Comment une vénérable icône du Sénat a été mise au placard
Pendant sept décennies, le sac de laine a occupé l’avant-scène de la Chambre rouge lors des cérémonies d’ouverture du Parlement en tant que symbole des liens du Sénat avec le pouvoir judiciaire, la Couronne et le bien-être de la nation. Fait ironique, l’élimination du sac de laine — qui se trouve maintenant dans un entrepôt à Gatineau, au Québec — est en partie attribuable à un sénateur.
De nos jours, si vous regardez la diffusion de l’ouverture du Parlement, vous pourrez apercevoir les neuf juges de la Cour suprême du Canada qui occupent des sièges ordinaires dans l’allée centrale de la Chambre du Sénat. Ils font face à l’estrade d’où le gouverneur général — et, à l’occasion, la Reine —lit le discours du Trône.
Mais jusqu’en 1949, les sept juges qui composaient la Cour suprême s’assoyaient sur un grand coussin rembourré : le sac de laine. Il s’agissait incontestablement d’un meuble peu conventionnel, dur, bosselé et usé, doté d’un dossier rudimentaire, sans accoudoirs ni pieds.
Une tradition bien ancrée
La pratique en vertu de laquelle les juges de la Cour suprême du Canada siègent dans la Chambre du Sénat pour l’ouverture du Parlement est ancrée dans la tradition parlementaire britannique. Les juges nommés à la Chambre des lords du Royaume-Uni ont formé un comité qui a servi jusqu’en 2009 de tribunal de dernière instance du pays, une Cour suprême de facto.
Au Parlement britannique à Westminster, il reste deux sacs de laine : un pour le lord président (l’équivalent du Président du Sénat canadien) et un autre, appelé sac de laine des juges, pour les lords juristes.
Origines du sac de laine
Le sac de laine existe depuis des siècles.
Le roi Édouard III, qui a régné dans les années 1300 et a présidé à la séparation de la Chambre des communes et de la Chambre des lords, a décrété que son ministre en chef, le lord chancelier, devait s’asseoir sur une boule de laine lorsque le Parlement siégeait. Il ne s’agissait pas d’une mauvaise volonté. Cela symbolisait l’importance du commerce de la laine pour l’économie de l’Angleterre au Moyen Âge.
Au cours des siècles suivants, le Parlement a évolué de façon à représenter une tranche plus large de la population britannique, et des juges ont rejoint ses rangs. Pour démontrer qu’ils restaient impartiaux, ils s’assoyaient sur un sac de laine au centre de la Chambre des lords, plutôt que sur les bancs des partis situés à gauche et à droite.
Pendant des décennies, le sac de laine du Sénat a joué son propre rôle symbolique, mais, au moment où le Canada est sorti de la Seconde Guerre mondiale, le sac avait perdu son utilité. L’élargissement des pouvoirs de la Cour suprême du Canada a joué un rôle, tout comme la campagne concertée menée par un parlementaire déterminé.
« Chose du passé »
En 1949, la Cour suprême a été dotée de nouveaux pouvoirs. Depuis sa création, en 1875, elle servait de tribunal de dernière instance du Canada, mais ses décisions pouvaient toujours être portées en appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé de la Grande-Bretagne (qui, en 1929, a proclamé que les femmes étaient des « personnes »). En 1949, la Cour suprême est devenue le tribunal de dernière instance au Canada, rompant ainsi les derniers liens officiels du Canada avec la Chambre des lords de la Grande-Bretagne.
À la même époque, le député québécois Jean-François Pouliot, qui est ensuite devenu sénateur, a mené une campagne pour l’élimination du sac de laine.
Pouliot, célèbre pour son esprit et son éloquence, a qualifié le sac de laine de vestige de l’Angleterre médiévale, dont la pertinence pour le Canada était de plus en plus réduite.
Sa forme étrange, a-t-il soutenu, forçait les juges à s’étaler « comme des enfants ».
« La première chose à faire, sitôt après l’adoption du présent projet de loi qui tend à faire de la Cour suprême le tribunal de dernière instance, » a-t-il déclaré à la Chambre des communes en 1949, « serait de se dispenser du sac de laine ».
Sept ans plus tard, en tant que sénateur, il a déclaré que le sac de laine « était chose du passé ».
« Il devait disparaître dès que le Conseil privé ne serait plus saisi des appels du Canada et que la Cour Suprême deviendrait notre tribunal de dernière instance. C’est ce qui est arrivé et l’on me dit que le sac de laine se trouve maintenant dans le grenier poussiéreux de cette Chambre, où lentement le mites le rongent. »
Pouliot a dû être mal informé. Le sac de laine, qui n’a absolument pas été rongé, est entre les mains compétentes de l’équipe des Services du patrimoine et de la conservation du Sénat, qui a récemment découvert un secret centenaire dans le tableau d’ancienneté du Sénat. Le sort final du sac de laine demeure toutefois inconnu.
Le sort du postérieur des juges est beaucoup moins incertain.
En 1953, à l’ouverture du Parlement, le premier gouverneur général du pays né au Canada, Vincent Massey, a été nommé et la Cour suprême est devenue indépendante. Les caméras de télévision ont filmé neuf juges de la Cour suprême confortablement assis sur des sièges conventionnels à dossier dur.
Pouliot a dû être soulagé.
Et les juges aussi.
Le gouverneur général, Lord Tweedsmuir, lit le discours du Trône lors de l’ouverture de la troisième session de la 18e législature du Canada, en 1938. Directement devant lui, les juges de la Cour suprême du Canada sont assis sur le sac de laine. (Crédit photo : Bibliothèque et Archives Canada)Lors de l’ouverture du 22e Parlement, en 1953, un groupe élargi de neuf juges de la Cour suprême est assis sur des chaises à dossier dur. (Crédit photo : Bibliothèque et Archives Canada)