Aller au contenu

Cessons de traiter la terre comme de la saleté : sénatrice Simons

De gauche à droite, les sénateurs Sharon Burey, Robert Black et Paula Simons s’accroupissent dans un champ et mettent leurs mains dans la terre.

Étiquettes

En Alberta, la plupart des événements publics commencent désormais par une reconnaissance du territoire – un rappel pertinent, parfois percutant, du fait que notre province est sise sur le territoire traditionnel des nations autochtones qui ont été les premières à s’y établir. J’aimerais entamer cette chronique par une autre forme de reconnaissance des terres. Je tiens à reconnaitre les terres elles-mêmes où nous nous trouvons, le sol qui fait vivre nos forêts boréales, nos prairies, nos cultures, nos jardins. Je souhaite que nous reconnaissions la couche fragile et essentielle de terre arable qui est la plus grande ressource naturelle de l’Alberta.

Le Canada est immense. Mais, seulement 5 à 7 % de son territoire est constitué de terres agricoles de qualité, propices à la culture. Un tiers de ces terres, soit 20 millions d’hectares, se trouve en Alberta. La présence des montagnes à l’ouest et des fondrières au nord-est signifie qu’une bonne partie de l’Alberta n’est pas cultivable. Pourtant, cela n’a pas empêché le sacrifice de quelque 52 000 hectares de terres agricoles de premier choix entre 2011 et 2020, principalement pour faire place à des infrastructures urbaines et à des projets résidentiels.

Nous asphaltons notre terre arable. Plus encore, nous la polluons, l’empoisonnons, la surexploitons, la compactons et la laissons se disperser. Nous pensons peut-être que la terre ne manque pas. La plupart d’entre nous la tiennent pour acquise ou se préoccupent davantage de la qualité de l’eau ou de l’air que de la qualité du sol sous nos pieds. Pourtant, la riche couche arable, celle où s’enracinent nos cultures et nos arbres, est relativement mince.

Ce ne sont pas que les cultures qui souffrent de la dégradation de cette couche. Un sol sain filtre, purifie et retient l’eau. Il est plus résistant à la sécheresse et à l’érosion, et absorbe mieux l’eau en cas d’inondation. C’est un puits de carbone naturel, essentiel à nos efforts pour ralentir les effets du changement climatique. De plus, le sol abrite plus de 25 % de la biodiversité de la planète, un gramme de sol sain et vivant contenant plus de 40 000 organismes différents, des organismes essentiels aux processus biogéochimiques qui rendent possible toute vie sur terre.

Le 6 juin 2024, le Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts a publié une vaste étude sur la santé des sols au Canada et sur l’importance d’un sol sain pour la séquestration du carbone. Pendant près de deux ans, notre comité a entendu des centaines de témoins experts : des agriculteurs et des agronomes, des professeurs de foresterie et des géologues, des microbiologistes et des éleveurs, des groupes environnementaux et des financiers qui tentent de créer des marchés du carbone viables, des horticulteurs et des défenseurs des Premières Nations, des entreprises de compostage et des fabricants d’engrais. 

Nous avons assisté à des conférences sur la santé des sols. Nous avons visité des fermes et des ranchs en Ontario, en Saskatchewan et en Alberta, et nous nous sommes rendus à l’Université de Guelph, à l’Université de Saskatchewan et au Olds College. Nous avons creusé la question, épluché des documents, foulé le terrain et pris la pleine mesure de la situation.

Nous avons appris que les agriculteurs et les éleveurs des Prairies ont été les premiers à adopter des techniques régénératrices innovantes : ils ont cessé de labourer leurs champs, ont commencé à pratiquer la culture intercalaire en plantant deux cultures différentes dans le même champ, ont transformé des terres cultivées peu productives en pâturages pour le bétail, ont adopté le pâturage stratégique en rotation ou ont utilisé la cartographie précise des sols pour réduire l’utilisation d’engrais azotés. Toutefois, nous avons aussi appris qu’il fallait en faire davantage pour récompenser les pionniers qui prennent des risques et pour inciter les plus réticents à prendre le train en marche.

Nous avons constaté que la plupart des provinces, y compris l’Alberta, sont peu avancées en matière de recherche sur les sols, malgré des innovations prometteuses dans les technologies de cartographie des sols. Nous avons appris qu’aucun organisme central ne rassemble les recherches et les données sur les sols à l’échelle nationale, pour permettre aux universitaires et aux agronomes canadiens d’apprendre les uns des autres. Les tentatives visant à créer des marchés du carbone viables n’ont pas encore porté leurs fruits, nous a-t-on indiqué. Et nous avons aussi appris des faits extrêmement inquiétants sur les menaces climatiques liées à la fonte du pergélisol et sur les menaces sanitaires liées à l’empoisonnement de nos sols par les hydrocarbures, les métaux lourds et les microplastiques.

recommande au gouvernement certaines mesures à prendre. Cependant, nous ne voulions pas publier un sermon ennuyeux qui prendrait la poussière sur la tablette d’un ministère. Nous espérons que notre rapport sera un appel à l’action, non seulement pour les agriculteurs et les éleveurs, mais aussi pour tous les Canadiens. Nous voulons inspirer tous ceux qui tiennent à disposer d’un approvisionnement durable en aliments sains et abordables, tous ceux qui ont à cœur la santé des forêts et des prairies, et tous ceux qui cherchent à atténuer les effets du changement climatique. Les Albertains sont les intendants de certains des sols les plus riches et les plus précieux au monde. Nous avons tous un rôle à jouer dans la protection et la préservation de ces terres.

Autrefois, nous étions conscients de notre dette. Le nom d’Adam, le premier homme de la Bible, est dérivé du mot hébreu signifiant « sol ». Le mot « humain » lui-même vient du latin humus, le sol. Les Cris, eux, ont leurs propres légendes, lesquelles évoquent une grande inondation et un courageux petit rat musqué qui a plongé dans les eaux profondes et est remonté à la surface avec une poignée de terre qui a permis de reformer le monde. Aujourd’hui, il nous faut, en tant qu’êtres humains, nous montrer aussi courageux et déterminés que cet infatigable rat musqué, et nous accrocher fermement à cette terre qui nous donne la vie.

La sénatrice Paula Simons représente l’Alberta et est la vice-présidente du Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts.

Cet article a été publié dans l’édition de juin 2024 du magazine Alberta Views (en anglais seulement).

En Alberta, la plupart des événements publics commencent désormais par une reconnaissance du territoire – un rappel pertinent, parfois percutant, du fait que notre province est sise sur le territoire traditionnel des nations autochtones qui ont été les premières à s’y établir. J’aimerais entamer cette chronique par une autre forme de reconnaissance des terres. Je tiens à reconnaitre les terres elles-mêmes où nous nous trouvons, le sol qui fait vivre nos forêts boréales, nos prairies, nos cultures, nos jardins. Je souhaite que nous reconnaissions la couche fragile et essentielle de terre arable qui est la plus grande ressource naturelle de l’Alberta.

Le Canada est immense. Mais, seulement 5 à 7 % de son territoire est constitué de terres agricoles de qualité, propices à la culture. Un tiers de ces terres, soit 20 millions d’hectares, se trouve en Alberta. La présence des montagnes à l’ouest et des fondrières au nord-est signifie qu’une bonne partie de l’Alberta n’est pas cultivable. Pourtant, cela n’a pas empêché le sacrifice de quelque 52 000 hectares de terres agricoles de premier choix entre 2011 et 2020, principalement pour faire place à des infrastructures urbaines et à des projets résidentiels.

Nous asphaltons notre terre arable. Plus encore, nous la polluons, l’empoisonnons, la surexploitons, la compactons et la laissons se disperser. Nous pensons peut-être que la terre ne manque pas. La plupart d’entre nous la tiennent pour acquise ou se préoccupent davantage de la qualité de l’eau ou de l’air que de la qualité du sol sous nos pieds. Pourtant, la riche couche arable, celle où s’enracinent nos cultures et nos arbres, est relativement mince.

Ce ne sont pas que les cultures qui souffrent de la dégradation de cette couche. Un sol sain filtre, purifie et retient l’eau. Il est plus résistant à la sécheresse et à l’érosion, et absorbe mieux l’eau en cas d’inondation. C’est un puits de carbone naturel, essentiel à nos efforts pour ralentir les effets du changement climatique. De plus, le sol abrite plus de 25 % de la biodiversité de la planète, un gramme de sol sain et vivant contenant plus de 40 000 organismes différents, des organismes essentiels aux processus biogéochimiques qui rendent possible toute vie sur terre.

Le 6 juin 2024, le Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts a publié une vaste étude sur la santé des sols au Canada et sur l’importance d’un sol sain pour la séquestration du carbone. Pendant près de deux ans, notre comité a entendu des centaines de témoins experts : des agriculteurs et des agronomes, des professeurs de foresterie et des géologues, des microbiologistes et des éleveurs, des groupes environnementaux et des financiers qui tentent de créer des marchés du carbone viables, des horticulteurs et des défenseurs des Premières Nations, des entreprises de compostage et des fabricants d’engrais. 

Nous avons assisté à des conférences sur la santé des sols. Nous avons visité des fermes et des ranchs en Ontario, en Saskatchewan et en Alberta, et nous nous sommes rendus à l’Université de Guelph, à l’Université de Saskatchewan et au Olds College. Nous avons creusé la question, épluché des documents, foulé le terrain et pris la pleine mesure de la situation.

Nous avons appris que les agriculteurs et les éleveurs des Prairies ont été les premiers à adopter des techniques régénératrices innovantes : ils ont cessé de labourer leurs champs, ont commencé à pratiquer la culture intercalaire en plantant deux cultures différentes dans le même champ, ont transformé des terres cultivées peu productives en pâturages pour le bétail, ont adopté le pâturage stratégique en rotation ou ont utilisé la cartographie précise des sols pour réduire l’utilisation d’engrais azotés. Toutefois, nous avons aussi appris qu’il fallait en faire davantage pour récompenser les pionniers qui prennent des risques et pour inciter les plus réticents à prendre le train en marche.

Nous avons constaté que la plupart des provinces, y compris l’Alberta, sont peu avancées en matière de recherche sur les sols, malgré des innovations prometteuses dans les technologies de cartographie des sols. Nous avons appris qu’aucun organisme central ne rassemble les recherches et les données sur les sols à l’échelle nationale, pour permettre aux universitaires et aux agronomes canadiens d’apprendre les uns des autres. Les tentatives visant à créer des marchés du carbone viables n’ont pas encore porté leurs fruits, nous a-t-on indiqué. Et nous avons aussi appris des faits extrêmement inquiétants sur les menaces climatiques liées à la fonte du pergélisol et sur les menaces sanitaires liées à l’empoisonnement de nos sols par les hydrocarbures, les métaux lourds et les microplastiques.

recommande au gouvernement certaines mesures à prendre. Cependant, nous ne voulions pas publier un sermon ennuyeux qui prendrait la poussière sur la tablette d’un ministère. Nous espérons que notre rapport sera un appel à l’action, non seulement pour les agriculteurs et les éleveurs, mais aussi pour tous les Canadiens. Nous voulons inspirer tous ceux qui tiennent à disposer d’un approvisionnement durable en aliments sains et abordables, tous ceux qui ont à cœur la santé des forêts et des prairies, et tous ceux qui cherchent à atténuer les effets du changement climatique. Les Albertains sont les intendants de certains des sols les plus riches et les plus précieux au monde. Nous avons tous un rôle à jouer dans la protection et la préservation de ces terres.

Autrefois, nous étions conscients de notre dette. Le nom d’Adam, le premier homme de la Bible, est dérivé du mot hébreu signifiant « sol ». Le mot « humain » lui-même vient du latin humus, le sol. Les Cris, eux, ont leurs propres légendes, lesquelles évoquent une grande inondation et un courageux petit rat musqué qui a plongé dans les eaux profondes et est remonté à la surface avec une poignée de terre qui a permis de reformer le monde. Aujourd’hui, il nous faut, en tant qu’êtres humains, nous montrer aussi courageux et déterminés que cet infatigable rat musqué, et nous accrocher fermement à cette terre qui nous donne la vie.

La sénatrice Paula Simons représente l’Alberta et est la vice-présidente du Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts.

Cet article a été publié dans l’édition de juin 2024 du magazine Alberta Views (en anglais seulement).

Étiquettes

Encore plus sur SenCA+

Haut de page