneurs et des positions qu’ils adoptent. Je ne sais pas exactement jusqu’à quel point c’est utile et si cela rend le système américain plus transparent. Que proposez-vous comme approche?

La sénatrice Bellemare [ + ]

Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur.

Si vous me le permettez, je vais répondre en français.

Je ne suis pas certaine que le comité de la politique monétaire devrait être télévisé. Par ailleurs, il existe un rapport du comité de la politique monétaire, tout comme il en existe un en Nouvelle-Zélande. J’aime beaucoup celui de la Nouvelle-Zélande, parce qu’on y spécifie qui a dit quoi, ce qui rend plus précis le résultat du vote.

Dans l’Ouest du Canada, l’Institut C.D. Howe a créé une espèce de comité de la politique monétaire composé d’environ 12 experts, qui discutent entre eux de ce qu’ils feraient et qui tiennent un vote par la suite. Tous les noms sont associés à leurs opinions. La beauté de la chose, c’est que cela permet d’avoir une politique monétaire modérée et réservée.

Vous l’ignorez peut-être, mais, dans les années 1980, alors que les taux d’intérêt étaient très élevés, le Canada a connu l’une des politiques monétaires les plus restrictives au monde. Actuellement, compte tenu du taux d’inflation, la politique monétaire du Canada est très restrictive. Si on élimine les effets des taux hypothécaires et des loyers, on n’est pas loin de notre cible de 2,6 %.

Il fut un temps où le taux cible de l’inflation se situait entre 1 % et 3 % et avait une certaine flexibilité. Actuellement, puisque nous sommes plus sévères et que nous y sommes allés très rapidement avec la hausse des taux d’intérêt, plusieurs projets d’investissement ne se concrétisent pas. Nous n’accélérons pas notre transition vers une économie verte.

Voilà du temps qui ne se rattrape pas. La prospérité perdue ne se rattrape pas. Les investissements qui ne sont pas faits ne se rattrapent pas. C’est la raison pour laquelle les membres du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie ont constaté que le PIB du Canada par habitant n’était pas vraiment à la hausse par rapport aux autres pays.

Je sais qu’il s’agit d’un sujet difficile, mais mon projet de loi n’a aucune incidence financière, parce qu’il ne propose pas de rémunérer ces experts.

Lorsque j’ai été nommée au Conseil économique du Canada, je n’étais pas rémunérée. J’ai fait ce travail pendant six ans. Cela demandait beaucoup de mon temps, mais j’étais très heureuse d’y siéger. Dans ce cas-là, je pense qu’il y aurait beaucoup d’experts d’horizons différents et que cela ne serait pas une foire d’empoigne... J’ai donné un peu plus tôt une entrevue à la radio où on m’a demandé : « Vous ne croyez pas que les gens vont se quereller? » J’ai répondu : « Non, il y aura des votes et il y aura un résultat dans ce cas-là. »

L’honorable Clément Gignac [ + ]

Je voudrais saluer le travail de ma collègue la sénatrice Bellemare sur ce projet de loi. Je connais vos motivations pour protéger l’indépendance de la Banque du Canada et sa transparence. Vous savez que je partage vos objectifs. Je me questionne toutefois sur le moment qui a été choisi pour présenter votre projet de loi. À l’heure actuelle, tous les cinq ans, le ministère des Finances et la Banque du Canada s’assoient pour revoir le mandat de la banque. Grâce à votre intervention il y a deux ans, intervention que je salue, on a fait une petite allusion au marché du travail — pas autant que vous l’auriez souhaité, mais quand même.

La Banque du Canada agit comme un pompier à l’heure actuelle, comme le font plusieurs autres banques centrales, pour venir à bout de l’inflation, parce que les causes ne sont pas nécessairement le fait de cette dernière. Dans un contexte où les leaders politiques sont prêts à montrer la porte au gouverneur actuel, ne croyez-vous pas que le fait de lancer ce débat à ce stade-ci — alors qu’on lutte fortement contre l’inflation, qui est un cancer important qui affecte les plus démunis — et de susciter cette réflexion au lieu d’attendre trois ans risque de perturber les marchés financiers? La politique va embarquer là-dedans, et l’indépendance de la Banque du Canada, qui vous est chère, tout comme elle l’est pour moi, sera remise en question. Toute la discussion sur la Banque du Canada va devenir politique et politisée.

Dans votre projet de loi, vous nommez six membres externes. Donc, le gouverneur du Banque du Canada et ses deux collègues seront en minorité autour de la table, puisque chacun a un vote égal, et seulement le tiers des votes ira au dirigeant de la Banque du Canada par opposition aux six autres bénévoles. Qui va piloter l’avion? Qui sera responsable quant aux décisions sur les taux d’intérêt qui touchent les Canadiens?

La sénatrice Bellemare [ + ]

Je vous remercie, sénateur Gignac, et je comprends votre préoccupation. En fait, vous avez posé deux questions. Je pense qu’il est trop tard pour attendre de mieux définir le cadre de la politique monétaire. Il y a trop de choses à faire. Dans cette optique, je pense que le Sénat est la meilleure institution pour entamer une réflexion rigoureuse et sage sur cette question. En analysant un projet de loi comme celui-ci, il y a beaucoup moins de risques de dérapage que si l’on posait la question dans son sens large. C’est pour cela que j’ai décidé d’arriver avec des points spécifiques à modifier dans la loi : pour empêcher les dérapages, populistes ou autres, qui pourraient se produire. L’Australie a justement créé un comité d’experts pour être en mesure de faire des changements dans un cadre rigoureux.

Quant à votre deuxième question sur le nombre de membres du comité de la politique monétaire, c’est une bonne question. Je suis ouverte aux discussions à ce sujet. C’est un début de négociation. C’est peut-être trop. Peut-être faudrait-il augmenter le nombre de sous-gouverneurs, ou garder le nombre de sous-gouverneurs tel qu’il est actuellement et avoir les six... Je me suis basée sur le modèle australien là-dessus, mais effectivement, on pourrait garder les six et ajouter les six, ou peut-être... En tout cas, la question pourrait être étudiée au comité pour voir ce que cela pourrait donner.

Je ne suis pas craintive par rapport à cette question. Au contraire, cela peut nous aider dans nos investissements à l’avenir.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ + ]

J’ai une question pour vous, madame la sénatrice. Je ne suis pas spécialiste de la politique monétaire, mais vous avez fait plusieurs fois référence à l’exemple australien. En ce moment, on se réfère souvent à l’Australie pour toutes sortes d’exemples. Dans ce cas-ci, est-ce que le fait d’avoir un mandat que vous jugez plus équilibré entre la prospérité et la lutte contre l’inflation a eu un impact mesurable sur la politique monétaire? Par exemple, en Australie, est-ce qu’on s’attaque un peu moins à l’inflation qu’au Canada en montant les taux d’intérêt? Est-ce qu’on est capable de voir si, effectivement, ce modèle a déjà eu une influence?

La sénatrice Bellemare [ + ]

Merci pour la question, sénatrice; c’est une excellente question. Malheureusement, je ne pourrais pas vous dire s’il y a eu un impact en Australie.

Par contre, ce que je peux vous dire, c’est qu’aux États-Unis, il y a eu un impact, de toute évidence. Les États-Unis ont également un double mandat, soit la stabilité des prix et le plein-emploi. D’ailleurs, Pierre Fortin a travaillé sur cette question et j’ai eu l’honneur et la possibilité de m’entretenir avec Janet Yellen, qui a été gouverneure de la Réserve fédérale juste avant d’être nommée secrétaire au Trésor par le président Biden. Elle m’a dit que cela pourrait expliquer pourquoi, dans les années 1980 et 1990, le taux de chômage était souvent beaucoup plus élevé au Canada qu’aux États-Unis.

Personnellement, j’ai étudié cette question dans un livre que j’ai publié, mais qui n’a pas été mis à jour pour ce qui est de la période des années 1980 et 1990. Il est clair que le Canada, à cause de la sévérité de sa politique monétaire, n’a pas augmenté sa productivité autant qu’il l’aurait pu, mais je n’ai pas fait de régression d’analyse de cette nature. J’ai comparé des statistiques entre pays qui avaient de doubles mandats et j’ai étudié la question de la rigueur du Canada. Pour ce qui est de l’Australie, je ne peux pas vous répondre. Merci.

L’honorable Pierrette Ringuette [ + ]

Sénatrice Bellemare, merci encore d’éveiller notre imagination et de provoquer des discussions sur la Banque du Canada. Vous vous souviendrez qu’il y a quelques mois, j’ai demandé au gouverneur de la Banque du Canada, lors de son passage à notre comité, qui il consultait. Il a répondu qu’il consultait plusieurs sociétés d’État et plusieurs comités interministériels pour recueillir le maximum d’information.

Étant donné le caractère évolutif de l’économie, que ce soit à cause de la pandémie, des chaînes d’approvisionnement ou de l’environnement, est-ce que vous croyez bon que ce comité consultatif soit un comité permanent? Ne devrait-il pas être plutôt formé de membres ad hoc, afin d’aller chercher des experts là où la situation géopolitique ou économique le demande?

La sénatrice Bellemare [ + ]

Merci pour la question. Je pense que ce devrait être un comité permanent avec un mandat renouvelable de trois ans pour les membres, afin de leur permettre de bien plonger dans les dossiers. Dans le projet de loi, il est prévu que les experts choisis soient capables de démontrer une compétence exceptionnelle dans deux des cinq domaines suivants : le marché du travail, la macroéconomie ouverte, les chaînes d’approvisionnement, le système financier et la gestion des risques. Ce sont des compétences importantes, mais qui sont issues d’horizons différents.

Revenons sur la transparence. Dans votre question, le gouverneur se base, comme il l’a dit, sur une statistique dont on ne connaît pas la précision, soit l’inflation fondamentale. On nous explique que c’est une mesure fabriquée au moyen de laquelle on enlève les éléments du panier qui sont les plus volatils. Au bout du compte, qu’est-ce que c’est, l’inflation fondamentale?

Ce sont des questions qu’un comité permanent pourrait examiner pour les expliquer aux gens par la suite, et cela créerait de la confiance par rapport à ce que fait la banque.

Le sénateur Gignac [ + ]

Je ne veux pas prendre trop de temps ici, et nous aurons l’occasion d’en reparler. Sénatrice Bellemare, j’aimerais revenir sur la transparence. Je vous trouve un peu sévère sur la question de la transparence à l’égard de la Banque du Canada. Je vois parfois une différence entre la gouvernance et la transparence. En ce qui concerne la gouvernance, il ne fait aucun doute que cela nous appartient à nous, législateurs, ainsi qu’au ministère des Finances, de décider du mandat de la Banque du Canada.

Sur la question de la transparence, j’ai moi-même, au cours de mes dernières décennies comme gérant d’estrade d’économiste en chef, vu l’évolution de la transparence au sein de la Banque du Canada. Maintenant, il y a des rapports sur la politique monétaire tous les trois mois, et on a même le procès-verbal, par exemple. Même le Fonds monétaire international a mentionné, en septembre dernier, que la Banque du Canada représente une référence en matière de transparence et que ses pratiques sont globalement conformes aux pratiques élargies et complètes, comme elles sont définies par le Code de transparence des banques centrales.

À part le fait que les gens autour de la table divulgueront la teneur de leur vote, qu’est-ce qui ferait que tout serait plus transparent avec son comité permanent de la politique monétaire que cela ne l’est en ce moment? Il est entendu qu’il y a déjà un rapport sur la politique monétaire tous les trois mois et qu’il y a des allocutions du gouverneur qui vient témoigner devant le Comité sénatorial permanent des banques; il fait la même chose à la Chambre des communes. Donc, à part le fait d’avoir des gens de l’externe qui vont divulguer la teneur de leur vote, un peu comme le fait la Réserve fédérale en ce moment, qu’est-ce que votre projet de loi sur la transparence de la Banque du Canada amènera de plus?

La sénatrice Bellemare [ + ]

Merci beaucoup de votre question. En effet, le Fonds monétaire international a publié, ou publie, un code de transparence depuis 2020, qui est très rigoureux. Le FMI a analysé la Banque du Canada, et, dans son rapport, surtout au début, il applaudit la banque... Oui, la banque fait des efforts de communication; elle communique beaucoup avec le Canada et elle est transparente en ce qui concerne ses objectifs. Par contre, le Fonds monétaire international a admis également que la banque pourrait être plus transparente dans l’analyse des résultats de la politique et dans le suivi des indicateurs.

C’est là où j’en suis. Je pense que la politique monétaire n’est pas une relation unique entre les taux d’intérêt et l’inflation. Il y a un ensemble de possibilités et de combinaisons; il y a aussi un ensemble de stratégies qui pourraient être adoptées. Je pense qu’il serait utile, même pour la Banque du Canada, de mesurer les coûts et les avantages de ses choix, de connaître les impacts financiers pour les familles et pour les entreprises et de savoir quelles sont les conséquences de toutes ces décisions sur l’investissement et, à terme, sur la productivité.

C’est là où j’en suis. Je pense que le gouverneur et son équipe font un travail incroyable de communication; on les voit partout, ils font des conférences, ils produisent des documents. Pourtant, est-ce qu’on sait si la politique atteindra vraiment des résultats? Sur ce plan, il y a des doutes qui s’installent. J’ai moi-même des doutes, mais je ne veux pas en parler maintenant et ce n’est pas l’objet de mon projet de loi. Mon projet de loi vise à permettre au doute de s’installer et d’appeler à la prudence.

Je crois que le Canada a intérêt à faire cela. Le Canada est un grand pays, mais il doit combler des retards sur bien des plans. La politique monétaire est la condition nécessaire à la prospérité du pays. On ne peut pas jouer au yo-yo avec les taux d’intérêt, comme un individu ne peut pas jouer au yo-yo avec les médicaments qu’il prend pour contrôler sa tension artérielle. Il faut faire preuve de prudence.

Voilà donc quel serait le rôle du comité. Je me demande comment ils font, à la banque, pour réussir à dormir la veille de l’annonce du taux directeur. J’en serais incapable. Comme économiste connaissant l’impact du taux directeur dans la vie de tout le monde, je trouve que c’est une responsabilité bien trop importante pour être laissée à une seule personne, et je crois qu’avoir un comité bien balancé et bien équilibré aiderait beaucoup. Ce n’est pas une panacée, mais cela aiderait.

L’honorable Tony Loffreda [ + ]

Merci, sénatrice Bellemare, de votre discours et de votre projet de loi.

Dans le monde entier, l’indépendance des banques centrales suscite de plus en plus d’inquiétudes. Ne craignez-vous pas que votre proposition compromette davantage cette indépendance et brouille ainsi la distinction entre la politique budgétaire et la politique monétaire?

La sénatrice Bellemare [ + ]

Je tenterai de vous répondre en anglais. Ma proposition prévoit la possibilité de coordonner les politiques budgétaires et monétaires. Que cela nous plaise ou non, la politique monétaire influe sur la politique budgétaire parce qu’elle augmente le service de la dette. Parallèlement, la politique budgétaire a également une incidence sur la politique monétaire.

Ainsi, en participant à titre d’observateur au comité de la politique monétaire, le sous-ministre des Finances pourra coordonner efficacement avec les experts du comité les politiques budgétaires et monétaires afin de juguler l’inflation tout en conservant une indépendance complète et en évitant la politique partisane. Lorsqu’on affirme que la banque doit être indépendante, de quoi la veut-on indépendante? Elle doit être indépendante des partis politiques au pouvoir de sorte qu’elle n’agisse pas de manière partisane.

On peut s’attendre à davantage d’indépendance s’il existe un comité de la politique monétaire. En effet, il renforce l’indépendance de la banque tout en multipliant les décisions stratégiques possibles. Il s’agit d’une innovation en matière d’ingénierie sociale ou économique dans un pays qui a vraiment besoin d’innovation.

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