Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 26 - Annexe « A »
L'ambassadeur Thomas Graham Jr. président
LAWYERS' ALLIANCE FOR WORLD SECURITY
COMITÉ POUR LA SÉCURITÉ
NATIONALE
Le 2 novembre 1999
Monsieur le premier ministre,
Il est très important que la stratégie nucléaire de l'OTAN concorde avec les priorités en matière de non-prolifération de ses États membres qui sont tous signataires du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). L'OTAN est censée réaffirmer la stratégie nucléaire qui est actuellement la sienne en décembre, avant de la faire approuver officiellement au sommet de l'OTAN qui aura lieu à Washington en avril prochain. Or, réaffirmer sans révision la stratégie de l'ère de la guerre froide aurait une incidence négative sur le régime international de non-prolifération.
En 1994 et en 1995, j'ai dirigé une mission diplomatique au nom du gouvernement américain pour faire proroger le TNP pour une durée indéfinie. Je me suis rendu dans une quarantaine de capitales et j'ai rencontré personnellement des représentants de plus d'une centaine de pays signataires du Traité. Je me suis alors bien rendu compte que la viabilité future du Traité est une question qui préoccupe beaucoup de pays signataires.
J'estime que le régime du TNP sera gravement compromis si des progrès considérables ne sont pas réalisés par la Conférence d'examen de l'an 2000 à l'égard de l'Article VI sur les obligations en matière de désarmement des cinq puissances nucléaires signataires. Pourtant, il semble actuellement peu probable que les puissances nucléaires vont agir conformément à l'Article VI et au Document sur les principes et les objectifs, adopté à la Conférence d'examen et de prorogation du TNP préalable à la Conférence de l'an 2000. Même le processus du Traité sur la réduction des armes nucléaires stratégiques (START), qui à lui seul ne réussit pas à répondre aux préoccupations des États signataires du TNP qui ne possèdent pas d'armes nucléaires, est actuellement enlisé et ne laisse présager aucun progrès important. De plus, certains soutiennent que l'Inde et le Pakistan devraient être considérés comme des puissances nucléaires, ce qui serait dévastateur pour le régime du TNP. Le TNP était apparemment important pour tous quand il a été prorogé pour une durée indéfinie mais, si la situation décrite plus haut ne finit pas par s'améliorer, des États influents, comme l'Indonésie, l'Égypte et le Japon, commenceront peut-être à remettre en question l'utilité du Traité comme élément de leur politique en matière de sécurité.
Les orientations prises par l'OTAN au sujet du déploiement des armes nucléaires et des conditions de leur utilisation future auront de plus en plus d'incidence sur l'avenir du régime du TNP. Si les membres de l'OTAN continuent d'appuyer des politiques qui accordent beaucoup de valeur politique aux armes nucléaires, comme rempart essentiel à la cohésion de l'Alliance, les répercussions sur l'utilité des initiatives de non-prolifération dans le monde seront importantes. Aujourd'hui, les armes nucléaires ne sont pas en cause dans la vaste majorité des situations qui constituent une menace pour l'OTAN; ces armes servent uniquement de moyen de dissuasion. Cependant, la prolifération des armes nucléaires compromettrait considérablement la sécurité de l'Alliance ainsi que celle de ses membres. Actuellement, les politiques de l'OTAN favorables aux armes nucléaires profitent très peu à l'Alliance, mais elles commencent à nuire de plus en plus aux mesures de non-prolifération.
Je recommande fortement que cette stratégie soit révisée au moment du prochain compte rendu ministériel de l'OTAN sur l'importance du régime du TNP pour la sécurité de l'Alliance. Voici précisément des mesures que l'Alliance devrait prendre pour contribuer à la mise en oeuvre des principes et des objectifs sur la non-prolifération des armes nucléaires et le désarmement nucléaire, qui ont été convenus à la Conférence d'examen et de prorogation du TNP de 1995:
- L'OTAN ne devrait plus considérer les forces nucléaires basées en Europe et engagées envers l'OTAN comme servant de «lien politique et militaire essentiel entre les membres européens et nord-américains de l'Alliance» (Le nouveau concept stratégique de l'Alliance, Art. 55.). Accorder une importante valeur politique aux armes nucléaires est incompatible avec les obligations légales de l'ensemble des pays membres de l'OTAN, aux termes du TNP et des objectifs avoués de l'OTAN sur la non-prolifération des armes nucléaires, et cela a donc une incidence néfaste sur la sécurité de l'OTAN et de ses membres.
- L'OTAN devrait annoncer, comme étant une politique de l'Alliance, qu'elle ne serait pas la première à utiliser des armes nucléaires en cas de conflit.
- L'OTAN devrait favoriser l'entreposage des armes nucléaires, qui ne seraient plus en état de fonctionnement, en vue de l'élimination éventuelle des armes nucléaires tactiques des Éats-Unis en Europe.
- L'OTAN devrait annoncer la création d'un nouveau Groupe de travail de haut niveau au sein du Conseil de l'Atlantique Nord qui serait chargé d'étudier le rôle futur des armes nucléaires en Europe, dans le but de déterminer comment la politique de l'Alliance pourrait encourager une non-prolifération réelle, par le contrôle des armes ainsi que par les mesures actuelles de contre-prolifération.
- L'OTAN devrait annoncer que les dispositions sur la participation nucléaire qui ont été formulées à la fin des années 1960 ne sont plus nécessaires ni pertinentes. Les plans et les mesures conçus pour transférer les armes nucléaires américaines aux alliés de l'OTAN en temps de guerre ne semblent pas vraiment conformes aux Articles I et II du TNP et ont été jugés par l'Afrique du Sud et d'autres pays comme étant incompatibles avec les objectifs du Traité.
La mise en oeuvre de mesures comme celles énoncées plus haut constituerait une contribution importante de l'Alliance au maintien du régime du TNP et soutiendrait ainsi la sécurité de l'Alliance et les objectifs de politique avoués. Compte tenu des nouvelles menaces et de l'évolution des conditions économiques et politiques, ces mesures favoriseraient considérablement la non-prolifération et assureraient ainsi la sécurité de l'OTAN et de ses membres. N'hésitez pas à communiquer avec moi si vous avez des questions au sujet du contenu de cette lettre ou si vous voulez poursuivre la discussion sur la non-prolifération des armes nucléaires.
Je vous prie d'agréer, monsieur le premier ministre, l'expression de mes sentiments distingués.
L'ambassadeur Thomas Graham Jr.