Délibérations du sous-comité des
anciens
combattants
Fascicule 6 - Témoignages pour la séance du matin
OTTAWA, le jeudi 5 février 1998
Le sous-comité des anciens combattants du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 h 05 pour poursuivre son étude de toutes les questions ayant trait à l'avenir du Musée canadien de la guerre, incluant, s'en s'y limiter, sa structure, son budget, son nom et son autonomie.
Le sénateur Orville H. Phillips (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Notre premier témoin ce matin est M. Doug Fisher, bien connu de vous comme chroniqueur politique.
Je pense être en partie responsable du fait qu'il ait abandonné la politique pour devenir chroniqueur. Quand nous sommes tous deux entrés à la Chambre des communes en 1957, M. Fisher était très désireux de faire des émissions radiophoniques pour sa circonscription. Un jour il m'a invité de participer à une émission avec lui. Afin d'éviter d'entrer dans un débat politique, nous avons parlé de la fluoration des sources d'approvisionnement en eau. Je suis persuadé qu'après cela, M. Fisher a décidé qu'il y avait un meilleur moyen de gagner sa vie. Je pense qu'à cause de cette émission, je l'ai chassé de la Chambre des communes.
Veuillez vous avancer M. Fisher.
M. Douglas Fisher: Je suis heureux de voir en ces lieux des gens qui ont survécu. C'est ce que je pensais hier en écoutant l'hommage rendu à la Chambre à Mark MacGuigan, Bruce Beer et David Orlikow. Quand Bruce est parti, sa grande ambition était d'avoir un trotter qui courrait le mille en deux minutes. Il en a trouvé un qui l'a couru en 2 minutes et une seconde. J'ai pensé que ce n'était pas mal. C'était son but. Le pauvre David s'est fait balancer rapidement, et il aurait dû partir. Je pense que ça faisait trop longtemps qu'il était ici. Il faisait discrètement partie des meubles, sur la Colline. Mark était tout simplement un des gars les plus gentils et les plus sympas qu'il m'a été donné de rencontrer. Je vous dis cela car j'ai tendance à revenir sur le passé et, dans une certaine mesure, c'est aussi ce que fait ce comité.
Je ne représente officiellement aucun groupe d'intérêt. Je rédige une chronique depuis 18 ans dans le magazine Légion. Grâce à cela, je suis entré en contact avec d'innombrables personnes, notamment des anciens combattants qui ont quelque chose à dire. Je suis aussi au courant qu'on puisse l'être de la biographie des anciens combattants, de ce qu'ils ont fait et de ce que l'on a écrit sur eux.
J'ai consacré pas mal de temps à ma propre commémoration de la guerre. J'étais homme de troupe dans un régiment de véhicules blindés qui a été envoyé en Normandie quelques semaines après le Jour J et qui est resté là-bas jusqu'à la fin de la guerre. J'étais tireur dans une automitrailleuse Stag Hound. Le 12e Manitoba Dragoons était un régiment fantastique. Nous avions un bon commandement, et nous avons participé à de nombreux combats. Par une série de circonstances, notamment du fait que nous étions un régiment très soudé où il y avait une bonne communication, j'en savais pas mal sur la façon dont la guerre évoluait grâce, par exemple, aux comptes rendus de renseignements et ainsi de suite. On savait que les V-1 et les V-2 arrivaient avant que la presse en parle. Je mentionne cela car depuis que je suis retourné outre-mer pour aller à l'Université de Londres, après la guerre, je me suis tenu informé sur l'armée canadienne et ses actions, notamment en Italie, mais aussi dans le nord-ouest de l'Europe, pendant la guerre.
Tout cela -- la correspondance que j'ai entretenue, les lettres que j'ai reçues, ma participation aux manifestations des filiales de la Légion, les conférences que j'y ai données au fil des années et ainsi de suite -- me permet de dire que même si je ne peux prétendre parler au nom des anciens combattants de la façon dont M. Chadderton et d'autres membres de la Légion le font et peuvent le faire, j'ai néanmoins une certaine perspective des choses. J'ai aussi de l'expérience sur la scène outaouaise. J'en connais un peu sur les dépenses publiques, les sources de financement et ainsi de suite. J'ai mes propres idées sur le Musée canadien de la guerre et le Musée canadien des civilisations et sur la question qui vous occupe en particulier.
Franchement, je suis très préoccupé par cela à cause d'une chose qui m'embête depuis de nombreuses années. J'ai rédigé plusieurs articles au sujet de la terrible tendance que nous avons dans ce pays à étiqueter et cataloguer les gens. L'étiquette qui m'a toujours ennuyé le plus est celle qui a trait à l'antisémitisme. Je me sens très mal à l'aise quand certaines questions et certaines affaires font surface dans un contexte politique et que l'on se demande: bon, est-ce de l'antisémitisme? Est-ce du racisme? Cela touche-t-il à des principes fondamentaux risquant de mener à des conflits religieux?
Ce qui me dérange le plus au sujet de la question qui nous occupe, ce sont ces insinuations qui, semble-t-il, sont parties de rien. On s'est subitement trouvés confrontés à un problème et immédiatement, les anciens combattants qui ont pris position sur la question de savoir s'il devrait y avoir une exposition sur l'Holocauste au Musée de la guerre ont été qualifiés d'antisémites ou d'anti-Juifs. Cela me fait grimper aux rideaux. C'est une chose très regrettable. Je tiens à affirmer énergiquement que cette question ne devrait pas soulever le problème de l'antisémitisme. C'est on ne peut plus ennuyeux.
Cela dit, je voudrais revenir aux anciens combattants, aux militaires canadiens, à l'histoire militaire de ce pays et à la raison pour laquelle on en fait tellement peu de cas. Pourquoi est-on si peu fier au Canada des exploits accomplis dans la Deuxième Guerre mondiale? Pourquoi s'intéresse-t-on si peu à ce qu'ont réalisé certains individus ou certaines unités?
Je pense avoir une explication. Une des principales raisons, c'est que les autorités n'ont pas souhaité ou n'ont pas voulu commémorer cela aussitôt la guerre finie. On l'a vu lorsque le colonel Stacey a eu des problèmes avec Brooke Claxton. Le gouvernement libéral de l'époque avait fait un magnifique effort de guerre mais il était très conscient que la guerre, particulièrement dans ses dernières phases, au moment où la crise s'amplifia, avait créé des divisions, tant et si bien qu'il était plutôt contre l'idée d'une commémoration.
M. Pearson a dû intervenir personnellement, en tant que vieil ami du colonel Stacey, afin qu'il dispose de crédits pour écrire l'histoire des différentes armes pendant la Deuxième Guerre mondiale. On était d'avis qu'il fallait minimiser la chose parce qu'une partie du pays ne s'était pas engagée et n'avait pas participé de façon aussi déterminée à la guerre; il s'agit des Canadiens français, notamment ceux du Québec. Par conséquent, on pensait qu'il valait mieux ne pas insister et ne pas se lancer dans une grande commémoration. Le gouvernement ne voulait faire naître un grand mythe patriotique fondé sur les exploits des Canadiens pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Une des ironies de la chose, c'est que cinq ou six ans après la guerre, en plein milieu de ce que Granatstein a appelé l'âge d'or des mandarins d'Ottawa, ce sont les mandarins qui sont devenus les héros de la guerre; pas même C.D. Howe et ses hommes à «un dollar par an», mais tous ces sages qui avaient conseillé les politiciens et organisé ce magnifique effort de guerre tout en préservant l'unité du pays et en élaborant parallèlement le système social que nous avons aujourd'hui.
Voilà mon premier point. Il n'y a jamais eu au sein du gouvernement, notamment parmi les hauts fonctionnaires, un grand enthousiasme en faveur d'une commémoration des efforts de guerre canadiens. Il en va de même pour la Première Guerre mondiale. Dans ce dernier cas, la crise, si l'on pense à l'amertume qu'elle a déclenchée, était encore plus profonde que celle qui a eu lieu au moment de la Deuxième Guerre mondiale.
Il s'agit bien sûr de choses dont certains ne veulent pas parler. James Eayrs, dans ses livres sur la défense du Canada, aborde un peu la question, notamment lorsqu'il parle de l'aversion des hauts fonctionnaires envers tant de généraux canadiens après la Deuxième Guerre mondiale. Le général dont ils cherchaient les bonnes grâces était celui qui était le plus impopulaire parmi tous les autres généraux et les troupes. Quoi qu'il en soit, je me suis fait comprendre.
Ensuite, il y eut l'initiative axée sur le rôle diplomatique que pouvait jouer le Canada, une initiative mise de l'avant par l'entourage de M. Pearson. Elle s'appuyait sur l'effort de guerre consenti par le Canada et les Forces armées canadiennes et sur le rôle qu'avait joué le Canada en tant que base d'approvisionnement au cours de la guerre. Tous ces gens-là, mis à part le fait qu'ils voulaient voir le Canada occuper une place prépondérante sur la scène internationale, ce que nous pouvons tous apprécier, se sont mis à développer le concept de maintien de la paix, qui a engendré celui de rétablissement de la paix. Parallèlement, avec le soutien efficace d'un grand nombre de personnes, particulièrement des membres du clergé, des gens qui avaient peur de la bombe atomique et ainsi de suite, ils ont commencé à répandre l'idée que les Canadiens ne sont pas vraiment belliqueux, que nous sommes fondamentalement un peuple pacifique. Cela a abouti à ce que j'appelle l'image de sainteté que nous avons présentée au monde, comme pour lui dire, si l'on veut, que nous valons plus que les autres peuples car nous ne sommes pas aussi sauvages, ou aussi portés sur la chose militaire, notamment par comparaison avec nos grands voisins du sud. C'est plutôt drôle, surtout pour ceux qui connaissent un peu la réputation des troupes canadiennes dans les deux guerres ou celle que s'est taillé le Groupe numéro six de l'ARC pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Il faut également se rappeler que l'OTAN a été créée pour contenir l'URSS de Staline qui, du jour au lendemain, est passée du statut de grande alliée à celui d'ennemie mortelle de la démocratie. Au Canada, il y a eu des affaires d'espionnage et de trahison qui ont fait scandale. Cela entraîna un certain cynisme à l'égard de la bonne guerre qui venait de prendre fin. Aussi bien notre engagement au sein de l'OTAN que notre participation aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies ont donné à l'armée canadienne l'occasion de jouer un rôle important, mais pour ce qui est de l'OTAN, nos troupes ont été engagées en grande partie de façon permanente. À cause de leur leadership et à cause de l'appui que ces troupes recevaient du gouvernement, on s'est graduellement détourné de ce qui était la tradition fondamentale au Canada en ce qui concerne l'armée, à savoir qu'à la base, il y a la Milice et des corps de réserve.
Cela a eu pour conséquence de minimiser pendant des années l'importance des associations régionales et des organismes locaux regroupant les membres des régiments et des escadrons. Ils ont cessé de jouer un rôle important dans les collectivités d'un bout à l'autre du pays. Tout au long des années 50, 60 et 70, on a pu assister au démantèlement des manèges militaires dans tout le Canada, on a pu les voir perdre ce qui leur donnait vie et vitalité.
Lorsque des écrivains, des romanciers, des journalistes historiens comme Pierre Berton et des réalisateurs de cinéma s'intéressèrent, dans les années 50 et 60, au Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale, ils se concentrèrent sur ce qui n'avait pas marché.
J'ai parlé, il n'y a pas très longtemps, avec Harold Herbert, qui fut longtemps député libéral de Montréal. Il a rédigé d'amusantes mémoires intitulées Memoirs of a Trained Seal. Harold avait l'un des rôles les plus exigeants, les plus terribles et les plus décisifs qui pouvait être confié à un membre ordinaire de la RAF. C'était lui qui prenait des photos à 40 000 pieds d'altitude. Il m'a dit que de voir à quel point les écrivains et les réalisateurs de cinéma canadiens sont obsédés par le désastre de Dieppe, d'entendre continuellement les mêmes questions: qui était responsable, s'agissait-il d'un acte de bravoure ou non, avait-on mal planifié la chose, les Allemands étaient-ils au courant et ainsi de suite, le rendaient fou. Lui, il pense à un désastre militaire fondamentalement beaucoup plus grave auquel il a été associé: le parachutage à Arnhem, avec ce pont qui était trop loin.
Il m'a dit que ce qui était arrivé là-bas était un échec terrible, beaucoup plus grave en termes d'importance et de victimes que Dieppe et pourtant, c'est devenu quasiment l'image même de l'héroïsme, ces soldats coiffés du béret des parachutistes qui s'agrippent au point et qui tiennent pendant si longtemps.
Il m'a dit que cela le tourmentait, car on l'avait envoyé en trois occasions différentes survoler à haute altitude cette région de Hollande pour avoir des photos parfaites. Naturellement, les Allemands envoyèrent leurs avions de combat mais ils n'ont pas pu l'atteindre car leurs avions ne pouvaient pas monter à cette altitude. Il a donc tourné et tourné et pris des photos, à plusieurs reprises. Il ne sait pas ce qui est arrivé aux photos, mais il était évident que les Allemands savaient qu'il était là-haut et se doutaient qu'il allait se passer quelque chose dans ce corridor.
J'ai pensé que je vendais la mèche lorsque j'ai découvert ce qui s'était passé après le 17 septembre.
Cela m'a rappelé que les Britanniques et les Américains présentent leurs échecs d'une autre manière que les Canadiens, comme nous avons fait dans le cas de Dieppe. On insiste à n'en plus finir au Canada sur le cruel exil, qui était parfaitement légal, des Canado-Japonais de Colombie-Britannique, sur la perte de vaisseaux dans l'Atlantique Nord, sur la brutalité dont les pauvres civils allemands ont été victimes lors des bombardements alliés, sur le fiasco du renforcement des troupes parce qu'il y avait trop peu de fantassins, sur les échecs, les désastres et ainsi de suite. Pourtant ce n'est qu'un aspect de ce qui fut un énorme effort de guerre consenti par 11 à 12 millions de Canadiens sur une période de cinq ans, par un pays dont l'enthousiasme était mitigé mais qui a su se secouer et se reprendre.
La remarque que je voudrais faire maintenant est la plus délicate, car elle a trait à la création, après la guerre, de l'État d'Israël. Cela a été largement justifié et appuyé par les pays occidentaux quand la terrible cruauté et l'infamie de l'Holocauste ont été révélées. Au fur et à mesure que l'on a pris conscience de l'Holocauste au début des années 50, que l'on a compris son organisation diabolique et son envergure, et au fur et à mesure que les gens ont commencé à réaliser qu'il s'agissait d'une calamité humaine sans précédent mise au point par des forces maléfiques qui n'avaient rien d'humaines, il devint évident que les alliés n'avaient pas fait moins tout ce qu'il aurait été possible de faire pour sauver les Juifs. Il est difficile de dire quels alliés, mais je parle avant tout du haut commandement. Cela n'avait rien à voir avec les Canadiens, du début à la fin de la guerre.
Au fur et à mesure que les archives ont été étudiées et que la fin de non-recevoir dont furent victimes les Juifs européens qui cherchaient asile au Canada a été connue, le passé du Canada a été, semble-t-il entaché d'une faute collective, inspirée par l'antisémitisme. Cela a gâché la victoire remportée par la précédente génération aux yeux des Canadiens nés après la guerre. Pouvait-on parler de victoire si, au même moment, on avait fermé les yeux sur les cruautés qui aboutirent à l'élimination des Juifs d'Europe? La victoire est venue trop tard pour ceux qui ont le plus souffert de la guerre. Encore une fois, cela diminue ce que nous avons accompli ensemble pendant la guerre.
Après la guerre et jusque vers la fin des années 60, il existait au Canada un vaste mouvement en faveur d'une plus forte immigration, et le pays d'origine n'était pas important. En partie à cause des idées personnelles de Tom Kent, cela entraîna éventuellement un changement de la politique d'immigration, et au lieu d'accueillir les immigrants traditionnels, venant notamment du nord-ouest de l'Europe, nous avons ouvert nos frontières à des gens originaires du monde entier. Le système de points d'appréciation a été introduit, et ainsi de suite. Puis, on a instauré une politique nationale sur le multiculturalisme. Si nous avons une politique sur le multiculturalisme, c'est en partie parce que des milliers d'immigrants venaient de pays qui étaient, par le passé, ennemis du Canada. Si l'on souhaite faire de notre nation un microcosme du monde entier, il faut regarder en arrière et se rendre compte que nous avons connu deux guerres. Un grand nombre de ces immigrants viennent de sociétés et de communautés qui ont été nos ennemis.
Une chose sur laquelle on insista avec cette nouvelle politique sur l'immigration et le multiculturalisme -- et cela rejoint la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies -- c'est qu'il fallait, au Canada, accorder une valeur égale et un même respect à tous les patrimoines, à toutes les langues, à toutes les cultures. Le Canada est le modèle même d'un pluralisme dont nous avons tendance à nous enorgueillir devant le monde entier parce qu'il respecte le patrimoine et les idées de toutes les ethnies. Au moment même où s'élaborait cette politique, nous détachions de plus en plus des solides liens qui s'étaient forgés pendant la Deuxième Guerre mondiale entre nous et la Grande-Bretagne. Ces liens reposaient sur des efforts communs pendant deux guerres et encore plus sur les institutions et les valeurs parlementaires dont nous avions hérité.
Avec la venue du bilinguisme officiel et du multiculturalisme, on en arriva à un concept qui faisait du Canada une nation dotée de deux chartes ou de deux peuples fondateurs et à une notion du canadianisme élargie par le respect officiel et subventionné de tous les groupes ethniques et de leur langue, de leur religion et de leur culture. Si toutes les appartenances ethniques sont de valeur équivalente, quel qu'a pu être l'ethnisme canadien à l'origine -- ce que des milliers de soldats ressentaient et pensaient avoir compris -- cela été mis de côté. Je ne saurais trop insister là-dessus. Je n'ai jamais rencontré de Canadiens pendant la guerre, dans l'armée ou ailleurs, qui ne se reconnaissaient pas comme Canadiens et qui ne savaient pas qu'ils étaient différents et uniques. Il y avait quelque chose, une appartenance ethnique canadienne. Je pense que les Canadiens français avaient la leur, basée surtout au Québec. Cela a été perdu à cause de ce multiethnisme ou multiculturalisme. Ainsi, le dénominateur commun canadien, qui autrefois valorisait les traditions et les institutions britanniques dont nous avions hérité, devint multiple et prit les couleurs du monde entier.
Nous sommes un modèle, la conscience du monde pour ce qui est de respecter la Charte des droits et libertés des Nations Unies et la diversité mondiale. Un pays dont les habitants ont relevé le défi, se sont battus et sacrifiés lors de la grande guerre contre le fascisme ne semble plus pertinent. L'héroïsme sur le champ de bataille, le triomphe à travers les actions, grandes et petites, l'énorme production d'armement, d'outils et de produits alimentaires dans le cadre de l'effort de guerre ne mérite plus une commémoration permanente et éclatante.
Je pense que les grands personnages qui sont à l'origine de cette politique n'étaient pas tous dans l'armée. Celui que j'ai eu la chance de battre en 1957 à Ottawa, C.D. Howe, mérite d'être commémoré par les Canadiens pour ses réalisations puisque c'est lui qui a créé l'économie canadienne et le système de communication. Mais là encore, cela fait bien longtemps, c'est très loin, et on est en train d'oublier.
Le patriotisme de papa dont nous avons fait preuve en temps de guerre revient à porter aux nues des Canadiens qui, semble-t-il, ont tué ou blessé ceux qui sont aujourd'hui nos amis, parfois nos concitoyens. Dans l'intervalle, il y a un mythe qui n'a cessé de grandir, un mythe voulant que les Canadiens soient des gens ultra civilisés et pas belliqueux et que le Canada soit un pays intrinsèquement pacifique.
Aujourd'hui, beaucoup oublient l'énorme transformation qu'a connue le Québec à partir de la fin des années 50 et de la mort de Duplessis. L'enclave catholique la plus conservatrice du monde est rapidement devenue une des sociétés les plus laïques et les plus libérales. L'historique volonté des francophones québécois d'affirmer leurs particularités et de revendiquer autant d'autonomie que possible pour leur gouvernement provincial au sein de la fédération est devenue plus nationaliste et combative après la guerre, ils se sont montrés prêts à adopter le concept du droit des peuples à l'autodétermination tel qu'il est exprimé dans la Charte des Nations Unies. Ainsi la nation dont l'économie, les communications et le système social s'étaient largement forgés à l'occasion de deux guerres mondiales s'est transformée en sorte de laboratoire politique où la division est une possibilité permanente. Le Canada est devenu une nation en deux parties autant, voire plus, qu'une nation composée de 10 provinces et de territoires nordiques.
La réalité d'après-guerre se reflète dans nos premiers ministres. Pendant 39 des 52 ans qui se sont écoulés depuis la Deuxième Guerre mondiale, le premier ministre a été originaire du Québec. Nous en connaissons les raisons. On revient à ce par quoi j'ai commencé. Dans ce genre de situation, la partie de notre mémoire qui cristallise et idéalise le plus ce qui s'est passé pendant la guerre semble, pour beaucoup de gens, notamment dans les milieux politiques, être minimisée. Je suis d'avis que c'est l'une des raisons pour lesquelles il n'y a jamais eu un grand intérêt ni de solides appuis politiques à Ottawa -- y compris la sur colline du Parlement -- pour le Musée canadien de la guerre.
Le côté tragique de tout cela, c'est que je connais beaucoup de Canadiens français qui ont combattu pendant la guerre. J'aime beaucoup Gaby Chartrand. C'était le frère aîné de Michel. Un vrai héros. Il a été parachuté en France à plusieurs reprises. Il a travaillé. Il a échappé à la Gestapo. Il avait une bonne étoile. Ce fut l'un de nos grands agents en France. Quand il est revenu après la guerre, il a voulu faire quelque chose pour ses concitoyens anciens combattants. Il a appartenu pendant un certain temps à notre Royal Montreal Regiment, et, de sa propre initiative et grâce à des gens qu'il a su intéresser au projet, il a créé dans l'ouest de l'île de Montréal, deux grands complexes réservés uniquement aux anciens combattants. Il a été fortement appuyé à cet égard par un grand nombre de leaders des unités canadiennes françaises.
Je pense, par exemple, à un régiment dont je fus très proche à plusieurs reprises pendant la guerre, les Fusiliers de Mont-Royal et aux pertes qu'il a connues. Le régiment des Black Watch n'en a pas fait plus. Il s'agissait de nos concitoyens canadiens d'origine française.
Pourtant, pour une raison ou pour une autre, on ne rappelle pas le souvenir de ce régiment, car ça ne cadre pas.
En tant que simple volontaire qui a servi pendant plusieurs années parmi des centaines de milliers de Canadiens dans nos forces armées au cours de la Deuxième Guerre mondiale, je ne suis pas loin de me considérer comme l'archétype de l'ex-guerrier. J'étais tellement heureux d'en sortir, de m'occuper de ma vie, d'étudier, de me mettre à travailler, de fonder un ménage et de me créer des racines. Pas tant pour oublier le passé récent et mes années de service, mais pour occulter l'importance majeure de la guerre tout en me souvenant occasionnellement de la camaraderie que j'y avais connue et en participant aux réunions du régiment. La plupart des anciens combattants ont mené leur vie -- soldats à une époque, citoyens aujourd'hui.
Ce qui est le plus fantastique, c'est que parmi les anciens combattants de la Deuxième Guerre mondiale, il y en a vraiment très peu qui vivent de l'assistance publique. Je parcours le journal et je lis la rubrique nécrologique. Je vous défie de trouver, dans n'importe lequel des grands journaux, une rubrique nécrologique où n'apparaît pas une notice célébrant fièrement le souvenir de quelqu'un: «Commandant de l'aviation pendant la Deuxième Guerre mondiale», ou «membre du Génie militaire lors de la Deuxième Guerre mondiale», et ainsi de suite. Les forces armées étaient composées de citoyens et de volontaires. Près d'un million d'entre eux ont pris leur vie en main et sont passés à autre chose.
Je m'en veux, ainsi qu'à mes camarades, d'avoir été tellement occupés par ce que nous allions être et faire, en tant que personnes et individus dans nos communautés après la guerre, que nous avons quelque peu laissé de côté la commémoration de la raison pour laquelle nous nous étions retrouvés ensemble. Rien de ce que nous avons fait ensemble ne peut être comparé à ce qu'ont fait les 5 ou 6 millions de soldats qui ont combattu dans la Première Guerre mondiale ou les 11 ou 12 millions de la Deuxième Guerre mondiale. Et pourtant, voilà où nous en sommes.
Ces changements que je viens d'esquisser ont profondément modifié l'interprétation qui a été donnée du rôle du Canada dans la Deuxième Guerre mondiale par ceux qui se penchent sur le passé, notamment ceux qui appartiennent aux générations qui ont suivi et qui n'avaient pas vécu pendant la guerre. En grande partie, c'est dans les écoles que s'est produit ce dont je parle car il y avait une forte réticence à parler de la guerre et on préférait de loin insister sur le caractère pacifique du Canada.
Quand on pense que seuls 11 ou 12 millions de Canadiens étaient impliqués, le résultat a été fantastique. Ils méritent le musée le plus largement financé et le plus grandiose que nous pouvons nous permettre.
Je vois ce que la Smithsonian Institute a fait. Quand je voyage à travers le monde, je vois ce que les Américains ont fait au sud, à Arlington, et ce que les Anglais ont réalisé en plusieurs endroits. Et puis je vois les petits trucs minables que nous avons faits, nous, pour célébrer cet exploit colossal au cours des deux guerres mondiales. Je me dis: «Quel genre de mauviettes sommes-nous?» Je m'en veux de ne pas m'être manifesté assez souvent et de ne pas avoir fait de scènes.
Je suis venu à Ottawa comme député et j'ai défendu mes dossiers. Cela n'en faisait pas partie mais cela aurait dû. À 78 ans, il est trop tard. Je ne vous implore pas de reprendre le flambeau, mais la raison qui m'a amené ici aujourd'hui pour faire cet exposé, que vous ne prendrez pas, j'espère, pour une tirade, est symptomatique du genre de difficultés que l'on rencontre.
Je ne pense pas que la célébration et l'intérêt que j'aimerais voir se développer et se manifester à l'égard des Canadiens qui ont combattu seront aucunement servis par une exposition sur l'Holocauste.
Pour terminer, s'il doit y avoir une exposition sur l'Holocauste en partie financée par des crédits gouvernementaux et l'entreprise publique, il faudrait se demander si nous disposons du savoir spécialisé qu'un tel projet exige. Parmi les détenteurs de doctorats combien y en a-t-il qui connaissent ce domaine? Un bon historien canadien m'a dit qu'il y a plus de 20 personnes à la Smithsonian Institute qui possèdent des connaissances acquises lors d'études de troisième cycle sur le sujet de leur exposition.
Si l'on décide au gouvernement d'appuyer une exposition ou un musée consacrés à l'Holocauste, il faut faire les choses comme il faut. Je ne pense pas que le Musée canadien de la guerre soit le cadre approprié.
Le président: Je tiens à vous remercier, monsieur Fisher, de cet exposé à la fois intéressant et instructif. Ce qui m'a frappé notamment, c'est que vous ayez déclaré qu'Ottawa, et particulièrement les parlementaires, sont partiellement responsables de la négligence dont a souffert le Musée de la guerre. Je l'ai déclaré publiquement avant que vous interveniez. Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Ce que vous avez dit était tellement intéressant que je ne vous ai pas interrompu pour que nous puissions vous poser des questions. Nous allons passer au témoin suivant puisque la façon extrêmement intéressante dont vous avez présenté votre mémoire ne nous laisse pas le temps de vous interroger.
Le sénateur Cools: Monsieur le président, ce témoin s'est montré tellement perspicace, pourrait-on le réinviter? L'intérêt tout particulier de son témoignage est qu'il intègre tous les aspects de la question.
Monsieur Fisher, vous serait-il possible de revenir? Il y a beaucoup de questions que j'aimerais vous poser.
Le président: Cela vous sera-t-il possible avant que nous rédigions notre rapport définitif?
M. Fisher: J'en serais très heureux. J'aurais dû manifester plus de respect pour les groupes d'anciens combattants ici présents et intégrer une explication des rôles spécifiques qu'ils ont joués, qui ont été très importants et essentiels. Dans notre pays, les hommes politiques se sont en général bien occupé de nos anciens combattants, mais là n'est pas la question qui nous occupe. D'une certaine façon, cela revient presque à dire: «Traitez-les bien et ils vous laisseront tranquilles.»
Le président: Oui.
Le sénateur Prud'homme: Je présume que vous n'êtes pas d'accord avec M. Abella.
M. Fisher: M. Abella me dérange.
Le sénateur Cools: Pourrait-on avoir cinq minutes de plus? Nous n'avons pas entendu beaucoup de témoins avec lesquels nous pourrions discuter de l'antisémitisme de Mackenzie King.
Le président: Chère collègue, nous avons 13 témoins à entendre aujourd'hui, et j'aimerais respecter notre programme.
Les témoins suivants sont des représentants de la revue Esprit de Corps.
Vous avez la parole.
M. Scott Taylor, revue Esprit de Corps: Monsieur le président, je suis accompagné aujourd'hui de M. Les Peate et de M. Norman Shannon.
Merci de nous permettre de comparaître aujourd'hui. Étant donné que nous faisons partie de la presse, il serait probablement plus approprié que nous fassions un reportage sur ces délibérations. Toutefois, étant donné l'étroite perspective dans laquelle notre magazine situe ce sujet et le fait que, depuis plusieurs années, nous ayons entretenu de solides relations de travail avec les principaux acteurs au Musée des civilisations et au Musée de la guerre et que nous les connaissons bien, nous avons considéré qu'il était de notre devoir civique de comparaître pour vous transmettre nos réserves et nos commentaires sur le débat en cours.
Pour étayer notre exposé, nous vous remettons notre plus récent numéro, entièrement consacré au débat sur la salle d'exposition sur l'Holocauste et le Musée de la guerre.
Un grand nombre des questions discutées ici figurent dans ce numéro où elles sont traitées de façon beaucoup plus approfondie. Nous aimerions que vous considériez ce magazine comme une partie de la documentation transmise officiellement au comité.
Notre présentation se fera en trois parties. M. Norman Shannon parlera du site qui conviendrait le mieux à une exposition sur l'Holocauste ou le génocide, et M. Les Peate abordera la question de l'autonomie de la direction du Musée de la guerre par rapport à la Société du Musée canadien des civilisations et les préoccupations que cela soulève.
J'aimerais parler tout d'abord de l'inquiétude que nous inspire la désinformation officielle pratiquée, comme nous avons pu le constater, par la Société du Musée canadien des civilisations et le Musée de la guerre en ce qui a trait à toute cette question.
En guise d'introduction, permettez-moi de signaler qu'Esprit de Corps, en tant qu'organe de presse spécialisé dans la couverture des affaires militaires, a contribué à révéler plusieurs problèmes délicats qui sont apparus à la Défense nationale. Ces dernières années, on a pu constater une baisse graduelle du moral au sein de nos troupes du fait que les gradés étaient de plus en plus méprisés par les hommes du rang. Toutefois, rien de ce que j'ai connu jusqu'ici ne se compare à la situation actuelle au Musée de la guerre. Il ne m'a jamais été donné de voir une division ni une crainte de la justice vengeresse de l'employeur telle que celle que j'ai pu constater au cours des derniers mois dans le cadre de la couverture de l'expansion du musée et de l'ouverture d'une salle d'exposition sur l'Holocauste.
Un mot en faveur de ceux qui appartiennent à l'organisation et qui ont risqué un licenciement ou une révision judiciaire de leur contrat: notre magazine, avec un grand nombre d'autres parties intéressées, a été tenu informé des stratégies souvent mensongères auxquelles a recouru la Société du Musée canadien des civilisations lorsqu'elle s'est lancée dans ce débat.
Le comité sait déjà, je crois, que certaines preuves écrites indirectes contredisent parfois les déclarations des officiels du Musée des civilisations.
Esprit de Corps sait que dans un grand nombre de cas, les déclarations publiques formulées par les quelques personnes dûment autorisées à le faire étaient contraires à la vérité. Dans les publications que nous vous avons fournies en complément de cet exposé, vous trouverez une liste détaillée de dix cas de manipulation de la vérité sous le titre: «Désinformation, obscurcissement et fabrication».
En plus de ces exemples particuliers, qui ont tous été tirés de documents d'informations publics, je vous fournirai aujourd'hui trois autres exemplaires d'une correspondance interne qui démontre que l'on a bel et bien cherché à conspirer pour tromper.
La première lettre se trouve à l'annexe A. Elle est datée du 25 novembre et elle est signée par M. Elliott Oshry de Ketchum Inc., expert-conseil en organisation de campagne de souscription; elle est adressée à M. A.J. Freiman et porte sur la campagne relative à la salle sur l'Holocauste.
À ce moment-là, le débat public portant sur le projet d'expansion du Musée de la guerre prenait de l'ampleur. La lettre en question semble démontrer un effort concerté pour reprendre les choses en main au plan des relations publiques de la part du groupe qui s'était prononcé en faveur de l'exposition sur l'Holocauste. Plusieurs passages dans cette correspondance m'inquiètent notamment la fermeté de l'engagement confidentiel du gouvernement fédéral, à la fois financier et autre, à l'égard d'une exposition sur l'Holocauste, tout du moins à ce moment-là.
Par exemple, M. Oshry déclare:
[...] Il s'agit d'une opportunité fantastique; nous n'avons pas besoin de trouver de l'espace ni du personnel ni de mettre en place un programme; nous ne pouvons pas laisser cela nous filer entre les doigts.
Il ne précise pas qui offre cette opportunité de créer une exposition sur l'Holocauste.
Deuxième exemple où nous savons que les personnes qui ne sont mentionnées que par leur prénom sont Mike Wolfe, Murray Johnston et Ramsey Withers:
Mike peut bénéficier de l'aide de Murray et de Ramsey pour s'assurer de l'approbation enthousiaste de la Légion.
Bien que cette approbation n'ait jamais été donnée, il est troublant de constater que l'on a même, ne serait-ce qu'envisagé de s'ingérer dans une organisation privée. Il ne s'agit que de la partie visible de l'iceberg.
Le point le plus troublant concerne George MacDonald, dont on pensait qu'il:
[...] peut obtenir l'appui sans réserve du gouvernement.
On ne dit pas de qui il pouvait l'obtenir, mais certaines questions se posent: comment pouvait-on être au courant de cela, et quel appui M. MacDonald pensait-il pouvoir obtenir pour son organisation?
En ce qui a trait à la campagne de relations publiques, le groupe avait l'intention de:
Revoir le dossier du soutien afin qu'il comprenne [...] une réponse à la question d'un financement à 100 p. 100 par le gouvernement...
Jamais auparavant il n'a été question d'un financement à 100 p. 100 du gouvernement. Nous ne savons pas ce qu'il en est, mais on peut se poser la question suivante: Qui promettait un financement à 100 p. 100 de la part du gouvernement?
Le groupe souhaitait également inciter autant de membres du comité que possible à assister à la conférence qui s'est déroulée à Toronto en février. Vu que cette conférence était organisée grâce à des crédits publics par le Musée des civilisations, le groupe soutenait aussi manifestement sa cause avec des fonds publics.
La seconde note de service sur laquelle j'attirerais l'attention du comité date du 18 décembre 1997, elle vient du colonel Murray Johnston. Il est évident à la lecture de ce texte que M. Johnston tente d'élaborer une explication à usage interne pour palier aux contradictions à propos des chiffres publiés à l'époque concernant la collecte de fonds. Sa façon de procéder est plutôt préoccupante:
Je sais qu'il y a des différences: 2 millions de dollars en ce qui a trait à la campagne en faveur de l'exposition sur l'Holocauste et les 2 millions supplémentaires débloqués par la Société. Mais je ne pense pas que les anciens combattants en sont conscients -- ni qu'ils risquent de poser des questions.
Il serait peut-être plus facile d'expliquer que le projet a évolué et qu'une expansion adéquate du Musée canadien de la guerre coûtera 12 millions, la contribution des pouvoirs publics, fournis par la Société, étant de 7 millions de dollars et celle du secteur privé, fournie par la campagne Passer le flambeau, étant de 5 millions de dollars.
Cette apparente supercherie n'est pas aussi troublante que ce qui est devenu manifeste dans le document final que nous avons déposé. Cela remet même en question le chiffre de 12 millions, qui a été avancé et mentionné à plusieurs reprises par les porte-parole du Musée de la guerre et du Musée des civilisations. Pas plus tard qu'hier, ils ont déclaré dans la presse que le chiffre de 12 millions représentait un maximum.
Il ressort de documents de planification interne que nous avons obtenus et que nous vous avons procurés qu'en décembre 1997, le budget approuvé à ce moment-là atteignait déjà 13 800 000 $. Les responsables eux-mêmes notaient que cela ne comprenait pas les frais de déménagement, qui s'ajouteraient à ce total. Selon leurs propres documents, il y avait déjà 2 millions de différence en décembre 1997. Et pourtant ils continuent de déclarer publiquement que ce projet a été plafonné à 12 millions de dollars.
Manifestement, nous n'avons pas toutes les réponses. Nous ne possédons pas toutes les données dont nous aimerions disposer. Cela prendra du temps. De toute évidence, la situation témoigne d'un problème dû à la gestion et au contrôle exercés par le Musée des civilisations.
M. Les Peate, revue Esprit de Corps: J'aimerais attirer votre attention sur la magnifique photo, en couverture, du monument qui sera placé devant ce qui est censé être un musée de la guerre. Les militaires canadiens, à travers les années, à travers les siècles en fait, y sont représentés. Regardez. Vous constaterez qu'aucun d'entre eux ne porte une arme. Je présume que c'est une très bonne indication de l'état d'esprit qui règne au Musée canadien des civilisations, qui contrôle la destinée du Musée de la guerre. Quelqu'un a-t-il jamais vu un monument aux morts quelque part au Canada où le soldat ne portait pas d'arme? Pas moi.
Pour revenir à mon exposé, il devient de plus en plus évident que les malheurs du Musée de la guerre sont principalement attribuables au fait que celui-ci est sous la tutelle de la Société du Musée canadien des civilisations. J'ai eu connaissance depuis mardi de quelques anomalies. Nous avons reçu des chiffres intéressants qui montrent la générosité manifestée par le Musée des civilisations à l'égard du Musée de la guerre.
On constate que depuis 1991, le Musée canadien de la guerre a reçu un total de 24 millions et des poussières. Pendant la même période, les crédits accordés à la Société du Musée des civilisations y compris ceux destinés au Musée canadien de la guerre, se sont élevés à 337 millions de dollars et des poussières. On n'a pas besoin de s'y connaître beaucoup en mathématiques pour calculer le pourcentage que nous avons obtenu.
Je reconnais que je n'ai pas pris en compte le coût des services généraux du Musée canadien de la guerre qui ont été assurés au cours des trois dernières années par le MCC. Toutefois, jusqu'à ce moment-là, le Musée canadien de la guerre que je connais bien en tant qu'Ami et guide et à d'autres titres, fonctionnait très bien par lui-même. La raison pour laquelle on lui a imposé cette tutelle me dépasse. Je présume que cela répond dans certains cas à quelque sinistre dessein, mais je ne veux pas entrer là-dedans aujourd'hui.
En ce qui a trait au manque de fonds, on peut dire que nous sommes tous à court d'argent, et que par conséquent, nous n'en donnons pas beaucoup au Musée de la guerre. On ne pouvait pas se permettre d'acheter les médailles de McCrae quand elles ont été mises en vente dans un catalogue pour 30 000 $. Le Musée des civilisations peut se permettre d'acheter de magnifiques objets qui reflètent l'histoire canadienne comme un autocar pakistanais très riche en couleurs. Il peut se permettre d'exposer un vélotaxi siamois. Je crois savoir que ces objets ont effectivement été exposés.
L'année prochaine, il y aura une exposition sur l'Égypte qui coûtera 10 millions de dollars. Une partie sera récupérée grâce à d'autres sources de financement, mais on a déjà entendu la même chose à propos de plusieurs autres projets gouvernementaux. Je le croirais quand je le verrais. Alors qu'ils disposent de 10 millions de dollars pour exposer des choses aussi importantes pour l'histoire du Canada que des répliques d'objets de l'Égypte ancienne, le budget total pour le Musée canadien de la guerre est de 3 013 415 $. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'en dire plus. Ces chiffres sont sortis lundi.
Le sénateur Jessiman: Avez-vous dit 3 millions de dollars?
M. Peate: Oui, 3 013 415 $. Ce chiffre figure dans la brochure qui a été diffusée lundi. Cette information figure dans notre mémoire.
M. MacDonald, qui est responsable du Musée de la guerre, déclare qu'il ne veut pas d'une exposition sur l'Holocauste au Musée des civilisations, en dépit du fait que tout le monde s'accorde pour dire qu'il s'agit d'un problème social majeur, non strictement militaire. Il a avancé plusieurs raisons pour appuyer son point de vue. Je présume que le Musée des civilisations ne veut pas entacher son image d'institution naïvement optimiste. On veut en faire un Disneyland du Nord et n'exposer dans ce musée que des choses agréables à voir. Or, l'histoire n'a pas toujours eu que des bons côtés. Si c'était le cas, ce serait merveilleux, mais ce n'est pas comme ça. Ils ne veulent pas en montrer le côté sinistre.
Le Musée des civilisations dit qu'entre autres, il manque d'espace pour accueillir une exposition sur l'Holocauste. Je ne suis pas architecte, mais j'ai pu me rendre compte qu'il y avait de l'espace au musée. L'exposition égyptienne couvrira plus de 930 mètres carrés. Les estimations les plus élevées dont nous disposons jusqu'ici pour l'exposition sur l'Holocauste sont de 600 mètres carrés.
Ces dernières années, le personnel du Musée de la guerre est passé de 44 à 24. Quelques-unes des fonctions du Musée de la guerre ont été assumées par la SMCC. Des représentants des deux musées l'ont mentionné.
L'Australie, par comparaison au Canada, a une population de 18 millions d'habitants. Elle possède un Musée de la guerre beaucoup plus vaste que le nôtre, doté d'un personnel trois fois plus nombreux et disposant d'un budget dont le montant me fait frissonner quand je le compare au nôtre.
Par ailleurs, au chapitre des comparaisons, je propose que l'on commence par comparer l'intérieur luxueux du Musée des civilisations et celui du Musée de la guerre. Il y a beaucoup de progrès à faire.
Soit dit en passant, qu'on ne pense pas que je critique les gens qui travaillent avec Dan Glenney. Ils ont fait du mieux qu'ils pouvaient avec ce dont ils disposaient. Je n'ai rien contre la façon dont ils s'y prennent.
J'ai parlé du manque de présence militaire. Nous n'avons pas été surpris d'apprendre, juste après la sortie de ce numéro, que Barney Danson avait été nommé au conseil d'administration. Je crois aussi comprendre d'après un communiqué qu'il préside également le comité consultatif. Il s'agit d'un pas dans la bonne direction, mais c'est trop peu trop tard.
J'ai déjà parlé du comité consultatif et j'ai dit quelques mots sur sa neutralité. Je ne veux pas y revenir à moins que quelqu'un souhaite que je le fasse spécifiquement plus tard.
Nous avons reçu des informations mensongères. Nous avons demandé au personnel des relations publiques du Musée le nom des gens qui siègent à ce comité consultatif. La personne qui est censée être en charge de l'information publique n'était pas au courant que trois des membres du comité consultatif étaient ses supérieurs immédiats. Le président et vice-président du Musée des civilisations est l'un des administrateurs. Cela peut paraître surprenant, mais personne ne savait pas non plus si les gens en question étaient rémunérés ou non. Or, ils touchent ce qui est qualifié de «modique indemnité quotidienne». J'ignore la modicité de la somme en question, et comme les honorables sénateurs sont probablement très intéressés par la question des salaires, après avoir lu le journal d'aujourd'hui, je ne me hasarderai même pas à faire une conjecture. Toutefois, je serais disposé à faire leur travail pour la moitié de ce qu'ils touchent.
En ce qui a trait à l'enquête réalisée auprès des visiteurs, il ne nous a pas été possible d'obtenir copie du mystérieux sondage qui révèle que les deux tiers des visiteurs sont en faveur d'un Musée de l'Holocauste. Comme je l'ai dit auparavant, le questionnaire était orienté dans la mesure où il n'était question d'aucun autre aspect particulier de la guerre, mais simplement de l'Holocauste. Les gens au Musée de la guerre ont peur de parler. Nous avons demandé de pouvoir examiner les questionnaires. Nous ne les avons toujours pas obtenus.
Je pourrais parler de plusieurs autres contradictions, mais nous manquons de temps. J'aimerais conclure avec mon dernier paragraphe.
Le plus tôt les anciens combattants dont les rangs sont de plus en plus clairsemés et les nouvelles générations à qui nous disons «À vous de porter l'oriflamme» peuvent s'enorgueillir d'un vrai musée de la guerre, le mieux ce sera.
M. Norm Shannon, revue Esprit de Corps: La question qui est au coeur de ce débat n'est pas l'exposition sur l'Holocauste en tant que telle mais la nécessité de libérer le Musée de la guerre de la tutelle du Musée des civilisations.
J'aimerais consacrer quelques instants à explorer un sujet dont vous avez tous beaucoup entendu parler cette semaine, à savoir, l'Holocauste et sa signification par rapport à d'autres actes de génocide, notamment au cours de notre siècle.
Un monument commémorant les génocides s'impose bien plus qu'un mémorial à l'Holocauste. Bien que 6 millions de Juifs soient morts pendant la Deuxième Guerre mondiale, les génocides ont fait 138 millions de victimes, rien qu'au cours du siècle. Certains d'entre nous peuvent presque se souvenir du premier. L'Holocauste est un triste événement de l'histoire, mais les génocides sont aussi fréquents que les bulletins de nouvelles. Lorsque vous rentrerez chez vous ce soir, on vous donnera probablement les dernières informations sur ce qui se passe en Algérie où entre 40 000 et 80 000 personnes ont été tuées au cours des six dernières années.
Nous croyons savoir que les Nations Unies espèrent envoyer un représentant en Algérie pour discuter de la situation. Ce que je veux dire, c'est que même si 140 pays ont signé la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide, ce n'est rien de plus qu'un morceau de papier. Les Nations Unies n'ont ni la volonté ni les moyens de faire appliquer ces accords. Les Nations Unies dérivent depuis plus de 50 ans sans parvenir à s'attaquer à ce problème mondial.
Mon intention n'est pas de me montrer excessivement critique des Nations Unies; j'essaie simplement de vous donner une idée de l'ampleur du problème. Tout récemment, le Canada est parvenu à convaincre 123 pays de signer le Traité sur les mines terrestres. Il s'agissait d'un progrès notable. On est parvenu à faire une brèche dans le mur de la bureaucratie qui entoure les Nations Unies. On est également parvenu à faire entendre une nouvelle voix au sein des Nations Unies.
Le Canada pourrait exercer un fort leadership au XXIe siècle s'il lançait un programme sur l'Holocauste qui soit un programme éducatif véhiculant une information anti-Holocauste. Il existe déjà 123 pays qui sont prêts à y souscrire.
Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international serait l'insistance idéale pour lancer un projet de ce genre. Cela réglerait l'interminable débat qui continue de diviser les Canadiens. On supprimerait ainsi cette source de division et on placerait le Canada dans une excellente position pour mettre en marche un projet permettant d'exploiter un triste passé au bénéfice d'un meilleur futur.
M. Taylor: Nous en avons terminé de l'exposé que nous avions préparé. Nous nous ferons un plaisir de répondre à toutes les questions que vous pourriez vouloir nous poser maintenant.
Le sénateur Kelly: Premièrement, votre magazine s'appelle Esprit de Corps.
M. Taylor: C'est exact.
Le sénateur Kelly: Cela veut dire «team work», en anglais, n'est-ce pas?
M. Taylor: Spirit of the corps.
Le sénateur Kelly: Je voudrais m'assurer que j'ai bien compris votre message. Globalement, vous dites que la situation est catastrophique.
M. Taylor: Oui, au Musée de la guerre.
Le sénateur Kelly: C'est ce que j'avais compris. Vous dites qu'il y a toutes sortes de complots qui minent une initiative après l'autre.
Vous parlez aussi de la controverse actuelle. Étiez-vous ici pendant toute la semaine?
M. Taylor: Personnellement, non, malheureusement; mais MM. Peate et Shannon étaient là.
Le sénateur Kelly: Ce qu'il m'a été donné d'entendre et de constater cette semaine, c'est un concert de témoignages qui définissaient tous la situation telle qu'elle devrait être dans un monde parfait; dans un monde parfait; on aurait un Musée de la guerre modernisé, avec plus d'espace et plus de moyens pour accomplir ce qu'il voudrait faire. Tout le monde parmi nous convient que ce serait un monde idéal, un monde parfait bien, que l'on puisse rencontrer certaines difficultés pour atteindre ce but.
Le consensus semble être que l'Holocauste doit avoir un musée d'une sorte ou d'une autre, afin de perpétuer dans les mémoires les horreurs du génocide. Il s'agit de l'un des exemples les plus flagrants des sombres chapitres de l'histoire du monde. On semble aussi s'entendre pour dire que la meilleure façon de s'y prendre serait de créer une entité autonome. Là encore on parle d'un monde parfait. Ce n'est peut-être pas quelque chose qui est réalisable dans l'immédiat.
L'impression que j'ai eue était que l'on n'était pas nécessairement totalement contre l'idée que cela se fasse au sein du Musée de la guerre, mais que ce serait mieux si le projet était séparé pour mieux faire passer le message, parallèlement aux autres initiatives par le Musée de la guerre.
Je n'ai pas l'impression que cette controverse se poursuit à l'heure actuelle. Toutes les parties prenantes sont parvenues à plusieurs accords sur ce qui constituait des divergences de vues. Avez-vous des craintes à ce sujet?
M. Taylor: Je suis, moi aussi, encouragé par les derniers développements. Il semble y avoir eu un changement de volonté au niveau gouvernemental, en tout cas au niveau du Musée des civilisations. Le fait que nous soyons ici ne peut pas être ignoré. Les gens qui ont fait avancer le dossier au cours des quatre ou cinq mois ont semé la discorde dans leur propre organisation et au sein des associations d'anciens combattants. Toute cette affaire a volé en éclats. À un moment donné, les organismes juifs étaient dressés contre les anciens combattants. Aujourd'hui, tout le monde sait où se trouve le vrai problème, et tout le monde convient qu'il doit être réglé.
Nous avons été au coeur du problème, et nous sommes efforcés de nous y attaquer. Nous avons reçu des informations divergentes du même organisme. Cela me préoccupe. Jusqu'à ce que cela soit mis en contexte, c'est le symptôme d'un problème plus grave. Nous en avons déjà parlé.
Le problème, c'est la façon dont les bureaucrates ont géré le débat soulevé par l'exposition sur l'Holocauste. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le dossier a été mal géré. La collecte de fonds est au point mort. Dans certains cas, l'argent a dû être remboursé. Un vrai fiasco. On ne peut pas dire qu'il s'agit d'une réussite éclatante, sinon, nous ne serions pas ici aujourd'hui.
Les audiences du Sénat se sont avérées utiles, et le fait que le Musée des civilisations se soit quelque peu amendé est encourageant.
Le sénateur Kelly: Je suis heureux que vous ne rejetiez pas complètement le monde parfait que j'ai décrit.
M. Taylor: Un monde parfait serait idéal. Toutefois, nous ne pouvons pas ignorer ce qui s'est passé au cours des cinq derniers mois et la raison pour laquelle il y a des audiences aujourd'hui.
Le sénateur Kelly: Vous conviendrez avec moi qu'il y a deux manières de passer d'où nous en sommes actuellement à l'étape suivante. On peut dire que l'on a perdu confiance dans tout ce qui s'est passé auparavant. Le problème, c'est que cela nous oblige à revenir en arrière. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que les choses se sont améliorées, même au niveau des discussions qui se sont déroulées ici. Si l'on peut partir du point où nous en sommes -- et je pense que vous seriez d'accord -- ce serait mieux que de ruminer en se demandant pourquoi les choses étaient dans l'état où elles étaient il y a six mois, il y a un an ou il y a quatre ans.
M. Taylor: Je ne suis pas d'accord, compte tenu de l'état actuel du climat de travail au sein de cet organisme. Les gens ont constaté que leur direction était contestée et qu'elle avait dû lâcher du lest mais, dans l'intervalle, on les a dupés et il y a maintenant un manque de confiance. Il faut procéder à une sorte de désengagement du Musée des civilisations par rapport au Musée de la guerre et mettre en place une nouvelle équipe de gestionnaires, afin que le personnel puisse avoir une certaine confiance dans ceux qui le dirigent avant de passer à autre chose. Il est possible de s'attaquer au symptôme, mais nous devons également tenir compte du problème de fond.
Le sénateur Jessiman: Êtes-vous au courant de la déclaration qui a été lue hier aux fins du compte rendu? Je parle des quatre paragraphes prétendument publiés par la Société du Musée canadien des civilisations, le Congrès juif canadien, les Anciens combattants juifs du Canada et les B'nai Brith?
M. Taylor: Non, je ne suis pas au courant.
Le sénateur Jessiman: Voici ce qui est dit:
La Société du Musée canadien des civilisations, le Congrès juif canadien, les Anciens combattants juifs du Canada et le B'nai Brith Canada souhaitent faire une déclaration commune en réponse à la controverse générée par le projet d'expansion du Musée canadien de la guerre.
Ils déclarent en réalité -- je vais résumer pour gagner du temps -- être prêts à envisager quelque chose de nouveau, et c'est ce qui a donné l'impression au sénateur Kelly que le problème avait été réglé.
Comme on l'a fait remarquer hier, il y a une phrase où l'on dit «bien que nous». Cette déclaration laisse penser que les quatre parties qui sont mentionnées sont ce «nous».
[...] n'ayons pas abandonné notre proposition originale,
Nous avons interrogé trois des quatre parties mentionnées dans ce document -- car nous n'avons pas encore rencontré la Société du Musée canadien des civilisations -- et elles nous ont déclaré n'être aucunement impliquées dans la rédaction de cette déclaration. Cette déclaration a été rédigée par la Société du Musée canadien des civilisations. Le «nous» réfère strictement à la Société du Musée canadien des civilisations. Cet organisme n'a pas abandonné son projet original.
Voilà une mise en garde dont nous devons tous tenir compte; jusqu'à ce que nous les entendions demain et à moins qu'ils aient changé d'avis, on se retrouve à la case départ. Nous prenons tous pour acquis qu'ils ont changé d'avis, mais tel n'est pas le cas.
Êtes-vous au courant du fonctionnement du Conseil et de la nomination de M. Danson? Je fais allusion à un communiqué de presse dans lequel la ministre Sheila Copps annonce que le gouvernement a nommé l'ancien ministre de la Défense Barney Danson, qui est Juif, au Conseil du Musée des civilisations pour qu'il serve de médiateur. Un autre communiqué indique qu'il siège à une sorte de conseil consultatif.
S'il doit jouer le rôle de médiateur, entre qui est-il censé arbitrer -- les autres membres du Conseil, les autres membres de l'organe consultatif? Je ne comprends pas comment un membre de ce Conseil pourrait servir de médiateur.
En savez-vous plus que ce qui transparaît dans la presse?
M. Taylor: Les choses semblent évoluer pratiquement de jour en jour. Premièrement, il a été nommé au conseil d'administration, un prérequis pour qu'il devienne président du comité consultatif. M. Joe Geurts a déclaré que sa participation à ce comité consultatif s'expliquait par des statuts sur lesquels il n'avait aucun contrôle. Il a semblé embarrassé par le fait de siéger à un comité consultatif qui était censé lui donner des conseils, ce que nous avons également jugé irrecevable. Lui et George MacDonald ainsi que Claudette Roy, qui fut la présidente originale, siégeaient au Conseil d'administration. Trois des sept membres devaient se conseiller eux-mêmes. Pour remédier à cette situation, ils sont allés chercher M. Danson, d'abord pour le placer au Conseil d'administration, et ensuite pour qu'il préside le comité.
Le sénateur Jessiman: Pour qu'il préside le comité consultatif?
M. Taylor: Je pense que c'est là où on est actuellement.
Le sénateur Jessiman: Le Musée canadien des civilisations a un Conseil d'administration et il a donc aussi un conseil consultatif?
M. Taylor: Quand le débat a fait irruption sur la place publique, ils ont créé un comité consultatif pour tenter de calmer les choses.
Au départ, ce comité comptait quatre personnes qui siégeaient au Conseil ou qui faisaient partie de la direction. Les associations d'anciens combattants, une fois connue la composition de ce comité, se sont abstenues de participer.
Le sénateur Jessiman: Il y a maintenant un membre qui est un ancien combattant. Un sur quatre, n'est-ce pas?
M. Taylor: C'est un membre sur sept qui est ancien combattant. Deux sont d'anciens militaires, mais ce ne sont pas des anciens combattants.
Le sénateur Jessiman: On approfondira la question plus tard.
Le sénateur Prud'homme: Je lis votre magazine depuis toujours, mais je vais maintenant m'abonner.
Cela me rappelle le gosse qui se fait prendre la main dans le pot à galettes. Tous ces gens ont fait de leurs décisions des faits accomplis. «Nous annonçons notre décision; si elle ne vous plaît pas, dommage».
J'ai horreur des gens qui s'attaquent à ce comité en privé. Je voudrais qu'ils le fassent publiquement. Ils disent que ce comité ne comprend rien et que nous sommes complètement à côté de la plaque. J'y reviendrai demain.
Êtes-vous d'accord que si la Légion canadienne, les anciens combattants et les citoyens préoccupés par cette question n'avaient pas réagi, on se serait trouvé devant un fait accompli? Il aurait été extrêmement difficile, comme c'est presque déjà le cas actuellement, de s'y opposer ou de faire valoir notre point de vue?
M. Taylor: C'est exactement ce qui s'est passé. M. Les Peate porte deux casquettes: il fait partie des Amis du Musée de la guerre et il est également reporter pour notre magazine. Quand il s'est présenté pour discuter de la question avec des gens au Musée de la guerre, ils l'ont imploré de ne pas parler de l'exposition sur l'Holocauste sachant que cela allait leur claquer dans les doigts. Nous avons fait notre reportage, mais on l'a même appelé chez lui pendant cette période pour lui dire d'abandonner. Même quand l'histoire est sortie, ils sont revenus à la charge et ont prétendu que toutes les consultations voulues avaient été faites et que cela avait toujours été communiqué par circulaire, et cetera. Ce n'était pas le cas. Une fois qu'ils se sont rendu compte que cela allait faire encore plus de vagues, ils ont fait tout leur possible pour nous empêcher de publier notre histoire.
Le sénateur Prud'homme: Votre mémoire ferait partie du procès-verbal de nos délibérations. Cependant j'aimerais aussi que l'on ajoute la lettre qui n'a pas été lue. J'espère que les gens qui prendront connaissance de nos délibérations liront également la lettre. Cela ne fera qu'une page de plus au procès-verbal.
Le président: Je serais prêt à proposer que le mémoire et l'annexe soient déposés et gardés au dossier du sous-comité.
Le sénateur Cools: J'en fais la proposition.
Le président: La motion est-elle adoptée?
Des voix: Adoptée.
Le président: Monsieur Taylor, avez-vous lu le témoignage de M. Abella hier ou entendu sa déclaration aux informations de 18 h, hier soir, au réseau anglais de Radio-Canada? Il a souligné que s'ils n'obtenaient pas ce qu'ils voulaient, ils tenteraient de revenir au plan initial. Avez-vous entendu cela?
M. Taylor: Je crois que le mot «accord» a été prononcé. Personnellement, j'ai n'ai pas eu connaissance de la déclaration, mais M. Peate l'a entendue. Il pourrait peut-être répondre à la question.
M. Peate: Oui, j'ai écouté les nouvelles de 18 h. Il a effectivement parlé de revenir à l'accord initial. Je ne sais pas s'il a mal choisi ses mots ou si en fait un accord avait été conclu. Il ne m'appartient pas de décider. Je ne fais que répéter ce que j'ai entendu aux informations.
Le président: J'ai eu l'impression qu'il insistait là-dessus. C'est ce que la chaîne anglaise de Radio-Canada a choisi de diffuser. J'aimerais que tous les honorables sénateurs soient informés des déclarations du professeur Abella.
Le sénateur Cools: On pourrait peut-être faire en sorte qu'une transcription des déclarations de M. Abella à la presse nous soit communiquée. Je suis quelque peu ennuyée de constater que d'importantes informations, dont nous devrions avoir connaissance, sont communiquées par voie de presse. M. Abella a comparu hier devant nous et aurait pu nous faire part de cette information. On pourrait peut-être demander à notre personnel d'obtenir une transcription de ce qu'il a déclaré. Après en avoir pris connaissance on pourra alors voir s'il y a lieu de réinviter M. Abella à comparaître.
Le sénateur Prud'homme: Je serais ravi de le voir revenir.
Le sénateur Cools: J'ai aussi une question à propos de la déclaration que le sénateur Jessiman vous a lue, celle dont vous n'étiez pas au courant. Là encore, cela nous est parvenu par voie informelle et officieusement. Jusqu'ici, cela ne nous a pas été transmis par le Musée des civilisations lui-même, même si lorsque des représentants du Musée ont comparu devant nous, les questions qui leur ont été posées leur ont donné l'occasion de nous faire part de leurs idées ou de leurs initiatives en la matière.
Soyons parfaitement clairs. Je comprends que le sénateur Kelly s'inquiète parce que le Musée ne nous a pas encore formellement ou officiellement mis au courant de la déclaration que le sénateur Jessiman a lue aux fins du compte rendu. Je rappelle à tout le monde qu'elle ne nous a pas encore été officiellement transmise. Nous en sommes informés par la presse et nous avons dû discuter des reportages qui s'y rapportent, mais le Musée ne nous l'a pas encore transmise.
Hier, dans le cadre de leurs témoignages, les B'nai Brith et les Anciens combattants juifs du Canada et même le Congrès juif ont clairement dit qu'ils n'avaient pas non plus été convenablement consultés à cet égard. Nous attendons que l'on nous informe à propos de l'origine et du contenu de cette déclaration.
M. Taylor: Cela s'inscrit parfaitement dans le cadre des informations que nous avons obtenues, à savoir que c'est loin d'être fini. C'est la raison pour laquelle, bien que nous soyons encouragés, nous ne sommes pas convaincus.
Le président: Je vous remercie, messieurs. J'abonde dans le sens du sénateur Prud'homme en ce qui concerne la qualité de votre magazine.
Je demande aux témoins suivants de bien vouloir s'avancer.
M. John C. Thompson, directeur, The Mackenzie Institute: Merci de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui.
De façon générale, si moi, personnellement, et si l'Institut s'intéresse à cette affaire, c'est que, depuis longtemps, tout ce qui touche la violence organisée et l'instabilité politique retient notre attention. En outre, au fil des années, je me suis personnellement intéressé particulièrement aux massacres, notamment ceux qui ont été perpétrés au XXe siècle.
Je n'utiliserai pas le mot «génocide» dans ce débat, principalement parce qu'à mon avis, il est trop limité. Je préfère utiliser le mot «démocide» que le professeur A.J. Rummel, le plus grand érudit en la matière, emploie parce que le terme recouvre non seulement le fait de tuer des gens à cause de leur identité, mais également à cause de leurs croyances et pour toutes sortes d'autres raisons.
Je voudrais faire rapidement trois observations. Premièrement, ce qu'ont vécu tous les nouveaux Canadiens s'intègre en général à notre patrimoine. À l'heure où nous accueillons de nouveaux citoyens qui viennent de tous les pays et de toutes les sociétés de la terre, nous devons être beaucoup plus attentifs à certains des événements qui ont lieu à travers le monde.
Par ailleurs, notre siècle a été marqué par des atrocités et des massacres, ou encore de démocides, particulièrement nombreux. D'après les évaluations les plus modestes auxquelles j'ai pu arriver, ces événements ont fait environ 165 millions de victimes. On ne peut jamais dénombrer précisément les victimes dans ces cas-là. Souvent, nous sommes trop facilement prêts à refuser d'admettre que de tels massacres ont lieu au moment même où ils sont perpétrés.
Par exemple, au début des années 70, personne n'était prêt à admettre ce qui se passait au Cambodge ou au Vietnam. Il faut reconnaître davantage les choses telles qu'elles sont et essayer de comprendre mieux comment cela peut arriver.
Enfin, si nous décidons de commémorer un massacre, particulièrement l'Holocauste des Juifs d'Europe, il faut que nous commémorions aussi tous les autres événements du même type, car nous y sommes tout autant impliqués. Quelles que soient les raisons qu'ait le Canada pour commémorer l'Holocauste, ces raisons peuvent également être invoquées à propos de plusieurs autres événements.
Dans mon mémoire, je donne une courte liste des massacres où il y a eu plus d'un million de victimes, et je fais quelques observations sur les liens que peut avoir le Canada avec ces événements.
Dimanche dernier, j'assistais à une réunion de Canadiens d'origine asiatique -- des Coréens, des Chinois, des Malais et des Philippins -- qui discutaient de l'Holocauste japonais. Parmi les gens qui assistaient à cette conférence, il y avait deux vieux Philippins qui, en 1942, avaient participé à la Marche de la mort de Bataan. Leur expérience fait maintenant partie intégrante de notre patrimoine, car ces deux messieurs sont maintenant des citoyens canadiens. Cette expérience qui a forgé leur caractère s'est reflétée dans tout ce qu'ils ont fait depuis qu'ils sont arrivés dans notre pays, et c'est également quelque chose qu'ils ont transmis à leurs petits enfants. Ce qui les a forgés est devenu partie intégrante de notre patrimoine.
J'ai parlé également à d'autres personnes. Au Mackenzie Institute, nous faisons beaucoup de recherches fondamentales sur de nombreux sujets. J'aime également parler aux gens et je collectionne les histoires qu'ils ont à raconter. Nous avons parlé à d'anciens combattants polonais qui ont été sous les ordres de Staline, puis d'Hitler, et encore une fois de Staline. J'ai parlé à un chauffeur de taxi de Toronto qui avait été prisonnier du régime de Mengistu en Éthiopie, et qui était un des rares survivants des massacres perpétrés dans ses prisons.
J'ai une soeur qui consacre une bonne partie de son temps libre à tenir compagnie aux personnes âgées d'une maison de retraite locale. Parmi les gens dont elle s'occupe, il y a une Ukrainienne qui a de nombreux souvenirs personnels de ce qui s'est passé en Union soviétique, notamment à l'époque de l'occupation nazie. Ses enfants sont venus au Canada et leurs enfants connaissent bien les histoires que leur a racontées leur grand-mère.
Un jeune universitaire que j'ai rencontré il y a deux ans est né, comme moi, en août 1959; alors que je passais au Canada une paisible et ordinaire adolescence, il priait quotidiennement, dans le camp où il se trouvait, que les dirigeants Khmer Rouge ne découvrent pas qu'il était instruit, ce qui aurait signifié pour lui la mort, et il tentait de survivre alors que deux personnes sur sept ont été massacrées dans ce pays en quatre ans.
Toute personne qui vient au Canada a pour bagage l'expérience qu'elle a vécue et ce qu'elle transmet à ses enfants forge indirectement notre caractère à tous. Quand des gens ont vécu l'horreur d'un massacre, cela devient partie intégrante de notre patrimoine.
Le siècle qui s'achève a été marqué par les massacres. Il y en a eu beaucoup. Je suis toujours agacé et bouleversé que l'on restreigne cela uniquement à l'Holocauste des Juifs d'Europe. Les techniques de l'Holocauste ont été appliquées à l'époque à un grand nombre d'autres personnes. Rappelez-vous que lors de la Deuxième Guerre mondiale, en Europe, de 12 à 15 millions de soldats ont été tués; de 4 à 5 millions de civils sont morts, victimes du combat que se livraient les armées; et autant qu'on puisse l'évaluer, c'est 21 millions de personnes qui ont été victimes d'un démocide direct -- un massacre délibérément orchestré par les Nazis qui les ont laissé mourir de faim et de froid pendant cette guerre. Cela comprend cinq à six millions de Juifs européens, ainsi que des Polonais, des Ukrainiens, des Russes et des Biélorusses; des tziganes; des homosexuels; des handicapés mentaux et physiques; des membres du clergé; et des civils dans pratiquement tout pays occupé. Si nous voulons commémorer l'Holocauste, il faut également rappeler le souvenir de ces gens-là. Parmi eux, on ne compte pas seulement les victimes d'Hitler, il y a aussi ceux qui ont survécu au régime de Franco; et beaucoup, notamment en Europe de l'Est, ont subi deux fois les troupes de Staline, lorsqu'elles ont avancé et lorsqu'elles se sont repliées.
Rappelez-vous que tous les Russes qui ont été faits prisonniers par les Allemands ont non seulement dû endurer -- s'ils réussissaient à survivre -- des conditions de vie intolérables qui ont entraîné la mort de presque les deux tiers des prisonniers de guerre, mais une fois «libérés», ont été envoyés en Sibérie parce que l'on estimait qu'ils avaient été contaminés par la culture occidentale à laquelle les Allemands les avaient exposés; la plupart d'entre eux sont morts là-bas.
Les massacres du XXe siècle n'ont pas cessé une fois Hitler disparu; comme quelqu'un l'a mentionné ce matin, il y en a qui sont perpétrés à l'heure où nous parlons. Des démocides contemporains existent.
Un massacre est un massacre, et les résultats sont toujours les mêmes. Si vous tuez M. Dupont, l'épicier du coin, parce qu'il est Juif ou parce qu'il est riche ou parce que votre gouvernement a décidé de terroriser les gens afin de s'assurer de n'avoir aucun opposant, ou parce que quelqu'un a décidé de rameuter un certain nombre de personnes pour les faire travailler dans des conditions climatiques extrêmement dures, le résultat est toujours le même pour M. Dupont: il est mort. Au cours du siècle, on a tué des gens pour de très nombreuses raisons.
On fait bien de comprendre, dans toutes circonstances, comment on en arrive à tuer des gens de cette façon. Même dans le contexte de notre politique contemporaine, il est trop facile de cataloguer les gens et de les objectifier en les rangeant dans certaines catégories. Cela est toujours inquiétant car c'est un premier pas que nous faisons presque tous et qui, même s'il n'est pas important, peut mener, si d'autres conditions existent, à une situation traumatique.
Bref, je pense que nous devons commémorer l'Holocauste. Je ne pense pas qu'il faille le faire au Musée de la guerre. Parfois, des massacres sont perpétrés en temps de guerre et, parfois, il y a des guerres sans massacre. Souvent, il s'agit d'événements distincts.
Ainsi, 30 000 Canadiens ont été déportés pendant qu'Idi Amin était au pouvoir, avant qu'il ne massacre de 200 000 à 300 000 personnes. Ces gens-là ne faisaient pas la guerre à qui que ce soit. Idi Amin voulait simplement faire régner la terreur dans son propre pays.
Si nous décidons de commémorer ce genre d'actes, il faut les commémorer tous; particulièrement si nous le faisons à l'aide de fonds publics et dans des lieux publics. Je pense qu'effectivement une commémoration s'impose. Le Canada est peut-être le seul pays, mis à part les États-Unis, dont les citoyens sont originaires de tous les pays du monde. Nous sommes probablement le seul pays -- encore une fois, peut-être à l'exception des États-Unis -- qui puisse prétendre commémorer tous les massacres. Par ailleurs, étant donné que ces dernières années notre société est devenue de plus en plus cosmopolite, il est devenu important que nous rappelions le souvenir de tous ces événements.
J'ai indiqué que nous étions impliqués, d'une façon ou d'une autre, dans de nombreux massacres du XXe siècle. Rappelez-vous que nous nous sommes non seulement battus contre Hitler; mais également contre l'Empire japonais. Il y avait des troupes canadiennes dans le corps expéditionnaire qui a été envoyé en Russie en 1919; et nous avons lutté contre la Russie pendant la Guerre froide qui a durée pendant longtemps, alors que le démocide qui avait lieu dans ce pays s'est poursuivi jusqu'à la fin des années 80. Nous nous sommes battus contre la Corée du Nord. Indirectement, nous nous sommes battus contre Mao Tse-Toung parce que ce sont les troupes chinoises auxquelles nous faisions face en Corée. Pendant la Première Guerre mondiale, le Royal Newfoundland Regiment et d'autres Canadiens se sont battus contre la Turquie, un pays où ont également eu lieu des démocides puisque l'on y a massacré environ 4 500 000 personnes en 20 ans.
Cinquante mille Canadiens ont participé à la guerre du Vietnam en se portant volontaires dans l'armée américaine. C'est dire que plus de Canadiens ont participé à cette guerre qu'à la guerre de Corée et qu'à la guerre des Boers. On pourrait dire que, de façon très indirecte, cette guerre est dans un certain sens une guerre canadienne; et le régime du Nord Viêt-Nam pouvaient certainement être accusé de démocide.
Nous nous sommes également opposés à Saddam Hussein. Nous avons joué un très petit rôle dans la guerre de 1991, mais Saddam Hussein est un individu qui est, lui aussi, porté au démocide. Autant qu'on sache, 600 000 personnes auraient été assassinées sur son ordre.
Des Canadiens ont été parmi les victimes dans bien des cas. Quelques-uns sont morts dans les camps hitlériens; ils ont été plus nombreux à mourir dans les camps de Staline. Rappelez-vous, des politiciens canadiens bien intentionnés se sont rendus en Russie dans les années 30. Certains ont été arrêtés et ont connu les goulags.
On sait que 300 prisonniers de guerre canadiens ont été assassinés par les Nazis. À peu près autant sont morts aux mains des Japonais, soit qu'on les ait tués délibérément, soit qu'on les ait laissé mourir. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des centaines de Canadiens ont été faits prisonniers par les Soviétiques. Nous ne savons pas ce qui leur est arrivé. Les Américains ont perdu de la même manière toute trace d'environ 1 400 personnes. Ils ont découvert les tombes de soldats américains faits prisonniers par les Allemands. Certaines de ces tombes se trouvaient en Sibérie.
Sous Stalin, des centaines de soldats ont disparu pendant la Deuxième Guerre mondiale. Nous pensons qu'il y avait des Canadiens parmi ces victimes.
Nous avons également connaissance de plusieurs autres massacres. Je ne mentionnerai même pas certains événements dont les gens qui sont au service de l'aide internationale -- missionnaires et autres -- ont été témoins partout dans le monde.
Le sénateur Forest: Je vous remercie de cette intéressante et pénétrante présentation.
Pouvez-vous me donner quelques renseignements sur les travaux du Mackenzie Institute et sur le genre de recherche que vous effectuez?
M. Thompson: Nous sommes un peu éclectiques. Nous nous intéressons à tout ce qui touche à la violence organisée et à l'instabilité politique. Cela englobe les idéologues, les gens qui ont remplacé la pensée rationnelle par une idéologie politique, les groupes radicaux de droite et de gauche, et le crime organisé. Nous venons de publier un document important sur le marché noir de l'alcool; mais nous nous intéressons aussi beaucoup à d'autres sujets, et nous formulons des observations sur les conflits qui se déroulent à travers le monde, notamment sur les massacres. Un peu plus tard, aujourd'hui, je donnerai une conférence de presse sur la guerre chimique et la guerre bactériologique dans le contexte de la situation actuelle en Iraq.
Au Canada, nous faisons beaucoup de recherche fondamentale. Nous aimons interroger les gens et constater les choses par nous-mêmes. J'aime recueillir des anecdotes, notamment au sujet des conditions qui existent dans d'autres pays. J'ai fait des centaines d'entrevues et j'ai écouté les histoires qu'avaient à raconter des gens qui venaient d'arriver au Canada.
Le sénateur Forest: La plupart de vos recherches portent donc sur des sujets qui ont trait à la violence.
M. Thompson: À la violence et à l'instabilité, oui.
Le sénateur Chalifoux: La salle d'exposition sur l'Holocauste devrait-elle être située au Musée canadien de la guerre?
M. Thompson: Non. Ouvrir une salle d'exposition sur l'Holocauste au Musée de la guerre serait trop restrictif. Ce serait limiter la commémoration à l'Holocauste qui a eu lieu en Europe, uniquement; c'est une façon beaucoup trop étroite d'envisager les choses. Deuxièmement, ce genre de massacre a souvent lieu dans un contexte tout autre que celui de la guerre.
Je m'intéresse personnellement au passé militaire du Canada. Tous mes grands-oncles, un de mes grands-pères, tous mes oncles et tous les membres de ma famille ont porté l'uniforme à un moment ou à un autre. La plupart d'entre eux ont fait la guerre. Je m'intéresse donc de très près à la préservation de notre patrimoine militaire.
En vérité, notre patrimoine militaire est lié seulement de façon indirecte à l'Holocauste qui a eu lieu en Europe. Quelques Canadiens ont connu les camps hitlériens, notamment les aviateurs qui ont témoigné par la suite. Environ 300 prisonniers de guerre canadiens ont été assassinés par les Nazis. Il faudrait le commémorer. On devrait le faire dans notre Musée de la guerre. Cela appartient à notre passé militaire. C'est la même chose en ce qui concerne les prisonniers de guerre tués pendant leur captivité dans les camps japonais; mais même si l'Holocauste, en tant que tel, fait partie du patrimoine canadien, ce serait donner à l'événement une portée trop étroite que de le commémorer au Musée de la guerre. Bien sûr, pour être parfaitement juste, il faudrait aussi commémorer les autres massacres.
Rappelez-vous ce qu'a fait Hitler. Il n'arrive qu'en troisième place parmi ceux qui ont perpétré les grands massacres du XXe siècle. Les Soviétiques ont tué à peu près trois fois plus, et la Chine communiste a massacré 35 millions de personnes.
Le sénateur Prud'homme: Et les Arméniens?
M. Thompson: Les Turcs ont massacré 1 500 000 d'Arméniens au cours de la Première Guerre mondiale. Il y en a eu à peu près autant de massacrés immédiatement après quand les Turcs ont envahit l'Arménie lors de la brève indépendance de ce pays. Le «démocide» perpétré par les Turcs arrive en septième ou en huitième place sur la liste. Il y en a beaucoup d'autres qui se placent avant.
Le sénateur Prud'homme: La liste est longue.
M. Thompson: Dans mon mémoire, je n'ai cité que les massacres qui ont fait plus d'un million de victimes. Si j'avais retenu ceux qui ont fait plus de 100 000 victimes, il y en aurait environ 35 ou 40. Et l'on pourrait continuer d'allonger la liste. Le siècle qui s'achève en est plein.
Le sénateur Jessiman: Connaissez-vous la structure à laquelle appartient le Musée canadien des civilisations? Je crois comprendre qu'elle est définie dans la Loi sur les musées nationaux et que cette institution a été créée en vertu de cette loi. Êtes-vous au courant de cela?
M. Thompson: Je ne connais le Musée des civilisations qu'à titre de visiteur. Contrairement au Musée de la guerre, c'est un musée que je n'apprécie guère.
Le sénateur Jessiman: Il faut que je m'informe sur la structure de cette institution. Il y a des choses que j'aimerais préciser.
Le président: Merci de votre présentation, monsieur Thompson.
Le général Roméo Dallaire devait comparaître demain matin et faire un exposé sur le génocide. Malheureusement, il y a eu un contretemps; j'aimerais toutefois que le mémoire du général Dallaire soit gardé au dossier pour référence. Êtes-vous d'accord?
Des voix: Oui.
Le président: Le témoin suivant est M. Doug Donnolly.
Vous avez la parole.
M. Doug Donnolly: Monsieur le président et honorable sénateurs, je m'appelle Doug Donnolly. Mon exposé porte sur le projet d'ouverture d'une salle d'exposition sur l'Holocauste au Musée de la guerre. Comme références, je peux citer les 30 ans que j'ai passés dans l'armée canadienne. Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, j'ai été soldat dans l'infanterie pendant la campagne d'Italie, puis artilleur en Italie et ensuite en Europe du Nord-Ouest. J'ai pris ma retraite en 1972 avec le grade de major. Il est préférable de passer sous silence ce qui s'est passé entre-temps.
Je me permets d'inclure dans mes références le programme d'études de trois ans sur l'Holocauste que je suis actuellement, à titre d'étudiant du troisième âge dûment inscrit à l'Université de Toronto: il s'agit d'un programme préparant à un diplôme.
Je pense pouvoir me faire le porte-parole du point de vue des anciens combattants sur cette question. Nous formons un groupe dont la raison d'être n'est pas compliquée: il s'agit de tenir fidèlement notre promesse d'entretenir le souvenir des Canadiens morts à la guerre, chaque année -- le 11 novembre -- et en d'autres occasions le cas échéant. Nos monuments, nos associations et nos institutions revêtent pour nous un sens profond. Nous avons tendance à les défendre avec la même ténacité que celle dont nous avons fait preuve pendant la guerre.
L'Holocauste est une question infiniment plus compliquée. Je l'ai étudiée en me plaçant dans la perspective de ceux pour qui le massacre des Juifs était «la solution finale de la question juive en Europe». J'ai également étudié l'Holocauste en me plaçant dans la perspective des victimes et de ceux qui en ont été témoins; sur place dans le monde entier. Même si je sais de façon générale ce qui est arrivé et comment s'est déclenché ce processus d'aliénation, je reste pénétré du sentiment qu'un tel événement ne peut être compris véritablement si on ne l'a pas vécu soi-même.
Nous devons nous montrer reconnaissants vis-à-vis les historiens et les étudiants qui continuent de faire des recherches sur l'Holocauste. Nombre d'entre eux ont consacré leur vie professionnelle à une commémoration personnelle de ce processus d'élimination spirituelle et intellectuelle. Je n'évoquerai dans mes remarques que des faits bien documentés et historiquement exacts.
Le génocide des Juifs a été l'oeuvre d'Heinrich Himmler et de sa police d'État, la Gestapo, les SS, SA, et cetera. Ce n'était pas des soldats mais des voyous en uniforme -- imbus de la doctrine nazie -- qui appliquaient la politique d'anéantissement total de Hitler. L'Holocauste -- son origine et la façon dont il a été perpétré -- a été un phénomène social et politique, et non une action à caractère militaire.
Les soldats canadiens n'ont pas pris part à la libération des camps de concentration ou des camps de la mort. Jusqu'au dernier jour de la Deuxième Guerre mondiale, les soldats canadiens ne savaient pas qu'il existait de tels endroits en Europe, et encore moins ce qui se passait derrière ces fils de fer barbelés. Nous savions que le régime nazi était malfaisant, mais nous ignorions le caractère démoniaque de ses agissements. Ni en tant qu'ancien combattant, ni dans le cours que je suis sur l'Holocauste, je n'ai entendu dire qu'un ordre avait été donné à l'armée canadienne de libérer un camp où se trouvaient des prisonniers juifs. Il y a une bonne raison pour cela: nos troupes n'ont jamais été déployées près de ces camps.
Penchons-nous un instant sur les circonstances dans lesquelles sont morts d'une part, les Juifs et d'autre part, les soldats canadiens, et sur l'impact de ces morts sur la société d'aujourd'hui.
Les Juifs qui sont morts dans les ghettos, les camps de la mort et aux mains des escadrons de la mort appelés «Einsatzgruppen» étaient des hommes, des femmes et des enfants sans arme et sans défense qui ont été assujettis à un processus organisé dont l'objet était un massacre à grande échelle. Même si le désordre de la guerre l'a facilité, l'Holocauste ne faisait pas partie de la guerre qui opposait les puissances de l'Axe et les Alliées. J'aimerais m'arrêter là-dessus un instant. Il n'y a pas eu de déclaration de guerre officielle, cela s'est résumé à une décision unilatérale qui s'est traduite par le massacre totalement gratuit de certaines personnes pour la seule et unique raison qu'il s'agissait de Juifs.
Le sénateur Cools a démontré l'autre jour qu'elle comprenait parfaitement ce point lorsque des témoins ont souligné la partialité de cet événement en disant qu'il s'agissait d'une guerre menée par les Allemands, mais pas d'une guerre menée par les Juifs.
Les auteurs de ces actes ne méritent pas de faire partie du genre humain; et encore moins d'être reconnus comme des soldats. À leurs yeux, leurs victimes n'étaient pas des êtres humains. Pour eux, les Juifs c'était des biens à confisquer, leurs dents en or, par exemple, et leur mort, infligée de la manière la plus cruelle et la plus dégradante, n'avait d'importance que parce qu'elle contribuait à la solution finale.
Les Canadiens qui sont morts à la guerre étaient des volontaires entraînés à se battre, qui sont morts dans un combat ou tous les coups étaient permis, face à un ennemi coriace et dans des circonstances où les règles de la guerre étaient généralement observées par les deux adversaires. Sans vouloir accorder à la Wehrmacht des vertus indues, je pense que ses soldats avaient des principes beaucoup plus nobles qu'Himmler et son gang de criminels.
Même si nous reconnaissons à toute vie la même valeur, que l'on y ait mis fin dans une chambre à gaz à Treblinka ou qu'elle ait été sacrifiée au cours d'une attaque à Ortona, les circonstances sont différentes et nous devrions le reconnaître dans la façon dont nous commémorons le sacrifice de ces vies. Avoir perdu tous ces jeunes hommes pendant la guerre est tragique de bien des façons, mais nous trouvons cela plus tolérable car nous avons l'impression que ce sacrifice n'était pas vain. C'est cette conviction qui fait que notre deuil s'accompagne d'une grande fierté et d'un sentiment de gratitude.
En revanche, l'horreur proprement apocalyptique de l'Holocauste échappe totalement à la compréhension de quiconque n'a pas été directement touché par cet événement. Nous trouvons tout aussi incompréhensible le fait que les Juifs, notamment ceux qui ont survécu à l'Holocauste, puissent faire face à une telle horreur; qu'ils l'aient vécue ou qu'ils en aient entendu parler. Je ne serais pas assez présomptueux pour essayer de comprendre ou d'interpréter une chose aussi sacrée et aussi privée.
Il y a une distinction à faire: le souvenir qui nous lie encore aujourd'hui à ce qui s'est passé à Treblinka et à Ortona forment deux fils parallèles qui, étant donné leur connotation culturelle ou religieuse, ne peuvent jamais s'entremêler. Toute initiative qui irait en ce sens -- et je parle d'ouvrir une salle d'exposition sur l'Holocauste au Musée de la guerre -- serait considérée par l'un des groupes concernés comme une démarche importune et par l'autre, comme une vulgaire banalisation -- ce qui ferait naître un sentiment mutuel de ressentiment. Malheureusement, d'après ce que j'ai pu lire dans la presse, je vois que ce ressentiment a déjà été exprimé de part et d'autre par les principaux intéressés alors que certains politiciens et bureaucrates qui sont responsables de cette situation se disculpent, persuadés qu'ils sont d'avoir agi correctement. C'est la raison pour laquelle je demande à votre gouvernement de revenir en arrière et de reprendre tout le projet à zéro.
D'après l'édition du 8 novembre du Toronto Star, M. George MacDonald, président de la Société du Musée canadien des civilisations a annoncé trois nouvelles importantes. Premièrement, que l'expansion du Musée de la guerre est l'un des projets prioritaires de la société mère pour marquer le nouveau millénaire; deuxièmement, que 12 millions de dollars avaient été réservés à cette fin; et que troisièmement, la salle d'exposition sur l'Holocauste occupera moins de 7 p. 100 de l'espace dans le Musée située sur la promenade Sussex.
Je parlerai plus tard des deux premiers points. Pour ce qui est du troisième, c'est-à-dire que la salle d'exposition sur l'Holocauste occupera moins de 7 p. 100 de l'espace du Musée, la façon condescendante dont M. MacDonald envisage la chose ne réconfortera guère les anciens combattants. Ce n'est pas que 7 p. 100 qui devrait être réservé à cette exposition, mais zéro pour cent. Je m'expliquerai plus tard.
Les Juifs auraient tout à fait raison de dire, dans le meilleur des cas, qu'il s'agit de propos malheureux et, dans le pire des cas, que cette remarque est odieuse. En outre, une telle observation peut seulement creuser le fossé entre les parties concernées, et ne fait certainement rien pour établir des relations harmonieuses entre les Juifs et les anciens combattants, des relations qui ont été compromises par une tierce partie qui s'est montrée remarquablement peu sensible à la délicatesse du sujet.
Le 30 novembre, le même quotidien a publié un éditorial qui se lisait comme une lettre d'excuses parce que l'initiative du Canada concernant le Musée de la guerre apparaissait comme un projet de seconde zone. Dans l'article, on disait que le Musée américain à la mémoire de l'Holocauste aménagé à Washington était un endroit extrêmement émouvant qui attirait de nombreux visiteurs mais que cela avait exigé un investissement de 200 millions de dollars US ainsi que 16 ans de planification, de campagnes de financement de travaux de construction. Par comparaison, on citait dans l'éditorial les 12 millions de dollars qu'allaient coûter, au total, les travaux de rénovation du Musée et la création d'une salle d'exposition sur l'Holocauste et le fait que le projet canadien devait être terminé d'ici le début du siècle.
En appuyant ce projet, le Toronto Star nous dit de ne pas nous attendre à grand chose. Tant que les délais et le budget sont respectés, nous devrions nous montrer satisfaits. Je ne suis pas de cet avis.
Aucune instance politique ou bureaucratique ne devrait pouvoir décider arbitrairement par quel moyen et par quelle méthode les Juifs doivent pleurer leurs morts, ni comment, en général, les Canadiens doivent se rappeler les sacrifices consentis par ceux qui sont tombés au champ d'honneur.
J'ai envoyé une lettre à chaque député. En tout, j'ai expédié 258 lettres. Je n'ai toutefois pas reçu de réponse de la ministre du Patrimoine canadien. Dans ma lettre, j'affirmais que le Canada avait gagné la place d'honneur qu'il occupe parmi les nations au prix des épreuves subies par nos guerriers au plateau de Vimy, et que cette place avait été assurée par les nombreuses batailles livrées à Hong Kong, en Italie, dans le Nord-Ouest de l'Europe, en Corée, dans l'Atlantique et dans le ciel au-dessus de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne et de l'Europe occupée. Les 100 000 soldats et plus qui y ont laissé leur vie et tous ceux, bien plus nombreux encore, qui y ont été blessés méritent que l'on se souvienne de leur sacrifice d'une façon toute spéciale et dans un endroit qui leur est spécialement réservé. Cet endroit doit être uniquement consacré à leur mémoire et rester à jamais un symbole pour nous rappeler, comme on le dit dans le poème de John McCrae, que nous devons «garder au fond de l'âme le goût de vivre en liberté». Il ne faut rien de plus; mais rien de moins ne suffira.
Le même principe s'applique à un monument commémoratif de l'Holocauste. L'Holocauste occupe une place unique dans l'histoire juive, une place qui transcende le génocide qui a eu lieu entre 1933 et 1945. L'Holocauste ne se réduit pas à l'anéantissement, aux mains des Nazis, de 6 millions de Juifs, les deux tiers des Juifs qui vivaient en Europe, les deux cinquièmes de la population juive à travers le monde. L'Holocauste est le symbole de la persécution subie par ce peuple depuis le début du quatrième siècle lorsque l'Empereur Constantin a fait de l'antisémitisme une politique d'État.
Les victimes de l'Holocauste, tout comme les Canadiens qui sont tombés au champ d'honneur, méritent d'être rappelés à notre souvenir de la façon la plus respectueuse et la plus évidente qui témoigne, de notre part, des plus grands égards et, puisqu'il n'existe aucun lien approprié pour dresser en un seul et même lieu deux monuments commémoratifs, il faut le faire séparément.
Je reçois encore des réponses à ma lettre. Dans la grande majorité des cas, les députés, à quelque parti qu'ils appartiennent, appuient ma position. Cette réaction m'encourage. Un monument national commémorant l'Holocauste ne devrait pas, ne doit pas, faire partie de quoi que ce soit d'autre. Comme je l'ai dit plus tôt, un tel monument doit être unique, comme l'événement qu'il commémore. Le placer dans le coin d'un bâtiment pour répondre à des prescriptions mal à propos que les responsables ont définies eux-mêmes serait profaner et non vénérer la mémoire des 6 millions de Juifs qui ont été massacrés.
Je suis sûr que, devant une commémoration de ce genre, ce qui resterait surtout dans l'esprit de tout observateur bien informé c'est la conviction que le Canada a de l'Holocauste une vision étroite et creuse, qui ne tient aucun compte de l'envergure et de la signification de cet événement dans l'histoire des Juifs et, de fait, dans l'histoire du monde.
Pour un pays qui n'a que 130 ans, entrer dans un siècle nouveau est sans doute un événement merveilleux; personne ne le conteste. Toutefois, étant donné la longue histoire de leur peuple, je présume que la fin d'un autre siècle sera considérée par les Juifs avec un peu plus de réalisme et de maturité. Je veux dire, qu'est-ce qui nous presse? Nous avons pratiquement tout le temps pour planifier, financer et construire au Canada un monument séparé commémorant l'Holocauste. En consultant des organismes juifs comme Yad Vashem, l'Institut israélien qui se consacre à des recherches sur l'Holocauste et à la commémoration de cet événement, ainsi que des personnalités des milieux universitaires et religieux et d'autres chefs de file de la communauté -- dont le plus grand, Dean Marrus, comparaîtra cet après-midi devant le comité -- nous pouvons recueillir des informations précieuses et éviter de toucher sans le vouloir des sujets que la plupart d'entre nous ne peuvent pas comprendre.
Dans ce contexte, je suggère la solution suivante pour remplacer le projet actuellement envisagé. Si je simplifie trop, excusez-moi, mais j'ai dit au début de mon exposé que nous, les anciens combattants, étions des gens peu compliqués.
Le sénateur Forest: Et tenaces.
M. Donnolly: Imposer un moratoire sur tous les plans qui sont faits actuellement pour installer une salle d'exposition sur l'Holocauste dans le Musée de la guerre. Entreprendre, à titre de projet du millénaire, la rénovation du Musée de la guerre pourrait rendre hommage aux activités de maintien de la paix dont le Canada a été l'instigateur et qui sont essentiellement de caractère militaire. Annoncer que le gouvernement s'engage à construire un bâtiment commémorant l'Holocauste lorsque les fonds seront disponibles et expliquer la méthode de financement que l'on se propose d'adopter -- et qui serait la suivante.
On utiliserait les 12 millions de dollars moins la somme réservée à la salle d'exposition sur l'Holocauste pour financer les rénovations dont je viens de parler. On créerait un fonds canadien du mémorial de l'Holocauste où serait déposé, à titre de mise de fonds initiale, la somme réservée au départ à la salle d'exposition sur l'Holocauste. On accumulerait dans ce fonds les sommes recueillies auprès de sources publiques et privées, et auprès d'entreprises. Cet argent serait investi prudemment, sous contrôle approprié jusqu'à ce que le pays soit prêt à lancer un projet dont le financement serait assuré et qui s'appuierait sur une documentation historique. Si cela prend quelques années, même une décennie, pour bâtir et aménager ce monument commémoratif et si les résultats rendent justice à l'objectif que l'on s'est fixé, cela aura valu la peine d'attendre.
Permettez-moi une dernière exhortation: si l'on décide de faire quelque chose, faisons ce qu'il faut; comme il faut. Avant toute chose, ne vous lancez pas dans une course contre la montre avec un projet devant être terminé le 31 décembre 1999.
Le sénateur Chalifoux: Je trouve votre recommandation concernant la création d'un fonds canadien du mémorial de l'Holocauste intéressante. J'aimerais savoir quelle est votre opinion à propos des anciens combattants autochtones. Ils n'ont pas été reconnus d'une façon particulière. Il n'y a absolument aucun fonds de disponible pour la Canadian Aboriginal Veterans Association, ni pour reconnaître la contribution de milliers d'anciens combattants d'origine autochtone.
Au cours de ces audiences, personne n'a mentionné la contribution des Inuits à l'effort de guerre à l'époque où le réseau DEW a été implanté dans le nord du Canada afin de protéger notre pays contre une invasion éventuelle des Russes. Pourquoi devrions-nous créer un fonds canadien du mémorial de l'Holocauste -- même si, je le sais, c'est tout aussi important -- alors que nous permettons au gouvernement d'ignorer les anciens combattants d'origine autochtone?
M. Donnolly: Je suggère cela pour remplacer ce qui a été proposé à l'origine, c'est-à-dire inclure dans les travaux de rénovation l'installation d'une salle d'exposition sur l'Holocauste dont le coût serait compris dans la somme de 12 millions de dollars. Étant donné que je suggère de séparer les deux projets, la seule solution est de répartir les crédits. Il faut deux sources distinctes de financement. Je suggère simplement que ce fonds soit alimenté par des sources publiques et privées, ainsi que par des entreprises.
Je suis désolé de ne pouvoir vous dire quoi que ce soit à propos de l'autre question que vous avez soulevée, parce que je ne sais absolument rien du problème que vous évoquez.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Ce mémoire est vraiment clair. On sait ce que vous proposez. C'est un des mémoires que j'aime lire. J'ai aimé les autres, mais vous arrivez à des positions claires et constructives.
[Traduction]
Lorsqu'on parle de pourcentage, on est parfois distrait par une discussion secondaire. Vous avez tout à fait raison, c'est une question de principe. Êtes-vous, ou non, en faveur d'une exposition séparée?
Je me souviens qu'un jour un ministre a commis l'erreur d'acheter des parts dans une société gazière. Pour sa défense, il argua qu'il n'avait acheté que 500 parts alors qu'il y en avait des millions. Or ce n'était pas le nombre de parts, ni le pourcentage, qui posait un problème: il s'agissait simplement de savoir s'il aurait dû ou non agir ainsi. En ce qui me concerne, la question qui nous occupe est une question de principe. Devrions-nous mêler les deux commémorations ou non? Bien entendu, je suis plutôt d'avis que nous ne devrions pas le faire. Je ne comprends pas pourquoi vous n'avez pas écrit aux députés du Bloc québécois. Je ne suis pas membre de ce parti, mais je suis canadien français.
M. Donnolly: J'y ai pensé. La raison pour laquelle je ne l'ai pas fait, c'est que les membres de ce parti n'ont pas jusqu'ici fait preuve d'un intérêt très vif envers la préservation des institutions canadiennes. De fait, ils ne se sont pas montrés intéressés à préserver le Canada.
Le sénateur Prud'homme: C'est en passant que je mentionne cela. Dans votre exposé, vous avez dit «à part quelques-uns». Toutefois, dans votre mémoire, vous écrivez «à part le Bloc québécois». Ce n'est pas un point d'importance majeure, mais j'aimerais savoir quelle votre position.
Vous suggérez d'utiliser les 12 millions moins la somme que l'on entendant réserver à la salle d'exposition sur l'Holocauste. Pourquoi ne pas utiliser la totalité des 12 millions? Le Musée de la guerre a besoin de cet argent. S'il doit ajouter des salles d'exposition suite à l'engagement que nous avons pris vis-à-vis les Nations Unies ou en l'honneur des Inuits, des Métis et des Premières nations, une somme de 12 millions ne serait pas exorbitante.
Quoi qu'il en soit, si les jeunes pouvaient regarder un vidéo dans un amphithéâtre, cela serait beaucoup plus instructif pour eux que de se promener, de voir des objets et d'écouter les explications qu'on leur donne.
Les Canadiens d'origine juive ne souhaiteraient pas que l'on rabaisse de quelque façon que ce soit l'importance de Holocauste. Si l'on ouvrait une salle d'exposition sur l'Holocauste au Musée de la guerre, c'est autant le Musée que le mémorial que l'on aura voulu créer qui en pâtirait. Nous savons qu'en séparant l'exposition sur l'Holocauste du Musée de la guerre, nous garantirons à l'un comme à l'autre une plus grande attention de la part du public. Un musée distinct consacré à l'Holocauste pourrait également abriter des expositions concernant d'autres génocides.
Même si vous vous déclarez contre l'ouverture d'une salle d'exposition sur l'Holocauste, je suis heureux de constater que vous offrez de bonnes solutions de remplacement.
Le président: Si vous permettez, nous avons déjà entendu dire ce matin que dans une note de service, les coûts de rénovation étaient évalués à 13,8 millions de dollars. Cela ne comprend pas les frais de déménagement. Je ne sais pas si le chiffre que citent les responsables comprend la couverture de l'esplanade, comme vous le voyez sur cette image.
C'est la raison pour laquelle j'ai quelques réserves à propos de votre idée de soustraire des 12 millions de dollars la somme réservée à l'installation de la salle d'exposition sur l'Holocauste. Lorsque les responsables de la Société du Musée canadien des civilisations et du Musée canadien de la guerre ont comparu devant nous lundi, il a été très difficile d'obtenir d'eux des chiffres précis à propos de quoi que ce soit. Rien n'est fermement planifié, ni définitif. Pour cette raison, j'appuie ce que vous dites dans votre mémoire sauf ce qui concerne la déduction de la somme allouée à la salle d'exposition sur l'Holocauste. Nous avons besoin de tout l'argent que nous pouvons trouver pour le Musée de la guerre.
M. Donnolly: J'ai inclus cela en partie pour faire un compromis. Nous savons tous que le coût de tous les travaux de construction que nous entreprenons dépasse généralement la somme prévue au budget. Si l'on envisageait la création d'un fonds, il faudrait qu'il y ait quelque chose dans la cagnotte avant que ne commencent les travaux de construction; une première mise de fonds, en quelque sorte pour en attirer d'autres, plutôt que de partir de zéro. Savoir qu'il y a déjà une mise de fonds substantielle inciterait peut-être davantage les gens à appuyer cette cause.
Le sénateur Forest: Presque tous les exposés que nous avons entendus au cours des derniers trois jours et demi ont aboutit à la conclusion qu'étant donné tous les facteurs à prendre en considération, il serait préférable d'avoir, d'un côté, le Musée canadien de la guerre et, de l'autre, une exposition sur l'Holocauste.
À l'heure actuelle, il y a une exposition sur l'Holocauste au Musée de la guerre. Certaines personnes nous ont suggéré que, même s'il existait une exposition sur l'Holocauste en bonne et due forme ailleurs, on devrait inclure au Musée de la guerre, à des fins éducatives, quelque chose qui rappellerait que l'armée canadienne a été impliquée dans cette tranche de l'histoire en participant à la libération d'un camp de concentration, de façon à ce que même si cela a été minime, il y ait comme un instantané, si l'on veut, sur la participation canadienne. Quel est votre avis là-dessus?
M. Donnolly: Je n'ai aucune objection à ce qu'il y ait dans le Musée quelque chose qui rappelle que cela s'est passé pendant la Deuxième Guerre mondiale -- à condition qu'il soit clair que l'armée canadienne n'y a vraiment joué aucun rôle. Toutefois, on devrait également indiquer que pour avoir une meilleure idée de tout ce qu'implique cet événement, une visite de l'exposition sur l'Holocauste s'impose. Je pense que ce serait possible.
Permettez-moi une observation gratuite sur les comparaisons qui ont été faites jusqu'ici entre l'Holocauste et d'autres catastrophes majeures dont le genre humain a été victime. L'Holocauste est unique parce que l'objectif poursuivi par Hitler et ses laquais était l'éradication de tous les Juifs de la planète. Cette purification ethnique n'était pas confinée à l'Allemagne.
Par comparaison, c'est uniquement en Turquie, et non dans les autres régions de l'empire ottoman, que les Arméniens ont été massacrés. Ailleurs qu'en Turquie, les Arméniens ont pu vivre en paix. Mais en Turquie, ils ont été pourchassés sans relâche. Dans le cas des Juifs, les forces d'Hitler se déployèrent dans toute l'Europe pour aller débusquer à l'intérieur d'un grand demi-cercle qui allait des pays scandinaves aux pays d'Europe de l'Est comme la Pologne. Les Nazis sont même allés chercher des Juifs à l'étranger, partout où ils pensaient en trouver. Leur objectif était la destruction totale de la population juive du monde entier. Je ne pense pas qu'aucun autre génocide ait eu un objectif d'une telle envergure.
Le président: Major Donnolly, votre exposé a été très apprécié, et j'abonde dans le sens de ceux qui ont déclaré qu'ils vous étaient reconnaissants d'avoir proposé des solutions de remplacement.
Nous allons maintenant donner la parole au témoin suivant, M. Bruce Levine.
Après l'autorisation de cette étude par le Sénat, j'ai reçu un très intéressant fax de M. Levine qui m'a intrigué car il mentionnait d'autres sites possibles non seulement pour l'exposition sur l'Holocauste, mais également pour des annexes du Musée de la guerre. C'est dans ce contexte que nous aimerions plus particulièrement vous écouter ce matin. Votre fax s'est avéré encore plus pertinent depuis qu'il a été annoncé que les responsables ont convenu d'envisager de nouveaux sites.
Vous avez la parole.
M. Bruce G. Levine: Il s'agit d'un débat extrêmement important, et je suis honoré de pouvoir y participer.
Je suis ici aujourd'hui pour vous dire que l'expansion envisagée sur le site actuel du Musée canadien de la guerre sur la promenade Sussex sera loin de satisfaire aux véritables besoins du Canada s'il veut se doter d'un musée de ce type. Les nouveaux espaces d'exposition s'avéreront trop réduits pour rendre justice à l'horreur de l'Holocauste nazi. La totalité du bâtiment, y compris la nouvelle annexe, sera loin de pouvoir accueillir les collections du Musée canadien de la guerre et ne lui permettra pas de remplir son mandat.
En outre, il s'agirait de la dernière expansion possible du bâtiment, car elle occuperait tout l'espace entre le Musée des beaux-arts du Canada et le bâtiment de la Monnaie royale canadienne. Si l'on décidait un jour de trouver plus d'espace, il faudrait déménager le Musée sur un autre site.
Avant de parler de ma proposition axée sur l'utilisation d'un bâtiment beaucoup plus vaste situé ailleurs, permettez-moi de vous décrire un autre projet de musée. On a proposé de transformer le Centre de conférences du gouvernement du Canada qui se trouve Place de la Confédération en temple de la renommée pour les sportifs canadiens. Même si notre soutien des athlètes canadiens n'est pas en cause, particulièrement une semaine avant les jeux Olympiques d'hiver qui se dérouleront à Nagano, je m'interroge sur nos priorités si ce projet devait prendre précédence sur les problèmes et les décisions auxquels est actuellement confronté le Musée canadien de la guerre.
Il y a toutefois deux leçons à tirer de cette proposition. Premièrement, il y a ce qui touche au culte des héros. Il est tout à fait convenable que le gouvernement réserve un endroit privilégié dans la capitale de la nation à ceux qui créent et entretiennent nos valeurs les plus chères. Tous ceux qui ont servi le Canada dans un domaine quelconque -- la politique, les sports, la culture, la guerre -- méritent d'être honorés et commémorés.
Deuxièmement, même si l'ancienne gare Union devait devenir un musée consacré aux héros sportifs, le bâtiment devrait garder le souvenir d'événements qui ont eu lieu dans ses murs. Un morceau du mur de Berlin se trouve dans le hall, en témoignage de l'initiative politique qui a contribué à la fin de la guerre froide. Plus récemment, le Centre a accueilli une conférence internationale sur le traité d'interdiction des mines terrestres antipersonnel. Où placera-t-on le pan de mur, et comment commémorera-t-on la contribution des Canadiens à ce qu'on a appelé le «processus d'Ottawa»?
Quoiqu'il advienne du Centre de conférences, il est plus urgent de créer un panthéon pour les véritables héros du Canada: les hommes et les femmes, connus ou anonymes, qui ont servi dans les Forces armées canadiennes, en temps de guerre et en temps de paix, au pays et à l'étranger, les civils qui les ont aidés comme les marins de la marine marchande, les observateurs d'élections, les diplomates et les négociateurs, ceux qui travaillent dans le secteur du développement international et les défenseurs de l'environnement et des droits de la personne. Nous ne pourrons pas honorer ces héros sans commencer par comprendre la cause qu'ils défendaient et les difficultés auxquelles ils ont fait face. Leur détermination, leurs sacrifices et leurs victoires, grandes et petites, sont essentielles pour faciliter notre compréhension collective de ce que signifie le fait d'être canadien.
Les contributions des Canadiens à de nombreuses guerres, ainsi que leurs contributions à l'élimination des causes de guerre et aux reconstructions qui les ont suivies, méritent d'être commémorées dans un musée national, un musée autonome, doté d'une vision suffisamment vaste pour englober un grand nombre de points de vue. Il doit également disposer de suffisamment d'espace pour rendre justice à tous ces héros et à tout l'éventail de leurs contributions. Ce panthéon ne peut trouver place dans l'ancien bâtiment des archives publiques du 330, promenade Sussex.
Pour remédier à la situation, je propose la création d'une nouvelle société ayant mandat de trouver des locaux plus vastes et de meilleure qualité pour y loger une exposition sur l'histoire militaire du Canada. Par ailleurs, sans que cela entraîne une révision du mandat du Musée canadien de la guerre, cette société fournirait des locaux pour des expositions parrainées par d'autres organismes sur des thèmes comme le génocide, les droits de la personne, la dégradation environnementale, les élections démocratiques, le maintien de la paix, qui sont tous liés à la guerre.
Je propose en outre que l'on confie à cette société la gestion de l'édifice Connaught, situé entre la promenade MacKenzie et la promenade Sussex, et qu'on la charge de le rénover pour qu'il puisse accueillir le Musée canadien de la guerre, une exposition élargie sur les soldats du maintien de la paix, un mémorial de l'Holocauste et un vaste éventail d'expositions permanentes ou temporaires sur les héros canadiens dont j'ai parlé.
Le bâtiment offre plusieurs avantages. Premièrement, il est situé à mi-chemin entre le Monument aux Morts et le Monument dédié au maintien de la paix sur la Place de la Confédération. Il fait face au parc Major Hill sur la colline du Parlement. Ses murs en pierres bossagées et taillées, ses portes en chêne massif et ses baies composées de panneaux de vitrail le prédisposent à une utilisation publique plus grandiose que celle d'immeuble à bureaux. Son plus grand avantage est ses dimensions. Il est beaucoup plus vaste que le bâtiment actuel du Musée canadien de la guerre.
En conclusion, je dirais que le mot «guerre» n'est pas un mot à proscrire, mais qu'il désigne un mal nécessaire. La paix n'est pas toujours belle et elle se révèle parfois périlleuse. Les Canadiens se sont distingués dans tous les domaines, en temps de guerre et en temps de paix. Ils ont rendu de nobles services dans ces entreprises difficiles et méritent qu'on les respecte, qu'on garde leur souvenir et qu'on comprenne ce qu'ils ont accompli.
L'ancien bâtiment des archives publiques, même agrandi, ne peut pas leur rendre justice. Il ne peut servir de panthéon adéquat pour les héros canadiens. Il est tout simplement trop petit.
J'encourage le sous-comité à recommander énergiquement au Sénat et au gouvernement du Canada de créer une structure organisationnelle adaptée et de réserver des locaux adéquats pour honorer les héros canadiens qui se sont distingués en temps de guerre et en temps de paix.
Le président: Je voudrais faire remarquer au comité que M. Levine est architecte et qu'il a participé à de nombreux travaux sur la Colline; si vous consultez votre cahier d'information, vous verrez qu'il a participé aux travaux de rénovation de l'édifice du Centre et de l'édifice de l'Ouest ainsi que de l'Immeuble de la Justice.
Je crois que c'est le général Withers qui a fait remarquer que rénover de vieux bâtiments s'avérerait trop coûteux, vu qu'il faut installer, entre autres, des systèmes de conditionnement d'air et de contrôle de la température qui sont nécessaires pour pouvoir conserver certains objets. Toutefois, j'ai été intéressé par votre idée d'utiliser l'édifice Connaught. Je ne souscris pas nécessairement à tout ce que vous avez mentionné à ce propos, mais j'aimerais bien voir ce bâtiment utilisé ainsi.
Pouvez-vous nous donner une idée de la difficulté que présenterait la rénovation de l'édifice Connaught et des coûts que cela entraînerait?
M. Levine: Je ne me hasarderai pas à avancer un chiffre sur les coûts d'immobilisations que cela entraînerait. Ce serait effectivement coûteux, car il s'agit d'un vieux bâtiment, mais il faut souvent, de toute façon, rénover les vieux bâtiments, même s'ils doivent continuer de servir d'immeubles à bureaux. Il faut distinguer d'une part, le coût d'une nouvelle toiture, du rejointement de la maçonnerie en pierre, de la réparation des gonds des portes et ainsi de suite et d'autre part, le coût effectif des aménagements intérieurs.
Il est vrai que les aménagements intérieurs répondant aux critères de qualité qu'un musée exige sont plus coûteux, même dans le cas de constructions neuves, que ceux d'un immeuble à bureaux ordinaire, mais je soutiens que cet investissement plus important servirait une noble cause.
S'il fallait que nous nous mettions en quête d'un site pour un tout nouveau musée susceptible d'accueillir toutes ou même seulement certaines des expositions dont la valeur ne peut être mise en doute, on ne trouverait pas un bon endroit approprié. Il n'existe plus de sites comparables à celui de l'édifice Connaught ou de l'ancienne gare Union, un bâtiment beaucoup plus petit. S'il était possible d'occuper ce site et de prendre le contrôle du bâtiment, ce serait une excellente chose -- un projet coûteux, mais valable.
Le président: Vous dites que cela serait coûteux. Pouvez-vous me donner une idée du coût de la transformation de l'édifice Connaught? De l'aménagement intérieur. L'extérieur est déjà en cours de rénovation. Pourriez-vous comparer le coût de la rénovation de l'intérieur de ce bâtiment à celui de la construction d'un immeuble neuf?
M. Levine: Je ne me hasarderai pas à faire une estimation à ce stade.
Le président: Est-ce que la transformation de l'intérieur serait moins coûteuse que de partir de zéro et de construire un nouveau bâtiment?
M. Levine: Je pense que oui, effectivement.
Le président: Il a été suggéré l'autre jour que vu le manque d'espace, on devrait peut-être envisager d'agrandir le Musée de la guerre en annexant la Monnaie. Avez-vous une opinion à ce sujet, Monsieur Levine?
M. Levine: Le bâtiment de la Monnaie a été complètement réaménagé il y a une dizaine d'années pour servir les besoins particuliers de cet organisme et je crois qu'il serait très difficile de procéder ainsi. Ce serait beaucoup plus facile de déménager le ministère des Finances de l'édifice Connaught que de déplacer la Monnaie. Le bâtiment qu'elle occupe a été aménagé dans l'optique d'un usage très particulier. Je pense que l'espace polyvalent de l'édifice Connaught serait beaucoup plus facile à transformer que le du bâtiment de la Monnaie.
J'aimerais faire remarquer, si vous le permettez, que le bâtiment de la promenade Sussex n'a pas été construit pour abriter un musée de la guerre. C'était les archives publiques qui y logeaient à l'époque où le bâtiment était carré. Par la suite, on y a ajouté une aile. C'est déjà un bâtiment ancien auquel on a donné une autre vocation. Un grand nombre d'autres bâtiments anciens ont été adaptés à des fins contemporaines. C'est de tradition dans la capitale de notre pays.
Le président: Effectivement, et l'édifice Connaught est un édifice d'intérêt patrimonial qui ne peut donc pas être démoli. Éventuellement, il sera rénové pour servir à quelque chose d'autre.
M. Levine: Oui, cela devra être fait tôt ou tard. Pour être tout à fait juste, il faut tenir compte, dans le coût de la reprise de ce bâtiment, des frais de déménagement des bureaux actuels, mais ils peuvent être logés dans n'importe quel immeuble à bureaux et il y en a beaucoup de vides en ville.
Il faut également se demander ce qu'on pourrait faire du bâtiment classé du 330, promenade Sussex. À mon avis, les Archives nationales pourraient l'utiliser pour exposer les tableaux conservés non pour leur mérite artistique, mais pour leur intérêt historique qui forment une vaste collection comparable à la collection d'art militaire du Musée canadien de la guerre. Si cette collection était logée au 330, promenade Sussex, on prolongerait ainsi l'enfilade des musées qui existent déjà dans cette rue, et cela me semblerait une contribution significative à l'urbanisme de la capitale.
Le sénateur Forest: Monsieur Levine, j'ai trouvé intéressante votre suggestion concernant l'édifice Connaught. Cela m'a remémoré le temps où à l'Université d'Alberta, on discutait de la restauration de trois résidences. Dans un cas, il n'y avait pas de problème, la restauration coûtait moins cher que de construire un nouveau bâtiment, mais pour la troisième résidence, ça n'était pas clair. En fin de compte, elle fut restaurée. Peut-être cela coûta-t-il aussi cher que de construire un nouveau bâtiment, mais 10 ou 20 ans plus tard, tout le monde se félicite que cet immeuble ait été conservé.
Nous discutons d'un musée qui évoque l'histoire militaire canadienne depuis de nombreuses années, et j'aimerais certainement que ce musée soit logé dans un vieil immeuble qui aurait du charme, du caractère et une histoire. On peut manifestement arguer en faveur de la restauration des bâtiments anciens, même quand le coût est plus élevé. Comme vous dites, il n'est pas possible de remplacer ces vieux édifices.
Le sénateur Prud'homme: J'aimerais que la lettre de M. Levine puisse figurer au procès-verbal de la journée, car elle est pleine de propositions et d'idées passionnantes.
Le président: Je pense qu'elle devrait y figurer.
Le sénateur Forest: Monsieur le président, j'en fais la proposition.
Le président: Merci.
Le sénateur Prud'homme: Je vous souhaite bonne chance pour ce qui est de faire déménager les bureaucrates de cet immeuble. J'ai présidé les services aux députés à la Chambre des communes pendant de nombreuses années. Vous ne pouvez vous imaginer combien d'années il a fallu pour faire sortir les gens de l'Immeuble de la Justice, un bâtiment similaire, afin de pouvoir utiliser l'édifice comme annexe de la Chambre des communes. Ce fut affreux. L'affaire traîna pendant des années.
Le Château Laurier a été mis en vente pour des clopinettes et aurait pu être annexé au Parlement de façon à ce que nos édifices s'étendent de façon continue de la promenade Sussex jusqu'à l'Immeuble de la Justice et la Cour suprême. C'était un projet intéressant, mais il a été saboté.
Présumons que l'on n'utilise pas l'édifice Connaught pour loger le Musée de la guerre. Il serait alors disponible pour une exposition sur l'Holocauste ou les autres génocides.
M. Levine: Oui.
Le sénateur Prud'homme: Présumons que tout cela soit malheureusement impossible. Je me suis plus très jeune, mais j'essaie quand même d'être moderne. Aujourd'hui, la télévision et les présentations audiovisuelles jouent un rôle important, et nous avons par conséquent besoin d'une salle appropriée. Lors d'un voyage au Moyen-Orient, j'ai fait escale à Malte: il y a là une salle souterraine où l'on présente un vidéo sur l'histoire de cette île. Malte manque d'espace, alors on a construit un magnifique musée sous terre et on a installé un grand écran où défilent des images qui racontent l'histoire de Malte qui remonte aux Grecs et aux Romains.
Vous qui avez de l'expérience en la matière, pensez-vous qu'il vaudrait la peine d'envisager la construction d'une salle souterraine?
M. Levine: Pour ce qui est des constructions souterraines, voyez ce qu'il a été possible de faire avec le vieux hangar ferroviaire, à côté du Château Laurier, le long des écluses. On est parvenu à loger le Musée canadien de la photographie contemporaine dans cet espace inutilisé, sombre, humide et froid. C'est devenu un endroit magnifique. Ce genre d'utilisation se marie bien avec les constructions souterraines. Et on peut envisager un aménagement qui ne change rien au paysage.
Le sénateur Prud'homme: On pourrait peut-être construire une série de galeries souterraines. Vous êtes spécialiste. Pensez-vous que cela serait possible, avec un peu d'imagination?
M. Levine: C'est faisable. Cela coûte cher de creuser dans le roc, mais ce n'est pas impossible.
[Français]
Vous avez probablement visité le monument des déportés à Paris, derrière la cathédrale Notre-Dame. On descend un grand escalier extrêmement étroit et on se retrouve dans une chambre en plein air mais assez renfermée. Cela donne une sensation inoubliable de ce que ressentait un prisonnier envoyé à la mort.
Le sénateur Prud'homme: Cela demande des gens qui ont non simplement du talent mais aussi de l'imagination.
M. Levine: Oui.
Le sénateur Prud'homme: Nous sommes à Ottawa vous savez!
M. Levine: Il s'agit de le vouloir, d'y penser et de l'exécuter. C'est un long chemin et il faut commencer un processus sans mettre le cadran dessus. Cela est trop important pour le faire rapidement et mal.
Le sénateur Prud'homme: Pour continuer dans le même sens, s'il n'y avait pas eu tous ces gens qui soudainement se sont réveillés et se sont posés la question, cela aurait été un fait accompli.
M. Levine: Oui, et trop tard pour y penser.
[Traduction]
Le sénateur Prud'homme: Je remercie le président d'avoir pris cette initiative. Les gens voulaient se faire entendre sur la question. Nous avons été victimes d'un coup d'État, alors, que faire? Quand on proteste, on est accusé de tous les maux du monde.
Êtes-vous tous d'avis qu'il y a du bon dans le travail de ce comité?
M. Levine: Tout à fait. Je trouve très important que le sous-comité ait pris cette initiative et ait réservé une semaine pour écouter ce que les gens ont à dire. C'est un débat extrêmement important dans le cadre de l'histoire canadienne.
Le Musée des beaux-arts du Canada est un endroit magnifique. Le Musée des civilisations est fascinant. On a beaucoup de plaisir à les visiter. J'aime beaucoup le Musée national de l'aviation. La question est trop importante pour qu'on ne fasse rien pour s'assurer que les choses sont faites convenablement. Ce débat devra se poursuivre éternellement. Si on disposait d'un musée beaucoup plus vaste pouvant mieux accommoder le Musée de la guerre et un grand nombre d'autres expositions connexes, ce serait une question à débattre. Ce n'est pas un débat facile, mais c'est un débat intéressant, typiquement canadien, et il doit se poursuivre.
Le sénateur Prud'homme: J'aimerais que l'on enregistre au procès-verbal la première phrase de votre lettre:
Charles-Maurice de Talleyrand [...] est réputé avoir déclaré que «La guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux mains des militaires».
Vous ajoutez:
Si cela est vrai, je dirais à mon tour que: «La commémoration de la guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux mains des administrateurs de musées».
Le président: Monsieur Levine, j'ai mentionné qu'il avait été question du bâtiment de la Monnaie. On nous a également déclaré que la Commission Southam avait étudié le site du Conseil national de recherches du Canada sur la promenade Sussex. Nous examinons cette possibilité à nouveau, car le Conseil national de recherches a subi certaines compressions budgétaires et il est possible qu'il installe ailleurs une partie de son personnel. Il s'agit d'un site magnifique, entouré de vastes parterres qui se prêteraient à l'exposition de chars et de pièces d'artillerie. Quelle est votre opinion sur ce site de remplacement éventuel?
M. Levine: Je considère le bâtiment du 100 promenade Sussex, appelé «Temple de la science», comme l'un des plus beaux édifices de la ville d'Ottawa. L'auditorium et les terrasses sont spectaculaires. Je pense qu'il s'agit d'une solution viable. Le Conseil national de recherches ne l'abandonnera pas facilement, mais cela fait partie du jeu.
Vous avez raison; les parterres qui entourent le bâtiment sont vastes, il y a deux cours qui pourraient être recouvertes d'une verrière. C'est une très bonne suggestion.
En tant qu'architecte, je vous conseille de commencer par recenser les besoins et ensuite, de chercher un bâtiment qui a les dimensions convenables ou qui peut être agrandi. Je dirais sans hésitation que le 330, promenade Sussex n'est pas le bâtiment approprié, même une fois agrandi. Il est tout simplement trop petit pour faire justice au Musée. Toutefois, les laboratoires du Conseil national de recherches, sur la promenade Sussex, l'édifice Connaught et l'Édifice commémoratif de l'Ouest sont beaucoup plus vastes et offrent des perspectives d'aménagement beaucoup plus intéressantes, à l'intérieur comme à l'extérieur.
Le président: Serait-il utile que le comité essaie d'obtenir que les associations d'anciens combattants, le personnel du musée, des conseillers tels que vous-même se réunissent pour nous donner une idée de l'espace dont on aurait besoin pour installer un musée? Ce n'est pas notre domaine, mais je pense qu'avant de rédiger notre rapport final, nous devrions avoir une idée des dimensions du bâtiment dans lequel on pourrait loger le Musée.
M. Levine: C'est par cela qu'il faut commencer, pour avoir une vue d'ensemble du problème que pose cette expansion. Il faut savoir ce que l'on veut que contienne ce musée polyvalent, quel est l'espace requis, et avoir au moins une idée approximative des investissements qui seront nécessaires. C'est la première étape.
Le président: Je vous remercie de cet exposé fort intéressant; il est d'autant plus important maintenant qu'il a été annoncé que de nouveaux sites et de nouvelles solutions vont être envisagés.
J'aimerais également vous remercier de votre fax du début novembre qui nous a amenés à vous inviter aujourd'hui. J'espère que nous pourrons à nouveau faire appel à vous à l'avenir quand nous rédigerons notre rapport et quand nous aurons besoin de conseils.
M. Levine: N'hésitez pas.
Le président: Chers collègues, depuis quelques jours le sénateur Prud'homme tente d'invoquer le Règlement, mais je l'en ai empêché et l'ai fait patienter.
Sénateur, vous avez maintenant la parole.
Le sénateur Prud'homme: Je pensais que mon amie et collègue, le sénateur Cools, allait, elle aussi, en appeler au Règlement -- pour demander si la ministre devrait être invitée à comparaître. Il faudrait que soit mentionné au procès-verbal qu'il y a un responsable politique quelque part. L'ultime responsable n'est pas le ministre des Anciens combattants, mais la ministre du Patrimoine. Nous avons discuté de la chose entre nous. L'ultime responsable n'est pas M. Mifflin, mais Mme Copps.
Le sénateur Jessiman: J'avais cru comprendre que le sénateur Cools tenterait de communiquer avec son cabinet dans l'espoir qu'elle vienne témoigner.
Le sénateur Cools: Oui, j'ai rempli mes obligations à l'égard du comité. À l'heure actuelle, la communication a été établie entre la ministre et le Sénat. On a téléphoné à Mme Copps, et j'attends sa réponse.
Je m'attends à ce que la ministre participe aux audiences du Sénat. Il faudra que nous fixions une date et un programme, mais j'ai bon espoir qu'elle participera à nos audiences. Mme Copps est la ministre responsable des musées et du patrimoine au Canada.
Il se peut que nous devions envisager la poursuite de nos audiences jusqu'à la semaine prochaine afin de pouvoir entendre le témoignage de Mme Copps, mais j'ai bon espoir qu'elle acceptera notre invitation.
Le sénateur Prud'homme: Vous voulez dire qu'elle comparaîtra comme l'ultime responsable, en lieu et place de Mme Clarkson?
Le sénateur Cools: Je le répète, on lui a téléphoné. J'attends actuellement que l'on me rappelle et j'ai bon espoir qu'elle viendra témoigner.
Le président: Le comité a communiqué avec Mme Copps à plusieurs reprises au cours des deux dernières semaines, mais nous n'avons pu obtenir de réponse définitive. Je pense que le moment est bientôt arrivé où il va falloir qu'elle décide de venir ou non et qu'elle informe le comité de sa décision.
Le sénateur Prud'homme: Demain matin, je vous demanderai si vous avez reçu un appel téléphonique.
Le sénateur Cools: J'espère pouvoir vous donner une réponse plus tard aujourd'hui.
Le président: Honorables sénateurs, il reste une ou deux questions dont j'aimerais discuter avec vous au sujet de l'ordre du jour de demain. Nous pourrions peut-être le faire en déjeunant. Êtes-vous d'accord?
Des voix: Entendu.
Le sénateur Cools: Monsieur le président, je vois que le greffier du comité vient de distribuer la transcription du témoignage de M. Abella.
Le président: Nous reprendrons à 13 heures.
La séance est levée.