La lenteur du Sénat — une autre légende urbaine : Sénatrice McCoy
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Au lieu de répandre la légende voulant que le Sénat retarde l’adoption des projets de loi, nous ferions mieux de voir comment il s’acquitte de ses tâches.
Tout le monde sait que le Sénat retarde l’adoption des projets de loi du gouvernement, n’est-ce pas? Et si on se trompait?
En fait, la Chambre des communes prend généralement presque trois fois plus de temps que le Sénat à examiner les projets de loi du gouvernement.
Ce constat est le résultat d’une analyse de dossiers parlementaires officiels couvrant les 10 dernières législatures (c’est-à-dire les 37 dernières années), effectuée par mon équipe et moi-même. En moyenne, de la première à la dernière lecture, les projets de loi émanant du gouvernement sont au Parlement pendant 144 jours, mais sont étudiés par le Sénat pendant seulement 35 de ces journées. Durant 109 jours donc, ils se trouvent à la Chambre des communes.
Autrement dit, le Sénat ne retarde pas l’adoption des projets de loi du gouvernement. C’est plutôt l’inverse : jouissant, la plupart du temps, d’un contrôle presque total sur la Chambre des communes, le gouvernement délibère sur les projets de loi pendant des mois dans sa propre Chambre et retarde leur adoption.
Mais alors, d’où vient la réputation de lenteur, si injuste, qui accable le Sénat? Du gouvernement, bien évidemment.
De surcroît, il se trouve que le gouvernement véhicule cette légende urbaine depuis la création du Sénat. Lors de la première séance du Parlement, il y a 150 ans, les sénateurs se plaignaient du fait que les ministres les incitaient à adopter les projets de loi à la vitesse de la lumière vers la fin de la session parlementaire. Les sénateurs étaient censés « recevoir des projets de loi par une porte et les faire ressortir aussitôt par une autre », avait alors déploré un sénateur. Un comité sénatorial s’était penché sur cette allégation de lenteur en 1868 et était parvenu à la conclusion qu’elle était infondée. En fait, le coupable était le gouvernement lui-même, qui retardait la progression des projets de loi.
Après toutes ces années, le discours demeure le même. Il s’agit d’un prétexte commode pour le gouvernement qui lui permet de détourner l’attention de sa propre paresse dans de nombreux dossiers. Cette tactique a atteint un degré d’absurdité sans précédent à la mi-novembre, lorsque le secrétaire parlementaire Bill Blair a averti les sénateurs de ne pas retarder l’adoption du projet de loi C-45, la Loi concernant le cannabis. Ce projet de loi se trouvait encore à la Chambre des communes, où il était d’ailleurs depuis le mois d’avril, mais peu importe : le Sénat était déjà invité à faire vite, et ce, même s’il n’avait pas encore reçu le projet de loi en question!
La vérité est que, lorsqu’il faut adopter des projets de loi du gouvernement avec attention et promptitude, le Sénat a un excellent bilan. Tout au long de ses 150 ans d’histoire, le Sénat a travaillé à une cadence louable.
Évidemment, quelques exceptions notables sont survenues au fil des années. Par exemple, la majorité libérale au Sénat avait retardé en 1990 l’adoption du projet de loi sur la TPS le plus longtemps possible et fait de l’obstruction systématique pendant 10 longues journées et nuits. Les sénateurs s’étaient également opposés autant qu’ils l’ont pu au libre-échange, mais une élection fédérale en 1988 avait mis un terme à cet épisode.
Autre exemple, celui-ci plus récent : le projet de loi C-210, qui vise à modifier les paroles de l’hymne national. Dans ce cas en particulier, le Sénat se doit de reconnaître ses torts : ce projet de loi se trouve au Sénat depuis plus d’un an. Il s’agit d’une tache malheureuse au bilan du Sénat, et les sénateurs auraient tout avantage à se souvenir de leur responsabilité d’étudier les projets de loi sans retard indu.
Par contre, le projet de loi C-210 n’est pas un projet de loi émanant du gouvernement, et la Chambre des communes est elle-même très lente dans l’adoption des projets de loi présentés par des députés d’arrière-ban. Lors de la dernière législature de Stephen Harper, par exemple, seulement 34 des 798 projets de loi présentés par des députés ont été adoptés, et cette proportion est la plus élevée parmi toutes les législatures depuis 1980. Le bilan du Sénat à cet égard n’est donc pas aussi mauvais qu’il le semble à première vue.
Assurément, le temps est venu pour nous tous d’admettre que le Sénat ne retarde pas l’adoption des projets de loi du gouvernement de manière systématique. En moyenne, le Sénat s’acquitte de l’étude d’un projet de loi en un peu plus d’un mois. La plupart des gens doivent attendre bien plus longtemps pour que leur compagnie d’assurance traite une simple demande d’indemnisation.
Nous devons enterrer cette légende urbaine une fois pour toutes. Dans les 150 prochaines années de notre histoire, fondons nos observations sur des données probantes en ce qui concerne la manière dont le Sénat s’acquitte des tâches qui lui ont été attribuées par la Constitution. Il se pourrait que nous ayons des surprises encore plus agréables.
Avis aux lecteurs : L’honorable Elaine McCoy, c.r. est décédée le 29 décembre 2020. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.
Cet article a été publié le 30 novembre 2017 dans le journal Options Politiques.
Au lieu de répandre la légende voulant que le Sénat retarde l’adoption des projets de loi, nous ferions mieux de voir comment il s’acquitte de ses tâches.
Tout le monde sait que le Sénat retarde l’adoption des projets de loi du gouvernement, n’est-ce pas? Et si on se trompait?
En fait, la Chambre des communes prend généralement presque trois fois plus de temps que le Sénat à examiner les projets de loi du gouvernement.
Ce constat est le résultat d’une analyse de dossiers parlementaires officiels couvrant les 10 dernières législatures (c’est-à-dire les 37 dernières années), effectuée par mon équipe et moi-même. En moyenne, de la première à la dernière lecture, les projets de loi émanant du gouvernement sont au Parlement pendant 144 jours, mais sont étudiés par le Sénat pendant seulement 35 de ces journées. Durant 109 jours donc, ils se trouvent à la Chambre des communes.
Autrement dit, le Sénat ne retarde pas l’adoption des projets de loi du gouvernement. C’est plutôt l’inverse : jouissant, la plupart du temps, d’un contrôle presque total sur la Chambre des communes, le gouvernement délibère sur les projets de loi pendant des mois dans sa propre Chambre et retarde leur adoption.
Mais alors, d’où vient la réputation de lenteur, si injuste, qui accable le Sénat? Du gouvernement, bien évidemment.
De surcroît, il se trouve que le gouvernement véhicule cette légende urbaine depuis la création du Sénat. Lors de la première séance du Parlement, il y a 150 ans, les sénateurs se plaignaient du fait que les ministres les incitaient à adopter les projets de loi à la vitesse de la lumière vers la fin de la session parlementaire. Les sénateurs étaient censés « recevoir des projets de loi par une porte et les faire ressortir aussitôt par une autre », avait alors déploré un sénateur. Un comité sénatorial s’était penché sur cette allégation de lenteur en 1868 et était parvenu à la conclusion qu’elle était infondée. En fait, le coupable était le gouvernement lui-même, qui retardait la progression des projets de loi.
Après toutes ces années, le discours demeure le même. Il s’agit d’un prétexte commode pour le gouvernement qui lui permet de détourner l’attention de sa propre paresse dans de nombreux dossiers. Cette tactique a atteint un degré d’absurdité sans précédent à la mi-novembre, lorsque le secrétaire parlementaire Bill Blair a averti les sénateurs de ne pas retarder l’adoption du projet de loi C-45, la Loi concernant le cannabis. Ce projet de loi se trouvait encore à la Chambre des communes, où il était d’ailleurs depuis le mois d’avril, mais peu importe : le Sénat était déjà invité à faire vite, et ce, même s’il n’avait pas encore reçu le projet de loi en question!
La vérité est que, lorsqu’il faut adopter des projets de loi du gouvernement avec attention et promptitude, le Sénat a un excellent bilan. Tout au long de ses 150 ans d’histoire, le Sénat a travaillé à une cadence louable.
Évidemment, quelques exceptions notables sont survenues au fil des années. Par exemple, la majorité libérale au Sénat avait retardé en 1990 l’adoption du projet de loi sur la TPS le plus longtemps possible et fait de l’obstruction systématique pendant 10 longues journées et nuits. Les sénateurs s’étaient également opposés autant qu’ils l’ont pu au libre-échange, mais une élection fédérale en 1988 avait mis un terme à cet épisode.
Autre exemple, celui-ci plus récent : le projet de loi C-210, qui vise à modifier les paroles de l’hymne national. Dans ce cas en particulier, le Sénat se doit de reconnaître ses torts : ce projet de loi se trouve au Sénat depuis plus d’un an. Il s’agit d’une tache malheureuse au bilan du Sénat, et les sénateurs auraient tout avantage à se souvenir de leur responsabilité d’étudier les projets de loi sans retard indu.
Par contre, le projet de loi C-210 n’est pas un projet de loi émanant du gouvernement, et la Chambre des communes est elle-même très lente dans l’adoption des projets de loi présentés par des députés d’arrière-ban. Lors de la dernière législature de Stephen Harper, par exemple, seulement 34 des 798 projets de loi présentés par des députés ont été adoptés, et cette proportion est la plus élevée parmi toutes les législatures depuis 1980. Le bilan du Sénat à cet égard n’est donc pas aussi mauvais qu’il le semble à première vue.
Assurément, le temps est venu pour nous tous d’admettre que le Sénat ne retarde pas l’adoption des projets de loi du gouvernement de manière systématique. En moyenne, le Sénat s’acquitte de l’étude d’un projet de loi en un peu plus d’un mois. La plupart des gens doivent attendre bien plus longtemps pour que leur compagnie d’assurance traite une simple demande d’indemnisation.
Nous devons enterrer cette légende urbaine une fois pour toutes. Dans les 150 prochaines années de notre histoire, fondons nos observations sur des données probantes en ce qui concerne la manière dont le Sénat s’acquitte des tâches qui lui ont été attribuées par la Constitution. Il se pourrait que nous ayons des surprises encore plus agréables.
Avis aux lecteurs : L’honorable Elaine McCoy, c.r. est décédée le 29 décembre 2020. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.
Cet article a été publié le 30 novembre 2017 dans le journal Options Politiques.