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Pour combattre l’inflation, il faut se souvenir des erreurs des années 1980 et 1990 : sénatrice Bellemare

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La Banque du Canada a encore augmenté son taux directeur, cette fois-ci de 1 point de pourcentage, soit la plus forte hausse depuis 23 ans. Le gouverneur prévient que le taux directeur continuera d’augmenter, pour ramener l’inflation autour de 2 %.

La lutte contre l’inflation est une bonne raison pour amorcer ces hausses de taux. En effet, le nombre de postes vacants atteint des sommets, les taux de chômage sont très bas dans la plupart des régions canadiennes. Et, pour l’instant, la croissance économique est au rendez-vous.

Mais ces hausses du taux directeur réussiront-elles à endiguer l’inflation ? Permettez-moi d’en douter.

L’inflation actuelle est un phénomène mondial causé principalement par des problèmes d’approvisionnement. C’est un problème d’offre et non un problème de demande. La réduction de la demande intérieure va peut-être atténuer légèrement les pressions inflationnistes, car les gens achèteront moins. Mais cette stratégie génère d’autres risques. Et le plus grave de ces risques est celui de nuire au rajustement des chaînes d’approvisionnement, la cause première de l’inflation, ainsi qu’à l’urgente transition économique pour contrer les effets des changements climatiques en provoquant une récession.

Des taux d’intérêt élevés ont un effet dissuasif sur les investissements privés qui sont nécessaires pour rétablir les chaînes d’approvisionnement dans notre univers économique où la mondialisation a accru les incertitudes. Ils nuisent également à l’adoption de technologies vertes.

Les risques de récession et de stagnation provoqués par une stratégie de hausses successives de taux d’intérêt peuvent être néanmoins atténués.

Si la politique monétaire vise à restreindre la demande, la politique fiscale doit contrer les problèmes d’offre.

Elle doit viser résolument l’accroissement de l’investissement et principalement l’investissement public et privé nécessaire pour une transition équitable de l’économie vers une cible zéro d’émission de gaz à effet de serre.

La politique fiscale doit également être mise à contribution pour réduire les effets pervers et les conséquences inévitables des hausses importantes du coût du crédit sur les plus vulnérables.

Or, dans le contexte de taux d’intérêt plus élevés, les pressions financières augmenteront sur les gouvernements pour qu’ils réduisent leur déficit accumulé pendant la pandémie et qu’ils effectuent des compressions dans les dépenses publiques ainsi que dans l’investissement social.

C’est ce qui est arrivé pendant la période qui a perduré tout au long des années 1980 et 1990, lorsque les taux d’intérêt étaient élevés et que les gouvernements voulaient réduire les frais de la dette. Le Canada a connu une stagnation de son économie et un sous-investissement public dont on sent encore les effets. On le constate en regardant l’état de nos routes, de nos hôpitaux, de nos écoles, et j’en passe !

Toutefois, contrairement à ce qui s’est passé dans les années 1980 et 1990, le taux de chômage augmentera probablement moins cette fois, car de nombreux baby-boomers partiront à la retraite. Des postes pourraient même demeurer vacants dans certains secteurs, comme la construction, la santé et l’éducation. Paradoxalement, la production pourrait aussi diminuer. L’inflation pourrait continuer puisque les problèmes d’approvisionnement pourraient perdurer. Dans un tel scénario, certes pessimiste, les déficits des gouvernements augmenteraient. La hantise de l’équilibre budgétaire referait surface de plus belle.

La ministre des Finances du Canada et ses homologues provinciaux ne doivent pas oublier les années 1980 et 1990 ni céder pas aux pressions populaires pour équilibrer les budgets de manière précipitée. Il est plutôt nécessaire d’élaborer des plans d’investissement et d’adopter des budgets rigoureux. On trouve trop souvent dans les budgets des réponses politiques aux listes d’épicerie de tous les groupes. Il est temps d’avoir des objectifs budgétaires précis associés à un ancrage fiscal, et visant la prospérité à travers des investissements sociaux nécessaires pour une transition équitable.

Pour faciliter un tel exercice budgétaire discipliné, la comptabilité publique doit être adaptée aux réalités d’aujourd’hui. On doit redéfinir la notion de capital pour y inclure l’investissement intangible en capital humain. Ce qui rejoint les propos de Mark Carney, ex-gouverneur de la Banque du Canada, quand, dans son récent livre, il propose que les bilans financiers des gouvernements soient utilisés pour équilibrer la croissance à court terme et la croissance durable à long terme. Il ajoute qu’il est important pour les gouvernements d’investir dans les biens publics, comme la formation, et d’avoir des visions à long terme.

David Dodge, lui aussi ex-gouverneur de la Banque du Canada, disait, dans le cadre d’une récente comparution au Comité sénatorial des banques, commerce et économie, que les gouvernements se devaient également d’investir davantage en formation.

Bref, dans les prochains mois et les prochaines années, il ne faudra pas se laisser distraire par les discours qui prônent la nécessité du retour rapide à l’équilibre. Il faut se souvenir. Nous le devons aux générations futures.

La sénatrice Diane Bellemare représente le district sénatorial d’Alma au Québec. Elle est économiste et membre du Comité sénatorial des banques, commerce et économie.

Une version de cet article a été publiée le 23 juillet 2022 dans le journal Le Devoir.

L’honorable Diane Bellemare a pris sa retraite du Sénat du Canada en octobre 2024. Visitez le site web Parlinfo de la bibliothèque du parlement et apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

La Banque du Canada a encore augmenté son taux directeur, cette fois-ci de 1 point de pourcentage, soit la plus forte hausse depuis 23 ans. Le gouverneur prévient que le taux directeur continuera d’augmenter, pour ramener l’inflation autour de 2 %.

La lutte contre l’inflation est une bonne raison pour amorcer ces hausses de taux. En effet, le nombre de postes vacants atteint des sommets, les taux de chômage sont très bas dans la plupart des régions canadiennes. Et, pour l’instant, la croissance économique est au rendez-vous.

Mais ces hausses du taux directeur réussiront-elles à endiguer l’inflation ? Permettez-moi d’en douter.

L’inflation actuelle est un phénomène mondial causé principalement par des problèmes d’approvisionnement. C’est un problème d’offre et non un problème de demande. La réduction de la demande intérieure va peut-être atténuer légèrement les pressions inflationnistes, car les gens achèteront moins. Mais cette stratégie génère d’autres risques. Et le plus grave de ces risques est celui de nuire au rajustement des chaînes d’approvisionnement, la cause première de l’inflation, ainsi qu’à l’urgente transition économique pour contrer les effets des changements climatiques en provoquant une récession.

Des taux d’intérêt élevés ont un effet dissuasif sur les investissements privés qui sont nécessaires pour rétablir les chaînes d’approvisionnement dans notre univers économique où la mondialisation a accru les incertitudes. Ils nuisent également à l’adoption de technologies vertes.

Les risques de récession et de stagnation provoqués par une stratégie de hausses successives de taux d’intérêt peuvent être néanmoins atténués.

Si la politique monétaire vise à restreindre la demande, la politique fiscale doit contrer les problèmes d’offre.

Elle doit viser résolument l’accroissement de l’investissement et principalement l’investissement public et privé nécessaire pour une transition équitable de l’économie vers une cible zéro d’émission de gaz à effet de serre.

La politique fiscale doit également être mise à contribution pour réduire les effets pervers et les conséquences inévitables des hausses importantes du coût du crédit sur les plus vulnérables.

Or, dans le contexte de taux d’intérêt plus élevés, les pressions financières augmenteront sur les gouvernements pour qu’ils réduisent leur déficit accumulé pendant la pandémie et qu’ils effectuent des compressions dans les dépenses publiques ainsi que dans l’investissement social.

C’est ce qui est arrivé pendant la période qui a perduré tout au long des années 1980 et 1990, lorsque les taux d’intérêt étaient élevés et que les gouvernements voulaient réduire les frais de la dette. Le Canada a connu une stagnation de son économie et un sous-investissement public dont on sent encore les effets. On le constate en regardant l’état de nos routes, de nos hôpitaux, de nos écoles, et j’en passe !

Toutefois, contrairement à ce qui s’est passé dans les années 1980 et 1990, le taux de chômage augmentera probablement moins cette fois, car de nombreux baby-boomers partiront à la retraite. Des postes pourraient même demeurer vacants dans certains secteurs, comme la construction, la santé et l’éducation. Paradoxalement, la production pourrait aussi diminuer. L’inflation pourrait continuer puisque les problèmes d’approvisionnement pourraient perdurer. Dans un tel scénario, certes pessimiste, les déficits des gouvernements augmenteraient. La hantise de l’équilibre budgétaire referait surface de plus belle.

La ministre des Finances du Canada et ses homologues provinciaux ne doivent pas oublier les années 1980 et 1990 ni céder pas aux pressions populaires pour équilibrer les budgets de manière précipitée. Il est plutôt nécessaire d’élaborer des plans d’investissement et d’adopter des budgets rigoureux. On trouve trop souvent dans les budgets des réponses politiques aux listes d’épicerie de tous les groupes. Il est temps d’avoir des objectifs budgétaires précis associés à un ancrage fiscal, et visant la prospérité à travers des investissements sociaux nécessaires pour une transition équitable.

Pour faciliter un tel exercice budgétaire discipliné, la comptabilité publique doit être adaptée aux réalités d’aujourd’hui. On doit redéfinir la notion de capital pour y inclure l’investissement intangible en capital humain. Ce qui rejoint les propos de Mark Carney, ex-gouverneur de la Banque du Canada, quand, dans son récent livre, il propose que les bilans financiers des gouvernements soient utilisés pour équilibrer la croissance à court terme et la croissance durable à long terme. Il ajoute qu’il est important pour les gouvernements d’investir dans les biens publics, comme la formation, et d’avoir des visions à long terme.

David Dodge, lui aussi ex-gouverneur de la Banque du Canada, disait, dans le cadre d’une récente comparution au Comité sénatorial des banques, commerce et économie, que les gouvernements se devaient également d’investir davantage en formation.

Bref, dans les prochains mois et les prochaines années, il ne faudra pas se laisser distraire par les discours qui prônent la nécessité du retour rapide à l’équilibre. Il faut se souvenir. Nous le devons aux générations futures.

La sénatrice Diane Bellemare représente le district sénatorial d’Alma au Québec. Elle est économiste et membre du Comité sénatorial des banques, commerce et économie.

Une version de cet article a été publiée le 23 juillet 2022 dans le journal Le Devoir.

L’honorable Diane Bellemare a pris sa retraite du Sénat du Canada en octobre 2024. Visitez le site web Parlinfo de la bibliothèque du parlement et apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

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