Projet de loi sur la protection financière pour les producteurs de fruits et légumes frais
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
10 décembre 2024
Honorables sénateurs, je suis très reconnaissant d’avoir l’occasion de discuter du projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables), à l’étape de la troisième lecture.
Bien des observations ont été formulées, et un débat vigoureux s’en est suivi. Bien que les opinions soient partagées, nous sommes tous unis dans notre conviction qu’il faut viser un traitement plus juste pour les agriculteurs canadiens. Les amendements que j’ai proposés au Comité des banques étaient réfléchis et conçus pour remédier aux lacunes inhérentes du projet de loi dans sa forme initiale. Bien que le Sénat les ait rejetés, je respecte le processus démocratique qui gouverne nos discussions.
La démocratie au Canada est le témoignage de notre résilience institutionnelle. Elle nous met à l’épreuve, mais elle nous permet d’examiner et de respecter nos points de vue respectifs, même quand nos passions nous entraînent dans des échanges houleux.
J’ai plaidé en faveur des modifications qui, à mon avis, amélioreraient le projet de loi C-280 et donneraient de meilleurs résultats pour les agriculteurs, mais d’autres sénateurs ont prôné avec la même ardeur l’adoption du projet de loi non amendé. Que l’on estime qu’il s’agit d’une initiative louable qui permettra d’atteindre les objectifs visés ou d’une initiative malavisée qui menace l’équilibre délicat du régime de la faillite au Canada, le débat s’est déroulé dans le respect des libertés d’expression et de vote qui nous tiennent à cœur.
Compte tenu des événements en cours dans le monde, nous devrions être fiers de ce privilège démocratique. L’essence véritable de notre pays réside non pas dans le côté que nous choisissons lors d’un vote, mais dans notre capacité de débattre des amendements proposés et d’exercer librement notre droit de vote. C’est le principe qu’il vaut la peine de protéger et de célébrer.
Mon analyse du texte original du projet de loi C-280 n’a pas changé. Il est devenu de plus en plus manifeste que ses dispositions ont été mal définies, et je reste convaincu que les agriculteurs ont besoin d’une véritable protection et que le projet de loi, tel qu’il a été initialement présenté, ne donne pas cette garantie.
Cependant, je suis confronté à un dilemme : voter contre le projet de loi non amendé irait à l’encontre de mon engagement personnel à défendre les agriculteurs. En effet, je soutiens que le projet de loi non amendé obligerait le secteur agricole canadien à adopter une position plus ferme face aux défis qui se présentent à lui et à la nécessité de se protéger de façon proactive des mauvais acteurs.
C’est la seule façon d’éviter que les agriculteurs d’ici se retrouvent devant un tribunal de la faillite. Pour que la réciprocité soit ancrée dans nos relations commerciales avec les États-Unis, les agriculteurs canadiens doivent remédier aux lacunes structurelles de ce cadre. Le Sénat n’est peut-être pas l’endroit indiqué pour cette discussion, mais le renforcement des normes réglementaires, la prise en compte des questions d’atténuation du crédit et la mise en place de mécanismes d’autorégulation sont autant d’éléments indispensables à la réussite d’un accord réciproque avec les États-Unis.
En conclusion, il est de notre devoir de veiller à ce que les voix des agriculteurs d’ici soient entendues, que leurs intérêts soient protégés et qu’un cadre qui reconnaît leurs contributions vitales à notre économie soit établi. Je voterai donc en faveur des agriculteurs.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-280, à l’étape de la troisième lecture, pour parler des répercussions de son adoption sans amendement.
Le rejet du rapport du comité est regrettable, car nous nous retrouvons avec un projet de loi non amendé même s’il comporte de graves lacunes. Cependant, ce nouveau départ est source de clarté et nous oblige à examiner attentivement ce que nous devons faire avec un projet de loi qui ne règle pas le problème qu’il est censé régler tout en créant une toute nouvelle série de problèmes.
Malgré ce qu’en disent ses défenseurs, le projet de loi C-280 n’assure pas la réciprocité avec les États-Unis en ce qui concerne le traitement des créances impayées de fournisseurs de fruits et de légumes périssables. Je ne doute aucunement que les Américains aimeraient que le Canada mette en place une structure semblable à une fiducie réputée qui serait l’équivalent de leur Perishable Agricultural Commodities Act, mais comme le sénateur Varone l’a souligné, les différences entre le projet de loi C-280 et la Perishable Agricultural Commodities Act sont importantes et nous donnons un coup d’épée dans l’eau avec ce projet de loi.
L’assentiment donné à ce projet de loi par quelques législateurs américains qui ne l’ont pas examiné en détail est loin d’être une garantie de réciprocité. Il est vrai que le projet de loi tel qu’amendé n’aurait pas non plus permis la réciprocité, mais le sénateur Varone n’a pas promis que tel serait le cas. Il essayait d’améliorer un projet de loi mal conçu et d’en réduire les préjudices.
Si vous êtes surtout préoccupé par la question de la réciprocité, ce qui est l’intention du projet de loi, vous aurez eu raison de voter contre le rapport du comité, parce que l’amendement n’aurait pas réglé le problème de la réciprocité. Cependant, selon la même logique, vous devriez aussi voter contre le projet de loi non amendé, car c’est également peu probable qu’il assure la réciprocité pour les fournisseurs canadiens de fruits et légumes frais.
Le mieux que les partisans du projet de loi puissent dire, c’est qu’aucune autorité américaine n’a affirmé de façon définitive que le projet de loi ne donnerait pas lieu à de la réciprocité. Certains diront que, même face à l’incertitude entourant les garanties américaines, nous devrions tout de même adopter ce projet de loi parce que, eh bien, lancer quelque chose à l’aveuglette serait mieux que de ne rien lancer du tout. Toutefois, le problème lorsqu’on lance des choses à l’aveuglette c’est que l’on ne sait pas qui on atteindra. Dans le cas du projet de loi C-280, il pourrait y avoir beaucoup de victimes innocentes qui seraient atteintes d’un dur coup financier.
En vertu de ce projet de loi, les fournisseurs de fruits et légumes périssables auraient la priorité sur les retraités, les travailleurs d’autres groupes vulnérables, y compris certains agriculteurs et pêcheurs. Une telle priorisation perturbe fondamentalement la hiérarchie des obligations qui doivent être équilibrées en cas d’insolvabilité. Le projet de loi C-280 rompt cet équilibre, créant de l’incertitude sur le marché du crédit et causant presque certainement des litiges coûteux pour les raisons que le sénateur Cotter et d’autres ont expliquées.
La création d’une catégorie de super-priorité pour les producteurs de fruits et légumes pourrait faire augmenter le coût du crédit tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Il ne faut pas oublier que les producteurs ne construisent pas des maisons ou des bateaux que les institutions financières peuvent saisir et donc prendre en compte dans leurs calculs du crédit.
Il ne faut pas oublier non plus que la catégorie de super-priorité n’inclut que les fournisseurs dont les fruits et légumes périssables :
[...] sont réemballés ou transformés par l’acheteur sans qu’en soit changée leur nature.
Elle n’inclut pas les fournisseurs de services d’emballage, de transport, de courtage, d’entreposage, de publicité et d’autres services auxiliaires liés à la livraison de fruits et de légumes frais de la ferme à la table, pour ainsi dire, qui font partie de la chaîne d’approvisionnement élargie. En quoi est-ce équitable pour ces fournisseurs de biens et de services?
Le fait que le projet de loi C-280 perturbera le consensus social sur la question de savoir qui doit avoir la priorité dans le règlement des créances en cas d’insolvabilité est déjà assez déplorable, mais il est encore plus déplorable que nous le fassions sans parvenir à obtenir la réciprocité que ce projet de loi cherche à acquérir.
Si nous adoptons ce projet de loi et qu’il s’avère que nous ne sommes pas plus près d’obtenir la réciprocité de la part des Américains, que pensez-vous qu’il adviendra du projet de loi C-280 ? Pensez-vous qu’un futur Parlement cherchera à abroger ces dispositions pour rétablir l’équité dans la hiérarchie des créanciers? À mon avis, c’est très peu probable, car on sait à quel point il est difficile de se débarrasser de lois mal conçues ou désuètes.
Si vous pensiez que les efforts de lobbying du secteur des fruits et légumes périssables pour le projet de loi C-280 étaient impressionnants, attendez de voir ce qui arrivera si nous tentons de l’annuler parce qu’il n’est pas adéquat.
La question que nous devrions poser dans le cadre de ce débat à l’étape de la troisième lecture est la suivante : pourquoi aller de l’avant avec un projet de loi imparfait qui, on le sait, causerait des dommages collatéraux à d’autres segments de la société, alors que nous pourrions plutôt aborder le problème de la réciprocité d’une manière plus systématique et organisée?
Certains de mes honorables collègues affirment que nous devrions adopter le projet de loi C-280 sans amendement à cause de la menace imminente qui plane sur l’accès aux marchés avec le retour de Donald Trump à la présidence.
En fait, ils soutiennent que nous devrions devancer l’examen de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, ou ACEUM, prévu pour 2026, en proposant un projet de loi sur la réciprocité dès maintenant, même si nous ne sommes pas sûrs qu’il aboutira. Comme dans le cas d’un autre projet de loi très imparfait, le projet de loi C-282 sur les industries soumises à la gestion de l’offre, la prise d’une mesure préventive par l’intermédiaire du projet de loi C-280 serait une bourde stratégique de notre part. Pourquoi renoncerions-nous à une monnaie d’échange avant même d’avoir à l’utiliser? Plutôt que de nous précipiter pour mettre en œuvre une mesure imparfaite, nous devrions profiter du prochain examen en 2026 pour négocier une solution globale et définitive au problème de réciprocité.
Alors que nous fonctionnons en ce moment en fonction des clins d’œil et des hochements de tête des Américains et de beaucoup de suppositions de notre part, nous pourrions, dans le cadre d’une révision en bonne et due forme de l’accord commercial canado‑américain, présenter carrément la réciprocité comme un différend que les deux parties veulent résoudre et atteler à la tâche les autorités en matière d’agriculture et de finances de nos deux pays. Cela permettrait d’adopter une approche bilatérale réfléchie et délibérée pour résoudre ce problème plutôt que d’adopter cette approche unilatérale provenant d’un projet de loi émanant d’un député.
Pour ceux d’entre nous qui s’opposent au projet de loi C-280, l’adoption du rapport avec un amendement aurait suffi à ce qu’il soit adopté avec dissidence à l’étape de la troisième lecture. Les détracteurs de cette approche diraient qu’il s’agit d’une tentative déguisée de torpiller le projet de loi.
Pour moi, il s’agit plutôt d’une discussion entre la Chambre haute et la Chambre basse. La discussion s’arrêtera si un projet de loi amendé ne voit pas le jour à l’autre endroit, mais les idées de bonne foi proposées par le Sénat — dans ce cas-ci, le sénateur Varone et les membres du Comité des banques — pourront se retrouver dans une version future, meilleure, du projet de loi. C’est un geste tout à fait légitime de la part de notre institution, et il ne faut pas le décrier.
Cependant, chers collègues, il est trop tard.
Ce que nous avons devant nous, c’est le projet de loi C-280 complètement intouché. Si nous avons été rassurés par le projet de loi amendé, nous devrions être horrifiés qu’il soit revenu à sa forme initiale. Pour ceux qui se sentent comme moi, la seule question qu’il reste à se poser est de savoir si nous avons le droit de le rejeter.
La réponse est un « oui » sans équivoque. Notre droit constitutionnel de rejeter des projets de loi est inconditionnel, même s’il est guidé par des conventions et tempéré par la pratique.
J’accepte une certaine version de la convention de Salisbury, qui nous oblige à nous pincer le nez lorsque nous approuvons des projets de loi imparfaits qui répondent à une promesse électorale du gouvernement en place. Je reconnais également que nous devrions être très réticents à défaire les projets de loi du gouvernement qui ne correspondent pas à une promesse électorale, sous réserve des mises en garde constitutionnelles habituelles, bien sûr.
La mesure législative à l’étude n’a toutefois rien à voir avec ces deux critères élevés. Le projet de loi C-280 est un projet de loi d’initiative parlementaire qui a pu passer en douce à la Chambre des communes grâce au dysfonctionnement d’un gouvernement minoritaire. C’est précisément dans ce genre de circonstances que nous devrions, d’une part, être plus vigilants et, d’autre part, être moins tolérants à l’égard d’une mesure législative bancale.
Ce n’est un secret pour personne que l’autre endroit est actuellement en plein désarroi. Il s’y accomplit peu de travail législatif et le débat à la Chambre est un défilé détestable d’injures, d’apartés méchants et d’autopromotion. Depuis le début de la législature actuelle, les réalisations législatives du gouvernement sont au mieux modestes, et l’opposition fait tout ce qu’elle peut pour qu’il en soit ainsi.
Dans ces circonstances, je pense que le gouvernement soutient certains projets de loi d’initiative parlementaire dans le but d’étoffer ses réalisations législatives au cours de la 44e législature, même si ces mesures n’ont pas été soumises à la rigueur d’un examen ministériel. Cet effort reflète un certain désespoir, voire un certain cynisme.
Peut-être le gouvernement compte-t-il sur une future législature pour corriger les défauts de ces mesures. Peut-être agit-il dans l’espoir qu’un autre gouvernement devra remédier à ces défauts. C’est du cynisme au carré, mais nous pouvons au moins dire, dans ce cas, que le gouvernement et l’opposition sont, de leur plein gré, partenaires dans cette danse macabre.
Vous rappelez-vous ce que la Cour suprême a dit au sujet du rôle de la Chambre haute? Elle a déclaré ceci :
Les rédacteurs ont cherché à soustraire le Sénat au processus électoral auquel participaient les députés de la Chambre des communes, afin d’écarter les sénateurs d’une arène politique partisane toujours soumise aux impératifs des objectifs politiques à court terme.
Chers collègues, cela nous rappelle non seulement à quel point nous sommes fondamentalement différents de l’autre endroit, mais aussi qu’il faut faire preuve de courage dans l’exercice de nos fonctions.
Voici où je veux en venir : bien que nous devrions toujours être conscients de notre rôle de Chambre complémentaire de second examen objectif, il est encore plus important de faire un examen objectif, étant donné le dysfonctionnement du gouvernement minoritaire. S’opposer à un projet de loi d’initiative parlementaire qui comporte des lacunes flagrantes, même si celui-ci a l’appui du gouvernement, ne revient pas à contrevenir à la convention de Salisbury.
Bien sûr, si vous pensez qu’il s’agit d’un bon projet de loi, vous devriez l’appuyer, mais si vous pensez, comme moi, qu’il comporte de graves lacunes, vous ne devriez pas hésiter un seul instant à le rejeter à l’étape de la troisième lecture.
En résumé, le projet de loi C-280 ne réglera pas le problème de la réciprocité. Cependant, il perturbera l’équilibre des priorités dans les cas d’insolvabilité et laissera pour compte des groupes importants de Canadiens, y compris les Canadiens vulnérables. Si nous adoptons ce projet de loi, il sera très difficile de revenir en arrière, même si la réciprocité promise ne se concrétise pas.
Il existe une meilleure façon de négocier la réciprocité, soit lors de la prochaine révision de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, à laquelle les autorités compétentes du Canada et des États-Unis participeront pleinement. Si vous adhérez à cette analyse, vous devriez rejeter les arguments fallacieux visant à nous intimider pour que nous votions pour le projet de loi. Au contraire, vous devriez choisir la seule option qu’il nous reste pour ce projet de loi boiteux, c’est-à-dire le rejeter.
Comme les fruits et les légumes, ce projet de loi a une durée de vie limitée, et celle-ci tire à sa fin. Que notre responsabilité de concevoir de bonnes politiques publiques ne disparaisse pas, mais que le projet de loi C-280, lui, disparaisse. Merci.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur la Présidente : À mon avis, les oui l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Le vote aura lieu à 21 h 36.
Convoquez les sénateurs.