35e anniversaire de la Charte : les sénateurs racontent leurs contributions à la Constitution du Canada
Étiquettes
En 1981, le premier ministre Pierre Trudeau et les premiers ministres des provinces canadiennes participaient activement aux pourparlers pour la création d’une Constitution rédigée au Canada, puisque le document fondateur du pays était en fait une loi adoptée par le Parlement britannique en 1867.
Quatre membres actuels du Sénat étaient impliqués dans ce processus en 1981 et 1982, bien avant qu’ils soient nommés sénateurs.
Voici ce qu’ils retiennent de cette période, il y a 35 ans.
Sénateur Charlie Watt : Réflexions sur les pourparlers constitutionnels
En 1982, je présidais la Société Makivik qui gérait, pour les Inuits, le produit de la Convention de la Baie James et du Nord québécois qui venait alors tout juste d’être signée. Grâce aux résultats obtenus à la table des négociations, les Inuits avaient dès lors accès à du financement et à des ressources pour appuyer notre travail. Des équipes d’avocats et de professionnels travaillaient pour moi et j’ai eu un accès unique à ces pourparlers constitutionnels.
Les communautés autochtones me voyaient comme étant la personne qui avait toutes les réponses.
Pendant de nombreux mois, nous avons travaillé à faire reconnaître les peuples autochtones dans la Constitution. Il a fallu près d’un an pour que les Premières Nations, les Inuits et les Métis travaillent pleinement ensemble. Vers la fin des négociations, lors d’une réunion tenue à huis clos, le gouvernement a laissé tomber la résolution qui portait sur les droits des Autochtones. Nous étions dévastés.
Le lendemain matin, je me suis rendu au 24 promenade Sussex pour affronter le premier ministre de l’époque, Pierre Trudeau, accompagné du député de l’époque Peter Ittinuar et de John Amagoalik, leader communautaire inuit. Le mieux qu’il pouvait nous offrir était d’attendre une semaine avant d’annoncer sa décision, ce qui nous a donné le temps d’exercer des pressions sur les premiers ministres provinciaux afin d’obtenir leur appui.
Nous avions le soutien considérable de la Société Radio-Canada et des gens de la communauté. J’estimais que nous avions bien fait.
Même si les premiers ministres provinciaux ont hésité à adopter pleinement la résolution proposée, ils ont finalement changé d’avis lorsque le premier ministre de l’Alberta de l’époque, Peter Lougheed, a convaincu le groupe d’ajouter le mot « existants » à notre déclaration. Cela a calmé les choses, et nous en sommes arrivés à la section suivante de la Loi constitutionnelle de 1982 :
« 35(1) Les droits existants— ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.
(2) Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.
(3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.
(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes. »
C’était la première fois que nos peuples étaient officiellement reconnus au Canada.
Le sénateur Charlie Watt représente Inkerman, au Québec. Il présidait la Société Makivik en 1982.
Sénateur Charlie Watt, 1984
Sénateur Serge Joyal : Les 35 ans de la charte, un nouveau pays
La Charte des droits et libertés est un moment fondateur du Canada au XXe siècle. Elle a redéfini la base de la société canadienne en plaçant les droits et libertés de la personne au centre de la définition de ce que signifie être canadien.
En 1982, le Canada entrait dans une nouvelle ère. Les lois qui seraient dorénavant adoptées par le Parlement et les législatures des provinces seraient évaluées à l’aune du respect des droits et libertés de chacun des citoyens. Il ne suffisait plus que les lois soient adoptées par des majorités parlementaires pour être valides ; il faudrait aussi qu’elles respectent les droits et libertés de chacun.
Les tribunaux étaient alors investis de la responsabilité de juger des violations présumées des droits et libertés. Les Canadiens ont vraiment pris au sérieux cette protection que la Charte leur accordait.
Depuis 1984, année de la première décision des cours pour faire respecter la Charte, jusqu’en 2017, les tribunaux canadiens, tous niveaux confondus, ont rendu 22 203 décisions où les droits de la Charte étaient en cause sous un angle ou sous l’autre.
De plus, un programme de soutien financier aux contestations judiciaires a été établi dès 1984, qui permettait à un citoyen dont les droits étaient affectés par une décision d’obtenir un soutien financier pour aller devant les tribunaux réclamer ses droits et obtenir une ordonnance corrective.
Les autochtones, les handicapés, les femmes, les minorités visibles, les minorités sexuelles, les minorités linguistiques ont largement bénéficié de ce soutien. Plusieurs centaines de causes ont pu aboutir et ainsi rétablir la règle de droit et redonner confiance que chacun, quel que soit son identité ou sa qualité, pouvait être respecté et reconnu comme tel.
Le citoyen lui-même est le moteur de cette évolution permanente. Cette approche novatrice, unique au monde, a contribué à donner à la citoyenneté canadienne un contenu tout à fait particulier dans un contexte d’intégration sociale dynamique, capable d’adaptation aux conditions nouvelles d’un monde en perpétuelle évolution.
La charte a réellement contribué à façonner un nouveau pays où l’égalité des droits et la garantie de la liberté de chacun nous raffermissent dans notre attachement au Canada.
Le sénateur Serge Joyal représente Kennebec, au Québec. Il était secrétaire d’État du Canada au sein du cabinet du premier ministre Pierre Trudeau en 1982.
Sénateur Dennis Patterson : Garantir la voix du Nord
Je me souviendrai toujours de cette journée pluvieuse du 17 avril 1982, lorsque, sous un auvent à l’extérieur de Rideau Hall, la reine Elizabeth II et le premier ministre Pierre Trudeau ont signé la Constitution canadienne qui venait tout juste d’être rapatriée.
À titre de ministre dans le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, j’étais ravi d’assister à cet événement, en compagnie de chefs autochtones de notre territoire, qui couronnait des mois d’efforts effrénés pendant lesquels l’entièreté de l’Assemblée des Territoires du Nord‑Ouest a même s’est envolée, à bord de la NWT Air Electra, vers Ottawa afin d’exercer des pressions sur le Sénat et la Chambre des communes en vue de rétablir les droits des Autochtones dans la nouvelle Constitution du Canada.
Un tel article avait été supprimé d’une version antérieure de la Constitution suite à une rencontre secrète des premiers ministres des provinces, qui a d’ailleurs eu lieu dans une cuisine. Les dirigeants territoriaux étaient donc très heureux que l’article 35, qui reconnaît les droits des peuples autochtones du Canada, dont les Premières Nations, les Inuit et les Métis, soit réintégré dans la version finale de la Constitution grâce à l’ajout du mot « existants ». Cet ajout était, selon nos conseillers juridiques, sans danger et sans signification. Il s’agissait simplement d’un moyen pour les premiers ministres de se sauver la face et de justifier leur traîtrise précédente.
C’est à ce moment que les territoires ont connu leur heure de gloire. Nous avons joué notre rôle dans le rétablissement des droits des Autochtones, même si nous avons finalement perdu notre cause devant la Cour suprême, qui visait à modifier unilatéralement les droits des territoires à l’égard des provinces. Finalement, les alinéas 42(1) (e) et (f), qui permettaient la création des provinces ou l’annexion des territoires par les sept provinces, demeurent toujours en vigueur. Heureusement, les accords sur les revendications territoriales signés par la suite, et protégés par la Constitution, empêcheront probablement pour toujours, l’application de ces sinistres alinéas.
L’inclusion des droits des Autochtones dans la nouvelle Constitution, qu’on a célébrée lors de cette journée pluvieuse, a été un moment de gloire pour les Canadiens d’origine autochtone, même si l’espoir et la promesse de définir ces droits prennent du temps à se matérialiser.
Le sénateur Dennis Patterson représente le Nunavut. Il était député territorial de Frobisher Bay et ministre des Droits autochtones et du Développement constitutionnel des Territoires du Nord‑Ouest en 1982.
Sénatrice Marilou McPhedran : Les citoyens peuvent, eux aussi, rédiger une Constitution
L’établissement d’une Constitution est souvent perçu comme étant la responsabilité du gouvernement, et seulement du gouvernement. Toutefois, ce n’est pas une représentation précise de ce qui a mené à la Loi constitutionnelle de 1982 au Canada. Il n’a pas été question d’un « simple » dialogue entre les gouvernements et la magistrature, mais bien d’un trialogue, puisque des changements à notre Constitution étaient directement proposés par le peuple.
Un enregistrement existant du comité mixte que coprésidaient le député Serge Joyal, aujourd’hui sénateur, et le sénateur de l’époque, Harry Hayes, en 1981 montre notamment une présentation de la plus importante organisation de femmes du Canada, le Comité national d’action sur la situation de la femme, à laquelle j’assistait en tant que conseillère juridique bénévole. Nous avons montré en quoi l’ébauche du texte était désastreuse pour les femmes, en donnant des exemples précis.
Après l’exposé sophistiqué des dirigeantes, le sénateur Hayes leur a demandé ce qu’il adviendrait des enfants si les femmes n’étaient pas à la maison pour s’en occuper. Cette première télédiffusion d’une réunion de comité a enflammer les citoyens de tout le pays. Effectivement, des millions de Canadiens étaient alors à l’écoute. C’est devenu la force mobilisatrice, le moment décisif, qui a permis de transformer ce processus fermé, contrôlé et précipité, en situation où des milliers de femmes de partout au Canada se sont levées pour faire reconnaître leurs droits.
C’est en tant que bénévoles que nous avons pu défendre notre cause. J’ai touché 8 000 $ en revenus cette année-là. La seule façon pour nous de poursuivre nos efforts sur la colline consistait à nous mobiliser en tant que citoyennes et ce, sans recevoir de rémunération. Nous savions que nous n’avions qu’une seule chance, mais surtout que nous n’étions pas les bienvenues. En attendant de passer par la sécurité, nous avions remarqué que quelques femmes paraissaient grandement invisibles aux yeux des gardiens : les secrétaires. Nous nous sommes donc habillées comme elles, transportant des blocs-notes et souriant alors que nous passions les points de contrôles de sécurité. C’est de cette façon que nous avons pu avoir accès aux réunions avec les parlementaires !
Nous avons réussi à obtenir un soutien considérable et un consensus alors que le projet de loi était déjà rendu à l’étape de la troisième lecture. Le temps pressait puisque le projet de loi allait bientôt être adopté. Nous avions essentiellement besoin d’obtenir l’unanimité à la dernière étape, ce qui était presqu’impossible. Contre toutes attentes, nous l’avons obtenue. L’article 28 a été amendé afin que les droits mentionnés dans la charte soient garantis et ce, pour les personnes des deux sexes.
Par contre, la loi n’a aucun poids sans mise en œuvre. Nous avons donc créé un mécanisme pour plaider ces nouveaux droits à l’égalité, sans quoi les juges auraient continuer à ne pas tenir compte de l’égalité des sexes. Voilà comment nous avons créé le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes, toujours essentiel 30 ans plus tard.
La sénatrice Marilou McPhedran représente le Manitoba. Elle était militante et conseillère juridique pour le Comité national d’action sur la situation de la femme en 1980, elle co-présidait la conférence sur les femmes et la Constitution, ad hoc, en 1981 et 1982, en plus d’être la co-fondatrice du Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes.
En 1981, le premier ministre Pierre Trudeau et les premiers ministres des provinces canadiennes participaient activement aux pourparlers pour la création d’une Constitution rédigée au Canada, puisque le document fondateur du pays était en fait une loi adoptée par le Parlement britannique en 1867.
Quatre membres actuels du Sénat étaient impliqués dans ce processus en 1981 et 1982, bien avant qu’ils soient nommés sénateurs.
Voici ce qu’ils retiennent de cette période, il y a 35 ans.
Sénateur Charlie Watt : Réflexions sur les pourparlers constitutionnels
En 1982, je présidais la Société Makivik qui gérait, pour les Inuits, le produit de la Convention de la Baie James et du Nord québécois qui venait alors tout juste d’être signée. Grâce aux résultats obtenus à la table des négociations, les Inuits avaient dès lors accès à du financement et à des ressources pour appuyer notre travail. Des équipes d’avocats et de professionnels travaillaient pour moi et j’ai eu un accès unique à ces pourparlers constitutionnels.
Les communautés autochtones me voyaient comme étant la personne qui avait toutes les réponses.
Pendant de nombreux mois, nous avons travaillé à faire reconnaître les peuples autochtones dans la Constitution. Il a fallu près d’un an pour que les Premières Nations, les Inuits et les Métis travaillent pleinement ensemble. Vers la fin des négociations, lors d’une réunion tenue à huis clos, le gouvernement a laissé tomber la résolution qui portait sur les droits des Autochtones. Nous étions dévastés.
Le lendemain matin, je me suis rendu au 24 promenade Sussex pour affronter le premier ministre de l’époque, Pierre Trudeau, accompagné du député de l’époque Peter Ittinuar et de John Amagoalik, leader communautaire inuit. Le mieux qu’il pouvait nous offrir était d’attendre une semaine avant d’annoncer sa décision, ce qui nous a donné le temps d’exercer des pressions sur les premiers ministres provinciaux afin d’obtenir leur appui.
Nous avions le soutien considérable de la Société Radio-Canada et des gens de la communauté. J’estimais que nous avions bien fait.
Même si les premiers ministres provinciaux ont hésité à adopter pleinement la résolution proposée, ils ont finalement changé d’avis lorsque le premier ministre de l’Alberta de l’époque, Peter Lougheed, a convaincu le groupe d’ajouter le mot « existants » à notre déclaration. Cela a calmé les choses, et nous en sommes arrivés à la section suivante de la Loi constitutionnelle de 1982 :
« 35(1) Les droits existants— ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.
(2) Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.
(3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.
(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes. »
C’était la première fois que nos peuples étaient officiellement reconnus au Canada.
Le sénateur Charlie Watt représente Inkerman, au Québec. Il présidait la Société Makivik en 1982.
Sénateur Charlie Watt, 1984
Sénateur Serge Joyal : Les 35 ans de la charte, un nouveau pays
La Charte des droits et libertés est un moment fondateur du Canada au XXe siècle. Elle a redéfini la base de la société canadienne en plaçant les droits et libertés de la personne au centre de la définition de ce que signifie être canadien.
En 1982, le Canada entrait dans une nouvelle ère. Les lois qui seraient dorénavant adoptées par le Parlement et les législatures des provinces seraient évaluées à l’aune du respect des droits et libertés de chacun des citoyens. Il ne suffisait plus que les lois soient adoptées par des majorités parlementaires pour être valides ; il faudrait aussi qu’elles respectent les droits et libertés de chacun.
Les tribunaux étaient alors investis de la responsabilité de juger des violations présumées des droits et libertés. Les Canadiens ont vraiment pris au sérieux cette protection que la Charte leur accordait.
Depuis 1984, année de la première décision des cours pour faire respecter la Charte, jusqu’en 2017, les tribunaux canadiens, tous niveaux confondus, ont rendu 22 203 décisions où les droits de la Charte étaient en cause sous un angle ou sous l’autre.
De plus, un programme de soutien financier aux contestations judiciaires a été établi dès 1984, qui permettait à un citoyen dont les droits étaient affectés par une décision d’obtenir un soutien financier pour aller devant les tribunaux réclamer ses droits et obtenir une ordonnance corrective.
Les autochtones, les handicapés, les femmes, les minorités visibles, les minorités sexuelles, les minorités linguistiques ont largement bénéficié de ce soutien. Plusieurs centaines de causes ont pu aboutir et ainsi rétablir la règle de droit et redonner confiance que chacun, quel que soit son identité ou sa qualité, pouvait être respecté et reconnu comme tel.
Le citoyen lui-même est le moteur de cette évolution permanente. Cette approche novatrice, unique au monde, a contribué à donner à la citoyenneté canadienne un contenu tout à fait particulier dans un contexte d’intégration sociale dynamique, capable d’adaptation aux conditions nouvelles d’un monde en perpétuelle évolution.
La charte a réellement contribué à façonner un nouveau pays où l’égalité des droits et la garantie de la liberté de chacun nous raffermissent dans notre attachement au Canada.
Le sénateur Serge Joyal représente Kennebec, au Québec. Il était secrétaire d’État du Canada au sein du cabinet du premier ministre Pierre Trudeau en 1982.
Sénateur Dennis Patterson : Garantir la voix du Nord
Je me souviendrai toujours de cette journée pluvieuse du 17 avril 1982, lorsque, sous un auvent à l’extérieur de Rideau Hall, la reine Elizabeth II et le premier ministre Pierre Trudeau ont signé la Constitution canadienne qui venait tout juste d’être rapatriée.
À titre de ministre dans le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, j’étais ravi d’assister à cet événement, en compagnie de chefs autochtones de notre territoire, qui couronnait des mois d’efforts effrénés pendant lesquels l’entièreté de l’Assemblée des Territoires du Nord‑Ouest a même s’est envolée, à bord de la NWT Air Electra, vers Ottawa afin d’exercer des pressions sur le Sénat et la Chambre des communes en vue de rétablir les droits des Autochtones dans la nouvelle Constitution du Canada.
Un tel article avait été supprimé d’une version antérieure de la Constitution suite à une rencontre secrète des premiers ministres des provinces, qui a d’ailleurs eu lieu dans une cuisine. Les dirigeants territoriaux étaient donc très heureux que l’article 35, qui reconnaît les droits des peuples autochtones du Canada, dont les Premières Nations, les Inuit et les Métis, soit réintégré dans la version finale de la Constitution grâce à l’ajout du mot « existants ». Cet ajout était, selon nos conseillers juridiques, sans danger et sans signification. Il s’agissait simplement d’un moyen pour les premiers ministres de se sauver la face et de justifier leur traîtrise précédente.
C’est à ce moment que les territoires ont connu leur heure de gloire. Nous avons joué notre rôle dans le rétablissement des droits des Autochtones, même si nous avons finalement perdu notre cause devant la Cour suprême, qui visait à modifier unilatéralement les droits des territoires à l’égard des provinces. Finalement, les alinéas 42(1) (e) et (f), qui permettaient la création des provinces ou l’annexion des territoires par les sept provinces, demeurent toujours en vigueur. Heureusement, les accords sur les revendications territoriales signés par la suite, et protégés par la Constitution, empêcheront probablement pour toujours, l’application de ces sinistres alinéas.
L’inclusion des droits des Autochtones dans la nouvelle Constitution, qu’on a célébrée lors de cette journée pluvieuse, a été un moment de gloire pour les Canadiens d’origine autochtone, même si l’espoir et la promesse de définir ces droits prennent du temps à se matérialiser.
Le sénateur Dennis Patterson représente le Nunavut. Il était député territorial de Frobisher Bay et ministre des Droits autochtones et du Développement constitutionnel des Territoires du Nord‑Ouest en 1982.
Sénatrice Marilou McPhedran : Les citoyens peuvent, eux aussi, rédiger une Constitution
L’établissement d’une Constitution est souvent perçu comme étant la responsabilité du gouvernement, et seulement du gouvernement. Toutefois, ce n’est pas une représentation précise de ce qui a mené à la Loi constitutionnelle de 1982 au Canada. Il n’a pas été question d’un « simple » dialogue entre les gouvernements et la magistrature, mais bien d’un trialogue, puisque des changements à notre Constitution étaient directement proposés par le peuple.
Un enregistrement existant du comité mixte que coprésidaient le député Serge Joyal, aujourd’hui sénateur, et le sénateur de l’époque, Harry Hayes, en 1981 montre notamment une présentation de la plus importante organisation de femmes du Canada, le Comité national d’action sur la situation de la femme, à laquelle j’assistait en tant que conseillère juridique bénévole. Nous avons montré en quoi l’ébauche du texte était désastreuse pour les femmes, en donnant des exemples précis.
Après l’exposé sophistiqué des dirigeantes, le sénateur Hayes leur a demandé ce qu’il adviendrait des enfants si les femmes n’étaient pas à la maison pour s’en occuper. Cette première télédiffusion d’une réunion de comité a enflammer les citoyens de tout le pays. Effectivement, des millions de Canadiens étaient alors à l’écoute. C’est devenu la force mobilisatrice, le moment décisif, qui a permis de transformer ce processus fermé, contrôlé et précipité, en situation où des milliers de femmes de partout au Canada se sont levées pour faire reconnaître leurs droits.
C’est en tant que bénévoles que nous avons pu défendre notre cause. J’ai touché 8 000 $ en revenus cette année-là. La seule façon pour nous de poursuivre nos efforts sur la colline consistait à nous mobiliser en tant que citoyennes et ce, sans recevoir de rémunération. Nous savions que nous n’avions qu’une seule chance, mais surtout que nous n’étions pas les bienvenues. En attendant de passer par la sécurité, nous avions remarqué que quelques femmes paraissaient grandement invisibles aux yeux des gardiens : les secrétaires. Nous nous sommes donc habillées comme elles, transportant des blocs-notes et souriant alors que nous passions les points de contrôles de sécurité. C’est de cette façon que nous avons pu avoir accès aux réunions avec les parlementaires !
Nous avons réussi à obtenir un soutien considérable et un consensus alors que le projet de loi était déjà rendu à l’étape de la troisième lecture. Le temps pressait puisque le projet de loi allait bientôt être adopté. Nous avions essentiellement besoin d’obtenir l’unanimité à la dernière étape, ce qui était presqu’impossible. Contre toutes attentes, nous l’avons obtenue. L’article 28 a été amendé afin que les droits mentionnés dans la charte soient garantis et ce, pour les personnes des deux sexes.
Par contre, la loi n’a aucun poids sans mise en œuvre. Nous avons donc créé un mécanisme pour plaider ces nouveaux droits à l’égalité, sans quoi les juges auraient continuer à ne pas tenir compte de l’égalité des sexes. Voilà comment nous avons créé le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes, toujours essentiel 30 ans plus tard.
La sénatrice Marilou McPhedran représente le Manitoba. Elle était militante et conseillère juridique pour le Comité national d’action sur la situation de la femme en 1980, elle co-présidait la conférence sur les femmes et la Constitution, ad hoc, en 1981 et 1982, en plus d’être la co-fondatrice du Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes.