Aller au contenu
BORE

Sous-comité de la Forêt boréale

 

Délibérations du sous-comité de la
Forêt boréale

Fascicule 6 - Témoignages pour la séance de l'après-midi


TIMMINS, le jeudi 8 octobre 1998

Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 16 heures pour poursuivre son étude sur l'état actuel et futur de l'industrie forestière au Canada, dans la mesure où celle-ci touche la forêt boréale.

Le sénateur Nicholas W. Taylor (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, avant de vous présenter notre premier témoin, je tiens à faire remarquer aux membres que j'utilise un maillet fait de peuplier de la forêt boréale. Nous n'utilisons pas ici de bois dur importé des États-Unis.

M. Richard Moore est porte-parole pour la Forêt modèle du lac Abitibi. Sans plus tarder, je l'invite à nous donner un aperçu de ses antécédents et ensuite de procéder à son exposé.

M. Richard Moore, ancien président, Forêt modèle du Lac Abitibi: Honorables sénateurs, je suis un enseignant à la retraite. Je suis né à Schumacher, et cela me fait chaud au coeur de me retrouver ici en présence de l'un de mes héros.

Le sénateur Whelan: Vous parlez de moi, bien sûr.

M. Moore: Je dois dire que l'honorable sénateur Whelan jouit d'une très bonne réputation dans mon village natal. Il s'est dévoué pour améliorer le sort des cultivateurs de la région et tout le monde l'aime.

J'ai quitté Timmins pour m'installer à North Bay, puis j'ai enseigné à Cochrane pendant 35 ans. La forêt est un élément important de ma vie parce que notre collectivité en dépend. J'ai une famille, et nous aimons tous le plein air. J'espère que mes deux petits-enfants, devenus assez grands, adoreront également le plein air. Voilà essentiellement la raison pour laquelle je m'intéresse à la forêt modèle. Il doit y en avoir une pour eux.

J'aimerais vous présenter le directeur général de la Forêt modèle du lac Abitibi. Il s'appelle Eric Turk. Eric va m'aider à montrer certaines des diapositives qui pourraient vous intéresser au fur et à mesure que je fais mon exposé. D'ailleurs, Eric en connaît beaucoup plus long que moi sur la Forêt modèle. Je n'y travaille que depuis trois ans, tandis qu'Eric est notre directeur général depuis la mise sur pied de cette forêt modèle, il y a six ans.

Donc, il y a six ans, soucieux d'assurer la gestion durable des forêts, le gouvernement fédéral a parrainé une initiative appelée le Programme des forêts modèles. Ce programme avait trois objectifs: premièrement, créer un réseau de modèles de travail pour la gestion durable des forêts, en utilisant une démarche proactive pour la planification de la gestion des forêts; deuxièmement, élaborer un partenariat multipartite chargé de trouver de nouvelles méthodes de gestion plutôt que de simplement avaliser ou rejeter celles-ci, car c'est là un élément clé du principe des forêts modèles; troisièmement, entreprendre des travaux de recherche appliquée permettant de trouver des solutions concrètes aux problèmes de gestion des forêts.

Notre raison d'être était la gestion durable des forêts, que nous définissons comme suit: gérer la forêt de manière à s'assurer qu'elle continuera à apporter des bienfaits aussi bien pour la génération actuelle que pour les générations futures. L'une de nos forêts modèles du réseau a été établie avec le thème suivant: «Une forêt pour sept générations». Voilà ce qui résume très bien, à mon avis, ce que nous entendons par les bienfaits que la forêt ne doit cesser d'apporter.

Établir une forêt modèle n'est pas une mince tâche. Il y a eu 50 demandes venant de toutes les régions du pays, et beaucoup d'autres ont été présentées depuis. Toutefois, à l'époque, 10 seulement ont été retenues. Une autre forêt vient tout juste d'être ajoutée, de sorte que le réseau canadien compte maintenant 11 forêts modèles.

Ces forêts modèles se trouvent dans toutes les régions du pays. Sur la côte Ouest, la forêt modèle de Long Beach comprend Clayoquot Sound, lieu qui fait souvent parler de lui, comme vous n'êtes sans doute pas sans le savoir. Nous sommes le seul modèle faisant partie de la forêt boréale situé au-dessus de la ceinture d'argile. Voilà ce qui fait que nous sommes uniques.

Selon moi, les forêts modèles sont désignées en partie à cause de la diversité des conditions que chaque forêt modèle apporte au réseau. Par exemple, je tiens à mentionner la forêt modèle du Bas-Saint-Laurent. Au début, on l'appelait une forêt habitée parce qu'elle était constituée en bonne partie de très petits boisés appartenant à des particuliers, boisés qui étaient habités depuis peut-être 200 ou 300 ans. Leurs méthodes de gestion forestière durable et d'aménagement des forêts diffèrent totalement des nôtres.

Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, les partenariats constituent un élément clé du concept des forêts modèles. Notre principal partenariat ressemble plutôt à celui qui existerait entre un grand frère et un petit frère. Nous sommes le petit frère et Ressources naturelles Canada et sa direction du Service canadien des forêts est le grand frère. Ils sont à l'origine d'un peu plus de la moitié de notre financement. Les autres fonds doivent provenir de sources locales.

Notre deuxième partenaire important est Abitibi Consolidated, car notre forêt s'étend sur 1,1 million d'hectares, et elle est contiguë aux terres pour lesquelles le ministère ontarien des Ressources naturelles a attribué un permis à Abitibi. Quelles que soient les mesures que nous voulons prendre, nous devons avoir l'aval de nos principaux partenaires. Heureusement, je dirais que nous y parvenons depuis les six dernières années.

Le SCF et Abitibi ne sont que deux de nos 19 partenaires. La diapositive vous montre ici tous les autres. Ces gens apportent à la table de gestion durable de la forêt toute une gamme de valeurs. Voilà notre raison d'être, c'est-à-dire s'assurer que toutes ces valeurs sont exprimées et que l'on en tiendra compte au moment de l'établissement des plans d'aménagement forestier et de l'adoption des méthodes de coupe.

Au nombre des partenaires, vous retrouverez par exemple la Première nation Logger Shake. Nous avons également fait des démarches auprès de la Première nation New Post, qui habite à l'intérieur de la forêt modèle ou près de ses limites, ainsi qu'auprès du Innu Native Friendship Centre, pour leur demander de se joindre à nous et de participer au projet. Nous leur avons offert un siège à notre table de conseil. Toutefois, jusqu'ici, ils n'ont pas accepté notre offre.

Nous avons entrepris un projet qui rassemblera Logger Shake, New Post et la nation Moose Cree qui, même si elle n'habite pas la forêt modèle, jouit de certains droits de piégeage et de chasse dans certaines parties de cette forêt.

Notre but est de jouer un rôle prépondérant dans la gestion forestière durable des écosystèmes boréaux de la ceinture d'argile. J'ignore si cela se passe d'explications; nous avons mis trois jours de travail en atelier pour définir ce but, après avoir débattu de la signification concrète de tous ces mots. Nous mettons beaucoup d'efforts à parvenir à ce but. Il faut beaucoup de temps et de travail, mais il n'est pas facile de jouer un rôle prépondérant.

Ce but se divise en trois objectifs que nous essayons de respecter et que nous utilisons pour évaluer notre progrès chaque année. Ces objectifs sont: premièrement, une forêt qui continue à apporter des bienfaits aux collectivités locales et régionales pour les générations actuelles et futures; deuxièmement, une structure axée sur la mise au point in situ de méthodes assurant la gestion durable des forêts; troisièmement, un public qui participe à la gestion durable des forêts et qui respecte et comprend l'aménagement forestier multiforme.

Ces trois objectifs ont mené à l'établissement de trois comités chargés de programmes. L'un d'entre eux s'appelle le Comité de recherche et des systèmes d'information sur les écosystèmes forestiers. Il s'agit essentiellement de notre comité scientifique, qui mène beaucoup de travaux dans le domaine des pratiques de chasse et de gestion de la faune. Vous voyez là la liste des projets dont il est chargé. À l'heure actuelle, nous menons des projets de recherche en matière de feux de forêt et sur les répercussions des feux de forêt sur la diversité naturelle des forêts.

Notre deuxième comité chargé de programmes s'appelle le Comité de vulgarisation et de transfert des connaissances. Sa tâche n'est pas facile, car elle est double. En plus d'assurer le transfert des connaissances scientifiques, il doit se charger de l'éducation du public en ce qui concerne nos valeurs, la gestion durable des forêts et, surtout, la formation scolaire.

C'est ainsi que nous avons mis au point un programme d'études que certaines écoles du nord de l'Ontario ont adopté; nous espérons que d'autres écoles leur emboîteront le pas. Nous faisons faire des tournées aux enfants dans la forêt. Nous leur montrons les méthodes de coupe et nous essayons de leur inculquer ce que constitue une forêt et ce que devrait être leur rôle pour assurer la pérennité de la forêt.

Le pendant du programme de vulgarisation, comme je l'ai mentionné, est le transfert des connaissances scientifiques. Nous constatons qu'il s'agit là d'un processus difficile et coûteux, car les scientifiques sont équipés de toute une batterie de moyens technologiques qui ne sont pas à notre disposition. Toutefois, nous y travaillons et, grâce à la collaboration de nos partenaires à Abitibi, nous sommes en train de mettre au point, d'après ce que l'on me dit, une base de données assez solide appelée SIG. Quiconque connaît un peu le ministère ou a déjà vu une forêt modèle connaît ce sigle, j'en suis sûr. En gros, le système d'information géographique prend toutes les données qu'on lui verse, les digère et produit de belles cartes. Il vous indique où il est permis et où il n'est pas permis d'abattre des arbres.

Notre troisième comité est le comité chargé du programme socio-économique. Lorsqu'il est question de forêts modèles, ou de n'importe quelle autre forêt, en fait, ce n'est pas aux arbres que nous songeons, c'est en réalité aux gens. L'objet de ce comité est de veiller à ce que les valeurs des gens et les répercussions économiques de la forêt sur les gens reçoivent toute l'attention qu'elles méritent.

Dans le cas de notre principal projet mené cette année par le Comité du programme socio-économique, nous éprouvons de la difficulté à rallier tous les gens. Il ne faut pas s'en étonner, parce que, de nos jours, presque tous nos projets sont menés en partenariat avec d'autres gens. Nos ressources financières sont limitées, ce qui fait que nous sommes obligés de trouver des organismes qui partagent nos objectifs et de les convaincre que les mesures que nous voulons prendre valent la peine. Parfois, ce sont eux qui viennent nous voir pour de l'aide.

C'est le cas par exemple du projet que nous menons concernant les caribous. Le ministère des Ressources naturelles de l'Ontario a constaté qu'il y avait un groupe de caribous sur lequel il ne possédait aucune donnée et qu'il fallait prendre des mesures pour suivre leurs déplacements. Il a lancé un programme de baguage et il nous a demandé de participer. Nous avons accepté. Ces caribous fréquentent des terres qui appartiennent à deux grandes entreprises, et celles-ci ont également décidé de participer. C'est ainsi que nous avons constitué un partenariat. Nous devons débourser un peu, mais chacun participe au financement du projet, et c'est ainsi, je crois, que nous pouvons en assurer le succès.

Je devrais mentionner également qu'au cours de l'année révolue, avec le passage à la deuxième phase du programme des forêts modèles, nous avons établi un comité consultatif, qui est en marge du processus de prise de décision, mais qui met à notre disposition d'excellentes compétences et connaissances techniques. Ce comité est composé de gens provenant d'universités, du milieu du tourisme et des groupes de l'environnement, qui se réunissent en personne une ou deux fois par année et aussi par conférence téléphonique. Ils évaluent notre travail, nous proposent des orientations et nous signalent les choses qui ne vont pas. Parfois, il leur arrive même de nous dire que ce que nous faisons est bien. Nous nous en réjouissons énormément.

Pour terminer, je vais vous faire part d'un point de vue personnel, car j'estime qu'il mérite d'être dit. Je vous ai donné un aperçu général de notre organisme. Maintenant, je voudrais vous en transmettre un microcosme, et je pense que je suis ce microcosme. Comme je vous l'ai dit, j'ai grandi dans le nord de l'Ontario. Mon père travaillait pour une usine de pâtes à Timmins. C'est son travail à cette usine qui lui permettait de nous nourrir, et c'est ainsi que j'ai appris à connaître la valeur de la forêt. Pour faire mes études d'enseignant, j'ai travaillé dans le bois pendant deux étés pour mettre les sous nécessaires de côté. Une fois arrivé à Cochrane, je n'ai pas mis beaucoup de temps à me rendre compte que mon emploi d'enseignant dépendait du fait qu'il y avait là-bas une usine -- aujourd'hui il y en a deux -- et, si ces emplois disparaissaient, le mien disparaîtrait aussi sans doute. Je suis conscient de la valeur de la forêt. Je sais tout ce qu'elle représente.

D'autre part, la forêt est mon lieu de divertissement. J'ai chassé et j'ai pêché, j'ai fait du camping avec mes enfants; j'ai ramassé des fruits sauvages. Je le fais toujours. Toutes ces activités ont eu lieu dans la forêt modèle, ou du moins dans la partie de la forêt qui est devenue la forêt modèle. Lorsque l'on est venu me voir pour me demander si je voulais participer à la forêt modèle, j'ai répondu oui immédiatement, car c'était naturel pour moi. Toutefois, toute médaille à son revers. Il y a un côté qui me dit que je dois couper des arbres. L'autre côté me dit qu'il faut sauver les arbres.

Le même problème se pose dans le cas de la forêt modèle. Elle doit trouver le moyen d'harmoniser ces deux concepts et elle doit y parvenir avec efficacité. Merci.

Le président: Je vous remercie, monsieur Moore. Comme vous et M. Naysmith traitez à peu près des mêmes questions, nous allons, si vous le voulez bien, attendre la fin de l'exposé de M. Naysmith avant de poser les questions. On vous demandera à tous les deux de répondre à des questions et de donner votre opinion. En passant, j'espère que vous avez déjà eu l'occasion de vous rencontrer.

M. Moore: En effet, M. Naysmith et moi-même, nous avons déjà travaillé ensemble à deux ou trois occasions. Il était notre évaluateur il y a un an lorsque nous avons procédé à une restructuration.

Le président: Donc, c'est l'expert-conseil grassement payé auquel vous recourez?

M. Moore: Non, à l'époque, c'était le gouvernement fédéral. Il était inspecteur.

Le président: Monsieur Naysmith, vous avez la parole.

M. John Naysmith, président, Fonds de réserve forestier: Honorables sénateurs, je suis très heureux d'être parmi vous pour vous expliquer pendant quelques minutes le Fonds de réserve forestier qui a été établi en Ontario. Je travaille dans le domaine forestier en Ontario depuis un assez grand nombre d'années. Je n'ai pas participé à l'établissement du Fonds de réserve forestier, mais j'ai participé à la rédaction des dispositions de la Loi sur la durabilité des forêts de la Couronne qui le concernent. À mon avis, ce sont les meilleures mesures qui aient jamais été adoptées dans la province de l'Ontario en ce qui concerne les forêts.

Il y a lieu de situer un peu tout cela dans son contexte historique. Je ne veux pas remonter trop loin, car je ne dispose que de 10 minutes, mais je crois que vous pourrez ainsi mieux comprendre comment l'idée d'un fonds en fiducie cadre avec la gestion forestière en Ontario.

La Loi sur le bois de la Couronne de 1952 est issue de mesures qui remontaient à 1850. Cette loi ne comprenait essentiellement aucune disposition visant la gestion. À l'époque, la gestion forestière ne faisait pas partie de la mentalité, et cela se voit bien dans cette mesure législative. Celle-ci autorisait simplement le ministre à délivrer des permis de coupe. C'est à peu près à cela que se ramenait la notion de gestion.

En 1962, cette loi a été modifiée légèrement pour permettre au ministre de conclure des accords avec les titulaires de permis visant l'aménagement et la productivité des forêts. Vous voyez que l'on était parvenu à reconnaître un peu le fait que la gestion était une chose dont on devait s'occuper. Le ministre pouvait donc conclure des accords.

En 1980, l'importance de la gestion forestière a enfin été reconnue concrètement. La loi a été modifiée à l'époque pour permettre l'établissement d'accords de gestion forestière. En réalité, ces accords étaient des mécanismes qui confiaient aux titulaires de permis la responsabilité de la gestion forestière. C'était une mesure assez précise et concrète. On y a applaudi. Selon moi, elle a été mise en oeuvre assez efficacement.

Selon les dispositions, il ne suffisait pas que le titulaire de permis assume la responsabilité de la gestion; des fonds devaient également y être consacrés. Ce financement, selon les dispositions qui ont été établies à l'époque, était la responsabilité du ministère. C'était le mode de fonctionnement prévu, et il a duré pendant quelque temps. En effet, le gouvernement du Canada y participait dans le cadre d'arrangements fédéraux-provinciaux.

Toutefois, vers la fin des années 80 et au début des années 90, ce financement est devenu aléatoire. En effet, les titulaires de permis avaient de plus en plus de difficulté à respecter leurs obligations, faute de fonds suffisants. On a donc reconnu à l'époque que si l'on voulait s'occuper sérieusement de gestion forestière, il fallait faire le nécessaire pour que des fonds soient disponibles.

On a reconnu également à ce moment-là, ou peut-être un peu avant, qu'au cours des 15 à 20 prochaines années, il allait y avoir en Ontario des ratés dans l'offre en bois qui allaient durer peut-être une vingtaine d'années, et que les mesures que prenait l'industrie à l'époque, par exemple le reboisement, ne suffiraient certainement pas à y remédier. Pour des raisons évidentes, si ce n'était que dans 10 ou 20 ans que l'insuffisance de l'offre allait se produire, on ne s'occuperait du problème.

À cette époque, on a également reconnu qu'il fallait en faire davantage au sujet du décroissement forestier naturel causé par les oiseaux, les insectes et les maladies. Nous avions tendance à penser alors qu'étant donné qu'il s'agissait d'un phénomène naturel, nous devrions laisser la forêt se régénérer elle-même. On a cependant admis qu'il fallait créer un fonds exprès pour que la gestion forestière obtienne vraiment de bons résultats en Ontario.

La Loi sur la durabilité des forêts de la Couronne de 1995, qui a remplacé la Loi sur le bois de la Couronne de 1952, a permis, entre autres choses intéressantes, de progresser sur la voie d'une reconnaissance de la gestion forestière et de s'éloigner de l'idée d'une simple gestion du bois; mais je suis convaincu que vous entendrez des témoins qui soulèveront cet argument. Néanmoins, ce fut certainement un pas dans cette direction.

La Loi sur la durabilité des forêts de la Couronne prévoyait l'établissement du fonds en fiducie appelé Fonds de réserve forestier; elle prévoyait également la création du Fonds de reboisement, mais nous parlons ici du premier. Ce devait être une fiducie autonome à laquelle n'aurait pas accès le gouvernement à moins de modifier la loi. L'importance d'une telle disposition est devenue évidente il y a quelques années quand, en Colombie-Britannique, on a mis sur pied un Fonds de régénération forestière sans y insérer cette disposition. Comme vous vous en rappellerez peut-être, quand la situation budgétaire devint difficile, on puisa entre autres dans ce fonds. De la façon dont l'Ontario a structuré le Fonds de réserve forestier, une telle chose est impossible à moins de modifier la loi.

L'objet de cette fiducie comporte réellement plus de trois volets. Elle vise à fournir des fonds dans trois domaines: premièrement, pour l'aménagement intensif de peuplements, à savoir les travaux d'amélioration des peuplements; deuxièmement, pour le frais de sylviculture dans les forêts où des ressources forestières sont mortes ou en raison d'un incendie ont été endommagées ou des insectes; et, troisièmement, pour la lutte antiparasitaire. Ce sont là les trois principaux objectifs. Il en existe un quatrième, et il consiste à assumer les frais de sylviculture quand un titulaire de permis devient insolvable. Les trois premiers sont cependant les trois principaux.

D'où proviennent les fonds? Jusqu'ici, avant la Loi sur la durabilité des forêts de la Couronne et l'établissement de la fiducie, toutes les recettes tirées des droits de coupe, qui sont plutôt importantes dans la province de l'Ontario, étaient versées au Trésor. Aux termes de la structure des ententes de gestion forestière dont nous parlions plus tôt, aux termes de l'ancienne Loi sur le bois de la Couronne de 1980, les fonds accordés à l'industrie pour qu'elle effectue le travail devaient être versés conformément aux arrangements habituels avec le gouvernement et l'argent devait venir de cette source de financement. Dans ce cas-ci, la situation est tout autre.

En Ontario, on recueille en moyenne par année environ 200 millions de dollars. C'est un montant plutôt imposant. Le Fonds de réserve forestier recevra environ 10 millions de dollars cette année. L'an dernier, il en a reçu 9 millions et l'année d'avant, 8 millions. Cela représente entre 4 et 5 p. 100 de tous les montants recueillis par le biais des droits de coupe.

Le Fonds de réserve forestier a ceci de particulier qu'il ne s'agit pas d'un fonds non discrétionnaire; la compagnie A ne met pas dans cette fiducie de l'argent qu'elle utilisera. C'est donc différent. L'argent est versé dans la fiducie et tous les titulaires de permis y contribuent 4 ou 5 p. 100. Je reviendrai à cette question dans un instant.

Le Fonds de reboisement recueille en moyenne environ 40 millions de dollars par année. Il s'agit d'un arrangement tout à fait différent. Il est administré par le ministère, mais la compagnie A met essentiellement de l'argent dans un compte de banque. L'argent recueilli pour la régénération forestière est utilisé à cette fin après la récolte. Vous pouvez voir que c'est tout à fait différent du Fonds de réserve forestier et des trois objectifs dont nous avons parlé plus tôt.

Le Fonds de réserve forestier n'a rien à voir avec la récolte. Il concerne les travaux d'amélioration des peuplements, d'amélioration de la productivité en faisant certaines choses, que ce soit dans les forêts naturelles ou dans les forêts aménagées. On fait de la prévention et l'on prend des mesures correctrices après des incendies ou des dommages causés par les insectes.

Comment le processus fonctionne-t-il? Il est plutôt simple et direct, et pas tellement bureaucratique. La loi exige l'établissement d'un comité indépendant composé de cinq personnes qui n'appartiennent ni au gouvernement ni à l'industrie forestière. Les fonds recueillis auprès des titulaires de permis sont versés au Royal Trust, dans un seul compte. Le comité émet des invitations deux fois par année. Nous entamons maintenant la quatrième année.

Des demandes ont été reçues et examinées après chacune des huit invitations. Nous en avons reçu, en moyenne, 30 chaque fois. Nous en sommes donc maintenant à 240 à peu près.

Le comité examine une série de critères. Les partenariats sont-ils reconnus? M. Moore a parlé de partenariats relativement à la forêt modèle. Y a-t-il des partenariats dans cet arrangement? Les requérants contribuent-ils de l'argent aux projets qu'ils veulent réaliser? En fait, les buts seront-ils atteints par le travail réalisé dans le cadre du projet?

Sur les 240 demandes que nous avons reçues jusqu'à présent, nous en avons financé 162, ce qui représente presque 70 p. 100, d'une valeur de 35 millions de dollars au cours des trois dernières années et demie. Un peu plus de la moitié des fonds attribués aux trois objectifs sont allés à l'amélioration des peuplements. La remise en état en a reçu environ 40 p. 100, et la protection, environ 5 p. 100.

En moyenne, la contribution des requérants au coût total du projet tourne autour de 30 p. 100. Il a été intéressant de constater qu'au début, pour les deux premières séries d'invitations, ce chiffre n'était pas si élevé; mais nous avons encouragé le versement de contributions en disant que si nous recevions deux demandes égales à tous égards, ce serait le requérant offrant la plus forte contribution qui l'emporterait. Au cours des huit séries d'invitations, il y a eu un changement dans cette direction.

Les partenariats ont été intéressants. Divers projets comportent des partenariats avec les Premières nations, par exemple.

Quelles tendances se dessinent depuis qu'existent ce mode de financement et ce travail? Il y a amélioration des peuplements dans la partie centrale de la province, où les peuplements de feuillus sont éclaircis pour en améliorer la qualité et combler l'écart avec les billes de sciage. Dans la partie nord-est de la province, il y a également amélioration des peuplements; dans ce cas, il y a éclaircissement précommercial des plantations, par exemple, des plantations de pin gris.

Dans le Nord-Ouest, la région d'où je viens, la plupart de l'argent est consacré à l'établissement de peuplements de conifères après les incendies; autrement dit, très rapidement après un incendie de forêt, on plante des conifères.

Les cinq membres du comité reçoivent toutes les demandes. Chacun en reçoit un exemplaire. Nous les revoyons indépendamment, leur appliquons les critères, puis nous nous réunissons en comité et, par le biais d'un processus décisionnaire consensuel, nous parvenons à un accord relativement à chacune des demandes. Un secrétariat est mis à la disposition du comité par le ministère des Ressources naturelles et c'est le seul lien que nous avons avec le gouvernement. Il est plutôt fascinant de constater que cette loi du gouvernement provincial a mis ce genre de structure en place. En fait, c'est une relation indépendante à laquelle on tient.

Le comité veille à ce qu'il y ait un suivi. Des rapports sur l'état d'avancement des travaux sont requis chaque année pour chaque projet. Quand un projet dure plus d'un an -- et il peut durer jusqu'à trois ans -- le financement de l'année suivante n'est consenti que si le comité a reçu et approuvé le rapport sur l'état d'avancement des travaux de l'année précédente. Quand nous approuvons un projet, le Royal Trust, qui se trouve à être le mécanisme qui administre en fait les fonds, est avisé de cette approbation, et l'échéancier des paiements et le formulaire d'autorisation lui sont transmis.

À la fin de la première année, si nous ne sommes pas satisfaits du rapport concernant l'état des travaux, nous avisons le trust la deuxième année et nous lui disons de retenir les fonds jusqu'à ce que nous soyons satisfaits. Aucun financement ne sera versé pour la deuxième ou troisième année, tant que cette condition ne sera pas remplie.

La réaction des gens qui sont visés par le processus, soit les requérants du secteur privé, nous permet de savoir si ce processus est fructueux ou non. En fait, il y a quelques années, le ministère lui-même était également un requérant. Comme je l'ai dit, 70 p. 100 des demandes ont été approuvées, et nous n'avons jamais reçu de critiques ou de réactions négatives relativement à l'une de nos décisions. Nous essayons de faire des suggestions constructives aux requérants pour qu'ils puissent améliorer leur demande s'ils veulent la soumettre de nouveau.

Je pourrais peut-être signaler qu'au titre de la satisfaction de la clientèle, jusqu'à présent, après 240 demandes et trois ans et demi de fonctionnement, le ministère des Ressources naturelles n'a reçu aucune lettre ni appel téléphonique se plaignant du processus. Nous considérons cela comme une forme de succès.

Honorables sénateurs, voilà qui termine ma présentation. Je serai heureux de répondre maintenant aux questions.

Le sénateur Stratton: Si vous me le permettez, je vais adresser mes questions à M. Moore et à M. Naysmith. Je crois pouvoir vous poser ces questions à tous deux. Je m'intéresse non pas seulement à ce qui se passe en Ontario mais dans tout le pays. Vous pouvez répondre à tour de rôle. Y a-t-il d'autres exemples d'une forêt comme celle de la forêt modèle du lac Abitibi en Ontario et ailleurs au pays? Autrement dit, y a-t-il possibilité d'établir un lien dans le pays?

M. Moore: Il en existe un. Le Réseau canadien de forêts modèles parraine des rencontres de groupes de travail. Nous avons un comité stratégique national et un comité d'exploitation national. Ces comités se réunissent une ou deux fois l'an pour se communiquer les résultats et organiser le travail de l'année. Les forêts sont disséminées dans tout le pays. Il y a la forêt modèle du Manitoba, située juste au nord de Winnipeg. Il y a la forêt modèle de l'est de l'Ontario, qui est très différente de la nôtre. On s'y intéresse beaucoup à l'érable et au frêne noir, que les gens d'Akwesasne utilisent comme source première pour faire des paniers, et cetera. La production de paniers est une importante industrie mineure, une industrie artisanale, encore importante pour ce peuple.

Le sénateur Stratton: Je vois. Je savais qu'il existait une forêt modèle au Manitoba, mais je ne savais pas qu'il existait une organisation nationale. Pensez-vous accomplir des progrès? Nous parlons de durabilité.

M. Moore: Oui. Permettez-moi de vous donner quelques exemples. Nous avons réalisé d'importants projets culturels pour isoler et recenser des sites culturels et historiques au sein de la forêt du lac Abitibi. Les gens de cette région y ont vécu pendant environ 6 000 ans. On a ensuite dressé une carte de ces sites. L'information a été enregistrée. Elle a été recueillie par la compagnie qui s'appelle maintenant Abitibi Consolidated et utilisée dans leurs plans de coupe de sorte que ces zones sont devenues des zones protégées qui ne sont pas dérangées. C'est un bon exemple.

Voici un autre bon exemple de ce qu'Abitibi Consolidated a fait pendant six ans. Ils ont examiné d'autres méthodes de récolte. Ils croient avoir trouvé quelque chose de plutôt bon. Ils l'appellent HARP. Cela consiste à laisser les petits arbres. Cela a du sens. Ils font de la recherche pour prouver que c'est une bonne façon de récolter. Cette année, ils vont sortir un manuel et une vidéo, qui seront distribués aux autres industries dans l'espoir qu'elles aussi puissent commencer à effectuer ce genre de coupes. Donc, il y a des changements sur le terrain.

Le troisième exemple est mon préféré. Je ne sais pas dans quelle mesure cela concernait la forêt modèle, mais cela s'est produit lors d'une rencontre sur les forêts modèles. Quelqu'un est arrivé et a commencé à se plaindre d'Abitibi, disant que leurs décharges polluaient la vue. Tout le monde sait qu'il nous faut des décharges. Je sais que personne n'aime les décharges. Le type d'Abitibi qui se trouvait à la table n'a pas rétorqué. Quelques jours plus tard, on a déménagé la décharge qui ne gâchait plus le paysage. C'était devenu esthétiquement plaisant pour quelqu'un qui passait par là. J'aime cet exemple parce qu'il montre que les choses arrivent rapidement quand les gens se parlent de leurs problèmes. Oui, je crois que nous produisons un effet.

Le sénateur Stratton: Produisez-vous un effet dans tout le pays?

M. Moore: Oui, nous en produisons un de différentes façons. Comme je l'ai dit, il existe une grande diversité dans la forêt modèle, et je ne peux parler pour eux.

Le sénateur Stratton: Je comprends cela. Progressons-nous? D'après ce que j'ai constaté aujourd'hui, j'ai l'impression qu'on accomplit des progrès, mais j'aimerais que vous me disiez si on accomplit des progrès équivalents à l'échelle du pays.

M. Moore: J'ai justement assisté à une réunion de tous les présidents des forêts modèles. Je ne suis pas président, mais j'en représente un. Il y avait un sentiment d'optimisme et de détermination. On nous a dit que cette phase du programme de la forêt modèle durera cinq ans. Une année s'est écoulée. Il en reste quatre. Personne ne pensait aux quatre années suivantes, mais aux années d'après. Comment allons-nous nous y prendre? Qu'arrivera-t-il si le gouvernement fédéral n'a pas d'argent pour nous? Pourrons-nous continuer? Nous sommes d'avis que nous devons continuer, que ce que nous faisons est la bonne chose et que nous devons continuer. Tout le monde parle de la Phase 3, quelle que soit la forme qu'elle prendra.

M. Naysmith: Puis-je ajouter quelque chose?

Le sénateur Stratton: Oui.

M. Naysmith: Je ne suis pas contre ce qu'a dit Richard. J'ai fait partie de l'équipe d'évaluation il y a quelques années. Elle a évalué les dix modèles au pays.

Le sénateur Stratton: Cette information est-elle publiée?

M. Naysmith: Cette évaluation est du domaine public, oui.

Le sénateur Stratton: Nous pourrions l'obtenir?

M. Naysmith: Oui. À l'époque, à la fin de la phase 1 en 1997, le point commun, c'était que tout le monde travaillait dur à l'établissement du réseau national dont Richard a parlé; mais il s'agissait presque d'une tâche technique, logistique. Ce qu'il y avait aussi de commun, c'est que bien que dans chacune des dix forêts modèles, de bonnes choses se produisaient, la diffusion de l'information constituait un problème. Diffuser cette information seulement hors de la zone immédiate du nord de la Colombie-Britannique, ou à Terre-Neuve, ou même dans une province aussi petite que le Nouveau-Brunswick, semblait être un défi majeur. Je crois que c'est parce qu'on en était dans la première année des cinq années du programme et qu'on voulait s'assurer que cela marche. Dans chaque cas, on reconnaissait que nous devions travailler plus énergiquement à diffuser cette bonne information aux gens de la région.

Dans le nord-ouest de l'Ontario, nous sommes à mi-chemin entre la forêt modèle de Pine Falls et la forêt modèle de M. Moore. Nous sommes en plein milieu de la forêt boréale. Il n'en est pas émané tant d'informations, de toute façon. C'est une chose très difficile à faire. Il faut tout d'abord convaincre les partenaires de la forêt modèle que c'est la chose à faire et il faut ensuite dire aux gens qui ne sont pas directement partie prenante dans la forêt modèle que c'est une bonne chose et que nous l'avons prouvé. Votre question est vraiment très pertinente. Il ne s'agit que d'un modèle, mais l'information atteint-elle un vaste auditoire? Je crois que tous les dix ont dit qu'ils devaient travailler plus dur là-dessus.

Le sénateur Stratton: J'ai une question précise, monsieur Naysmith. Vous avez dit accorder du financement à des travaux de remise en état. Par exemple, après un incendie, vous vous rendez immédiatement dans la zone touchée pour y effectuer du travail de remise en état. Pourquoi? Pourquoi ne pas seulement laisser la nature suivre son cours, comme on le faisait dans le passé?

M. Naysmith: Cette question est également très pertinente. Ce qui se passe dans bien des cas, c'est qu'on se retrouve très rapidement avec un couvert à 100 p. 100. On ne peut empêcher des arbres de pousser dans une zone pareille, mais ce n'est pas particulièrement productif. C'est surpeuplé. Il y a beaucoup de compétition. Il peut ne pas s'agir des espèces préférées.

Quand elles viennent déposer leurs demandes, les entreprises nous disent qu'elles ne souhaitent pas attendre même 12 ou 18 mois. En 1996, vous vous rappellerez peut-être qu'il y a eu un gros feu de forêt en Ontario. Une grande partie de la forêt boréale brûlait. Les porte-parole des entreprises nous disaient déjà que, dès que l'incendie serait maîtrisé, ils présenteraient une demande parce qu'ils souhaitaient, dès l'automne, commencer à préparer le terrain et à planter les essences préférées.

Le sénateur Stratton: On le fait essentiellement pour des raisons commerciales.

M. Naysmith: C'est juste. En fait, le plus souvent, le Fonds de réserve forestier traite de foresterie à des fins commerciales.

Le sénateur Whelan: J'en sais probablement tout juste assez au sujet de la foresterie pour être dangereux. Comme premier emploi, que j'avais trouvé très intéressant et qui me plaisait beaucoup, j'ai agi comme secrétaire parlementaire auprès de Jack Davis, alors ministre des Pêches et des Forêts. L'élément le plus intéressant du travail était, à cette époque, soit entre 1968 et 1971, la recherche.

J'ai lu votre publication sur la forêt modèle du lac Abitibi qui m'a beaucoup intéressé. Votre siège social se trouve-t-il à Iroquois Falls?

M. Moore: Notre bureau se trouve effectivement à Iroquois Falls.

Le sénateur Whelan: J'ai des amis et des connaissances à Iroquois Falls. En fait, pendant 28 ans, nous avons eu un chalet à Marten River, près du lac Red Cedar, dans le nord de l'Ontario. Je connais donc un peu le nord de la province et la forêt parce que, au fil des ans, j'ai pu en suivre l'évolution.

Aujourd'hui, nous en savons encore plus au sujet des forêts et de l'étendue de l'exploitation forestière.

Vous avez mentionné l'énorme potentiel de la ceinture d'argile, un sujet dont j'ai parlé auparavant. Elle a effectivement un énorme potentiel. Elle peut ajouter 10 millions d'acres à nos terres agricoles. Avez-vous pris part à des études cherchant à savoir quelles seraient les meilleures récoltes que l'on pourrait faire pousser sur ces terres, en tenant compte, naturellement, du réchauffement de la planète et des nouvelles variétés d'arbres et de cultures?

On étudie une nouvelle espèce de maïs dans la région d'Ottawa en ayant recours à une technologie péruvienne. Ce maïs a des feuilles larges, de sorte qu'il absorbe mieux la lumière du soleil. Vous n'avez pas besoin de degrés-jours pour porter le grain à maturité.

M. Moore: Nous n'avons pas effectué de recherche pour trouver une autre solution à la coupe des arbres en vue de produire du papier. Si nous le faisions, on nous expulserait de la ville. Après tout, Iroquois Falls est une ville papetière. Cochrane est essentiellement un lieu de production de bois de sciage et de contreplaqué. Ce sont les deux principales villes de la forêt modèle. Ce sont les arbres qui nous font vivre. Notre préoccupation est d'utiliser ces arbres judicieusement et de voir à ce qu'ils continuent de croître pour que nos entreprises puissent demeurer sur place, qu'elles ne fermeront pas leurs portes parce que quelqu'un, à Ottawa, fait du papier avec des plants de maïs.

Le sénateur Spivak: On en fait avec de la paille.

Le président: Monsieur Moore, un de nos comités sénatoriaux est en train d'entendre des témoignages au sujet de la culture du chanvre. Si on en décriminalise la culture, on pourra en faire du papier et le fumer.

M. Moore: On me dit que ce n'est pas le cas.

Le sénateur Whelan: Le président exagère un peu. Si vous en fumez, tout ce que vous en tirerez, c'est une horrible migraine.

On trouve à Indian Head, en Saskatchewan, l'une des stations de recherche en exploitation forestière les plus évoluées. Avant même que les provinces des Prairies deviennent des provinces, cette station envoyait des chercheurs en Mongolie et en Sibérie pour qu'ils rapportent des essences forestières car, à ce moment-là, il n'y avait pas un seul arbre dans les Prairies. Il n'y avait que de l'herbe. La station d'Indian Head continue de faire de l'excellente recherche. Connaissez-vous cette station?

M. Moore: Non, j'en ignore tout.

M. Naysmith: Vous avez demandé à savoir si de la recherche était faite en vue d'introduire de nouvelles essences. Dans la mesure où de la recherche est effectuée à cet égard, je crois qu'on a l'impression que les espèces migreront.

Le sénateur Stratton: Oui, mais cela prend 300 ans.

Le sénateur Spivak: Elles ne migreront peut-être pas assez rapidement.

M. Naysmith: Voici la principale préoccupation: quels impacts auront les incendies dans pareilles circonstances? Quels dommages causeront les insectes et les maladies? Dans la mesure où il existe des fonds pour financer de la recherche en foresterie -- et il y en a très peu --, c'est à ces questions qu'ils sont consacrés plutôt qu'à l'introduction de nouvelles espèces.

Quant au chanvre, on en fait la culture sur une ferme expérimentale aux environs de Thunder Bay. Il y a 35 stations réparties un peu partout dans le nord de l'Ontario, je crois.

Le sénateur Mahovlich: Une loi a été adoptée en 1938 pour interdire la culture du chanvre.

Le président: Elle vient tout juste d'être modifiée.

Le sénateur Stratton: Nous faisons maintenant la culture du chanvre au Manitoba.

Le sénateur Mahovlich: L'utilise-t-on pour faire des paniers?

Le sénateur Spivak: On s'en sert pour fabriquer des cosmétiques, des vêtements, de la fibre.

Le sénateur Whelan: Vous avez mentionné, je crois, que de la recherche était effectuée sur certaines essences forestières. Je crois savoir que les Australiens ont mené une étude sur les peupliers qui ont abouti au développement d'une espèce appelée «Autral». On peut couper cet arbre et le recouper, trois ou quatre ans plus tard. Avez-vous fait des travaux à ce sujet?

M. Moore: Non.

Le sénateur Whelan: Êtes-vous au courant de cette nouvelle essence?

M. Moore: Nous sommes conscients des nouveaux peupliers à croissance rapide, du clonage, et ainsi de suite, mais ces nouveautés nous effraient car nous vivons de la forêt boréale du nord et de la coupe de sapin et d'épinette pour fabriquer du papier de bonne qualité.

Le président: Je soupçonne qu'il serait juste d'ajouter que la recherche porte sur la forêt boréale en vue d'essayer d'en garantir la pérennité, non pas d'en saper l'importance ou de l'éliminer.

Le sénateur Whelan: Je m'intéresse à la plantation d'arbres dans la ceinture d'argile. On fait pousser l'Austral dans différentes régions de la Saskatchewan, à titre expérimental. Parfois, l'arbre atteint une hauteur de 40 pieds en seulement 3, 4 ou 5 ans. Tout dépend des conditions du sol et des précipitations. La ceinture d'argile pourrait peut-être être une région très productive dont on pourrait extraire de grandes quantités de pâte à papier. Vous pourriez faire concurrence au chanvre.

M. Moore: Qu'arrivera-t-il aux oiseaux chanteurs, à l'orignal, au renard et à toutes ces autres espèces qui vivent dans cette forêt mixte composée en partie de conifères, si l'on se débarrasse de cette forêt et qu'on y plante des peupliers à croissance rapide où rien ne peut probablement survivre? C'est une de nos grandes préoccupations.

Le sénateur Mahovlich: Il pourrait y avoir beaucoup de castors.

M. Moore: Ils n'aiment pas le peuplier.

Le sénateur Whelan: Ils préfèrent le bouleau blanc.

Le président: Sénateur Whelan, m'autorisez-vous peut-être à poser une question supplémentaire à la vôtre à laquelle, je crois, M. Naysmith pourra répondre. Une grande partie des terres marginales de l'Ouest, qui sont passées de l'exploitation forestière à l'agriculture, à la production de céréales et tout le reste, ne rapportent pas assez. Certains ont proposé de les consacrer à nouveau à l'exploitation forestière, pas forcément de la forêt boréale, mais à la culture de forêts de type plantation comme cela se fait en Suède ou en Europe. Votre groupe envisage-t-il cette possibilité?

M. Naysmith: Non, il ne l'envisage pas, mais pas parce que ce n'est pas viable. Le mandat du Fonds de réserve forestier est tel que nous nous consacrons aux zones touchées par des permis d'exploitation forestière durable ou, il y a quelques années, à ce qui était une unité de gestion de la Couronne. Nous nous intéressons aux terres forestières de la Couronne qui ont été soit endommagées ou sont sur le point de l'être, ou encore sur lesquelles on prévoit exécuter des travaux d'amélioration. Notre mandat est limité à cet égard.

J'ai pris bonne note de ce que vous avez dit. C'est intéressant. Certains pays le font avec succès. La France, par exemple, a une couverture forestière supérieure de 15 p. 100 à ce qu'elle était il y a 50 ans.

En Amérique du Sud, le Chili fournit un très bon exemple de sols agricoles dégradés qui ont été transformés en forêt. Lorsqu'on les vend, ces terres dégradées vont chercher entre 4 000 $ et 5 000 $ parce qu'elles rapportent tellement une fois qu'elles servent à la culture de l'eucalyptus et du pin de Monterey. On y fait aussi pousser certains de ces peupliers australiens dont vous parliez, bien que les principales cultures demeurent l'eucalyptus et le pin de Monterey. On peut faire une rotation au bout de trois ou quatre années.

On en fait aussi pousser à titre expérimental dans le coin sud-est de la Colombie-Britannique. On arrive à pouvoir faire une rotation en 12 à 14 ans environ. Le climat tempéré convient bien à ce genre de culture.

Le sénateur Whelan: Je suis d'accord avec ce que vous avez dit, monsieur Moore, au sujet de la faune. Nous remarquons la différence même sur nos deux petites acres. Vous parlez de 1 974 000 hectares. Cela ne signifie rien pour moi. Je pense en milles carrés. Combien de cantons y a-t-il sur cette superficie? Quelle est cette superficie?

M. Moore: Je l'ignore. Je suis habitué aux unités métriques.

Le sénateur Whelan: Je suis censé m'être habitué au système métrique, mais je suis rétrograde.

Le président: Dans l'Ouest du Canada, quatre cantons représentent 100 000 acres. Vous pouvez donc faire le calcul. Il y a quatre acres dans un hectare.

Le sénateur Whelan: Pardon, il y a 2,2 acres dans un hectare.

M. Moore: Cela revient à 2 000 ou 3 000 milles carrés, sénateur.

Le sénateur Whelan: Il y a tant de renseignements dans votre livre mais, malheureusement, je n'ai pas eu l'occasion de l'examiner avant mon arrivée.

La partie traitant des champignons qui poussent en forêt m'a particulièrement intéressé. Durant un voyage en Union soviétique, je me suis rendu compte que les champignons représentaient une industrie de taille là-bas. On les ramassait et les exportait à un chercheur, M. Tom Anstey, maintenant âgé de 87 ans. Il m'accompagnait. C'est lui qui était en charge de toute la recherche menée dans l'Ouest du Canada pour le compte d'Agriculture Canada. Son fils, qui est importateur, faisait venir des champignons de Russie. Pouvons-nous faire pousser ce genre de champignons dans nos forêts?

M. Moore: Je crois que nous le faisons. Notre projet a révélé qu'il y avait, dans les forêts modèles, une grande quantité d'espèces commercialement viables. Toutefois, on a conclu que l'exploitation n'était pas rentable parce qu'elle exigeait trop de main-d'oeuvre. Il est très difficile de trouver des personnes qui s'y connaissent assez en champignons pour les cueillir. De plus, cette culture est imprévisible. Si vous ne ramassez bien les champignons sauvages, vous les perdez. Vous en aurez peut-être un dans la main, mais vous n'en retrouverez jamais un autre à cet endroit.

Le sénateur Mahovlich: Les champignons n'ont pas une grande valeur nutritive.

M. Moore: C'est vrai.

Le sénateur Spivak: Ils ont par contre une valeur commerciale. On fait pousser des champignons très coûteux en Colombie-Britannique.

M. Moore: Certains champignons qui poussent dans notre forêt modèle valent 27 $ la livre.

Le sénateur Whelan: Les champignons facilitent la digestion. Nous savons qu'ils n'ont pas une grande valeur nutritive, mais ils ont un goût si délicat et ils donnent un parfum si exotique à nos mets. La cueillette des champignons a rapporté bien de l'argent aux Russes. Toutefois, ceux-ci n'avaient pas le réseau de transport voulu pour livrer leurs champignons de la forêt jusqu'au point de déchargement. Ils payaient, je crois, plusieurs centaines de dollars, peut-être 300 $, pour en faire transporter cinq livres. Les champignons n'ont peut-être pas une grande valeur nutritive, mais c'est aussi le cas de bien d'autres aliments coûteux. Les athlètes paient bien le gros prix pour obtenir, par exemple, des stéroïdes qui n'ont aucune valeur nutritive.

Le sénateur Mahovlich: Pas dans mon temps.

Le sénateur Whelan: Le président a négligé de vous dire qu'il vient de l'Alberta. Le sénateur Stratton, lui, est Manitobain tout comme le sénateur Spivak. Le sénateur Mahovlich vient de Toronto bien qu'il dise être originaire de Timmins. Je viens moi-même d'un des points situés le plus au sud au Canada, c'est-à-dire de Windsor.

Je suis au courant de la recherche effectuée sur la production de riz sauvage et de certaines autres choses que vous faites.

Croyez-vous que nous finançons suffisamment la recherche? Aujourd'hui, nous avons appris qu'il existe des limites invisibles, c'est-à-dire les frontières provinciales, qui nous séparent, mais que les lois sont très différentes d'une province à l'autre. Ne vaudrait-il pas mieux que tout relève d'un régime fédéral comme c'est le cas aux États-Unis?

M. Moore: Je refuse de répondre à la seconde question parce qu'elle relève exclusivement du domaine politique. Nous ignorons, si vous voulez, les frontières provinciales. Un de nos grands associés est l'Université du Québec au Témiscamingue qui effectue de la recherche sur la forêt boréale de la ceinture d'argile, au Québec. Elle fait équipe avec nous en ce sens que nous collaborons, que nous nous partageons les employés et les résultats.

Le sénateur Whelan: Les règles concernant la récolte, et ainsi de suite, varient d'une province à l'autre, ce qui n'est pas le cas aux États-Unis.

M. Naysmith: Tout d'abord, la recherche en foresterie est loin d'être à la mesure de l'apport que fait le secteur forestier à l'économie canadienne. Par ailleurs, ce que vous avez dit n'a rien de drôle. Je crois qu'il existe un rôle réel pour le gouvernement fédéral dans ce domaine. Dans le passé, le gouvernement fédéral s'occupait de la recherche au Canada, comme il convient. C'est ainsi que nous devrions le faire. La compétence en matière de gestion des forêts serait provinciale, pour des raisons évidentes, mais l'élément «Recherche» est très bien exécuté.

Le sénateur Spivak: Monsieur Naysmith, le mandat de votre organisme est simplement d'envisager la recherche dans la mesure où elle s'applique à l'industrie forestière commerciale. Vous n'avez pas un mandat plus général. J'ai été un peu surprise d'apprendre que, tout de suite après un incendie, vous vous rendez sur place pour voir comment vous pouvez changer l'essence forestière. Corrigez-moi si je fais erreur. Que faites-vous des autres valeurs de la forêt? En d'autres mots, on nous dit que, dans la forêt boréale, il existe toutes sortes d'essences que nous n'avons même pas recensées encore et que la forêt connaît toutes sortes d'autres utilisations.

Si vous étudiez la façon de maximiser un certain genre d'arbres simplement aux fins de l'industrie forestière commerciale ou même d'introduire d'étranges espèces à croissance rapide, d'accord, à condition qu'on tienne compte des diverses espèces de la forêt, dont certaines que nous n'avons même pas identifiées encore. Je veux obtenir de vous l'assurance que vous ne vous concentrez pas uniquement sur la valeur commerciale, aussi importante soit-elle.

M. Naysmith: Nous ne faisons pas du tout de recherche. Le Fonds de réserve forestier n'est pas un organe de recherche, au grand dam des chercheurs. Cet organisme n'effectue pas de recherche. Il a trois objectifs. Le premier est d'accroître la productivité des peuplements naturels en vue de parer à la pénurie de bois prévue dans 15 ou 20 ans. Cela se fait par coupe d'éclaircie soit commerciale soit précommerciale, de manière à aider les arbres qui restent à croître plus rapidement.

Le deuxième objectif est de remédier à un cataclysme naturel quelconque. L'organisme est structuré de façon à y réagir rapidement.

Le troisième objectif a trait à la protection. Aucun de ces objectifs n'a un rapport avec la recherche.

Le sénateur Spivak: J'avais bien compris cela, mais je croyais que vos bailleurs de fonds cherchaient des moyens d'améliorer ces points particuliers. N'est-ce pas le cas?

M. Naysmith: Ils examinent les moyens de les remettre en état.

Le sénateur Spivak: J'avais mal compris. Je croyais que, lorsque vous vous rendiez dans une zone détruite par un incendie et que vous envisagiez les moyens de maximiser le rendement d'un certain plant, cela revenait à faire de la recherche.

M. Naysmith: Pas vraiment. Ce que nous faisons repose sur l'état actuel des connaissances.

Le sénateur Spivak: C'est une application concrète sur le terrain.

M. Naysmith: Absolument.

Le sénateur Spivak: Vous n'envisagez pas d'autres moyens de faire la même chose.

M. Naysmith: Sénateur, c'est différent, dans un certain sens: si une zone brûle et que vous ne faites rien, tôt ou tard, la végétation y repoussera. Ce sera peut-être au début du peuplier, puis, un jour, il sera remplacé par du sapin baumier. Il se livre une concurrence féroce entre les espèces dans la forêt. Dans 90 ou 100 ans, il se peut que vous y trouviez une pessière à épinette noire.

Le sénateur Spivak: J'ai compris.

M. Naysmith: Tout ce que nous faisons, c'est d'accélérer le processus naturel.

Le sénateur Spivak: Quand vous faites cela, vous ne tenez pas compte de ce que pourrait être le résultat, en termes d'essences forestières ou d'autres choses. Je crois avoir bien compris.

M. Naysmith: Avant que vous ne posiez une autre question, j'aimerais souligner un point, parce que manifestement la question vous tient à coeur.

Le sénateur Spivak: Je ne suis pas la seule.

M. Naysmith: Si la forêt qui a brûlé était une forêt d'épinettes, la forêt-climax, ce que fait le Fonds de réserve forestier accélérera simplement le processus de remise en état, de sorte que vous arriverez au résultat 20 ou 30 ans peut-être plus vite que vous ne l'auriez fait autrement. Ce qui était inhérent à la forêt d'épinettes continuera de l'être dans cette nouvelle forêt d'épinettes. Nous n'y introduisons pas d'eucalyptus ou de pin de Monterey.

Le sénateur Spivak: J'ai bien compris.

Vous avez aussi dit que vous vous étiez rendu compte, à un moment donné, qu'il y aurait pénurie de bois de sciage. Sur quoi vous fondez-vous pour faire une telle affirmation? Repose-t-elle sur une certaine production admissible? Vous fiez-vous à des données sur la culture globale?

M. Naysmith: Nous n'avons pas examiné les données globales.

Le sénateur Spivak: Je faisais allusion à l'Ontario.

M. Naysmith: D'une certaine façon, oui, parce que c'est cumulatif.

Le sénateur Spivak: Je crois savoir que le Fonds de réserve forestier ne s'occupe que de l'Ontario.

M. Naysmith: Quel que soit le titulaire du permis, la possibilité qu'il y ait pénurie de bois dans 15 ou 20 ans est réelle. C'est une manifestation de la mauvaise répartition de la classe d'âge.

Le sénateur Spivak: Je comprends cela.

M. Naysmith: On a planté beaucoup de nouveaux arbres récemment. Depuis 10 ou 20 ans, nous travaillons très fort à remplacer les arbres. C'est un bel effort, mais cela ne réglera pas ce qui se produira dans 10 ou 20 ans, parce que ces arbres n'auront pas encore atteint la maturité. En toute franchise, la raison de cette pénurie est la coupe excessive pratiquée par le secteur forestier il y a 30 ou 40 ans.

Le sénateur Spivak: On a effectivement coupé trop d'arbres.

M. Naysmith: Il y a eu coupe excessive, ce qui a entraîné une mauvaise répartition de l'âge des peuplements.

Le sénateur Spivak: Y a-t-il un chiffre de production que l'on veut maintenir pour l'Ontario? Il n'est pas augmenté, ni diminué. Si l'on prévoit une pénurie, il doit y avoir un chiffre global à maintenir.

Le président: La durabilité.

Le sénateur Spivak: C'est ce que je veux savoir: quel est ce chiffre?

M. Naysmith: Il est d'environ 20 millions de pieds cubes par année.

Le sénateur Spivak: À ce rythme, il y aurait effectivement pénurie. Si j'ai bien compris, la nouvelle loi ne prévoira aucune augmentation ou diminution de ce chiffre. Comment pouvez-vous prédire une pénurie à moins que vous, ou quelqu'un d'autre, n'ait un chiffre en tête pour la quantifier?

M. Naysmith: Le chiffre est basé sur ce dont a besoin une usine. L'usine a besoin d'un certain nombre d'arbres coupés chaque année.

Le sénateur Spivak: J'en suis très consciente.

M. Naysmith: Peut-être n'ai-je pas bien compris ce que vous vouliez savoir?

Le président: C'est une question de durabilité.

Le sénateur Mahovlich: Vous avez mentionné la fabrication de paniers de frêne noir. Le frêne servait à la production de bâtons de hockey et de battes de base-ball. Peut-on en faire des paniers? Cet été, une dame m'a fait un panier avec des branches de saule.

M. Moore: C'est peut-être parce qu'elle ne pouvait mettre la main sur du frêne noir, qui est le matériau pour la fabrication de paniers.

Le sénateur Mahovlich: Cette dame vient d'Italie, où on utilise du saule. Vous dites que le frêne noir est plus commun.

M. Moore: Les gens de l'est de l'Ontario qui habitent près de la forêt boréale utilisent le frêne noir.

Le président: À la longue, le saule s'assèche et devient frêle, tandis que le frêne noir est plus durable.

Le sénateur Mahovlich: Nous devons être vigilants quant à quantité de saule que l'on laisse pousser ici. Lorsque je suis allé à Beijing, en Chine, j'ai pu constater qu'il ne leur restait que du saule. C'était terrible. On aurait cru que c'était de la mauvaise herbe.

Le sénateur Spivak: Vous avez tout à fait raison, nous ne voulons pas que cela se produise ici.

Le sénateur Mahovlich: Nous devrions peut-être exporter des semis en Chine et encourager certains de nos étudiants à aller là-bas pour les planter.

Le président: Nous ne pourrions pas rester dans la course, parce que nous ne pourrions pas verser à nos gens un salaire moindre que celui que les Chinois versent à leurs propres employés.

Le sénateur Mahovlich: Il y aurait peut-être moyen de s'entendre.

Je tiens à mentionner que lorsque j'étais jeune étudiant, la société Abitibi était pour moi une entreprise formidable. Rendus à un certain niveau scolaire, nous visitions l'usine d'Abitibi à Iroquois Falls. C'était pour nous une sortie fascinante. Ils nous faisaient visiter l'usine et nous montraient comment le papier journal était fabriqué. C'est une entreprise qui a une très bonne réputation et je suis sûr qu'elle s'intéresse vivement au sort de nos forêts.

Le président: J'ai une question complémentaire à la vôtre, sénateur Mahovlich, sur les bâtons de hockey. Il y a quelques années je suis allé aux Barbades et j'ai vu là-bas une usine où l'on fabriquait des bâtons de hockey avec du bois qu'on achetait de l'Ontario. Ils fabriquaient des bâtons et les renvoyaient au Canada. Êtes-vous au courant de cela et, dans l'affirmative, pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Moore: Non, je n'étais pas au courant, mais c'est une chose qui m'effraie. On le voit souvent. Une bonne partie du bois qui est produit sur la côte ouest aboutit au Japon, où l'on en fabrique toutes sortes de choses, puis tout cela revient au Canada.

Le sénateur Mahovlich: Le gouvernement fédéral mène-t-il des travaux de recherche? Vous avez dit aujourd'hui qu'il n'en faisait plus. Toutefois, si j'ai bien compris, il y a encore des travaux de recherche qui se font.

Le sénateur Whelan: Ils ont sabré là-dedans. Certaines stations ont été fermées.

Le président: Nous pourrons nous poser des questions entre nous une fois que nos témoins ne seront plus là. Concentrons notre tir sur eux pour l'instant.

M. Moore: Puis-je ajouter quelques mots là-dessus? Il y a encore beaucoup de travaux de recherche qui se font grâce au financement du gouvernement fédéral par le biais du Service canadien des forêts. Une bonne partie des travaux de recherche qui nous intéressent sont effectués au Centre de foresterie des Grands Lacs à Sault Ste. Marie. Le Service canadien des forêts est un partenaire actif siégeant au conseil d'administration de notre forêt modèle. Il y a des gens de ce service qui s'occupent à l'heure actuelle de parcelles de recherche dans notre forêt modèle. Toutefois, le sénateur Whelan a raison, il y a eu des compressions considérables au cours des dernières années et des bureaux ont fermé.

Le sénateur Mahovlich: C'est la première fois que j'accompagne ce comité. J'aime beaucoup le jardinage. J'ai un jardin de rocailles dans le bout de Muskoka. Je constate que certains arbres ne poussent pas dans cette région parce que le sol ne leur convient pas. La terre ici semble propice à la croissance de nombreuses belles mousses de toutes sortes que je n'ai jamais vues dans la région de Muskoka. Par ailleurs, il y a des arbres qui vont pousser à Timmins mais qui ne pousseront nulle part ailleurs. C'est à cause du sol. Je pense que c'est un domaine de recherche crucial.

Le président: Monsieur Naysmith, comment réagissez-vous à ceux qui disent que vous vous occupez de choses qui incombent d'abord aux entreprises d'exploitation forestière, c'est-à-dire la lutte contre les incendies et le reboisement des forêts? Est-ce là une méthode pour ces entreprises de se dérober à leurs responsabilités en matière de reboisement pour l'avenir? Ne font-elles que verser des impôts dans un fonds que l'on vous confie pour vous permettre de vous occuper d'activités qui leur appartiennent?

M. Naysmith: Non. Le titulaire de permis est l'entité qui s'occupe de ce travail. Aux termes de la nouvelle loi, c'est au titulaire de permis qu'il appartient de s'occuper de ce travail de renouvellement, de ce travail de régénération. Le fonds en fiducie n'est qu'un mécanisme permettant de verser normalement au Trésor 4 p. 100 ou 5 p. 100 de la valeur du bois sur pied. L'industrie ne cesse de nous rappeler depuis des années que si nous tenons à ce qu'elle fasse ce travail, nous devons y consacrer de l'argent. C'est ce que nous permet de faire le fonds en fiducie. Le gouvernement a établi un fonds en fiducie autonome.

Les entreprises dont vous parlez ont toujours voulu faire ce travail. Elles possèdent les connaissances et les moyens qu'il faut. Aujourd'hui, elles disposent des sommes qui sont versées dans le fonds en fiducie et qui leur permettent, dans la mesure où l'activité est légitime et répond aux critères, d'entreprendre ce travail. Et c'est ce qu'elles font. Notre comité ne s'occupe pas de cela. Il n'a rien à voir avec le ministère, cette immense bureaucratie, qui a mis ce fonds en place pour qu'une poignée de gens puissent l'alimenter.

Le sénateur Whelan: Je veux que les gens soient au courant de vos activités précises. Vous avez parlé d'une vidéo. Avez-vous un film qui peut servir à renseigner les gens?

M. Moore: Nous avons deux ou trois choses qui peuvent être utiles. Celle que j'ai mentionnée est de nature plutôt technique et elle concerne la régénération et la protection à grande échelle. Toutefois, nous avons une assez bonne série de programmes que la station de télévision locale a préparés. À ma connaissance, ces choses ont été diffusées dans tout l'Ontario au cours des deux ou trois dernières années. Nous serons heureux de les mettre à votre disposition si vous voulez les visionner.

Le sénateur Whelan: Je respecte beaucoup le pouvoir de la télévision. Je suis le genre de personne qui peut se laisser convaincre par ce qu'elle voit à la télévision. Je suis devenu le ministre le plus populaire de Trudeau. J'ai toujours été au premier ou au deuxième rang. Ce n'est qu'après avoir quitté la politique que j'ai été mis au parfum. J'ai demandé au premier ministre pourquoi il faisait faire des sondages. Je lui ai demandé pourquoi il ne m'avait pas mis au courant avant cela. Il a répondu: «Cette damnée casquette verte ne m'aurait jamais bien convenu».

Il y a un rapport avec les forêts lorsqu'il est question d'animaux, car un bon chapeau Stetson contient du castor. J'en ai un qui a plus de 20 ans. Quelqu'un me l'a donné au Manitoba. Cela cadre avec la question des forêts.

Je tiens beaucoup à la propagation de l'information. Selon moi, nous ne recevons pas assez de renseignements sur vos activités. Ce sont des renseignements qui ne devraient pas être réservés exclusivement au Nord, ils devraient être diffusés dans tout le Canada. Nous nous inquiétons, de même que les Européens, de l'incurie dont nous faisons preuve dans la gestion de nos forêts et du fait que nous décimons les forêts. La communication et l'information offrent des moyens dont nous ne tirons pas suffisamment parti.

M. Moore: Ce que vous dites me plaît énormément car nous avons consacré une bonne partie de la matinée à discuter précisément de ce problème à la réunion que nous avons eue la semaine dernière. Nous sommes unanimes à penser que lorsqu'il s'agit de communiquer avec les gens de la localité ou de la région au sujet de la forêt modèle, nous nous débrouillons assez bien. Ce n'est pas du tout le cas lorsqu'il s'agit de communiquer avec ceux qui tirent les ficelles, avec les décideurs et les citoyens à l'échelle du pays. Si vous allez à Toronto et demandez à quelqu'un s'il a entendu parler d'une forêt modèle, il vous répondra «non». Si vous posez la même question dans notre région, je pense que tous vous diront qu'ils en ont entendu parler parce que c'était à la télévision.

M. Naysmith: À propos de la diffusion de renseignements sur les forêts modèles, un secrétariat international des forêts modèles a été établi. Le siège de ce secrétariat est au Canada. Il y a eu à Tokyo en mars dernier un atelier que j'ai coprésidé. Il a réuni les représentants d'environ 18 pays et de quatre organisations non gouvernementales. Bien sûr, l'un des pays représentés était le Canada. Les représentants des autres pays ont participé parce qu'ils voulaient savoir ce qui se passait au Canada dans le domaine des forêts modèles. Ils aimeraient en établir dans leurs propres pays.

Il y a aujourd'hui trois pays qui ont des forêts modèles. En diffusant ce genre de renseignements partout dans le monde, il pourrait y en avoir 18.

Le sénateur Stratton: J'aimerais, si vous le permettez, revenir à la question du sénateur Spivak, parce que je ne suis pas sûr que nous ayons bien saisi votre réponse. D'après ce que j'ai cru comprendre, l'abattage d'une forêt se fait théoriquement après 75 ou 85 ans. Je sais que dans certains cas, on n'attend pas aussi longtemps. Vous avez dit qu'il y avait un écart. Est-ce un écart de 20 ans? En d'autres mots, à un moment donné, allons-nous être obligés de commencer à abattre après 55 à 65 ans? Est-ce bien ce que vous dites? Si c'est le cas, cela va-t-il devenir la norme à cause de cet écart? Je ne vois pas comment on pourra à court terme parvenir à surmonter cet écart. Ai-je bien compris ou est-ce que je me fourvoie complètement?

M. Naysmith: Non, vous ne vous fourvoyez pas complètement. C'est à peu près ce que vous dites. L'écart que l'on entrevoit durera de 15 à 20 ans parce qu'il y a beaucoup de jeunes peuplements qui pourront être exploités, au moment opportun. Il ne commencera à se manifester que dans 15 ou 20 ans à peu près.

Le sénateur Stratton: Est-ce dire donc que pour que l'industrie puisse survivre, nous devrons abattre des arbres beaucoup plus jeunes pendant ces 10 ou 15 années? C'est ce que j'ai cru comprendre d'après votre réponse.

M. Naysmith: Vous n'êtes pas loin de la marque. Ce qui se produirait, c'est qu'il y aurait moins d'arbres à abattre. Voilà l'écart. Si aujourd'hui l'abattage se fait après 100 ans, dans 15 ans, se pourrait être après 90 ans. L'activité des scieries en souffrira. Le Fonds de réserve forestier n'est que l'un des mécanismes que nous employons pour essayer d'améliorer les pratiques d'exploitation des peuplements naturels. Pour réduire l'écart, nous pouvons augmenter la productivité dans les peuplements naturels au cours des 10 à 20 prochaines années.

Le sénateur Stratton: Une dernière question. Dans les économies ordinaires, la demande augmente toujours. Compte tenu de cet écart, envisage-t-on une croissance normale de la demande au fil des années, conformément à ce qui s'est toujours vu?

M. Naysmith: Oui. À l'échelle planétaire, il est question aujourd'hui de 1 700 millions de mètres cubes par année.

Le sénateur Stratton: Quelle est la proportion qui vient du Canada?

M. Naysmith: Je pense que c'est à peu près 40 p. 100.

M. Moore: C'est 43 p. 100.

M. Naysmith: En 2020, soit dans moins de 25 ans, la quantité de mètres cubes passera de 1 700 à 2 700 millions. À l'échelle planétaire, la demande augmentera de 1 000, et nous ne pourrons pas y suffire.

Le sénateur Spivak: S'agit-il de développement durable? On a beau dire que la demande est là et donc qu'il faut abattre tous les arbres de la forêt. Selon moi, ce n'est pas de cette façon que l'on arrivera au développement durable.

Le président: Ce n'est pas ce qu'il a dit, cependant.

Le sénateur Spivak: Oui, c'est ce qu'il a dit.

Le sénateur Stratton: Il a dit que lorsque la demande passera de 1 700 à 2 700, on ne pourra pas y répondre. Est-ce bien cela?

M. Naysmith: Oui.

Le sénateur Spivak: Excusez-moi. Je n'avais pas bien saisi. Je suis heureuse qu'on n'y répondra pas.

Le sénateur Mahovlich: Je dirais que cela tombe sous le sens que la demande augmente toujours.

Le sénateur Stratton: Plus les ordinateurs se répandent, plus il nous faut du papier.

Le président: Nous vous remercions infiniment de vos témoignages.

La séance est levée.


Haut de page