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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 24 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 10 février 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 47 pour étudier les dimensions de la cohésion sociale au Canada dans le contexte de la mondialisation et des autres éléments économiques et structurels qui influent sur les niveaux de confiance et de réciprocité dans la population canadienne.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous étudions aujourd'hui le rôle des organismes bénévoles dans la cohésion sociale. Nous accueillons un groupe de trois témoins. Chacun de ces témoins expérimentés et compétents fera une brève déclaration d'ouverture, après quoi, nous entamerons le dialogue avec les sénateurs.

Le révérend David Pfrimmer est président de la Commission justice et paix du Conseil canadien des Églises. Il est ministre de l'Église évangélique luthérienne. Son exposé reflète ses opinions personnelles plutôt que la position officielle du Conseil canadien des Églises ou même de l'Église évangélique luthérienne. Il est en train d'entreprendre une étude des attentes des décideurs publics relativement au rôle de l'église et des groupes religieux dans la prise de décisions. Nous pourrons peut-être nous aider les uns les autres aujourd'hui.

[Français]

Mme Vivian Labrie est la coordonnatrice du Carrefour d'animation pastorale en milieu ouvrier, et animatrice en éducation populaire. Mme Labrie a été impliquée dans le domaine de l'alphabétisation, de la création d'emplois et du développement économique régional. En 1995, elle a été membre du comité créé par le gouvernement du Québec sur la sécurité du revenu et cosignataire du rapport «Chacun sa part».

[Traduction]

M. Danny Mui est directeur exécutif du Centre for Information and Community Services (CICS) de Toronto. Jusqu'à tout récemment, CICS était le sigle du Chinese Information and Community Services du grand Toronto, mais comme cet organisme a étendu le cadre de ses activités et qu'il représente maintenant d'autres personnes que les membres de la communauté d'origine chinoise de Toronto et des municipalités de Peel et de York, le nom est devenu Centre for Information and Community Services.

Je vous souhaite la bienvenue. J'inviterai d'abord le révérend Pfrimmer à prendre la parole, ensuite Mme Labrie et enfin M. Mui.

M. David Pfrimmer, président, Commission justice et paix, Conseil canadien des Églises: Je suis ravi d'être ici. Je tiens à vous remercier de m'avoir permis de venir vous parler aujourd'hui des questions de globalisation et de cohésion sociale et de leur rapport entre elles.

Comme vous avez reçu mon mémoire, je me contenterai de mettre en lumière certains des arguments et des préoccupations des Églises et groupes religieux. Je mentionnerai aussi des exemples tirés de notre travail comme groupe religieux. Je ne me fais pas le porte-parole du Conseil des Églises, mais j'espère malgré tout refléter le point de vue des groupes religieux et des Églises avec lesquels je collabore étroitement sur diverses questions.

On utilisait auparavant le mot «mondialisation» pour décrire la façon dont le monde évoluait. Pour bien des groupes religieux, ce terme désigne maintenant une idéologie normative qui spécifie la façon dont le monde devrait être. Pour nous, cela a abouti à une espèce d'économie du désespoir par opposition à une économie de l'espoir. On considère souvent la mondialisation comme une idéologie infructueuse qui corrode les institutions de la société civile précisément parce qu'elle mine la solidarité communautaire.

Parmi les groupes religieux, on accorde beaucoup d'importance au caractère sacré et à la valeur de la vie humaine. Ce caractère sacré et cette valeur sont minés par l'économie du désespoir puisqu'on laisse les forces du marché invisible influencer les décisions et l'emporter sur les responsabilités morales qu'il est plus approprié de considérer comme faisant partie de nos prérogatives à tous.

Pour beaucoup, au sein des groupes confessionnels, la cohésion sociale exige trois éléments. D'abord, il y a l'identité commune, deuxièmement, des expériences communes et, troisièmement, une commune vision de l'avenir. La pauvreté est l'une des principales causes de l'exclusion sociale de nos jours. Il existe une dette sociale. Nous trouvons profondément inquiétant le fait que la pauvreté s'accroisse, non pas en période de récession économique, mais bien pendant une période de croissance.

Nous avons tenu des audiences multiconfessionnelles dans tout l'Ontario et publié un rapport dont la greffière a des exemplaires. Je voudrais citer quelques-unes des conclusions que nous en avons tirées. Nous avons entendu plus de 300 témoignages, surtout des économiquement faibles et de leurs organismes. Notre rapport est intitulé: «Our Neighbours' Voices: Will We Listen?» Il porte sur certaines des questions qui vous intéressent et montre ce qui pousse les gens à vivre en marge de la société.

Nous avons d'abord constaté, ce qui n'étonnera personne, que si les gens sont pauvres, ce n'est pas de leur faute. Nous étions inquiets de la réaction des pouvoirs publics qui semblent essentiellement rejeter la responsabilité de leur condition sur les pauvres. Troisièmement, nous étions troublés de voir les citoyens devenir de plus en plus cyniques. Quatrièmement, les pouvoirs publics abandonnent leurs responsabilités pour ce qui est d'assurer le bien-être de la population et cela aussi nous inquiétait.

Comment pouvons-nous reconnecter ceux qui ont été poussés à vivre en marge de la société? Il faut dire que bien des Canadiens sont optimistes parce que les programmes sociaux font partie de l'histoire récente du Canada. La première étape sera de contrer l'idée que les gouvernements se sont montrés incompétents pour s'attaquer à ces problèmes et n'ont aucun rôle à jouer. Deuxièmement, il faut contrebalancer l'insécurité sociale résultant de la mondialisation en instaurant un sentiment de sécurité au niveau personnel et communautaire. Les pouvoirs publics doivent gagner à nouveau la confiance de la population en s'engageant officiellement à préserver la place qu'occupent les gens au sein de nos collectivités. Nous avons souvent signalé que le Canada aurait besoin d'un pacte social quelconque.

Comment pouvons-nous donner plus d'ampleur à l'action des pouvoirs publics et des citoyens? À notre avis, il faut que ceux qui occupent une place de chef de file puissent écouter ceux qui ont été repoussés en marge de la société. Les dirigeants religieux ont entendu à maintes reprises les pauvres déclarer qu'ils mènent une lutte très courageuse pour subvenir aux besoins de leurs familles et gagner leur vie.

L'économie doit reprendre la place qu'elle devrait occuper. Elle ne devrait pas dominer toutes les décisions prises par les pouvoirs publics. Les institutions de la société civile qui jouent un rôle de médiatrice devraient pouvoir jouer un plus grand rôle et être mieux soutenues et on peut dire la même chose des organismes non gouvernementaux et des sociétés de bienfaisance qui ne sont pas régies par le principe de la concurrence, mais plutôt par celui de la collaboration.

Le Canada a selon nous une responsabilité sociale à l'échelle internationale et doit faire en sorte que les gouvernements et les sociétés transnationales se montrent plus responsables dans le contexte de l'économie internationale. Nous avons aussi demandé au gouvernement d'augmenter l'aide publique au développement sans exiger quoi que ce soit en retour et que le Canada fasse davantage pour défendre les droits de l'homme. Nous ne pouvons pas parler de cohésion sociale sans songer aux injustices dont continuent de souffrir les peuples autochtones au Canada.

Vous avez demandé si la tradition de justice sociale est en danger. Ce que nous trouvons très alarmant, c'est que nous avons tendance à compter sur la charité et non sur la justice sociale pour résoudre ces problèmes. Il faut espérer que le travail de votre comité et des autres institutions de notre société pourra mettre fin à cette tendance.

Le président: Merci beaucoup.

Allez-y, madame Labrie.

[Français]

Mme Vivian Labrie, coordonnatrice, Carrefour de pastorale en monde ouvrier: Je travaille au Carrefour de pastorale en monde ouvrier à Québec depuis une dizaine d'années. Ce groupe est actif depuis environ 20 ans dans la région de Québec. Nous avons été associés à plusieurs actions structurantes et militantes dans la région de Québec en matière de justice sociale. En particulier, je veux souligner des actions récentes: le Jeûne à relais du refus de la misère en 1996, le Parlement de la rue en 1997, et depuis 1997, nous sommes associés à une aventure assez intéressante, et dont on devrait parler ensemble: le Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté.

Le CAPMO a développé une pratique originale qui répond à certaines des questions que vous posez aujourd'hui, celles des «carrefours de savoir». Ce sont des personnes qui vivent la pauvreté et l'exclusion qui interagissent en tant qu'expertes avec des chercheurs, des décideurs, des intervenants et qui vont contribuer à l'avancement des connaissances sur des questions qui ont trait, d'une façon ou d'une autre, à la justice sociale.

Le hasard a voulu que M. Bernard Landry soit le dernier député québécois à venir au Parlement de la rue en décembre 1997. Nous l'avons mis au défi d'entrer en dialogue avec des personnes qui vivent la pauvreté. Le ministre des Finances du Québec a accepté ce défi. De sorte, qu'il existe, depuis un an, un Carrefour de savoir sur les finances publiques. J'ai apporté les documents que nous avons préparés dans la première année de ce dialogue dans le cas où vous seriez intéressés de voir une expérience plutôt originale de discussion entre les milliards, et ce que nous avons appelé les «cents noires».

Ma présence ici cet après-midi est reliée à l'action du Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté. Depuis juillet 1998, je suis dégagée en tant que responsable de ce collectif, dont nous sommes membres avec plusieurs regroupements québécois, de groupes populaires, de syndicats et de groupes féministes et religieux. L'objectif que ce collectif poursuit est de faire avancer l'idée que le Québec se donne une loi cadre sur l'élimination de la pauvreté. Cela exprime l'évolution d'un cheminement, au cours des dernières années au Québec, par le milieu populaire, communautaire, syndical et beaucoup d'autres gens. Nous réalisons que dans la logique inégalitaire de la loi du marché dans laquelle nous vivons, et qui est exacerbée par la mondialisation des économies, ne pourra pas être contrer que si les sociétés du monde arrivent à se donner des politiques globales de lutte à la pauvreté et à engager leurs États dans des voies solidaires qui seront balisées et où il sera possible de faire émerger, instaurer, suivre et faire progresser des pratiques collectives attentives à redistribuer mieux la richesse, à diminuer les écarts dans l'échelle sociale, à assurer à chaque personne sa place et toute sa place dans la dignité, le respect et l'exercice de la citoyenneté. D'où l'idée d'une loi cadre pour garantir de telles politiques.

C'est dans le sillage de ce mouvement que je déposerai la trousse d'animation que nous avons mise au point pour avancer sur cette question au Québec. Je vais m'adresser à vous dans ce cadre.

Je me suis demandée si c'était ma place de venir vous voir aujourd'hui étant donné que notre objectif est bien ciblé vers l'Assemblée nationale du Québec. En même temps, on a répondu que oui. Si notre projet est tourné davantage vers le Québec davantage, il est très près, dans sa nature, des fins poursuivies par le Conseil canadien de la coopération internationale avec le Programme en commun.

Le programme des Nations Unies pour le développement et son approche de l'élimination de la pauvreté va dans le même sens que ce que nous avons entrepris. Les recommandations du rapport Despouy en 1996 au Conseil économique et social des Nations Unies sur la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels préconisent une approche comme celle que nous sommes en train d'entreprendre.

Il est bon que vous sachiez que la marche mondiale des femmes de l'an 2000, dont l'initiative revient à des femmes du Québec, a repris dans ses revendications internationales l'idée que chaque pays se dote d'une loi cadre pour éliminer la pauvreté. Les femmes du Canada qui participent à la marche interpelleront le gouvernement canadien sur cette question.

Je veux préciser qu'une approche intelligente de l'élimination de la pauvreté suppose, à notre sens, de mettre de côté des intérêts partisans ou idéologiques. Sans prendre position dans le débat sur l'avenir de la Fédération canadienne, deux points pourraient justifier ma présence ici aujourd'hui. Le premier point est que la politique budgétaire et fiscale du Canada, sa façon de s'aligner dans la lutte au déficit sur le modèle des ajustements structurels voulus par la mondialisation a handicapé sérieusement, au cours des dernières années, l'exercice de la justice sociale dans nos milieux.

Par exemple, nous sommes très conscients que les contraintes qui ont été imposées aux provinces sur le plan des politiques sociales, par les milliards qui ne leur ont pas été transférés, ont un impact dramatique sur les fonds destinés à l'aide sociale, en particulier, et sur les personnes qui vivent la pauvreté et ses conséquences.

Nous sommes aussi très conscients que l'attitude du gouvernement fédéral, qui a laissé la protection assurée autrefois par l'assurance-chômage se dégrader au passage de l'assurance-emploi et qui fait mine maintenant de s'emparer des surplus d'une caisse qui ne lui appartient pas, est créatrice d'injustices importantes, en particulier auprès des travailleurs et travailleuses précaires qui cotisent sans jamais avoir accès aux avantages qui devraient en découler.

Quand un gouvernement réduit les impôts des plus riches alors que Statistique Canada démontre que les écarts s'accroissent entre riches et pauvres, ils participent de façon structurelle à la création des écarts. On n'élimine pas la pauvreté en éliminant les pauvres du champ de la conscience.

Nos gouvernements fédéral et provinciaux, dont la direction des Ressources humaines Canada, auront beau vouloir changer la manière de calculer les seuils de pauvreté pour faire baisser les nombres et les taux, ils ne changeront pas la situation sur le terrain.

Le deuxième point qui mérite considération est qu'il nous semble important que les discussions sur l'avenir du pays n'empêchent pas les provinces de mettre de l'avant des programmes et des politiques qui seraient efficaces dans la lutte contre la pauvreté et l'exclusion et qu'on tienne compte des réalités, par exemple, de la réalité québécoise et de la personnalité de cette société.

Le Québec a des traditions particulières au niveau de l'action sociale. Par exemple, le syndicalisme, le féminisme et la coopération en font un laboratoire intéressant de pratiques novatrices. Il y a intérêt à faciliter ces explorations plutôt que de les bloquer ou de tenter de les récupérer.

J'avais aussi une question à poser en venant cet après-midi: si une province canadienne évoluait suffisamment dans l'exercice actif de la «concitoyenneté» pour se donner un pacte social et fiscal encore plus «redistributif», réducteur d'écarts et d'inégalités, que ce soit par une allocation unifiée des enfants plus généreuse, par des pratiques originales dans le domaine de l'aide à emploi ou à l'éducation ou encore en évoluant progressivement dans la notion de revenus de citoyenneté, est-ce que le gouvernement fédéral laisserait cette bonne chose exister?

Ce sont des questions que je me suis posées en venant témoigner devant vous. J'ai essayé aussi de répondre à certaines questions soulevées par vous. Je vais garder cela pour l'échange que nous aurons ensuite. J'ai tenté des débuts de réponses pour plusieurs des questions que vous aviez posées. Alors, je me retiens et j'attends.

[Traduction]

M. Danny Mui, directeur exécutif, Centre for Information and Community Services: Monsieur le président, honorables sénateurs, au nom de tout le personnel et tous les membres du CICS, je tiens à vous dire à quel point je vous suis reconnaissant de m'avoir invité à donner le point de vue de mon organisme à propos de la cohésion sociale au Canada et du rôle des organismes bénévoles.

Lors d'audiences passées du comité, M. Broadbent avait défini la cohésion sociale comme étant la volonté des citoyens de s'entraider. Pour cela, ils doivent avoir un sentiment de confiance. M. Michael Adams avait dit que la cohésion sociale signifie que les Canadiens se font confiance les uns aux autres et font confiance à leurs institutions. Nous sommes d'accord. Cela fait plus de 30 ans que nous servons la communauté immigrante et nous sommes tout à fait convaincus que la cohésion sociale est le produit final d'un bon établissement et de l'intégration du groupe des immigrants. Les immigrants ne peuvent pas être bien nantis quand ils sont encore en train de s'adapter à la vie au Canada. C'est uniquement quand l'écart entre les moins favorisés parmi les groupes d'immigrants et les personnes favorisées du groupe principal peut être réduit et défini que nos citoyens peuvent commencer à se faire confiance et que leurs institutions peuvent travailler côte à côte.

Voyons un peu ce qu'on entend par favorisés et défavorisés. Notre expérience auprès des personnes d'origine chinoise nous a appris qu'on les considère comme bien nanties, autonomes, ethnocentriques et bien organisées. Cela semble s'appliquer au groupe de favorisés de notre communauté. Bien sûr, vous savez aussi bien que moi que ce n'est pas entièrement vrai. L'argent n'est pas la seule façon de définir les favorisés et les défavorisés. Si l'on tient compte d'autres facteurs comme l'influence politique, les occasions d'emploi, l'égalité de l'instruction, la qualité de la vie sociale et d'autres éléments, bon nombre d'immigrants, y compris les Chinois, seraient tout de suite considérés comme des défavorisés.

Je voudrais parler un peu du rôle des institutions pour combler l'écart entre les favorisés et les défavorisés, mais comme je manque de temps, je vais me concentrer sur l'une de nos principales institutions, l'école, et d'une institution plus complexe, les médias.

Les enfants d'immigrants vivent littéralement à l'école. La plupart des parents de ces enfants travaillent de longues heures, ont des problèmes linguistiques et ne peuvent pas efficacement communiquer avec les écoles pour bien comprendre ce qu'on enseigne à leurs enfants. Il y a en outre certainement des différences culturelles dans les attentes qu'ils ont relativement au processus d'éducation et au rapport entre les parents et les écoles.

Quand les parents doivent faire face à leurs propres besoins d'adaptation pendant les premières années de leur transition, ils comptent énormément sur le système scolaire pour combler les besoins d'éducation de leurs enfants. Par contre, quand l'enseignant constate le manque d'intérêt des parents à assister aux réunions du conseil scolaire ou à prendre part à une consultation publique, il se décourage et commence à se demander si les parents appuient vraiment leurs enfants. Pourtant, ces parents veulent appuyer leurs enfants, mais ils expriment leur soutien d'une autre façon.

Le CICS a la chance de pouvoir entrer en contact avec certaines écoles pour résoudre le problème de communication et amener les principaux intéressés à se comprendre. L'effort demeure minime compte tenu du besoin qui existe dans toutes les écoles aux prises avec des situations semblables. Nous espérons que tous les parents auront le même désir de croître et d'apprendre dans un meilleur environnement.

Les médias sont considérés comme l'instrument par excellence lorsqu'il s'agit d'influencer les Canadiens dans leurs décisions. L'afflux d'immigrants a fait s'accroître le nombre de médias d'une troisième langue. À Toronto, il y a trois grands journaux en chinois, un réseau de télévision chinois et bon nombre de stations radiophoniques et de revues chinoises. La croissance et l'influence de plus en plus importantes des médias de langue chinoise sont néanmoins un paradoxe relativement à l'établissement et à l'intégration de la communauté immigrante chinoise et c'est peut-être aussi le cas d'autres groupes dans notre communauté. Cela a sans doute accru l'efficacité des médias à faire passer leurs messages aux Canadiens qui ont des problèmes de langue, mais cela oblige aussi les fournisseurs d'information ou de lien de communication à ajouter à leur champ de responsabilité les médias chinois. Ces derniers favorisent certainement la cohésion du groupe de Canadiens visés en leur procurant une expérience médiatique commune, mais ils créent aussi une aliénation au sein de la communauté chinoise en y réduisant l'influence des médias courants et en l'isolant du reste de la collectivité en procurant une expérience chinoise distincte. Cela aide à l'établissement des nouveaux immigrants en leur offrant un climat familier, mais cela prolonge aussi la durée du processus d'intégration à la société en leur permettant de se replier sur eux-mêmes.

Le CICS reconnaît le formidable appui que procurent les médias de langue chinoise. Cependant, à cause de l'ambivalence exprimée ci-dessus, le CICS n'a pas cherché de partenariat plus étroit avec ces médias. Les médias ordinaires ne sont cependant pas encore à même d'offrir d'approche multiculturelle. Il faudra sans doute encore quelque temps avant qu'un organisme comme le CICS puisse arrêter sa stratégie médiatique. Nous espérons que les deux groupes de médias, séparés de façon artificielle, en viendront à chercher une existence plus harmonieuse, ce à quoi le CICS pourrait servir d'intermédiaire.

Voilà les points que je voulais mettre en lumière aujourd'hui. Je suis prêt à faire part de mes idées et de mes expériences aux membres du comité pendant le reste de la séance.

Le président: Merci, monsieur Mui.

L'un de vous a-t-il une opinion sur l'entente d'union sociale signée par le gouvernement fédéral et neuf des provinces la semaine dernière? Madame Labrie?

[Français]

Mme Labrie: En fait, je ne connais pas bien les détails de l'union sociale. Par ailleurs, je voudrais exprimer une préoccupation: on sent beaucoup, dans l'évolution des ententes sur les politiques sociale depuis la fin du RAPC -- le régime d'assurance public du Canada -- la fin du droit au revenu décent.

On a tendance de plus en plus au Québec, à faire une approche non plus de sécurité du revenu garanti par un droit, mais une sécurité du revenu qui dépend de la capacité ou non de trouver des revenus de travail. L'évolution de notion de droit vers une notion «d'employabilité» est inquiétante au sens de beaucoup de gens au Québec. Nous sommes plusieurs à faire cette réflexion. Nous sommes inquiets de la disparition d'un droit qui avait été affirmé et consolidé dans les décennies précédentes.

C'est un point que nous questionnons beaucoup. Nous ne sommes pas en train de modifier cette tendance, mais dans la renforcer dans les décisions récentes. Je ne peux pas commenter sur l'union sociale comme tel, mais sur la tendance que l'on voit émerger de ce côté.

[Traduction]

M. Pfrimmer: La notion d'union sociale soulève plusieurs problèmes graves. Je ne suis pas convaincu que l'entente permettra d'atteindre les objectifs visés. Je ne pense pas qu'elle donne vraiment de sécurité aux Canadiens, surtout les moins bien nantis et les groupes plus vulnérables. C'est l'une des objections que j'ai à cette entente.

Par exemple, bon nombre de gouvernements provinciaux ont réduit le budget de tous leurs programmes, notamment la sécurité du revenu et les services de soutien, et certains ont instauré des mesures très punitives. La notion d'une union sociale ou la possibilité d'une telle union pourrait rendre permanentes bon nombre des initiatives qui ont causé l'insécurité dans notre société.

Je trouve cela très troublant puisque nous aurions dû tirer des leçons de ce qui est arrivé dans le passé et comprendre que nous avons besoin d'un processus qui permette au public de participer davantage et qui soit plus transparent. Comme les Canadiens considèrent déjà avec cynisme leurs dirigeants qui font tout à huis clos, ce n'est pas une bonne chose qu'ils se réunissent sans que nous sachions de quoi on discute dans le détail et qu'on nous dise simplement que ce sera ce qu'il y a de mieux pour le Canada. Cette seule notion m'inquiète.

Bien des gens avec qui je travaille ne seraient pas très optimistes, mais au contraire très hostiles à la notion d'une union sociale telle qu'elle existe maintenant à moins que le public puisse y participer davantage et qu'elle ne contienne certaines garanties qui protègent les droits et le bien-être des gens. L'entente convenue ne semble pas correspondre à ces critères.

Le président: Avez-vous des opinions au sujet des changements apportés à la prestation canadienne pour enfants ces dernières années? Je sais que le Québec n'a pas ratifié les récents changements.

[Français]

Mais le Québec peut s'adapter facilement au nouveau régime.

[Traduction]

Comme vous le savez, l'objectif consiste à enlever les éléments qui semblaient dissuader les assistés sociaux d'abandonner leurs prestations de bien-être social pour se joindre à la main-d'oeuvre active. Y en a-t-il parmi vous qui ont fait une étude de ce problème? Avez-vous des opinions là-dessus? Madame Labrie.

[Français]

Mme Labrie: Je veux m'assurer que je comprends bien la terminologie. Est-ce que l'on parle de la prestation des enfants quand on parle de «Child benefit» ici?

Le président: La prestation des enfants, cela veut dire un crédit d'impôt. Le crédit d'impôt pour tous les enfants et qui tente d'encourager les gens qui dépendent de l'aide sociale.

Mme Labrie: Il y a deux choses qu'il faut séparer: nous étions habitués à des systèmes de sécurité du revenu qui abordaient la question au niveau de la famille. Il y a une tendance, en ce moment, à séparer la sécurité du revenu des adultes de celle des enfants. Cela peut être intéressant dans une certaine mesure, mais il faut aussi être conscient de certains problèmes qui peuvent se présenter.

Le premier problème, concerne l'expression, que nous trouvons inquiétante: «On veut sortir les enfants de la pauvreté». Nous ne pouvons pas sortir les enfants de la pauvreté sans que les parents sortent de la pauvreté. Sinon, c'est un faux raisonnement. Il y a un agenda caché dans une politique qui s'adresse aux enfants et qui consiste à diminuer le nombre de ménages à l'aide sociale. Si certains ménages n'ont plus accès à l'aide sociale, mais simplement à un crédit pour enfant ou à une allocation pour enfant, cela peut avoir techniquement pour effet de baisser le nombre de personnes enregistrées à l'aide sociale. Ce n'est pas la but recherché par une prestation des enfants.

Il faut questionner le but de cette prestation: À quoi cela sert-il? Si nous y réfléchissons bien, nous pouvons imaginer l'intégration d'un système qui fasse du sens, qui soit plus simple à comprendre pour les familles, pour les parents, mais aussi qui corresponde aux besoins. Un des problèmes que nous rencontrons en ce moment, c'est celui du total de l'allocation, qui est adressé par les gouvernements fédéral et provincial, qui est insuffisante pour couvrir les besoins réels des enfants dans les familles. Tant que ce sera insuffisant pour couvrir les besoins essentiels, nous ne pouvons pas parler d'une mesure efficace. J'ai cette préoccupation.

Il y a aussi une préoccupation de simplifier la vie des gens. Quand j'ai participé aux travaux du comité externe de réforme sur la sécurité sociale, nous nous disions qu'il serait intéressant qu'une seule pourrait couvrir l'ensemble des besoins pour les enfants. Cela pose le problème d'une discussion entre les deux gouvernements. Nous savons tous les difficultés que cela implique. La crainte que nous avons en transformant d'anciennes politiques sociales vers de nouvelles, très souvent, est celle de la baisse des standards. Et c'est souvent ce qui se produit.

L'idée de protéger davantage les familles des travailleurs et des travailleuses à faible revenu est nouvelle dans notre vision des politiques sociales. C'est un objectif qui est louable dans la mesure où l'on ne sacrifie pas les familles sans emploi qui avaient accès à une certaine sécurité du revenu autrefois.

Au Québec, par exemple, je suis consciente qu'à la fois au niveau de la politique des services de garde, de l'assurance médicament et de la prestation des enfants, les familles sans emploi sont perdantes dans l'évolution du régime de la politique sociale.

[Traduction]

M. Mui: Je sais que le président parle d'encourager les femmes à réintégrer la main-d'oeuvre active, mais le gouvernement de l'Ontario n'encourage pas les femmes à retourner au travail, il les y oblige. Reprendre le travail est obligatoire.

En Ontario, si vous êtes assisté social et si vous recevez ce qu'on appelle maintenant des prestations familiales, vous devez retourner au travail si vous êtes un parent seul et si vos enfants ont plus de 6 ans. Le gouvernement n'essaie pas d'encourager et d'aider les femmes à réintégrer la main-d'oeuvre active. J'ai moi-même été travailleur social et travailleur de prestations familiales. La plupart de mes clients sont prêts à retourner au travail. Cependant, s'ils sont restés au foyer pendant six, 10 ou 14 ans, ils ont besoin d'encouragement et d'appui. À cause des énormes changements apportés à la politique du gouvernement, ces gens sont catapultés sur le marché du travail. Et ils doivent survivre même s'ils n'ont pas les compétences et la préparation voulues.

Nous devons aussi songer à la garde des enfants et au programme de perfectionnement professionnel. Nous ne devons pas oublier le groupe d'immigrants non plus. Ceux-ci n'ont pas suffisamment de connaissances linguistiques et professionnelles; ils n'arrivent même pas à se trouver du travail. Qu'ils reçoivent de l'assistance sociale ou non, ils ne peuvent pas chercher un emploi. Même s'ils en trouvent un, ils ne seront pas traités également par leur employeur. C'est ce que j'ai constaté.

Je sais que le gouvernement encourage ces gens à retourner sur le marché du travail, mais pour l'instant, il les oblige à réintégrer la main-d'oeuvre.

M. Pfrimmer: C'est une question très importante. Nous avons entendu bien des choses à propos du nouveau crédit d'impôt pour les enfants lors de nos audiences. Ce programme oppose les assistés sociaux aux gagne-petit.

Le président: Mais les assistés sociaux ne perdent rien.

M. Pfrimmer: Ce qui arrive maintenant est très intéressant, du moins en Ontario. Bon nombre d'assistés sociaux profitent de ce programme grâce au programme de remboursement de la taxe. Ensuite, la province récupère l'argent grâce au programme d'assistance sociale. Entre-temps, les gens ont l'impression d'avoir plus d'argent que ce n'est le cas. Ils reçoivent les chèques et, à la fin du mois, ils constatent qu'ils doivent non seulement rembourser le montant du chèque lui-même, mais qu'ils doivent encore plus d'argent. Cela cause d'énormes problèmes, surtout chez les femmes qui comptent sur les prestations d'aide sociale. Selon nous, ce système de récupération est très mauvais.

L'autre partie du problème vient du fait qu'on devait mettre sur pied de nouveaux services dans le cadre du programme. Les provinces prennent tout ce qu'elles peuvent au moment des négociations fédérales-provinciales. L'argent qu'on a récupéré ou que le gouvernement provincial a économisé en versant moins de prestations de bien-être social devait être consacré à de nouveaux programmes, mais ce n'est pas ce qui est arrivé. Cela s'est peut-être fait en théorie, mais il n'y a pas plus de services de soutien en pratique. Viennent s'ajouter à cela les programmes de travail punitifs comme l'assistance-travail qui vont à l'encontre des conventions internationales et qui causent encore plus de crainte et d'angoisse parmi les assistés sociaux.

La question est très grave. Je sais que ce n'est qu'un premier pas et que c'est donc une bonne chose à cause de cela, mais nous avons communiqué avec M. Pettigrew à ce sujet et sur d'autres questions pour lui dire que ce programme devait être beaucoup plus inclusif, intégré et holistique et qu'il devait garantir une sécurité de revenu suffisante. Ce n'est pas que les assistés sociaux ne veulent pas travailler, mais plutôt qu'il n'y a pas de travail pour eux. Ils ne peuvent pas subsister avec le genre de salaire qu'on leur offre. Ils sont pris entre deux feux.

Le sénateur Butts: Révérend Pfrimmer, je suis fascinée par votre notion de l'exclusion. Est-ce qu'il y a ou bien cohésion ou bien exclusion? N'y a-t-il rien entre les deux?

M. Pfrimmer: Les gens ont l'impression de faire partie de la société dans une mesure ou une autre. Ce n'est pas tout ou rien. Cependant, nous devrions tous trouver alarmants les niveaux d'exclusion qui existent maintenant. La pauvreté en est un exemple, mais il y en a d'autres. Heureusement, le taux de participation aux élections est encore relativement élevé au Canada. Cependant, selon les Nations Unies, dans d'autres régions du globe, seulement 10 p. 100 de la population participe d'une façon quelconque à la prise de décision démocratique.

Toutes sortes de choses peuvent mener à l'exclusion, mais nous devrions nous efforcer d'éviter que certains se sentent isolés au Canada.

Le sénateur Butts: Selon vous, c'est à cause de la pauvreté?

M. Pfrimmer: J'ai choisi l'exemple de la pauvreté parce que nous avons tenu des audiences à ce sujet et que nous avons publié un long rapport sur la question. Ce rapport parle d'inclure ceux qui ont été laissés en marge de la société. Il y a cependant toutes sortes d'autres facteurs, comme le racisme et le vieillissement, qui peuvent mener à l'exclusion. Je ne veux pas dire que la pauvreté est le seul facteur d'exclusion, mais c'est un facteur important pour les Canadiens de nos jours.

Le sénateur Butts: Comment un organisme comme le vôtre peut-il aider à s'attaquer à ce problème? Pensez-vous que le gouvernement doit tout faire? Cela m'a frappée de voir que tout le document sur l'exclusion porte sur la pauvreté et le problème que cela représente pour les gouvernements.

M. Pfrimmer: C'est une bonne question. Je ne demanderais certainement pas moi-même aux gouvernements de s'en occuper, mais selon les conventions internationales qu'ils ont signées volontairement, les gouvernements ont l'obligation de protéger le bien-être de la société. Il y a toujours eu un partenariat entre la société civile et le gouvernement pour garantir que cela se fasse au Canada.

J'essayais de montrer dans mon exposé que, sous bien des aspects, les divers oaliers de gouvernement se sont dérobés à ces responsabilités. Dans certains cas, ils se sont attaqués directement aux pauvres et refusé d'assumer leur responsabilité. Ils nous ont dit que la mondialisation était à ce point inévitable que nous ne pourrions pas remplir nos obligations sociales. En toute justice, vous devez reconnaître que c'est une chose à laquelle nous devons nous opposer. Le gouvernement doit assumer ses responsabilités et définir son rôle.

Le sénateur Butts: Pouvez-vous me donner un exemple de cas où le gouvernement a blâmé les pauvres? Quel palier gouvernemental blâme les pauvres?

M. Pfrimmer: Ce n'est pas une attaque de plein front. C'est plus subtil que cela. Par exemple, au cours de la dernière campagne électorale, personne n'a contesté le mythe ou la notion selon laquelle les assistés sociaux ne veulent pas travailler, sont paresseux et habitent tous dans des logements subventionnés. Personne ne l'a contesté. L'un des principaux éléments de la campagne électorale de la révolution du bon sens était une réforme de l'assistance sociale dont on voulait resserrer les règles afin d'éliminer la dépendance et les éléments qui dissuadent les gens de travailler. On parlait de remettre les gens au travail, et ainsi de suite. En réalité, le gouvernement a instauré des programmes tout à fait punitifs.

Prenons le cas de l'assistance-travail. Comment est-ce que cela constitue une attaque contre les pauvres? Essentiellement, on suppose que les pauvres ne veulent pas travailler. À cause de cela, on doit les obliger à travailler et instaurer des mesures punitives. Par exemple, vous pouvez être déclaré non admissible à l'aide sociale et vous n'avez pas vraiment le droit d'en appeler des décisions prises par le travailleur social. C'est une façon de dire aux pauvres: «Vous mentez. Vous nous dites que vous ne voulez pas travailler.» Pourtant, selon les conventions internationales, nous ne devrions pas avoir de programmes de travail obligatoire au Canada.

Que peut-on faire? Nous en avons discuté avec le gouvernement provincial. Nous avons dit: «Il suffirait de faire de l'assistance-travail un programme volontaire et d'instaurer des services de soutien comme des garderies, des cours de langue et d'autres services qui tiennent compte du fait que ces gens font de leur mieux et travaillent très fort.» De son côté, le gouvernement n'a pas investi dans des services de ce genre et a réduit les prestations de bien-être social de 21 p. 100. D'autre part, il augmente les prestations fiscales et réduit les impôts pour ceux qui se trouvent tout au haut de l'échelle des revenus. Le gouvernement ne dit pas en toutes lettres qu'il s'attaque aux pauvres. Il l'a fait de façon implicite en prenant des mesures plus subtiles. C'est probablement l'un des exemples les plus évidents pour moi.

Le gouvernement fédéral ne l'a pas fait de façon aussi ouverte, mais il a réduit les paiements de transfert de 7 milliards de dollars en instaurant le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Cela a incité les provinces à réduire leurs propres budgets et à instaurer des programmes plus punitifs, qu'elles songent maintenant à conserver pendant quelques années. Personne ne dit comment cela va aider les pauvres.

Voilà le genre de chose que je veux dire, sénateur Butts.

Le sénateur Butts: Vous dites que les organismes de bienfaisance, les familles et les ONG devraient jouer un plus grand rôle. Je voudrais que vous me l'expliquiez.

M. Pfrimmer: Notre société sous-estime le rôle des dons de charité. Il existe toutes sortes d'institutions médiatrices civiles qui jouent un rôle important dans la vie des gens et dans lesquelles les Canadiens croient. En luttant contre le grave problème du déficit, nous avons perdu de vue le partenariat historique selon lequel l'État mettait de côté certaines ressources pour aider la société civile et le secteur social dans certaines de ces activités. Ces organismes comptaient aussi sur les dons individuels et les dons de bienfaisance. Bon nombre d'entre eux sont maintenant en difficulté et ne peuvent plus fournir les mêmes services qu'auparavant. Ils ont perdu leur financement et il n'y a plus d'argent pour eux. Ils doivent compter uniquement sur les dons individuels et l'appui des entreprises. Cela ne suffit pas. À cause de cela, bon nombre de ces organismes civils essentiels sont en train de disparaître.

Il faut examiner comment rééquilibrer le secteur économique qui produit la richesse. Il faut qu'il y ait de la croissance économique, mais une partie de la richesse créée doit être réaffectée par les gouvernements aux institutions de la société civile pour leur permettre de fournir certains de ces services dans la collectivité. Il y a un appauvrissement général à travers le pays parce que beaucoup de ces organisations ne sont plus capables de faire face aux pressions financières.

Le sénateur Butts: Pour résumer, les institutions religieuses ne peuvent pas le faire, alors elles demandent à l'État de le faire?

M. Pfrimmer: Bien que j'appartienne à une Église, je travaille avec les collectivités juives, musulmanes et bouddhistes. Elles disent toutes la même chose. On ne peut pas s'attendre à ce que nous occupions le champ qui a été abandonné par les gouvernements. Nous recevons à peu près 40 milliards de dollars en dons de charité, mais les gouvernements ont fait des compressions totales de 200 milliards de dollars. Si on laisse de côté les équipes sportives et tout le reste pour ne garder que les services essentiels, le secteur caritatif ne peut pas combler l'écart.

Bien des gens avec qui je travaille donnent généreusement de leur temps. Ils appuient les banques alimentaires, les services de counselling et toutes ces bonnes choses. Ils en ont un peu assez de se faire demander d'en faire encore plus et de voir les gouvernements accorder des allégements fiscaux à d'autres secteurs pour des choses qu'ils estiment moins importantes que les services de base.

[Français]

Le sénateur Gill: Madame Labrie, vous dites, par exemple, que les réductions du gouvernement fédéral au Québec ont été très difficiles du côté social. Au Québec, c'est un langage que l'on entend souvent. Je viens du Québec, d'un milieu autochtone. Ne pensez-vous pas qu'au Québec, on utilise ce langage et ailleurs aussi? Je me demande à quel point cela déresponsabilise les gens qui sont dans le besoin. Les gens qui sont vraiment dans le besoin ne trouvent pas une justification par leur leader quand on met l'acent sur des choses comme cela. Il y a eu certains problèmes du côté social, budgétaire, et cetera. Tout le monde admet cela. Peu importe l'organisation qui le fait, quand on fait cela, on ne montre pas aux gens à pêcher, on leur dit qu'on va leur donner des poissons. Il faudrait faire des efforts, au contraire, pour dire aux gens: c'est vrai qu'on a des problèmes sociaux ou des problèmes de pauvreté. Mais ceux qui sont le plus en mesure de contribuer à nos propres problèmes, c'est nous-mêmes. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.

Mme Labrie: Quand un gouvernement réussi à diminuer son budget d'autant de milliards, à une période où les écarts entre les riches et les pauvres se sont accrus, on doit continuer de se poser d'énormes questions. On doit se demander si le cinquième le plus riche de la population dans la même période se retrouve plus riche et le cinquième plus pauvre plus pauvre. Alors qu'on est allé retirer des milliards dans les fonds publics, la question qui est posée est la suivante: qui a payé pour le déficit zéro? La question est terriblement posée. Je vais donner un exemple qui touche le gouvernement fédéral.

Quand des personnes cotisent à l'assurance-emploi et ne sont jamais capables de se rendre au nombre d'heures travaillées qui leur permettrait d'en retirer des bénéfices, est-ce qu'ils ne se trouvent pas à régler la dette du pays à la place des gens qui pourraient le faire? Cela devient une honte quand ces choses se produisent.

Dans mon milieu, je rencontre quotidiennement des gens qui tentent de s'en sortir, de la meilleure façon possible. Je ne peux pas parler des gens à qui on donne des poissons. Je vois des gens qui essaient constamment de pêcher mais qui n'ont pas accès au lac!

C'est un grave problème. Si l'on veut donner une chance aux gens de s'en sortir, il faut avoir des politiques d'emploi intéressantes, des politiques de support vers l'emploi intéressantes. Il faut s'assurer, lors de la création des emplois pour des personnes qui n'en ont pas, de ne pas placer dans ces emplois une marge telle que la différence entre travailler et avoir de l'aide sociale soit si minime. Cela ne fait pas de sens.

Si vous voulez en savoir plus long, je vous invite dans mon quartier, je vous ferai faire la visite de ce qui se passe chez nous. Il est question beaucoup de cohésion sociale ici cet après-midi. Je veux vous signaler une chose. La journée où on laisse ces écarts augmenter, ce qui se produit, c'est qu'une partie de la population glisse vers une autre forme d'économie. Les gens qui n'arrivent pas avec leur revenu à faire un mois normal, à manger suffisamment et tout cela, qu'est-ce qu'ils font? Ils vont aller à l'aide communautaire, à l'aide des églises autour parce qu'il reste un soupçon de chances et de possibilités. Une fois que c'est fait, on tombe dans ce qu'on appelle l'économie infernale. C'est un cercle vicieux dont on se sort difficilement. C'est un poids qui est imposé. Pourquoi l'imposons-nous à une partie des concitoyens alors qu'on aurait les moyens de faire autrement?

Je ne reçois pas le discours sur les milliards qui seraient une excuse. Dans mon milieu, les gens font tout ce qu'il peuvent. J'ouvrirais une petite parenthèse, on pourrait revenir là-dessus si cela vous intéresse. Une autre question se pose: devons-nous aborder la question de la présence des citoyens dans notre société uniquement dans le sens de l'emploi? Est-ce que dans le siècle qui s'en vient, on ne devrait pas aussi réfléchir à la pleine participation des citoyens et des citoyennes dans une société?

Je vous signale qu'il y a des tas des gens qui n'arrivent pas à vivre la cadence imposée par le marché de l'emploi, qui vont avoir des maladies de travail. Ils vont se retrouver rapidement comme des pêcheurs qui ont pêché, mais qui ont pêché à une cadence telle qu'ils ne sont plus utilisables pour devenir des pêcheurs. Que va-t-on leur dire? On va leur donner des poissons? Il y a peut-être une manière plus humaine d'aborder cette question. Cette manière respecterait les possibilités de la technologie, le partage de la richesse chez nous et une approche intelligente de l'activité humaine.

Le sénateur Gill: Tout le monde accepte que les écarts s'agrandissent et qu'il y a des problèmes réels. Les gouvernement doivent faire des choses à tous les niveaux. Par contre, dans ce mouvement de sensibilisation et d'aide qu'on veut apporter d'une façon très honnête et très correcte, je me demande si on ne glisse pas dans un autre excès, dans le sens de «surprotection» ou de justification. Par exemple, dire que vous n'êtes pas choyés, donc les gens doivent faire tout pour vous autres.

J'ai peur qu'on tombe là-dedans parce que j'ai vécu de telles expériences. Les gens se laissent aller avec ce courant. Le travail que vous faites maintenant doit aussi responsabiliser les gens.

Mme Labrie: Pour qu'une personne s'implique dans sa société, on présente souvent le problème de se sortir de la pauvreté en mettant la personne au centre. À partir du moment où on ne met pas l'argent au centre mais les personnes, il y a trois choses à retrouver.

Premièrement, une personne doit pouvoir répondre à ses besoins. Deuxièmement, elle doit pouvoir exercer des activités dans lesquelles elle se sent reconnue, que ce soit l'emploi ou autre chose, et la troisièmement, elle doit pouvoir influencer sa société.

Il est très difficile d'exiger d'une personne d'être une productrice de richesses et une consommatrice de richesses sans lui demander de devenir participante au mécanisme de réflexion sur la redistribution de la richesse. Ce que vous recherchez est possible seulement si on développe l'exercice de la citoyenneté des plus pauvres. Les personnes qui vivent les problèmes de pauvreté dans notre société doivent sentir que quelque part, leur opinion, leur vision du monde a un sens et peut contribuer à modifier des politiques. Ceci étant acquis, l'effort qui va avec est acquis parce qu'on retrouve le sens de sa présence dans le monde et dans la société.

C'était une des réponses que j'avais présentée; un des enjeux n'est pas seulement la redistribution de la richesse. Un des enjeux est de rendre possible l'exercice de la citoyenneté des plus pauvres. À chaque fois que cela arrive, et j'aperçois tous les jours une personne qui s'implique dans un groupe, si elle constate que le groupe tient compte de son opinion, elle va revenir. Je pense que dans la société, c'est la même chose.

Le mouvement vers le non effort dont vous parlez, cela peut être vu aussi comme étant une démission. On va démissionner parfois quand on n'a pas trouvé sa place, quand on sent qu'il n'y a pas de place pour nous, si on est perçu comme étant seulement de la main-d'oeuvre. Vous avez la personne consommatrice, la personne active mais il faut mettre la personne citoyenne au premier plan dans notre activité collective au pays. C'est très rare. Qui prend les décisions qui influencent la vie des personnes les plus pauvres au Canada? Ce sont les personnes qui appartiennent au cinquième le plus riche de la population. Il y a un problème là. La journée où les gens qui vivent la pauvreté contribueront à prendre les décisions, les décisions seront différentes et je pense que cela changera bien des choses.

[Traduction]

Le sénateur Poy: Monsieur Mui, vous avez parlé de la difficulté à intégrer les collectivités d'immigrants au niveau de l'éducation et des médias. D'après vous, comment est-ce que le gouvernement peut encourager les médias de la majorité à tenir compte des médias qui utilisent d'autres langues?

M. Mui: Le principal problème tient au fait que le gouvernement n'a jamais clairement défini l'intégration qu'on cherche. Étant donné qu'il n'y a pas de notion précise concernant ce qui constitue l'intégration, il n'y a pas de façon de la mesurer. Si on se sert du bon sens et qu'on dit que l'intégration veut dire que quelqu'un participe à la collectivité et y fait une contribution, alors le nombre croissant de Chinois qui oeuvrent dans les médias qui utilisent une troisième langue aident à donner aux immigrants de l'information sur la société en général. Mais ce n'est pas une rue à double sens. Les médias courants ne s'intéressent pas trop à ce qui se passe dans les collectivités locales d'immigrants.

Comment les y encourager? C'est très difficile. Bien que ces médias portent un certain intérêt aux dits marchés d'immigrants, c'est un intérêt purement économique. Il y a une version chinoise de Maclean's et de Toronto Life, mais la motivation ici est de vendre des produits et d'augmenter l'achat de publicité.

Le gouvernement doit encourager les médias courants à communiquer avec les collectivités minoritaires ou d'immigrants et à reconnaître qu'elles font partie de la société au sens large et qu'elles ne constituent pas un secteur à part. J'ai dit dans ma présentation que bien que le nombre croissant de médias de tierce langue puisse davantage empêcher le développement, il se peut que les médias courants dépendent davantage de ces derniers, au lieu qu'il y ait intégration des deux.

Je n'ai pas de solution magique à ce problème, mais à l'heure actuelle l'information est transmise seulement dans un sens. Les médias principaux reçoivent des informations à travers les médias de tierce langue, mais les groupes d'immigrants ne peuvent pas communiquer avec la majorité par les médias. C'est un fait.

Le sénateur Poy: Je connais bien la situation, mais moi non plus je n'ai pas de solution à proposer. Je sais que cela se fait seulement à sens unique à l'heure actuelle. Je me demande si le gouvernement peut remédier à la situation, parce qu'il y a tant de groupes de tierce langue dans ce pays. En termes de cohésion sociale, il est important que le gouvernement fasse preuve de leadership à cet égard.

Madame Labrie, vous avez parlé de la rédaction d'une loi visant à éliminer la pauvreté. C'est très idéaliste. Je ne comprends pas tout à fait comment on pourrait y arriver. On peut rédiger une loi pour la distribution de la richesse, mais comment éliminer la pauvreté? La seule chose qui me vient à l'esprit, c'est qu'on commence avec l'éducation. Si les gens sont mieux instruits, ils se porteront mieux du point de vue économique. Mais au-delà de cela, qu'est-ce que vous proposez?

[Français]

Mme Labrie: Il est évident que l'objectif peut faire sourire à première vue. En passant, si on était en train de travailler ensemble, je sortirais un outil de travail. Votre idée est de parler d'éducation, alors on travaillerait à inscrire cette idée dans la recherche de contenu pour la loi. Il y a des outils qui permettent aux gens d'exprimer leur opinion quant à ce qu'ils verraient dans une loi pour éliminer la pauvreté, ce que vous venez de faire à l'instant même.

Je vais essayer de situer ce que nous recherchons avec cette idée. D'abord, la notion d'élimination de la pauvreté n'est pas neuve. Ce sont les Nations Unies qui ont introduit ce vocabulaire avec l'Année internationale de l'élimination de la pauvreté, ensuite avec la première décennie des Nations Unies pour l'élimination de la pauvreté. Ils ont pris des précautions, ils ont dit: première décennie, n'est-ce pas? Tout de même, on voit émerger, au niveau de la conscience mondiale -- et je pense que c'est en lien avec toute la question de la mondialisation des marchés -- l'idée qu'il y a un enjeu majeur pour le prochain siècle si on ne veut pas se retrouver dans une planète éclatée. Dans la dernière génération sur la planète, les écarts ont doublé entre les plus riches et les plus pauvres. Donc il y a cet enjeu de voir comment on peut réduire la pauvreté, viser l'élimination, de façon idéale, si vous voulez, et aller vers une telle approche. Je souligne simplement l'esprit d'un tel projet.

Maintenant, comment cela peut se présenter? Le premier pas est peut-être d'imaginer cela comme une loi cadre. C'est-à-dire arriver à se dire comme société: «Nous sommes conscients de la difficulté de l'enjeu, mais nous voulons le faire.» Ce que nous allons faire, ce sont les premiers pas dans cette direction et nous allons fixer un point de départ. Nous allons nous donner des étapes et nous allons essayer peu à peu d'améliorer notre approche dans cette direction. J'admets avec vous que le point zéro de la chose est difficile à atteindre, mais en se donnant cet horizon, nous pouvons certainement baliser le chemin et avancer.

Le problème que nous avons en ce moment est que les approches de politique qui visent à réduire l'exclusion ou la pauvreté sont morcelées, sans cohésion les unes avec les autres. Si on se donne le but d'avoir une vision globale du problème, on a plus de chances de fixer les politiques ensemble et de faire avancer les choses. C'est donc l'esprit de ce que nous amenons en ce moment.

Voici une idée d'une première étape qu'on pourrait envisager dans un tel projet -- et je parle ici strictement de manière économique parce qu'on sait que la pauvreté comprend plus qu'une dimension économique. Par exemple, une société qui se donnerait un objectif d'apprauvissement zéro, qu'aucune des politiques qui seront adoptées dorénavant conduiront à apprauvrir le cinquième le plus pauvre de la population. C'est faisable. C'est imaginable de procéder comme cela et tout de suite on a installé un plancher.

Je vous propose une deuxième étape. La couverture des besoins essentiels pour tout le monde. S'assurer que nos politiques d'emploi et de sécurité du revenu font que les besoins essentiels sont couverts pour tous les citoyens et les citoyennes d'une société. Cela devient une question d'honneur et de dignité, et encore une fois, c'est faisable.

Une société qui est capable de faire un travail vers un déficit zéro comme elle vient de le faire est certainement encore plus capable de se décider à ne laisser aucun de ses concitoyens et concitoyennes en dessous d'un niveau de base, et ici je parle de dollars vitaux. D'autant plus qu'on sait qu'une société qui laisse une partie de ses citoyens sous cette barre, cette société elle-même est tout de suite en train de s'apprauvrir. Cela va lui coûter plus cher en soins de santé, en qualité de vie humaine et tout cela.

Cet objectif est bon pour tout le monde. Imaginons que dans une deuxième étape, on se donne une vision comme cela. Tout de suite on augmente la qualité de vie dans une société. Ce que l'on vise en ce moment avec ce projet, c'est augmenter la conscience de notre capacité, si on le désire vraiment, de travailler dans ce sens.

On doit éventuellement imaginer des législations qui ne sont pas des points finals mais des points de départ. Des législations qui vont donner le cadre ou le début et qui s'organiseront ensuite pour utiliser, ce qu'on connaît beaucoup dorénavant en sciences humaines, des techniques d'évaluation. Nous devrons évaluer les erreurs, apprendre des erreurs, aller plus loin et se garantir que l'on ne restera pas dans des systèmes qui ne fonctionnent pas.

Imaginons que cette loi se donne comme objectif simple d'amorcer un dialogue, tous les ans, avec des personnes qui vivent la pauvreté pour voir ce qui ne va pas et ce qui pourrait aller mieux. Tout de suite on se donne une chance d'aller plus loin.

Imagineons qu'elle se donne comme objectif que toutes les politiques votées seront examinées à la lumière de leur effet sur les populations plus pauvres. On se donne de nouvelles garanties en le faisant.

Imagineons que l'on ajoute un article qui dit que cette loi ne pourrait être amendée que dans le sens de l'amélioration de ses objectifs. Vous vous empêchez de reculer. Cela peut être à la fois idéaliste et réaliste.

La France s'est donnée cette année une loi cadre contre l'exclusion. Cela peut être intéressant d'examiner cette expérience qui est assez différente parce que c'est une loi qui ouvre la porte à d'autres lois. Les Philippines ont adopté des politiques propauvres qui sont aussi très intéressantes. Il faut que quelques pays sur cette planète commencent à travailler dans un autre sens si l'on veut que cela bouge. Pourquoi ne le ferions-nous pas?

[Traduction]

Le sénateur Wilson: M. Mui a parlé du rôle des médias. C'est certain que les grands médias contribuent à créer un climat qui rejette la faute sur les pauvres. L'an dernier, il y a eu dans le Globe and Mail trois éditoriaux qui commençaient par «Les pauvres seront toujours parmi vous.» Puis, ils ont dit que c'était la faute des pauvres. Cela me fâche tellement que je voudrais même répliquer à un moment. Il faut aussi examiner le rôle des médias dans la création de ce climat, car les gens acceptent les arguments. Lors de la dernière réunion, j'ai parlé de l'importance des médias dans la création de la cohésion sociale.

Parmi toutes ces choses dont on a parlé cet après-midi, et je suis d'accord avec beaucoup de ce qui a été dit, avez-vous des histoires ou expériences concrètes, des modèles, pour l'élimination des obstacles à une pleine participation à la vie économique, sociale et politique?

[Français]

Mme Labrie: Je peux vous donner un exemple très simple. Un incident qui est vraiment arrivé dans le cadre des Carrefours de savoirs sur les finances publiques, dont je vous ai parlé tout à l'heure.

D'abord, il est déjà très inusité qu'un ministre des Finances accepte de discuter avec des gens qui vivent la pauvreté. C'est inhabituel pour un ministère des Finances, dans leur langage, de penser que leur clientèle va inclure des gens qui ne paient pas d'impôt. Dans le simple dialogue entre les personnes qui vivaient la pauvreté de mon quartier et les hauts fonctionnaires du gouvernement du Québec, il a été mis en évidence qu'un changement qui devait se présenter serait très dommageable pour les personnes.

Je vous situe très techniquement ce dont il s'agit. Dans un dernier budget, le Québec a augmenté sa taxe de vente et avait prévu de rembourser, par un crédit pour la taxe de vente, les personnes à plus faible revenu. Dans la prestation d'aide social, il y avait déjà un remboursement d'intégré dans la prestation mensuelle, et vu ce changement, il avait été prévu de retirer le remboursement pour la taxe de vente, d'ajouter sa bonification -- le nouveau supplément -- et de le payer deux fois par année.

Cela voulait dire qu'une prestation de 490 dollars par mois pour une personne seule serait passée, à partir de janvier 1999, à 477 dollars, et qu'il aurait eu deux paiements. Il n'y avait pas de perte de revenu. Vous pouvez imaginer comme moi qu'il est beaucoup plus intéressant pour une famille très pauvre d'avoir un revenu régulier, qu'elle va pouvoir budgeter comparativement à recevoir deux cadeaux par année qu'on va être tenté de dépenser pour des fins différentes. On a fait valoir cela de façon directe. On leur a dit que ce qu'ils imaginaient était impossible, qu'ils allaient appauvrir les gens. On n'arrive pas avec 490 dollars. Cela ne couvre pas les besoins essentiels. On est très loin de cela. C'est criminel de baisser la prestation.

Le simple dialogue cette fois-ci a rendu possible de renverser une décision et de faire en sorte qu'on introduise plutôt le supplément de remboursement de la taxe dans la prestation d'aide sociale. Voici un exemple très simple où par le dialogue on a réussi à faire un changement. Ceci étant dit, je veux bien préciser que c'est une décision qui n'avait pas un impact financier très important. Avant que l'on réussisse à faire des pas plus substantiels, je pense qu'il va falloir que nos sociétés s'ouvrent davantage. L'an dernier, au Parlement de la rue, on a vécu une expérience importante aussi.

[Traduction]

M. Pfrimmer: J'ai juste deux exemples. Un provient des audiences dans la région d'Ottawa-Carleton. La municipalité régionale ici, en réponse à des pressions de la collectivité religieuse qui avait animé ces séances, a créé un groupe de travail constitué uniquement de personnes à faible revenu pour la conseiller sur les services à offrir. Cela a été très efficace. C'est un exemple qu'on a examiné ailleurs dans la province. C'est un exemple concret. Je pourrais en dire plus, mais cela suffit.

Le sénateur Cohen: Mme Labrie a dit qu'il faut rendre les pauvres autonomes et les aider à devenir des citoyens à part entière, parce qu'ils vont arrêter de participer s'ils ne se sentent pas estimés. Le premier pas est d'arrêter de faire de la discrimination contre les pauvres parce qu'ils sont pauvres. Au fur et à mesure que l'écart s'élargit entre les favorisés et les défavorisés, la discrimination sévit plus que jamais. Les sociétés ont une vision étroite; elles ne veulent rien savoir à moins qu'on commence à leur en parler.

La religion jouait autrefois un rôle très important en créant le ciment qui permettait de la cohésion sociale. Les Églises travaillent toujours dans ce sens, mais cela ne suffit pas. De quoi d'autre a-t-on besoin quand il s'agit de former des alliances ou des partenariats avec d'autres groupes de la société pour créer la cohésion sociale? Comment peut-on amener les sociétés qui font partie de ces alliances à ouvrir les yeux et à commencer à faire une différence?

M. Pfrimmer: Je présume que c'est une courte réponse que vous voulez. Si je l'avais, je serais ravi de vous la donner.

On ne peut pas présumer que tout le monde fréquente une église, une synagogue ou un temple aujourd'hui, c'est vrai. Mais les valeurs religieuses persistent. Les gens croient toujours en quelque chose. Cela m'afflige de constater que nos lois dans le domaine de la politique sociale ne font aucunement référence à ces valeurs. Il nous faut des gens qui peuvent aisément parler de dignité humaine et de justice sociale. Ces éléments ont disparu du vocabulaire de nos discussions publiques, et cela pose problème.

Les gens sont ouverts à une autre vision. Si on veut amener les autres secteurs de la société à participer à cet effort, il faut renverser la vapeur. La mondialisation qui écrase tout n'est pas inévitable. Il ne faut pas sacrifier nos choix sociaux. Très franchement, si vous vous demandez qu'est-ce qui vous rend heureux ou qu'est-ce qui est important, très souvent ce n'est pas votre emploi ou votre parti politique. C'est plutôt les choses que vous faites pour répondre à la dimension sociale de votre vie; les choses auxquelles vous êtes prêt à vous dévouer. Le travail de l'église va continuer, mais je suis plus préoccupé pour ces institutions qui n'ont pas ce type d'appui que nous avons. Il faut trouver une façon de toucher les institutions qui donnent aux gens un sentiment plus profond de l'importance de leur vie et quelque chose à laquelle ils peuvent se dévouer.

Je vais m'arrêter là, parce qu'il faut discuter de la question plus longuement.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Est-ce que nous avons trois catégories d'assistés sociaux? Les assistés sociaux à vie, qui veulent être exclus de la société et qui n'ont pas envie de réintégrer le marché du travail. L'autre groupe, ceux qui sont des assistés sociaux pour cause de maladie, et les autres qui sont devenus des assistés sociaux parce qu'ils ont perdu leur travail. Alors ils sont sur l'aide sociale durant un an, deux ans, mais durant cette période, ils perdent contact avec le marché du travail. Lorsqu'un chef de famille perd son emploi et demande de l'aide sociale, le gouvernement doit avoir des programmes spécifiques afin que ce travaileur puisse être à la fine pointe des nouvelles technologies en attendant de retourner sur le marché du travail. Vous savez bien qu'il y a des abus. Une personne qui est sur l'aide sociale depuis un très jeune âge n'a pas le goût d'aller travailler.

Cela fait plus de 25 ans que je dirige un centre communautaire pour personnes âgées et pour les comités culturels. Nous demandons à tous ceux qui viennent à la banque d'aliments et autres s'ils veulent faire deux heures de travail communautaire. Ils nous répondent oui, je viendrai vendredi pour faire la popote roulante et ils ne viennent pas.

On a une autre personne à qui on dit: voici un chèque pour payer ta facture d'électricité, voici des paniers d'aliments, mais si le mois prochain tu n'as pas fait au moins cinq heures de bénévolat, nous ne te donnerons rien. Il peut se passer des mois avant que cette personne se représente. Ce sont des gens qui se sentent bien là où ils sont. Ils sont exclus parce qu'ils veulent être exclus.

Que pensez-vous de cela? Croyez-vous que c'est la société dans laquelle nous vivons?

Mme Labrie: Sénateur Ferrati Barth, est-ce que vous aimeriez que je fasse des catégories de sénateurs?

Le sénateur Ferretti Barth: Vous faites ce que vous voulez, mais moi, mes catégories sont des cas vécus. Je vis avec des gens de la rue. Je ne suis pas ici parce que j'ai fait des études spéciales ou des recommandations spéciales pour devenir sénateur. J'ai travaillé dur, madame. J'ai renoncé à ma position sociale pour travailler avec les pauvres et je les aide toujours. Je vous dis qu'il y a une résistance parmi les assistés sociaux. Vous nous avez dit que vous viviez dans un quartier très particulier. Dites-moi lequel et j'irai le visiter très volontiers. J'aimerais m'entretenir avec les gens que vous dites pauvres.

Mme Labrie: Il m'est très difficile de répondre à votre intervention. Vous l'aurez compris par la façon dont je vous ai répondu. Nous faisons une grave erreur en voulant catégoriser les personnes qui vivent la pauvreté. La journée où l'on fait cela, on ouvre le champ de la catégorisation partout dans la société. Si on se met à examiner si les êtres humains sont bons, moins bons, lesquels sont actifs ou paresseux, à ce moment, on doit ouvrir ce champ partout dans l'échelle sociale et vous savez ce que cela donnera. Très sincèrement, je pense que c'est une mauvaise piste.

Il est très clair qu'il y a des personnes qui vivent la pauvreté qui ne voient pas d'autre espoir que de faire du mieux qu'elles peuvent avec une situation qu'elles croient qui ne changera pas. Nous faisons une erreur en voulant masser toute notre vision des changements à faire sur la question de l'emploi uniquement.

Depuis quelques années, on voit apparaître -- et c'est tellement dans l'idéologie de la mondialisation des marchés -- l'idée qu'il y a les bons et les mauvais pauvres. Les bons pauvres sont ceux qui veulent travailler qui ne trouvent pas d'emploi et que l'on devrait aider ou ceux qui ne peuvent pas travailler. Les mauvais pauvres sont ceux qui ne voudraient pas travailler, mais qui pourraient. Je n'aperçois pas cela de cette façon. Très souvent, les personnes qui n'ont pas d'emploi ou qui sont sur l'aide sociale et qui se sont découragées, étaient sur le marché du travail auparavant. Très souvent, les personnes qui se sont découragées sont allées demander de l'aide dans un centre d'emploi et n'ont pas reçu d'aide, mais de la méfiance, un préjugé pour lequel on a imaginé qu'elles avaient fait une faute si elles se présentaient là. De sorte que quand la main qui devrait être tendue est une main qui a repoussé, les gens tirent leur conclusion. Ils se retirent de la société.

Est-ce que c'est par la charité et les banques alimentaires que nous allons résoudre le problème? J'en doute énormément. Cela me permet de ramener un point que vous avez introduit tout à l'heure. On ne doit pas demander aux églises, aux mouvements de charité de remplir les fonctions qui appartiennent à un État solidaire. Une des qualités d'un État, c'est de rendre redevable tous les citoyens sans exception d'une approche de la redistribution de la richesse qui va toucher tous les citoyens sans exception. Il y a une notion d'universalité qui fait qu'un État peut devenir l'instrument de nos solidarités que l'on ne retrouvera jamais dans la charité. Dans la charité, on retrouvera la position de celui qui donne et celui qui demande. La main tendue est toujours assez humiliante. Elle conduit à toutes sortes de réactions y compris celles que vous décriviez parce qu'on ne se sent pas dans un rapport égalitaire.

Je vous donne un exemple: les vêtements. On s'est habitué à l'idée que si on est pauvre, les gens vont aller dans un vestiaire et se faire donner des vêtements et donc ne doivent pas faire la fine bouche. Ceux qui vont faire le recyclage de vêtements dans notre société, ce sont les plus pauvres. Les plus riches vont acheter des vêtements neufs et après un an, arrêteront de les porter et les apporteront au vestiaire. Est-ce la société dans laquelle nous voulons vivre? Et là, on fera ombrage aux personnes qui ne voudront pas faire de bénévolat avant d'avoir les vêtements. Peut-être que l'on peut changer notre approche. Si on était dans une société qui voulait recycler ses vêtements, mais où tout le monde irait les recycler en même temps peut-être que cela changerait l'approche. On constate que lorsqu'on introduit des cuisines collectives où les gens font la cuisine, des vestiaires où cela devient une approche plus écologique du vêtement, ces attitudes changent parce que les gens trouvent leur place en tant que personne à part entière.

Tant que l'on maintient une hiérarchie et que l'on sait celui qui a et celui qui n'a pas, celui qui n'a pas aura les réactions qu'il ou qu'elle pourra.

J'aurais envie de vous lire les deux derniers paragraphes de ma présentation. Je vous lis donc l'avant dernier paragraphe, à la page 6, de ma présentation.

Je termine par une phrase de Lucienne, une femme très pauvre accablée par une dette importante à l'aide sociale, dont les intérêts montent plus vite que la coupure de prestation mensuelle dont elle fait l'objet. On a découvert qu'elle est techniquement endettée à vie à l'aide sociale et condamnée à voir sa dette augmenter à chaque mois.

On lui coupe 112 $ sur son chèque et les intérêts sont de 116 $ et plus. Alors vous voyez ce que je veux dire. Elle est comme un pays du tiers-monde. Lucienne a fait une tentative de suicide il y a quelques jours. Elle me disait:

J'ai vécu des pressions toute ma vie, pis là, j'en vis encore. Là ils calculent ça comme si j'avais fait une fraude volontaire. Pis la nuit, ben je fais bien des cauchemars, comme si on m'enfermait. C'est lourd à vivre ça. Comme c'est là, je vis pas, j'existe. J'existe pourquoi? Je vais-tu subir toute ma vie? Tant qu'à subir, aussi ben que je meure.

Lucienne qui se sent une citoyenne responsable, se sent un poids pour sa société qui n'a pas trouvé un moyen de faire plus honorable que de l'endetter à vie vis-à-vis du système d'aide sociale.

Je me suis posée une question shakespearienne: «To be or not to be». Pourquoi Lucienne existe-t-elle dans cette société en voie de mondialisation? La question est là. Je vous invite à y penser et à y répondre. Vous pourrez peut-être la rencontrer si vous venez dans mon quartier.

Le président: Vous aurez peut-être l'occasion d'en reparler avec le témoin mais pour le moment, nous devons remercier nos témoins.

[Traduction]

Un grand merci à nos trois témoins.

La séance est levée.


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