Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 18 - Témoignages du 12 mai 1999
OTTAWA, le mercredi 12 mai 1999
Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 12 h 40, pour étudier des questions liées à l'énergie, à l'environnement et aux ressources naturelles au Canada.
Le sénateur Ron Ghitter (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Aujourd'hui l'une des nôtres nous fait le privilège de jouer un rôle plus activiste dans un domaine dont elle a grande connaissance. L'honorable sénateur Lois Wilson va nous parler de son expérience dans le domaine de l'énergie nucléaire et au sein de la commission Seaborn.
Vous avez la parole.
L'honorable Lois Wilson: Vous avez entre les mains, honorables sénateurs un document que je ne vais pas lire; je ne parlerai que des points qui sont mis en relief. Je veux vous parler également du sommaire du rapport Seaborn. Je vais m'efforcer d'être brève, afin que nous ayons davantage de temps pour les questions.
La production d'énergie nucléaire a commencé dès le début de l'ère du nucléaire, au cours de la Seconde Guerre mondiale. Mais tout ce qui concernait le nucléaire a toujours été entouré de secret, car au début ce domaine était intimement lié au domaine militaire.
En 1981, les gouvernements de l'Ontario et du Canada ont émis une déclaration conjointe dans laquelle ils confiaient à Énergie atomique du Canada Limitée la mission de concevoir un moyen pour évacuer en couches géologiques profondes les déchets de combustible nucléaire. L'entente prévoyait qu'aucun site ne serait sélectionné avant d'avoir fait l'objet d'une audience fédérale complète et avant que le concept n'ait reçu l'approbation des deux gouvernements.
La commission Seaborn a été créée en octobre 1989. J'étais l'un des huit membres. C'était un groupe multidisciplinaire qui comprenait un environnementaliste, deux ingénieurs, un autochtone, un biologiste, un spécialiste en radiation nucléaire, le président et moi-même. Il était prévisible depuis le début qu'un tel groupe ne parviendrait pas à s'entendre sur grand-chose.
Le mandat était inhabituel et restreint. Nous ne devions examiner que l'élimination des déchets, sans nous préoccuper de leur provenance. Nous ne devions pas non plus examiner le cycle complet du combustible nucléaire. Nous avons reçu de nombreuses objections de la part du public qui nous a dit qu'il n'y avait aucun intérêt à étudier uniquement la question de l'évacuation des déchets nucléaires, sans tenir compte du tableau d'ensemble. Malheureusement, tout cela ne relevait pas de notre mandat. Nous avons néanmoins demandé au public de nous apporter sa participation, et les problèmes soulevés sont présentés dans notre rapport.
Nous devions en outre examiner un «concept», ce qui est bien plus difficile que d'examiner un site, un programme ou un projet parce qu'un concept est quelque chose d'indéfini. Nous devions constituer un groupe d'experts scientifiques de renom qui nous aideraient à déterminer si le concept était acceptable et sans danger. L'on n'a malheureusement pas constitué de groupe d'experts en sciences sociales pour faire le parallèle. Nous avons donc entrepris notre travail en supposant, à tort, que le concept était une question purement technique.
Certains des membres de la commission n'avaient pas de connaissances techniques, et ceci a été source de divergences et de confusion.
Nous devions examiner une large gamme de questions d'ordre politique et nous avons en outre demandé par la suite à EACL d'étudier toutes les options en détail. Mais cela n'a jamais été fait. Nous devions de plus mener une étude dans cinq provinces. Cela nous a pris huit ans, incluant la période pendant laquelle EACL répondait à nos demandes.
Vous trouverez les principales conclusions de la commission dans le sommaire qui figure à la fin du document qui vous a été distribué. J'aimerais faire quelques commentaires sur les recommandations de la commission et sur la réponse du gouvernement, car c'est là que nous en sommes en ce moment.
Il y avait deux grands points de divergence entre les recommandations de la commission et la réponse du gouvernement. Le premier portait sur la question de la sécurité: le concept était-il sûr ou non? Le deuxième avait trait à la gestion de l'évacuation des déchets: qui devait s'en occuper?
Le seul consensus auquel le groupe soit arrivé, c'est qu'il n'y avait pas de consensus. Nous étions d'accord sur le fait que nous n'étions pas d'accord. Nous pensions que cette absence de consensus serait prise en compte non seulement dans le rapport lui-même, mais également dans la lecture que le gouvernement en ferait; autrement deux de mes collègues et moi-même aurions rédigé un rapport minoritaire, ce que nous n'avons pas fait.
Le gouvernement du Canada n'a jamais reconnu qu'il y avait une divergence d'opinion au sein de la commission. Nous disions dans notre rapport que la sécurité est un élément clé du concept, mais qu'il convient de l'analyser sous une perspective complémentaire, c'est-à-dire en complétant la perspective technique, ce qui est une approche valable en sciences sociales.
Le fait que notre commission n'ait pas réussi à s'entendre sur la sécurité du concept reflète la profonde division qui existe dans la société canadienne sur toute cette question, et cela mérite d'être pris très au sérieux.
La réponse du gouvernement canadien au rapport de la commission de décembre 1998, déformait ou comprenait mal, je ne peux pas dire si c'était l'un ou l'autre, les principales conclusions de la commission, et plus particulièrement celle concernant la sécurité.
On peut trouver les conclusions de la commission à la deuxième page avant la fin du document sous la rubrique «Principales conclusions de la commission». On peut y lire:
Dans l'ensemble, la sécurité de la proposition d'Énergie atomique du Canada Limitée a été correctement démontrée d'un point de vue technique, au niveau conceptuel, mais pas du point de vue de la société.
Nous avions conclu qu'il fallait examiner le caractère sécuritaire sous deux points de vue. Nous avons inclus de nombreuses mises en garde, même concernant l'aspect technique. Il restait beaucoup de travail à faire.
Cela n'a jamais été reconnu. D'après la réponse du gouvernement et la réaction des médias, il a été conclu que la commission avait trouvé le concept d'évacuation des déchets nucléaires mis au point par EACL techniquement sûr, mais qu'il ne jouissait pas d'un grand appui dans le public. Le fait que certains membres de la commission estiment que le concept n'est pas sûr a été complètement passé sous silence. La divergence d'opinions au sein de la commission a été ignorée.
Les médias ont répété à l'infini que le concept était sûr techniquement et qu'il ne lui manquait plus que l'acceptation du public. L'impression qui ressortait, c'était que tout ce que nous avions à faire, c'était de dire au public que le concept était sûr.
Les sénateurs voudront peut-être poser des questions sur ces deux points avant de continuer. Je résume donc: la commission était divisée et les avis sur la sécurité du concept étaient déformés et c'est encore le cas aujourd'hui.
Le président: Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par «point de vue de la société»?
Le sénateur Wilson: Je vais tenter d'être claire. Les nombreux défauts relevés au début par les scientifiques inquiétaient ceux qui ont dit que le concept n'était pas sûr du point de vue de la société. Ils estimaient que rien n'avait été fait pour y remédier, même d'un point de vue technique. Ces gens s'intéressaient davantage aux conséquences possibles de l'énergie nucléaire, c'est-à-dire aux risques d'accident. On nous a garanti maintes et maintes fois qu'il n'y aurait pas d'accident. Mais le public, lui, n'a pas été convaincu et a fait remarquer ce qui se passerait si un accident se produisait. C'est pour cela qu'ils estimaient que le concept n'est pas sûr.
Certains ne faisaient pas du tout confiance à la modélisation informatique, car il s'agit d'une approche conceptuelle dont l'efficacité n'a jamais été soumise à des essais ni prouvée. Et l'on s'attend à ce que cette modélisation informatique soit valable pour les 1 000 prochaines années. Nous avions des doutes là-dessus.
Les gens pensaient qu'il vaudrait mieux compter sur la capacité des êtres humaines pour contrôler les choses que sur une sécurité passive technique. La proposition était d'enfouir les déchets et de garantir leur sécurité de manière passive. On n'aurait plus jamais besoin de s'en soucier. Mais eux voulaient un bilan éthique et social complet. Ils admettaient la possibilité d'une erreur humaine, mais faisaient autant confiance aux êtres humains qu'à une méthode technique dont ils n'étaient pas sûrs.
Bien que nous en ayons souvent fait la demande, nous n'avons jamais obtenu de détails sur les scénarios du pire. On nous a sans cesse répété qu'il n'y avait pas de problème. Les incrédules ont souvent demandé qu'on leur décrive les scénarios du pire. Les mises en garde exprimaient les doutes de ceux qui jugeaient que le caractère sécuritaire n'avait pas été prouvé d'un point de vue social.
Le sénateur Spivak: Je ne comprends pas pourquoi vous dites qu'il ne s'agit pas d'une question technique. Si vous n'êtes pas convaincue par la modélisation informatique parce qu'elle n'est pas faite en «temps réel», comme on dit, pourquoi ne s'agirait-il pas d'un problème d'ordre technique? Pourquoi n'a-t-on pas jugé que les tremblements de terre et les risques pour l'approvisionnement en eau étaient des questions techniques?
Le sénateur Wilson: Nous avons soulevé toutes ces questions, mais on a fini par nous assurer que ces situations ne se produiraient pas. On nous a garanti que le concept était sûr techniquement. La moitié de la commission n'était pas convaincue de la sécurité du procédé même d'un point de vue technique. Dans nos premières audiences, notre groupe d'experts scientifiques, Environnement Canada et bien d'autres groupes ont signalé toutes sortes de défauts et problèmes. De fait, on a dressé une liste de 95 défauts d'ordre technique. On nous a demandé d'évaluer la sécurité du concept.
On nous a également demandé d'évaluer l'acceptabilité du concept. La commission a reconnu de façon unanime que le concept n'avait pas vraiment recueilli l'appui du public et n'était pas suffisamment acceptable pour que le Canada le retienne officiellement pour la gestion de ses déchets nucléaires.
Il y avait différentes raisons à cela. On nous a dit que le public ne faisait pas confiance aux organismes qui seraient chargés de la mise en application du concept. À ce moment-là, EACL n'avait pas encore été désignée, mais EACL et Ontario Hydro s'étaient proposées. Leur rôle suscitait beaucoup de scepticisme.
La commission avait demandé à EACL de soumettre plusieurs options, mais celle-ci ne nous en a présenté qu'une seule: l'enfouissement en couches géologiques profondes. Nous estimions que le public méritait de savoir s'il existait deux ou trois options, afin de pouvoir choisir la meilleure.
Nous estimions que l'on n'avait pas vraiment examiné comment obtenir qu'un public informé prenne une décision. La commission reconnaissait à l'unanimité que ce concept n'avait pas reçu l'acceptation du public, et qu'il faudrait tenir compte de ce fait.
La commission recommandait certaines options. La première était de retenir le concept d'EACL en le modifiant, c'est-à-dire un enfouissement en couches profondes, mais avec des modifications. La deuxième était de stocker les déchets sur les sites des réacteurs où ils se trouvent actuellement, ou de les regrouper pour les stocker soit au-dessus soit en dessous du niveau du sol.
J'ai un document du Cabinet qui indique que l'élaboration d'autres options ne faisait pas partie du mandat d'EACL, ce qui est exact. Par contre, la commission, dans le cadre des lignes directrices sur l'évaluation environnementale, a demandé à EACL de présenter d'autres options. Mais cela n'a jamais été fait. Dans sa dernière communication qui remonte au 3 décembre 1999, le ministère des Ressources naturelles signale qu'il indiquera au Cabinet l'option privilégiée dans un délai de 12 mois.
J'aimerais vous parler maintenant de certaines de nos recommandations.
Premièrement, nous avons suggéré de consulter pleinement la communauté autochtone et de lui demander de mettre au point le processus avec l'aide du gouvernement. Pas un seul des groupes d'Autochtones qui se sont présentés devant notre commission était en faveur du concept. Même la bande des Premières nations de Meadow Lake en Saskatchewan, qui avait d'abord vu dans ce projet un bon moyen de faire de l'argent, a part la suite changé d'avis. Il est indispensable de consulter la population autochtone car l'intention est d'enfouir les déchets dans le Bouclier Laurentien -- et on sait qui vit dans cette région. Nos propres consultations de cette population étaient incomplètes. Ce devrait être un premier point à prendre en considération.
Deuxièmement, nous recommandions d'inclure dans l'Agence de gestion des déchets de combustible nucléaire, les gouvernements fédéral et provinciaux, des entreprises de services publics, et des gens ayant des compétences dans les domaines de l'ingénierie, des sciences et des sciences sociales. Nous recommandions en outre d'inclure dans son personnel des gens qui avaient des connaissances en matière d'information du public, ainsi qu'en sciences et en technique. Nous avons également fait remarquer qu'il conviendrait de faire appel à une personne autochtone.
Au lieu de suivre cette recommandation, le gouvernement a recommandé de confier cette responsabilité à Ontario Hydro et aux entreprises de services publics du Nouveau-Brunswick et du Québec. Nous craignons que la représentation ne soit pas assez large. Nous considérons qu'il ne s'agit pas d'une question purement technique. À moins que la société ne comprenne bien de quoi il s'agit, on s'expose à des risques de désobéissance civile, comme cela a été le cas en Allemagne.
La commission recommandait de soumettre l'agence à de multiples mécanismes de surveillance, notamment à un contrôle des autorités de réglementation fédérales pour ce qui concerne l'aspect scientifique et technique de ses activités; à un cadre politique de la part du gouvernement fédéral; et à des examens publics réguliers confiés de préférence au Parlement. Or le gouvernement a réduit les mécanismes que nous recommandions à un simple mécanisme de surveillance du fédéral.
Nous avons consacré beaucoup de temps à la participation du public et longuement réfléchi à ce qu'il conviendrait de faire. Bon nombre des intervenants que nous avons entendus représentaient des groupes d'intérêt particulier et étaient opposés au concept de l'évacuation des déchets, et l'on ne pouvait donc pas en tenir compte. Mais nous avons également reçu les témoignages de représentants de groupes d'intérêt public, et tous n'étaient pas opposés au concept.
Lorsque j'ai été nommée pour faire partie de cette commission, je ne savais absolument rien sur ce sujet, et c'est d'ailleurs pour cela que j'ai été choisie. Le gouvernement voulait avoir des gens qui n'aient aucun parti pris et c'était tout à fait mon cas. À mesure que nous avancions dans nos travaux, j'ai souvent été influencée par les témoins, autant par ceux qui étaient en faveur du concept que par ceux qui y étaient opposés, avant de finalement me ranger du côté où je me situe désormais.
La Société royale du Canada de l'Académie canadienne du génie est l'un des rares groupes qui nous ait présenté des évaluations des aspects scientifiques et sociaux. Comme nous leur avions demandé, ils ont amalgamé ces deux dimensions.
Nous avions recommandé l'élaboration et la mise en oeuvre d'un plan pour la participation du public, mais je ne crois guère que cela se fera. Pour vous donner un exemple, au mois de février de cette année, un avis public restreint a été envoyé à des segments choisis du public pour les convier à venir présenter, à une date donnée, leurs commentaires sur trois points clés déterminés par le gouvernement et se rapportant au mécanisme de surveillance du fédéral. J'ai reçu de nombreuses lettres me disant combien ce processus était mal organisé. Apparemment, les participants étaient assis en cercle; leurs commentaires n'ont pas été enregistrés de manière systématique; la question de la sécurité du point de vue de la société et des déchets nucléaires n'a jamais été mentionnée; et le temps accordé était limité.
Les avis de ce processus n'ont pas été envoyés à tous les intervenants initiaux. Certains ont appris qu'il avait lieu par le bouche à oreille, et d'autres ont lu l'avis par hasard. Les choses n'étaient pas très bien organisées. Si cela est un exemple de consultation du public, il ne m'inspire aucune confiance.
L'un des points cités avait trait à un plan pour remédier aux problèmes. J'ai déjà indiqué que la commission avait dit que:
Si, après avoir observé les étapes ci-dessus, le concept d'EACL est retenu parce qu'on estime qu'il constitue l'option la plus acceptable, le gouvernement devrait demander à l'Agence de gestion des déchets de combustible nucléaire d'entreprendre, avec le ministère des Ressources naturelles du Canada et EACL, ou son successeur, les actions suivantes: un examen de tous les défauts à caractère social et technique relevés par le groupe d'experts scientifiques; l'établissement de leurs priorités; et l'élaboration d'un plan pour les réaliser. L'AGDCN devait mette ce plan à la disposition du public, solliciter les réactions du public et ensuite le mettre en application.
Nous avons agi ainsi parce que le gouvernement du Canada était d'accord avec l'esprit de cette recommandation. Il a indiqué que l'examen aurait lieu, mais n'a rien dit à propos des priorités, de la participation du public, de l'examen des défauts ni de l'élaboration d'un plan pour y remédier.
Normalement, dans une évaluation environnementale, on dresse la liste des défauts relevés. Les proposants sont alors tenus d'y remédier avant de poursuivre. Dans ce cas-là, la commission estimait que le modèle scientifique présenté par EACL, qui était largement critiqué par les scientifiques et par d'autres, ne méritait pas de recevoir davantage d'argent pour des activités de recherche puisqu'il était considéré inadéquat dès le départ. Nous avions relevé 95 défauts et recommandé qu'EACL y remédie si elle voulait le mettre en application.
Permettez-moi de dire un mot sur les exportations de réacteurs CANDU, puisque ce sujet a été soulevé hier en Chambre. On demande toujours s'ils fonctionnent efficacement, s'ils sont sûrs. Je crois que ce sont des questions valables auxquelles on a bien répondu. Or personne ne demande jamais si la Roumanie ou la Chine sait quoi faire avec ses déchets nucléaires. La réponse est qu'il n'existe nulle part au monde de modèle sûr qui ait été éprouvé. Il convient de se demander s'il est moralement acceptable d'exporter des réacteurs CANDU à des pays qui ne sont pas aussi avancés que nous dans leurs recherches sur l'élimination des déchets nucléaires.
On nous répète sans cesse que le consensus international sur ce sujet est qu'il n'y a pas de danger. Et je demande toujours à savoir qui a formé ce consensus. Les techniciens uniquement? La réponse est toujours oui, car la société en général n'a jamais eu son mot à dire sur ce sujet. Ma théorie est qu'il ne peut y avoir de consensus international tant que l'on ne demande que l'avis des techniciens.
Enfin, nous avons indiqué que la consultation des Autochtones, l'éducation et l'information du public, et l'élaboration d'options -- toutes des recommandations que nous avions faites -- prendraient au moins trois ans. Or le document du Cabinet affirme qu'un report de trois ans pour revoir le concept d'évacuation des déchets d'EACL serait trop long, et que d'ici là une bonne partie de l'infrastructure humaine et physique qui pourrait être utilisée aurait été épuisée.
Cette question sera sans doute résolue d'ici un an. Je crois que le gouvernement est en train de commettre une erreur des plus grave. Si l'on ne prend pas la peine d'éduquer et d'informer le public de façon adéquate, surtout si l'on ne consulte pas comme il faut les populations autochtones, car ce sont elles qui seront directement touchées, on s'expose au chaos.
J'espère que vous lirez notre rapport complet ainsi que la réponse du gouvernement que vous pourrez vous procurer facilement.
Le président: Merci beaucoup, sénateur Wilson.
Le sénateur Gustafson: Lorsque je suis arrivé à Ottawa, il y a 20 ans, Énergie atomique du Canada Limitée présentait une excellente exposition dans la salle 200. Un jeune homme brillant avec qui j'avais fait mes études était devenu chercheur à EACL. Et celui-ci m'a dit que l'énergie atomique était ce qui pouvait arriver de mieux.
Je me souviens d'avoir appelé le ministre de l'Énergie de l'époque pour lui demander où l'on en était à ce sujet. Il m'a dit que ce n'était pas encore politiquement acceptable à ce moment-là. Et c'est ce que vous nous dites aujourd'hui. On a décidé que l'enfouissement des déchets dans le sol pour le laisser se dissiper dans la roche au cours des âges était une bonne idée, mais qu'elle n'était pas acceptable politiquement. Il y a vingt ans, 80 p. 100 des gens étaient contre l'uranium. À votre avis, quelle est cette proportion aujourd'hui?
Je me rappelle également avoir été invité à dîner chez l'ambassadeur de France lorsque j'étais le secrétaire parlementaire du premier ministre. Il voulait savoir ce que je pensais de l'avenir du Parti réformiste dans l'Ouest du Canada. Ce que je lui ai dit s'est avéré complètement faux, et j'en souris encore lorsque j'y pense. Mais peu importe, après quelques temps, je l'ai interrogé sur ses antécédents, et il m'a dit qu'il avait travaillé dans le secteur de l'uranium. Il m'a dit qu'en France, 75 p. 100 de la production d'électricité provenait de l'uranium. Il m'a également parlé des vastes gisements d'uranium en Saskatchewan, et m'a dit que nous avions chez nous l'Arabie Saoudite d'Amérique du Nord.
À mon avis, le Canada devrait jouer un rôle de chef de file, et sera probablement un jour un chef de file, dans ce domaine. Pensez-vous qu'il soit juste que des gens qui ne s'y connaissent pas prennent position d'un point de vue social, comme vous dites, contre les gens de l'industrie qui comprennent les aspects techniques de la situation? Cela amène à revoir toute l'idée de la démocratie.
Le sénateur Wilson: C'est un fait. Mais nous n'avons pas vraiment dit que le concept était techniquement acceptable. Nous pouvons enfouir tous ces déchets et il se peut que cela soit politiquement acceptable.
Nous avons toutefois signalé que même ceux qui nous ont dit que c'était techniquement acceptable, précisaient toujours «dans l'ensemble». Il y a donc une certaine hésitation. Même au niveau conceptuel. Les avantages techniques n'ont pas été prouvés. Comme je l'ai dit, 95 défauts ont été relevés. Ce qui veut dire que du point de vue technique, il reste encore bien du travail à faire.
Par ailleurs, lorsqu'on parle de sécurité d'un point de vue social, on parle de sécurité, non pas d'acceptabilité.
J'aimerais rappeler encore une fois qu'il y avait divergence d'opinion sur les aspects liés à la sécurité. Il s'agit d'une question très controversée. Si j'hésite à approuver l'attitude du gouvernement qui semble vouloir avancer à toute allure dans ce dossier, c'est parce je pense qu'il ne comprend pas les craintes et inquiétudes profondes de certaines personnes, et la division de la société qu'il risque d'exacerber ainsi.
Le sénateur Gustafson: Les inquiétudes exprimées concernaient-elles plus particulièrement le transport des déchets?
Le sénateur Wilson: Nous allons inclure un long chapitre sur le transport et sur le choix entre le transport par camion ou par bateau, surtout dans et autour des localités du Nord de l'Ontario qui ont une seule grande route et qui passe sur un seul pont, et sur les risques de feu de forêts et les dangers posés par le verglas sur la route. Nous avons eu de nombreuses interventions qui portaient sur la question du transport. C'était un sujet difficile à traiter puisqu'il était théorique. Nous avons fait notre possible, mais nous n'avons pas de projet précis pour l'instant.
Le sénateur Hays: C'est très bien de voir un sénateur venir témoigner devant notre comité et nous donner des conseils d'expert.
Je vais vous poser une question parce qu'il me manque des connaissances pour bien comprendre toutes les ramifications et questions liées à l'élimination des déchets nucléaires. En vous écoutant parler, madame le sénateur, il m'est apparu que vous et vos collègues étiez à la recherche d'une solution parfaite. Et l'on a l'impression qu'à défaut d'en trouver une, vous vous êtes mis d'accord pour rédiger un rapport sur une solution moins que parfaite. Or on dirait que nous sommes toujours en train de rechercher une solution parfaite.
Y a-t-il un système qui ne soit pas sûr à 100 p. 100 mais qui vaille la peine d'être examiné pour l'élimination de nos déchets nucléaires, qui soit meilleur que ce que nous faisons en ce moment, c'est-à-dire stocker les déchets sur le site des réacteurs? Existe-t-il une mesure intérimaire que nous devrions envisager en attendant de trouver la solution parfaite -- que nous ne trouverons peut-être jamais?
Le sénateur Wilson: Nous n'avons pas trouvé de réponse parfaite, alors nous avons fait de notre mieux.
On nous a dit que les déchets pourraient être conservés en toute sécurité dans les bassins à Pickering et Bruce, où ils sont produits, pendant 100 ans. Compte tenu de cela, la commission a recommandé que, puisque nous disposons de 100 ans de répit, nous fassions exactement ce que vous avez suggéré, sénateur. Nous avons demandé à la communauté scientifique d'étudier d'autres options pour voir si nous pouvions en trouver une, au cours des 100 prochaines années, qui inspire davantage confiance au public et à la communauté scientifique. Ça ne fait que 50 ans que nous étudions cette question, ce qui est peu. Le fait que nous disposions d'un répit de 100 ans avant de devoir faire quelque chose a en partie influencé ce que nous avons dit dans notre rapport.
La plupart des pays laissent les déchets nucléaires dans les bassins, ou les transportent et se heurtent à des difficultés lorsqu'ils les déplacent par camions. Les gens ne veulent pas que les camions passent à travers leur communauté car il s'agit de matériel hautement toxique. Ils ont peur des fuites.
Le sénateur Hays: J'ai l'impression que l'un des grands problèmes tient au fait que les gens exigent que le problème soit résolu, mais ils ne veulent pas avoir affaire à la question ni être exposés au risque. C'est le scénario du «pas dans ma cour». Est-ce le problème?
Peut-être pourrions-nous trouver un endroit qui soit stable géologiquement, et où cela ne poserait pas de problème. Dans ce contexte, vous avez indiqué que les communautés autochtones sont unanimement opposées à accepter quelque plan d'action que ce soit, sinon celui que nous sommes en train de suivre, et encore.
Existe-t-il un endroit au monde qui ne soit pas la cour de quelqu'un et qui inspirerait confiance à tout le monde parce que personne ne serait touché directement?
Pourriez-vous nous parler également du rôle des communautés autochtones?
Le sénateur Wilson: Les régions où personne ne vit ont quand même une vie animale et un écosystème.
Lorsque je dis que les autochtones étaient unanimes, je parle de ceux qui nous ont donné leur opinion. Ils étaient loin de représenter tous les Autochtones du Canada. Ceux qui sont venus témoigner ne nous ont pas simplement dit qu'ils ne voulaient pas de ce matériel, ils nous ont parlé de leur philosophie holistique de la terre et de l'humanité et de la manière dont tout est lié. Beaucoup d'entre eux ont dénoncé ce qu'ils appellent la profanation de la terre.
Une personne en particulier, qui venait du Nord de l'Ontario, m'a dit: «Vous n'arrêtez pas de nous prendre des choses. Vous avez pris nos lacs et nos arbres, mais vous n'allez pas nous prendre nos roches». Je suis certaine qu'il ne comprenait pas vraiment le problème, mais il avait compris cependant que nous proposions de déposer nos déchets chez ceux qui sont perçus comme ayant peu de pouvoir politique.
Le sénateur Hays: Il voulait nous rappeler qu'il faut respecter la terre, la nature.
Le sénateur Wilson: Oui, la terre surtout. C'est le message que j'ai reçu. Il voulait nous faire comprendre que les gens du Sud qui produisent ces déchets devraient s'occuper de leurs propres ordures. Beaucoup d'entre eux ne se rendent peut-être pas compte que leur électricité est produite au moyen d'énergie nucléaire. Bien sûr on nous a fait remarquer que de nombreuses communautés autochtones n'ont pas d'électricité.
Le sénateur Spivak: Je ne veux pas discuter des 95 défauts pour l'instant. Ce qui me dérange vraiment dans cette histoire, c'est le rôle joué par l'Agence de gestion des déchets de combustible nucléaire. Il me dérange pour de nombreuses raisons.
J'aimerais en savoir plus sur les scientifiques qui faisaient partie de la commission Seaborn et savoir s'il n'y avait pas de conflit d'intérêt.
Ces entreprises de services publics, si elles ont l'expertise voulue, n'ont pas la réputation de bien protéger l'intérêt public, ni de consulter le public d'une manière sensée. Aucune de ces entreprises ne tient à consulter le public, tout ce qu'elles veulent c'est manipuler le public de manière à en arriver à leurs fins.
Le président: C'est votre opinion personnelle.
Le sénateur Spivak: Je crois que j'ai raison.
Le président: Vous ne parlez pas au nom du comité.
Le sénateur Spivak: Si j'étais une entreprise qui cherche à vendre, mon rôle ne serait pas de protéger l'intérêt public. Ce rôle incombe au gouvernement et c'est ce qu'il devrait faire.
Vous ne pouvez pas reprocher à ces gens de poursuivre leurs fins. Je ne dis pas cela avec méchanceté, mais dans un vrai sens politique. C'est généralement ainsi que se passent les choses.
À quel point la réponse du gouvernement est-elle définitive? Se peut-il qu'il remette en question la manière dont ceci est structuré? A-t-il des questions sur l'évaluation environnementale? Pourrait-il envisager d'autres options dans ce même cadre de gestion? A-t-il accepté le concept de l'enfouissement en couches géologiques profondes? Serait-il disposé à laisser ces déchets là où ils se trouvent durant 100 ans, le temps d'approfondir nos connaissances sur le sujet? Il y a de nombreuses questions auxquelles il faut répondre.
Le président: À laquelle voulez-vous que nous répondions?
Le sénateur Spivak: Elles ont toutes trait au même sujet, c'est-à-dire l'Agence de gestion des déchets de combustible nucléaire.
Le sénateur Wilson: Vous savez autant que moi si la réponse du gouvernement est définitive ou non. Je suis nouvelle sur la Colline parlementaire.
La commission a surtout été déçue de constater que la seule recommandation qui avait fait l'unanimité n'ait pas été acceptée par le gouvernement. De nombreux témoins nous ont dit qu'Ontario Hydro n'avait pas protégé les fonds qui devaient servir à l'élimination des déchets nucléaires. L'argent a été dépensé et a été réduit à une simple inscription comptable. Lorsque cela s'est su, cela n'a pas contribué à accroître la confiance du public à l'égard d'Ontario Hydro. C'est ce qui nous a convaincus que pour gagner la confiance du public, le nouvel organisme de gestion devrait être distinct d'Ontario Hydro.
Quelles étaient les autres questions?
Le sénateur Spivak: L'évaluation environnementale est-elle ouverte à d'autres options?
Le sénateur Wilson: Je ne vois pas comment on pourrait concevoir d'autres options si l'option privilégiée doit être annoncée au mois de décembre prochain.
Le sénateur Spivak: Comment l'Agence de gestion des déchets nucléaires doit-elle négocier la localisation des déchets? Y aura-t-il des consultations du public et des évaluations environnementales? Je ne comprends pas.
Le sénateur Wilson: Un projet de loi sera proposé, et c'est là que vous pouvez intervenir. Je crois que votre comité devrait être mis au courant de la question avant cette étape.
Le sénateur Taylor: Merci, sénateur Wilson, d'avoir porté cette question à notre attention.
L'aspect technique du raffinage et de l'utilisation de l'uranium ne semble pas trop poser de problème, mais il y a manifestement des problèmes d'ordre social liés à la sécurité et cela m'inquiète.
Personne n'a l'air de savoir comment l'uranium est transporté aujourd'hui entre l'usine et son lieu d'utilisation. D'après ce que je sais, on ne retire que 10 p. 100 de l'uranium disponible avant de considérer le combustible comme un déchet. Peut-être faudrait-il le réutiliser de nombreuses fois puisque les soi-disant déchets renferment encore 93 p. 100 d'énergie. Cette question a-t-elle été soulevée par votre commission?
Le sénateur Wilson: Malheureusement, ainsi que je l'ai fait remarquer, notre mandat était restreint, et chaque fois que nous essayions de discuter d'un sujet qui dépassait notre mandat, on nous disait que notre question était irrecevable.
Le sénateur Taylor: Quelqu'un s'est-il présenté devant votre commission pour comparer la pollution liée à l'énergie nucléaire avec celle produite par le gaz ou le charbon? Vous a-t-on dit combien de décès sont liés à des problèmes d'asthme ou à des maladies pulmonaires? Comme vous le savez, nous venons juste de signer la Convention de Kyoto qui prévoit une réduction des émissions de ces autres sources d'énergie. Comme vous le savez, la Chine et la Corée, qui ne manquent certainement pas de charbon, achètent et utilisent nos réacteurs afin de réduire la pollution de l'air. Avez-vous eu un témoin qui ait soupesé les alternatives? Nous avons des informations sur les problèmes d'asthme, de pollution et même le réchauffement de la planète.
Le sénateur Wilson: La commission savait très bien que le nucléaire est plus propre que le charbon. C'est l'une des choses qui joue en sa faveur. Mais cela ne résout pas la question à laquelle nous étions s censés répondre: que faire avec les déchets? Vous avez commencé votre question en disant que techniquement il ne semblait pas y avoir de problème.
Le sénateur Taylor: Je citais votre rapport.
Le sénateur Wilson: Il y a de nombreuses choses qui demandent à être revues et rectifiées ici. Nous savions que l'énergie nucléaire est propre. On nous a néanmoins demander de résoudre la question de l'élimination des déchets, et le fait que la production de cette énergie soit un procédé propre n'a rien à voir avec ce problème.
Le sénateur Taylor: À votre avis, serait-il immoral d'exporter les déchets dans un pays qui serait prêt à les stocker? Bien sûr ils nous feraient payer pour ce service.
Le sénateur Wilson: Que font ces pays avec les déchets? Il me semble que certains d'entre eux ne sont pas aussi bien équipés ni aussi avancés dans leurs recherches sur l'élimination des déchets nucléaires. Je ne sais pas ce qui va se passer dans 20 ans, lorsqu'un nombre X de pays auront des réacteurs nucléaires. J'espère que d'ici là nous aurons eu le temps d'examiner d'autres options.
Nous n'avons pas examiné d'autres options parce que l'on ne nous en a pas présentées. Mais nous avons dit que nous voulions d'autres options.
Le sénateur Adams: Vous avez dit que vous avez rencontré des Autochtones, étaient-ils de l'Ontario et également du Manitoba?
Le sénateur Wilson: Nous sommes allés au Manitoba, en Ontario et au Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Adams: Avaient-ils été choisis parce qu'il existe des possibilités de stockage dans ces endroits?
Le sénateur Wilson: J'aimerais bien savoir. J'ai souvent posé la question. Pourquoi eux et pas d'autres? Peut-être était-ce en partie une question de disponibilité. Nous sommes allés à Serpent River et Longlac.
Le sénateur Adams: Avez-vous suggéré que le gouvernement payerait ces communautés pour stocker les déchets?
Le sénateur Wilson: Non, nous avons examiné la question avec eux de la même manière qu'avec la communauté dominante. Notre mandat était d'étudier ce que nous allions faire avec les déchets, mais les Autochtones ne se sont pas limités au mandat. Ils ont réagi à tout le concept de l'énergie nucléaire.
Le sénateur Adams: On nous a dit qu'en Europe et dans le Nord de la Russie on enfouit des déchets nucléaires dans les eaux profondes des hautes mers. Les gens disent que les barriques qui contiennent les déchets risquent de casser. Resteront-ils au fond?
Le sénateur Wilson: Le gouvernement canadien savait qu'il devrait y avoir un meilleur moyen et c'est pour cela que tout le processus a été enclenché. On voulait trouver un moyen sûr de se débarrasser des déchets nucléaires. Il faut attribuer ce mérite au gouvernement du Canada.
Le sénateur Adams: Vaudrait-il mieux forer un trou dans la glace du Groenland et les enfouir à plusieurs milliers de pieds de profondeur? Avez-vous entendu parler de cette possibilité?
Le sénateur Wilson: Nous avons tout entendu. On nous a parlé de les expédier sur la lune et de les déposer au fonds des océans. Mais aucune proposition n'était appuyée sur des données scientifiques. Toutes ces idées ont été mentionnées.
Leur enfouissement dans le Bouclier Laurentien était un système à barrières multiples. Il faut en gros une semaine pour bien examiner la proposition. On ne peut pas simplement forer un trou et jeter le tout dedans. C'est une représentation simpliste de ce qui nous a été proposé.
Le sénateur Johnstone: Je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, et je ne crois pas que nous ayons de l'uranium là-bas. J'essaierai donc d'être objectif, quoi qu'il faille bien reconnaître que nous avons affaire à une matière dangereuse.
On nous dit que les réserves de pétrole sont limitées et qu'il faut étudier toutes les nouvelles sources d'énergie.
Les objections à cette proposition sont-elles vraiment fondées? Ma grand-mère, par exemple, refusait de se servir du téléphone. C'était un appareil moderne, donc dangereux. Lorsque l'automobile est arrivée à l'Île-du-Prince-Édouard, il était acceptable de les conduire à des vitesses de 16 milles à l'heure à l'extérieur des villes, mais pas dans les villes. En ville, un homme marchait devant en agitant un fanion. Lorsqu'on a commencé à parler d'un pont pour relier l'Île-du-Prince-Édouard, les gens ont eu peur qu'on ne détruise ainsi leur mode de vie, et que ce ne soit un vrai désastre pour l'île.
À quel point prenez-vous ces objections au sérieux? N'y a-t-il pas également des aspects positifs dans cette affaire? N'est-il pas possible de transporter et d'éliminer ces déchets de manière sûre?
Le sénateur Wilson: Les membres de la commission ne sont pas tous contre le changement et le progrès technologique. Je vous rappelle que notre mandat n'était pas d'examiner la question du nucléaire dans son ensemble, mais seulement le problème de l'élimination des déchets nucléaires. On nous a présenté toute la gamme des opinions, depuis ceux qui voudraient que tout ce qui a à voir avec le nucléaire soit banni, jusqu'à ceux qui nous ont dit que l'énergie nucléaire est une bonne chose, mais qui ne savent toujours pas quoi faire des déchets. Ils nous ont dit que nous devrions quand même continuer à produire. D'autres nous ont dit que nous devrions cesser la production jusqu'à ce que nous ayons trouvé une méthode d'élimination sûre. C'est ce que la Suède a fait à un moment donné, mais ensuite elle est revenue sur cette décision.
L'entreposage des déchets doit être pris très au sérieux, à cause des risques de fuite, non pas dans la chaîne alimentaire humaine et l'eau, mais pour des raisons écologiques. Les biologistes de notre commission nous ont dit des choses intéressantes à ce sujet.
Il n'y a pas que les gens qui ne veulent pas que les déchets soient déposés dans leur cour qui sont venus nous parler, nous avons également reçu les témoignages de gens qui ont une perspective bien plus large de la société canadienne et de ce que cela signifierait pour le Canada. Certains nous ont dit que si l'on trouvait un système pour neutraliser les déchets, ils seraient pour. D'autres nous ont dit que même s'il existait un tel système, ils préféreraient que l'on cesse d'utiliser le nucléaire. Les opinions étaient des plus variées. C'est toujours le cas et ce sera probablement toujours le cas.
Le sénateur Kroft: J'aimerais faire une remarque. Je suis d'accord avec vous, sénateur Wilson, pour dire que l'acceptation des conséquences sociales et la difficulté de rendre l'idée plus acceptable sont les questions les plus ardues.
Il me semble que le vrai problème à résoudre, si nous voulons bien comprendre la situation, c'est de savoir dans quelle mesure exactement tout le concept de l'utilisation de l'énergie nucléaire est accepté.
Vous suggérez dans votre dernière réponse qu'il existe un large éventail d'opinions Je crois que si l'on faisait un sondage pour savoir qui est tout à fait à l'aise avec l'idée de l'énergie nucléaire, on se rendrait probablement compte que ce sont surtout les gens qui n'ont jamais accepté, et qui n'accepteront peut-être jamais l'idée de l'énergie nucléaire, qui ont des objections. Dans ce cas, toute discussion sur les moyens à prendre pour contrôler, trouver une solution et résoudre les aspects techniques est probablement inutile, car les préoccupations sont bien plus fondamentales.
Le sénateur Wilson: C'est bien possible. Certains sont contre l'énergie nucléaire car ils ne savent pas comment la contrôler.
Le sénateur Kroft: Ce que je veux dire c'est qu'ils ont décidé une fois pour toutes, et nous pouvons tous les comprendre dans une certaine mesure, qu'il n'y a aucun moyen de maîtriser comme il faut la situation.
Après avoir fait partie de la commission, avez-vous l'impression qu'il existe une solution à tout cela?
Le sénateur Wilson: Non, pas à l'heure actuelle.
Le sénateur Kroft: Je ne parle pas de solution technique. Pensez-vous que nous parviendrons jamais à persuader le public que nous pouvons utiliser un système de production nucléaire qui rejette des déchets nucléaires sans que le gouvernement soit obligé d'imposer une série de décisions à une minorité -- et nous ne savons pas à quel point cette minorité est importante -- qui ne sera jamais d'accord? Que pensez-vous?
Le sénateur Wilson: Je ne suis pas d'accord. Le public acceptera si l'on réussit à trouver une méthode sûre pour se débarrasser des déchets.
Le sénateur Kroft: Pensez-vous que par le biais de la technologie et de l'éducation, nous pourrions faire accepter largement l'utilisation du nucléaire ?
Le sénateur Wilson: Elle doit d'abord être sans danger. Ensuite elle serait acceptable.
Le sénateur Kroft: Nous tournons en rond parce que ma question était de savoir si vous pensez que les gens seront jamais convaincus que l'énergie nucléaire est sûre?
Le sénateur Wilson: Je crois que oui. J'ai bon espoir. Nous avons demandé aux scientifiques de reconsidérer leur position car nous avions de nombreuses inquiétudes. Ils se sont demandé pourquoi nous nous attaquions à la science. Nous leur avons dit que nous ne l'attaquions pas mais que nous voulions une meilleure solution scientifique à ce problème.
Si l'on parvient à trouver une méthode d'élimination sûre, on résoudra du même coup la question de l'acceptabilité. Quoi qu'il en soit, il y aura toujours des gens qui ne voudront rien à faire avec le nucléaire, à quelque niveau que ce soit, et il faut respecter cela.
Le président: Merci, sénateur Wilson. L'un des avantages de vous avoir comme expert, c'est que si nous avons d'autres questions à poser, vous ne serez pas loin.
Le sénateur Wilson: Merci, monsieur le président.
La séance est levée.