Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 23 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 29 avril 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel a été renvoyé le projet de loi C-220, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le droit d'auteur (fruits d'une oeuvre liée à perpétration d'un acte criminel) se réunit aujourd'hui à 15 h 39 pour en étudier la teneur.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, comme nous avons quorum, j'inviterais les témoins du ministère de la Justice à se joindre à nous à la table. Veuillez procéder.
M. Richard G. Mosley (c.r., sous-ministre adjoint, Direction des politiques pénales et de la justice communautaire, ministère de la Justice): Honorables sénateurs, c'est pour donner suite à l'invitation écrite du 19 mars dernier que nous avons reçue du greffier du comité que mes collègues et moi comparaissons devant vous aujourd'hui. Nous avons répondu au moyen d'une lettre portant ma signature et datée du 2 avril. Je suppose qu'on en a distribué des copies aux membres du comité.
Étant donné que nous avons exprimé nos vues au sujet des amendements que M. Wappel a proposé d'apporter au projet de loi lors de sa dernière comparution devant le comité, nous ne ferons aucune déclaration liminaire cet après-midi. Nous répondrons plutôt aux questions que vous voudrez bien nous poser.
Le sénateur Beaudoin: Lorsque vous avez comparu la première fois devant ce comité, monsieur Mosley, vous m'avez convaincu que cette mesure législative est très imparfaite, d'une part en ce qui a trait à la division des pouvoirs et, d'autre part, en ce qui concerne la Charte canadienne des droits et libertés. Il constitue certes un empiétement sur la liberté d'expression et je ne vois pas comment il peut se justifier dans une société libre et démocratique.
Après avoir lu les amendements proposés par M. Wappel, je ne suis toujours pas convaincu en ce qui a trait à la division des pouvoirs. Il est évident que le Parlement du Canada peut légiférer en matière de droits d'auteur. Cependant, si vous supprimez les modifications au code criminel, il se peut qu'on se trouve en difficulté.
Il y a aussi le fait que la Charte des droits et libertés n'ait pas été modifiée; l'article concernant la liberté d'expression est toujours en vigueur. La Cour suprême interprète de façon très large la Charte des droits et libertés et je suis d'accord avec elle.
J'aimerais que vous m'expliquiez davantage les raisons qui vous mènent à conclure que le projet de loi est toujours très imparfait. Rendra-t-on le projet de loi plus acceptable en supprimant les modifications au Code criminel? Je ne le crois pas, mais comme vous êtes spécialiste en la matière je m'en remets entièrement au ministère de la Justice et au Barreau canadien.
M. Mosley: Comme nous l'avons dit dans notre lettre du 2 avril, nous sommes toujours d'avis que le projet de loi est très imparfait tant en ce qui concerne la Charte que la Convention de Berne.
Pour ce qui est du problème que posait la division des pouvoirs, M. Wappel a tenté de le corriger en supprimant les modifications au Code criminel prévues dans son projet de loi et il est juste de dire qu'il a fait un bout de chemin. Cependant, d'aucuns pourraient toujours prétendre que ce projet de loi, du moins en ce qui concerne les droits d'auteur, pourrait constituer une atteinte déguisée au droit privé et contractuel de propriété de l'auteur. Il serait toujours possible d'invoquer l'argument relatif à la division des pouvoirs.
Cependant, cela dit, ce qui nous préoccupe surtout pour l'instant, ce sont les répercussions sur la Charte et la Convention de Berne. Je vais maintenant passer la parole à mon collègue M. Sharzer, qui vous expliquera pourquoi nous continuons à faire des réserves sur ce projet de loi.
M. Stephen Sharzer, avocat-conseil, Section des droits de la personne, ministère de la Justice: Madame la présidente, malgré les changements qui ont été proposés, l'idée maîtresse des dispositions du projet de loi n'a pour ainsi dire pas changé. Elle consiste à saisir Sa Majesté du droit d'auteur en ce qui concerne les dispositions dont MM. Mosley et Michael Pierce ont déjà parlé.
À cette fin, le retrait des avantages financiers tirés de la publication de ces oeuvres -- l'effet cumulatif de la dévolution du droit d'auteur à la Couronne -- aurait des répercussions sur la liberté d'expression et serait probablement considéré comme une violation du paragraphe 2b) de la Charte. Comme l'idée maîtresse du projet de loi à cet égard n'a pas changé, il en va de même pour nos observations.
M. Mosley: De plus, on a fait allusion aux travaux de la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada qui s'est occupée ces dernières années de l'élaboration d'une loi type à soumettre aux provinces qui réglerait le problème que suscite ce projet de loi.
Avant d'entreprendre la rédaction du projet de loi, la Conférence a consacré beaucoup de temps et d'attention aux problèmes que suscite la Charte et, à cet égard, au cours du processus de rédaction du projet de loi, les auteurs n'ont pu s'empêcher de penser aux problèmes inhérents à la liberté d'expression. Le projet de loi type a été terminé l'été dernier et a été distribué aux diverses compétences qui devaient nous faire part de leurs observations dans les mois suivants.
Malgré tout le soin et l'attention qui ont été apportés à ce processus, nous avons reçu par la suite l'opinion du directeur du droit constitutionnel de la Saskatchewan qui laisse entendre que, de prime abord, ce projet de loi, qui inclut un certain nombre de dispositions visant à protéger les droits individuels prévus dans la Charte, violerait le paragraphe 2b) de la Charte. L'auteur de cette opinion est aussi d'avis que le projet de loi serait défendable aux termes de l'article 1.
Cependant, permettez-moi de souligner certaines des différences en ce qui a trait à ce projet de loi. Il revient toujours aux tribunaux de décider s'il doit y avoir saisie des fruits de la publication. Le tribunal doit tenir compte du paragraphe 2b) et a aussi le pouvoir résiduel d'ordonner que les profits ne soient pas versés au compte d'un organisme gouvernemental qui autrement serait chargé de les administrer et de les distribuer aux victimes des crimes perpétrés par l'auteur.
Voilà un domaine où il est très difficile de tenter de légiférer. Même avec tout le soin et l'attention qu'il faudrait pour prévoir des dispositifs de protection au sein du régime, nous ne trouvons aucune protection comparable dans le projet de loi que vous examinez. Nous estimons que, dans les circonstances, ce projet de loi est vulnérable du point de vue constitutionnel.
La plupart des discussions qui ont eu lieu à ce comité ont porté sur des questions ayant trait à la Convention de Berne et une bonne partie de nos réponses s'y adressent. Nous serions heureux de les traiter plus en détail, si vous le voulez. Je passe donc la parole à Jeff Richstone.
M. Jeff Richstone, avocat-conseil, Patrimoine canadien, ministère de la Justice: Honorables sénateurs, l'argument que nous faisons valoir en ce qui a trait au droit d'auteur est pour ainsi dire le suivant: l'amendement ou les suggestions ne permettent pas de corriger le principal défaut du projet de loi, c'est-à-dire que l'amendement et l'ajout du paragraphe 4d) constituent une infraction à la Convention de Berne.
M. Wappel a dit devant ce comité que, étant donné que le mot «auteur» n'est pas défini dans la Convention de Berne, les États membres sont libres d'en donner la définition qu'ils veulent. Il a renvoyé à l'article 12 et au paragraphe 13(3) de la Loi sur le droit d'auteur qui traitent, respectivement, du droit d'auteur de Sa Majesté ainsi que des oeuvres produites par l'employé dans le cadre de son emploi. Il a laissé entendre, en se fondant sur ces deux précédents, que le Canada pourrait, conformément à la Convention de Berne, promulguer ce genre de disposition. Comme l'a souligné M. Mosley dans sa lettre au greffier, nous ne sommes pas d'accord avec cette analyse.
Il est vrai que le mot «auteur» n'est pas défini dans la Convention de Berne et que les États sont en quelque sorte libres, encore que pas tout à fait, d'en donner la définition qu'ils veulent. Ils doivent en effet tenir compte de l'intention et de l'objet de la Convention de Berne de même que de la nature de cette dernière. Cette Convention vise à protéger les auteurs d'oeuvres littéraires et artistiques.
Les deux dispositions qu'il a citées comme précédents sont très différentes de celle-ci. Dans ces deux dispositions, nous avons un lien qui subsiste entre l'employeur et l'employé. L'employé a produit cette oeuvre pour l'employeur en vertu d'un contrat. L'oeuvre a été produite en cours d'emploi. Il peut s'agir d'un travail que l'employeur a ordonné à l'employé de faire ou d'une oeuvre produite par l'employé aux termes d'un contrat ou encore commandée par la Couronne. Le gouvernement fédéral ou la couronne provinciale commande à une personne une oeuvre dans un certain but, comme le précise l'entente. Comme nous l'avons déjà dit, dans le cas de ces deux dispositions, les parties peuvent se soustraire à leur application par contrat et l'auteur peut être ressaisi de son droit, ce qui est la règle normale aux termes de la Convention de Berne et de la plupart des lois des pays qui en sont signataires.
Cette disposition est différente. Il n'y a pas de relations préexistantes. L'oeuvre peut être créée bien des années ou des décennies après que la peine a été purgée -- la personne en question peut avoir entièrement payé la dette qu'elle avait envers la société. Il n'existe aucune relation semblable à celles prévues à l'article 12 ou au paragraphe 13(3) de la Loi sur le droit d'auteur. À ma connaissance, il ne s'agit pas d'une disposition qui existe dans les lois sur le droit d'auteur. J'en ai parlé à d'autres et personne n'est au courant de l'existence de ce genre de dispositions. De toute évidence, cela ne ressemble pas aux deux précédents indiqués par M. Wappel.
Le sénateur Beaudoin: Pouvons-nous dire que cela va à l'encontre de la Convention de Berne?
[Français]
M. Richstone: Vous avez tout à fait raison, sénateur Beaudoin. La Convention de Berne impose certaines exigences même si on n'y définit pas ce que doit être un auteur. Un auteur n'est pas quelqu'un qui n'a aucun rapport avec la création de l'<#0139>uvre. Dans les deux cas mentionnés, un rapport contractuel existe et subsiste à cause de la création de l'oeuvre et dépend des conditions d'une relation contractuelle. Il faut y voir une relation contractuelle auparavant. La relation de travail avec la couronne qui commande une oeuvre de quelqu'un d'autre établit une base contractuelle entre l'employeur et l'employé.
La Convention de Berne renferme des exigences où l'auteur doit garder les fruits de son <#0139>uvre. Il existe des exigences très strictes. Vous ne pouvez pas exproprier une oeuvre. La Convention de Berne dit aussi que vous ne pouvez pas créer, dans le cas de la reproduction ou de la publication d'oeuvres. Vous ne pouvez pas créer ce que M. Wappel a suggéré dans son quatrième paragraphe, une espèce de licence obligatoire. Une licence obligatoire n'est pas permise dans la Convention de Berne, sauf dans deux instances bien définies. Les exigences ne rentrent pas à l'intérieur de ces deux exceptions. D'après la règle générale de la Convention de Berne, vous ne pouvez pas imposer des licences obligatoires qui forcent l'auteur à céder une partie de l'exploitation de son oeuvre et de ses droits.
[Traduction]
Le sénateur Beaudoin: Plus tard, j'aimerais aborder la question des droits de propriété et des droits civils parce que je crois que ce projet de loi empiète aussi sur ces aspects.
Le sénateur Gigantès: À votre connaissance, le paragraphe 13(3) a-t-il été invoqué, dans l'affaire opposant M. Pierre Turgeon du Québec au propriétaire de Réno Dépôt qui avait commandé la recherche et l'avait payée à l'avance? Les tribunaux du Québec ont déclaré que le droit d'auteur était dévolu au propriétaire de Réno Dépôt qui avait effectivement un contrat et pouvait dire, «Je n'approuve pas ce texte et je ne veux pas qu'il soit publié.»
M. Richstone: Je n'ai pas lu le jugement, seulement les articles de journaux. D'après ce que je comprends de ces articles, cette décision s'appuie sur deux éléments dont la Loi sur le droit d'auteur. Il ne s'agit pas nécessairement du paragraphe 13(3) parce que je ne crois pas que M. Turgeon était un employé. C'était un simple contrat, donc non, le paragraphe 13(3) n'a pas été invoqué. Il s'agissait d'un contrat qui n'était pas visé par la Loi sur le droit d'auteur. La décision s'est fondée sur le libellé du contrat et sur le Code civil, les dispositions relatives à la protection de la vie privée. Pour répondre à votre question, maintenant que mes souvenirs se précisent, l'article 13(3) n'a pas été invoqué.
Le sénateur Gigantès: Si le droit d'auteur était dévolu à la Couronne, cela mettrait d'une certaine façon les choses hors de portée des éditeurs. Outre le fait que les lois sur l'obscénité rendraient tout document sur Bernardo inacceptable, s'il arrivait à contourner ces lois et à publier un livre, est-il possible d'imaginer que le gouvernement fédéral donne la permission de publier un livre sur Bernardo, si le gouvernement fédéral en a confisqué le droit d'auteur? En fait, le livre ne serait jamais publié. Il n'y aurait aucune redevance et les victimes ne recevraient pas un sou.
M. Mosley: Je pense que nous pouvons accepter ces conclusions.
[Français]
Le sénateur Joyal: J'écoutais tantôt les propose de nos témoins du ministère de la Justice et de Patrimoine Canada et les questions posées par mon collègue et ami le sénateur Beaudoin. Je vais poser une question comme un avocat dans une cours de justice: n'est-il pas vrai que dans certains États américains, des dispositions réglementent d'une certaine façon la liberté d'une personne qui purge une sentence de profiter de la publication ou de l'exploitation des crimes qu'elle a commis sous forme écrite? Un témoin antérieurement n'a-t-il pas fait référence à des législations semblables dans certains États américains?
[Traduction]
N'est-il pas vrai que dans certains États américains il existe des lois qui empêchent une personne condamnée pour un crime de profiter directement de l'exploitation, par écrit, de ce crime? Ce genre de lois n'existent-elles pas dans certains États américains?
[Français]
M. Paul Saint-Denis, avocat conseil, Élaboration politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: De fait, il existait des lois aux États-Unis traitant de ce sujet. Tout particulièrement, je suis le plus au courant de la loi dans l'État de New York où on avait tenté de créer un tel régime: dans ce cas, il s'agissait d'un tueur solitaire qui avait obtenu un contrat d'une maison d'édition pour justement raconter son histoire. L'État de New York avait adopté en vitesse une loi faisant en sorte que les sommes qui auraient été perçues de la vente de ce récit seraient remises à une agence étatique. Cette loi a été contestée devant les tribunaux et elle s'est rendue jusqu'à la Cour suprême où on a conclu qu'elle était inconstitutionnelle. Par la suite, l'État de New York adoptait une deuxième loi où l'intervention étatique était beaucoup moindre.
Dans cette nouvelle loi, on demandait aux membres de cette agence de communiquer avec les victimes du crime pour les aviser que, de fait, un récit du crime serait mis en vente et pour les informer qu'ils avaient accès à un recours en droit civil contre le criminel. À ce que je sache, c'est la limite de cette loi dans l'État de New York.
Le sénateur Gigantès: Est-ce que cette disposition dans l'État de New York toucherait aussi aux bénéfices de l'éditeur? Est-ce qu'une des victimes pourrait ester au civil et demander que l'éditeur du livre donne à la victime une partie ou au moins une partie de ses gains?
M. Saint-Denis: Vous savez qu'en droit civil on peut actionner qui on veut et pour la raison que l'on veut. Si la loi permet ce genre d'actions -- je ne le crois pas -- je pense que la loi indique tout simplement que les victimes doivent être avisées de leur droit d'actionner le criminel. Elle se limite à peu près à cela.
Le sénateur Gigantès: Au criminel ou au civil?
M. Saint-Denis: Actionner le criminel au civil.
Le sénateur Joyal: J'avais raison d'être gentil avec le sénateur Gigantès parce qu'en somme, il soulève les éléments de ce que pourrait être une alternative à la solution ou aux objectifs recherchés par le projet de loi de M. Wappel. J'aimerais poursuivre cette discussion. Je pense encore à mon collègue, le sénateur Beaudoin, qui adore le droit comparé. Dans cette situation où il est extrêmement difficile de légiférer, il est toujours utile d'aller voir dans des systèmes dont les principes de défense ou de protection des droits de la personne sont semblables au nôtre et de voir quelles solutions ces pays ont pu mettre au point de manière à ce qu'on puisse en tirer nous-mêmes des enseignements.
Est-ce qu'à votre connaissance, d'autres états américains ont tenté d'adopter des législations poursuivant des objectifs comparables à celui de l'État de New York?
M. Saint-Denis: Je crois que oui.
[Traduction]
La présidente: Il pourrait être intéressant de savoir ce que M. Wappel a dit exactement la dernière fois qu'il a comparu devant nous:
M. Mosley ne vous a pas dit que plus de 43 États américains et le district de Columbia ont des lois qui permettent, d'une façon ou d'une autre, de confisquer les produits d'un crime, qui sont censés inclure les oeuvres vendues par un condamné, que ces lois existent toujours et qu'elles n'ont pas été annulées. En fait, rien ne laisse croire qu'elles seront annulées par la Cour suprême. Cela s'est produit sur une période de 20 ans depuis la décision rendue par la Cour suprême des États-unis dans l'affaire Son of Sam.
Vous pourriez peut-être faire des commentaires à la lumière de cette information également.
Le sénateur Joyal: Si vous me permettez de faire une remarque avant que nos témoins répondent, il me semble qu'il faut nuancer cette déclaration car, comme notre témoin l'a indiqué, la Cour suprême des États-Unis a effectivement rendu des jugements qui annulent certaines parties de cette législation. J'estime qu'il convient, dans ce cas, de le préciser.
Pour ce qui est de l'objectif -- la question qui est portée à notre attention -- j'ai, moi aussi, certaines réserves au sujet du fondement juridique de ce projet de loi. De l'autre côté, c'est pour nous l'occasion de savoir exactement comment les autres systèmes «démocratiques» qui reconnaissent l'importance de la protection fondamentale des droits de la personne ont traité de cette question. Si nous rejetons le projet de loi, nous saurions qu'il existe d'autres solutions pour atteindre ces objectifs en ce qui concerne les principes qui nous tiennent à coeur dans notre pays.
Il est important de comparer ce qui se fait aux États-Unis et, comme corollaire, dans les pays européens parce qu'ils sont souvent signataires des mêmes traités que nous, comme les traités sur la protection des droits de la personne. Nous pourrions voir comment ils abordent cette question. C'est un aspect des principes fondamentaux de notre système juridique.
M. Saint-Denis: En fait, il existe, comme M. Wappel l'a indiqué et comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, un certain nombre d'États américains qui ont des lois qui traitent de cette question. Malheureusement, je ne peux pas vous donner de précisions mais comme la Cour suprême des États-Unis a annulé ce qui était un texte de loi assez interventionniste présenté par l'État de New York, il est tout à fait possible que les autres États aient adopté des lois suite à cette décision ou modifié leurs lois pour tenir compte des préoccupations exprimées par la Cour suprême.
Malheureusement, nous n'avons pas fait d'analyse comparative de la législation en vigueur dans les États américains, ni examiné ce qui se fait en Europe dans ce domaine.
[Français]
Le sénateur Joyal: Est-ce que vous pouvez nous donner la date approximative du jugement de la Cour suprême des États-Unis pour savoir si cette question est relativement récente dans les annales américaines?
[Traduction]
M. Mosley: La Cour suprême des États-Unis a rendu une décision en 1991 dans l'affaire Simon & Schuster v. New York Crime Victims Board, concernant les crimes de Son of Sam.
Il existe de la documentation à ce sujet qui pourrait aider les attachés de recherche du comité dans leurs travaux. Sans vouloir critiquer le processus législatif, certaines juridictions ont parfois tendance à adopter rapidement des lois qui sont conformes aux modèles élaborés par des juridictions semblables. Il est juste de dire qu'aux États-Unis, suite à l'adoption de la loi Son of Sam par l'État de New York, la plupart des autres États américains lui ont emboîté le pas. C'est d'ailleurs ce qu'a fait la province de l'Ontario en adoptant sa propre loi de crainte qu'un problème semblable surgisse dans cette province.
Évidemment, faire adopter une loi est une chose; l'administrer et l'appliquer en est une autre. Par exemple, d'après les discussions que j'ai eues avec les instances ontariennes, cette loi n'a pas été appliquée. Ce n'est pas un domaine où il y a beaucoup d'expérience concrète.
On a tendance à adopter ce genre de loi lorsqu'un incident particulier en fait percevoir la nécessité. Aux États-Unis, dans l'État de New York, bien entendu, cet incident concernait M. Berkowitz, le tueur surnommé Son of Sam. Au Canada, on a laissé entendre qu'une situation semblable pourrait se produire dans le cas d'oeuvres concernant M. Olson, M. Bernardo ou Mme Homolka. Jusqu'à présent, nous ne sommes au courant d'aucun réel problème concernant des individus de cet acabit.
Quoi qu'il en soit, le ministre fédéral de la Justice et les procureurs généraux des provinces ont reconnu qu'il s'agit d'une question préoccupante. C'est une question préoccupante pour les Canadiens qui s'attendent à ce que les gouvernements réagissent aux problèmes de ce genre lorsqu'ils se présentent. C'est pourquoi on a demandé à la Conférence sur l'uniformisation des lois de proposer des lois qui seraient conformes à notre cadre constitutionnel. La conférence a opté pour l'approche fédérale en matière de droit pénal. En fait, c'est une option qu'elle a examinée à un certain nombre d'occasions et à chacune de ces occasions, elle a conclu qu'elle ne résisterait pas à une contestation en vertu de la Charte; elle a conclu qu'il s'agissait au bout du compte d'une question de droits de propriété et des droits civils -- qui, comme vous le savez, selon la répartition des pouvoirs dont a parlé le sénateur Beaudoin, relève des provinces.
Suite à cette conclusion, à laquelle la conférence est arrivée à plusieurs reprises, il y a environ trois ans, des travaux ont été entrepris pour élaborer une loi type permettant de s'attaquer au fléau visé par le projet de loi de M. Wappel. Ce travail a reçu l'appui des ministres fédéral et provinciaux lors d'une réunion qui s'est tenue l'année dernière.
Nous ne voulons pas dire qu'il est impossible d'établir des lois qui permettent d'éviter ce genre de fléau, mais nous estimons qu'il faut procéder de façon très prudente et que c'est une tâche qu'il est préférable de confier aux gouvernements provinciaux dans le cadre dans leur sphère de compétences.
Le sénateur Beaudoin: Les droits de propriété et les droits civils sont au coeur de ce problème, parce que la population considère que nous devrions donner l'argent aux victimes. Je suis tout à fait d'accord, mais ce projet de loi ne permet pas de le faire. Si on exproprie les droits d'auteur, les victimes ne recevront rien; si vous suivez les lois en vigueur, elles permettent au moins aux victimes de poursuivre l'auteur et d'obtenir des dommages-intérêts. Certains considèrent que nous devrions exproprier les droits, que le criminel ne devrait pas pouvoir tirer profit de son crime, mais cela n'aide personne puisque ceux qui ont souffert, c'est-à-dire les victimes, ne recevront rien. Mon problème est le suivant: qui est en mesure de le faire? Ma réponse immédiate est probablement les provinces, pas le Parlement du Canada, car les droits de propriété et les droits civils ne relèvent pas de notre compétence.
D'autres avocats disent que le droit d'auteur est de notre ressort et que par conséquent nous pouvons légiférer en ce qui concerne les produits du droit d'auteur. C'est un argument intéressant. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Mosley: Je suis tout à fait d'accord avec vous sénateur Beaudoin. L'intérêt public n'est pas de confisquer les produits d'un crime pour les verser au Trésor. L'objet visé par les lois adoptées dans ce domaine aux États-Unis de même que par la loi ontarienne et la loi type proposée par la Conférence d'uniformisation des lois, c'est que les produits de la publication d'un tel récit soient versés aux victimes.
Le sénateur Beaudoin: Mais la loi ontarienne le permet-elle?
M. Mosley: C'était l'objet visé. Je pense que l'opinion générale, c'est que la loi n'a pas permis de le faire.
Le sénateur Beaudoin: Non?
M. Mosley: Non. Et c'est pour cette raison que la Conférence d'uniformisation des lois n'a pas suivi le modèle ontarien. Elle a en effet conclu que si cette loi type faisait l'objet d'une contestation en bonne et due forme, elle serait annulée, et je tiens à ajouter qu'elle n'a pas encore été contestée car aucun réel cas de ce genre ne s'est présenté. Cependant, si ce type de loi devait être contesté en bonne et due forme, on pense que la loi ontarienne serait annulée à cause de sa portée trop vaste.
La présidente: Je crois qu'on a dit au comité qu'on avait recueilli environ 11 $ en vertu de la loi ontarienne.
Le sénateur Joyal: Ma question concerne la loi de l'Ontario. Serait-il possible pour le comité d'en avoir une copie? Quand a-t-elle été adoptée?
La présidente: En 1994.
Le sénateur Joyal: Donc, parmi les neufs procureurs généraux qui ont participé à la conférence, certains étaient d'avis que la loi ontarienne ne survivrait pas à une cause type. Or, je suis sûr que l'assemblée législative ontarienne n'a certainement pas légiféré sans une évaluation juridique sommaire de la loi proposée à l'époque, puisqu'elle est bien entendu assujettie à la même charte et à la même interdiction que nous au niveau national. J'aimerais beaucoup examiner cette loi, du moins pour notre propre gouverne, afin de déterminer si la loi ontarienne ressemble à celle adoptée par l'État de New York, laquelle essentiellement donne à quelqu'un le pouvoir légal de demander une injonction pour saisir les produits de la vente d'une oeuvre. Ou la loi va-t-elle plus loin? Autrement dit, viole-t-elle la liberté d'expression de la personne qui a été condamnée?
M. Mosley: Comme il y a environ deux ans que j'ai examiné la loi ontarienne, je dois avouer que je ne m'en souviens pas. Cependant, si vous examinez la loi, vous pourriez également examiner son contexte législatif. Si je me souviens bien, elle a été adoptée pratiquement du jour au lendemain. Il s'agissait d'un projet de loi d'initiative parlementaire qui a été adopté par le gouvernement ontarien de l'époque et qui a suscité très peu de débat à l'assemblée législative.
Je n'ai pas vraiment envie de me lancer dans une longue discussion à propos de la valeur de cette loi car je ne m'en souviens pas. Je sais que le processus a été entrepris dans le cadre de la conférence. La conférence est appuyée par les procureurs généraux mais ce n'est pas une conférence des procureurs généraux. Des représentants de divers ministères et les membres du barreau privé sont choisis pour faire partie d'une délégation qui participe chaque année à la conférence. Cependant, l'élaboration de la loi type a été entreprise par la conférence sous la direction des procureurs généraux y compris le procureur général de l'Ontario. Par conséquent, en examinant les options qui existent pour s'attaquer à ce fléau, il ne fait aucun doute que le modèle ontarien a été examiné.
Le sénateur Joyal: Lorsque ce modèle a été examiné, la conférence a-t-elle tenu compte de l'expérience américaine? Si 43 États ont adopté des lois dans un sens ou dans l'autre, il y a peut-être eu un effet de domino d'un État à l'autre.
Savez-vous si certaines de ces lois varient d'un État à l'autre au niveau des moyens envisagés pour tâcher d'atteindre les objectifs visés ou est-ce encore trop vague dans votre esprit?
M. Mosley: Si je me souviens bien, il existe des différences dans les lois de ces États. Essentiellement, le modèle de base prévoit que l'État agit à titre de fiduciaire par les victimes afin d'éviter à la victime de devoir entamer des poursuites, établir la responsabilité puis récupérer les produits du crime dans le cours normal des événements. Donc l'État intervient et agit à titre de fiduciaire pour la victime, recueille tout produit de la publication puis le distribue aux victimes selon un modèle administratif.
Je suis sûr qu'il existe des variantes sur ce thème mais je pense qu'il s'agit essentiellement du modèle que les États américains ont adopté.
Le sénateur Joyal: À votre avis, est-ce le modèle qui a été annulé par la Cour suprême des États-Unis?
M. Mosley: La loi originale allait plus loin que cela. Nous pourrons vous fournir des renseignements supplémentaires mais je ne les ai pas sous la main pour l'instant.
Le sénateur Joyal: Comme vous ne saviez pas qu'on vous poserait ce genre de question, je tiens à m'excuser auprès de nos témoins.
Je ne voulais pas les embarrasser, madame la présidente, mais ce n'en est pas moins une question qui soulève des aspects fondamentaux. Comme mes collègues le savent, il est facile pour nous de rejeter un projet de loi et de croire que nous nous sommes occupés des problèmes. Cependant, ce n'est pas ainsi que nous remplissons notre rôle au Sénat. Nous ne pouvons pas nous occuper d'une loi du jour au lendemain. Nous devons en comprendre les incidences et si nous considérons qu'elle comporte des lacunes, nous devons au moins fournir une certaine orientation pour que, si une nouvelle loi est présentée, elle réponde au moins à certains des objectifs et soit viable sur le plan juridique.
Il serait utile de demander aux témoins, si cela leur est possible et ne leur occasionne pas trop de travail, de nous fournir certains renseignements concernant les diverses options envisagées dans cette loi.
La présidente: Sénateur Joyal, notre mandat est d'examiner le projet de loi C-220. Nous n'avons pas le mandat d'étudier toutes les lois semblables des pays environnants. Nos témoins nous ont fourni beaucoup de renseignements. J'espère que nous pourrons obtenir une copie de la loi ontarienne et nous vous la remettrons, sénateur Joyal. Cependant, je ne crois pas que nous pouvons aller plus loin.
Le sénateur Beaudoin: Pour revenir à ce que vous avez dit, madame la présidente, la première fois, nous avons entendu des experts. Vous étiez là, le Barreau canadien était là, de nombreux avocats étaient là. Nous sommes arrivés à la conclusion que ce projet de loi présente de nombreux problèmes.
M. Wappel vient d'y apporter certains amendements. Nous avons la documentation ici et la plupart de ceux qui ont examiné ces amendements continuent de considérer que ce projet de loi pose un problème juridique grave. Devrions-nous aller plus loin? Il appartient à M. Wappel de modifier ce projet de loi s'il le souhaite. Cependant, ce n'est pas à nous de rédiger le projet de loi à sa place.
Si vous dites, «Sénateur Beaudoin, vous connaissez le droit constitutionnel, faites-moi un projet de loi là-dessus,» cela peut être possible mais trois problèmes se posent ici: la répartition des pouvoirs, la charte des droits, et les lois provinciales sur les droits de propriété et les droits civils. Jusqu'à présent, ces questions n'ont pas vraiment été approfondies.
Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit, monsieur Mosley, et il existe sans aucun doute un très grave problème concernant l'indemnisation des victimes. Cela semble relever du droit civil, du common law, des droits de la propriété et des droits civils. Nous ne pouvons pas le faire au niveau fédéral.
Ici, nous pouvons légiférer en ce qui concerne le droit pénal, le droit d'auteur et nous devons respecter la charte. Cependant, nous ne pouvons pas légiférer en ce qui concerne les droits de propriété et les droits civils puisque cela va à l'encontre de la répartition des pouvoirs.
Il est possible que le Parlement fédéral et les assemblées législatives provinciales soient appelés à s'occuper de l'objet du projet de loi de M. Wappel car nous avons deux grands problèmes ici. Ce projet de loi a des incidences non seulement sur le droit d'auteur et le droit pénal mais aussi sur les droits de propriété et les droits civils. C'est ce qui me préoccupe.
Avons-nous le devoir de dire: «D'accord, nous rédigerons le projet de loi pour vous. Si vous pensez que les provinces devraient faire quelque chose, rédigez le projet de loi et nous le présenterons devant l'assemblée législative du Québec ou de l'Ontario.»?
Avons-nous l'intention d'aller aussi loin? Je soulève la question.
La présidente: Comme vous le savez, la réponse est évidemment non.
Le sénateur Gigantès: Le sénateur Beaudoin a soulevé la plupart des questions que je voulais aborder et il l'a fait beaucoup mieux que je ne l'aurais fait.
Lorsque vous parlez de droits de propriété...
Le sénateur Beaudoin: Non, non, les droits de propriété et les droits civils.
Le sénateur Gigantès: La confiscation du droit d'auteur équivaut à la confiscation de la propriété, n'est-ce pas?
Le sénateur Beaudoin: C'est l'une de mes préoccupations. Les produits expropriés d'un droit d'auteur restent-ils assujettis à la Loi sur le droit d'auteur ou sommes-nous en train d'empiéter sur les droits de propriété et les droits civils? Cela me pose problème.
Le sénateur Gigantès: Si vous confisquez le droit d'auteur, vous confisquez la propriété.
La présidente: C'est une question à laquelle pourraient répondre nos témoins du ministère de la Justice.
M. Richstone: J'ai répondu au point sur lequel nous avions une divergence d'opinion, ce qui était dans un contexte très différent et une question très différente.
Si vous considérez cela comme un droit de propriété, et il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un droit de propriété, d'un intérêt de propriété, et que vous confisquez un intérêt de propriété, il est fort probable qu'il y aurait des considérations concernant la répartition des pouvoirs.
Le sénateur Beaudoin: C'est votre opinion.
M. Richstone: Il y aurait des considérations concernant la répartition des pouvoirs. Même si j'ai laissé entendre que cela relèverait de la législation fédérale, cela dépend de la façon dont la législation est structurée. Je comprends votre argument, c'est-à-dire la question d'apparence du droit.
Le sénateur Beaudoin: Nous sommes donc d'accord.
M. Richstone: Je vois ce que vous voulez dire, oui. Il ne fait aucun doute que cela est encore plus clair dans le nouvel alinéa proposé par M. Wappel.
Le sénateur Beaudoin: N'oubliez pas que M. Wappel tient à ce que son projet de loi soit adopté; je comprends cela. Il a abandonné le fondement du droit pénal et il se fie au droit d'auteur qui est de toute évidence de compétence fédérale. Il pense qu'il est désormais en terrain sûr. Cependant, il y a toujours cette question d'expropriation des produits du droit d'auteur.
Le sénateur Gigantès: Pas les produits, mais le droit d'auteur lui-même.
Le sénateur Beaudoin: Le Code civil du Québec a été modifié il y a quelques années en vue de supprimer ce qu'on appelait «la mort civile». Il y a déjà bien longtemps, un criminel perdait tout, pas seulement sa liberté, mais ses biens aussi. Nous avons supprimé cette notion du Code civil. Je me fie à ce que vous dites parce que vous êtes des experts en la matière. C'est peut-être la même chose, je ne le sais pas. À vous de décider. Si cette notion a été abolie, le Parlement du Canada ne peut pas la rétablir. Nous punissons un criminel en disant, «vous avez commis un crime, vous allez donc passer tant d'années en prison.» Nous pouvons discuter à l'infini de la peine qu'il convient d'imposer. C'est cela le droit pénal. Toutefois, nous ne pouvons pas légiférer en droit civil, et c'est ce qui m'inquiète dans une certaine mesure.
Peut-être que la seule façon de régler cette question, c'est d'avoir une loi fédérale et une loi provinciale. Je ne connais pas la solution; il revient à celui qui parraine un projet de loi au Parlement d'en trouver une.
J'en ai discuté avec M. Wappel, et il a dit qu'il était préférable de s'en remettre à la Cour suprême. Il a raison en ce sens que c'est la Cour suprême qui aura le dernier mot. Toutefois, en tant que sénateur, je n'aime pas donner mon accord à un projet de loi si je ne suis pas convaincu de prime abord qu'il ne porte pas atteinte à la Charte et au partage des pouvoirs. C'est ce que je pense en tant qu'avocat et en tant que sénateur. Il revient aux rédacteurs du projet de loi de convaincre le Sénat et la Chambre des communes que le projet de loi est légal.
Le sénateur Gigantès: Le gouvernement du Québec, lui, dirait que ce domaine relève de sa compétence.
La présidente: Sénateurs, nous sommes en train de nous lancer dans un débat au lieu d'interroger les témoins. Il y en a d'autres sur notre liste.
Le sénateur Joyal: Je ne voulais pas que ce soit le comité qui prenne l'initiative de récrire le projet de loi. Le ministère de la Justice ou le ministère du Patrimoine canadien pourraient peut-être nous soumettre un compte rendu de ce qui a été dit à la conférence.
Ce projet de loi vise à apaiser la douleur des victimes. Oublions M. Wappel, et je ne dis pas cela de façon irrespectueuse. Il ne faut surtout pas oublier que ce projet de loi a une dimension sociale et humanitaire. S'il est mal rédigé et qu'il risque d'être rejeté par les tribunaux, nous ne pouvons pas l'adopter et ensuite le leur soumettre. Ce n'est pas de cette façon que nous voulons procéder.
Par ailleurs, quand une personne franchit diverses étapes du processus parlementaire et qu'elle frappe un mur, comme l'ont mentionné nos témoins aujourd'hui, si quelqu'un d'autre possède des renseignements qui lui permettraient d'assurer la réalisation de cet objectif, je ne crois pas que ce serait trop demander que les témoins nous fournissent ces renseignements. Ils devraient les fournir aux Canadiens et aux personnes concernées qui sont motivées par cet objectif. Les témoins peuvent-ils nous fournir les renseignements en question pour que les personnes qui cherchent à apaiser la douleur des victimes puissent s'en servir?
M. Mosley: Nous pouvons certainement aider le personnel du comité à rassembler de la documentation sur la loi américaine.
Le sénateur Joyal: De même que sur la loi ontarienne et la conférence.
M. Mosley: Bien entendu.
Le sénateur Gigantès: Madame la présidente, peu importe ce que disent ces renseignements, ils ne nous permettront pas de surmonter les obstacles qu'a si bien décrits le sénateur Beaudoin.
La présidente: Peut-être, mais nous nous attendons à ce que vous nous fournissiez ces renseignements très bientôt pour que nous puissions terminer notre examen du projet de loi. Merci d'avoir comparu devant nous.
Je tiens à rappeler aux sénateurs qu'il s'agit ici d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Même si nous reformulons et modifions de nombreux projets de loi émanant du gouvernement, on ne peut pas s'attendre -- et corrigez-moi si je me trompe -- à ce qu'un comité sénatorial devine la pensée d'un député et récrive un projet de loi à sa place.
Le sénateur Gigantès: Et qu'en est-il du projet de loi du sénateur Cohen?
La présidente: Le sénateur Cohen pourra reformuler son projet de loi, tout comme M. Wappel pourra reformuler le sien.
Le sénateur Joyal: Cette situation me fait penser aux prisonniers. Ils ont droit à un appel. Si la ligne est occupée ou que personne ne répond, tant pis. C'est ce que dit le règlement.
La présidente: J'espère que notre ligne à nous n'est pas occupée et que nous répondons aux appels que nous recevons.
Nous allons maintenant entendre le témoignage de Grace Westcott.
Mme Grace Westcott, secrétaire exécutive, Canadian Copyright Institute: Honorables sénateurs, le Canadian Copyright Institute est association de créateurs, de producteurs et de distributeurs d'oeuvres protégées par le droit d'auteur. Il a pour mission de mieux faire comprendre la législation du droit d'auteur à ses membres et au grand public, de faire de la recherche sur le droit d'auteur et de promouvoir la réforme de la loi sur le droit d'auteur.
Plusieurs de nos membres ont exposé leurs vues sur les questions de principe qui sous-tendent le projet de loi C-220. L'Institut reconnaît que d'importantes questions de politique se reflètent dans le projet de loi C-220 et dans les critiques dont il a fait l'objet. Mon rôle aujourd'hui consistera uniquement à analyser les questions d'ordre technique et juridique que soulèvent le projet de loi sur le droit d'auteur.
J'aimerais dire que même si je m'attarde seulement à la question légale du droit d'auteur, j'apprécie les questions de valeurs humaines visées dans le projet de loi.
D'après l'Institut, le projet de loi C-220, tel qu'adopté par la Chambre des communes et malgré les amendements proposés par M. Wappel, porterait atteinte à un principe fondamental de la législation internationale du droit d'auteur, c'est-à-dire la Convention de Berne. Bien entendu, vous êtes tous conscients du problème qui se pose aux termes de la Convention. La Convention de Berne dispose que la loi sur le droit d'auteur doit protéger les droits fondamentaux des auteurs sur leurs oeuvres. Certaines dérogations sont prévues, mais aucune, à notre avis, ne va jusqu'à prévoir la possibilité de dépouiller l'auteur de tous ses droits comme il est envisagé dans le projet de loi C-220.
Nous avons examiné les dérogations que prévoit la Convention de Berne, en particulier l'article 17, l'article dit du pouvoir policier. Cette disposition précise qu'un gouvernement conserve le droit de permettre, de surveiller ou d'interdire, par des mesures législatives ou par voie de règlement, la circulation, la représentation ou l'exposition d'un ouvrage ou d'une production. Cette exception permet de restreindre les droits d'un auteur dans l'intérêt de l'ordre public au moyen, par exemple, d'une loi sur l'obscénité ou d'une loi contre la diffamation, ce qui revient à de la censure d'État.
Cette disposition reconnaît tout simplement le fait qu'un État conserve le droit d'adopter des règles d'ordre public auxquelles un auteur doit se conformer. Toutefois, elle ne permet pas de dépouiller carrément un auteur de ses droits.
À cet égard, le professeur Nordemann, spécialiste de la législation internationale du droit d'auteur, note ce qui suit dans un ouvrage qui fait autorité en matière:
L'article 17 [...]
-- le pouvoir policier --
[...] ne saurait être invoqué pour conférer à un pays membre de l'Union le pouvoir de dépouiller partiellement ou complètement un auteur de l'Union de ses droits. Une telle mesure serait absolument incompatible avec le texte révisé de la Convention de Berne si un pays pouvait priver l'auteur iure conventionis des droits minimums dont il peut se prévaloir dans tout pays offrant ces droits.
Le sénateur Gigantès: Pouvons-nous avoir une copie de ce texte?
Mme Wescott: Absolument.
Les amendements proposés par M. Wappel ne règlent pas la situation parce qu'ils continuent de laisser entendre que la Couronne peut, dès le départ, dépouiller un auteur de ses droits.
J'imagine que l'amendement proposé au paragraphe 12.1(4) visait, dans une certaine mesure, à répondre aux préoccupations concernant l'atteinte à la liberté d'expression. Or, cet amendement ne règle pas le problème lié au droit d'auteur. Au contraire, il y apporte une dimension nouvelle: il crée une licence obligatoire.
La Convention de Berne permet l'octroi de licences obligatoires, mais seulement dans deux cas bien précis. Celui-ci ne répond pas aux critères définis.
Le pouvoir policier prévu par l'article 17 ne donne pas à un État membre le droit d'autoriser la diffusion d'oeuvres sans le consentement de l'auteur. Il lui accorde plutôt le pouvoir négatif de censurer une oeuvre plutôt que d'en assurer la diffusion sans consentement.
Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Richstone au sujet des arguments invoqués par M. Wappel concernant le sens qu'il convient de donner au mot auteur aux termes de la Convention de Berne. Il a raison. Le mot «auteur» n'est pas défini dans la Convention, mais cela ne veut pas dire qu'il pas de sens. On ne peut pas lui donner l'interprétation que l'on veut. Il doit y avoir un lien entre le mot auteur et la création d'une oeuvre, l'activité créatrice.
Il faut également tenir compte du contexte. L'article 17 de la Convention de Berne précise, dans une certaine mesure, ce qu'un État membre peut faire pour restreindre les droits d'un auteur. On aurait tort de permettre à un État, de par l'interprétation qu'il donne au mot «auteur», de prendre des mesures qui vont au-delà de celles que prévoit l'article 17 de la Convention.
Le Canadian Copyright Institute juge que le projet de loi ne devrait pas être adopté.
Le sénateur Beaudoin: Il est clair, d'après vos commentaires, que ce projet de loi va à l'encontre de la Convention de Berne.
Lorsque nous ratifions un traité, nous devons, en tant que pays, adopter une loi pour rendre ce traité exécutoire. Ce pouvoir incombe au Parlement du Canada. Or, vous prétendez que nous ne pouvons pas le faire dans ce cas-ci, sauf si nous acceptons de nous conformer de façon étroite, ou arbitraire, aux dispositions de la Convention de Berne?
Mme Westcott: Je ne comprends pas la question.
Le sénateur Beaudoin: Nous avons, dans ce pays, une loi sur le droit d'auteur. Il arrive à l'occasion qu'on propose des modifications à cette loi. Nous avons le pouvoir d'adopter celles qui sont les plus utiles. Or, nous avons devant nous un projet de loi émanant d'un député, qui vise à modifier la loi sur le droit d'auteur. Vous dites qu'on ne peut pas modifier cette loi parce que le projet de loi va à l'encontre de la Convention de Berne. Je me fie à ce que vous dites.
Vos arguments, si j'ai bien compris, se fondent non pas sur la liberté d'expression, mais sur la Loi sur le droit d'auteur?
Mme Westcott: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Autrement dit, le Canada irait à l'encontre de ses obligations internationales en vertu de la Convention de Berne s'il adoptait ce projet de loi?
Mme Westcott: Oui.
Le sénateur Gigantès: Vous avez dit, sénateur Beaudoin, qu'une convention internationale doit être mise en oeuvre au moyen d'une loi. Est-ce qu'une loi a été adoptée dans ce cas-ci?
Mme Westcott: Oui. Le Canada est signataire de la Convention de Berne. En vertu des dispositions de l'ALENA et de l'OMC, nous sommes obligés de nous conformer aux dispositions de la version de Paris de la Convention de Berne de 1971. On s'attend à ce que le Canada ratifie cette convention. Toutefois, pour l'instant, notre loi est conforme aux dispositions de la version de Paris.
Le sénateur Gigantès: A-t-elle été mise en oeuvre au moyen d'une loi? C'est ce que je veux savoir.
Mme Westcott: Oui. Le Canada est un membre à part entière de la Convention de Berne.
Le sénateur Gigantès: Ce n'est pas ce que je demande. Avant qu'une convention ou un traité international ne devienne loi, il faut qu'il soit mis en oeuvre au moyen d'une loi adoptée par le Canada. Est-ce que la Convention de Berne a fait l'objet d'une telle loi?
Mme Westcott: Oui. La Loi sur le droit d'auteur.
Le sénateur Gigantès: Elle a été adoptée à la suite de la Convention de Berne?
Mme Westcott: La Loi sur le droit d'auteur a été adoptée avant la Convention de Berne, dont le Canada est signataire. Nous mettons en oeuvre les dispositions de la Convention de Berne. La Convention elle-même n'a pas force de loi au Canada. Elle peut uniquement être appliquée par l'entremise de la Loi sur le droit d'auteur, qui est conforme aux dispositions de la Convention de Berne.
Donc, c'est la Loi sur le droit d'auteur, qui est conforme aux dispositions minimales prescrites par la Convention de Berne, qui a force de loi dans ce pays. La Convention de Berne ne fait pas partie de cette loi.
Le sénateur Lewis: Le Canada est signataire de la Convention.
Le sénateur Beaudoin: Cela ne suffit pas.
Le sénateur Lewis: Oui, mais il est toujours signataire de la Convention.
Le sénateur Beaudoin: Oui.
Le sénateur Gigantès: La Loi sur le droit d'auteur est peut-être conforme à la Convention de Berne, mais vous dites qu'elle a été adoptée avant que le Canada ne ratifie la convention. La loi a été adoptée avant que la convention ne soit rédigée?
Mme Westcott: La Convention de Berne fait parfois l'objet de mises à jour, tout comme notre Loi sur le droit d'auteur. Nous essayons de faire en sorte que les dispositions de la Loi sur le droit d'auteur concordent avec celles de la Convention de Berne. Ce que j'ai dit dans mon exposé, c'est que si les modifications proposées dans le projet de loi C-220 sont adoptées, la Loi sur le droit d'auteur porterait atteinte aux droits minimums que nous avons accepté d'inclure dans cette même loi.
Le sénateur Beaudoin: Cela répond à ma question.
Le sénateur Joyal: C'est exactement ce que les témoins disaient à mes collègues. La Bibliothèque du Parlement précise ce qui suit dans ses notes d'information:
Bien que la Convention ne soit pas directement applicable au Canada, elle n'est pas sans effets juridiques pour le Canada: aux termes de l'ALENA et de l'ADPIC, si le Canada devait passer outre aux obligations de fond de la Convention, cela pourrait donner lieu à une plainte et au recours aux mécanismes de règlement des différends de ces instruments.
Par conséquent, le simple citoyen verrait cette distinction comme un détail juridique. Toutefois, il est important de dire que la Convention en tant que telle n'est pas applicable au Canada parce qu'elle n'a qu'un impact indirect sur les ressortissants étrangers, lesquels ne pourraient se prévaloir de certains des avantages qu'offre la Convention par l'entremise de l'ALENA ou de l'ADPIC. Les Canadiens, eux, sont protégés par la Loi sur le droit d'auteur, mais pas par la Convention de Berne. Les ressortissants étrangers seraient protégés par les dispositions de l'ALENA et la l'ADPIC, mais pas les Canadiens. Même s'il s'agit-là d'un détail juridique, je crois qu'il est important, néanmoins, que le comité, qui est responsable des questions juridiques et constitutionnelles, comprenne bien, et le compte rendu devrait l'indiquer, l'impact qu'a la Convention de Berne au Canada.
Mme Westcott: Vous avez raison. Le gouvernement a le pouvoir d'adopter des lois valables en droit qui ne sont pas conformes à la Convention de Berne, mais qui pourraient donner lieu à une plainte en vertu de l'ADPIC de l'OMC.
La présidente: Pour revenir à ce que vous avez dit, sénateur Joyal, la lettre que nous avons reçue des fonctionnaires du ministère de la Justice précise ce qui suit:
Par conséquent, les obligations réelles de la Convention de Berne lient le Canada, par le biais des disciplines établies dans l'ALENA et dans l'ADPIC.
C'est ce que vous vouliez dire.
Le sénateur Joyal: Cela vaut pour les ressortissants étrangers, mais pas pour les Canadiens.
Le sénateur Gigantès: Il s'agit-là d'un point important.
Le sénateur Beaudoin: Si je puis me permettre, le simple fait que le Canada soit signataire de la Convention de Berne, le simple fait que nous soyons une chambre législative, nous oblige à respecter la Convention de Berne. Nous sommes obligés de le faire. Bien entendu, une convention ne peut avoir force exécutoire tant qu'une loi d'application n'a pas été adoptée. C'est ce que nous faisons aujourd'hui. Le projet de loi C-220 aura force de loi si nous l'adoptons. Nous adoptons des lois, nous les mettons en oeuvre. Or, si nous adoptons ce projet de loi, nous allons, à votre avis, aller à l'encontre des dispositions de la Convention de Berne.
Mme Westcott: Précisément.
Le sénateur Beaudoin: C'est la seule chose qui m'intéresse.
Mme Westcott: Toute mon argumentation est basée là-dessus.
Le sénateur Gigantès: Sur ce point, si nous contrevenons à la Convention au moyen d'une loi, nous risquons de nous retrouver dans la situation exceptionnelle où les ressortissants étrangers seraient protégés, mais pas les citoyens canadiens.
Le sénateur Joyal: Exactement.
Le sénateur Gigantès: Je ne crois pas que nous puissions, en toute franchise, placer les Canadiens dans une situation où ils sont défavorisés par rapport, disons, aux Américains ou aux Mexicains.
Le sénateur Lewis: Le Canada est signataire de la Convention. Nous ne devrions pas adopter une loi qui irait à l'encontre d'une convention que le pays a signée. Je ne voudrais certainement pas envisager une telle option ou prendre part à une telle décision.
Le sénateur Joyal: Il est très important de faire ces distinctions sur le plan juridique, car elles doivent être bien comprises des personnes qui pourraient lire nos comptes rendus. Celles-ci doivent comprendre ce que nous faisons, de même que la portée de nos décisions, aussi bien à l'échelle internationale que nationale.
La présidente: Étant donné l'importance de cette question, nous pourrions demander à M. Richstone de revenir à la table afin de nous aider. Monsieur Richstone, que pensez-vous de cette question concernant la Convention de Berne?
M. Richstone: Je dirais que cette obligation internationale s'applique à tous. Il ne s'agit pas tout simplement d'une obligation que nous avons contractée pour les ressortissants étrangers. L'ADPIC précise que les États membres doivent se conformer aux articles 1 à 21 de la Convention de Berne. Point à la ligne. Ces articles ne s'appliquent pas uniquement aux ressortissants étrangers, mais à tout le monde. L'ALENA précise presque la même chose, soit que les parties doivent se conformer aux articles 1 à 21 de la Convention de Berne. Il s'agit donc d'une obligation issue d'un traité qui, d'après nous, doit être appliquée de façon générale, c'est-à-dire aux ressortissants étrangers et à nos propres nationaux.
La Convention de Berne accorde également deux ensembles de droits, et je pense que M. Mosley en a parlé dans sa lettre: le droit au traitement national et des droits minimums. À notre avis, les droits minimums s'appliquent à tous les auteurs, aussi bien étrangers que canadiens. La Convention de Berne elle-même impose deux règles, mis à part les obligations supplémentaires de l'ADPIC et de l'ALENA. Elle précise que les ressortissants étrangers doivent bénéficier du même traitement que les nationaux, et précise aussi qu'elle accorde certains droits, et Mme Westcott en a fait allusion dans son exposé, droits qui s'appliquent à tous les auteurs, peu importe leur pays d'origine.
J'aimerais faire un petit rappel historique. Nous sommes devenus signataires de la Convention de Berne alors que nous faisions toujours partie, légalement, de l'Empire britannique, soit avant que l'on obtienne notre indépendance, en tout cas avant l'adoption du Statut de Westminster. Bien que nous ayons adopté notre propre loi sur le droit d'auteur en 1921, nous avions, par le biais de l'Empire britannique, adhéré à la Convention de Berne, la première version datant de 1886. Lorsque nous avons adhéré à la Convention révisée de 1928, nous avons adopté une loi pour rendre notre législation conforme à la Convention. Lorsque nous nous sommes engagés, en 1994, à respecter nos obligations en vertu de l'ALENA par le biais d'une loi d'application, nous avons modifié la Loi sur le droit d'auteur pour rendre notre législation conforme aux obligations de l'ALENA, qui reprenaient celles de la Convention la plus récente, celle de 1971. Nous avons de nouveau modifié notre loi en 1995 quand nous sommes devenus membres de l'Organisation mondiale du commerce. Ainsi, nous avons toujours été liés à la Convention de Berne, comme le signalait Mme Westcott, parce que cette Convention a été signée à l'origine en 1886 et mise à jour en 1971.
La présidente: J'aimerais remercier Mme Westcott et M. Richstone d'avoir comparu devant le comité.
Nous allons maintenant entendre M. Steve Sullivan. Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez la parole.
M. Steve Sullivan, directeur exécutif, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes: Je suis accompagné de M. Gary Rosenfeldt.
Notre déclaration sera très brève. Nous avons déjà présenté nos vues sur le projet de loi, et nous avons déjà discuté des modifications proposées par M. Wappel dans une lettre que nous vous avons fait parvenir.
La lettre indique clairement que nous appuyons, en principe, les modifications proposées par M. Wappel. Elles ne s'attaquent pas au principe qui sous-tend le projet de loi, et que la plupart des Canadiens appuient, soit que les criminels ne devraient pas tirer profit de leurs crimes de façon directe ou indirecte, par la vente d'ouvrages dans lesquels ils décrivent leurs actes.
Nous avons lu certains témoignages, dont celui de M. Wappel qui, lors de sa dernière comparution, a commenté l'intervention de M. Mosley, du ministère de la Justice. Il est encourageant de noter que M. Mosley et les provinces collaborent ensemble à l'élaboration d'une loi qui viserait les mêmes objectifs que le projet de loi de M. Wappel. Par conséquent, même si M. Mosley n'appuie pas le projet de loi de M. Wappel, il en accepte le principe, soit que les criminels ne devraient pas tirer profit de leurs crimes.
Cet appui et le fait que la Chambre se soit déjà déclarée à deux reprises en faveur du projet de loi montrent que le principe qui sous-tend le projet de loi est solide. C'est un principe auxquels souscrivent les Canadiens. Or, les questions sur lesquelles vous devez vous pencher sont, manifestement, beaucoup plus complexes.
En ce qui concerne la Convention de Berne, M. Rosenfeldt et moi convenons que nous ne sommes pas des spécialistes en la matière. Toutefois, nous pouvons apporter un point de vue différent au dossier. M. Rosenfeldt a perdu un fils aux mains d'un contrevenant qui serait très certainement visé par ce projet de loi. Nous avons tous les deux effectué des recherches sur des criminels notoires et de nombreux autres dont les crimes sont tout aussi horribles, mais dont les noms sont moins connus.
La principale modification apportée par M. Wappel au projet de loi C-220 serait l'ajout d'un paragraphe (4) à l'article 3 concernant l'octroi, par la Couronne, de licences franches de redevances si elle est convaincue que le contrevenant ne tirera pas profit de son oeuvre.
Encore une fois, nous n'appuierons jamais un projet de loi qui aurait pour but d'empêcher une personne de s'exprimer. Ce projet de loi, à notre avis, ne va pas du tout à l'encontre de la Charte. Il n'empêcherait pas Clifford Olson d'écrire un livre et d'en faire don à une bibliothèque, par exemple, même si ses crimes crapuleux y étaient décrits dans les moindres détails. Toutefois, le projet de loi l'empêcherait de tirer profit de son travail, et c'est l'objectif que nous appuyons.
Nous n'avons rien à redire au sujet de cette modification puisqu'elle indique clairement qui si le contrevenant ne tire aucun gain de son oeuvre, la Couronne ne peut empêcher la diffusion de celle-ci. Il faut bien expliquer ce point, car cela semble soulever des inquiétudes chez certains témoins.
Il y a des témoins qui ont laissé entendre que ce projet de loi est inutile, parce que s'il y a des criminels qui tirent profit de leurs oeuvres, les victimes peuvent tout simplement les poursuivre au civil. Cette suggestion est ridicule car, comme vous l'expliquera M. Rosenfeldt, les avocats coûtent cher. Sa femme et lui ont poursuivi Olson il y a une quinzaine d'années afin d'essayer de récupérer une partie de l'argent qu'il avait reçu par suite de l'entente conclue avec la GRC. Ils n'ont pas encore fini de payer les frais d'avocat.
Nous avons entendu dire que les frais juridiques des familles French et Mahaffey, qui livrent une bataille juridique différente, s'élèvent à plus de 500 000 $. Les victimes ne disposent pas d'un fonds de réserve qui leur permet d'embaucher des avocats pour faire ce genre de travail. L'idée qu'elles peuvent intenter des poursuites au civil n'est pas réaliste.
Enfin, il existe un parallèle entre ce débat et celui qui avait cours récemment au sein du comité de la justice et qui portait sur les banques de données génétiques, la Charte, la question de savoir si le projet de loi sur les banques de données génétiques et certains des amendements qui y étaient proposés résisteraient à une contestation fondée sur la Charte. On a laissé entendre récemment au ministre que cette mesure législative pourrait être contraire à la Charte. Certains affirment que la Cour suprême va trancher de telle façon, d'autres soutiennent qu'elle va trancher de telle autre façon.
D'après un article qui a paru récemment dans un journal, un avocat du ministère de la Justice aurait dit que personne ne sait ce que va faire la Cour suprême. Il s'agit là d'un point important. Le comité de la justice, ce comité-ci, la Chambre des communes, nous tous, nous ne sommes pas la Cour suprême. Nous devrions faire en sorte que le projet de loi qui sera adopté ne puisse pas, autant que possible, être contesté en vertu de la Charte.
Nous ne devrions pas rejeter un projet de loi auquel nous croyons, tout simplement parce qu'il risque de faire l'objet d'une contestation. N'importe quel projet de loi peut être contesté. Le comité, dans ce cas-ci, essaie de faire de son mieux. Il essaie par tous les moyens de faire en sorte que le projet de loi soit conforme, en tout point, à la Charte. La Charte sert à protéger tout le monde, pas seulement les contrevenants.
Je suis certain que M. Rosenfeldt aimerait ajouter quelques commentaires. Nous répondrons ensuite volontiers à vos questions.
M. Gary Rosenfeldt, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes: Honorables sénateurs, je tiens à dire que la dernière fois que j'ai comparu devant le comité, je me suis senti très frustré parce que j'ai l'impression que chaque fois que nous voulons aborder la question des victimes de crimes, nous finissons par parler des droits des criminels. Je ne veux pas manquer de respect envers les membres du comité ou ridiculiser les questions qu'ils posent, mais tous les jours, nous venons en aide, aux quatre coins du Canada, à des douzaines de personnes qui souffrent parce qu'elles ont été victimes d'un crime.
Après avoir comparu devant le comité, je suis retourné voir ces personnes qui sont victimes de crimes de toutes sortes et qui savent que j'ai rencontré le comité. La réaction de ces personnes, qui ne sont pas des spécialistes de la Constitution, de la Convention de Berne, des lois sur le droit d'auteur, en est une de frustration, parce que chaque fois que nous abordons la question des victimes, nous finissons par parler des droits constitutionnels des contrevenants, de ceux qui commettent des crimes.
Ces victimes se sentent frustrées aussi parce que le comité passe beaucoup de temps à discuter des personnes, comme Guy Paul Morin, qui ont été condamnées à tort et qui ont le droit d'écrire un livre qu'elles pourront ensuite vendre. Les profits qu'elles en tireront leur permettront d'obtenir leur libération de prison.
Personne n'aime voir quelqu'un condamné à tort. Toutefois, il est question ici de criminels qui tirent profit de leurs crimes, pas de gens qui ont été condamnés injustement.
S'il y a des Canadiens qui sont condamnés à tort, le comité devrait peut-être essayer de trouver des moyens d'empêcher qu'une telle chose se produise. Pourquoi emprisonner des gens pendant 23 ans et ensuite leur donner le droit d'écrire un livre, de tirer des profits de ce livre et d'utiliser cet argent pour obtenir leur libération? D'abord, je ne crois pas que ces gens auraient dû être condamnés. Le comité devrait peut-être examiner les gestes des services policiers et des procureurs de la Couronne qui font preuve d'un zèle intempestif dans leur travail.
Je ne crois pas que nous devrions permettre à une personne condamnée à tort d'écrire un livre pour se sortir de prison.
Je vous donne peut-être l'impression d'être un peu frustré, mais je suis néanmoins heureux de comparaître à nouveau devant vous. Je devais faire cette mise au point pour vous expliquer la frustration que ressentent les victimes de crimes au Canada face à la lenteur du Sénat.
Nous ne semblons ménager aucun effort pour protéger les droits des criminels dans ce pays. Les victimes, elles, sont encore une fois laissées de côté. Or, pour chaque criminel, on dénombre au moins une victime.
Il y a beaucoup plus de victimes qu'il n'y a de criminels. Il y a des familles aux quatre coins du Canada qui souffrent en raison des crimes commis par Clifford Olson. Par ses crimes, il a, à lui seul, causé du tort à des centaines et des centaines de personnes. Chacune de ces personnes se lève le matin avec l'idée que, si elle allume la télévision, elle risque de voir Olson. Ce qui peut fort bien se produire de toute façon, même si ce projet de loi est adopté. C'est une crainte avec laquelle elles doivent vivre tous les jours.
Je suis rentré chez moi, un jour, et j'ai trouvé ma fille en train d'écouter, à la télévision, un meurtrier décrire dans les moindres détails les sévices qu'il avait fait subir à ses victimes, à Chicago. C'était tout à fait répugnant. J'ai ressenti beaucoup de compassion pour les familles de ces victimes.
Je ne suis pas un avocat de droit constitutionnel, mais s'il y a un problème avec ce projet de loi sur le plan constitutionnel, il ne résistera pas à une contestation. Il y a également la Convention de Berne et les lois sur le droit d'auteur dont il faut tenir compte. De nombreux États américains ont adopté des lois identiques à ce projet de loi, et bon nombre d'entre elles ont été contestées, réécrites ou modifiées.
Nous implorons le Sénat, au nom de toutes les victimes au Canada, d'adopter le projet de loi qui a été approuvé par la majorité des députés à la Chambre des communes. Rare sont les projets de loi qui recueillent l'appui de la majorité dans ce pays. La plupart des Canadiens, de même que la Chambre des communes, sont en faveur de ce projet de loi.
Je ne comprends pas pourquoi le Sénat consacre tellement de temps et d'énergie à ce projet de loi. Si la loi n'est pas constitutionnelle, eh bien, soit. Nous nous plierons à la décision de la Cour suprême et apporterons des changements plus tard. Pour l'instant, plus nous retardons l'adoption du projet de loi, plus les victimes de crimes ressentent de la douleur et de la frustration.
La présidente: Monsieur Rosenfeldt, je ne peux pas imaginer la douleur que vous ressentez tous les jours. Je suis certaine que mes collègues partagent mes sentiments. Nous sommes de tout coeur avec vous dans votre chagrin.
Je dois vous dire que ce comité fait tout son possible pour accélérer les choses. Comme M. Wappel a proposé des modifications au projet de loi, nous avons été obligés de tenir de nouvelles audiences.
Le sénateur Gigantès: Je tiens à ajouter ma voix à celle de la présidente et à vous dire à quel point je sympathise avec vous. Toutefois, vous aimeriez que le comité aboutisse à une solution à la fois raisonnable et efficace. Supposons que nous étions saisis d'un projet de loi qui dit que le gouvernement devrait venir en aide aux victimes de crimes qui intentent des poursuites au civil dans le but de saisir les profits que tire un criminel de la vente d'un livre dans lequel il décrit ses crimes. Si ce projet de loi était adopté, le gouvernement serait contraint de venir en aide à ces victimes. La Cour suprême ne pourrait pas le déclarer inconstitutionnel. Le gouvernement aurait le droit, si le projet de loi était adopté, de mettre des fonds à la disposition des victimes. Or, le projet de loi dont nous sommes saisis n'apporte aucun soutien financier aux victimes -- aucun.
Si votre objectif est d'empêcher la publication d'un ouvrage rédigé par quelqu'un comme Paul Bernardo, vous pouvez y parvenir en ayant recours à d'autres. Nous pouvons interdire la publication d'un livre écrit par un criminel ignoble. Toutefois, ce projet de loi-ci ne vous permettra pas de mettre la main sur les profits qu'il pourrait tirer d'un livre qu'il a lui-même rédigé -- je ne crois même pas qu'il pourrait le faire publier.
C'est comme si vous nous demandiez de vous envoyer sur un champ de bataille avec un fusil non chargé. Ce que nous disons, c'est que ce projet de loi ne vous permettra pas d'atteindre les objectifs que vous visez. Nous ne cherchons pas à vous empêcher de les atteindre.
Pourquoi adopter un projet de loi qui, d'après tous les experts, comme le sénateur Beaudoin, devra franchir des obstacles énormes? Il sera à coup sûr déclaré invalide. Pourquoi devrions-nous vous donner un tel projet de loi?
M. Rosenfeldt: Sénateur, j'apprécie vos commentaires et ceux de la présidente au sujet de ma situation personnelle. Je suis d'accord avec ce que vous dites et je respecte votre point de vue -- sincèrement.
Plusieurs États américains ont adopté des lois. Elles ont été contestées. Des modifications ont été apportées, entre autres, à la loi dite «Son of Sam». Nous ne sommes pas des légistes, manifestement. Toutefois, cette question, pour nous, est primordiale. Nous essayons de composer avec le fait que les criminels peuvent tirer profit du meurtre de nos enfants, ou raconter leur histoire et en tirer des gains.
Il y a une dizaine d'années, après avoir perdu notre cause devant la Cour suprême, alors que nous voulions que Clifford Olson remette les 100 000 $ qu'il avait touchés, ma femme et moi avons communiqué avec le gouvernement du Canada. L'honorable Joe Clark avait fait des arrangements à l'époque pour que ma femme et moi puissions nous rendre à New York. Nous sommes allés là-bas à nos frais. Le gouvernement du Canada nous a tout simplement ouvert la porte du comité des affaires sociales et économiques des Nations Unies. Nous avons supplié et imploré le comité de demander à tous les États membres d'adopter des lois pour empêcher les criminels de tirer profit de leurs crimes. Le fait que Clifford Olson ait tiré profit du meurtre de notre enfant, et qu'il continue d'en tirer profit, nous dérange beaucoup.
Nous voulons que les travaux du comité aboutissent à quelque chose de concret. Si d'autres modifications doivent être apportées au projet de loi, eh bien, soit. Mais nous voulons quelque chose qui va empêcher les criminels de tirer profit du meurtre de nos proches.
Nous ne pouvons pas empêcher les criminels d'écrire. Si Olson veut que ses mémoires figurent sur l'Internet, nous ne pouvons rien faire pour empêcher que cela se produise. Toutefois, je sais que les Canadiens et la Chambre des communes veulent intervenir. Je sais aussi qu'il y a de nombreux sénateurs qui pensent que Clifford Olson et d'autres comme lui ne devraient pas tirer profit de leurs crimes. C'est aussi simple que cela. Ce projet de loi, d'après ce qui m'a été dit, va empêcher un criminel de tirer profit de ses crimes.
Le sénateur Gigantès: Il n'y aura pas de profits.
M. Rosenfeldt: Tant mieux.
Le sénateur Gigantès: Il n'y aura rien, non plus, pour les victimes.
M. Rosenfeldt: Les victimes ne veulent rien. La dernière chose que nous voulons, c'est d'avoir accès à l'argent qu'a touché un criminel.
M. Sullivan: Les familles ne veulent pas l'argent. Elles veulent faire en sorte qu'Olson ne tire pas profit de ses crimes.
Vous avez mentionné tous les experts qui ont dit que ce projet de loi ne passera pas. M. Wappel, quand il a comparu devant le comité, était accompagné de quelques avocats spécialisés en droit d'auteur. On pourrait les qualifier d'experts, et ils se sont dit en faveur du projet de loi. Ils ont dit qu'il serait déclaré valide. D'autres soutiennent le contraire.
Le fait est que le projet de loi ne mentionne pas les victimes. Je ne sais pas si M. Wappel a donné des indications au sujet de l'utilisation qui pourrait être faite de l'argent.
Il a indiqué au comité de la justice que cet argent pourrait servir à mettre sur pied des programmes d'information sur la violence chez les jeunes, ainsi de suite. Peu importe l'usage qu'on en fait -- et nous espérons que ces fonds seront utilisés à bon escient -- les familles n'en veulent pas.
Le sénateur Gigantès: La loi dite «Son of Sam» a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême des États-Unis. La nouvelle version prévoit la création, dans l'État de New York, d'une agence qui conseillerait les familles de victimes -- sans leur donner d'aide financière -- sur les poursuites qu'elles peuvent intenter au civil. C'est tout ce qui reste de la loi dite «Son of Sam», qui a donné lieu à ce type de législation.
Il y a d'autres facteurs dont il faut tenir compte. Je n'aime pas l'avouer, mais il y a des précédents qui risquent d'être établis. Supposons que, en vertu de la version originale du projet de loi de M. Wappel, le droit d'auteur de Michael Harris, qui a rédigé le livre sur Donald Marshall, était confisqué. On établirait un précédent pour la confiscation de biens, et pas seulement ceux des criminels.
Nous ne pouvons pas examiner un projet de loi isolément. Le système juridique est un tout formé d'éléments interconnectés. C'est comme un château de cartes. Si vous en enlevez une, tout s'effondre.
Ne pensez pas que nous ne compatissons pas à votre douleur. Mais nous aimerions que quelqu'un trouve une solution efficace, et ce projet de loi n'en est pas une.
M. Sullivan: Si j'ai bien compris, si Michael Harris écrivait un livre sur Donald Marshall ou un autre contrevenant, les profits qu'il tirerait de cet ouvrage ne seraient pas visés par ce projet de loi.
Le sénateur Gigantès: Ils seraient visés en vertu de la première version du projet de loi.
M. Sullivan: Et si les modifications étaient adoptées?
Le sénateur Gigantès: Ces profits ne seraient pas visés en vertu de cette version-ci. Toutefois, on demande au gouvernement fédéral d'empiéter sur une compétence provinciale. Ce projet de loi ne devrait pas être adopté par le gouvernement fédéral, mais par les provinces.
M. Sullivan: Il modifie une loi fédérale, n'est-ce pas?
Le sénateur Gigantès: En vertu de la loi fédérale, la saisie des droits d'auteurs équivaut à la saisie de droits patrimoniaux. Or, les droits patrimoniaux relèvent de la compétence des provinces. Nous ne pouvons pas autoriser la saisie de droits patrimoniaux parce qu'ils relèvent des provinces. Nous sommes un État fédéral. Nous avons déjà suffisamment de problèmes avec notre Constitution sur le plan des relations fédérales-provinciales. Nous ne pouvons pas adopter une loi qui vise un domaine qui relève d'un autre palier de gouvernement.
M. Sullivan: Le gouvernement fédéral ne peut-il pas confisquer les produits de la criminalité? Cela ne relève-t-il pas de sa compétence?
Je pose peut-être plus de questions que je n'apporte de réponses.
Le sénateur Gigantès: Cet échange est très instructif.
Oui, nous pouvons légalement confisquer les produits de la criminalité, mais c'est en vertu du droit pénal. Il ne s'agit pas de confisquer les produits de la vente d'un livre, mais de confisquer la propriété, soit le droit d'auteur. La confiscation de la propriété -- non des produits -- relève de la compétence provinciale, n'est-ce pas?
Le sénateur Beaudoin: Ce que vous dites est très clair. Si je vous comprends bien, vous ne voulez pas que l'État, au palier provincial ou fédéral, indemnise les victimes d'actes criminels.
M. Rosenfeldt: Ce n'est pas ce dont il est question.
Le sénateur Beaudoin: Vous l'avez dit très clairement et j'en prends note. La seule chose qui vous intéresse, c'est qu'un criminel reconnu ne reçoive rien lorsqu'il écrit un livre sur ses actes criminels. Est-ce bien ce que vous voulez?
M. Rosenfeldt: Exactement.
Le sénateur Beaudoin: Vous n'êtes pas intéressé par quoi que ce soit d'autre, car vous avez été victime d'un horrible crime.
C'est la difficulté qui se présente à nous, bien sûr. Je vous remercie d'avoir très clairement exprimé votre pensée.
A début de ce processus, j'ai dit à M. Wappel que son projet de loi n'aiderait pas les victimes d'actes criminels, car il n'y aurait pas de produits et les victimes n'intenteraient pas de poursuites. Vous avez dit il y a quelques instants que vous ne vouliez pas intenter de poursuites, dans tous les cas.
Aimeriez-vous que l'État indemnise les victimes d'actes criminels? Je crois que l'État devrait le faire.
M. Rosenfeldt: Il me semble que la plupart des provinces ont une commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels. C'est à elle qu'incombe la responsabilité d'indemniser les victimes d'actes criminels.
Le sénateur Beaudoin: Oui, je crois qu'il faudrait le faire au palier provincial.
M. Rosenfeldt: J'en suis convaincu.
Le sénateur Beaudoin: Vous dites toutefois que ce n'est pas ce qui nous intéresse dans ce cas précis.
M. Rosenfeldt: Effectivement.
Le sénateur Beaudoin: Si un criminel écrit un livre sur ses crimes, il ne devrait pas en tirer profit, en vertu du droit pénal.
M. Rosenfeldt: Nous pensons que lorsqu'il écrit un livre sur ses crimes, le criminel exploite encore plus la victime, à son avantage. Il est le seul qui puisse décrire en détail l'horreur qu'a vécue mon enfant avant qu'il ne soit assassiné. N'oubliez pas que depuis 16 ans, je me bats pour empêcher l'homme qui a assassiné mon enfant de tirer profit de ce crime. Il a essayé de le faire. Il a écrit des livres et produit des vidéos qu'il a mis en vente.
Il m'a écrit personnellement en décrivant en détail ce qu'il a fait à mon enfant et en reproduisant les derniers mots que mon enfant lui a adressés juste avant qu'il ne lui fracasse le crâne avec un marteau. Il l'a fait imprimer et il essaie de le vendre. Il vend des cartes de tueur en série. Il crée sa propre infamie, signe ses lettres «The Beast of B.C.». Il le fait exprès pour se créer une image publique afin d'obtenir plus d'argent.
Il sait bien qu'il va probablement passer le reste de ses jours en prison, mais l'argent change le mode de vie carcéral. L'argent permet d'acheter des drogues, n'importe quoi.
Il essaie de nous exploiter encore davantage, nous les victimes. Il ne peut plus faire de mal à notre enfant, mais il continue de nous faire du mal depuis 16 ans. C'est à cela que nous voulons mettre un terme.
Si le projet de loi C-220 est adopté, il peut continuer à écrire; cela ne fait aucun doute. Toutefois, les victimes futures n'auront pas à vivre ce que nous avons vécu.
Le sénateur Beaudoin: Je le comprends.
M. Rosenfeldt: Je ne peux pas l'empêcher de diffuser sur l'Internet l'histoire des souffrances endurées par nos enfants avant leur meurtre. Toutefois, il semble que tout se résume aux profits et c'est ce qu'il recherche; son objectif est de tirer profit de la publication de ses récits. Il a essayé d'en obtenir le droit d'auteur, il a essayé de se faire publier et c'est ce qui m'inquiète.
M. Sullivan: Il est important de noter que des oeuvres remarquables ont été créées par des gens qui ont commis des actes criminels, apportant ainsi à la société des éclaircissements sur le comportement criminel. Le projet de loi de M. Wappel veut cibler les oeuvres qui visent à exploiter le crime, plutôt que celles qui sont simplement le reflet d'un élément de la vie. Ce projet de loi vise les genres d'oeuvre dont M. Rosenfeldt a fait mention.
Le sénateur Joyal: Je vais devoir partir après ma déclaration et je demande à nos témoins de bien vouloir m'en excuser.
La question des victimes est une de nos grandes préoccupations. Je dois vous dire que mon père a été victime d'un acte criminel. Nous n'avons certainement pas connu la douleur et la peine que vous avez connues. Toutefois, mon père a dû cesser de travailler pendant une année et il est resté marqué par ce crime toute sa vie. Il est maintenant âgé de 82 ans et dans son esprit, ce qui lui est arrivé est aussi frappant que si le crime avait été commis hier seulement.
Lorsque nous abordons ces questions, il nous est très difficile de faire la distinction entre notre propre situation et les torts que nous voulons redresser. Je peux vous assurer que toutes les personnes autour de cette table sont d'accord avec vous, personne ne devrait profiter du récit de ses crimes. Certains d'entre nous le ressentent peut-être plus profondément que d'autres.
La Conférence sur l'uniformisation des lois poursuit ce même objectif; elle réunit le procureur général du Canada et les procureurs généraux des provinces. Comme nous voulons atteindre l'objectif que vous poursuivez et que beaucoup d'entre nous partageons, nous voulons être sûrs que notre solution sera réaliste. Nous ne tenons certainement pas à vous faire revenir d'ici un an ou deux, nous préférerions trouver une solution définitive pour ne pas reprendre tout l'exercice; personne ne tient à sans cesse recommencer.
Il nous faut une solution permanente. Dans ce contexte, nous nous intéressons aux nombreuses répercussions juridiques aux paliers fédéral et provincial. Nous voulons également dans ce processus adoucir notre peine. Nous ne voulons pas savoir qu'il existe des conventions internationales ou des compétences fédérales, provinciales et municipales. Nous voulons tout simplement trouver une solution permanente.
C'est la raison de notre présence ici; nous n'essayons pas d'agir d'instinct, nous ne cherchons pas à esquiver la douleur et la peine, nous voulons faire face à la situation pour vous, pour tous ceux qui ont vécu une telle expérience, ainsi que pour les autres qui, malheureusement, se retrouveront un jour dans la même situation.
Je n'aimerais vraiment pas que vous ayez l'impression, en partant d'ici, que nous ne ferons pas ce qui est attendu de nous. Madame la présidente et tous les sénateurs ici présents, ainsi que tous les députés, j'en suis sûr, veulent régler cette question de façon permanente et définitive. Je suis sûr que les fonctionnaires et les témoins du ministère de la Justice que nous avons entendus le comprennent très bien. Si en notre âme et conscience, nous arrivons à la conclusion que ce projet de loi ne répond pas à nos exigences, nous pouvons certainement, en tant que comité, recommander une étude plus poussée de la question. Nous ne cherchons pas simplement à vous dire que nous sommes désolés, mais il reste que les questions juridiques ne sont pas réglées comme nous le voulons. Nous avons également une certaine responsabilité; nous avons également des familles; nous voulons également corriger la situation, monsieur.
M. Rosenfeldt: Merci, monsieur le sénateur. Je vous remercie de tout coeur de nous avoir parlé de la douleur que votre famille a connue par suite d'un acte criminel. Je vous prie de m'excuser si j'ai laissé entendre de quelque façon que ce soit que ce comité ne s'intéresse pas aux victimes. Je sais que c'est le contraire. Je comprends ce que vous-même et votre famille avez vécu et suis convaincu que votre comité s'intéresse aux victimes d'actes criminels.
J'essayais simplement d'exprimer les sentiments de frustration que nous ressentons en tant que victimes ces dernières années par rapport au projet de loi de Tom Wappel. Nous avons toujours pensé qu'il était bon et valable, mais bien sûr, nous ne sommes pas des experts constitutionnels ni des avocats. Je compatis avec vous et avec votre famille pour ce que vous avez vécu, croyez-moi.
Le sénateur Joyal: Je compatis avec vous également, monsieur.
Le sénateur Lewis: Ce qui est difficile, c'est qu'il est nécessaire de faire la distinction entre les diverses préoccupations. Il faut faire la distinction entre d'une part, la force de nos sentiments et notre compassion à l'égard des victimes et, d'autre part, l'objectif visé, soit interdire la description d'actes criminels. Je comprends que vous teniez non pas à obtenir de l'argent du criminel, mais à l'empêcher de tirer profit de ses crimes par la publication de tels récits.
Ce qui nous préoccupe -- et il s'agit peut-être d'un autre aspect -- c'est de savoir si le fait d'interdire la publication de toute oeuvre que le criminel pourrait entreprendre représente la meilleure façon d'atteindre notre objectif. Si cette interdiction était possible, et je ne dis qu'elle l'est, cela permettrait-il d'atteindre votre objectif?
M. Rosenfeldt: Oui. La question est de savoir si nous pouvons véritablement le faire. Si un criminel a accès à une feuille de papier et un crayon, une machine à écrire ou un ordinateur, il peut écrire. Nous pensons qu'il faudrait supprimer toute possibilité de profit. Soyons francs; la seule chose qui se vend bien, c'est la description précise de l'acte criminel lui-même. C'est ce pour quoi les gens sont prêts à payer.
Le sénateur Lewis: C'est également un reflet de la société.
Le sénateur Gigantès: Il y a des gens écoeurants.
M. Rosenfeldt: Même avec l'Internet aujourd'hui, ces gens ne cherchent pas simplement à voir l'image d'enfants nus; ce qui les intéresse, ce sont les crimes haineux commis par un adulte sur un enfant. Les gens sont prêts à payer pour savoir exactement ce que Clifford Olson a fait à mon enfant. C'est ce qu'ils veulent.
Le sénateur Lewis: Il faudrait essayer donc de mettre un terme à ceci; cela devrait être l'objectif visé.
M. Rosenfeldt: Exactement.
Le sénateur Lewis: On pourrait bien sûr parler d'un criminel qui va en prison et qui, des années plus tard, écrit un livre ou crée un oeuvre décrivant le crime qu'il a commis à des fins de profit. On pourrait aussi parler d'un journaliste qui retrouve le criminel à sa sortie de prison et lui demande une entrevue contre paiement. Cela correspondrait à ce que vous venez de décrire; le criminel tirerait profit de son crime.
M. Rosenfeldt: Oui. Clifford Olson n'est connu que parce qu'il a assassiné 11 enfants. C'est la seule raison pour laquelle les médias s'intéressent à lui.
Il y a quelques années, vers 1986 probablement, les habitants de Red Deer ont été consternés d'apprendre que la télévision de la SRC avait versé 500 $ à un détenu qui avait tué quelqu'un, alors qu'il conduisait en état d'ébriété. Les Albertains ont été consternés, lorsqu'ils ont fini par savoir que la télévision de la SRC s'était comportée de la sorte. Il en a été question aux actualités, mais je ne crois pas qu'il y ait eu de suites. Cela équivaut à ce dont nous parlons ici; les médias peuvent se rendre dans les prisons. La télévision de la SRC était prête à remettre cinq billets de 100 $ à ce criminel en prison pour la seule et unique raison qu'il avait tué quelqu'un, alors qu'il conduisait en état d'ébriété.
Le sénateur Lewis: C'est le même principe.
M. Sullivan: D'après les discussions que j'ai eues avec M. Wappel au sujet de son projet de loi, je sais qu'il avait l'intention d'inclure ce genre de situations. Il ne s'agirait pas seulement de livres, ce dont nous avons parlé, mais aussi des cas où, par exemple, les gens vendent leur histoire à des sociétés cinématographiques.
Le sénateur Lewis: C'est une situation très complexe.
M. Rosenfeldt: Effectivement. Même avec le projet de loi de M. Wappel, nous ne pouvons pas empêcher Olson et des gens comme lui de parler aux médias et d'obtenir de l'argent. Toutefois, ce qui nous préoccupe au sujet des victimes de ce chauffeur en état d'ébriété est quelque peu différent. Je ne veux pas qu'il décrive l'expression dans les yeux de ses victimes au moment où elles ont péri, lorsqu'il les a heurtées. Le vrai problème est celui de l'exploitation des victimes.
Le sénateur Lewis: Reste à savoir si ce projet de loi permet d'atteindre cet objectif.
Le sénateur Gigantès: Le problème c'est de savoir comment réagir face à Olson qui, non seulement a été condamné, mais a aussi avoué ses crimes. Aucun doute n'était possible, car il nous a dit où il avait enterré les enfants. Comment réagir face à un Donald Marshall condamné ou à un Guy Paul Morin condamné? Comment faire la différence? Comment adopter une loi qui permette à une personne condamnée à tort de se défendre?
M. Sullivan: Nous avons probablement déjà eu ce genre de discussion: si Guy Paul Morin avait écrit un livre alors qu'il se trouvait en prison pour le meurtre de Christine Jessop, j'imagine qu'il aurait parlé de ses sentiments face à cette condamnation à tort, de la possibilité de passer le reste de ses jours en prison, de ses suppositions au sujet de ce qui s'est véritablement passé et du fait qu'il ne se trouvait pas sur les lieux. Il n'aurait pas décrit le meurtre de Christine Jessop.
Le sénateur Gigantès: Donald Marshall a été témoin du crime.
M. Sullivan: Il en a été témoin, mais ne l'a pas commis.
Le sénateur Gigantès: Il pourrait le décrire. Comme il pourrait le décrire, même s'il est innocent, le critère voulant que nul ne puisse décrire un crime à moins de l'avoir commis, ne tient plus. Donald Marshall a été témoin du crime et c'est parce que personne ne l'a cru, lorsqu'il a donné sa version du crime dont il a été témoin, qu'il a passé 11 ans de sa vie en prison.
M. Sullivan: Personne n'aurait cru la version de Guy Paul Morin non plus. C'est une question très délicate. Je crois que le livre de Donald Marshall aurait été très semblable à celui que Guy Paul Morin pourrait écrire: «J'ai été condamné à tort et je passerai le reste de mes jours en prison pour un crime que je n'ai pas commis. Voilà ce qui est arrivé. Je l'ai vu poignarder la victime.» Là encore, je ne crois pas que le projet de loi de M. Wappel viserait un livre comme celui-ci.
La présidente: Nous allons maintenant mettre un terme à ces questions. Je vous remercie tous les deux d'avoir témoigné.
Mme Marian Hebb, qui représente à la fois la Law Union of Ontario et la Writers' Union of Canada, est notre dernier témoin.
Mme Marion Hebb, membre, avocate, Law Union of Ontario; conseillère juridique, Writers' Union of Canada: Merci beaucoup de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui au nom de la Writers' Union, de la League of Canadian Poets, de la Playwrights' Union, de la PWAC, de la Writers Guild, de l'UNeQ et de SARDEC -- organisations représentant plus de 5 000 écrivains professionnels -- ainsi qu'au nom de la Law Union of Ontario. Je ne fais qu'un seul exposé et même si je représente sept organisations, je crois qu'elles partagent toutes le même point de vue.
Tout d'abord, j'aimerais dire que si nous nous opposons à ce projet de loi, ce n'est absolument pas parce que nous ne compatissons pas avec les victimes et les groupes qui les représentent. Toutefois, nous ne voyons pas comment ce projet de loi pourrait les aider et ils se font des illusions s'ils pensent le contraire. Ce projet de loi ne prévoit pas le versement de quelque montant d'argent que ce soit aux victimes ou à leurs survivants; au contraire, il sera encore moins probable que ces personnes reçoivent de l'argent d'auteurs déclarés coupables de crimes graves.
J'ai pris note de ce qu'ont dit les témoins précédents; il est vrai que certaines victimes ne tiennent pas à avoir accès aux produits, mais, dans d'autres cas, les familles des victimes voudront intenter des poursuites. Si la publication de livres, d'articles, et cetera, devait rapporter de l'argent, il serait encore moins probable, en vertu de ce projet de loi, que ces gens-là bénéficient de dommages-intérêts.
Les amendements proposés par M. Wappel reconnaissent que les produits de l'écriture ne devraient plus être considérés comme des produits de la criminalité, et nous considérons cette reconnaissance importante. Cependant, le projet de loi continue d'imposer une sanction supplémentaire qui n'est pas infligée aux autres condamnés sauf à ceux qui sont écrivains. On continue de confisquer le droit d'auteur du criminel qui relate le récit du crime pour lequel il a été condamné, le décrit à l'aide d'un dessin ou même s'en inspire pour composer une chanson. Cette sanction supplémentaire est déclenchée par l'acte d'écrire ou de créer et non par le crime, ce que maintient la version amendée du projet de loi. C'est inacceptable.
Bien que les amendements semblent avoir rétréci la portée du projet de loi en ce sens qu'il ne traite plus des infractions mixtes en vertu du Code criminel à moins qu'elles fassent l'objet d'une mise en accusation, en fait sa portée n'a pas été rétrécie mais plutôt élargie puisqu'il s'appliquera désormais à toutes les infractions pouvant faire l'objet d'une mise en accusation en vertu de toute législation et non seulement en vertu du Code criminel. Certains infractions peuvent faire l'objet d'une mise en accusation en vertu de plusieurs lois, comme la Loi de l'impôt sur le revenu, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les aliments et drogues, même la Loi sur le droit d'auteur et aussi en vertu des lois d'autres pays.
Les amendements prévoient désormais l'octroi de licences franches de redevances à l'éditeur pour que Sa Majesté ne profite pas financièrement de ce projet de loi. Mais cela ne règle pas la lacune fondamentale du projet de loi. Il continue d'exproprier le droit d'auteur de certaines personnes. L'octroi de licences franches de redevances à des éditeurs éventuels ne constitue pas une solution à cet égard. Bizarrement, bien qu'une oeuvre visée puisse en théorie être publiée, elle ne pourrait être photocopiée ni reproduite parce que la licence franche de redevances n'inclut pas l'acte de reproduction. À cet égard, je vous renvoie à un mémoire du comité mixte de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut canadien des brevets et marques.
Les conventions internationales sur le droit d'auteur établissent des droits fondamentaux minimums qui doivent être accordés aux écrivains. L'article 9 de la Convention de Berne énonce que les droits de reproduction prévus par la loi ou l'exclusion du droit d'auteur ne doivent pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni ne causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. Comme on vous l'a dit plus tôt aujourd'hui, c'est une obligation que doit respecter le Canada en tant qu'adhérent à l'ALENA et à l'ADPIC, qui est une annexe à l'accord établissant l'Organisation mondiale du commerce. La Convention universelle sur le droit d'auteur, à laquelle souscrit également le Canada, exige que les pays qui y adhèrent protègent de façon adéquate et efficace les droits des écrivains.
Les analyses savantes de ces deux textes indiquent clairement que l'un des éléments importants est l'intérêt économique ou la rémunération de l'écrivain -- c'est-à-dire son droit de toucher des redevances. Il est clair que le Canada se trouvera à violer ses obligations si le projet de loi C-220 est adopté. On part du principe que les pays qui adhèrent à ces conventions en respecteront les modalités et par conséquent qu'elles profiteront à leurs propres ressortissants, bien que leurs propres ressortissants ne puissent pas se prévaloir des mécanismes de règlement des différends prévus par l'ADPIC à l'OMC.
En plus de contrevenir aux obligations internationales du Canada en matière de droit d'auteur, les sanctions économiques qui résultent de ce projet de loi empiètent sur la liberté de la presse, ce qui va à l'encontre de la Constitution.
En cassant la première loi «Son of Sam» de l'État de New York en 1991, la Cour suprême des États-Unis a invoqué des motifs qui, à notre avis, devraient s'appliquer également au Canada. Voici un extrait de ce jugement:
Une loi est présumément incompatible avec le premier Amendement si elle impose un fardeau financier aux orateurs en raison du contenu de leur discours... La capacité du gouvernement d'imposer un bâillon en fonction du contenu du discours laisse planer la possibilité que le gouvernement puisse effectivement évacuer certaines idées ou certains points de vue de la place publique... La loi «Son of Sam» est basée sur le contenu. Elle cible le revenu tiré d'une activité d'expression, un fardeau que l'État n'applique à aucun autre revenu et qui vise uniquement les ouvrages à contenu spécifique.
La Chambre des communes vous a renvoyé un projet de loi qui a exactement le même effet. Si ce projet de loi est adopté par le Sénat, il constituera une atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte du Canada. La première loi «Son of Sam» était d'une portée nettement plus vaste que celle de la loi provinciale actuelle de l'Ontario. La loi en vigueur en Ontario s'est inspirée en majeure partie de la loi adoptée par l'État de New York après l'annulation de la loi «Son of Sam».
De plus, si vous adoptez cette loi, il deviendra probablement plus difficile pour une autre personne innocente qui a été condamnée, comme l'ont été David Milgaard, Donald Marshall ou Guy Paul Morin, de raconter son histoire au public.
J'estime que même si un seul innocent de plus devait rester en prison alors qu'il aurait pu obtenir réparation grâce à des articles ou à un livre, cela serait une raison suffisante pour rejeter cette loi.
Les amendements qui viennent d'être proposés visent à permettre la publication d'un tel récit, mais ne tiennent pas compte du fait qu'ils privent d'une rémunération un écrivain condamné ou qu'ils obligent un éditeur ou un coauteur à traiter avec la Couronne en tant que titulaire ou cotitulaire du droit d'auteur, ce qui risque d'empêcher la rédaction ou la publication du récit.
Les organisations d'écrivains défient les partisans de ce projet de loi de citer toute oeuvre déjà publiée qui à leur avis aurait dû recevoir le traitement que le projet de loi C-220 prévoit réserver à certaines oeuvres à l'avenir. J'estime que le tort redouté, invoqué pour justifier ce projet de loi, est hypothétique. Je ne veux pas dire que les crimes sont hypothétiques -- il y a une violence terrible et la victime paye un prix terrible -- ce n'est pas ce que je veux dire. Je demande quel est ce tort que l'on redoute qui justifie un tel projet de loi? Quels sont les livres ou les articles publiés qui n'auraient pas dû l'être? Qui sont les écrivains qui n'auraient pas dû être rémunérés? Quels sont les problèmes ou les maux sociaux pressants auxquels s'attaque ce projet de loi?
En conclusion, les écrivains et les avocats que je représente estiment que ce projet de loi, qu'il soit amendé ou non, empêchera la publication de livres, de pièces de théâtre, d'articles, et même de bandes dessinées et de lettres dont le contenu et les idées seraient dans l'intérêt public.
Le sénateur Gigantès: Vous présentez des arguments persuasifs sur le plan juridique. Comment répondons-nous au parent dont l'enfant a été assassiné par Olson et qui ne veut pas qu'Olson puisse raconter quoi que ce soit à propos de ce crime à qui que ce soit? Il ne veut pas qu'Olson puisse raconter sur Internet comment il a fracassé le crâne de son enfant. Il ne veut pas qu'Olson puisse vendre sa version de cartes de baseball où il se décrit comme le pire tueur en série au monde, et il ne veut pas qu'Olson puisse faire circuler des vidéos où il décrit non seulement ses crimes mais comment il les a commis et comment faire de l'argent de cette manière. On nous demande d'empêcher quelqu'un comme Olson de s'exprimer.
Je respecte la liberté d'expression -- je suis moi-même auteur -- mais pourquoi ne devrions-nous pas supprimer le droit d'expression d'un individu comme Olson? Comment pouvons-nous faire la différence entre un individu comme Olson et un Donald Marshall? Pouvez-vous nous aider avec ce problème?
Mme Hebb: Je peux essayer. Il existe d'autres lois qui traitent de ce genre de situation. J'ignore si M. Olson a accès à Internet. Cela m'étonnerait. Je sais qu'il a fait certaines choses par l'intermédiaire de son avocat mais je ne sais pas dans quelle mesure. J'ai entendu des rumeurs. Je sais qu'un nombre d'écrivains ont refusé d'aider M. Olson à produire un livre.
Il existe des lois sur l'obscénité qui peuvent traiter de certaines des situations que vous mentionnez, si elles vont à l'encontre d'autres lois du Code criminel.
Si vous expliquez à quelqu'un comment commettre un assassinat, c'est une incitation à commettre un crime. Il existe aussi des dispositions dans le Code criminel qui traitent de ce genre de situations. Les situations que vous mentionnez sont en fait des situations qui peuvent être traitées par d'autres moyens. Elles ne devraient pas relever de ce projet de loi. Je ne vois pas comment l'adoption de ce projet de loi nous aidera à régler tous les autres problèmes que vous avez mentionnés.
Le sénateur Gigantès: Mes collègues avocats autour de la table sont-ils d'accord avec ce que le témoin vient de dire?
Le sénateur Beaudoin: Après avoir entendu les deux témoins précédents, il ne s'agit pas seulement d'une question d'argent. Autrement dit, si j'ai bien compris leurs témoignages, les victimes ne veulent pas entendre raconter le meurtre de leur fils ou de leur fille. Même si le criminel ne fait pas un sou, elles ne veulent pas qu'il ait le droit de relater son crime par écrit. Elles considèrent cela absolument inacceptable. Elles ne veulent plus entendre parler du crime. Je dois avouer que je les comprends tout à fait.
Quelle est la solution? Elles choisissent l'option qui leur vient immédiatement à l'esprit -- empêcher cette personne d'écrire; empêcher cette personne de dire telle ou telle chose. Je comprends cela car leur douleur est tellement profonde.
Que pouvons-nous faire dans un tel cas? C'est une situation difficile. En tant que chambre législative, nous devons suivre les lois, la Constitution, la charte, la répartition des pouvoirs, et cetera. C'est difficile, mais après tout, nous pouvons régler ce problème. Ce que nous n'arrivons pas à faire, c'est trouver une bonne solution. Nous pouvons être convaincus que le projet de loi C-220 n'est pas la solution appropriée. Nous pouvons en être convaincus, mais les familles des victimes sont d'un autre avis. Au moins en ce qui les concerne, ce projet de loi empêche un criminel de parler d'un crime qui est si terrible pour elles. J'ai le plus grand respect pour ces personnes.
C'est peut-être la première fois qu'un comité est aux prises avec un problème de ce genre. On dit qu'un criminel peut raconter son crime ou faire une vidéo sur son crime. Cependant, nous ne voulons pas que cette personne profite de ce crime. C'est la première fois que j'entends cela. Les gens disent, «Eh bien, ils sont en prison. À quoi sert l'argent en prison?» Ils disent que cela leur donne du pouvoir.
Le sénateur Gigantès Les victimes ont également dit qu'elles ne veulent pas que les criminels racontent leurs crimes, mais le projet de loi leur permet de le faire. Le projet de loi ne les aide pas à cet égard.
Le sénateur Beaudoin: La difficulté pour notre comité, c'est que nous sommes maintenant en position de nous opposer au projet de loi de M. Wappel parce qu'il va à l'encontre de la charte et de la répartition des pouvoirs. Nous nous trouvons maintenant dans la situation très étrange d'avoir la responsabilité de régler le problème même -- pas le projet de loi mais le problème même. Nous sommes maintenant en position de dire que nous rédigerons un projet de loi nous-mêmes.
La présidente: Non. Je tiens à rappeler aux sénateurs qu'ici, lorsque nous aurons terminé nos audiences, nous avons trois options: nous pouvons adopter ce projet de loi sans amendement; nous pouvons l'adopter avec amendement; ou nous pouvons recommander que le Sénat ne donne pas suite à ce projet de loi. Nous ne pouvons pas, à mon avis, régler le problème que vous êtes en train de décrire. Nous n'avons que trois options.
Le sénateur Beaudoin: Nous n'en avons pas le droit.
La présidente: À moins que nous voulions présenter notre propre projet de loi.
Le sénateur Moore: Madame la présidente, je trouve la proposition du sénateur Joyal intéressante. Une façon satisfaisante de procéder consisterait peut-être à saisir la Conférence d'uniformisation des lois de cette question. Ne pouvons-nous pas faire une recommandation en ce sens? Cela relève-t-il de notre compétence?
La présidente: Nous sommes saisis d'un projet de loi dont nous devons nous occuper conformément aux procédures normales du Sénat. Notre mandat s'arrête là. Nous sommes des mandataires du Sénat.
Le sénateur Beaudoin: Nous pouvons retarder le projet de loi et dire que nous prévoyons entendre d'autres experts. C'est toujours une possibilité.
Le sénateur Moore: Nous pourrions le faire en présentant une motion au Sénat.
La présidente: Les sénateurs ont la liberté en tout temps de procéder de cette façon, mais pas en ce qui concerne ce projet de loi.
Le sénateur Beaudoin: Voulez-vous dire à l'aide d'un rapport?
Le sénateur Moore: Je veux dire que tout sénateur -- vous-même, le sénateur Joyal, ou qui que ce soit -- peut présenter une motion...
Le sénateur Gigantès: Ou un projet de loi d'initiative parlementaire.
Le sénateur Moore: ... qui propose que cette question soit soumise à la Conférence d'uniformisation des lois lors de ses prochaines délibérations.
Le sénateur Beaudoin: Comment pouvons-nous le faire?
La présidente: Au Sénat, pas en comité.
Le sénateur Moore: Vous pouvez le faire à titre individuel, comme sénateur.
Le sénateur Beaudoin: Le projet de loi a été renvoyé au comité mais nous devons faire rapport du projet de loi à la Chambre.
La présidente: Cela est distinct du projet de loi. En ce qui concerne ce projet de loi, nous avons les trois options que je vous ai indiquées.
Le sénateur Beaudoin: Avec lesquelles je suis d'accord.
La présidente: Et de plus, tout sénateur peut présenter en tout temps une motion au Sénat.
Le sénateur Gigantès: Nous sommes encore tous sous le choc des témoignages des victimes. Elles nous ont dit tout à fait catégoriquement qu'elles ne tiennent pas à recevoir de l'argent. Elles veulent surtout empêcher certains criminels de s'exprimer. C'est ce qu'elles nous ont dit. Ce projet de loi ne permet pas de le faire. Au contraire, il cède le droit d'auteur à Sa Majesté. M. Olson peut écrire un livre, le droit d'auteur appartient à Sa Majesté et l'éditeur peut obtenir ce livre sans redevance et le publier.
Mme Hebb: Ce sera le cas si les amendements de M. Wappel sont adoptés. En fait, ses amendements risquent d'aggraver le problème. Pour ce qui est des licences franches de redevance, je crois qu'il s'est plutôt coupé l'herbe sous le pied. Ce projet de loi est inacceptable sur le plan constitutionnel, qu'il soit amendé ou non.
La présidente: Nous sommes en train de débattre du projet de loi même. Je demanderais aux sénateurs s'ils ont d'autres questions à poser à Mme Hebb.
Mme Hebb: Puis-je répondre à quelque chose qui a été dit, en ce qui concerne l'argent? Je ne comprends pas pourquoi les victimes disent que l'argent ne les intéresse pas. Je crois que leurs préoccupations sont beaucoup plus profondes que cela. Ce projet de loi ne règle pas ces préoccupations. Certaines victimes veulent de l'argent -- ceux qui ont causé du tort aux familles ont été poursuivis par ces mêmes familles. C'est la raison pour laquelle je dis que ce projet de loi n'aide absolument pas les victimes. En fait, s'il est adopté, il leur causera du tort. Si la première version du projet de loi est adoptée, l'argent sera versé au gouvernement. Si les amendements de M. Wappel sont adoptés, aucun paiement ne sera versé. L'auteur du livre ne touchera pas un sou. Si quelqu'un décidait de le poursuivre, il est peu probable qu'il soit dédommagé à moins que l'auteur en question ait des revenus indépendants. Pourquoi se donner la peine de demander ce genre de choses?
Le sénateur Gigantès: L'une des victimes a dit que lui-même et sa famille avaient dépensé 100 000 $ en fais d'avocat pour récupérer de l'argent d'Olson, donc il a contredit son propre témoignage.
La présidente: Il essayait d'obtenir 100 000 $ de Olson. Je n'ai aucune idée du montant qu'il a dépensé.
Le sénateur Beaudoin: Nous comprenons très bien l'argument du témoin. L'argent ne les intéresse pas. D'autres s'y intéressent. Le projet de loi porte atteinte à la liberté d'expression et les victimes veulent que l'on supprime cette liberté d'expression dans des cas très importants. Nous savons qu'il est inacceptable de le faire dans des milliers d'autres cas. De toute évidence, nous sommes tous partisans de la liberté d'expression. Nous avons les trois solutions que vous nous avez indiquées.
La présidente: Ce sont les trois options qui se présenteront à nous une fois que nous aurons entendu tous les témoins. S'il n'y a pas d'autres questions, je tiens à remercier Mme Hebb d'avoir comparu devant nous et je lève la séance.
La séance est levée.