« Ne pas voir l’horloge » et autres traditions insolites au Sénat
Par une soirée fraîche du printemps, les sénateurs du Canada discutaient passionnément du projet de loi C-45, qui légaliserait et réglementerait la distribution du cannabis.
Il s’agissait de l’une des nombreuses propositions importantes de politique publique qu’étudient les sénateurs chaque année.
Mais avant de mettre aux voix la deuxième lecture du projet de loi, George J. Furey, Président du Sénat, a posé la question suivante : « Honorables sénateurs, est-il convenu que nous ne voyons pas l’horloge? »
Lorsque le Président demande aux sénateurs s’ils sont d’accord pour « ne pas voir l’horloge », il leur demande en fait s’ils sont prêts à ne pas faire la pause habituelle en soirée avant de conclure les affaires de la journée.
Une règle exige en effet que le Sénat, ou un comité plénier, suspende sa séance à 19 h pour la reprendre à 20 h.
Toutefois, si les affaires courantes ne sont pas terminées à 19 h, le Président demande aux sénateurs s’ils sont d’accord pour ne pas voir l’horloge. S’ils acceptent à l’unanimité, le débat se poursuit. Cependant, si un seul sénateur refuse, le Président doit se lever et la séance est suspendue jusqu’à 20 h.
Il s’agit de l’une des traditions qui régissent le fonctionnement du Sénat. Certaines figurent dans les règles, alors que d’autres sont informelles.
Par exemple, durant une séance de la Chambre, les sénateurs sont autorisés à s’adresser les uns aux autres directement, ce qui contraste fortement avec la Chambre des communes, où les députés doivent faire des déclarations ou poser des questions par l’intermédiaire du Président. C’est pourquoi les députés emploient souvent l’expression « Monsieur le Président » durant leurs discours, ce qui sert à rappeler que même si leur commentaire peut être destiné à un autre député, il est exprimé officiellement au Président.
À propos de la Chambre des communes, les sénateurs n’en parlent pas traditionnellement en l’appelant par son nom — du moins dans leur propre chambre. Ils préfèrent appeler la Chambre basse du Parlement l’« autre endroit ».
Par exemple, quand les sénateurs font référence à un projet de loi en cours de débat à la Chambre des communes, ils emploient souvent l’expression « ayant été présenté à l’autre endroit ». Ils peuvent aussi parler des députés comme des « membres de l’autre endroit ».
Cette tradition semble ancrée dans la nécessité de modérer les relations parfois tendues entre les deux Chambres, aidant ainsi à empêcher toute remarque irrévérencieuse au sujet de l’autre institution.
La tradition va dans les deux sens. Les membres de la Chambre des communes mentionnent souvent le Sénat comme l’« autre endroit ». De même, les sénateurs et les députés ont tendance à parler de leur propre chambre comme « cet endroit ».
Toute institution aussi imprégnée de traditions que le Sénat a forcément ses propres coutumes insolites, mais après plus de 150 ans, elles font partie intégrante des affaires courantes, et on tient à les conserver.