Délibérations du sous-comité des
anciens
combattants
Fascicule 6 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
OTTAWA, le jeudi 5 février 1998
Le sous-comité des anciens combattants du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 13 h pour poursuivre l'étude des affaires concernant l'avenir du Musée canadien de la guerre y compris, sans s'y limiter, sa structure, son budget, son nom et son indépendance.
Le sénateur Orville H. Phillips (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Notre premier témoin cet après-midi est Bill Vradenburg. Il représente un groupe de guides du Musée de la guerre. La parole est à vous.
M. Bill Vradenburg, ancien combattant, guide bénévole, Musée canadien de la guerre: Mon mémoire ne contient probablement pas grand-chose de nouveau pour vous. Aussi, pour gagner du temps, je vais le présenter aussi rapidement que possible pour pouvoir ensuite répondre à vos questions ou vous dire que je n'en connais pas la réponse.
Je fais partie d'un groupe d'anciens combattants qui assure des visites guidées au Musée canadien de la guerre. Nous sommes contre la proposition visant à inclure, dans les rénovations que doit subir le Musée canadien de la guerre, une galerie commémorant l'Holocauste. Nous pensons qu'il faudrait créer un mémorial de l'Holocauste, mais nous estimons qu'il n'a pas sa place dans le Musée canadien de la guerre. Nous appuyons avec enthousiasme le projet d'agrandissement du Musée canadien de la guerre. Cependant, après avoir pris connaissance des plans proposés par la direction de la Société du MCC, nous estimons que les changements proposés ne fourniront pas suffisamment d'espace d'exposition pour augmenter de manière significative l'espace prévu pour les artefacts, trésors et trophées commémorant les guerres de ce siècle finissant pour lesquels environ 115 000 Canadiens ont fait le sacrifice de leur vie.
En tant que guides, nous avons été choqués et attristés de constater, chez les visiteurs d'âge scolaire qui viennent au musée -- tous âges confondus, du primaire au collège -- une ignorance lamentable de la remarquable histoire militaire de notre pays. En conséquence, nous souhaitons leur offrir des ressources éducatives. Nous sommes pratiquement toujours ravis de l'intérêt qu'ils manifestent pour le patrimoine militaire canadien. Cet aspect de notre approche exige beaucoup d'études et de recherches de notre part. Ceux d'entre nous qui sommes d'anciens soldats de l'armée de terre doivent se renseigner sur les forces navales et aériennes. Il en va de même pour ceux d'entre nous qui ont fait la guerre dans une des autres branches des forces armées. C'est une démarche essentielle si nous voulons fournir des renseignements sur les objets exposés.
Actuellement le bâtiment situé au 330, promenade Sussex peut exposer -- on l'a souvent mentionné au cours de ces délibérations -- moins de 1 p. 100 de l'ensemble de la collection du musée qui compte plus de 500 000 objets. On nous dit que les plans prévoient de consacrer tout le troisième étage à l'exposition de la collection d'art militaire; le rez-de-chaussée sera consacré à la galerie de l'Holocauste et le deuxième étage contiendra toutes les expositions des galeries consacrées à la guerre d'Afrique du Sud, à la Première et à la Seconde Guerres mondiales, à la guerre de Corée, à la guerre froide et au maintien de la paix. On y trouvera également de plus grands espaces de bureau, un snack-bar et une grande boutique, un théâtre de 200 places, des salles de lecture supplémentaires et un mémorial. Nous pensons que ces éléments supplémentaires ne laisseront aucun espace d'exposition disponible pour les 99 p. 100 restants de la collection de trophées de guerre qui resteront cachés, en entrepôt dans les vieux hangars décrépis de l'Ottawa Street Railway que l'on désigne actuellement sous le nom de Vimy House.
Le rapport du Groupe d'étude sur les collections du Musée d'histoire militaire du Canada, daté du 20 janvier 1991, recommande entre autres choses de séparer complètement le Musée canadien de la guerre, sa direction et son budget, de la Société du Musée des civilisations. Aucune allusion à la galerie de l'Holocauste dans ce rapport, pas plus que dans les campagnes «Passing the Torch» organisées en vue de cette expansion et auxquelles nous contribuons depuis trois ans. Nous avons attendu près de sept ans avant de noter une certaine volonté de mettre en oeuvre les excellentes recommandations de ce groupe d'étude et nous recommandons leur examen immédiat et leur éventuelle mise en oeuvre, peut-être pour coïncider avec la réouverture du Musée canadien de la guerre rénové et agrandi, prévu actuellement pour l'été 2000.
Pour les raisons susmentionnées, nous, les anciens combattants guides bénévoles, recommandons instamment ce qui suit: tout d'abord, que les recommandations du groupe d'étude du mois de janvier 1991 mentionnées ci-dessus soient mises en oeuvre le plus tôt et le plus complètement possible. Deuxièmement, que le projet de galerie de l'Holocauste soit supprimé du plan de rénovation du Musée canadien de la guerre; troisièmement, que tout l'espace proposé pour la galerie de l'Holocauste soit utilisé pour l'exposition d'une plus grande proportion d'objets provenant de la collection des trophées de guerre entreposés à Vimy House, afin de commémorer toutes les guerres de notre passé.
Je termine ici mon exposé proprement dit, mais avant de passer aux questions, j'aimerais ajouter quelques commentaires. Je suis entouré d'autres membres du groupe dont je suis le porte-parole. Je suis fier qu'ils m'aient accompagné aujourd'hui. Un d'entre eux, Doug Gage, a pris la peine, malgré des problèmes à une jambe, de faire le tour du musée afin de mesurer la surface nécessaire pour exposer les différents objets commémorant les guerres dans lesquelles nous avons combattu. Selon nos meilleures estimations, le projet de galerie de l'Holocauste occuperait environ 5 600 pieds carrés. Si l'on ajoute à cela les espaces consacrés à Hong Kong, Dieppe et Vimy, la surface est beaucoup moins grande que celle qui est requise pour la galerie de l'Holocauste. Sur le plan de l'histoire militaire canadienne, ce sont des expositions beaucoup plus importantes. Et ce n'est qu'un aspect de notre histoire.
Je suis certain qu'un espace de 5 600 pieds carrés n'est pas suffisant pour créer un mémorial capable d'évoquer l'énorme tragédie de l'Holocauste. Les personnes qui souhaitent sincèrement créer un mémorial de l'Holocauste ne pourront certainement pas se contenter d'un espace de 70 pieds sur 80. Cela me paraît tout simplement impossible. Et pourtant, il faudra s'en contenter si l'on décide de créer ce mémorial dans le Musée canadien de la guerre.
Il y a d'autres bâtiments qui pourraient accueillir une galerie de l'Holocauste, plutôt que notre musée qui ne peut exposer que 1 p. 100 de sa propre collection. C'est la collection qui représente le musée, pas le bâtiment. Tant que la collection ou 99 p. 100 et plus des artefacts restent moisir dans des vieux hangars, loin du public, qu'aurons-nous à montrer au nom des 60 000 morts canadiens et du quart de millions de blessés au cours de la Première Guerre mondiale, ou au nom des 45 000 morts et Dieu sait combien de blessés au cours de la Seconde Guerre mondiale? Ceux d'entre nous qui sommes rentrés au pays estiment qu'ils ont droit à quelque chose.
J'ai visité des musées de la guerre à Londres, à Paris, à Varsovie et à Moscou. Je n'ai pas eu le privilège de visiter le Mémorial australien de la guerre qui, je crois, est un des plus beaux du monde. Et de quoi dispose le Canada? D'un vieux bâtiment rejeté par les Archives du Canada et que nous avons occupé lorsque nos archives pouvaient tenir dans un placard à balais.
Honorables sénateurs, on nous demande l'impossible, mettre un éléphant dans une cage à oiseaux. Voilà ce que j'avais à vous dire.
Le sénateur Jessiman: Depuis combien de temps êtes-vous guide au Musée de la guerre?
M. Vradenburg: Les visites guidées ont vraiment commencé en décembre ou janvier 1991.
Le sénateur Jessiman: Combien d'anciens combattants bénévoles participent aux visites guidées?
M. Vradenburg: Lorsque nous avons commencé, il y en avait deux douzaines. Ce ne sont pas tous des anciens combattants; certains sont des personnes intéressées qui sont plus jeunes.
Le sénateur Jessiman: Comment faites-vous pour vous renseigner sur les autres branches de l'armée?
M. Vradenburg: Le musée nous aide beaucoup à ce sujet. Il y a un officier instructeur sur place, mais en fait, chacun se débrouille. Il y a les anciens de la marine, comme moi. Il y a les gens de l'armée de l'air; je suis aussi un ancien de l'armée de l'air. Il y a quelques-uns des meilleurs militaires de l'armée de terre du monde. Il y a des anciens combattants de Dieppe et du débarquement. Il y a un ou deux décorés de la croix militaire et de la croix de guerre. Ces gens-là connaissent beaucoup de choses et partagent leurs connaissances.
Le sénateur Jessiman: Étiez-vous là au moment où le Musée des civilisations a pris les affaires en main en 1990 ou 1991?
M. Vradenburg: C'est probablement un an après environ.
Le sénateur Jessiman: Que vous êtes devenu guide?
M. Vradenburg: Oui.
Le sénateur Jessiman: À quel moment avez-vous entendu parler de la possibilité de créer une galerie de l'Holocauste dans le Musée de la guerre?
M. Vradenburg: Au deuxième étage, le musée présente actuellement une voiture d'état-major qui a été utilisée par Hitler, une vitrine avec un uniforme de SS et à côté, certains articles provenant d'un camp de concentration. Il y a une robe donnée par une femme qui n'avait rien d'autre à porter, rien dessus rien en dessous, pas de chaussures, une affreuse vieille robe grise. Il y a un bâton que les gardes SS utilisaient la nuit. Il y a aussi la cagoule avec laquelle on a recouvert la tête du commandant du camp de Bergen-Belsen avant qu'il soit pendu.
Le sénateur Jessiman: Voilà ce qu'on y trouve maintenant. Je vous demande à quel moment vous avez entendu parler de la proposition concernant l'utilisation de 5 600 pieds carrés pour la création d'une galerie?
M. Vradenburg: Il y a environ un an et demi, si j'ai bonne mémoire. La superficie n'a pas été précisée. Nous avons supposé, lorsqu'il a été question d'un «Mémorial de l'Holocauste», qu'il aurait ces dimensions-là à peu près.
Le sénateur Jessiman: À quel moment en avez-vous entendu parler? Qui vous en a parlé?
M. Vradenburg: J'aimerais préciser que nous sommes tous des Amis du Musée de la guerre, même si le président et l'ancien président ne nous représentent pas.
Le sénateur Jessiman: Les Amis du Musée canadien de la guerre souhaitent augmenter la taille du musée lui-même. Dites-moi si je fais erreur, mais lorsque vous avez recueilli de l'argent, est-ce que vous ne vous êtes pas demandés à un moment donné où vous pourriez obtenir le plus d'argent? Il a été question des Hollandais et des Polonais. Ils étaient les alliés des Canadiens et ils ont travaillé avec nous, ainsi qu'avec la communauté juive.
On nous a dit hier que les personnes qui collectent des fonds par l'intermédiaire des Amis du Musée seront représentées et organiseront une exposition pour les anciens combattants juifs. Ces gens-là ont participé directement en tant que Canadiens. Une petite partie de la galerie peut leur être consacrée.
M. Vradenburg: Cela ne correspond pas à ce que j'ai entendu.
Le sénateur Jessiman: C'est ce que nous a dit le témoin entendu hier qui représente les anciens combattants juifs. Nous pensons que cette idée provenait des responsables de l'agrandissement, mais les anciens combattants juifs nous ont dit que ce n'était pas le cas. On leur a dit que s'ils récoltaient de l'argent, le musée pourrait organiser une exposition qui rendrait hommage aux Juifs qui ont servi dans l'armée, sans qu'il soit question de l'Holocauste.
M. Vradenburg: C'est possible, mais cela ne venait pas de nous. C'était peut-être notre président.
Le sénateur Jessiman: Les représentants juifs nous ont dit qu'ils pouvaient récolter les fonds en question, mais, à leur grande surprise, le projet a pris de l'ampleur. Ce sont des suppositions, mais ils se sont peut-être dits que s'ils pouvaient récolter de l'argent pour rendre hommage aux Juifs qui ont servi dans l'armée, ils pourraient en récolter beaucoup plus pour un projet de commémoration de l'Holocauste.
M. Vradenburg: Nous le pensons aussi, mais personne ne nous l'a jamais dit.
Le sénateur Forest: Vous avez parlé de la surface qu'occuperait la galerie de l'Holocauste. Un architecte nous a dit également ce matin que même tout l'espace du Musée de la guerre ne suffirait pas. Il a recommandé d'oublier complètement cette idée et de la mettre en oeuvre dans un bâtiment beaucoup plus grand. Est-ce que vous y avez pensé?
M. Vradenburg: Je n'ai pas consulté mes collègues à ce sujet, mais j'ai l'impression qu'en dépensant un million de dollars pour construire un toit de verre au-dessus d'une cour qui existe déjà ne permettra pas d'augmenter d'un seul pouce l'espace d'exposition puisqu'il est question de construire une aile latérale qui diminuera la cour. On parle ensuite d'installer une grille décorative à l'entrée, le long de la rue. Tout cela aura pour effet de réduire la taille de l'esplanade. Quant au toit de verre, on ne peut rien y suspendre. De plus, il n'y aura ni deuxième ni troisième étage. Ce n'est pas un véritable agrandissement.
À notre avis, dépenser des millions de dollars sur cet immeuble, c'est aussi utile que de ranger les transats sur le Titanic.
Le sénateur Forest: Vous reconnaissez qu'il sera préférable de disposer de bâtiments plus grands, avec plus d'espace autour.
M. Vradenburg: En effet. D'ailleurs, j'ai lu un article de Jane Taber au sujet du sénateur Phillips dans lequel quelqu'un disait que l'immeuble Connaught serait peut-être un bon choix.
Le sénateur Forest: C'est ce qu'a proposé ce matin M. Levine.
M. Vradenburg: Je pense qu'il faudrait consacrer le 330, promenade Sussex uniquement aux oeuvres d'art militaire. Nous en avons assez pour remplir tout l'immeuble. L'immeuble Connaught, une fois réaménagé, pourrait tout présenter, depuis les Vikings à Terre-Neuve jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale, tout le XIXe siècle, et cetera. Une fois que cet immeuble sera rempli, on pourrait utiliser le bâtiment 155, en face de cette monstrueuse place à Rockcliffe. Pensez à toutes les voitures qu'on pourrait garer sur cette place! Le bâtiment 155 a trois étages et un sous-sol. C'est un bon bâtiment. Je ne sais pas quel est le poids que pourraient supporter les planchers. Je suppose que toutes ces idées ne tiennent pas, pour des raisons techniques. Nous avons le Musée de l'aviation un peu plus bas, très bien situé et, s'il était possible d'installer la partie moderne du Musée de la guerre dans le bâtiment 155, en haut de la colline, avec un grand stationnement, on pourrait également l'utiliser pour des exercices militaires, des commémorations du jour du Souvenir, le genre d'activités que l'on organise actuellement sur l'esplanade. Économisons de l'argent sur la rénovation du 330, promenade Sussex en le transformant en galerie d'art et installons la première moitié de nos expositions sur l'histoire militaire dans l'immeuble Connaught. Cela coûtera de l'argent, mais pas aussi cher que ce qu'ont dû payer nos hommes à Beaumont Hammel et Vimy.
Le sénateur Forest: Vous avez parlé également de l'actuelle exposition sur l'Holocauste. Vous n'auriez pas d'objection à ce que ces objets soient présentés au Musée canadien de la guerre?
M. Vradenburg: Non, ça en fait partie. Cependant, d'après les visites guidées que j'ai animées, je peux vous dire que les jeunes et les autres aiment beaucoup la voiture. Elle est assez impressionnante et les visiteurs ne s'intéressent pas beaucoup aux autres artefacts.
Le sénateur Forest: Vous avez parlé du manque de place.
M. Vradenburg: Le Musée canadien de la guerre est terriblement mal logé au 330, promenade Sussex. Mes collègues ici présents partagent ce point de vue.
Le sénateur Chalifoux: Merci pour votre exposé. Est-ce que vous et vos collègues bénévoles avez participé d'une manière quelconque à la conception de cette peinture de votre groupe qui sera affichée à l'entrée du Musée canadien de la guerre?
M. Vradenburg: Je ne l'ai jamais vue auparavant.
Le sénateur Chalifoux: Vous pouvez y jeter un coup d'oeil. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Regardez comme vous avez tous l'air content.
M. Vradenburg: De toute ma vie, je n'ai jamais vu personne d'aussi abattu.
Le sénateur Chalifoux: Êtes-vous d'accord pour que la voiture de Hitler soit exposée au Musée canadien de la guerre?
M. Vradenburg: Oui, je n'y vois aucune objection et je n'ai jamais entendu personne de mon groupe s'en plaindre.
Le sénateur Jessiman: Savez-vous qu'elle n'a pas été prise par des Canadiens?
M. Vradenburg: Oui, nous connaissons son histoire. Ce sont les troupes américaines qui l'ont prise. On raconte aussi qu'un jeune GI américain qui avait fait quelques écarts de conduite avait reçu l'ordre, en guise de punition, de garder la voiture sous la pluie, le pauvre. Au milieu de la nuit, quelqu'un lui apporta une bière et quelque temps après, il a sorti son fidèle revolver pour vérifier si les carreaux de la voiture étaient vraiment à l'épreuve des balles. Aussi, les trous qu'on y voit maintenant ne sont pas vraiment des traces de bataille. Mais c'est exact que la voiture a été utilisée par Hitler.
Le sénateur Chalifoux: Par conséquent vous n'êtes pas vraiment contre l'exposition de cette voiture au Musée canadien de la guerre?
M. Vradenburg: Non. C'était de l'équipement allemand et nous sommes contents de l'avoir.
Le président: J'ai une question au sujet de la première page de votre mémoire. Vous affirmez que les galeries concernant la guerre d'Afrique du Sud, la Première et la Seconde Guerres mondiales, la guerre de Corée et la guerre froide, plus les galeries du maintien de la paix seraient intégrées.
M. Vradenburg: Ces galeries existent déjà.
Le président: J'aimerais savoir s'il y aura plus d'espace pour les expositions concernant la Première et la Seconde Guerres mondiales?
M. Vradenburg: Nous ne voyons pas comment. Peut-être que M. Glenney pourrait répondre à cette question.
Le président: Nous la lui poserons demain. À mon avis, ce sont les deux principales guerres auxquelles ont pris part le plus grand nombre de Canadiens et je suis surpris que l'on ne parle pas d'agrandir les expositions qui leur sont consacrées, alors qu'il est question d'agrandir le musée.
M. Vradenburg: Je crois que la majorité des objets entreposés à Vimy House, soit plus de 99 p. 100 de notre collection, sont reliés à la Première et à la Seconde Guerres mondiales. M. Glenney hoche la tête en guise de confirmation. Tous ces objets restent cachés et ignorés. On pourrait construire des dizaines de dioramas grandeur nature avec tout l'équipement qu'on a là-bas. C'est le genre d'expositions qui intéressent les gens.
Le président: Avant de vous laisser partir, j'aimerais vous faire remarquer qu'aucun soldat sur cette peinture ne porte une arme. Ils ont plutôt l'air de se rendre que de partir au combat.
M. Vradenburg: C'est tout à fait vrai. Et je n'ai jamais vu autant de soldats rassemblés de cette manière sans aucun sourire sur leur visage.
Le président: Merci beaucoup d'être venu témoigner. Et merci également du temps que vous donnez bénévolement pour servir de guide au musée.
Le sénateur Prud'homme: Monsieur le président, je sais que je vais prendre quelques minutes pour dire ce que j'ai à dire, mais je pense que personne n'y verra d'objection.
En raison de l'importance de cette déclaration, je vais la faire en français et en anglais.
Un événement extrêmement important s'est produit il y a 35 ans aujourd'hui et ce serait une erreur que de ne pas le mentionner. Hier, quelqu'un a parlé de mémoire militaire. Je crois, quant à moi, que je fais partie de la mémoire politique. En effet, il y a 35 ans aujourd'hui, notre cher président, le sénateur Orville Phillips, a été nommé sénateur par le très honorable John Diefenbaker. Il a été whip du gouvernement de 1984 à 1991 et il a été remplacé, tout à fait par hasard, par quelqu'un qui a été un membre assidu de ce comité, le sénateur William Kelly.
Le sénateur Orville Phillips et moi avons quelque chose en commun -- pas au plan politique -- parce qu'avant d'arriver au Sénat, il a siégé à la Chambre des communes après avoir été élu en 1957, 1958 et 1962. Il a servi les Canadiens consciencieusement et même avec dévouement, ceux qui l'ont connu pourront vous le dire. Il m'a beaucoup appris depuis que j'ai été nommé au Sénat et même lorsque j'étais à la Chambre des communes. Il a servi notre pays sans interruption pendant 41 ans.
Il a été au service du pays pendant si longtemps qu'il mérite bien sa retraite. Je suis particulièrement touché par tous ceux qui nous servent si bien. Je sais que Lloyd Lawless, qui a été le fidèle assistant du sénateur Phillips pendant de nombreuses années, aurait aimé être ici aujourd'hui.
J'aimerais citer quelques noms aux fins du compte rendu. Je me souviens d'avoir été cité par quelqu'un à la Chambre des communes en 1953. Ce fut pour moi une grande occasion et cela m'a ouvert de nouvelles perspectives.
J'aimerais nommer Chad Rogers, un autre fidèle assistant du sénateur Phillips. Je crois que le sénateur Phillips n'a jamais pris de risque dans le sens qu'il s'est toujours entouré de personnes dévouées de l'Île-du-Prince-Édouard.
C'est délibérément que je rends aujourd'hui cet hommage en présence de notre nouvelle équipe de pages qui nous rendent de nombreux services et qui sont ici pour s'initier au processus politique. Je vais les nommer chacun à leur tour et leur demander de saluer. Il faut que leurs parents sachent que nous apprécions leurs talents.
Je mentionne Michelle Dust, Alexandre Cloutier, Issie Berich, Gregory Doiron et Michel Thériault. L'oncle de M. Thériault se lance dans la course à la direction au Nouveau-Brunswick et son grand-père était encore sénateur il y a trois ans. Vous vous souvenez du sénateur Thériault. Il n'avait peur de personne. Ces jeunes gens voient le Sénat sous son meilleur jour, c'est-à-dire comme une tribune qui permet à chacun de se faire entendre, comme lorsque nous avons étudié la question du système d'éducation à Terre-Neuve. C'était le Sénat dans ce qu'il fait de meilleur.
[Français]
Cela me fait un plaisir immense de souligner aujourd'hui le 35ième anniversaire de la nomination au Sénat de notre président, le sénateur Orville Phillips, par le très honorable John Diefenbaker. Avant d'être sénateur, il avait été élu député trois fois. En 1957, 1958 et 1962. J'ai mentionné plus tôt que dans la vie, il faut avoir une communauté d'action. Je le mentionne devant la presse.
[Traduction]
C'est tout à fait délibérément que j'ai dit tout cela en présence des membres de la presse. C'est une occasion extrêmement importante et je crois qu'il faut absolument la souligner.
[Français]
C'est aussi une fête de famille puisque j'ai mentionné le nom des membres de son personnel, M. Loyd Lawless et M. Chad Rodgers. Comme toute unité se fait «by building bridges», les jeunes qui nous regardent travailler peuvent prendre espoir que le Sénat a une tâche à accomplir. J'ai mentionné les noms de ces jeunes pages et étudiants au service des sénateurs Michelle Dust, Alexandre Cloutier, Izzy Berish, Michel Thériault et Gregory Dorion, un jour, j'en suis certain, ils nous remplaceront.
[Traduction]
Le président: Quand je suis arrivé ce matin, Chad m'a rappelé que c'était aujourd'hui un anniversaire. J'ai pensé que j'aurais peut-être dû rester le fêter chez moi, mais j'ai décidé que ce comité, comme tant d'autres comités auxquels j'ai pris part, est trop intéressant, trop agréable et surtout trop important pour être manqué.
Je suis sensible aux remarques qui viennent d'être faites et je remercie tous les membres du comité pour leur présence. Je crois que le sénateur Kelly sera de nouveau avec nous demain.
En passant, sénateur Prud'homme, c'est le dernier sermon que je vous autorise à faire aujourd'hui.
[Français]
Cela prenait un bon Canadien français, fier du Québec, ne vous trompez pas, catholique, pour souligner cet anniversaire à un bon presbytérien anglais de l'Île-du-Prince-Edouard. Aussi afin que nous puissions montrer...
[Traduction]
Le sénateur Prud'homme: Je remercie un bon presbytérien anglophone de l'Île-du-Prince-Édouard qui donne le bon exemple à un Canadien français catholique du Québec. Il y aurait beaucoup moins de problèmes dans notre pays et dans le monde si l'on faisait ce genre de choses un peu plus souvent.
Le président: Colonel Henry, veuillez commencer.
Le colonel Sean Henry: C'est un plaisir et un honneur pour moi de témoigner aujourd'hui devant votre comité.
Cependant, j'aimerais souligner que je comparais aujourd'hui en tant que particulier. Je ne représente personne. Je tiens à souligner ceci parce qu'on peut lire dans l'Ottawa Citizen d'aujourd'hui, à l'ordre du jour du comité, que je représente une certaine organisation. Ce n'est pas le cas. J'invite les membres de la presse et des médias présents aujourd'hui à noter que je suis ici en qualité de citoyen ordinaire.
En raison du caractère sensible du dossier, je ne vais évoquer que les questions que je connais personnellement. J'ai l'intention de ne présenter que des commentaires et des critiques constructifs susceptibles de vous aider dans votre tâche afin de parvenir à la solution la plus profitable pour tous les Canadiens.
C'est avec tristesse que j'entreprends ma tâche aujourd'hui. Je constate en effet que l'absence de ressources et d'installations adéquates pour exposer et étudier l'histoire militaire canadienne montre combien la vision confiante de Laurier prédisant un brillant avenir pour notre pays, s'est dégradée depuis 30 ans. L'apathie du public a joué un rôle dans ce processus regrettable, mais cette apathie a également été cultivée et exploitée par de nombreuses personnes bien intentionnées, mais mal informées. Je peux faire cette affirmation avec assurance, puisque j'étudie le processus depuis 15 ans. Pratiquement chaque jour, je me penche sur la question, dans le cadre de mes fonctions d'analyste de la politique stratégique et de défense.
Je dois dire cependant que je n'ai constaté ce phénomène dans le cas du Musée canadien de la guerre que l'an dernier et que cela n'a rien à voir avec le projet de création d'une galerie consacrée à l'Holocauste. Les deux événements qui m'ont personnellement amené à cette conclusion ont été la distribution d'un questionnaire par le personnel du Musée de la guerre -- je vous ai fait distribuer des copies de ma réponse -- ainsi que le contenu et le thème de la nouvelle galerie de maintien de la paix qui prétend offrir un tableau exact de l'histoire militaire canadienne depuis 1945.
Mais, n'allons pas trop vite. Il faut d'abord vous situer le contexte. Depuis 30 ans, on note les progrès accomplis par ce qu'il est convenu d'appeler le mouvement pacifiste, bien que ce mouvement soit plus complexe que ne l'indique cette désignation. De manière générale, on peut dire que ce mouvement remonte à la seconde moitié du XIXe siècle en Europe et qu'il a connu une recrudescence au Canada dans les années 20, à la suite du carnage de la Première Guerre mondiale. J'explique dans un article comment la politique canadienne de défense a été influencée par ce mouvement. J'en ai joint un exemplaire à mes remarques.
Il faut souligner surtout que, à partir du milieu des années 60, le mouvement pacifiste s'est donné des buts beaucoup plus précis et un modus operandi plus ingénieux et efficace. Pendant la guerre froide, en effet, l'Union soviétique s'était aperçue qu'il était intéressant d'appuyer le mouvement pacifiste en Occident et pas seulement au Canada. Maurice Tugwell a bien analysé cette situation dans Peace with Freedom et j'ai indiqué la référence de cet ouvrage dans mon mémoire.
En temps utile, le mouvement pacifiste a intégré de nombreux éléments qui visaient en quelque sorte à créer une utopie mondiale. Les chefs de file de cette campagne furent Pierre Trudeau, Gro Harlem Bruntland en Norvège et Olaf Palme en Suède.
Nous en voyons aujourd'hui les résultats dans de nombreux domaines, depuis les buts poursuivis par le mouvement féministe pour le contrôle des armes à feu jusqu'à la propagation de la notion d'une prétendue sécurité commune contre les menaces non militaires. Un important aspect de cette campagne consiste à manipuler l'histoire pour orchestrer des campagnes contre toute forme de violence et d'agression. Évidemment, tout cela n'est pas sans rappeler Orwell et cette propagande est rendue d'autant plus efficace grâce aux moyens modernes de communication et à la révolution de l'informatique.
Ce n'est pas par hasard si une des plus importantes techniques transmises par les Soviétiques a été la désinformation par les médias. Une fois que des préjugés ont été implantés dans l'esprit des gens, il est pratiquement impossible de les déloger. Pour vous donner un exemple de la façon dont cela s'applique au Canada, je vous invite à consulter un document que je vous ai transmis, un récent éditorial du Ottawa Citizen montrant comment les lignes directrices formulées en Saskatchewan en matière d'éducation ont permis de retourner complètement les faits de la Rébellion du Nord-Ouest.
Revenons maintenant à la situation qui malheureusement semble s'installer au Musée canadien de la guerre. Le meilleur moyen d'atteindre les objectifs utopistes est de façonner l'esprit de la jeunesse et beaucoup de gens pensent que l'avènement de l'utopie se rapproche si l'on supprime toute allusion aux guerres du passé ou si on les présente dans un éclairage particulier et si l'on affirme avec force que la violence est inacceptable quelles que soient les circonstances. Le point faible de ce raisonnement c'est que l'utopie ne s'est jamais réalisée et ne se réalisera jamais, à cause de cet élément pervers connu sous le nom de nature humaine. J'ai suivi pendant toute une année un cours de premier cycle consacré à l'échec des utopies. Étant donné qu'il est impossible de faire adopter en un instant une vision utopique eu monde entier, le mirage de la non-violence permet aux brutes de régner dans les cours d'école et place les nations sous la férule des dirigeants les plus implacables.
Si vous pensez que j'exagère, je vous renvoie à un projet de l'Office national du film qui produit actuellement une série de vidéos destinées aux écoles du Canada. On y apprend que la violence est inacceptable et que la seule solution aux conflits réside dans la négociation. Bien sûr, la négociation est préférable, mais trop souvent elle ne permet pas à elle seule de préserver certains intérêts vitaux. Il est souvent indispensable de se défendre contre les brutes ou de partir en guerre contre Saddam Hussein.
Revenons maintenant au Musée canadien de la guerre. Il est important de présenter aux Canadiens les sacrifices qu'ont faits les générations passées pour préserver notre liberté et encourager notre progrès, et de les avertir de rester vigilants pour l'avenir. Depuis quelques années, nous avons constaté que de nombreuses interventions ont été faites en vue de miner cette approche. Il me suffira de vous rappeler la désinformation contenue dans The Kid Who Couldn't Miss et The Valour and the Horror.
Dans la même veine, le questionnaire distribué par le personnel du Musée de la guerre met en oeuvre une tactique bien connue du mouvement pacifiste. En mettant l'accent sur des questions telles que la fréquentation du musée et les nouveaux goûts du public, le questionnaire produira des résultats biaisés qui justifieront une conclusion courue d'avance.
Pour prouver mon raisonnement, je vais vous donner un exemple encore plus inquiétant. Depuis 1990, le mythe du maintien de la paix a fait des progrès rapides et s'est installé au Canada. Son but est de convaincre les Canadiens que le Canada n'a jamais rien fait d'autre que maintenir la paix et par conséquent qu'il ne devrait jamais participer à des guerres. Cela a contribué à modifier notre politique de défense et a eu un impact négatif sur les programmes visant à moderniser les Forces armées canadiennes. Certaines personnalités canadiennes diffusent le message de maintien de la paix par l'intermédiaire de projets bien publicisés tels que le Conseil Canada 21. Certains cercles recommandent actuellement le désarmement nucléaire, l'interdiction des mines terrestres et l'élimination des armes légères. Tous ces objectifs sont très louables, mais ils auront des conséquences graves s'ils s'appliquent uniquement de manière unilatérale.
Le Musée canadien de la guerre est une institution vitale qui pourrait être une source importante favorisant l'identité, la fierté et l'unité du pays et mettant sa population en garde pour l'avenir. Je crains plutôt qu'il ne devienne un véhicule de propagande d'un altruisme et d'un pacifisme de mauvais aloi. Comme je l'ai dit au début ainsi que dans ma lettre, il n'en existe pas de meilleur exemple que la galerie du maintien de la paix. Je dis tout de go que cette exposition a beau être techniquement bien faite, elle propage et perpétue un mensonge. Depuis 1945, l'histoire militaire canadienne a été marquée nettement par la guerre froide. Le maintien de la paix n'était qu'une activité périphérique et pas toujours efficace. Et pourtant, des écoliers m'ont dit, à plusieurs reprises, que le Canada n'a jamais participé à une grande guerre. Voilà maintenant le Musée canadien de la guerre qui leur donne raison.
Conscient qu'il est quasiment impossible de modifier la galerie du maintien de la paix maintenant qu'elle est en place, je recommande de modifier légèrement les panneaux et tableaux d'information placés à l'entrée, afin de donner une image plus juste de l'histoire militaire du Canada après la Seconde Guerre mondiale.
Je vais maintenant conclure en vous présentant un certain nombre de recommandations visant à sauver le Musée canadien de la guerre et à l'aider à devenir l'importante ressource nationale qu'il devrait être.
Tout d'abord, il faut poursuivre le programme d'expansion, avec ou sans la galerie de l'Holocauste. À mon avis, si l'on ne peut pas trouver de financement ailleurs, il faudrait conserver la galerie. Cependant, il faudrait réduire la superficie et augmenter son contenu de manière à illustrer d'autres exemples de génocides au XXe siècle, y compris les atrocités japonaises et d'autres exemples plus récents dans les Balkans et en Afrique centrale. Comme d'autres l'ont signalé, il y a encore le risque que même une exposition plus petite consacrée aux génocides, détournerait l'attention des grandes expositions militaires et renforcerait la tendance à la démilitarisation. Il faudrait prendre des mesures pour que cela ne se produise pas.
La question de la séparation du Musée canadien de la guerre du Musée des civilisations est délicate. Les personnes qui connaissent la politique bureaucratique à Ottawa comprendront qu'il y a certains avantages à maintenir le statu quo. Il est important cependant d'augmenter le financement et l'influence politique du Musée de la guerre. Cela pourra se faire en invitant la participation des ministres de la Défense nationale et des Affaires des anciens combattants. Vous ne savez peut-être pas que le musée a reçu un encouragement bienvenu de l'ancien ministre de la Défense Doug Young au cours de son bref mandat, grâce à l'intérêt personnel et à l'engagement qu'il lui a manifestés.
Il est également nécessaire de nommer au conseil d'administration du Musée des civilisations des personnalités amies du Musée canadien de la guerre. Dans le même ordre d'idée, le directeur du Musée canadien de la guerre devrait être un historien militaire canadien de renom dont les capacités administratives ne sont plus à démontrer. Les noms de Desmond Morton et Jack Granatstein viennent immédiatement à l'esprit.
Enfin, il faudrait conserver dans le personnel du musée, une masse critique de personnes ayant une connaissance pratique des besoins militaires. À l'heure actuelle, les personnes de ce type sont lentement et régulièrement éliminées et remplacées par d'autres personnes qui non seulement manquent d'expérience dans ces domaines, mais cherchent en plus à empêcher les expositions et activités «militaristes» qui pourraient être jugées «choquantes pour le public» en raison des images «menaçantes» qu'elles présentent.
Les campagnes pacifistes dont j'ai parlé plus haut ont l'habitude d'utiliser ce genre de mots-codes et de slogans. Je peux vous dire par exemple que l'on entendra bientôt parler souvent d'hélicoptère d'attaque lorsqu'on débattra du projet d'achat d'hélicoptères pour la marine. C'est de cette manière qu'ils sont décrits par les opposants au projet. C'est un mot-code et un slogan que vous entendrez très souvent.
Je vais terminer comme j'ai commencé en disant que je suis fier d'être Canadien et que je suis convaincu que la prédiction de Laurier pourrait être réalisée dans les années à venir. Cependant, cela sera impossible si nous ne prenons pas les mesures décisives pour mettre en place une structure solide d'institutions nationales permettant de renforcer la valorisation, la connaissance et la compréhension de notre histoire, en particulier de notre histoire militaire. C'est pourquoi je vous invite à vous intéresser à la forêt que représente le Musée canadien de la guerre plutôt qu'aux quelques arbres de la galerie de l'Holocauste.
Le sénateur Cools: Je vous remercie d'avoir orienté le dialogue vers la nécessité de réexaminer les idées et les valeurs. Vous avez utilisé le mot «utopie» et vous avez parlé du mouvement pacifiste. À la page 2 de votre mémoire, vous écrivez:
En temps utile, le mouvement pacifiste a intégré de nombreux éléments qui visaient en quelque sorte à créer une utopie mondiale.
Et un peu plus loin:
On y apprend que la violence est inacceptable et que la seule solution aux conflits réside dans la négociation.
Vous avez évoqué pour nous le phénomène de la démilitarisation de l'histoire militaire, ou du «désarmement de la guerre», si vous me passez l'expression. C'est une tendance qui me préoccupe et qui apparaît dans beaucoup d'autres domaines, comme celui de la «société patriarcale». Les exemples ne manquent pas.
C'est ainsi qu'en 1995, lorsque nous devions étudier la loi sur les armes à feu, les opposants en parlaient comme de la loi sur le contrôle des armes à feu. Cette loi était censée sauver la vie des femmes. On nous a dit que les femmes étaient directement concernées et que c'était pour elle une question de vie ou de mort. Il y avait beaucoup de propagande et de bruit autour de cette question.
J'ai étudié attentivement les statistiques de 1994 concernant les femmes tuées par un de leurs proches à l'aide d'une arme à feu. J'ai découvert qu'il y en avait en tout 23. Jamais la propagande ne donnait de chiffres précis. C'était toujours 80 p. 100 de ceci ou 60 p. 100 de cela, ou la majorité, et cetera; il n'y avait jamais de chiffres précis. Il m'a fallu des jours pour trouver la réponse, mais il y en avait en tout et pour tout 23.
Plus de 23 enfants de moins de 12 mois ont été tués la même année. L'information qui nous a été présentée était très fausse et très déformée, puisque le pays ne connaissait pas vraiment une crise et que les femmes ne se faisaient pas toutes assassinées par leurs anciens amants. Et pourtant, cette loi a suscité toute une controverse. Lorsque j'ai cité ce chiffre de 23 à un fonctionnaire de l'Ouest, il n'en revenait tout simplement pas. Il était persuadé que le chiffre était beaucoup plus élevé, quelque chose de l'ordre de 1 400.
Il y a quelques jours, lorsque nous avons entamé cette étude, j'ai lu, dans un article de journal, des déclarations du sénateur Phillips dans lesquelles il s'inquiétait que le nom du musée ne fasse plus mention de la guerre mais plutôt de la paix et que l'on propose de présenter les informations sans exposer l'équipement militaire.
Je m'inquiète beaucoup de la désinformation qui entoure ces questions. Les êtres humains sont assez effrayants. Plus nous vieillissons, et plus nous sommes choqués et inquiets devant les actions terribles que peuvent accomplir des êtres humains.
Avez-vous quelques commentaires à formuler au sujet de la tendance générale à réviser l'histoire ou réviser nos valeurs au nom de l'utopie? On a tendance à oublier que l'utopie, telle que présentée par les auteurs de ces ouvrages, était une dictature totalitaire.
M. Henry: J'aimerais tout d'abord signaler aux honorables sénateurs que je suis en faveur de l'utopie lorsqu'elle est possible. Je suis favorable au progrès de l'humanité, je suis favorable à une approche raisonnable pour la résolution des problèmes humains, et je ne suis pas en faveur de la guerre. Mais je suis aussi réaliste, compte tenu de ce que cela signifie de nos jours. Je m'inquiète de la tendance qui se dessine au pays depuis une trentaine d'années. On la retrouve également dans d'autres nations occidentales, mais pour certaines raisons que j'analyse dans l'article que je vous ai distribué, il semble qu'elle ait une plus grande influence au Canada. Pour cette raison, il sera difficile de contrer cette tendance, étant donné qu'un projet comme celui-ci qui consiste à démilitariser le Musée canadien de la guerre, continuera de progresser malgré toutes les actions entreprises pour la contrebalancer.
Vous voulez des références? La meilleure que je puisse vous donner est l'ouvrage de Maurice Tugwell. Il faut se rappeler qu'il a été publié en 1988 alors qu'on vivait les événements qui ont mené à la fin de la guerre froide. Cependant, même si cette tendance n'est plus monolithique au Canada et qu'elle a été fragmentée, pour ainsi dire, les techniques acquises continuent d'être utilisées. Je ne vois pas de meilleur exemple que le succès obtenu par le lobby anti-armes à feu. Je ne suis pas content du résultat, mais je dois reconnaître qu'il a mené une campagne remarquable. Souvenez-vous de ce que j'ai dit au début de mes remarques. Les partisans de l'interdiction des armes à feu ont encouragé l'ignorance de la population, afin de mieux l'exploiter. La révolution dans le domaine des communications et de l'informatique les ont bien aidés.
Autrefois, lorsque les Soviétiques amorçaient une campagne de désinformation, une de leurs techniques consistait à faire publier par les agences de presse du tiers monde des informations qui étaient ensuite reprises par les organes de presse du monde développé. Comme vous le savez, les médias renforcent ce genre d'informations en les citant à gauche et à droite. Avant longtemps, ces informations sont connues de tous et il est impossible de persuader quiconque qu'elles sont fausses.
Par exemple, j'ai tenté des douzaines de fois, au cours des mois et années écoulés, de signaler que l'intervention en Somalie n'était pas une opération de maintien de la paix des Nations Unies. Et pourtant, honorables sénateurs, cette notion était tellement ancrée dans la conscience publique que le rapport de la Commission d'enquête sur la Somalie lui-même la cite comme une opération de maintien de la paix des Nations Unies. Cela m'amène à penser que les commissaires ont été indûment influencés par l'opinion publique. La formule est efficace.
Le sénateur Cools: Elle est efficace parce que, comme vous le dites, elle joue sur l'ignorance. De plus, elle fait également appel à l'humanité des gens.
Je m'intéresse actuellement aux informations concernant le maintien de la paix et les Nations Unies. À mon avis, l'Organisation des Nations Unies est défaillante et imparfaite.
Je suis déjà allée en Afrique du Sud avec un groupe d'observation des élections de l'ONU. Je peux vous dire que l'organisation a eu d'énormes difficultés à transporter 90 personnes d'un bout à l'autre de la ville. Une fois, cela nous a pris une journée entière. Je n'ai jamais craint autant pour ma vie que lorsque j'observais ces élections. J'ai appris quelques petites choses sur l'ONU et son fonctionnement. Et pourtant, nous appuyons tous au Canada cette initiative de maintien de la paix des Nations Unies.
Oui, le Canada a connu des succès remarquables dans le domaine du maintien de la paix, en particulier avec M. Pearson. Cependant, je ne peux pas m'empêcher de penser que nous nous laissons emporter par la vanité et la suffisance.
Vous avez soulevé la question que Doug Fisher voulait aborder ce matin afin de trouver les raisons plus générales pour lesquelles nous prenons une telle orientation.
M. Henry: J'aimerais dire aux fins du compte rendu que je ne suis pas par principe contre les Nations Unies, mais que j'ai certaines réserves, comme vous l'avez signalé.
Le sénateur Cools: Personne n'est contre un idéal louable.
Le sénateur Jessiman: Le sénateur Cools a mentionné Doug Fisher. C'est un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, comme moi. Il a fait la même chose que moi. J'ai été lieutenant dans la marine pendant trois ans et demi. Lorsque j'ai été démobilisé, j'ai repris une vie normale. Je me sentais très peu attaché à la vie militaire, même si je suis devenu membre d'une association d'officiers de marine.
Dans un sens, des gens comme Doug Fisher et moi avons une certaine responsabilité dans cette affaire. Nous n'avons pas été aussi actifs ou encourageants que nous aurions dû l'être. C'est certainement vrai dans mon cas. En effet, c'est avec réticence que j'ai accepté il y a cinq ans de siéger à ce comité. J'étais un ancien combattant, mais je ne me sentais pas aussi proche des anciens combattants que je le suis maintenant. Il faudrait dire et redire votre histoire et celle de Doug Fisher.
Mes petits-enfants me demandent toujours de leur raconter. Ils veulent savoir ce qui s'est passé. J'ai toujours hésité à le faire et je crois que j'ai eu tort. Si personne d'autre ne le fait, moi je vais utiliser le peu de temps qu'il me reste pour me rattraper, parce que je crois qu'il est important que les anciens combattants racontent leur histoire et en soient fiers. Si nous sommes libres actuellement au Canada, c'est parce que nous avons lutté pendant les guerres. Heureusement, nous étions du côté des vainqueurs. Doug Fisher l'a très bien expliqué et vous aussi.
M. Henry: Je n'ai pas fait la guerre, mais j'ai grandi pendant la guerre. J'ai 63 ans. Je crois que nous avons été très négligents en ne voulant pas comprendre ce qui s'est passé. Nous avons pensé que tout allait de soi et que tout le monde connaîtrait l'histoire militaire du Canada. Je l'ai apprise à l'école et à l'université, sans savoir que tout à coup elle disparaîtrait. Non seulement elle n'est plus enseignée, mais encore, elle est manipulée.
Le sénateur Jessiman: Vous approchez du troisième groupe d'âge. Il y a les jeunes, le groupe d'âge moyen, dont vous faites partie actuellement -- et puis le groupe des gens à qui l'on s'adresse en disant: «Ah, mais vous avez l'air bien!». C'est mon groupe.
Le président: Colonel Henry, ce fut très intéressant de vous écouter, vous et Doug Fisher, le même jour. Merci d'être venu témoigner.
Le sénateur Chalifoux: Avant que le témoin ne s'en aille, j'aimerais lui demander si nous pouvons obtenir un exemplaire du questionnaire dont il parle dans son mémoire.
Le président: Il faudra le demander au musée. Sinon, nous l'obtiendrons par l'intermédiaire de l'accès à l'information. Je ne pense pas que le Colonel Henry l'a encore avec lui.
Le sénateur Jessiman: À la page 2 de votre mémoire, vous avez parlé d'un questionnaire distribué par le personnel du Musée canadien de la guerre.
M. Henry: C'était un questionnaire très long.
En passant, j'aimerais préciser que je suis membre des Amis du Musée canadien de la guerre, membre de l'Okanagan Military Museum Society, de la Lord Strathcona's Horse Regimental Museum Society, et cetera. D'un côté, ce questionnaire très long préparé par le Musée canadien de la guerre était une bonne chose, puisqu'il permettait de constituer une base de données. Cependant, certaines questions étaient orientées. Comme je vous l'ai expliqué dans ma présentation, certaines questions ont tiré la sonnette d'alarme.
Une façon courante d'orienter les sondages consiste à poser des questions évidentes. Cela permet d'affirmer que 70 p. 100 des Canadiens sont en faveur de l'évidence. On peut également biaiser les sondages en donnant des informations confuses ou tout à fait inexactes et en posant des questions sur ces informations.
Dans ce questionnaire, il y a deux choses qui m'ont déplu. La première concerne la fréquentation. Il est désormais notoire que la fréquentation du Musée canadien de la guerre a chuté chaque année depuis dix ans. Je ne pense pas que ce soit exact. Je suis convaincu que la fréquentation a augmenté depuis deux ou trois ans. C'est un point à vérifier. Cette question a attiré mon attention et je ne pense pas que ce soit exact.
L'autre point, c'est qu'il fallait tenir compte des exigences de plusieurs autres groupes tels que les femmes, les jeunes, les francophones, et cetera. Je me suis demandé qui avait défini ces exigences et, après avoir parlé avec des représentants de ces groupes, je me suis rendu compte qu'ils étaient en faveur du Musée canadien de la guerre.
Mis à part les problèmes que connaît le Canada avec ce genre de choses, on constate une tendance dans la communauté muséale à transformer les musées en parcs thématiques.
Le président: Notre prochain témoin est un éminent personnage. Il est doyen des études supérieures à l'Université de Toronto et on me dit qu'il est un des plus grands universitaires du Canada. Lorsqu'on lui confère cette distinction, je suis sûr qu'on oublie de mentionner l'Université Dalhousie. Il est également lauréat du prix littéraire du Gouverneur général et est généralement reconnu comme un des grands experts de l'Holocauste au Canada. M. Marrus, la parole est à vous.
M. Michael Marrus, doyen des études supérieures de l'Université de Toronto: Honorables sénateurs, je vous remercie pour cette présentation trop élogieuse. Je suis ravi d'être parmi vous cet après-midi.
[Français]
Je suis très reconnaissant d'être avec vous cet après-midi. Je vais parler pour une quinzaine de minutes, et je vous invite à me poser des questions.
[Traduction]
Je vais vous présenter un bref exposé et par la suite, nous pourrons avoir une discussion.
Je suis associé au projet que l'on appelle galerie de l'Holocauste depuis environ six mois. George MacDonald m'a demandé au printemps dernier de faire partie d'un groupe consultatif. Je copréside actuellement, avec le professeur Robert Bothwell, un groupe d'universitaires chargé de faire rapport au comité consultatif.
J'ai accepté de faire partie de ce groupe parce que je crois très sincèrement dans ce grand projet. Comme je vous l'ai expliqué dans le bref exposé que je vous ai distribué, je crois que l'Holocauste est une sorte de point de repère qui permet de définir le mal en politique. L'Holocauste nous rappelle ce dont notre civilisation est capable. Dans nos sociétés occidentales, il est important de confronter le mal politique, étant donné le potentiel de notre civilisation. Il existe des musées consacrés à l'Holocauste dans divers pays d'Europe, d'Amérique du Nord et d'Amérique du Sud. Je pense qu'une telle galerie serait extrêmement importante dans l'intérêt national.
Cela dit, ce projet a suscité une controverse au pays. Je vais maintenant me tourner vers ce problème et passer en revue certains aspects qui présentent un intérêt pour vous. Tout d'abord, un des aspects de ce projet qui me plaisait le moins au départ -- et que me plaît encore moins maintenant -- est son lien avec le Musée canadien de la guerre. Il me paraît évident que l'Holocauste est un phénomène de civilisation. C'est un problème de modernité. Il nous montre ce dont notre société est capable et les autres sociétés également. Il ne concerne absolument pas l'histoire militaire canadienne.
À mesure que le débat a évolué, on a tenté d'intégrer l'Holocauste à l'histoire militaire canadienne. On prétend qu'il est important de créer une galerie de l'Holocauste afin de montrer ce pourquoi nous nous sommes battus pendant la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, l'Holocauste n'a été découvert qu'après la guerre et ce n'est que maintenant que l'on peut en évaluer toutes les conséquences. Certains comptes rendus de la libération des camps de concentration rapportent que la grande majorité des Juifs et des autres victimes de l'Holocauste ont été libérés par l'Armée rouge en Europe de l'Est.
Enfin, il y a un autre point auquel on n'accorde pas suffisamment d'importance. L'idée initiale était de faire de la galerie de l'Holocauste un musée et un mémorial. Comment peut-on créer un mémorial à l'intérieur d'un autre mémorial alors que l'objectif visé n'est pas le même dans les deux cas? Un mémorial est une structure suffisamment complexe et émotionnelle en soi; il est inutile de réunir sous un même toit deux structures privilégiant des thèmes différents. Voilà la première observation que je souhaite faire en donnant mon point de vue sur ce sujet qui en appellera d'autres.
Deuxièmement, mon point de vue sera peut-être controversé, j'éprouve un très grand malaise par rapport aux personnes chargées de ce projet que j'appuie pourtant énergiquement; et au sujet de ceux dont les motifs sont irréprochables. J'éprouve un certain malaise quand je vois les responsables du projet conclure des ententes avec certains groupes particuliers de la communauté -- comme nous en avons eu la preuve cette semaine, même si les groupes en question appartiennent à la communauté juive. Cela m'inquiète parce que je pense qu'un tel musée n'est pas une question politique à négocier avec certains groupes de Canadiens. En effet, s'il vaut la peine de créer ce musée dans l'intérêt national ou dans notre intérêt à tous, il faut le faire avec un plus grand degré de professionnalisme que ce n'est le cas normalement dans ce genre de discussions politiques. Il ne faudrait pas que ce soit un projet qui divise les Canadiens les uns contre les autres, par exemple les anciens combattants, les Juifs, les Ukrainiens et les nombreux autres groupes. Le fait de conclure des ententes différentes avec différents groupes nous prépare à coup sûr un projet qui divisera la population plutôt que de l'unir.
Troisièmement, il est important que la galerie de l'Holocauste bénéficie du plus haut degré de professionnalisme et de compétence historique et muséologique. Là encore, je pense que le Musée canadien de la guerre, institution estimée s'il en est, n'a tout simplement pas les compétences et l'expérience professionnelles, difficiles à acquérir, nécessaires pour monter un tel projet. C'est pour informer notre comité consultatif sur cette question qu'a été constitué le comité d'universitaires dont je vous ai parlé. Nous sommes largement convaincus que nous devons demander conseil à des experts étrangers en la matière. Cependant, nous avons également plusieurs experts au Canada. C'est pour cette raison que le Musée canadien des civilisations a organisé ou parrainé -- j'en étais le coorganisateur avec le professeur Bothwell -- une consultation qui a réuni dimanche dernier un certain nombre d'experts des États-Unis et du Canada ainsi que des muséologues pour étudier de quelle manière on doit s'y prendre pour créer une représentation muséologique adéquate de l'Holocauste. C'est une tâche très difficile.
Je vais conclure sur deux points positifs. Premièrement, il y aura beaucoup de débats et de controverses. Cela ne saurait nous surprendre étant donné que ce sujet est très émotif et difficile. Le New York Times de ce matin rapporte que la population allemande est divisée sur la façon de commémorer et représenter l'Holocauste. Dans tous les pays que je connais qui ont mené à bien cette tâche -- et aucun n'est plus réussi que le Musée mémorial de l'Holocauste des États-Unis à Washington, D.C. -- cela ne s'est pas produit en un jour. Il a fallu plusieurs années de débats intenses. Mais surtout, le résultat n'a pas été un musée négocié avec un certain comité, mais un musée national et indépendant établi sous l'autorité du gouvernement fédéral des États-Unis.
Ce débat nécessite du temps et je pense qu'il est important pour les groupes d'être invités à prendre part au projet à mesure que se déroule le débat.
J'ai déjà fait allusion à mon dernier point: ce projet devrait être un effort national et pas seulement celui de la communauté juive. Il faut que tous les Canadiens y participent. Ainsi, il est extrêmement important que les autres victimes du nazisme aient leur place dans ce musée. C'est vrai que le nazisme s'est particulièrement acharné sur les Juifs, mais il ne faut jamais oublier qu'il a fait également d'autres victimes. Les handicapés, les homosexuels, les gitans, les nations d'Europe de l'Est, les prisonniers de guerre soviétiques et beaucoup d'autres ont été terriblement martyrisés.
Il est très difficile de ne pas s'éloigner du sujet, de bien faire les choses, d'équilibrer le particulier et l'universel. Voici ce que j'ai à dire à mes amis politiques: il est préférable de réaliser cette tâche à l'extérieur de l'arène politique, de la confier à des professionnels qui disposent de tout le temps nécessaire pour effectuer une consultation élargie. Cependant, en dépolitisant cet exercice de construction d'un projet national censé réunir les Canadiens, il me semble que nous sommes partis sur de mauvaises bases. C'est en partie une erreur d'avoir choisi de l'installer dans le Musée de la guerre. Je pense et j'espère que nous pourrons surmonter cette difficulté et je termine en disant que ce projet en vaut vraiment la peine.
Le sénateur Jessiman: En tant que coprésident, avez-vous conseillé les responsables du Musée des civilisations à ce sujet?
M. Marrus: Nous les avons rencontrés une fois avec le comité consultatif, à Ottawa. Nous avons eu plusieurs consultations au téléphone et notre correspondance par courrier électronique est très abondante. Mais, pour répondre plus directement à votre question, j'espère que nous sommes à l'aube d'une période de consultations beaucoup plus intenses.
Le sénateur Jessiman: J'espère que vous leur exposerez ce que vous nous avez dit aujourd'hui.
M. Marrus: Je n'attends que l'occasion.
Le sénateur Jessiman: Nous les verrons demain. Nous savons que vous êtes un des coprésidents qui les conseillent. Vous avez entendu tout comme nous les représentants des anciens combattants et de la communauté juive et ceux qui sont tout aussi intéressés que vous et nous par une exposition consacrée à l'Holocauste ou un musée aux victimes de génocides. Presque sans exception, ces témoins préfèrent une entité autonome qui serait digne du grand pays qu'est le Canada.
Il est vrai que certains représentants de la communauté juive nous ont déclaré que si le Musée de la guerre était le seul endroit possible, ils accepteraient une telle solution. Ce n'est pas la solution. Ce n'est pas de cette façon que l'on peut se souvenir de l'Holocauste ni rendre hommage à tous ceux qui ont été éliminés par des génocides et ce ne sera pas un musée dont le Canada serait fier. Je pense que nous devons faire tout notre possible pour créer ce genre de musée et nous devons commencer à améliorer le musée existant pour les anciens combattants. J'espère que vous partagez mon point de vue.
M. Marrus: Absolument sénateur. Vous l'expliquez très bien.
Le sénateur Forest: Vous avez évoqué le malaise que vous avez ressenti tout au long de ce processus et de la controverse qu'il soulève. Je crois que je peux dire au nom de tous les membres du comité que nous avons ressenti la même chose. Vous avez dit qu'il ne faudrait sans doute pas régler cette question sur la scène politique. Nous regrettons tous d'avoir été saisis de ce débat. Mais maintenant que nous en sommes saisis, nous espérons entendre le point de vue de tous et être en mesure de trouver une solution, aussi bien pour le Musée de la guerre que pour le musée de l'Holocauste, comme l'a dit le sénateur Jessiman.
Je voulais tout simplement dire que nous avons ressenti le même malaise que vous. Toutefois, nous ne pouvons que constater la situation et nous espérons que vous serez en mesure d'aider toutes les personnes concernées à trouver une solution.
M. Marrus: Je vous remercie de votre encouragement.
Le sénateur Cools: Vous avez fait une réflexion très profonde. Vous avez dit que le projet a mal démarré en focalisant sur le Musée de la guerre. Puisque vous êtes un historien qui a fait de nombreuses années d'études dans le domaine, j'aimerais vous demander de commenter trois points.
Tout d'abord, qu'avez-vous à dire sur la légende qui veut que ce soient les Canadiens qui aient libéré les camps de concentration? Vous avez dit que c'était surtout l'Armée rouge.
Deuxièmement, pouvez-vous nous expliquer pourquoi la plupart des anciens combattants, les soldats, les forces armées engagés dans la guerre, ignoraient totalement cette abomination jusqu'à ce qu'ils y soient confrontés, pendant les derniers jours de la guerre?
Troisièmement, je suis une sénateur libérale et je défends farouchement mon parti. Je comprends aussi la politique et le phénomène qui consiste à réunir les gens dans l'adversité. Je considère que les attaques lancées par M. Abella au sujet de Mackenzie King sont inutiles et injustifiées. Je n'ai pas encore eu l'occasion d'en parler. Je crois que l'on parle assez souvent de l'antisémitisme de Mackenzie King. J'aimerais vous demander ce que vous pensez, mais je peux comprendre que vous soyez mal à l'aise pour traiter du troisième point.
M. Marrus: Le deuxième point porte sur ce qu'on savait des camps.
Le sénateur Cools: Oui. Les anciens combattants sont unanimes: ils ignoraient tout de l'Holocauste. Ce qui a de terrible au sujet de l'Holocauste -- et vous en parlez de manière très intelligente comme un point de repère ou une ligne de démarcation entre le bien et le mal dans notre siècle -- c'est que très peu de personnes étaient au courant.
M. Marrus: C'est dommage que nous n'ayons pas le temps, car il me faudrait la plus grande partie de l'après-midi pour répondre à votre question. En tant que professeur, vous savez où je m'en vais. Je vais essayer d'être très bref.
Votre première question concernait la libération des camps.
Le meurtre des Juifs d'Europe -- entrepris sur une grande échelle mettant en oeuvre des processus industriels pour éliminer systématiquement jusqu'à 10 000 personnes par jour -- était perpétré dans les camps d'Europe de l'Est. Ces camps ont été détruits pour la plupart par les Nazis avant l'arrivée de l'Armée rouge. Dans certains cas, Majdanek et Auschwitz étant les plus importants, les camps ont été capturés intacts.
L'objectif des Nazis était en partie de cacher l'entreprise meurtrière de l'Holocauste aux Allemands eux-mêmes qui auraient pu voir et comprendre ce qui se passait dans ces camps s'ils avaient été installés dans le Reich lui-même. C'est pourquoi ils les ont installés dans les pays de l'Est, faisant traverser toute l'Europe aux Juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas pour les assassiner là-bas. C'est donc dans les pays de l'Est qu'a eu lieu l'Holocauste.
Cependant, à la fin de la guerre, les Nazis ont vidé ces camps et entassé les prisonniers dans des camps situés en Europe centrale où se trouvaient déjà d'autres prisonniers politiques. Ce que les Alliés de l'Ouest ont découvert -- Britanniques, Américains, Français et quelques Canadiens également -- ce sont ces camps d'Europe centrale: Buchenwald, Dachau, Bergen-Belsen et beaucoup d'autres. Ces camps étaient horribles et leur découverte souleva l'indignation à l'époque, mais ce n'est pas dans ces camps que furent perpétrés des meurtres massifs, à la même échelle qu'en Europe de l'Est.
Bien entendu, les Alliés des puissances occidentales ont libéré les camps, mais ce n'était pas ceux où eut lieu la plus grande partie des massacres.
La deuxième partie de votre question est très complexe. Elle porte sur ce que l'on savait en Occident, au Canada et dans les capitales européennes, au sujet du meurtre des Juifs européens. En revanche, on peut lire dans le New York Times, à compter de l'été 1942, des articles évoquant des centaines de milliers de meurtres systématiques. Cependant, il y a un grand fossé entre la connaissance et la compréhension. On peut lire des choses dans les journaux du matin et les oublier très rapidement ou ne pas vraiment les assimiler. Des meurtres à une telle échelle étaient pratiquement inconcevables pour la plupart des observateurs raisonnables.
Certaines personnes avaient compris. À ce sujet, le premier ministre britannique Winston Churchill, un homme d'une grande intelligence et imagination historiques est un de ceux qui semblent avoir eu la plus grande intuition dans ce domaine. Churchill avait compris, mais la plupart des gens étaient à cent lieux de s'en douter. C'est pourquoi le choc fut si terrible en 1945. C'est pourquoi Eisenhower fut si dévasté qu'il invita la presse mondiale à venir filmer ces camps d'Europe centrale. C'est une question complexe à laquelle on ne peut pas répondre facilement et c'est le mieux que je puisse faire en si peu de temps.
Pour répondre à votre troisième question concernant Mackenzie King, je pense que la triste vérité est que l'antisémitisme était une sorte de donnée tacite dans de larges pans de la société. Je ne crois absolument pas que Mackenzie King était un militant anti-Juifs. Cependant, il partageait, comme bon nombre de ceux qui appartenaient à la même culture et à la même civilisation, les sentiments anti-Juifs et j'ajouterais même anti-noirs et anti-ethniques qui étaient je crois répandus et généralisés à l'époque.
Je ne suis pas un spécialiste de l'histoire canadienne et il faudrait que les historiens débattent cette question, mais je pense que l'on oublie parfois tout le chemin que nous avons parcouru en un demi-siècle. Je pense que nous sommes actuellement meilleurs. Mais, je me dis parfois que tout ceci est fragile et que certaines circonstances terribles peuvent nous faire brusquement reculer en arrière. Je crois qu'une galerie semblable à celle qu'on projette peut nous protéger contre un tel recul.
Le sénateur Chalifoux: Il y a deux points que j'aimerais éclaircir. À l'époque, le racisme était très courant au Canada, dans toutes les couches de la société. Je me souviens qu'à la maison, nous n'avions pas le droit de parler français. Mon père parlait français, ma mère parlait allemand et nous, les enfants, nous parlions le michif, mais à la maison, il fallait absolument parler anglais. Voilà comment cela se passait chez les Autochtones.
À l'époque, les réserves c'était comme les camps de concentration. Nous étions parqués, numérotés, nous n'avions pas le droit de sortir sans permission et nous n'avions pas le droit de recevoir des visiteurs. Mais tout cela, c'était une autre époque et, comme vous l'avez si bien dit, les temps ont changé.
À l'armée, je me souviens qu'un de nos soldats n'avait pas le droit de se présenter sur le terrain de parade parce qu'il était noir. Le reste du bataillon s'est ligué et a refusé de se présenter sur le terrain de parade. Le racisme était très courant. Le commandant m'avait convoquée pour me demander pourquoi j'étais amie avec la femme noire d'un soldat. Voilà comment c'était à cette époque. Les choses ont changé et j'espère que petit à petit, nous avons évolué.
Vous avez dit que ce sujet devrait être tenu à l'écart de la scène politique. De mon côté, je pense que la classe politique a un rôle à jouer dans cette affaire, d'autant plus qu'une partie de la société bureaucratique prend des décisions au nom du grand public, sans consultation ni négociation. Pour moi, le Sénat a toujours été une chambre de second examen objectif. Sans le Sénat et notre comité, la population n'aurait jamais entendu de cette affaire.
Voilà les choses que je voulais préciser.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Le sénateur Chalifoux a bien exprimé ce que je ressens. Personne ne peut mieux exprimer toute cette histoire de racisme latent ou actif.
Ce qu'elle a dit s'applique aussi bien à mon peuple. Je crois à l'existence du peuple canadien-français et des peuples autochtones. Je suis fédéraliste mais je n'oublie pas mon identité. Je veux bien être ami avec tout le monde, mais à force d'être ami avec tout le monde, on n'est ami avec personne. Vous me réconfortez. Je ne suis même pas membre du comité et j'ai été ici toute la semaine.
Vous avez dit que vous étiez de religion juive. Il est extraordinaire que j'entende parler de certaines choses et c'est même normal. Je l'ai toujours dit. On peut le soutenir sans être accusé de tous les péchés d'Israël, selon une vieille expression québécoise. Alors vous m'aidez parce que je n'ai pas souvent d'alliés quand je veux parler de certaines situations. Dans mon cas on peut mentionner la question du Moyen-Orient: amener de l'intelligence, de la compréhension des droits de chacun, cela n'enlève rien aux autres.
Vous avez touché deux points et c'est là-dessus seulement que j'aimerais entretenir une courte conversation en vous demandant la permission de continuer le dialogue par téléphone ou autrement avec vous.
M. Marrus: Je vous en prie.
Le sénateur Prud'homme: Selon vous on ne doit pas confondre le Musée de la guerre avec l'autre question qui nous a mené à siéger. Vous êtes d'accord avec moi.
[Traduction]
C'est une fausse impression que les gens semblent toujours avoir à mon sujet. Je connais l'Ouest canadien mieux que beaucoup de députés. J'y suis allé plus de 280 fois dans les endroits les plus reculés, en tant que député et sénateur.
J'aime le Canada et les différents pays qu'il contient. Je sais qu'il y a certaines sensibilités et je reconnais que nous sommes parfois hypocrites. Il y a de nombreuses années, les Canadiens ne se sentaient pas différents selon qu'ils parlaient français ou anglais, mais selon qu'ils étaient protestants ou catholiques. On a toujours prétendu que c'était une question de langue. Mais ce n'est pas le débat d'aujourd'hui.
Le Canada est unique. C'est comme un prolongement des Nations Unies. Il est composé d'immenses groupes de personnes venues du monde entier pour se donner une nouvelle identité. J'ai parlé hier soir à 400 personnes de la communauté musulmane qui étaient en majorité des sympathisants libéraux. Paul Martin a fait un discours. Le public provenait de tous les coins du monde. Notre situation est unique mais fragile. N'importe quelle question pourrait diviser du jour au lendemain les différents groupes qui peuvent réagir sans attendre les explications.
C'est en raison de la diversité de notre pays que j'assiste cette semaine à ces audiences. Il nous faudrait peut-être entendre des témoins comme le controversé Ernst Zundel. Il ne serait peut-être pas le bienvenu pour tout le monde, mais je n'hésiterais pas quant à moi à me mesurer à lui.
Cela étant dit, vous êtes une personnalité importante et vous estimez que l'exposition sur l'Holocauste devrait être présentée séparément. Peut-être serez-vous plus habile que nous à convaincre certaines personnes.
J'ai été très chagriné par le communiqué de M. Abella dans lequel il dit que les choses sont irréversibles, peu importe ce que nous déciderons. Pour moi, cela signifie que l'idée n'est pas du tout abandonnée.
La rentrée du Sénat la semaine prochaine marquera mon 34e anniversaire de service. Je connais ces ententes de coulisses. La population doit savoir et c'est la raison d'être de ces séances de comité. La presse a beau dire: «Tiens c'est encore Prud'homme». Les journalistes ne m'ont jamais appelé lorsque j'ai été élu et pourtant j'ai été élu dix fois dans ma circonscription.
[Français]
M. Marrus: J'admire votre esprit. Je répète que la confusion entre le Musée de la guerre et la galerie de l'Holocauste n'est pas dans l'intérêt de l'un ou de l'autre. À mon avis, l'Holocauste est une question de civilisation et non de tradition militaire canadienne. Je souligne, comme vous, la question de la fragilité de ces liens qui nous unissent.
[Traduction]
Je regrette que cette question se présente de cette manière, contribuant à nous diviser plutôt qu'à nous rassembler. D'un autre côté, il est normal d'avoir un débat sur cette question. Je considère Irving Abella comme un ami avec qui je ne suis pas toujours d'accord. Mais j'ai confiance que les meilleurs arguments l'emporteront d'ici la fin du débat et je suis impatient de les présenter.
Le président: D'après vos remarques, M. Marrus, il semble qu'il y ait deux débats en cours. Le premier sur l'expansion du Musée de la guerre et l'autre sur la création de la galerie ou du musée consacré à l'Holocauste. Vous avez dit que la création de la galerie de l'Holocauste américaine a été précédée d'un long débat. Je suppose que vous vous attendez à un débat plus long au sujet du musée de l'Holocauste au Canada.
Un de mes amis juifs me dit qu'un tel débat est important, car ce ne serait pas faire justice à la mémoire des six millions de victimes de l'Holocauste que de construire un musée ou une galerie mal planifié. Faudrait-il retarder l'expansion du Musée de la guerre en attendant d'épuiser totalement le débat sur ce que devrait être le mémorial de l'Holocauste?
M. Marrus: Monsieur le président, je ne suis pas en mesure de dire ce qui convient le mieux au Musée canadien de la guerre. J'ai écouté mes collègues en charge de cette institution et j'ai écouté attentivement cet après-midi les anciens combattants qui consacrent bénévolement une partie de leur temps à cette importante institution. C'est à eux de décider ce qui convient le mieux au Musée canadien de la guerre. Mon rôle est d'étudier la meilleure façon de commémorer l'Holocauste. Dans mon mémoire, j'ai tenté d'expliquer la formule qui, selon moi, correspondrait le mieux à la galerie.
J'aimerais faire un commentaire qui s'applique non seulement à ce projet, mais à la vie en général. Quitte à faire quelque chose, il faut le faire bien, si cela en vaut la peine. Il faut prendre le temps, même plus de temps s'il le faut, pour bien faire les choses.
Il y a maintenant des musées et des galeries consacrés à l'Holocauste dans le monde entier. J'en ai visité à Varsovie, à Prague, à Berlin, à Londres et à Washington. Il en existe beaucoup d'autres que je n'ai pas vus. Nous devons visiter les meilleures réalisations de par le monde et nous devons imaginer comment nous pouvons créer ici même un tel lieu ayant une valeur ajoutée canadienne. Nous devons lui consacrer tout le temps qu'il faut. J'hésiterais à interrompre ou alourdir ce processus en prenant en compte par-dessus le marché les problèmes du Musée canadien de la guerre.
Le président: Vous n'avez pas d'objection à ce que le Musée canadien de la guerre poursuive ses plans d'expansion pendant que se déroule ce débat?
M. Marrus: Absolument pas.
Le président: Je regrette les commentaires formulés par M. Abella qui ont été repris hier soir à la télévision. Il a affirmé que si aucun autre endroit satisfaisant n'est trouvé, le musée s'en tiendra à son engagement initial de créer le mémorial à l'intérieur du nouveau Musée de la guerre.
Pour moi, cela trahit un manque de souplesse. «Si je n'obtiens pas ce que je veux, le projet sera réalisé au Musée de la guerre.» Que pensez-vous de cette attitude?
M. Marrus: Je reviens à mon idée initiale. Pour moi, il faut que les choses soient bien faites. Un projet de cette envergure ne peut être subsumé dans une galerie consacrée à la tradition militaire canadienne. La commémoration de l'Holocauste a un impact totalement différent de cette institution muséale sur la civilisation et la société. Je suis arrivé à la conclusion, un peu malgré moi, que l'on ne peut pas associer les deux. Cela me paraît impossible.
Le président: Après cette réponse, je pense que je suis prêt à oublier Irving Abella et à me souvenir de M. Marrus.
M. Marrus: Je devrais peut-être terminer en disant que mon collègue Irving Abella a une opinion très tranchée. Je pense que son point de vue est sincère. Le débat est ouvert et j'espère toujours parvenir à le convaincre.
Le président: M. Marrus, je comprends pourquoi vous êtes considéré comme un grand universitaire à l'ouest du Québec. Nous avons eu l'honneur et le privilège de vous entendre cet après-midi. Je suis certain que le Sénat sera amené à participer d'une façon quelconque aux prochaines discussions sur le mémorial de l'Holocauste considéré, espérons-le, comme une entité distincte du Musée de la guerre. À ce moment-là, j'espère que nous pourrons bénéficier encore de votre point de vue. Merci d'être venu cet après-midi.
Avant d'entendre notre prochain témoin, permettez-moi de signaler que j'ai reçu le mémoire d'un de mes amis, Tony Little, de l'ARC, qui est président de l'Association des prisonniers de guerre. Nous devions entendre son témoignage, mais malheureusement, nous n'avons pas le temps. Cependant, j'aimerais déposer son mémoire et le garder au dossier d'aujourd'hui.
Le sénateur Cools: J'en fais la proposition.
Des voix: Adopté.
Le président: Monsieur Halayko, veuillez commencer votre présentation.
M. E.W. Halayko, président national, Armed Forces Pensioners and Annuitants Association of Canada: Je suis président de l'Armed Forces Pensioners and Annuitants Association of Canada, une association regroupant plus de 22 000 membres inscrits, anciens combattants, retraités des forces armées ou veuves de militaires. Je suis également ancien combattant de la dernière guerre. J'ai servi dans les forces armées de 1939 à mai 1945, au Royaume-Uni, en Sicile, en Italie et dans le Nord-Ouest de l'Europe. Je suis resté dans l'armée canadienne après la guerre et j'ai pris ma retraite en 1969. Je suis accompagné de la vice-présidence des veuves de militaires, Mme Helen Rapp qui est également une ancienne combattante de la Seconde Guerre mondiale et une bénévole au Musée canadien de la guerre. Mme Rapp est la veuve de Frank Rapp qui a servi dans l'armée de 1939 à 1945 et qui a poursuivi sa carrière dans l'armée après la guerre. Ces longues présentations ont pour but de souligner que nous sommes des anciens combattants et que nous avons un intérêt dans le Musée canadien de la guerre.
C'est en 1997, à l'assemblée générale annuelle du Conseil national des anciens combattants du Canada que j'ai entendu dire pour la première fois qu'il était question d'agrandir le Musée canadien de la guerre pour y intégrer une galerie consacrée à l'Holocauste. Ce serait peu dire que j'ai été surpris. J'ai toujours pensé que le Musée de la guerre devait être consacré uniquement à l'histoire militaire du Canada. Pendant tout le temps de la guerre, je n'ai jamais entendu parler d'une entreprise systématique d'élimination des personnes par les Allemands ou les Japonais. Ce n'est qu'en avril 1945 que l'on a découvert les atrocités commises par les Allemands et que l'on en a parlé. Je me trouvais en Europe lorsque l'on a vu pour la première les photos publiées dans les journaux. Ce que l'on appelle l'Holocauste est tout à fait différent de l'effort de guerre canadien et il n'a incité aucun Canadien à cette époque à s'engager pour servir leur pays.
Le Musée canadien de la guerre est censé être un mémorial consacré aux hauts faits des Canadiens qui ont servi dans l'armée depuis la découverte du Canada. Ce sont les héros canadiens, ces anciens combattants, qui ont construit le Canada depuis deux siècles. Finalement, le Canada est le résultat d'une guerre et il est vraiment né sur la crête de Vimy et par la suite, il a montré quel grand pays il était devenu lorsqu'un million de Canadiens se sont portés volontaires pour se battre et mourir pour leur pays et la démocratie pendant la Seconde Guerre mondiale. S'il n'y avait pas eu ces volontaires, la présente audience n'aurait pas lieu et les deux langues officielles du pays seraient l'allemand et le japonais.
Les Canadiens méritent mieux que l'actuel Musée de la guerre. Ce musée devrait être une société autonome relevant de préférence du ministère des Affaires des anciens combattants du Canada et disposant de son propre budget et de locaux beaucoup plus grands.
Notre Musée de la guerre représente une part beaucoup plus grande de notre histoire et de la culture canadienne que le Musée canadien des civilisations. C'est la mauvaise gestion ou la gestion tributaire de la société du Musée canadien des civilisations qui contribue à amoindrir le Musée canadien de la guerre. La création de la société que j'ai proposée permettrait au Musée de la guerre de prendre sous sa responsabilité tous les musées régimentaires du Canada.
On dit que toutes les capitales de l'Occident ont leur musée de l'Holocauste, y compris le musée de la guerre britannique qui lui consacre toute une aile. Ce n'est absolument pas vrai. Certains bataillons de l'armée britannique ont libéré le camp de concentration de Bergen-Belsen le 15 avril 1945. C'est cette libération, réalisée par une partie de l'armée britannique, qui est commémorée dans ce musée. Nous, les Canadiens, nous n'avons libéré aucun camp et par conséquent, nous n'avons aucun lien direct avec l'Holocauste.
La presse a accusé d'antisémitisme ceux qui s'opposent à l'utilisation du Musée canadien de la guerre pour autre chose que l'exposition des artefacts militaires. C'est un faux problème brandi par ceux qui veulent détourner le musée de sa vocation première afin d'y installer cette galerie. Je crois personnellement que la création d'une galerie consacrée à l'Holocauste dans une partie du Musée canadien de la guerre aura sans doute pour effet de diminuer l'importance de notre musée. Cela entraînera une réaction antisémite qui sera tout à fait injustifiée et inutile. C'est créer un problème dont nous n'avons pas besoin au Canada.
Si l'on juge nécessaire de créer un musée commémoratif de l'Holocauste au Canada, il faudrait qu'il soit implanté ailleurs qu'au Musée de la guerre et financé par ceux qui veulent créer une telle institution. Si l'on veut utiliser les deniers du contribuable pour créer un musée consacré à l'inhumanité des humains, il faudrait que ce musée évoque tous les génocides perpétrés depuis la nuit des temps. Depuis Genghis Khan en passant par l'Inquisition, les camps japonais, les massacres de Staline, ceux des Khmers rouges ainsi que ceux qui se produisent encore à l'heure actuelle en Afrique. Mais c'est une autre question qui ne concerne pas le Musée canadien de la guerre.
J'ai consulté à ce sujet beaucoup de gens au cours des derniers mois, y compris des anciens combattants, des retraités des Forces canadiennes et des citoyens ordinaires, dont deux survivants d'un camp de travail allemand et aucun d'entre eux n'est en faveur de la construction d'une galerie ou d'un mémorial de l'Holocauste à l'intérieur du Musée canadien de la guerre.
Avant de répondre à vos questions, je vais demander à Mme Rapp de dire quelques mots au nom des veuves de militaires.
Mme Helen Rapp, vice-présidente, Armed Forces Pensioners Annuitants Association of Canada: Je vous remercie de me donner la possibilité de présenter mon point de vue sur le projet de la société du Musée canadien de la guerre de construire une galerie consacrée à l'Holocauste dans l'espace supplémentaire dont sera doté notre Musée canadien de la guerre. Je rejette cette décision, même si je fais partie des Amis du Musée canadien de la guerre. Je suis une ancienne combattante canadienne, ayant servi quatre ans dans le Service féminin de l'Armée canadienne -- je suis veuve d'un ancien combattant et la soeur de deux soldats qui ont servi outre-mer. Je suis très fière du rôle que ma famille a joué pendant et après la guerre.
Je suis contre la création d'une galerie de l'Holocauste dans le Musée canadien de la guerre et j'estime qu'une telle galerie devrait être indépendante. Je suis aussi guide au musée, parce que je suis convaincue qu'il faut parler aux jeunes des horreurs de la guerre et rappeler aux personnes plus âgées qui semblent l'avoir oublié, le prix que les Canadiens ont payé pour que notre pays reste libre.
Je crois aussi qu'il faudrait raconter l'histoire de l'Holocauste, l'histoire de ces milliers de personnes tuées dans les camps de concentration; pas seulement les Juifs, mais aussi les personnes handicapées mentalement et physiquement, les personnes âgées et faibles, les opposants politiques du régime d'Hitler et tous ceux qui ne correspondaient pas à ses critères de race supérieure. Cependant, le Musée canadien de la guerre ne devrait jouer aucun rôle dans ce domaine. Il faudrait créer un musée uniquement consacré à l'Holocauste. Le Musée canadien de la guerre raconte notre histoire militaire et notre patrimoine depuis la création de notre pays. L'armée canadienne n'a eu aucun rôle à jouer dans l'Holocauste ni la libération des camps de concentration.
Depuis trois ans que je suis guide au Musée de la guerre, personne ne m'a jamais posé de questions sur l'Holocauste. Dans nos visites guidées, nous racontons ce que les Canadiens et Canadiennes et en particulier les membres de forces armées ont fait pour gagner la guerre et quel prix nous avons payé pour faire notre devoir. Si la Société du MCC doit créer une galerie de l'Holocauste, sa place est au Musée des civilisations. C'est à cet endroit que l'on pourrait exposer la philosophie et la politique de Hitler et les résultats qu'elles ont donnés. Ce serait un autre exemple historique de l'inhumanité dont est capable notre monde soi-disant «civilisé».
Le sénateur Forest: Le thème que vous avez présenté n'est pas nouveau, mais c'est toujours intéressant de l'entendre exposé d'un point de vue personnel. C'est un honneur pour nous d'entendre une femme bénévole et ancienne combattante de la Seconde Guerre mondiale.
Vous avez dit que l'on ne vous a jamais posé de questions sur l'Holocauste. Avez-vous noté de l'intérêt pour les expositions?
Mme Rapp: Les jeunes ont entendu parler de l'Holocauste. Nous en parlons, mais sans donner trop de détails. Cela fait partie de toutes les horreurs de la guerre. Nous insistons sur les faits d'armes des Canadiens, sur notre histoire militaire et notre patrimoine.
Le sénateur Forest: Vous avez tout à fait raison, mais s'il existait un autre musée consacré à l'Holocauste, est-ce que vous envisageriez de conserver la petite exposition sur l'Holocauste dans un musée de la guerre agrandi?
Mme Rapp: Absolument. L'Holocauste fait partie de la guerre, mais ce n'est pas pour cela que nous nous sommes battus. Il est très important que tout le monde soit au courant de l'Holocauste, mais les Juifs ne sont pas les seuls à avoir souffert. Cela reste encore à démontrer.
Le problème au Musée de la guerre, c'est que l'espace est très limité. Nous n'avons qu'une petite section pour exposer toute l'histoire de la guerre. Nos visites guidées sont très courtes mais, si les visiteurs posent des questions intéressantes, nous passons plus de temps devant certaines expositions.
Le sénateur Forest: J'ai travaillé longtemps dans l'enseignement. Pensez-vous que les enfants canadiens de la génération actuelle ne connaissent pas l'histoire du Canada aussi bien que nous à notre époque?
Mme Rapp: À l'école, j'ai appris l'histoire britannique. On nous enseignait très peu l'histoire du Canada.
Le sénateur Forest: Ici au Canada?
Mme Rapp: Oui, je suis Canadienne. Je suis née en 1925 et j'ai étudié aussi bien dans les écoles catholiques françaises que dans les écoles protestantes, selon les déplacements de ma famille. Nous avons surtout appris l'histoire de Grande-Bretagne. J'ai étudié l'histoire de France à l'université. D'un autre côté, je m'intéresse à l'histoire et j'ai beaucoup lu sur l'histoire du Canada.
Le sénateur Forest: Étiez-vous ici lorsqu'un témoin précédent a déclaré que le Musée canadien de la guerre n'aurait toujours pas assez de place même s'il pouvait disposer de tous les nouveaux espaces résultant de l'agrandissement?
Mme Rapp: C'est exact. Nous continuons à faire l'acquisition de nouveaux artefacts. On nous fait don de souvenirs, puisque la jeune génération ne sait pas quoi en faire. Et nous constatons un regain d'intérêt grâce à la télévision et aux livres. Par ailleurs, on enseigne maintenant l'histoire canadienne dans les écoles et en particulier l'attitude du Canada pendant les guerres. Nous essayons d'améliorer les connaissances des jeunes. Le jour du Souvenir, les anciens combattants vont dans les écoles. J'ai été invitée par ma petite-fille. Elle avait demandé à sa mère de lui raconter la Seconde Guerre mondiale.
Ma fille lui a dit: «Demande à grand-mère, elle sait tout à ce sujet.» Kelly m'a téléphoné et m'a demandé de venir dans son école. Je lui ai demandé si c'était un temps de partage et, comme c'était le cas, je me suis fait accompagner par un guide français, Nelson Langois, puisqu'elle fréquente une classe d'immersion française. Je suis Canadienne française d'origine, mais j'ai plus ou moins oublié ma langue maternelle. C'était des élèves de dixième année et c'était intéressant de voir comment ils ont fini par se détendre. Au début, les filles posaient plus de questions, mais les garçons ont fini par en poser beaucoup également. Par la suite, ils se sont approchés de nous, parce que nous avions apporté nos albums de photos. Nelson avait aussi apporté le casque qu'il portait à bord de son bateau. Ils ont posé des questions et ils voulaient venir au musée. Ils voulaient savoir comment s'y rendre.
Le sénateur Forest: Quand ma fille m'a demandé de venir à l'école, c'est parce qu'ils étudiaient l'abolition du Sénat.
Mme Rapp: J'avais deux frères qui étaient partis à la guerre et je me suis dit que je pourrais moi aussi faire quelque chose. J'ai menti au sujet de mon âge et cela m'a pris du temps à m'habituer à ma nouvelle date de naissance.
Le sénateur Chalifoux: C'est un plaisir de vous avoir tous les deux. J'ai remarqué que vous écoutiez attentivement les délibérations depuis deux jours. Votre organisation a-t-elle été consultée par les administrateurs du musée ou quelqu'un d'autre à ce sujet?
Mme Rapp: Non.
M. Halayko: Nous n'avons jamais été consultés. La première fois que j'ai entendu parler de tout cela, c'était en octobre, à l'assemblée annuelle du Conseil national des anciens combattants du Canada, lorsque M. Johnston a abordé le sujet. La réaction a été unanimement négative, même de la part d'un représentant des Anciens combattants juifs. Il a même dit qu'il était résolument contre. Il était pour une galerie de l'Holocauste, mais pas à l'intérieur du Musée de la guerre, parce que ce sont deux choses différentes. L'Holocauste représente le côté odieux de l'humanité et le génocide de millions de personnes. D'un autre côté, nous combattions pour la démocratie. Nous aussi, nous avons tué, mais c'était notre vie contre celle de l'ennemi. Cela soulève parfois des émotions, mais ce sont deux choses tout à fait différentes.
Je suis Ukrainien. Staline a fait mourir de faim dix millions de mes compatriotes. Aucun mémorial ne leur a été élevé, mais il faut quand même s'en souvenir. Il faudrait créer un musée consacré aux traitements horribles que les hommes peuvent infliger à leurs semblables.
Un musée de la guerre, c'est un musée militaire. J'ai visité beaucoup de musées dans le monde entier. Certains d'entre eux sont assez pauvres, surtout en Égypte. D'autres par contre sont extraordinaires, comme le musée de la guerre britannique et le musée américain. Je pense que le Canada devrait avoir un beau musée, pas un musée de quatre sous.
Je disais un peu plus tôt aujourd'hui, en buvant mon café, que nous cherchions des locaux. Puisque le sénateur Forest vient de parler de l'abolition du Sénat, je pense que le musée devrait déménager ici. On aurait beaucoup de place.
Le sénateur Chalifoux: On a évoqué ce matin la possibilité d'utiliser l'immeuble Connaught. Je vous prie de m'excuser, je suis nouvelle au Sénat et ne je suis jamais allée au Musée de la guerre, mais j'ai entendu dire que c'était le pire de tout le pays.
M. Halayko: Je ne connais pas cet immeuble, car malheureusement, je viens de London. J'ai vécu à Ottawa pendant cinq ans, mais je n'avais qu'une hâte, c'était de m'en aller. Mme Rapp connaît peut-être ce bâtiment.
Mme Rapp: Est-ce que c'est l'ancien immeuble du Conseil national de recherche, sur la promenade Sussex?
Le président: Non, c'est le bâtiment que l'on appelle généralement l'immeuble du Revenu national. Je le montre aux gens qui sont en visite en leur disant: «Regardez, c'est ici que vont vos impôts». Tout au moins, c'est là que travaillent les fonctionnaires.
M. Halayko: Compte tenu de notre histoire, nous méritons certainement un immeuble neuf. Nous parlons de choses sérieuses, nous voulons un musée de la guerre. Nous laisserons les experts s'occuper des détails. Nous méritons bien un vrai musée construit pour l'entreposage de nos artefacts militaires -- des canons à l'extérieur, et peut-être une pièce d'artillerie de sous-marin à l'intérieur, et cetera.
Nous devons disposer d'un vrai musée de la guerre avec de l'espace pour tous les artefacts depuis les guerres indiennes quand les gens s'entre-tuaient, jusqu'à l'histoire moderne. Ce serait un musée de la guerre, par opposition à un musée sur les génocides politiques comme on en voit actuellement en Afrique.
Le sénateur Chalifoux: Les nations autochtones ne se sont jamais entre-tuées.
M. Halayko: Je n'ai peut-être pas étudié dans les bons livres d'histoire. Je n'en sais rien.
Mme Rapp: Ils n'avaient pas de confédération pour les empêcher de se battre les uns contre les autres.
Le sénateur Chalifoux: Pas au Canada, mais c'est une autre histoire. Une autre fois, je vous parlerai de cet aspect de l'histoire canadienne.
Vous voulez donc de nouveaux locaux.
M. Halayko: Oui. Les anciens combattants et les Canadiens et Canadiennes qui sont restés au pays pour faire les bombes, et cetera, méritent quelque chose. C'est la culture et l'histoire du Canada. Malheureusement, on n'enseigne pas cela dans les écoles.
Quand mes arrières-petits-enfants viennent me voir, ils me demandent: «Qu'est-ce que c'est?» Je leur réponds que ce sont des médailles. «Qu'est-ce que c'est une médaille?». Je leur réponds qu'on trouve ça dans le pop-corn et je passe à autre chose.
Le sénateur Chalifoux: Comment financeriez-vous ce nouvel immeuble? D'où proviendraient les fonds?
M. Halayko: Je propose que le financement proviennent des deniers publics.
Le président: Vous proposez que la société du Musée de la guerre prenne en charge tous les musées régimentaires répartis un peu partout dans notre grand pays.
M. Halayko: Oui.
Le président: Vous nous avez dit que vous venez de London. Pensez-vous que les RCR donneraient leur musée de London?
M. Halayko: Il n'a jamais été question de donner les musées. Nous avons deux musées là-bas. Ces musées relèveraient tout simplement du Musée de la guerre, si bien qu'ils n'auraient pas à quémander quelques dollars à l'association. Ce serait une façon de coordonner toutes les expositions.
Au musée du RCR, nous avons quelques artefacts des transmissions qui appartiennent en fait au musée des transmissions. On pourrait coordonner une grande partie de ce matériel et le conserver au niveau régimentaire et ajouter d'autres éléments pour augmenter l'attrait du musée. Tous ces musées régimentaires sont animés par d'anciens soldats et un de ces jours, il n'y aura plus personne pour s'en occuper. Alors, les musées seront abandonnés. Cela aussi, c'est notre histoire.
Le président: Je partage votre point de vue pour ce qui est du financement et de la gestion, mais j'aimerais que les associations régimentaires gardent le contrôle.
M. Halayko: Je ne voudrais pas qu'ils prennent tout en charge tout d'un coup, mais qu'il y ait un superviseur qui s'assurerait que le financement est suffisant ou qu'il puisse faire certains achats. Récemment, l'association de la prévôté a décidé d'acheter une jeep et de la rénover. Cela s'est fait, mais avec l'argent des membres de l'association. Et où se trouve-t-elle? Pas au bon endroit. Elle se trouve au Musée General Motors à Oshawa, alors qu'elle devrait être exposée dans un musée militaire.
Le président: Merci pour vos exposés. Notre prochain témoin est M. Gordon MacDonald, vice-président national des Amputés de guerre.
M. Gordon MacDonald, vice-président national, Les Amputés de guerre du Canada: Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner la possibilité de présenter le mémoire des Amputés de guerre du Canada. Je représente aujourd'hui M. Laurie Raspberry, le président national des Amputés de guerre du Canada qui, étant pris ailleurs ne peut être ici aujourd'hui. Je suis membre du Conseil national des anciens combattants du Canada. Je suis membre des Amputés de guerre du Canada depuis 1945 et je crois être capable de représenter cette fière organisation.
J'ai demandé à notre président-directeur général M. Clifford Chadderton et à l'avocat de notre association M. Brian Forbes de m'accompagner.
Les Amputés de guerre du Canada rejettent la présentation faite par le Congrès juif canadien au sous-comité du Sénat, le 4 février 1998. M. Irving Abella, professeur à l'Université York, a présenté un mémoire dans lequel il déclare que le Congrès juif canadien ne serait pas opposé à la création à Ottawa d'un musée indépendant consacré à l'Holocauste. Selon nous, toutefois, sa position est équivoque. Il déclare dans son mémoire que s'il n'est pas possible de trouver un emplacement satisfaisant, le Congrès juif canadien prierait instamment le gouvernement du Canada d'honorer son engagement initial et de créer une galerie de l'Holocauste à l'intérieur du nouveau Musée canadien de la guerre.
Cela nous laisse à penser que le Congrès juif canadien et en faveur de la proposition du Musée canadien des civilisations. Nous ne pouvons par conséquent considérer que le point de vue de cette organisation se prête à une véritable conciliation et qu'elle serait acceptable pour les membres de notre organisation.
Pour en venir aux faits, M. Abella a assuré le comité du Sénat que son objectif premier continuait d'être l'inclusion de la galerie de l'Holocauste dans le Musée canadien de la guerre. Il nous apparaît donc que, malgré le commentaire conciliant émis par le Congrès juif canadien concernant la création possible d'un musée «indépendant», le commentaire de M. Abella concernant l'objectif premier de la création d'une galerie de l'Holocauste dans le Musée de la guerre révèle qu'une option autre que celle annoncée par le Musée canadien des civilisations ne représente qu'une mince possibilité.
Notre point suivant concerne la nomination de l'honorable Barney Danson. C'est avec plaisir que nous avons noté dans les médias l'annonce, apparemment faite par la ministre du Patrimoine Sheila Copps, de la nomination de l'honorable Barney Danson au conseil d'administration du Musée des civilisations. M. Danson est bien connu de notre organisation. C'est un fier ancien combattant juif et ancien ministre de la Défense nationale.
Selon cette annonce, M. Danson servirait de médiateur afin de régler le différend actuel. Cela nous paraît acceptable, bien que cela puisse être interprété comme une tentative de se substituer au rôle du comité sénatorial.
Monsieur le président, permettez-moi de faire maintenant une pause. Un grand nombre de ces questions ayant été évoquées devant vous ces jours derniers, j'aimerais m'arrêter pour vérifier si vous avez des commentaires ou des questions à formuler au sujet de ce que j'ai dit jusqu'à présent.
Le sénateur Jessiman: La nomination de M. Danson mérite vraiment quelques éclaircissements. Je crois qu'il a été nommé au conseil. Je crois qu'en octobre dernier, le conseil lui-même a nommé comme conseillers certains de ses propres membres. Étant donné qu'il y avait une vacance au sein du conseil, M. Danson a été nommé comme un des onze membres du conseil lui-même. Il a aussi été nommé au comité consultatif composé de cinq ou six membres et il est possible qu'il préside ce sous-comité du conseil. Cependant, en tant qu'arbitre, il n'a pas plus de pouvoirs qu'aucun autre membre. Le sous-comité aura seulement un rôle consultatif. La suite des événements sera intéressante, car s'il a été officiellement nommé arbitre, il n'aura aucun pouvoir à moins qu'on lui attribue un rôle autre que celui de membre du conseil lui-même et membre du sous-comité du conseil. J'ai lu les règlements et ce comité agira seulement à titre consultatif. Nous espérons que d'autres pouvoirs lui seront conférés ou qu'il fera l'objet d'autres nominations. Peut-être quelqu'un pourrait-il donner d'autres précisions.
M. Cliff Chadderton, président-directeur général, Les Amputés de guerre du Canada: Tout d'abord, nous ne pouvons faire autrement que de vous signaler que la nomination de Barney Danson peut être considérée -- et les médias l'ont interprétée de cette manière -- comme une tentative de renverser les travaux du sous-comité. Comme je l'ai déjà dit, ce comité est très important et tous les Canadiens ont les yeux tournés vers lui.
Le sénateur Jessiman: Vous voulez parler du sous-comité du Sénat et non pas du sous-comité du conseil.
M. Chadderton: Tout à fait. Je ne peux m'empêcher de remarquer que Sheila Copps a fait cette annonce en plein milieu des délibérations du sous-comité -- et certains d'entre nous ont passé de cinq à six mois à se préparer en vue de ces délibérations. Dans son communiqué, elle précise qu'un des rôles clés de M. Danson sera de présider le comité consultatif du Musée canadien de la guerre et de fournir des conseils sur toute autre question relative au Musée canadien de la guerre.
On peut se demander tout d'abord pourquoi faire une telle annonce tandis que le comité tient des audiences pour tenter de trouver une solution? Deuxièmement, lorsque j'ai comparu devant vous à titre de président du CNACC, j'ai émis quelques doutes au sujet de ce comité consultatif composé de deux anciens généraux et d'un ancien colonel qui n'ont ni les uns ni les autres aucune expérience du combat. Tout le pouvoir est entre les mains de Mme Claudette Roy, de M. George MacDonald et bien entendu de M. Joe Geurts qui siègent tous au conseil d'administration. Voilà de quoi il était question au moment de ma comparution, mardi. Entre mardi et aujourd'hui, la ministre du Patrimoine canadien a nommé un autre membre au conseil d'administration de la société mère et cette personne est Barney Danson.
Tout ce débat a lieu depuis le 1er novembre. Dans sa première déclaration publique, Barney Danson s'est dit totalement en faveur de la création de la galerie de l'Holocauste dans le Musée de la guerre. On l'a fait venir à Ottawa et il a certainement eu des entretiens avec George MacDonald. Je cite Barney Danson qui est un de mes vieux amis. À son retour, il a écrit au Toronto Star une lettre qui a été publiée et qui se trouve dans la documentation que je vous ai apportée. Dans cette lettre, il dit qu'après réflexion la galerie de l'Holocauste ne devrait pas être située dans le Musée de la guerre.
Puisqu'il a déclaré publiquement qu'il ne souhaite pas que la galerie de l'Holocauste soit située dans le Musée de la guerre, nous serions censés, nous autres les anciens combattants, penser qu'il est de notre côté plutôt que de l'autre, si vous me permettez l'expression.
Je crois que du fait de sa nomination et de l'utilisation de termes tels que «médiateur» et «conseiller sur toutes les questions relatives au Musée canadien de la guerre», Barney Danson, ancien ministre de la Défense nationale, ancien combattant ayant participé au débarquement comme moi, avec les Queen's Own Rifles, se trouve dans une position très délicate.
D'autre part, je pense qu'on ne peut pas ignorer non plus le fait qu'il soit juif. Il en est très fier et le mentionne souvent. Voilà qui devrait achever de nous convaincre.
Le sénateur Jessiman: Il faudra qu'il bénéficie d'une autre nomination, car il n'est rien que le président d'un sous-comité du conseil d'administration, ou d'un comité consultatif du conseil. Il est un simple membre, il ne peut pas contrôler ce comité à moins qu'on lui en donne le pouvoir.
M. Chadderton: Il est un des neuf ou dix membres du conseil d'administration. Il est possible qu'il ait été nommé, comme l'a signalé le CNACC mardi, parce qu'aucun autre membre du conseil d'administration du Musée canadien des civilisations n'avait d'expérience dans les questions militaires. À présent, Barney Danson est membre du conseil.
Le sénateur Jessiman: Il peut être mis en minorité. Le conseil actuel peut décider d'assouplir la déclaration publique que nous avons reçue. Cette déclaration n'est devenue publique que parce que nous l'avons reçue par télécopieur, que quelqu'un l'a lue et l'a transmise à la presse. Enfin, nous l'avons lue aux fins du compte rendu. C'est une déclaration du Musée canadien des civilisations, bien que trois autres membres y soient nommés: le Congrès juif, les Anciens combattants juifs et le B'nai Brith.
Cette déclaration précise que le Musée des civilisations, la société mère, ne change pas d'opinion. Nous devons entendre ses représentants demain. Il se peut qu'ils changent d'avis et espérons qu'ils l'ont déjà fait. Le gouvernement a déjà assoupli sa position d'une certaine manière en nommant M. Danson au conseil dans des fonctions consultatives. Mais s'il devient arbitre, et un de ses mémoires estime que ce serait acceptable -- je pense que c'était le vôtre monsieur -- je suppose qu'il décidera, s'il a le choix, après avoir lu tous les témoignages que nous avons entendus et qu'il aura à sa disposition, de ne pas installer la galerie de l'Holocauste dans le Musée de la guerre.
M. Chadderton: Je ne sais pas si c'était volontaire, mais le Musée canadien des civilisations a réussi à voler la vedette en plein milieu des audiences de votre comité. Je me suis demandé ce que nous faisions ici. M. Abella a commencé par dire hier qu'il serait satisfait par la création d'un musée indépendant. Ensuite, il est revenu en disant que si ce n'était pas possible, il voulait que le gouvernement s'en tienne à son engagement initial.
Nous avons préféré soulever ces questions qui nous paraissaient trop importantes pour être passées sous silence, plutôt que de laisser notre président national lire la suite de son mémoire. Nous sommes une des dernières organisations d'anciens combattants à comparaître.
Le sénateur Jessiman: J'espère que vous serez ici demain.
M. Chadderton: J'étais ici toute la semaine j'y serai encore demain.
Le président: Je ne sais pas si j'ai bien compris. Avez-vous bien dit que M. Danson a dit dans une de ses premières déclarations qu'il était en faveur de la création de la galerie de l'Holocauste au sein du musée?
M. Chadderton: Oui, c'est ce qu'il a dit dans une lettre au Toronto Star.
Le président: Dans ce cas, tout ce que je peux dire, c'est qu'il nous donne l'impression que la conversion de saint Paul sur le chemin de Damas n'a pas été très difficile.
M. Chadderton: Après avoir parlé avec M. Danson, je suis parvenu à la conclusion qu'il ignorait que les associations d'anciens combattants étaient contre l'inclusion de la galerie de l'Holocauste dans le musée. Une fois qu'il en a pris conscience, il a voulu se rétracter et changer d'opinion. C'est alors qu'il a écrit une longue lettre au Toronto Star dans laquelle il dit: «En tant qu'ancien combattant juif, je suis très fier de notre patrimoine militaire et je pense que le Musée canadien de la guerre devrait mettre ce patrimoine en valeur. Et si nous devons construire une galerie de l'Holocauste, il faudrait qu'elle soit située ailleurs.»
Le sénateur Cools: Permettez-moi de présenter une question complémentaire à celle du sénateur Jessiman. Je crois que vous lisez le communiqué de la ministre. Est-ce que ce communiqué précise quelle sera la tâche de M. Danson? C'est inhabituel.
Pourriez-vous le lire aux fins du compte rendu?
M. Chadderton: Oui, je peux vous lire les deux premiers paragraphes.
La ministre du Patrimoine canadien Sheila Copps annonce aujourd'hui -- 6 février -- que l'honorable Barnett J. Danson est nommé au conseil d'administration du Musée canadien des civilisations.
C'est daté du 6 février.
Le sénateur Jessiman: C'est demain.
M. Chadderton: En effet. Si vous voulez savoir comment je l'ai obtenu, demandez-le à mon expert en communications.
La ministre Copps a précisé qu'un des rôles principaux de M. Danson sera de présider le comité consultatif du Musée canadien de la guerre et de le conseiller sur toutes les questions relatives au Musée canadien de la guerre. La création du comité consultatif a été annoncée par Adrienne Clarkson, présidente du Musée canadien des civilisations, le 24 novembre 1997.
Le président: Je suis désolé sénateur Cools, mais je dois vous avertir que nous ne disposons plus que de dix minutes pour ce groupe de témoins qui n'est pas encore rendu à la moitié de son mémoire. Nous pouvons soit leur poser des questions, soit les laisser terminer la lecture de leur mémoire. Je préférerais qu'ils terminent leur exposé.
Le sénateur Cools: Alors terminez votre mémoire, mais ne vous inquiétez pas, parce que nous avons consacré une grande partie de la matinée de lundi à examiner les relations sans lien de dépendance entre la ministre et le musée.
M. Chadderton: Permettez-moi monsieur le président de préciser que notre vice-président a décidé de ne pas présenter le reste de son mémoire, étant donné que vous l'avez déjà par écrit.
M. MacDonald: Monsieur le président, j'aimerais demander à l'avocat de notre association, M. Brian Forbes, de poursuivre, étant donné qu'il a un argument à présenter.
M. Brian Forbes, directeur général, Les Amputés de guerre du Canada: Monsieur le président, en compagnie de toutes les autres organisations d'anciens combattants et de tous les autres groupes intéressés, nous espérons soumettre cette question au sous-comité du Sénat afin d'obtenir une quelconque résolution, une direction ou quelques conclusions susceptibles d'être utiles à la société du Musée canadien des civilisations.
Tout à coup, en plein milieu de ce processus, un médiateur est nommé. Le communiqué utilise bien le terme «médiateur». Nous ne savons pas exactement avec qui il devra exercer ses fonctions de médiateur. Plusieurs groupes étant intéressés, la tâche de médiation risque d'être monumentale.
Nous avons demandé au sous-comité du Sénat de présenter des conclusions ou une direction. Nous avons peine à croire que le Musée canadien des civilisations ait désigné un médiateur. Nous avons utilisé le terme «renverser». Votre rôle en effet a été renversé. Cette intervention pendant votre première semaine d'audience nous paraît et vous paraît aussi sans doute un peu injurieuse.
Vous pourrez demain poser la question aux représentants qui comparaîtront devant vous mais, en tant que juriste, je peux vous dire que le concept de médiation est un concept différent de la comparution devant un organe parlementaire tel que le Sénat qui ne consiste pas à demander de l'aide pour résoudre un problème.
Le président: Avant de poursuivre, puis-je demander une motion visant à inclure le reste du mémoire du témoin dans le compte rendu?
Le sénateur Prud'homme: Monsieur le président, j'en fais la proposition et demande d'inclure également le communiqué daté du 6 février.
Le sénateur Jessiman: C'est difficile à lire. Je pense que ce doit être le 4 février. Ce communiqué n'utilise pas le terme «médiateur», mais membre du conseil et président. C'est un autre communiqué qui fait état de «médiateur». Il nous faudrait également ce communiqué afin de l'inclure dans le compte rendu. Je ne comprends pas comment le gouvernement peut nommer un président d'un organe indépendant.
On vient juste de me faire parvenir une coupure du Ottawa Sun du 4 février qui se lit en partie comme suit:
[...] le gouvernement vient de nommer l'ancien ministre de la Défense Barney Danson, qui est également juif, membre du conseil d'administration du Musée des civilisations, afin de servir de médiateur dans le différend.
Ces deux documents devraient être gardés au dossier du sous-comité pour référence.
Le sénateur Prud'homme: En tant que Canadien, j'en ai vraiment assez de ces communiqués contenant des descriptions raciales. À quoi cela sert-il? M. Danson est un ami de longue date. Il s'est toujours présenté comme un bon Canadien de religion juive. Pourquoi faire de telles annonces au milieu d'une très importante audience du Sénat? Cela ne signifie pas que nous sommes pour ou contre. Au moins, nous vous donnons du temps. C'est ce que le Sénat fait de mieux. Je suis prêt à le répéter, même si la population, la presse ou quiconque ne partage pas mon avis.
C'est comme si quelqu'un nous tirait dans le dos. D'abord, on nous parle d'un communiqué de quatre paragraphes. On ne sait pas de quoi il traite ni d'où il vient. Cela ne nous a absolument pas déstabilisés. Et puis, un autre communiqué arrive au milieu de la semaine. Mais quel est ce jeu? J'en dirai plus demain. On a l'impression d'avoir affaire à un enfant qui cherche à se défiler après avoir été pris la main dans le sac.
M. Chadderton: Monsieur le président, nous considérons cela comme une insulte au sous-comité. C'est également un exemple des difficultés que nous avons rencontrées. C'est le 18 décembre et auparavant le 4 novembre que nous avons communiqué officiellement pour la dernière fois avec un représentant du Musée canadien de la guerre ou du Musée canadien des civilisations.
Puisque Barney Danson a été nommé président de ce comité consultatif, je suppose que vous serez en mesure de savoir demain si nous pourrons communiquer directement avec lui en tant que président de ce comité consultatif. S'il relève du conseil d'administration du Musée des civilisations, sa nomination risque de causer encore plus de confusion qu'actuellement.
Le sénateur Prud'homme: Monsieur, vous êtes un homme d'une compétence remarquable. Vous avez répondu à votre propre question. Pensez-vous que si nous leur posons la question demain, ils nous répondront par la négative? Afin de mieux neutraliser ce que nous essayons de faire, ils répondront: «Bien entendu».
M. Chadderton: Monsieur, je connais moi aussi Barney Danson. En ce moment, je ne sais pas s'il a un mandat. Si Adrienne Clarkson vous dit demain que les organisations d'anciens combattants et autres groupes intéressés pourront communiquer directement avec M. Danson, cela nous aidera beaucoup et facilitera grandement la tâche de M. Danson.
Le sénateur Prud'homme: Je regrette que l'on place un ami et collègue très estimé comme Barney Danson dans une situation aussi délicate. Quoi qu'il fasse, il est perdu. C'est de l'opportunisme.
Le sénateur Cools: Quand les fonctionnaires du ministère étaient ici, sénateur Prud'homme je leur ai posé des questions sur le sens de la relation sans lien de dépendance. Comme je le leur ai proposé alors, il serait peut-être utile de demander à un témoin de nous expliquer la notion de relation sans lien de dépendance telle que contenue dans la Loi sur la gestion des finances publiques.
M. Chadderton nous a dit qu'une personne a été nommée comme médiateur pour régler un différend. Une personne nommée au conseil d'administration d'un musée ou à un conseil consultatif a reçu une mission particulière, un ordre particulier. Il n'y a rien d'indépendant dans tout cela.
On devrait peut-être étudier cette loi d'un peu plus près. Je vais y réfléchir. À dire vrai, je viens tout juste de demander qu'on aille me chercher la Loi sur la gestion des finances publiques.
Le sénateur Forest: Il faut bien faire la différence entre le communiqué et l'interprétation qu'en donne la coupure de journal.
M. Forbes: Monsieur le président, vous avez entendu l'exposé du CNACC mardi. M. Chadderton a présenté son point de vue et recommande que le processus de prise de décision concernant le Musée canadien de la guerre soit profondément réévalué. Il y a maintenant ostensiblement un ancien combattant illustre -- M. Danson, un Canadien remarquable -- qui siège au conseil consultatif du conseil d'administration. Je ne suis pas certain qu'il ait le poids nécessaire en vertu de la constitution de la Société du Musée canadien des civilisations. Nous avons demandé au Sénat de déterminer s'il faudrait réévaluer toute la structure de prise de décision telle qu'elle s'applique au Musée canadien de la guerre. Nous avons affirmé que les Affaires des anciens combattants ont un rôle à jouer. Nous avons demandé que le conseil soit composé de personnes qualifiées ayant de l'expérience et des connaissances dans le domaine de l'histoire militaire du Canada. Ce sont là des questions fondamentales que nous devons prendre en considération. C'est une tâche extrêmement difficile, même pour une personne bien intentionnée qui se trouve être un Canadien remarquable, et je ne suis pas certain que cela réponde même à la question fondamentale.
Il ne s'agit pas de répondre à une seule question. Que ce passera-t-il l'an prochain lorsque surgira une autre question, ou dans cinq ans? Comment cette structure réagira-t-elle à ces questions? Je suggère dans nos recommandations, comme cela a été proposé mardi, que nous tentions de trouver une solution, non seulement à la controverse qui sévit actuellement, mais également à toutes les questions concernant le Musée de la guerre.
Le sénateur Forest: M. Forbes, vous avez proposé un conseil autonome pour le Musée de la guerre plutôt qu'une structure affiliée.
M. Forbes: Je pense que c'est fondamentalement important.
Le président: Je vous remercie de votre présentation.
Nous entendrons maintenant le colonel Brian MacDonald, retraité. Bienvenue, colonel MacDonald.
Je vous invite à nous présenter les grandes lignes de votre mémoire et à nous laisser ensuite un peu de temps pour que nous puissions vous poser des questions.
Le colonel Brian MacDonald (retraité): Monsieur le président, je vais d'abord vous résumer mon mémoire et je m'attarderai par la suite sur un ou deux points que je juge particulièrement essentiels.
Comme tous les Canadiens sensibles, je suis consterné par cette controverse qui ne peut que semer la discorde et qui est de plus, à mon avis, complètement inutile. Elle attise les flammes de l'antisémitisme et ternit sérieusement l'image des anciens combattants de notre pays, deux conséquences que je trouve extrêmement désolantes.
Au-delà de ces considérations, il m'apparaît que ce débat a aussi des conséquences philosophiques, dont j'aimerais vous parler plus longuement aujourd'hui. Il me semble en effet que cette controverse menace l'idéal même du service militaire au Canada.
J'ai eu le très grand plaisir, à quatre reprises, de déposer la couronne du Souvenir sur le monument commémoratif situé à l'extérieur de la maison de John McCrae, à Guelph, et de participer ensuite au reste des cérémonies officielles; j'ai notamment présenté un discours devant la légion John McCrae dans les jours précédant le jour du Souvenir, puis lors des cérémonies organisées par la ville de Guelph le jour même. Vous comprendrez sûrement que cela a été pour moi une expérience extrêmement émouvante. J'avais pris grand soin, dans la rédaction de ces discours, de chercher une signification qui allait plus loin que la simple notion de sacrifice, pour essayer de trouver un sens à ce sacrifice et de définir le but qui le sous-tendait. À mon avis, c'est peut-être sur cette dimension-là que nous devons nous attarder davantage.
Une de ces cérémonies s'est déroulée immédiatement après la guerre du golfe Persique et la participation du Canada à ce conflit. En préparant mon discours pour cette occasion, je me suis mis à songer aux deux grands philosophes religieux du Moyen <#00C2>ge qui ont réfléchi à cette question et qui ont le mieux défini, à mes yeux, la notion de guerre juste. Je veux parler de saint Augustin et de saint Thomas d'Aquin.
J'ai donc essayé d'appliquer à notre participation à la guerre du Golfe cette notion définie par saint Thomas d'Aquin qui, comme vous le savez, avait énoncé trois conditions pour qu'une guerre soit juste: son mandat, sa cause et son intention doivent être légitimes.
Premièrement, dans le cas de la participation canadienne à la guerre du Golfe, nous avions un mandat juste et légitime parce que nous agissions non seulement de notre propre chef, mais également sous l'autorité des résolutions de l'ONU, l'organisme qui s'apparente le plus pour le moment à un gouvernement mondial, quelles que soient ses limites. Deuxièmement, la légitimité de la cause était tellement évidente qu'il s'est trouvé très peu de gens pour la contester, à part les spécialistes des affaires publiques de Saddam Hussein. Nous étions en présence d'un crime monstrueux, à s'avoir l'invasion d'un pays voisin plus faible, auquel s'ajoutaient toute une série d'atrocités perpétrées non seulement contre des militaires, mais également contre des civils -- hommes et femmes -- de tous les âges. Troisièmement, quand on examine les actions de la coalition pendant cette guerre, il est clair que la condition relative à l'intention légitime a aussi été respectée. La coalition n'a rien fait pour exercer une domination impérialiste, ni pour outrepasser les limites de la résolution des Nations Unies. Une fois son objectif atteint, c'est-à-dire une fois les forces irakiennes boutées hors du minuscule territoire du Koweit, elle a mis fin à ses opérations.
J'ai donc dit dans mon discours que, dans ce contexte, les agissements des Canadiens qui ont participé à cette guerre permettent de conclure que ceux-ci ont respecté toutes les conditions énoncées par saint Augustin pour qu'une guerre soit juste et légitime. D'ailleurs, je dirais que toutes les guerres auxquelles le Canada a pris part étaient légitimes. Nous n'avons jamais eu de visées impérialistes. Nous nous sommes toujours battus pour essayer de redresser des torts; nous nous sommes toujours mis au service du bien pour tenter de rétablir le statu quo.
Ce qui m'amène aux commentaires de Sean Henry au sujet du mouvement pacifiste canadien. Pendant mes longues années à la direction de l'Institut canadien des études stratégiques, j'ai probablement eu beaucoup plus de contacts directs que Sean avec les pacifistes et je reconnais que leur point de vue est différent du mien. Néanmoins, nous pouvons échanger des idées et apprendre les uns des autres. C'est en tout cas ce que j'ai vécu personnellement les nombreuses fois où j'ai été invité à des activités organisées par ce mouvement. J'ai même présenté en juin dernier, dans le cadre d'une conférence sur la science au service de la paix, un exposé inspiré de l'ouvrage que j'ai publié l'an dernier, Military Spending in Developing Countries, How Much is Too Much, à la suite de travaux que j'ai effectués pour l'Agence canadienne de développement international. Dans nos échanges d'idées, nous avions des points de vue différents, mais nous nous sommes quand même écoutés mutuellement. Chacun a écouté les arguments de l'autre, et nous avons tenté de répondre à ces arguments. Quand nous sommes repartis, nous étions prêts à réviser notre position sur un ou deux points.
À mon avis, les objectifs des pacifistes sont louables et leur contribution est importante. Nous en serions tous appauvris s'ils ne participaient pas au débat. Mais, en même temps, le concept de paix juste ne fait pas encore partie de notre monde. Les horribles génocides que nous avons vus en Bosnie, en Croatie et en Serbie, de même qu'au Rwanda, au Burundi et au Congo nous rappellent que nous sommes vraiment très loin de l'état de perfectibilité humaine qui est le précurseur nécessaire d'un véritable état de paix juste et universelle.
Permettez-moi de vous citer saint Augustin, que j'ai laissé de côté jusqu'ici. Comme nous le rappelle saint Thomas d'Aquin dans sa Summa Theologiae: «c'est pourquoi Augustin déclare que la passion de faire souffrir, la soif cruelle de vengeance, le pillage et la dureté implacable, la fièvre des bouleversements, la soif du pouvoir et les autres motivations de ce genre sont à juste titre condamnés en temps de guerre.»
Il se pourrait très bien, honorables sénateurs, que les Canadiens soient appelés un jour à reprendre les armes pour livrer une guerre juste et légitime, et à faire les mêmes sacrifices -- quoique peut-être pas en aussi grand nombre -- que ceux qui les ont précédés.
Nous en revenons donc au fameux commentaire de saint Thomas d'Aquin au sujet du fait que la paix n'est pas une vertu, mais bien le résultat de la vertu. C'est cette quête de vertu, précurseur nécessaire de la paix, qui est la raison fondamentale de tous les sacrifices consentis par les militaires canadiens au cours des guerres passées.
Au Musée canadien de la guerre, nous devrions à mon avis mettre l'accent non seulement sur le patrimoine militaire canadien, sur les objets intéressants qui s'y trouvent, sur les actes de bravoure et les sacrifices consentis, mais aussi sur la vérité fondamentale qui sous-tend l'idéal du service militaire, la vérité fondamentale de la guerre juste et légitime.
Dans ce contexte, donc, ce serait à mon avis une erreur, tant sur le plan philosophique que du point de vue stratégique, de laisser la direction et l'administration du Musée canadien de la guerre à qui que ce soit d'autre qu'à des personnes qui croient elles-mêmes profondément à ce concept de guerre juste.
Je me réjouis de la nomination de l'honorable Barney Danson au conseil d'administration de la Société du Musée canadien des civilisations, avec des responsabilités particulières concernant le Musée canadien de la guerre. Je connais personnellement M. Danson, et sa carrière est un vivant exemple des qualités nécessaires et souhaitables pour la sauvegarde des idéaux que représente le Musée canadien de la guerre.
Je suis cependant d'accord avec le témoin précédent, quand il a dit que M. Danson n'aura quand même qu'une voix -- et un vote -- au conseil. Il y est en minorité. Le conseil se compose toujours en majeure partie de personnes qui ont soit activement participé, soit acquiescé aux décisions ayant donné lieu à cette regrettable controverse nationale. J'ai pleinement confiance dans la prudence et le jugement de M. Danson, mais je ne peux malheureusement pas en dire autant des autres membres du conseil d'administration du Musée canadien des civilisations.
Par conséquent, je suis d'avis que la direction et l'administration du Musée canadien de la guerre devraient être transférés du ministère du Patrimoine canadien à celui des Anciens combattants, dont la vision philosophique du monde est à mon avis plus conforme aux principes de la guerre juste. Je crois également que M. Danson ferait un excellent candidat au poste de premier président du conseil d'administration du nouveau Musée canadien de la guerre, qui relèverait du Parlement par l'entremise du ministre des Anciens combattants.
Le président: Merci beaucoup, monsieur MacDonald. Je vous signale que saint François d'Assise a dit lui aussi qu'il était possible de mener une guerre juste. Les gens du musée l'ont peut-être oublié. Vous nous avez rendu service en rappelant non seulement aux membres du comité, mais aussi aux gens du musée qu'il y a des guerres justes et légitimes, et qu'elles sont un gage de paix. Merci beaucoup.
Le sénateur Jessiman: Êtes-vous familier avec le rapport du groupe de travail qui s'est réuni pendant sept mois en 1991?
M. MacDonald: Non, je ne l'ai pas vu.
Le sénateur Jessiman: Une des recommandations que ce groupe a présentées en 1991, et que j'ai déjà lue bien des fois pour le compte rendu, c'est que le ministre des Communications -- mais il pourrait s'agir tout aussi bien du ministre des Anciens combattants ou de celui de la Défense nationale -- dépose un projet de loi visant à faire du Musée canadien de la guerre un musée distinct ayant son propre mandat.
M. MacDonald: J'appuie cette proposition sans réserve. Je n'ai rien à reprocher personnellement aux membres de la Société du Musée canadien des civilisations. Mais je ne suis pas convaincu que leur vision philosophique fondamentale du monde s'accorde avec le concept de guerre juste. Je crois par exemple que le mouvement pacifiste est un élément utile et nécessaire dans le débat canadien, mais j'estime que la guerre est une chose trop sérieuse pour qu'on la laisse entre les mains des pacifistes.
Le sénateur Prud'homme: Je suis heureux de vous revoir, monsieur MacDonald.
Croyez-vous que le Musée de la guerre devrait faire cavalier seul?
M. MacDonald: Oui.
Le sénateur Prud'homme: Tout le monde semble d'accord pour dire qu'il devrait y avoir quelque chose pour commémorer l'Holocauste, mais que cela ne devrait pas être au Musée de la guerre.
M. MacDonald: C'est ce que je pense.
Le sénateur Prud'homme: Cela pourrait être au Musée canadien des civilisations, ou alors dans un endroit complètement indépendant.
M. MacDonald: Oui.
Le sénateur Prud'homme: Si c'est quelque chose d'indépendant et que c'est financé par le gouvernement fédéral, pensez-vous qu'il y aura d'autres groupes, dans notre société de plus en plus multiculturelle, qui voudront aussi y être représentés?
M. MacDonald: Dimanche dernier, j'ai présenté un exposé à l'occasion d'une conférence organisée à Toronto par la communauté asiatique de la ville. Cette conférence était consacrée au souvenir de l'holocauste japonais. Mon exposé portait plus particulièrement sur l'holocauste japonais et le patrimoine canadien. J'y disais que notre politique d'immigration avait connu depuis les années 60 des changements profonds, qui ont profondément influencé avec le temps notre structure démographique. J'y soulignais par exemple qu'il y a aujourd'hui, d'après Statistique Canada, plus de Canadiens d'origine chinoise que de Canadiens d'origine ukrainienne. Il y a plus de Canadiens d'origine philippine que d'origine grecque. Nous devons comprendre et accepter que tous ces nouveaux Canadiens, qui arrivent ici en provenance de différentes régions du monde, apportent chacun une pierre différente à la mosaïque de notre patrimoine national.
À cette conférence, il y avait deux Canadiens d'origine philippine qui avaient participé à la marche de la mort de Bataan, aux Philippines. Les expériences vécues par les anciens combattants de Hong Kong sont maintenant intégrées à notre patrimoine national. À mon avis, la participation de ces gens à la marche de la mort de Bataan et la participation de nombreux Canadiens d'origine chinoise à l'horrible épisode du viol de Nankin, par exemple, font maintenant partie du patrimoine canadien.
Si nous devions exclure ces éléments lors de la construction d'un monument commémoratif financé grâce aux fonds publics, je pense que nous nous réserverions d'énormes difficultés pour l'avenir. Nous créerions en fait, en agissant ainsi, une distinction entre citoyens de première classe et citoyens de deuxième classe.
Quand j'étais à Shanghai, j'ai négocié une entente de recherche conjointe entre l'Institut canadien des études stratégiques et l'institut de Beijing. Lors de mon premier voyage là-bas en tant que chef de délégation, j'ai prononcé un exposé à l'Institute for International Affairs de Shanghai. Pendant mon séjour, on m'a amené à l'endroit où se trouvait, sur le mur d'enceinte, le fameux symbole du racisme institutionnel, l'écriteau sur lequel on pouvait lire «Interdit aux chiens et aux Chinois».
Le sénateur Prud'homme: Je l'ai vu.
M. MacDonald: À la conférence de dimanche, j'ai dit qu'il n'y avait pas de place au Canada pour un écriteau de cette nature, et j'en suis convaincu. Je ne voudrais pas qu'une de nos institutions nationales, quelle qu'elle soit, exclue des Canadiens sous prétexte qu'ils sont «d'origine ceci» ou «d'origine cela», puisque les différences entre les groupes de diverses origines disparaissent au fur et à mesure que les enfants et les petits enfants des immigrants grandissent, si bien qu'un jour leurs arrière-petits-enfants vont épouser les miens. Nous sommes tous Canadiens. Nous devons faire très attention de ne pas commettre un péché d'exclusion.
Le sénateur Prud'homme: Serait-il possible d'obtenir une copie de votre discours de dimanche?
M. MacDonald: Je me ferai un plaisir d'en remettre une au greffier.
Le sénateur Anne C. Cools (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
La présidente suppléante: Vos citations de saint Augustin et de la Summa theologica m'ont beaucoup touchée. Nous entrons aujourd'hui dans une époque où il n'est plus de bon ton de citer ce genre de personnes.
Le sénateur Forest: Ce n'est pas vrai.
La présidente suppléante: Eh bien, je parle souvent en public, et il y a bien des endroits où on ne peut pas les citer.
Vous avez cité Thomas d'Aquin et saint Augustin, et vous avez parlé de guerre juste, de cause et d'intention légitimes. Vous avez aussi parlé de ce que saint Augustin appelait la soif de pouvoir, la libido dominandi. Vous avez également évoqué une autre libido, celle qui pousse à faire souffrir les autres. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet-là? On nous a beaucoup parlé de racisme et d'antisémitisme, et aussi de génocides. Il y a beaucoup de racistes et de gens bourrés de préjugés dans le monde, mais ils ne sont pas tous des tueurs pour autant. Il faut bien établir une distinction entre les préjugés et les activités meurtrières, et à plus forte raison entre les préjugés et les génocides.
Puisque vous avez évoqué ces concepts importants, pourriez-vous nous expliquer un peu mieux pourquoi des êtres humains prennent plaisir à faire souffrir les autres?
M. MacDonald: Pour en revenir aux citations des penseurs comme saint Augustin et Thomas d'Aquin, permettez-moi de vous dire que j'ai fait une mineure en philosophie pendant mes études de premier cycle et que, à ma connaissance, il est encore permis en philosophie de les citer, mais en tant que philosophes plutôt qu'en tant que théologiens chrétiens.
En ce qui a trait à votre autre question, beaucoup plus fondamentale, j'y ai beaucoup réfléchi et j'ai d'ailleurs exprimé certaines de mes idées à ce sujet dans l'exposé que j'ai prononcé dimanche à Toronto. Dans nos efforts pour créer quelque chose qui commémorerait tous les holocaustes, nous devrions peut-être regarder plus loin qu'un simple musée et penser plutôt à un établissement qui inclurait un important institut de recherche; le musée ferait en quelque sorte office de vitrine servant à exposer le problème. Et ce serait cet institut de recherche sur les génocides qui examinerait les questions que vous avez soulevées.
La principale cause des guerres auxquelles nous assistons actuellement, ce n'est pas la quête traditionnelle de ressources, de territoire ou de nouveaux sujets, comme au XVIIIe siècle. Ces choses sont assez faciles à régler. Aujourd'hui, ce sont plutôt les haines institutionnelles entre groupes qui causent des conflits. Si nous pouvions les désamorcer d'une façon ou d'une autre, nous pourrions peut-être comprendre en même temps que les interventions militaires préemptives, avant que les choses se déclenchent, seraient la façon la plus appropriée d'appliquer, pour notre époque, le principe de guerre juste et légitime.
J'ai déjà dit par exemple à la télévision nationale que, si une demi-escadre de Tornados avait largué 25 tonnes de bombes sur la première batterie serbe qui a ouvert le feu sur la ville de Vukovar, il y a des milliers de personnes qui seraient encore en vie aujourd'hui. Nous n'aurions jamais vu l'expression horrifiée des militaires canadiens qui ont trouvé des enfants, en Serbie, littéralement cloués au mur d'un immeuble.
Si le général Dallaire avait obtenu les forces et les autorisations nécessaires pour une intervention préemptive quand il a mis les gens du quartier général de l'ONU au courant de la situation et de ce qu'il fallait faire, nous aurions pu éviter le génocide qui a eu lieu au Rwanda.
La cause de la guerre juste et légitime exige parfois des interventions militaires préemptives et l'application d'une force meurtrière préventive. Un institut de ce genre pourrait se pencher sur les questions philosophiques et opérationnelles comme celles-là.
La présidente suppléante: Ce sont des questions que nous allons devoir résoudre dans un proche avenir. Pour la suite du monde, il faudra nous demander si les êtres humains sont capables de vivre ensemble. M. Marrus a dit tout à l'heure que l'union des peuples était fragile. Nous allons devoir en discuter beaucoup plus longuement. Tout le monde oublie qu'au Rwanda, toutes ces atrocités ont été commises en présence d'importantes forces de maintien de la paix.
Merci de votre présentation.
Nous entendrons maintenant des représentants de l'Association canadienne des anciens combattants de la guerre du Golfe.
M. Luc K. Levesque, président, Association canadienne des anciens combattants de la guerre du Golfe: Honorables sénateurs, en tant que président de l'Association canadienne des anciens combattants de la guerre du Golfe, je suis de très près tout ce qui se dit dans les médias au sujet des anciens combattants. Le récent débat sur l'opportunité que le Musée canadien de la guerre consacre de l'espace à la commémoration de l'Holocauste a certainement suscité beaucoup d'intérêt dans bien des milieux, et pas seulement dans les organisations d'anciens combattants canadiens. J'ai décidé d'intervenir dans ce débat d'abord pour appuyer M. Clifford Chadderton qui, comme nous le savons tous, est un ardent défenseur des anciens combattants de notre grand pays. M. Chadderton a consacré sa vie aux grandes questions qui influent sur le sort des anciens combattants au Canada. Sans sa lucidité et son intuition, bien des organisations d'anciens combattants, partout au pays, n'existeraient pas aujourd'hui.
En exprimant notre opinion et nos préoccupations sur cette controverse, nous passons à tort pour antisémites, et nous nous faisons dire que nous n'avons aucun respect pour la pertinence historique de l'Holocauste. C'est faire grossièrement injure aux milliers d'hommes et de femmes qui ont porté l'uniforme militaire au cours de leur vie. Je n'ai pas encore entendu un seul groupe d'anciens combattants au Canada qui n'appuie pas l'idée d'une exposition permanente sur l'Holocauste. Nous croyons simplement que cette exposition serait plus à sa place dans un établissement consacré à l'histoire des civilisations humaines, par exemple le Musée canadien des civilisations.
Le Canada n'a aucun lien militaire, ni aucun rapport direct avec l'Holocauste. Aussi atroce qu'ait été cet épisode de l'histoire, il ne reflète pas notre patrimoine militaire canadien. Ce patrimoine se constitue au fil des batailles et des opérations militaires auxquelles les Canadiens ont participé dans le passé et auxquelles ils participeront à l'avenir. Le Musée canadien de la guerre devrait concentrer ses efforts sur les conflits auxquels les militaires canadiens ont participé. S'il doit réserver de l'espace au génocide juif, il devra aussi en réserver à tous les autres génocides, anciens et récents, en Yougoslavie, en Algérie et en Éthiopie, pour ne citer que quelques exemples. Que se passera-t-il quand les survivants de ces génocides voudront aussi de l'espace dans notre Musée canadien de la guerre?
L'endroit logique et politiquement correct, pour cette exposition permanente, serait le Musée canadien des civilisations. Qu'on me corrige si je me trompe, mais il me semble qu'aux États-Unis, il faut avoir plus de 14 ans pour avoir le droit de voir ce qui se trouve dans les expositions sur l'Holocauste. Quel effet cela aura-t-il sur les jeunes Canadiens s'ils entendent parler à l'école des conflits armés auxquels le Canada a participé, mais qu'ils ne peuvent pas voir par eux-mêmes avant d'avoir 14 ans les reliques des batailles livrées par les Canadiens?
Je me souviens que, quand j'étais enfant, les écoles nous amenaient visiter le Musée canadien de la guerre pour nous aider à comprendre les sacrifices qui avaient été consentis. Il n'y a jamais eu aucun secteur où on nous interdisait d'entrer de peur que certaines images nous traumatisent. Allons-nous imposer des restrictions de ce genre à nos enfants? La réponse devrait être un non sans équivoque. Le Musée de la guerre dépeint les opérations auxquelles les Canadiens ont participé, que ce soit pendant les deux guerres mondiales, la guerre de Corée, la guerre du Golfe ou les missions de maintien de la paix. Voilà les batailles et les théâtres d'opérations pour lesquels les hommes et les femmes du Canada devraient être honorés. Les événements qui ont entouré l'Holocauste n'ont pas leur place dans ce musée, et ils ne constituent pas une représentation appropriée de ce chapitre de notre glorieuse et fière histoire militaire.
Pour résumer, l'Association canadienne des anciens combattants de la guerre du Golfe appuie les efforts du Conseil national des anciens combattants, de M. Clifford Chadderton et des autres organisations d'anciens combattants de tout le Canada. Nous sommes d'avis que le Musée canadien de la guerre ne devrait pas réserver d'espace au génocide juif puisque ce n'est pas un endroit approprié pour commémorer cette terrible injustice envers l'humanité. Mais cette opinion ne signifie pas pour autant que nous avons des préjugés.
Mme Louise Richard, Association canadienne des anciens combattants de la guerre du Golfe: Je suis infirmière et j'ai fait la guerre du Golfe. Je voulais simplement faire quelques commentaires sur le Musée canadien de la guerre. J'y suis allée mardi par curiosité, et pour me faire une idée d'ensemble de la situation. Pour tout vous dire, j'ai été plutôt déçue du musée en général. Je sais que nous sommes ici pour parler des victimes et des survivants de l'Holocauste, mais je tiens à dire que le Musée de la guerre, dans son état actuel, ne dépeint pas fidèlement ce qu'ont vécu nos propres anciens combattants.
Je voudrais vous lire textuellement, pour votre gouverne, ce que j'ai vu au musée sur une plaque portant sur la guerre du Golfe, après quoi je vous ferai mes commentaires:
La guerre du Golfe
Le 17 janvier 1991, après des semaines d'opérations aériennes et de blocus maritime, la coalition dirigée par les États-Unis a donné l'assaut et écrasé les forces ennemies dans le sud de l'Irak et au Koweit. Bien que la participation canadienne aux combats eux-mêmes ait été négligeable, divers éléments des Forces canadiennes ont assuré des services logistiques et médicaux essentiels.
Comme Luc et moi.
Des décennies de négligence et de sous-financement ont empêché nos forces de participer à cette guerre de haute technologie. Le personnel militaire canadien est rentré au pays en avril 1991 sans avoir subi de pertes au combat.
On peut donc lire sur cette plaque que nos services logistiques et médicaux ont participé à la guerre du Golfe. Mais mardi, au cours de ma visite de l'exposition consacrée à ce conflit, je n'ai rien vu au sujet des services médicaux. Pourtant, c'est écrit sur le mur en gros caractères. Donc, même si cela implique plusieurs millions de dollars, je pense qu'il faudrait consacrer des fonds à améliorer ce qui est déjà là, à sortir les objets des entrepôts pour qu'ils nous apprennent ce qu'ont vécu les gens de notre propre pays, nos propres héros et anciens combattants, dont nous ne savons à peu près rien. Nous devons mettre en lumière ceux et celles qui ont sacrifié leur vie ou, dans le cas des anciens combattants de la guerre du Golfe, qui se meurent lentement de nombreuses maladies non diagnostiquées. Nous ne portons peut-être pas les cicatrices de blessures reçues sur les théâtres d'opérations, mais ces cicatrices commencent maintenant à apparaître. Elles sont peut-être invisibles à l'oeil nu, mais cela ne change rien au fait que certains anciens combattants sont très malades et que beaucoup sont morts.
Voilà ce que j'avais à dire. Nous devons améliorer ce que nous avons déjà dans notre propre musée.
Le sénateur Orville H. Phillips (président) occupe le fauteuil.
Le président: Notre comité a discuté à diverses reprises des problèmes des anciens combattants de la guerre du Golfe avec les gens du ministère. Quelques-uns de ces anciens combattants ont pu faire reconnaître qu'ils souffraient du syndrome de la guerre du Golfe, dans certaines circonstances particulières, mais ils ne sont malheureusement pas aussi nombreux que nous l'aimerions. Nous progressons graduellement. Je vous remercie de nous avoir rappelé que tout ce que vous avez eu, c'est une petite plaque pas très louangeuse. Vous ressentez probablement la même chose que ce que je ressens personnellement au sujet de la plaque portant sur le rôle de la force de bombardement pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le sénateur Jessiman: Vous l'avez peut-être dit, mais avez-vous précisé combien de personnes ont participé à la guerre du Golfe? Je sais que quelques-uns de nos destroyers étaient tout près et qu'il y avait aussi des Canadiens dans les forces terrestre et aérienne.
Mme Richard: Au total, 26 avions des Desert Cats ont participé activement à la guerre au sol, de même que trois navires et des bataillons du RCR, des 22 -- le Royal 22e Régiment -- et de l'hôpital de campagne canadien.
Le sénateur Jessiman: Est-ce qu'il y a quelque chose à ce sujet-là au musée?
Mme Richard: Au sujet des Cats, des navires et de l'hôpital de campagne, oui.
Le sénateur Jessiman: Est-ce que le nombre est précisé?
Mme Richard: Tout ce qu'on trouve, c'est ce que je viens de vous dire.
M. Levesque: Vous dites que le syndrome de la guerre du Golfe est maintenant reconnu. Mais je ne connais aucun ancien combattant canadien qui touche une pension du ministère parce qu'il souffre du «syndrome» ou de la «maladie de la guerre du Golfe». Le ministère ne le reconnaît pas, de l'aveu même du directeur de la clinique sur la guerre du Golfe au CMDN à Ottawa.
Toujours au sujet des anciens combattants de la guerre du Golfe, le Canada est le seul pays de la coalition montée pour l'opération «Tempête du désert» à ne pas avoir accordé le statut d'ancien combattant à ceux qui y ont participé. Nous sommes considérés comme des participants en zone de service spécial, tandis que les gens comme nous ont le statut d'anciens combattants dans tous les autres pays. Cela n'a aucun sens parce que c'était bel et bien une guerre.
Le président: Je citais le rapport du sous-ministre.
Le sénateur Jessiman: Vous dites qu'il y en a?
Le président: Oui.
Mme Richard: Jusqu'ici, monsieur, la Loi sur les pensions n'a jamais été modifiée de manière à inclure la guerre du Golfe. Le golfe Persique est encore considéré comme une zone de service spécial plutôt que comme une zone de guerre, ce qui veut dire que les anciens combattants qui y sont allés n'ont droit à aucun avantage ni à aucune allocation.
Le sénateur Forest: Un des autres témoins a évoqué le même genre de difficultés. Je ne me rendais pas compte que cela s'appliquait à la guerre du Golfe. Il a parlé de statut différent.
Mme Richard: Le problème, c'est qu'une bonne partie des gens qui ont fait la guerre du Golfe étaient très jeunes. Il y en a eu environ 4 500. Nous savons aujourd'hui que plus de 2 000 d'entre eux ont quitté l'armée. Beaucoup sont partis quand le programme de compression des effectifs a été annoncé, à une époque où on se disait qu'il était préférable de prendre l'argent et de s'en aller au plus vite. Beaucoup de ces jeunes soldats n'avaient aucune formation militaire. Il y avait très peu de professionnels de la santé parmi nous. C'étaient des artilleurs, des marins, qui n'ont pas étudié très longtemps. Tout ce qu'ils savent, c'est qu'ils ne sont plus les mêmes depuis leur retour de la guerre. Tout le monde les a traités de tire-au-flanc ou de malades imaginaires alors qu'ils ont effectivement des problèmes physiques. Plutôt que d'essayer de poursuivre leur carrière et de faire quelque chose dans l'armée, ils ont choisi de s'en aller parce qu'ils se rendaient compte que leur santé était chancelante. Ils ont choisi de prendre le peu d'argent qu'on leur remettait dans l'espoir de faire une carrière civile, mais ils se rendent compte maintenant qu'ils ne peuvent pas travailler non plus du côté civil. Bon nombre des soldats qui ont combattu fièrement et loyalement dans les Forces canadiennes pour servir leur pays sont maintenant bénéficiaires de l'aide sociale.
Beaucoup sont morts, beaucoup se sont suicidés. Je reçois au moins cinq appels par jour de gens qui veulent mettre fin à leurs jours parce que le gouvernement ne reconnaît même pas ce qui s'est passé pendant la guerre du Golfe, il y a sept ans; et maintenant que la situation se dégrade encore une fois en Irak, c'est dévastateur pour les soldats.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: En fait, je sais que vous comprenez le français tous les deux. Je trouve votre témoignage très touchant. Je veux que vous sachiez qu'il est très touchant d'abord de vous entendre nous dire ces vérités que souvent les gens n'aiment pas entendre.
Quand cette décision a été prise au Parlement, j'ai voté contre mais j'ai perdu. Cela n'a pas été facile mais pour d'autres raisons que celles qui ont été évoquées. Mais si je me souviens bien, on l'appelait en anglais Gulf War. On ne disait pas Gulf expedition. Quand cela fait l'affaire, on dit Gulf War et après, on dit: non, c'était un petit service supplémentaire. On a une responsabilité.
Cela me rappelle une histoire. Je veux être très sérieux. C'était une dame très âgée qui m'a aidé en politique il y a 40 ans. Je l'ai toujours appelé ma mère. Elle avait un sens de la répartie extraordinaire. Un soir, je l'ai présentée à l'occasion de son 80e anniversaire. J'étais très heureux. Elle a pris le micro et elle a dit: «Oui, ma mère, quand cela fait son affaire.» Elle le disait en toute amitié.
Aux Nations Unies, le Canada se pète les bretelles. Je suis fier de mon pays, des casques bleus, du prix Nobel, mais quand vient le temps de s'occuper de ceux qui portent le béret bleu, on dirait que cela n'a pas de rapport. Je le regrette et je veux que vous le sachiez, des gens ici le regrettent avec moi.
Je ne suis pas le publiciste du Sénat. J'ai été député 30 ans. Vous pouvez venir à nos audiences. Si nous n'existions pas actuellement, personne ne vous aurait entendu. Comme toujours, les fonctionnaires auraient fait le coup d'état, auraient décidé entre eux. Après, on aurait été pris devant le fait accompli.
Si vous avez le malheur de vous opposer à cette extension, on vous accuse de tous les péchés, de tous les maux et si vous ne dites rien, on vous dit: vous voyez, tout le monde est d'accord. Est-ce votre position?
M. Lévesque: Oui.
Le sénateur Prud'homme: Parce que des gens se sont réveillés, vous êtes là. Je ne suis pas membre du comité, mais j'ai trouvé que le sujet était tellement important que j'ai été ici toute la semaine. On ne doit pas confondre le Musée de la guerre avec ce qui est devenu presque le point central, l'Holocauste. Là-dessus votre réponse est oui.
Mme Richard: Oui.
Le sénateur Prud'homme: Si cela devait avoir lieu, cela devrait être ailleurs. Je ne vous demanderai pas d'élaborer sur ce que cela devrait être ailleurs. Je vois d'avance toutes les autres difficultés qui vont surgir. Dans les horreurs, on ne peut pas dire l'horreur numéro un, l'horreur numéro deux, l'horreur numéro trois. Je crois que M. Abella a dit et je suis en désaccord avec lui.
[Traduction]
Quel est le titre de son livre?
Le sénateur Cools: None Is Too Many.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Il n'est pas nécessaire qu'il y en ait des millions. Je suis de cet avis. Mais un Noir d'Afrique, c'est trop, qu'il soit du Rwanda, de la Bosnie, c'est trop. Je pense que tout le monde pourrait acheter cela. Il n'est pas nécessaire que l'on calcule le nombre, il est vrai que cela a été une grande horreur. Vous avez peut-être des parents qui ont servi en Asie où il y a eu de grandes horreurs. Le musée devrait le refléter.
Vous avez des amis au Sénat. Ce que vous êtes venus nous dire n'est pas tombé dans des oreilles de sourds.
[Traduction]
Le sénateur Chalifoux a écouté attentivement. Ce n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde. Et je sais que c'est la même chose pour le sénateur Forest. Si le sénateur Cools décide de s'occuper de certaines personnes -- vous ne la connaissez pas encore, mais cela viendra. Et c'est la même chose pour le sénateur Jessiman et le sénateur Phillips.
[Français]
Vous savez qu'il célèbre aujourd'hui le 35e anniversaire de sa nomination au Sénat. Il ne coûte rien à l'État. On ne parle pas de cela, on parle seulement des salaires. Il n'y a pas grand monde ici qui coûte cher à l'État.
Madame Richard: Nous non plus.
Le sénateur Prud'homme: Alors devenons des alliés. Vous avez des amis, n'hésitez pas.
[Traduction]
Mme Richard: Nous avons besoin de toute l'aide et de tous les conseils qu'on voudra bien nous donner, monsieur.
Le président: Nous entendrons maintenant M. Cedric Jennings, qui va témoigner par téléphone.
Pendant que nous préparons sa comparution, je vais laisser la parole à M. Albert Lawrence, CM, qui veut faire une brève déclaration. M. Lawrence a proposé à la commission Southam de reloger le Musée de la guerre dans l'édifice du Conseil national de recherches, promenade Sussex; pour faire suite aux présentations que nous avons entendues ici ces derniers jours, j'ai pensé qu'il serait intéressant de l'entendre.
Allez-y, s'il vous plaît.
M. Albert Lawrence, CM: Avant de vous parler de l'emplacement du Musée canadien de la guerre, j'aimerais vous dire que -- par pure coïncidence -- j'ai reçu hier pour un dîner intime deux amis de l'Ouest, avec un de leurs enfants et sa femme; il y avait aussi un de mes enfants et ma femme.
Nous en sommes venus à discuter du fait que j'avais été autorisé à venir vous parler aujourd'hui. Les enfants de mon ami, c'est-à-dire son fils et sa bru, dans la quarantaine, sont tous les deux professeurs d'université. Ils sont Canadiens, bien sûr; ils vivent à Ottawa. Elle a demandé: «Pourquoi tout ce chichi au sujet de l'Holocauste et du Musée de la guerre?» Mon ami, qui a mon âge, a répondu: «Eh bien, je ne suis pas d'accord.» Ce à quoi le jeune professeur a rétorqué: «Mais vous êtes allés à la guerre à cause de l'Holocauste.» Je n'en revenais pas; j'ai dit: «Nous ignorions tout de l'Holocauste.» J'étais lieutenant, j'avais seulement 21 ans, et j'étais loin d'être stupide. J'ai combattu en Normandie et j'ai été blessé à quelques reprises. Je savais ce qui se passait en Russie, dans le Pacifique et sur tous les autres fronts, mais avant la libération du premier camp de la mort, personne n'avait entendu parler de ce qu'on a appelé plus tard «l'Holocauste». Bien sûr, à ce moment-là, nous ne pouvions plus rien y faire.
Un de ces jeunes professeurs dans la quarantaine m'a demandé si nous aurions pu bombarder les camps. Je lui ai répondu que cela n'aurait pas été très utile pour les prisonniers juifs. Il a dit alors que nous aurions pu bombarder les fours crématoires ou quelque chose du genre. Comme vous pouvez l'imaginer, j'ai changé de sujet de conversation parce que nous étions à table et que je devais mesurer mes paroles.
Je me suis rendu compte de l'incroyable ignorance de ces deux professeurs d'université, qui enseignent l'un l'anglais et l'autre les maths. Je ne sais pas si cela aurait été différent s'ils avaient été historiens.
J'ai entendu quelqu'un dire il y a une minute que c'était une guerre juste et légitime. C'est intéressant. Les gens comme moi sont allés à la guerre parce qu'Hitler disait qu'il fallait se ranger de son côté ou périr. Mon père y était allé parce que le Kaiser disait la même chose. Il ne nous est jamais venu à l'idée que nous pouvions mener une guerre qui n'était pas juste. C'était notre guerre, un point c'est tout.
Quant à savoir s'il devrait y avoir une galerie de l'Holocauste au Musée de la guerre, c'est une question qui s'articule entièrement autour des mots «donner» et «prendre». Tous les êtres humains se font prendre leur vie à un moment donné. Mais il y a dans l'histoire un petit groupe de gens très spéciaux, même phénoménaux, qui ont donné leur vie volontairement, ce qui est tout à fait inusité pour des êtres humains. Nous n'avons qu'une vie à vivre, et il semble insensé de la donner. Cela n'a absolument rien à voir avec le massacre des Tutsis par les Hutus. Cela n'a rien à voir avec l'Holocauste, essentiellement, ni avec le fait que nous aurions voulu ou pu faire quelque chose pour y mettre fin. Si nous avions su que tous les gens qui se trouvaient dans les goulags staliniens allaient être tués, est-ce que nous serions partis à la guerre? Nous aurions été consternés, mais nous n'aurions jamais sacrifié notre vie pour essayer de mettre fin à toutes les horreurs commises dans tous les goulags.
Si l'actuel Musée de la guerre, ce triste petit immeuble de la promenade Sussex, devait être modernisé et transformé en musée de l'Holocauste dans le «mille historique», aux côtés d'autres monuments d'intérêt canadien, alors je pense que le Musée national pourrait très bien être logé dans l'édifice du Conseil national de recherches. C'est un bel immeuble, avec beaucoup de terrain et beaucoup d'espace, dans le «mille historique». Et, chose intéressante, il se trouve en face de l'immeuble du ministère des Affaires étrangères, qui symbolise notre participation aux événements de ce monde tout comme, de façon générale, notre histoire militaire se résume essentiellement à une participation à des événements mondiaux.
Derrière ce bâtiment, il y a un magnifique bosquet où il serait possible d'installer des tanks, des véhicules blindés, des pièces d'artillerie et le bombardier Halifax du président du conseil. Il y a aussi un auditorium pour la présentation de documentaires et de films. Avec le temps, il serait possible de remplir tout l'espace. J'en ai parlé à M. MacDonald, du musée, et à M. Suthren, le directeur intérimaire qui est actuellement en congé. Ils ont souri quand je leur ai fait cette suggestion parce que ce serait le paradis à leurs yeux. Mais je tiens à dire au comité, au Parlement et au grand public qu'il ne serait pas déplacé de faire quelque chose de monumental.
Nos édifices reflètent jusqu'à un certain point les valeurs que nous chérissons. On peut faire ses dévotions sans avoir une cathédrale, mais les cathédrales sont de magnifiques édifices qui montrent à quoi les gens accordaient de la valeur au cours des siècles pendant lesquels elles ont été construites. Les temples grecs reflètent également ce que pensaient et chérissaient les Grecs. Et cet édifice est une source d'inspiration pour les Canadiens. L'édifice de notre Musée canadien des civilisations montre que nous attachons de l'importance au savoir, et notre musée d'art révèle que nous aimons l'art et le savoir.
Il n'y aurait rien de mal à ce qu'un bel édifice comme celui du Conseil national de recherches abrite le Musée de la guerre, pour montrer que nous attachons de l'importance à l'expérience vécue par les Canadiens en temps de guerre.
C'est une question de priorités, pas une question d'argent. Quelle importance accordons-nous à ceux et à celles qui servent leur pays ou qui l'ont servi, et à leur place dans notre histoire nationale?
Le président: Avez-vous pu mettre la main sur le mémoire que vous avez soumis à la commission Southam?
M. Lawrence: Je ne l'ai pas trouvé, monsieur. J'ai trouvé seulement la réponse au questionnaire envoyé par la commission.
Le président: Nous allons demander à notre attaché de recherche de le trouver.
Vous avez mentionné les alentours de l'édifice du Conseil national de recherches. Mais vous n'avez pas parlé de la possibilité d'exposer un navire de guerre à l'avant.
M. Lawrence: Je trouve un peu énervant d'être ici, je dois dire. Je suis à la retraite et je n'ai pas l'habitude d'avoir un auditoire.
Le sénateur Prud'homme: Vous seriez tout à fait à votre place parmi nous.
M. Lawrence: Je venais ici à une époque où les honorables sénateurs étaient beaucoup plus jeunes.
Le président: Vous voulez parler d'un sénateur en particulier.
M. Lawrence: Quand j'étais beaucoup plus jeune, les sénateurs étaient beaucoup plus vieux. Je jouais dans les corridors avec les enfants de Cairine Wilson, et avec ceux de Claire Moyer, qui a été greffière pendant bien des années. Les sénateurs se font de plus en plus jeunes, et je n'aurais plus le droit de siéger au Sénat cette année à cause de mon grand âge.
Le sénateur Prud'homme: Vous savez sûrement qu'il n'y avait à l'époque qu'une seule femme au Sénat. Il y en a maintenant 28. Je pense que nous devons viser un partage moitié-moitié. Encore une fois, je suggère publiquement au premier ministre Chrétien de prendre cela en considération.
M. Lawrence: Elle avait sept enfants, et je jouais avec trois ou quatre des plus jeunes. Nous nous amusions beaucoup dans ces corridors. L'immeuble était très ouvert à cette époque-là; on n'y voyait pas tous ces agents de sécurité partout.
La rivière est magnifique, et je vois peut-être trop grand, mais il serait possible d'y amarrer un destroyer, une frégate ou un sous-marin. Tous ces navires pourraient être transportés là.
Le sénateur Jessiman: Nous avions deux flottilles canadiennes de vedettes-torpilleurs.
M. Lawrence: Il serait possible de les transporter ici.
Le sénateur Prud'homme: Comment?
M. Lawrence: Peut-être par camion. Ce serait possible pour un sous-marin ou une frégate. Dans le cas d'un destroyer, il faudrait le démanteler d'une manière ou d'une autre et le transporter en pièces détachées, mais ce serait faisable. Ces navires seraient là pour des générations. Il serait possible de faire une exposition navale.
Le sénateur Prud'homme: Vous êtes le seul à évoquer cette possibilité. Je vois que les gens du musée s'affairent à prendre des notes. Vous avez dû stimuler leur imagination à eux aussi. Vous dites que nous pourrions reloger le musée dans l'édifice du Conseil de recherches et installer une exposition permanente sur l'Holocauste dans l'édifice actuel. C'est une proposition intéressante. Mais iriez-vous jusqu'à dire que le Musée de la guerre deviendrait un musée de l'Holocauste? Est-ce qu'il serait consacré uniquement à l'Holocauste, ou s'il devrait avoir d'autres fonctions, à part ce rôle principal? Les tragédies ne manquent pas. Pourrions-nous nous servir de cet endroit pour rappeler à l'humanité que le monde n'a pas changé et que nous n'avons pas tiré de leçons de l'Holocauste?
M. Lawrence: Je n'en sais rien, et je ne me sens pas qualifié pour en discuter parce que je ne suis pas Juif. Je trouverais très difficile de répondre à votre question. Si j'étais Juif, je serais peut-être du même avis au sujet d'une galerie de l'Holocauste que je le suis, en tant qu'ancien militaire, au sujet du Musée de la guerre. Il y a des limites très précises au sujet de cette expérience, et il est possible qu'un Juif ait ce sentiment. Ce n'est pas à moi de le dire.
Le sénateur Prud'homme: Donc, ce doit être difficile pour M. Danson.
M. Lawrence: Je serais curieux de savoir ce que ressent M. Danson, en tant qu'ex-militaire juif.
Le président: Merci de votre présentation. J'ai été particulièrement impressionné de vous entendre dire que les deux professeurs de 40 ans dont vous nous avez parlé ne comprenaient pas pourquoi la question était aussi controversée. Il y a de toute évidence un problème d'âge. Merci encore une fois.
Honorables sénateurs, nous allons maintenant avoir une conversation téléphonique avec M. Cedric Jennings. Vous avez reçu son mémoire, de même qu'un exemplaire de ses remarques préliminaires. Quand nous serons rendus aux questions, je vous prierais, en raison de l'heure tardive, de vous abstenir de citer des rapports pour le contredire ou de lui faire des sermons; contentez-vous de lui poser des questions. M. Jennings, vous avez la parole.
M. Cedric Jennings: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir permis de vous présenter un mémoire écrit et d'en discuter avec vous maintenant. Je vais me contenter de vous en faire ressortir quelques points; nous pourrons ensuite en discuter si vous le voulez, et je pourrai répondre à vos questions.
Permettez-moi tout d'abord de vous expliquer brièvement mes motivations. Les vues que j'exprime ici n'engagent que moi. Je ne représente personne et je ne suis le porte-parole de personne. Je me suis formé une opinion après des recherches approfondies et de nombreux écrits sur le Musée canadien de la guerre, et à partir des commentaires de divers intéressés, notamment des anciens combattants. Je suis très fier de ce que le Musée canadien de la guerre a fait dans le passé et de ce qu'il pourrait encore signifier pour le Canada s'il était sauvé de la débâcle actuelle, dont il est question dans le titre de mon rapport.
Le gros de mon mémoire se résume en quatre points:
L'application abusive de la notion de patrimoine, plutôt que de la notion d'histoire, est en train de bouleverser le mandat traditionnel et légitime du Musée canadien de la guerre, à savoir la commémoration et l'illustration des actions et des sacrifices de nos soldats, de nos marins et de nos aviateurs. À mon avis, les intérêts étroits de la rectitude politique risquent d'entraîner une grossière manipulation de notre histoire. J'ai déjà cité Desmond Morton, l'historien militaire bien connu, et je voudrais maintenant vous lire un paragraphe d'une lettre que j'ai reçue de lui ce matin. Il écrit: «Je suppose que le patrimoine concerne tout le monde, à des degrés divers, puisque nous contrôlons tous le genre de souvenirs que nous voulons laisser aux générations qui nous suivent; même Lowenthal, en tant qu'historien, avoue que les historiens ne sont pas exempts de ce genre de ce chose, pas plus qu'ils ne sont nécessairement exacts en soi, mais ils devraient être assujettis à des normes plus sévères que ceux qui doivent tirer d'importantes sommes d'argent d'autres personnes pour se maintenir en vie, par exemple les publicistes et les administrateurs de musées.»
Comme vous le savez mieux que moi, la controverse entourant le Musée de la guerre est source de graves divisions. Elle oppose les Juifs aux anciens combattants, dans un match où il ne peut y avoir qu'un seul gagnant, et elle pourrait entraîner les Canadiens d'origine asiatique et les membres de certaines autres communautés dans un conflit du même genre. Elle met en péril l'unité et les relations interraciales d'un bout à l'autre du pays.
Essentiellement, les folies et les faiblesses de ce plan sont issues des impératifs de financement et de la recherche d'un nouveau groupe de donateurs potentiels. Vous avez entendu des témoignages reflétant ce déplorable comportement. Volontairement ou par simple incompétence, on a créé un concert de vues dissidentes dont l'influence se fait encore sentir sur votre enquête. Toute cette idée représente un virage marqué dans l'orientation du mandat du Musée de la guerre, en faveur d'une nouvelle vision révisionniste du patrimoine. Cela va à l'encontre de la raison d'être du musée.
Je vous ai présenté l'opinion de quelqu'un qui est peut-être notre plus éminent historien militaire au sujet de cette opération dictée par la mode du jour. Si nous poursuivons dans cette voie, notre glorieux héritage militaire va prendre une toute nouvelle direction, loin de la vérité que nous connaissons. Nos compatriotes qui sont morts à la guerre auront, en un sens, donné leur vie en vain. Cela rappelle étrangement Josef Goebbels, le chef de la propagande hitlérienne.
Dans l'avalanche d'analyses et de reportages publiés par les médias, j'ai le regret de vous dire que je n'ai trouvé que deux nouvelles vraiment bonnes.
La première, c'est l'existence de votre comité sénatorial et les questions pointues qu'il pose sur la désinformation et les faussetés qui ont circulé au sujet de ce désastreux tour de passe-passe. Vous avez la formidable tâche, honorables sénateurs, de faire éclater la vérité dans toute cette affaire.
La deuxième vraie bonne nouvelle portait sur la nomination de l'honorable Barnett J. Danson, qui fera en fait office d'ombudsman pour le Musée de la guerre afin de défendre l'intérêt public et le patrimoine militaire du Canada. S'il y a quelqu'un qui peut réussir à redresser les choses, c'est bien Barney Danson, avec votre aide.
Je vous rappelle respectueusement, honorables sénateurs, que cette controverse nuisible et destructrice a été créée par des fonctionnaires, les bureaucrates du musée, qui ont essayé de faire passer en douce leurs projets mal inspirés, après des consultations minimes, avec une fourberie sans pareille et une extraordinaire arrogance. Je les ai regardés faire avec horreur.
Ce matin, le Toronto Star publiait un éditorial non signé dans lequel on disait que le gouvernement allait bientôt dévoiler des plans pour un musée consacré exclusivement à l'Holocauste. Va-t-il inclure aussi d'autres génocides, à part celui qu'ont commis les Nazis? Sinon, les autres groupes ethniques victimes de ces génocides vont être très mécontents, surtout ceux qui ont souffert aux mains des Japonais et qui ont tenu une conférence à ce sujet-là en fin de semaine dernière.
Malgré cette nouvelle non confirmée de dernière minute, je ne suis certainement pas optimiste quant à l'issue de cette triste affaire, malgré le poids des législateurs et du Parlement que vous représentez, l'expérience et l'intégrité de Barney Danson et maintenant, à la dernière minute, cette information non confirmée au sujet de la possibilité d'un musée consacré exclusivement à l'Holocauste. Et je vous fais remarquer que le Musée de la guerre constitue une position de repli pour ce qui est de l'emplacement de ce nouveau musée. Il y a beaucoup de marge de manoeuvre.
Je suis plutôt du côté de Clifford Chadderton, un autre soldat bien connu comme philanthrope et comme chef de file des anciens combattants. Je ne peux tout simplement pas me fier aux gens du Musée des civilisations, ni à leurs motivations ni à leur jugement. Ces gens arrogants et fourbes ont montré qu'ils avaient leurs propres visées, à peine voilées, c'est-à-dire la déformation de notre histoire. Ils devraient avoir honte de leurs actions passées, qui ne sont pas dignes de fonctionnaires.
À mon avis, il faudra toute la volonté politique du gouvernement du Canada pour restreindre et réorienter ces bureaucrates qui échappent à tout contrôle et qui vont également essayer de donner de l'histoire militaire du Canada une image qui n'a jamais existé vraiment, s'ils le peuvent, et de l'imposer aux générations futures. Ce que je vois est déplorable.
Personnellement, je vais continuer de faire tout ce que je peux pour mettre fin aux manoeuvres de ces gens-là. Mais puisque vous avez beaucoup plus de poids qu'un homme seul, j'espère que vous, honorables sénateurs, et Barney Danson serez capables de stopper cette manipulation, cette désinformation, cette tromperie ridicule dans son élan.
Le sénateur Jessiman: À la deuxième page de votre mémoire, monsieur Jennings, vous écrivez:
La deuxième vraie bonne nouvelle portait sur la nomination de l'honorable Barnett J. Danson, qui fera en fait office d'ombudsman pour le Musée de la guerre.
Jusqu'ici, on a pu lire dans un journal qu'il ferait office de médiateur, mais le communiqué officiel du gouvernement dit qu'il a été nommé au conseil d'administration du Musée canadien des civilisations et qu'il présidera en outre un comité consultatif de ce conseil. Mais ce comité comptera cinq ou six membres, qui n'auront en plus qu'un rôle consultatif auprès des membres du conseil d'administration du Musée canadien des civilisations, et qui relèveront de ceux qui ont déjà pris la décision et qui préfèrent cet emplacement à la fois pour le Musée de la guerre et pour la galerie de l'Holocauste.
Nous allons rencontrer demain le président du conseil et le directeur du Musée canadien des civilisations. Ils pourront peut-être préciser certaines choses. Comment la nomination de M. Danson a-t-elle été présentée là où vous êtes, monsieur?
M. Jennings: Premièrement, votre interprétation de la nouvelle qui a été publiée est tout à fait exacte.
Deuxièmement, j'ai un exemplaire du communiqué de presse officiel de la ministre du Patrimoine canadien. On y dit effectivement que Barney Danson siégera au conseil d'administration du Musée canadien des civilisations et qu'il a été nommé, ou qu'il sera nommé, président du comité consultatif sur le Musée canadien de la guerre.
Quand j'ai employé le terme «ombudsman», c'était une façon de parler parce que c'est ce qu'il sera, à mon avis, même s'il n'y a rien de tel dans le communiqué.
Le sénateur Cools: Au bas de la première page de vos remarques, au troisième point, qui porte sur les impératifs de financement, vous écrivez:
Essentiellement, les folies et les faiblesses de ce plan sont issues des impératifs de financement et de la recherche d'un nouveau groupe de donateurs potentiels.
Pourriez-vous m'expliquer ce que vous voulez dire, s'il vous plaît?
M. Jennings: La campagne de financement du Musée canadien de la guerre a bifurqué légèrement en cours de route. Elle était axée au départ sur le grand public et les entreprises. Puis, les organisateurs de la campagne ont suggéré à leur client qu'il serait peut-être possible, en offrant une carotte, de recueillir des dons auprès de la communauté juive. Apparemment, c'est ce qui s'est passé.
Le sénateur Cools: En avez-vous la preuve irréfutable?
M. Jennings: J'ai en ma possession une lettre qui décrit ce changement de cap, en effet.
Le sénateur Cools: C'est plutôt répugnant, comme vous le dites. En gros, ce que je comprends de votre témoignage, c'est que quelqu'un a eu l'idée que cette terrible tragédie, et sa résonance dans le coeur de tant de gens, pourrait devenir une extraordinaire tactique de financement, en sachant que bien des Juifs sont généreux et responsables et qu'ils ont un sens civique très développé.
M. Jennings: En effet.
Le sénateur Cools: Il y a quelque chose que je trouve répugnant dans toute cette histoire.
M. Jennings: Sénateur Cools, si vous me permettez d'interpoler, je crois qu'un certain nombre d'organisations juives ont indiqué publiquement que le musée les avait approchées. Ce n'est pas elles qui se sont adressées au musée.
Le sénateur Cools: En fait, cela a été dit très clairement. Certaines de ces personnes ont déclaré qu'elles n'avaient fait aucune pression sur le musée.
M. Jennings: Je pense que c'était une idée des organisateurs de la campagne de financement.
Le sénateur Cools: Je n'en doute pas. Je ne fais qu'amasser des preuves, comme on dit.
Vous parlez d'une attaque contre notre patrimoine militaire, de la nouvelle interprétation révisionniste de ce patrimoine. C'est une manipulation de l'histoire. Un autre témoin a évoqué plus tôt aujourd'hui la désinformation que pratiquaient les communistes. Pouvez-m'en dire un peu plus long à ce sujet-là?
M. Jennings: Il y a un certain nombre d'exemples de cette approche révisionniste. Premièrement, les mannequins portant des uniformes des SS ou de la Wehrmacht ont été désarmés.
Deuxièmement, un nouveau bas-relief en laiton prévu pour la porte d'entrée du nouveau musée montre toute une série de militaires canadiens, certains en uniforme, et d'autres pas; mais aucun d'entre eux n'est armé.
Troisièmement, tout le monde raconte que, quand l'ancien directeur général du Musée de la guerre est arrivé à une réunion du conseil d'administration en uniforme de la Marine royale du Canada -- ce qui était son droit puisqu'il était en service et qu'il a maintenant le titre honoraire de capitaine, ce qui équivaut à un rang élevé, pour sa contribution à l'histoire militaire -- , on a jugé cela vulgaire et militariste. Dois-je en dire davantage, quand quelqu'un dit que l'uniforme de notre pays est militariste?
Le sénateur Cools: Monsieur Jennings, j'ai lu cela dans un article de journal. Aucun témoin ne nous en avait parlé directement jusqu'ici. Maintenant, c'est fait.
M. Jennings: Oui, madame, c'est fait; plusieurs personnes dignes de confiance m'ont conté cet incident à maintes reprises.
Le sénateur Cools: Merci beaucoup. Je vous reparlerai peut-être de cette personne plus tard.
Le sénateur Forest: Monsieur Jennings, vous avez exprimé très clairement vos sentiments au sujet du Musée canadien de la guerre, et je pense que nous sommes d'accord avec vous. Que diriez-vous d'un musée de l'Holocauste qui serait situé ailleurs, dans un endroit différent, à l'extérieur du Musée de la guerre?
M. Jennings: Puis-je faire un léger détour pour vous répondre, en vous racontant une anecdote que j'ai vécue moi-même à 17 ans et demi? J'étais garçon de courses, ou guère plus, dans un journal dominical national de Grande-Bretagne quand nous avons reçu par avion les premières photographies 11 sur 14 du camp de Belsen envoyées par nos correspondants photographes. Je les ai déposées sur la table à photos, comme c'était de mon devoir de le faire, et tous les employés de la salle des nouvelles se sont rassemblés et m'ont demandé de quoi il s'agissait. J'ai lu les légendes que nos photographes et nos reporters avaient inscrites à l'endos, et bon nombre de mes collègues journalistes ont éclaté en sanglots. Si je vous raconte cette anecdote, c'est pour vous faire comprendre que l'Holocauste nazi, la Shoah, fait partie de ma vie depuis mon enfance, ou à peu près.
Personnellement, je suis d'avis qu'il faut commémorer dans un musée canadien l'Holocauste nazi et les autres terribles génocides de la Seconde Guerre mondiale, comme l'holocauste japonais dont ma famille a souffert -- puisque je suis d'origine asiatique -- parce que beaucoup de Canadiens, qu'ils soient d'origine asiatique ou caucasienne, ont souffert de ces génocides. John Thompson vous a parlé ce matin de tous les génocides qui ont été commis au cours de l'histoire. Je suis tout à fait d'accord pour qu'il y ait au Canada un musée consacré exclusivement aux génocides, ou aux holocaustes, et je serais prêt à travailler à sa réalisation, mais je ne peux pas admettre que cela fasse partie du Musée de la guerre alors que nous manquons à la fois d'espace et d'argent pour présenter notre remarquable histoire militaire.
Le sénateur Forest: Merci, monsieur. Vous avez très bien résumé la pensée de bon nombre des témoins précédents.
M. Jennings: Merci, sénateur.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Comme ma question est très difficile, je vous la poserai en anglais parce que vous êtes tellement courtois. J'ai remarqué que vous aviez un accent mais que votre français était excellent. J'ai lu votre mémoire au complet. J'ai lu tous les mémoires. Je dois vous dire que j'ai été enthousiasmé par ce que je lisais jusqu'à ce que j'arrive à la page 10, troisième paragraphe.
[Traduction]
Vous avez dit qu'il faudrait songer au financement, à la conception et à la construction d'un musée canadien consacré aux génocides dans un grand centre du Canada. Vous jugez, pour des raisons évidentes, compte tenu des tendances antisémites au Québec, que Toronto serait un excellent choix étant donné son importante population multiethnique. Un musée de ce genre serait viable dans la plus grande ville du Canada ou dans les environs. Mais, à bien y penser, auriez-vous préféré ne pas avoir écrit ce triste commentaire au sujet du Québec?
Vous vous faites l'écho, presque mot pour mot, d'une attitude contre laquelle je me bats depuis des années, notamment avec M. Abella, qui a dit à peu près la même chose d'après M. Douglas Fisher.
Il m'est difficile de ne pas contester ces deux lignes, même si j'étais pleinement d'accord avec vous quant au reste de votre témoignage, en particulier la partie de votre mémoire dans laquelle vous dites qu'il faudrait «envisager» la construction d'un tel musée, parce qu'au moins vous faites une proposition. Mais d'après un sondage récent, il y a plus de racisme à Toronto. Voulez-vous répondre à cela?
M. Jennings: Je vous répondrai avec plaisir. Vous avez tout à fait raison de dire que c'est une question très délicate. Une «tendance», ce n'est vraiment pas grand-chose. Je vous concède avec plaisir que, à ma connaissance -- et j'ai vécu tant à Toronto qu'à Montréal -- , il pourrait bien y avoir des tendances antisémites aussi marquées à Toronto. Comme je ne suis pas un scientifique, je ne peux pas mesurer l'antisémitisme relatif qui règne dans un endroit ou dans un autre. Si vous voulez me faire dire qu'il y a des tendances antisémites partout au Canada, je le ferai avec plaisir.
Le sénateur Prud'homme: Je ne peux pas vous demander de commenter quelque chose dont vous ne connaissez rien. Je veux seulement vous dire qu'il y a actuellement au Québec un terrible débat sur cette question.
M. Jennings: Je comprends cela, sénateur.
Le sénateur Prud'homme: Vous savez que j'ai explosé hier. J'en ai plus qu'assez des gens qui essaient d'analyser le passé en s'en prenant uniquement aux Canadiens français.
Vous devez vous rappeler que les Canadiens français n'avaient aucun contrôle sur l'immigration autrefois; vous devez vous rappeler aussi qu'ils n'avaient aucun contrôle sur les banques. Ni sur le club Rideau, ni sur aucun autre des clubs privés.
Je suis certain que vous défendriez vous aussi ceux qui sont proches de vous. Cette idée que les Canadiens français du Québec étaient antisémites se perpétue. Vous voudrez peut-être modifier votre témoignage pour en exclure ce passage. Je serais très heureux que vous demandiez à le faire.
M. Jennings: Sénateur, j'ai vécu dix ans à Montréal et, comme vous pouvez le constater, je parle mal français. Mais je suis en quelque sorte un spécialiste de l'histoire du Canada français. Par exemple, j'ai aidé à préparer et à organiser la résurrection de la Compagnie franche de la Marine, la première formation militaire du Canada, par David MacDonald. Je connais très bien l'histoire des Canadiens français, avant la Conquête et après. Je les admire et je les respecte. Je le dis de tout mon coeur.
Le sénateur Prud'homme: Je vous crois.
Le président: Monsieur Jennings, une petite question: avez-vous suivi les audiences de la commission Southam?
M. Jennings: Non, sénateur. J'ai été d'abord membre, puis directeur général de la commission pendant une très courte période. Je n'ai pas suivi ses travaux de l'intérieur, comme vous pourriez le croire, mais de l'extérieur.
Le président: La commission a-t-elle suggéré à un moment ou à un autre l'installation d'une galerie de l'Holocauste au Musée de la guerre?
M. Jennings: Je ne pense pas, sénateur, mais je ne suis pas qualifié pour répondre à cette question avec certitude. Vous devriez la poser à quelqu'un qui a siégé longtemps à la commission, ou encore à M. Southam lui-même.
Je n'ai pas assisté à beaucoup de séances avant de me rendre compte qu'on avait fait appel à mes services pour que je fasse office de greffier principal, et non pour que je sois membre à part entière de la commission. Mes compétences comme greffier étaient insuffisantes, et ma connaissance de l'histoire militaire, des reconstitutions militaires et des musées militaires ne m'aurait servi à rien dans mes fonctions de greffier. C'est pourquoi j'ai démissionné. Mais, à ma connaissance, la question d'une galerie de l'Holocauste au Musée de la guerre n'a jamais été évoquée.
Le président: Merci de votre présentation.
La séance est levée.