Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 2 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 26 octobre 1999
Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 9 h 10 pour examiner les ramifications pour le Canada de la modification apportée au mandat de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et au rôle du Canada dans l'OTAN depuis la dissolution du pacte de Varsovie, de la fin de la guerre froide et de l'entrée récente dans l'OTAN de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque; et du maintien de la paix, surtout la capacité du Canada d'y participer sous les auspices des organismes internationaux dont le Canada fait partie, quels qu'ils soient.
Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, à notre réunion de ce matin, nous espérions accueillir le ministre des Affaires étrangères et peut-être aussi le ministre de la Défense nationale. Toutefois, en raison des événements qui se sont produits au Pakistan, M. Axworthy ne peut être avec nous ce matin. Nous nous sommes demandé si nous devrions tenir notre réunion quand même. J'ai décidé que, puisque les sénateurs avaient prévu d'être ici et que nous avons du travail à faire, nous devrions tenir notre réunion en l'absence des ministres.
Nous commencerons par une séance d'information sur la situation qui prévaut au Timor oriental. Il est intéressant de noter que la situation du Kosovo et de l'ex-Yougoslavie ont dominé les manchettes pendant de nombreux mois pour ensuite disparaître, de l'actualité, du moins, et faire place au Timor oriental dont la présence dans les manchettes s'estompe aussi.
Le secrétaire général des Nations unies a fait allusion au facteur CNN; autrement dit, cet état de fait est attribuable au facteur CNN, qui fait que le public s'attarde à une situation particulière de façon intensive pendant un certain temps pour ensuite passer à autre chose.
Nous commencerons donc ce matin avec l'audition de témoins qui nous parleront du Timor oriental.
Vous avez la parole.
M. Joseph Caron, sous-ministre adjoint (Asie-Pacifique et Afrique), ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Au nom du ministère et des collègues qui m'accompagnent, je vous remercie de nous donner cette occasion de discuter avec vous des antécédents à la situation actuelle au Timor oriental, de la situation actuelle et de ce que l'avenir nous réserve.
Pour bien établir le contexte actuel, il serait utile de revenir un peu sur le passé. Il y a longtemps, lorsque nous étions à l'école, on nous a appris que les îles aux épices étaient très attrayantes pour les pays de l'Europe occidentale, particulièrement, qui envoyaient des navires de par le monde, navires qui fournissaient à l'Europe des biens divers. Bon nombre de ces épices provenaient de ce qui est maintenant l'archipel indonésien. La région où se trouve le Timor oriental a longtemps été le confluent des marins et explorateurs portugais et hollandais et, plus tard, des marchands. L'île de Timor a fait l'objet d'un conflit entre les Hollandais et les Portugais à différentes époques, mais, finalement, au milieu du siècle dernier, l'île a été divisée en deux, le Timor oriental et le Timor occidental, le Portugal occupant le Timor oriental.
Les habitants des deux extrémités de l'île ne sont pas très différents les uns des autres. De point de vue ethnique, ils sont sensiblement les mêmes. Ils parlent la même langue, et cetera, mais leur histoire coloniale est manifestement très différente. Les Timorais orientaux sont devenus chrétiens et sont même restés des sujets portugais jusqu'en 1975, année de l'effondrement de la dictature de Salazar au Portugal qui a mené à des troubles dans les anciennes colonies portugaises, y compris au Timor oriental où un groupe a déclaré l'indépendance, voulant ainsi créer un État autonome. En 1975, l'armée indonésienne a envahi le Timor oriental et, en 1976, le parlement indonésien l'a annexé.
Pendant les 23 années qui se sont écoulées depuis, les Indonésiens ont tenté d'intégrer le Timor oriental, manifestement en vain, en ayant probablement recours à une force militaire excessive en raison de leurs préoccupations de sécurité liées à l'intégration politique. Le mouvement indépendantiste n'est donc pas disparu; au contraire, il a pris de l'importance. Pendant cette période, l'instabilité a régné et, à l'occasion, des massacres ont même été perpétrés.
La fin du régime Suharto a en quelque sorte précipité la crise. Après le départ forcé de Suharto et le déclenchement des élections, la dynamique a changé du tout au tout. Depuis longtemps, la communauté internationale réclamait qu'on permette aux Timorais orientaux de déterminer leur propre avenir et cela a mené, en janvier de cette année, à la décision prise par le président de l'époque, M. Habibie, d'offrir aux Timorais le choix entre une autonomie accrue au sein de la fédération indonésienne et l'indépendance totale, dans le cadre du référendum qui s'est tenu le 30 août.
Les conditions de ce référendum avaient été établies par les Nations unies qui, au fil des ans, avaient entretenu un dialogue entre l'Indonésie et l'ancienne puissance coloniale du Portugal. Par conséquent, les conditions dans lesquelles s'est tenu le référendum et la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, ou du moins, jusqu'à ce qu'entre en vigueur la nouvelle résolution onusienne cédant le pouvoir à une administration de l'ONU ont été en grande partie définies par les accords intervenus le 5 mai entre l'ONU, l'Indonésie et le Portugal.
La décision de M. Habibie de tenir ce référendum a été très controversée, c'est le moins qu'on puisse dire, au Timor oriental même. Les forces pro-autonomie, même les forces qui auraient préféré une intégration continue en vertu de la même formule, étaient dans certains cas violemment opposées à ce référendum. On a assisté à d'importants incidents de conflit civil avant même sa tenue. Toutefois, on s'attendait à Jakarta et dans d'autres capitales, et probablement même a Dili, à ce que le résultat du référendum soit serré; on ne jugeait certainement pas que c'était gagné d'avance. On tenait donc beaucoup, à Jakarta et ailleurs, à ce que cet événement organisé par les Nations unies ne permettent pas à la balance de pencher d'un côté ou de l'autre. Pourtant, pratiquement tous les observateurs indépendants auraient déclaré que la possibilité d'un résultat serré était chimérique.
Je suis allé à Dili et à Jakarta en août, avant le référendum, et il était alors difficile de trouver une seule personne capable d'une vision et d'une réflexion indépendante qui ne prévoyait pas la victoire écrasante des indépendantistes, à laquelle on a d'ailleurs assisté. Quatre-vingt dix-neuf pour cent des quelque 640 000 personnes ayant le droit de voter se sont prévalu de ce droit et près de 79 p. 100 ont voté pour l'indépendance.
[Français]
En dépit des nombreuses interrogations au sein de la communauté internationale, aux Nations unies et même en Indonésie, à savoir si le vote devait avoir lieu étant donné l'instabilité qui régnait au Timor oriental, plusieurs se sont demandé si un délai ne devait pas être à l'ordre du jour. C'était essentiellement la décision du secrétaire général des Nations unies, à la suite de conseils qu'il recevait de M. Ian Martin et d'autres représentants de l'ONU, de gouvernements et observateurs, que le vote devait procéder. C'était une chance unique, mais c'était tout de même un risque.
Cela dit, la journée du vote, le 30 août, les choses se sont déroulées dans une grande paix et stabilité, à la grande surprise internationale. Peut-être aussi, encore une fois, reflétant l'espoir des forces prointégristes qui avaient une bonne chance de gagner. Comme on a pu le constater, ce n'est pas ce qui s'est déroulé.
Le vote a eu lieu le 30 septembre, le 4 octobre la décision est annoncée formellement par le secrétaire général des Nations unies en faveur de l'indépendance. Par la suite, on a vu une dégringolade de la sécurité dans cette province et partout au pays. Vous avez parlé du «CNN Factor», c'est cela qui a attiré CNN et les médias internationaux, y compris Radio-Canada et compagnie pour le vote, mais aussi la suite de ce vote.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela a été une période d'une grande violence; on a détruit une bonne partie des centres urbains; dans certains cas la totalité; dans d'autres cas, une partie de la ville. La ville de Dili, qui serait normalement la capitale, a été dévastée. Ce n'était pas des grandes villes, mais plutôt des petites villes de 20 000 ou 30 000 personnes et évidemment, c'était le point de sécurité d'une population qui était en partie urbaine et en partie agricole.
Avec tout cela en guise de bagage d'informations, le Canada a su, à travers cette période et d'ailleurs depuis 1975 ou 1976, porter un grand intérêt à ce dossier. J'étais agent de pupitre pour l'Indonésie il y a des décennies. À ce moment-là déjà, on devait traiter chaque année du vote aux Nations unies sur la question amenée par le Portugal, à savoir si on devait condamner l'Indonésie pour cette invasion. Il y a toujours un certain intérêt, quoique mince puisque la population timoraise au Canada se chiffre à deux personnes seulement.
Cela dit, l'intérêt d'équité, de démocratisation, de permettre à cette population qui contestait avec plus ou moins de force, y compris une force militaire, l'invasion indonésienne, faisait du Timor oriental une question très importante pour nous.
Avec la situation politique, les perspectives et les opportunités, les Timorais avaient évolué à la fin de l'époque Suharto. Nous avons repris des thèmes soulevés à maintes reprises, à savoir encourager le gouvernement d'Indonésie à permettre le vote, s'assurer que ce vote se déroule en bonne et due forme, dans la paix et la sécurité. Cela ne s'est pas vraiment fait avant le jour du vote. Les accords du 5 mai, il faut le dire, accordaient à l'Indonésie la responsabilité de la sécurité et toute la communauté internationale devait se plier à cette réalité.
Au cours des deux dernières années, nous avons demandé des consultations publiques et plusieurs rencontres ont eu lieu avec M. Xanana Gusmao, le chef putatif du Timor oriental.
Nous avons largement contribué au développement du Timor oriental et nous continuons à porter un intérêt qui se poursuivra dans les mois à venir. Si vous permettez, je vais demander à M. Paul Meyer de donner suite au sujet des questions onusiennes.
[Traduction]
M. Paul Meyer, directeur général, Direction générale de la sécurité nationale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Je me limiterai à une brève description de la dimension onusienne de l'établissement de cette force. Comme vous le savez sans doute, cette force d'intervention a été créée par les accords de mai intervenus entre l'Indonésie, le Portugal et l'ONU qui portaient sur la consultation populaire. Alors, en juin, le Conseil de sécurité a créé la mission de l'ONU au Timor oriental et l'a chargé de surveiller cette consultation populaire. Le Canada a envoyé des policiers et des observateurs électoraux dans le cadre de cette mission, et le conseil a été tenu au courant.
Comme M. Caron l'a expliqué, les conditions n'étaient pas propices à la tenue d'un scrutin libre et juste. Toutefois, il était clair que les Timorais tenaient à ce qu'ait lieu ce référendum en dépit des risques pour leur sécurité, dont le gouvernement indonésien était responsable.
Le scrutin s'est tenu dans des circonstances remarquablement pacifiques le 30 août; le taux de participation a été très élevé et une majorité écrasante s'est dite en faveur de l'indépendance.
Dès le lendemain, la situation s'est détériorée après que l'Indonésie ait abdiqué ses responsabilités en matière de sécurité.
Il s'en est suivi une période intense d'activités diplomatiques dans lesquelles le ministre canadien des Affaires étrangères a insisté pour que l'Indonésie rende des comptes. En dernière analyse, le Conseil de sécurité a jugé bon d'envoyer une délégation en Indonésie et au Timor oriental afin d'établir les faits sur place. Il a aussi exercé des pressions sur le gouvernement indonésien pour qu'il accepte la venue d'une force étrangère.
Cette force, la force multinationale INTERFET, dirigée par l'Australie, a reçu son mandat de la résolution 1264 du Conseil de sécurité de l'ONU le 15 septembre et est entrée au Timor oriental peu de temps après.
Conformément à son approche traditionnelle en matière d'opérations de maintien de la paix de l'ONU, le Canada aurait préféré l'envoi de bérets bleus le plus tôt possible, mais étant donné la gravité de la situation et la nécessité d'intervenir rapidement, il a reconnu qu'une force multinationale dirigée par les Australiens était la solution la plus expéditive.
J'insiste sur le fait que nous souhaitions que soit mise sur pied une force de maintien de la paix de l'ONU dans les meilleurs délais. La résolution des Nations unies l'indique déjà. Je suis heureux de vous dire que, hier, le Conseil de sécurité, à New York, a adopté la résolution 1272 qui crée l'administration provisoire des Nations unies au Timor oriental. Cette administration assumera les fonctions militaires d'INTERFET et établira une administration civile chargée de diriger la région au nom des Nations unies et de préparer les timorais orientaux à assumer le contrôle de leurs affaires.
J'ajouterai que c'est une force importante. Le Conseil de sécurité a autorisé l'envoi de 9 000 militaires, de plus de 1 600 policiers et de quelque 200 observateurs militaires.
Mes collègues du ministère de la Défense nationale pourront vous décrire la contribution du Canada à cette mission; c'est une contribution considérable. Pour ce qui est de la police, nous avons déjà choisi les quatre formateurs policiers et les six agents qui participeront à l'élément de police civile.
Le mandat de l'opération de maintien de la paix prend fin en janvier 2001. Le secrétaire général a aussi indiqué hier qu'il avait décidé de faire du sous-secrétaire général de Mello son représentant spécial. M. de Mello est un diplomate chevronné qui dirigeait le Bureau de coordination de l'aide humanitaire de l'ONU.
[Français]
Encore une fois, le Canada est engagé dans une opération de maintien de la paix qui démontre son désir d'apporter une contribution significative à la recherche de la sécurité internationale n'importe où dans le monde.
[Traduction]
Cela met fin à mes remarques. Peut-être pourrais-je maintenant céder la parole au ministère de la Défense nationale qui vous décrira brièvement la nature de la contribution canadienne à cette mission de maintien de la paix.
Le président: Cela nous intéresse particulièrement puisque notre mandat fait mention de notre capacité de nous acquitter de différentes tâches de maintien de la paix. Je vous en lis un extrait.
On fait d'abord allusion à l'OTAN, puis notre ordre de renvoi dit: «et du maintien de la paix, surtout la capacité du Canada d'y participer sous les auspices de n'importe quel organisme international dont le Canada fait partie». En l'occurrence, ce serait sous les auspices des Nations unies.
Nous nous intéressons donc à la nature de notre contribution et à la question de savoir si cette contribution pourra être apportée facilement, compte tenu de la nature des Forces canadiennes.
Le colonel Walter Natynczyk, directeur, Opérations J3, ministère de la Défense nationale: Monsieur le président, je suis prêt à vous présenter un bref exposé qui, je l'espère, répondra à plusieurs des questions que vous avez soulevées. Vous savez peut-être que la mission des Forces canadiennes au Timor oriental s'appelle l'opération Toucan.
[Français]
J'ai quelques notes historiques au sujet de notre contribution pour contrer l'encéphalite japonaise quant à la menace et l'estimé des coûts qu'elle suscite à la fin de l'engagement.
[Traduction]
Comme on l'a déjà mentionné, c'est l'Australie qui dirige la force internationale, ou INTERFET, au Timor oriental. Les Australiens enverront pour environ 4 500 des militaires d'une force qui en comptera approximativement 7 500. D'autres pays adhèrent à cette cause et envoient des troupes additionnelles.
Pour ce qui est de notre propre apport, dès le départ, nous avons procédé à une évaluation militaire afin de déterminer le genre d'unités que nous pourrions déployer sur le théâtre des opérations, celles qui seraient le plus indiqué pour le genre de mission que nous serons appelés à remplir compte tenu du nombre de nos militaires qui participent déjà à des missions. Vous n'êtes pas sans savoir que 4 000 de nos soldats sont actuellement déployés outre-mer.
De plus, il importe de se rappeler que notre contribution ne doit avoir qu'une incidence minime sur nos préparatifs en vue de l'arrivée de l'an 2000.
Je vous décrirai maintenant trois éléments que nous avons déployés sur le théâtre. Le premier est l'élément aérien. À cet égard, nous avons envoyé deux aéronefs de transport Hercule, ainsi que 150 soldats pour assurer l'entretien des aéronefs et un équipage d'aéronef. Ce contingent est basé à Darwin, dans le nord-ouest de l'Australie. Il a rempli sa première mission en se rendant à Dili, au Timor oriental, le 28 septembre. Jusqu'à présent, ces aéronefs ont transporté plus de 1,1 million de livres de cargaison et plus de 1 000 soldats entre leur base et Dili; nous sommes très satisfaits de leur rendement.
[Français]
Le navire Protecteur a quitté Esquimalt, sur la côte ouest, le 23 septembre avec 270 personnes à bord. Le NCSM Protecteur a poursuivi son entraînement en route tant pour l'équipage du navire que pour l'équipage des hélicoptères. Le NCSM Protecteur est maintenant dans le port de Dili pour assumer les tâches de son vis-à-vis australien, le HMAS Success.
[Traduction]
En ce qui a trait à l'élément terrestre, nous avons préparé 240 soldats du troisième bataillon du Royal 22e régiment, y compris des éléments de commandement et de soutien. Nous avons déployé sept véhicules légers en guise de soutien. Le déploiement s'est amorcé le 15 octobre après la formation exhaustive que nous dispensons à tous nos soldats qui vont en mission outre-mer. Ils ont été envoyés à Townsville, en Australie, où ils ont reçu une formation additionnelle en sensibilisation culturelle et en intégration aux forces de la Nouvelle-Zélande, formation qui s'est terminée le week-end dernier. Ils ont commencé à charger le navire australien Tobruk et à se préparer pour leur déploiement sur la côte sud du Timor oriental, près de la ville de Suai, déploiement qui devrait se faire dans les 48 heures. Ces trois éléments comptent quelque 650 soldats canadiens.
J'aimerais maintenant aborder un sujet crucial dans la planification de cette mission, à savoir, l'encéphalite japonaise. Cette maladie est courante dans les régions rurales de l'Orient. D'ailleurs, bien des bureaux d'information touristique signalent aux touristes se rendant dans cette région qu'ils devraient se soumettre à deux protocoles de vaccination, un à court terme et l'autre à long terme. Ces protocoles constituent un élément essentiel de nos préparatifs; nous avons dû les intégrer à notre programme de formation et préparer nos troupes pour leur séjour dans cette région. Notre pays n'est pas le seul à faire face à cette situation; la plupart des pays qui envoient des soldats dans cette région ont dû les préparer en conséquence, et cela comprend les Néo-Zélandais.
Pour ce qui est de la menace qui attend les forces canadiennes dans cette région, nous nous sommes surtout attardés à quatre grands groupes que nos soldats rencontreront: les forces armées indonésiennes, les milices pro-intégration, les milices pro-indépendance et certains réfugiés.
Vous savez sans doute que, pendant la période d'instabilité qui a suivi les élections, nous étions très préoccupés par la suite des événements. Aujourd'hui, la situation est beaucoup plus calme et elle s'améliore de jour en jour.
Notre autre grand défi, c'est l'environnement. C'est un environnement hostile où il y a des maladies, des insectes, des reptiles, et ainsi de suite, sans compter la mousson, dont la saison commencera dans les jours qui viennent.
En ce qui a trait au commandement et au contrôle, c'est le chef de l'état-major qui a le commandement plein et entier de toutes les forces canadiennes déployées dans cette région. Nous avons nommé un commandant pour le contingent canadien, le capitaine Roger Girouard, qui a le commandement opérationnel de toutes les forces canadiennes sur place. Le chef d'état-major a donné au commandant de l'INTERFET, le général Cosgrove, le contrôle opérationnel de nos troupes. Ce contrôle a été délégué au commandant du bataillon néo-zélandais au sein duquel la compagnie de l'armée de terre travaillera. Toutefois, le commandant du contingent canadien, qui habite actuellement à Dili, au Timor oriental, conservera le commandement opérationnel de toutes les forces canadiennes déployées dans le cadre de cette mission.
Pour ce qui est des règles d'engagement, cette mission s'accomplit aux termes du chapitre 7 des Nations unies qui permet le recours à la force pour l'accomplissement de la mission; nous pouvons aussi recourir à la force pour nous défendre. Nous sommes convaincus que ces règles d'engagement suffiront à assurer la protection des soldats tout en leur permettant de remplir leur mandat.
[Français]
Les variations des coûts supplémentaires sont d'environ 33 millions de dollars. L'évaluation est fondée sur 60 jours pour nos avions de transport Hercules et sur six mois pour l'implication navale et terrestre.
[Traduction]
Je crois que nous aurons alors terminé la transition, que l'administration onusienne sera en place, ce qui mettra fin à notre engagement dans cette région.
Pour conclure, nous avons dû relever plusieurs défis importants dans cette région, surtout en ce qui concerne l'encéphalite japonaise et l'inoculation. Nous envoyons nos soldats à l'autre bout du monde, un voyage d'environ 25 heures par avion. Ces soldats se trouveront dans un climat tropical dont ils n'ont pas l'habitude et nous ferons bientôt l'expérience de la mousson, dont la saison s'amorcera sous peu.
Les membres des forces canadiennes qui ont été formés pour cette opération sont le produit d'un système de formation extraordinaire. Ils sont très bien préparés et ont tout l'équipement qu'il leur faut pour accomplir leurs tâches.
M. Ted Langtry, directeur général, Programme de l'Indonésie, des Philippines et du Pacifique Sud, Agence canadienne de développement international: J'aimerais aussi profiter de cette occasion qui m'est donnée pour faire le point, brièvement, sur les activités de l'Agence canadienne de développement international au Timor oriental. Je vous donnerai un bref aperçu de ce qu'ont été nos activités dans cette région par le passé pour ensuite aborder nos activités actuelles. Je vous indiquerai aussi qui sont les autres pays donateurs qui assistent le Timor oriental.
En ce qui concerne les activités passées du Canada dans cette région, l'ACDI est présente au Timor oriental depuis 1979. Nous avons transmis notre aide surtout par l'entremise d'organisations internationales et non gouvernementales telles que la Croix-Rouge, CARE, Unitarian Services Canada, et ainsi de suite. On a mis l'accent sur les institutions et organisations locales afin de renforcer la société civile du Timor oriental et, ainsi, d'améliorer les conditions socioéconomiques. Récemment, nous avons accordé en moyenne environ 1,2 million de dollars chaque année au Timor oriental. Cela fait du Canada le troisième donateur de cette région, après les États-Unis et l'Australie.
Par suite de la signature de l'accord du 5 mai qui a mené au référendum sur l'indépendance du Timor oriental, l'ACDI a mis en branle des activités additionnelles visant surtout à appuyer la tenue du scrutin. Ces nouvelles initiatives se sont concentrées sur deux grands domaines. Premièrement, on a appuyé directement le processus référendaire parrainé par l'ONU. Comme on l'a indiqué plus tôt, il s'agissait essentiellement d'envoyer des policiers civils et des conseillers électoraux qui ont participé à la gestion et à l'administration du scrutin. Deuxièmement, encore une fois par le biais des ONG locales et internationales, nous avons contribué à l'éducation des électeurs. De plus, étant donné que la tension montait dans cette région et que cela était source d'inquiétude, nous avons investi dans les processus de pacification et de réconciliation.
Avec le recul, on pourrait se demander si nous avons réussi, car les choses ont bien empiré. Quoi qu'il en soit, nous avons versé une contribution de plus de 3 millions de dollars à la tenue du référendum.
Passons maintenant à la période post-électorale -- soit la période ayant suivi le 30 août -- pendant laquelle le chaos s'est installé. Il y a eu beaucoup de violence, de destruction et de déplacement de groupes nombreux de gens, de plus de 50 p. 100 de la population selon les estimations. L'ACDI a alors déployé ses efforts en matière d'aide humanitaire d'urgence et de reconstruction. Des sommes additionnelles ont été versées à des organisations telles que la Croix-Rouge pour la fourniture de nourriture, d'eau et d'installations sanitaires. Les sommes vouées à la remise en état ont été versées à des ONG telles que Vision mondiale et CARE Canada. En outre, des sommes ont aussi été versées à diverses organisations de l'ONU, plus particulièrement, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Ces fonds ont servi à aider à la réinstallation de certaines des personnes déplacées par suite d'actes de violence. À cet égard, hier, Maria Minna, la ministre de la Coopération internationale de qui relève l'ACDI, a annoncé qu'un montant additionnel de 1,5 million de dollars servirait à l'aide d'urgence. Pour l'année financière en cours, l'ACDI a déjà engagé 6,7 millions de dollars au Timor oriental. Comme je l'ai indiqué plus tôt, notre engagement moyen chaque année est de 1,2 million de dollars.
En ce qui concerne les défis particuliers que présente le développement au Timor oriental, c'est une situation bien particulière. Nous avons ici une petite nation émergente et, par conséquent, les défis sont considérables. La population du Timor oriental n'est pas nombreuse. Il est difficile de dire ce qu'elle sera une fois la réinstallation terminée, mais le nombre d'habitants devrait être d'environ 800 000. Approximativement 80 p. 100 des Timorais orientaux s'adonnent à l'agriculture de subsistance et les ressources naturelles ne sont pas abondantes dans la région. Bon nombre des travailleurs qualifiés qui vivaient au Timor oriental n'étaient pas timorais mais javanais, et ils ont quitté la région par suite de la montée de la violence et du mouvement indépendantiste. Par conséquent, la population du Timor oriental est petite et peu qualifiée. Sa capacité d'assimilation est donc limitée.
Eu égard à l'aide au développement, nous procéderons en trois étapes. Nous avons déjà décrit les besoins immédiats, soit l'aide humanitaire et la reconstruction. Cela prendra au moins six mois, et probablement plutôt douze mois et peut-être même plus. L'approvisionnement actuel en nourriture devrait suffire pour plusieurs mois. Les services médicaux aussi sont suffisants, mais on souffre d'une pénurie de médicaments. De plus, on manque de semences pour permettre à la population de commencer l'ensemencement. C'est maintenant que commence le temps des récoltes au Timor oriental. Si nous ratons cette saison-ci, les besoins de nourriture à long terme seront accrus. Le transport et la distribution du matériel, des denrées, et cetera aux nécessiteux continuent de constituer un défi.
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, le BCAH, un organisme onusien situé à Genève, a organisé à la mi-septembre, au Timor oriental, une mission de diverses agences de l'ONU afin d'évaluer ce que seront à moyen terme les besoins humanitaires. Nous avons eu des indications préliminaires de l'ampleur de ces besoins, mais nous attendons encore l'évaluation finale qui devrait nous être remise incessamment.
Après avoir comblé les besoins humanitaires, on passera à la deuxième étape, soit celle du gouvernement de transition qu'on a décrit plus tôt. C'est une étape qui se situe à moyen terme et qui intéresse surtout les Nations unies à qui il incombera d'administrer le Timor oriental jusqu'à ce que les Timorais orientaux aient la capacité de gérer leurs propres affaires. Cela se fera probablement sur plusieurs années. L'ONU est à dresser une liste détaillée des ressources qui seront nécessaires et des coûts que cette étape entraînera.
La dernière phase, à plus long terme, est celle du développement du Timor oriental. Ce développement est axé sur l'accroissement du bien-être socioéconomique des Timorais orientaux. Elle se poursuivra pendant de nombreuses années. La Banque mondiale a mis sur pied une mission conjointe d'évaluation dont l'équipe est arrivée au Timor oriental hier. Cette équipe se penchera sur les besoins immédiats et à long terme de développement dans la région. L'équipe comprend des experts en gouvernement civique, en tribunaux, en macroéconomie, en agriculture, en développement communautaire, et cetera.
L'équipe d'évaluation passera environ trois semaines au Timor oriental. Elle rédigera ensuite un rapport qui sera examiné par les donateurs à une réunion qui devrait se tenir au début de décembre. Nous aurons alors une évaluation des besoins à long terme en développement de la région ainsi qu'une indication de ce que seront les coûts réels.
En ce qui a trait aux donateurs, comme je l'ai indiqué plus tôt, jusqu'à cette année, le Canada avait été l'un des principaux donateurs au Timor oriental, avec les Américains et les Australiens. Par suite de la percée qu'a constitué l'accord du 5 mai, on a assisté à un intérêt croissant de la part d'autres donateurs, bilatéraux et multilatéraux. Ainsi, le Portugal, l'ancienne mère patrie du Timor oriental, se sent tenu d'aider cette région. D'ailleurs, il est probable que le Portugal deviendra le principal donateur bilatéral du Timor oriental. L'Australie, un pays voisin, s'intéresse aussi au développement de la région et restera vraisemblablement un donateur important. Il y a aussi des sources multilatérales. La Banque mondiale et la Banque asiatique de développement devraient jouer un rôle important dans l'avenir de cette région.
Pour ce qui est de savoir qui a versé le plus en aide humanitaire, je crois que jusqu'à présent, ce sont les Américains qui ont apporté la plus importante contribution. Cette contribution a surtout pris la forme de nourriture et de transport.
Comme vous pouvez le constater, les donateurs s'intéressent beaucoup à cette région du globe. Pour que l'aide internationale ait l'incidence la plus positive qui soit sur le Timor oriental, il faut assurer une bonne coordination des efforts des donateurs. J'ai déjà parlé de la mission conjointe d'évaluation de la Banque mondiale. Cette mission représente le premier véritable effort de coordination. À l'ACDI, nous continuerons de collaborer avec les autres donateurs pour faire en sorte que l'aide que nous accordons au Timor oriental soit opportune et efficace.
Le président: J'ai une série de questions à vous poser. Toutefois, je vois que le sénateur Bolduc aimerait commencer, alors je lui cède la parole.
[Français]
Le sénateur Bolduc: Pourriez-vous nous dire, M. Caron, du point de vue du ministère, pourquoi les Canadiens sont là? Est-ce suite à une requête des Nations unies? Est-ce le rôle du ministre au Conseil de sécurité qui nous oblige à agir? Est-ce l'acceptation du nouveau concept stratégique de sécurité humaine qui nous motive, aussitôt qu'il y a un problème de droits humains dans le monde, à nous impliquer? Est-ce notre amitié avec l'Australie et le Commonwealth ou nos relations économiques dans l'APEC et avec l'Indonésie? Est-ce CNN ou Radio-Canada qui aiment bien les référendums, semble-t-il? Peut-on avoir une idée claire des critères fondamentaux d'une sorte de «boy-scoutisme» très activiste dans les relations internationales, partout dans le monde. J'entendais l'Américain M. Kennan dire qu'il était ridicule et même irréaliste pour les Américains d'essayer de policer le monde, et nous, les Canadiens, semble-t-il, pensons pouvoir le faire.
Il y a des problèmes dans le monde entier. En Afrique, les gens se s'entre-tuent continuellement. Au Sierra Leone, entre autres, cela dure depuis cinq ans. On n'y est pas encore allés.
Pourquoi le Canada va-t-il à ces endroits? Le Kosovo, on peut le comprendre, fait partie de l'OTAN. On est à 10 000 milles de ces gens. Je n'ai rien contre eux mais j'aimerais savoir pourquoi? Plus tard, peut-être qu'un juge nous demandera de poursuivre les criminels. Sera-t-on présent dans ce pays pendant 25 ans, comme à Chypre? Autrement dit, quel est le problème et pourquoi sommes-nous impliqués dans ces pays?
Depuis le début de votre témoignage, vous dites que c'est une bonne affaire et qu'il faut participer à ces missions. Je voudrais qu'on m'explique pourquoi. On place des ressources un peu partout dans le monde. Semble-t-il que si on développe le concept de sécurité humaine à une grande échelle, à un moment donné, il va falloir être présent dans tous les pays. On a déjà de la difficulté à faire partir nos Hercules, et cela m'inquiète un peu.
M. Caron: Vous ne posez pas des questions simples, sénateur Bolduc. Il s'agit d'une question fondamentale de politique étrangère. Essentiellement, vous avez touché plusieurs raisons qui animent notre participation et notre intérêt au Timor oriental.
Il est vrai que le Timor oriental est un îlot composé d'environ 890 000 personnes. C'est très loin d'ici et il n'y a presque aucun Timorais au Canada. Vous avez été informé par mon collègue des difficultés auxquelles fera face cette nouvelle entité politique.
Prima facie, se poser la question est tout à fait légitime. Il va sans dire que la participation canadienne n'a pas été décidée sans une réflexion très profonde des mobiles. Il faut d'abord faire une réflexion sur nos intérêts dans l'Asie-Pacifique. Il est vrai que c'est une région éloignée, mais elle revêt de plus en plus d'importance pour le Canada.
Durant les années 90, on n'avait pas de défis de paix et de sécurité dans la région, mais nos intérêts étaient assurés par une grande stabilité dans la région. Sur le plan géographique, l'Indonésie -- où se situe le Timor oriental -- est l'un des plus grands pays du monde. On y retrouve 17 000 îles et sa population s'élève à environ 220 millions d'habitants. Même déséquilibré, ce pays avait un accroissement économique assez impressionnant.
La stabilité économique est importante pour toute la région du sud-est asiatique et même au-delà parce que ce pays chevauche les liens du transport maritime entre le Pacifique et l'océan Indien, où passe une bonne partie de l'huile qui nourrit l'industrie japonaise.Une stabilité économique en Indonésie est donc absolument centrale aux intérêts canadiens.
Il s'agit d'un nouveau pays qui est en train de se constituer et de se démocratiser. On en a d'ailleurs vu les effets la semaine dernière. C'est un pays dans lequel beaucoup d'autres pays ont des intérêts assurés tels la réussite du trajet entre une histoire coloniale, une période de leadership quasi militaire et, maintenant, une démocratisation réelle. Nos intérêts seraient très mal servis s'il y avait débâcle du pays.
Nous sommes en Asie pour les raisons que vous connaissez. L'APEC est visiblement un membre très important et sa stabilité est essentielle. Dans un sens macro, c'est ce qui importe. Dans un sens plus micro, c'est une question de sécurité humaine. Vous avez tout à fait raison, on ne peut pas être partout tout le temps. D'ailleurs, il n'y a pas un pays au monde qui cherche à l'être.
On voit la situation à Washington ces temps-ci et même un pays de cette taille tient des débats sur son rôle international. La situation voulait que les conditions au Timor oriental étaient telles que la communauté internationale pouvait y jouer un rôle. Elle l'a joué beaucoup plus rapidement que la pratique onusienne l'a fait.
Si on regarde l'expérience des 10 ou 20 dernières années, cela reste faisable. C'est un théâtre où nos intérêts géopolitiques et où la réalisation de nos priorités de politique étrangère peuvent se réaliser. Il est vrai qu'en Afrique, il y a bien des endroits où les choses ne vont pas bien. Vous avez soulevé la situation au Sierra Leone. Dans ce cas, les conditions d'une action internationale restent beaucoup plus limitées. Évidemment, il faut faire des choix et pour les raisons que je viens de soulever, on a choisi d'agir au Timor oriental.
Le sénateur Bolduc: Ce sont les critères qui m'intéressent. Vous décidez d'aller au Timor oriental et vous n'allez pas aux autres endroits. Il me semble que c'est grave. Il y a des vies humaines en cause, des ressources et des budgets.
J'imagine qu'il faudra encadrer le ministère des Affaires étrangères sur ce plan. Je comprends la tradition, depuis 50 ans, que la décision doit être prise par le ministre et le gouvernement.
Il faudrait établir un certain nombre de critères qui nous permettent de prendre la décision d'y aller. On devrait aussi garder la marge de man<#0139>uvre et la discrétion diplomatique jusqu'au bout. Le Parlement est un peu impuissant face à cette situation. Il ne fait que nous informer de l'action prise.
Dans le monde à venir, il faudrait que l'action internationale du Canada soit davantage encadrée selon certains critères. C'est un peu comme l'architecture financière internationale, ce n'est pas facile à définir.
J'ai l'impression de vivre encore dans la période du pouvoir absolu du roi qui décide que l'on se rend à tel endroit plutôt qu'à un autre. Cette situation est diffficile à accepter pour un parlementaire.
M. Caron: Certaines de vos questions sont d'ordre nettement politique. Je laisse mon ministre y répondre.Je crois que nous avons cet encadrement dont vous parlez. C'est un encadrement qui donne à la politique étrangère du Canada une perspective multidimensionnelle.
L'encadrement est en partie de jouer sur bien des plans. Il y a aussi l'encadrement des ressources. Cela a inspiré vos commentaires. Je ne représente pas l'autorité, ce sont mes collègues. Dans certaines interventions internationales, on s'est limité à quatre ou cinq personnes.
Au Sierra Leone, on songe à cinq observateurs militaires et peut-être un ou deux policiers. Le choix se fait en partie par les circonstances et la disponibilité des ressources. Il est vrai qu'on agit dans bien des champs à la mesure de nos capacités. Cela définit une partie de notre politique étrangère et, par conséquent, notre image dans le monde.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Monsieur Caron, vous nous avez expliqué de façon convaincante pourquoi le Canada devrait s'inquiéter du sort de l'Indonésie. Sa stabilité et son succès sont importants pour le Canada pour toutes les raisons que vous nous avez données.
Votre conclusion m'a toutefois amenée à croire que nous n'aurions pas dû aller au Timor si nous tenons à la stabilité de l'Indonésie, car nous avons mis en branle le processus d'accession à l'indépendance du Timor. Pourquoi l'indépendance du Timor serait-elle plus souhaitable que l'indépendance de toutes les autres îles de l'Indonésie où émergent des mouvements pro-indépendance, dont certaines comptent moins de 800 000 habitants mais d'autres davantage? Nous avons pris des mesures qui accéléreront le mouvement vers l'indépendance du Timor. En quoi profiterons-nous d'une situation qui pourrait déstabiliser davantage l'Indonésie?
Je ne vous ai pas entendu dire une seule fois que l'indépendance de l'Indonésie était essentielle à notre sécurité. Vous avez dit que c'est la stabilité de l'Indonésie qui est importante.
Vous avez déclaré que nous étions intervenus au Timor parce que c'est une région où les Nations unies pouvaient jouer un rôle. Voulez-vous dire que nous sommes là-bas uniquement parce que les Nations unies y ont trouvé un rôle à jouer? Ce qui m'inquiète, c'est que nous n'avons pas décidé directement des raisons de l'intervention du Canada au Timor oriental.
M. Caron: Je vous répondrai comme suit. Je ne suis pas d'accord avec l'une de vos affirmations, sénatrice. Je ne pense pas que nous ayons décidé ou que le Canada se soit fixé pour objectif de créer un Timor oriental indépendant. Il y a certaines réalités sur le terrain. Ce pays a été envahi par les troupes indonésiennes et annexé par la force. Les Nations unies n'ont pas reconnu cette annexion. Ce que nous n'avons eu de cesse de demander, et de plus en plus souvent ces derniers temps, c'est qu'on offre aux Timorais la possibilité de décider de leur sort à l'occasion d'une élection. C'est ce que nous voulions et c'est ce qui s'est passé.
Je suis convaincu que c'était important également pour assurer la stabilité en Indonésie. Cette situation risquait d'envenimer les choses dans l'archipel indonésien. Elle a maintenant été réglée pour le meilleur ou pour le pire. Je dirais qu'en intervenant nous avons servi directement nos intérêts.
Le sénateur Andreychuk: Le Canada va-t-il jouer un rôle en permettant à d'autres mouvements indépendantistes de l'Indonésie d'obtenir les mêmes résultats que le Timor oriental?
M. Caron: C'est une question hypothétique.
Le sénateur Andreychuk: Il y a deux régions qui veulent maintenant une plus grande autonomie ou indépendance. Il y a des mouvements indépendantistes dans deux autres régions de l'Indonésie. Le Canada va-t-il leur offrir la possibilité de choisir comme pour le Timor oriental?
Le sénateur Grafstein: Il y en a six ou sept.
M. Caron: Vous avez partout des gens qui réclament une plus grande autonomie.
Le sénateur Grafstein: Ils veulent l'autodétermination.
M. Caron: C'est leur prérogative, mais je ne pense pas que la question se situe là. Le gouvernement indonésien doit résoudre lui-même ces conflits. Il y a un nouveau président qui, dans les discours qu'il a tenus depuis son élection, a dit vouloir décentraliser le pouvoir décisionnel ou le pouvoir d'imposition. Le nouveau président reconnaît toutefois qu'il doit s'occuper de ces divers mouvements. Ce n'est pas au Canada de lui dicter quoi faire, mais nous devons inviter le gouvernement indonésien à respecter les droits de la personne, les droits politiques et tous ces droits essentiels afin de faire de l'Indonésie un pays fort.
Le sénateur Andreychuk: À quel moment le Canada a-t-il changé sa façon de voir? Nous avons toujours dit que nous incitions l'Indonésie à respecter les droits de la personne, non seulement au Timor oriental, mais dans toute l'Indonésie étant donné que la même répression avait cours dans d'autres régions. Telle a toujours été la position du Canada. À quel moment avons-nous décidé que nous avions intérêt à soutenir le mouvement indépendantiste et de permettre aux Est-Timorais de choisir comme vous l'avez dit? Vous affirmez que c'est à l'Indonésie de résoudre elle-même toutes ces questions en ce qui concerne les autres régions du pays. Pour quelle raison le gouvernement canadien a-t-il considéré le Timor oriental dans une catégorie à part et quand cela s'est-il produit?
M. Caron: Je commencerais par ce que vous avez dit à propos de la façon de voir des Canadiens. Les Canadiens s'intéressaient beaucoup à la question. Nous avons reçu des milliers de messages, surtout par courriel, à ce sujet.
Quant à la situation au Timor oriental, ce pays a été occupé et annexé de force. Les Nations unies n'ont pas reconnu cette annexion à l'Indonésie, ce que le président Habibie a fini par reconnaître au début de l'année. Ces circonstances très particulières ne prévalent nulle part ailleurs en Indonésie.
Le sénateur Stollery: Elles prévalent en Nouvelle-Guinée occidentale.
Le président: Vous avez parlé de maintenir la stabilité en Indonésie. L'une des raisons pour lesquelles nous avons tellement tenu à résoudre le problème au Timor oriental est que la population de cette région ést en majorité chrétienne. Cela a incité beaucoup de Canadiens, d'Américains et d'Européens à s'intéresser particulièrement à la situation, ce qui n'aurait peut-être pas été le cas si la population avait été musulmane, par exemple.
Vous avez parlé de tous les messages que vous avez reçus. Je voudrais savoir si l'indépendance est une possibilité que nous avons envisagée dès le début. Ne nous attendions-nous pas à ce que le vote porte sur l'autonomie? L'option de l'indépendance ne nous a-t-elle pas pris par surprise, et par conséquent, nous n'avions pas envisagé la situation actuelle?
M. Caron: Les gens ont fait toutes sortes d'hypothèses quant au résultat du vote. Comme je l'ai dit, lorsque je suis allé à Jakarta et à Dili, j'ai commencé par demander aux gens à quel résultat ils s'attendaient. J'ai obtenu des réponses diverses, comme pour n'importe quelle élection.
Avons-nous réfléchi à ce qui pourrait se passer si la population votait pour l'indépendance? Bien entendu. Nous nous sommes aussi demandé ce qui se passerait si le vote était en faveur de la plus grande autonomie que proposait le gouvernement indonésien. Il y a nécessairement des limites quant à ce qu'il est possible de faire pour se préparer. Nous devions nous garder de préjuger les résultats, aux yeux de la communauté internationale, à commencer par les Nations unies. Nous étions devant un dilemme car même avant le vote, nous étions sans doute les plus actifs, au sein du Conseil de sécurité, à exhorter les Nations unies à se préparer à toute éventualité.
Ces exhortations se sont heurtées à une grande résistance étant donné que les Nations unies ont souvent été accusées de manquer d'objectivité, surtout à Jakarta. Si l'on créait cette impression, ce ne serait pas dans l'intérêt de la communauté internationale, de l'Indonésie ou du Timor oriental. En tout cas, ce n'était pas vrai.
Si vous me demandez, sénateur, si l'indépendance a été l'un des résultats envisagés, cela a certainement été le cas.
Le président: J'ai une question à poser au sujet d'un document que j'ai lu, mais que je n'ai pas sous la main.
Le Canada a-t-il demandé que l'option de l'indépendance soit inscrite sur le bulletin de vote? Ou voulions-nous l'option de l'autonomie?
M. Caron: Non, nous ne l'avons pas demandé au gouvernement.
Le président: Comment cette option s'est-elle retrouvée sur le bulletin de vote? Est-ce sur l'initiative de l'Indonésie?
M. Caron: Oui, c'est sur l'initiative de l'Indonésie.
Le président: Pourquoi?
M. Caron: Vous devrez poser la question aux Indonésiens.
Le président: Nous pouvons émettre certaines hypothèses. N'était-ce pas pour placer les Est-Timorais devant la perspective de devenir indépendants avec une population moins nombreuse que celle de la Nouvelle-Écosse, par exemple, et une économie qui a été qualifiée de peu viable? Ne voulait-on pas leur faire peur et les inciter à voter pour l'autonomie?
M. Caron: Comme je l'ai dit, le Timor oriental avait été envahi. Les Nations unies n'ont pas reconnu le nouvel état de fait. Ce processus a été organisé par les Nations unies. Quant au bulletin de vote, si vous me demandez d'émettre des hypothèses, certaines personnes, y compris sans doute un grand nombre de partisans de l'intégration, ne voulaient même pas de l'élargissement de l'autonomie. Ces gens étaient satisfaits du statu quo. Le maintien des relations entre Dili et Jakarta n'était pas au nombre des options figurant sur le bulletin de vote.
À la fin, le gouvernement indonésien a inscrit en première place sur le bulletin de vote l'option de l'autonomie accrue. Deuxièmement, comme il en avait convenu le 5 mai avec le Portugal et les Nations unies, il a inscrit l'option de l'indépendance.
D'un bout à l'autre, nous avons cherché à faire en sorte que le processus des Nations unies puisse suivre son cours et que les Est-Timorais soient consultés. Nous avons appuyé les pourparlers entre le gouvernement portugais, les Indonésiens et les Nations unies, mais sans dire quelle devrait être la teneur de ces pourparlers.
Le sénateur Grafstein: J'en reviens à la question à laquelle mes collègues d'en face et la présidence ont fait allusion. Nous semblons être intervenus, dans ce cas en dehors de notre théâtre d'opération, de notre champ d'action, en dehors de nos relations avec les Nations unies. Commençons par les Nations unies. Si je comprends bien la façon dont elles sont structurées, il y a au sommet une structure supranationale, organisée et motivée par un conseil de sécurité permanent, amplifiée par un conseil de sécurité élargi, le tout reposant sur des piliers régionaux. Le Canada ne fait pas partie du pilier de cette région. Pourquoi sommes-nous là-bas?
Il est question ici du champ d'action des Nations unies tel que nous l'avions envisagé. Les diverses régions doivent s'unir pour préserver la Charte des Nations unies. Pourquoi sommes-nous là-bas? Considère-t-on maintenant que nous faisons partie du pilier asiatique des Nations unies?
J'ajouterai que, sauf en Corée pour des raisons différentes, nous avons évité d'être un membre actif de cette sous-région. Comment justifions-nous de nous éloigner des critères de la superstructure des Nations unies si ce n'est, comme l'ont dit nos collègues d'en face, pour jouer le rôle de boy scout? Nous voulons tous jouer le rôle de boy scout ou de scout, devrais-je dire, pour ne pas faire de sexisme.
Quelle est la raison d'être de notre intervention selon la théorie des Nations unies? Quelle est sa raison d'être compte tenu des alliances stratégiques dans cette région? Nous ne faisons pas partie de l'OTASE et nous n'en avons jamais été membres. Au niveau stratégique, nous ne faisons pas partie de la région. Pourquoi y sommes-nous maintenant? Pourquoi sommes-nous le troisième donateur par ordre d'importance? Pourquoi nous apprêtons-nous à dépenser 30 millions de dollars de l'argent des contribuables en dehors de notre région, en dehors de notre théâtre d'opération et sans rapport avec notre participation aux Nations unies telle que l'avait prévue M. Pearson en 1947?
M. Caron: En ce qui concerne les Nations unies, je vais céder la parole à M. Langtry, qui parlera des questions concernant le développement et à M. Meyer pour parler du fonctionnement de l'ONU.
Premièrement, nous ne voulons certainement pas critiquer les scouts, garçons ou filles. C'est une excellente institution que nous appuyons tous.
Notre engagement à assurer la paix et la sécurité dans la région de l'Asie-Pacifique ne s'est pas limité à la Corée. Nous étions dans ce secteur pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous étions au Viêtnam pour la première Commission mixte internationale. Nous étions au Vietnam pour la Commission internationale de contrôle et de surveillance. En fait, c'était mon premier poste à l'étranger. Nous avons été au Cachemire. Nous continuons à jouer un rôle dans la surveillance du cessez-le-feu qui remonte à 1951, en Corée. Nous avons beaucoup de crédibilité dans cette région du monde. Ce n'était pas quelque chose de nouveau.
M. Meyer: Il faut faire une distinction entre la Charte des Nations unies et certains processus. En ce qui concerne l'élection de représentants non permanents au conseil, elle se fait sur une base régionale, mais nulle part il n'est dit dans la Charte que les pays sont là pour poursuivre leurs intérêts régionaux. Ce n'est pas pour poursuivre nos intérêts régionaux que nous nous sommes réunis pour constituer la Charte des Nations unies.
Tous les États membres de l'ONU ont des obligations envers la communauté mondiale même s'il est entendu que, pour refléter les intérêts régionaux, des ententes informelles prévoient la nomination et l'élection des membres non permanents du conseil sur une base régionale. C'est là une importante distinction à faire pour ce qui est du fonctionnement des Nations unies.
M. Langtry: Pour placer la situation dans son contexte, le programme au Timor oriental a été soutenu en tant que sous-élément du programme d'aide au développement indonésien. En juillet dernier, à la réunion annuelle des pays donateurs au cours de laquelle les donateurs s'engagent à apporter une contribution à chaque pays au cours de l'année à venir, la somme totale engagée se chiffrait à 5,9 milliards de dollars US. La contribution du Canada correspondait à 0,3 p. 100 de ce montant si bien qu'elle est modeste par rapport à l'ensemble de l'aide dont bénéficie ce pays.
L'année dernière, nous avons accordé au total 39 millions de dollars canadiens à l'Indonésie. Sur ce montant, il y a eu 1,2 million pour le Timor oriental. Par conséquent, la majeure partie de notre programme d'aide s'adresse à l'Indonésie plutôt qu'au Timor oriental.
Le fait que nous soyons le troisième donateur au Timor oriental reflète en grande partie les relations que nous avons entretenues avec le gouvernement indonésien. Nous avons d'excellentes relations avec les Indonésiens. L'administration du Timor oriental a fait l'objet d'un contrôle très serré, la plupart des donateurs n'ont pas été autorisés à travailler dans la région. C'est un pays où il y avait des besoins humains fondamentaux. Dans certains cas, les gens ne pouvaient même pas se nourrir et se loger. C'est ainsi que nous sommes devenus l'un des principaux donateurs.
Néanmoins, notre contribution a été relativement modeste. Elle a été de l'ordre de 1,2 million de dollars au cours de ces dernières années. Cette année a été exceptionnelle en raison des événements qui se sont produits au Timor oriental.
Les donateurs ont fait preuve d'un plus grand intérêt pour ce pays. Je n'ai aucune idée de l'endroit où nous nous retrouverons sur la liste, mais ce ne sera certainement pas à la troisième place. Nous allons nous retrouver en bas de la liste. Notre contribution à l'évolution future de ce pays ne peut certainement pas être qualifiée de majeure.
Le sénateur Stollery: Nous sommes nombreux à penser que les ressources de notre pays sont limitées et c'est ce qui explique la teneur de certaines de nos questions.
J'étais au Timor portugais en 1961 lorsque c'était une colonie pénitentiaire. N'y a-t-il pas eu une tentative de coup d'État des marxistes entraînés par les Portugais lorsque le Portugal s'est retiré en 1975? N'est-ce pas la raison pour laquelle l'Indonésie a envahi le pays et cette invasion n'avait-elle pas l'appui de l'Australie, l'autre puissance de la région?
M. Caron: Dans les années 60 et 70, le gouvernement Salazar s'est battu contre les mouvements anti-indépendantistes dans toute l'Afrique. Il est intéressant de constater qu'un grand nombre des principaux acteurs du mouvement pour l'indépendance ou pour l'autonomie du Timor oriental étaient d'anciens compagnons d'armes au Mozambique ou en Angola. Les Portugais ont intégré les forces coloniales et les ont déplacées d'un pays à l'autre.
J'ignore quelles étaient les opinions politiques de ceux qui sont revenus, mais certains d'entre eux sont retournés au Timor oriental en 1975. Le gouvernement s'est effondré au Portugal, c'était la pagaille à Dili et il y a eu une déclaration d'indépendance, pour ainsi dire, qui a incité les Indonésiens à intervenir en l'espace de 24 heures.
J'avoue ne pas me souvenir de ce qu'était alors la position de l'Australie. Un de mes collègues s'en souvient peut-être.
Le sénateur Stollery: La position des Australiens est bien connue. Quelqu'un de chez vous doit certainement savoir ce qui s'est passé, pourquoi l'Indonésie a envahi le Timor et si c'était ou non avec l'appui de l'Australie. J'aimerais voir ce que vous avez à dire étant donné que c'est un élément important du scénario.
M. Caron: Je ne peux pas répondre à votre question en détail. L'Indonésie craignait évidemment de voir la moitié de cette toute petite île s'orienter dans une direction qu'elle désapprouvait.
Le sénateur Stollery: De quelle direction s'agissait-il? Était-ce ou non des marxistes? Est-ce ce que pensaient les Indonésiens?
M. Caron: C'est sans doute ce que pensaient les Indonésiens. Je ne suis pas très bien informé sur cette période. Il y avait des marxistes et il y avait des nationalistes. Il y avait ceux qui voulaient rester un pays distinct de l'Indonésie et tous ces facteurs sont entrés en jeu.
Le sénateur Stollery: L'Australie a-t-elle appuyé l'invasion?
M. Caron: Je ne le crois pas, mais j'ignore quelle était sa position. Ça dépend de ce que vous entendez par «appuyer l'invasion».
Le sénateur Stollery: L'Australie a-t-elle, de façon générale, appuyé l'occupation du Timor portugais par les Indonésiens? Ne le savons-nous pas?
M. Caron: Je ne sais pas ce que vous entendez par «appui», mais on me rappelle que l'Australie a reconnu la souveraineté de l'Indonésie en 1978.
M. Meyer: L'Australie est le seul pays de la communauté internationale qui ait reconnu ce qu'elle considérait comme un fait accompli vis-à-vis d'un partenaire régional très important. Je dirais que cela ne correspondait pas à l'attitude générale de la communauté internationale.
Le sénateur Stollery: Le seul pays situé près du Timor portugais est l'Australie. Je me souviens avoir entendu, dans le seul aéroport du pays, à Baucau, ces arguments échangés entre les marxistes et ce que j'appellerais les catholiques ultramontains. Darwin, en Australie, constituait la seule liaison aérienne avec le Timor. C'est très bien de dire ce que le reste de la communauté internationale pensait de la situation, mais la plupart des Portugais qui ont quitté le Timor ne se sont pas rendus au Portugal, mais en Australie. De toute évidence, c'est l'Australie qui dirige cette mission, n'est-ce pas?
M. Meyer: L'Australie dirige la mission multinationale. On n'a pas encore établi qui dirigera la mission de maintien de la paix de l'ONU.
Le sénateur Stollery: Cet État non viable va-t-il finir par tomber sous le contrôle de l'Australie ou de l'Indonésie?
M. Caron: La communauté internationale, à commencer par les Nations unies, va se pencher activement sur la question de sa viabilité. Quant à savoir qui le soutiendra, à court et à moyen terme, je suppose que plusieurs pays, dont le Portugal, joueront un rôle très important. Je suppose que les Japonais joueront également un rôle important, tout comme les États-Unis. Nous aurons notre place à cette table.
Quant à savoir envers qui les Timorais auront des obligations, ce sera envers leurs voisins, c'est-à-dire l'Indonésie et l'Australie, de même qu'envers les pays donateurs et ceux qui ont des intérêts dans cette région.
Le sénateur Andreychuk: Nous avons souvent des raisons louables d'intervenir dans un pays. On a toujours de bonnes raisons de le faire, par exemple pour instaurer la démocratie, permettre l'autodétermination de la population, mettre un terme à une répression de la part d'autres États, et cetera. Ce qui me préoccupe avant tout c'est la sécurité des personnes et le droit à la vie. Nous étudions le Kosovo et maintenant nous nous penchons sur le Timor oriental. Il semble que nous intervenions dans ces régions pour des raisons humanitaires louables, de même que pour des raisons de sécurité; néanmoins, nous finissons par causer davantage de pertes de vie. Nous devenons presque les complices de ceux que nous méprisons le plus, à savoir les dictateurs et les chefs des régimes répressifs.
Au Timor oriental, ne devrions-nous pas réexaminer notre appui aux décisions de l'ONU? Nous savons -- et c'est ce que nos propres observateurs nous ont dit -- que si nous poussions pour l'indépendance en août il y aurait de nouvelles victimes. Il y avait déjà des tueries des deux côtés. Au cours des années, les rebelles ont commis des actes qui vont à l'encontre des normes canadiennes. Le gouvernement indonésien en a fait autant.
Nous avons déjà dit que le plus important c'était les droits de la personne. Nous avons toutefois accepté un processus des Nations unies qui compte sur les Indonésiens pour garantir la sécurité au Timor oriental. Pendant ce temps, nous savions qu'ils ne pourraient pas garantir cette sécurité. Je crois que cela a entraîné davantage de morts, non pas le jour des élections, mais peu de temps après.
Comment pouvons-nous nous éloigner de l'intervention des Nations unies, ce que nous semblons vouloir? Comment pouvons-nous modifier notre propre politique étrangère de façon à ne pas contribuer davantage de morts, de destruction et de violation des droits de la personne? Comment pouvons-nous éviter d'avoir de nouvelles morts sur la conscience? Les observateurs des Nations unies au Canada ont dit: «Faites-nous confiance, nous allons garantir votre sécurité». En réalité, nous espérions que Habibie pourrait le faire alors que nous aurions dû savoir qu'il ne le pourrait pas.
M. Caron: La situation au Timor oriental était très particulière et je ne crois pas utile d'y revenir encore une fois. L'Indonésie avait conclu que, d'une façon ou d'une autre, elle devait mettre un terme à ce problème. Du point de vue humanitaire, a posteriori, c'est une situation qui a fait de très nombreuses victimes. Néanmoins, elle régnait depuis un certain temps. Il était temps de demander l'opinion des Est-Timorais. Ils ont décidé de la voie à suivre. La communauté internationale, y compris le Canada, veut maintenant faire en sorte que les choses se stabilisent. Les Est-Timorais et cette entité qu'ils finiront par gouverner -- et il y a de nombreux États minuscules dans l'Océanie -- peuvent maintenant avoir un petit rôle à jouer. Ils peuvent satisfaire la population locale en répondant à ses besoins sur le plan social, politique et économique.
Le sénateur Andreychuk: Monsieur le président, cela ne répond pas à ma question. Il est louable de permettre aux Est-Timorais de prendre leurs propres décisions. Néanmoins, le Canada a soutenu les Nations unies en sachant parfaitement qu'il y aurait des pertes de vie après les élections. Les Est-Timorais ont voté en comptant sur le processus des Nations unies pour être protégés.
Le président: Sénateur, c'est une bonne chose que vous fassiez part de vos préoccupations car ainsi, lorsque M. Axworthy comparaîtra devant le comité, je suppose qu'il sera prêt à y répondre.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool: Nous avons discuté longtemps des raisons pour lesquelles le Canada se retrouve au Timor oriental. Ce qui m'intéresse plus particulièrement aujourd'hui est de discuter de la participation canadienne dans ce conflit, premièrement sur le plan financier. Le ministre Eggleton a parlé de 33 millions pour participer à INTERFET. L'ACDI vient d'y ajouter 6,5 millions. Quel serait le coût global actuellement?
Deuxièment, on sait que la force militaire canadienne est de plus en plus réduite. À part les 250 personnes qui ont quitté Esquimalt, combien y a-t-il de Canadiens au Timor oriental en ce moment? Est-ce que nous offrons des services humanitaires suite aux traumatismes qu'ont subis les Timorais?
Troisièment, puisque qu'un représentant de l'ACDI est présent aujourd'hui, est-ce que la participation du Canada au Timor oriental nuira aux programmes déjà existants de développement international?
Le colonel Natynczyk: Le coût de 33 millions de dollars est impressionnant à cause du déploiement des effectifs et de l'équipement militaire requis. Ce coût inclut, entre autres, les soldats et l'équipement naval australiens.
M. Meyer: Une dizaine de policiers assisteront à l'opération, ce qui coûtera environ un million de dollars à l'ACDI.
Le colonel M. Walter Semianiw, directeur des politiques du maintien de la paix: Malheureusement, il est difficile d'anticiper le coût final. L'évaluation des coûts par la Banque mondiale est en cours. Avec les Nations unies, il y a également des problèmes d'évaluation sur le plan du mécanisme. Il y a, bien sûr, pour cette opération de maintien de la paix une contribution du Canada comme dotation à l'ONU, une somme qui représente environ trois pour cent des coûts pour des missions de ce genre.
[Traduction]
Le sénateur Losier-Cool: En ce qui concerne la capacité humaine, combien y aura-t-il de Canadiens au Timor oriental?
M. Langtry: Pour ce qui est de ceux que notre programme finance directement, ils ne sont pas très nombreux. Il y a actuellement sur place du personnel de Care Canada. Je ne suis pas sûr du nombre exact, mais je crois qu'il y a cinq ou six personnes. Son personnel est beaucoup plus important, mais la plupart de ces employés sont engagés sur place.
D'autres ONG internationales ont également des employés dont certains sont peut-être de nationalité canadienne. Les Nations unies vont recruter auprès de la communauté internationale divers experts dont certains seront des Canadiens. Par exemple, je connais un Canadien qui était là-bas lors des troubles qui ont suivi les élections et qui vient de revenir au pays.
Quant au nombre total de Canadiens qui seront sur place, et que nous aurons envoyés directement ou recrutés par l'entremise d'autres organismes, c'est assez difficile à prévoir. Je dirais toutefois qu'il y aura peut-être une vingtaine de citoyens canadiens qui travailleront au Timor oriental lorsque la situation commencera à se stabiliser. Cela ne comprend pas les soldats.
Le président: Quelqu'un de la Défense nationale a-t-il quelque chose à ajouter?
[Français]
Le colonel Natynczyk: Nous avons environ 650 militaires impliqués. Du côté des forces terrestres, c'est l'infanterie. Nous pouvons maintenir une compagnie au Timor oriental. Du côté naval, nous avons une autre mission sur la côte est. Du côté aérien, nous avons deux avions Hercule et notre engagement est pour 60 jours. Nous avons la capacité de soutenir les trois éléments pour cette mission de six mois.
[Traduction]
Le sénateur Losier-Cool: Ma dernière question concerne les répercussions que notre participation au Timor oriental pourrait avoir sur les programmes futurs ou actuels de l'ACDI.
M. Langtry: Nous sommes en train de déterminer quels seront ces effets. Nous ne savons pas très bien où se situera notre créneau au Timor oriental suite à l'augmentation du nombre de donateurs. Nous sommes là-bas depuis des années et nous avons établi notre propre réseau de contacts au Timor oriental, comme je l'ai dit tout à l'heure, mais la capacité de recrutement est assez limitée et ces personnes vont sans doute être très en demande. Il est possible que des gens avec qui nous avons travaillé soient appelés à participer à d'autres initiatives de pays donateurs.
Nous nous attendons au moins à continuer à soutenir certains projets de développement tels que les projets d'adduction d'eau des régions rurales que nous avons déjà en place, en grande partie parce que nous disposons déjà de bons moyens, que nous avons de bons antécédents et que nous avons enregistré un bon taux de réussite. Ce genre de travail reste nécessaire et nous nous attendons à le poursuivre. D'autre part, c'est un programme qui appuie les initiatives locales des petites collectivités. Les initiatives viennent de la collectivité. Cette dernière indique les domaines dans lesquels elle a besoin d'un peu d'aide. Je m'attends à ce que ce soit particulièrement utile dans l'immédiat étant donné la reconstruction qui peut être nécessaire.
Pour ce qui est de nous trouver un nouveau créneau plus large, nous attendons l'évaluation plus approfondie de la Banque mondiale. Certaines observations qui ont été faites lors des questions précédentes au sujet de la viabilité du Timor oriental montrent clairement qu'il s'agit d'une question importante. Selon moi, nous sommes largement tributaires de l'évaluation de la Banque mondiale quant aux options qui s'offrent à cette région relativement petite sur le plan du développement économique.
Comme je l'ai dit, ses ressources actuelles sont assez limitées. Le pays bénéficie de conditions agricoles raisonnablement satisfaisantes qui pourraient être mieux exploitées. Il y a une pêche hauturière en grande partie inexploitée dont les Est-Timorais n'ont pas tiré parti jusqu'ici. Il est question d'un potentiel pétrolier et gazier au large des côtes. Les avis diffèrent quant à l'importance de ce potentiel et cela reste encore assez vague. Il est question aussi de certaines ressources minières non exploitées qui pourraient contribuer au bien-être économique des Est-Timorais.
Il y a au moins certaines possibilités de développement qui mériteraient d'être étudiées, au cas où elles pourraient être une contribution intéressante à l'économie du Timor oriental. Pour le moment, nous ne sommes très franchement pas en mesure d'évaluer ces possibilités. Nous attendons l'évaluation de la Banque.
Le président: Avant de terminer, j'aimerais poser une question. Le Conseil de sécurité a autorisé la mise en place d'une administration provisoire pour le Timor oriental. Est-il trop tôt pour demander si le Canada participera à cette administration de transition?
M. Meyer: Monsieur le président, comme vous le dites, c'est encore un petit peu tôt. On a déjà des indications d'effectifs. Il faudra ensuite continuer à discuter avec les collègues de la Défense nationale; mais j'imagine qu'il y aura des possibilités de passerelle entre notre corps expéditionnaire au sein de l'INTERFET et cette nouvelle administration.
Comme je l'ai dit, nous avions à l'origine prévu 10 agents pour les effectifs de police. Comme c'est souvent le cas, l'ONU, au fur et à mesure que de nouveaux besoins seront signalés, nous fera parvenir des demandes. Nous les prendrons sérieusement en considération, dans la mesure où nous pourrons effectivement fournir les effectifs demandés, constitués en général de spécialistes.
Le sénateur Di Nino: J'ai une question supplémentaire à poser. Il y a une question qui revient en permanence, dans nos délibérations, qui porte sur les ressources dont disposent nos forces armées en général, mais plus particulièrement les soldats qui sont amenés à intervenir dans ces situations de crise. Pensez-vous, et plus particulièrement dans le cas de cette mission, mais également de façon générale, que les forces armées sont équipées comme il convient pour faire leur travail?
Le colonel Semianiw: La réponse est très clairement oui. Si l'on prend l'exemple du Timor oriental, dans la phase de planification d'une mission éventuelle on examine tous les critères: on examine l'ordre de mission des Nations unies, par rapport à ce que nous pouvons mettre à leur disposition, et nous nous demandons bien sûr si nous avons ce qu'il faut pour remplir la mission. Pour ce qui est du Timor oriental, là encore la réponse est oui. On avait dès le départ demandé une compagnie d'infanterie légère, cela rentrait dans nos cordes, et nous avions également les bâtiments de la marine et les avions nécessaires.
Le sénateur Di Nino: Et de façon générale?
Le colonel Semianiw: De façon générale, et à chacune de nos missions, la réponse serait également oui. Et si l'on fait un petit peu de prospective, en se penchant sur le cas du Sierra Leone qui a été évoqué tout à l'heure, pour savoir ce dont nous disposerions, nous avons fait des vérifications auprès de notre personnel, nous avons eu des contacts avec le gouvernement et aussi avec le MAECI, pour parvenir à la conclusion que nous pourrions fournir cinq observateurs militaires.
Je reviens à une chose que je devrais signaler, à savoir que tout dépend de l'ampleur de la mission considérée et du type de personnel demandé. Si l'on analyse ces missions des Nations unies, il faut à chaque fois regarder de façon spécifique ce qui a été mis à la disposition de chaque mission, et l'importance des effectifs. Pour le Sierra Leone nous avons l'intention d'envoyer cinq observateurs militaires. Au Timor oriental le chiffre atteint les 650. Chaque mission a ses propres caractéristiques.
Maintenant on pose la question de savoir si nous avons les moyens de continuer à participer à ces missions; tout dépend évidemment de ce que l'ONU demande. Dans le cas du Timor oriental on ne demandait pas à l'origine des observateurs militaires pour cette phase de l'opération, mais on voulait de l'infanterie, avec les moyens de transport naval et aérien correspondants, ce qui nous convenait. Si l'ONU avait demandé des observateurs militaires, cela aurait également été dans l'ordre du possible. Dans le cas du Sierra Leone on a demandé des observateurs militaires pour la phase UNOMSIL de l'opération. Donc, oui, pour le moment nous pouvons effectivement répondre à la demande de l'ONU, qui a effectivement été approuvée par le gouvernement.
Le sénateur Grafstein: Je vais moi aussi poser quelques questions, auxquelles les témoins pourront peut-être répondre, ou alors le ministre.
Récemment, le Canada a ouvert la voie en matière de défense de la sécurité des personnes, notamment dans le cadre de la défense de la règle de droit. Ma question fait suite à certaines de celles posées par mes collègues du Sénat. Une des raisons pour lesquelles le Canada est intervenu, là où CNN en même temps était très présent, était que les droits de l'homme étaient bafoués de façon massive. On estime, si je ne me trompe, qu'entre 10 et 45 ou 50 p. 100 des populations ont été dépossédées de force, ce qui s'accompagne évidemment de bien des tragédies. Je veux parler de massacres, et cetera.
Le Canada a donc ouvert la voie pour la création d'un tribunal pénal international à La Haye, et d'un tribunal spécial en Yougoslavie, chargé d'enquêter sur toutes ces violations des droits de la personne. Il n'en a pas été véritablement question ce matin. J'aimerais donc savoir si le Canada, dans le cadre de notre mission, se concentrera sur ce type d'enquête, alors qu'il s'agit d'une intervention musclée relevant du chapitre 7. Est-ce que nous sommes là encore en train de préparer le terrain pour la création d'un tribunal spécial chargé des violations du droit international au Timor oriental? Est-ce encore le Canada qui va prendre l'initiative de demander la création de ce tribunal, comme ce fut le cas pour La Haye et la Yougoslavie?
Le président: Nous pourrions peut-être demander une réponse brève, ce serait préférable.
M. Caron: Oui, très rapidement, ici aussi nous nous sentons concernés par l'impunité dont pourraient bénéficier certains criminels. Nous avons effectivement de façon très active exercé des pressions à Genève pour la création d'une commission d'enquête, qui doit remettre son rapport à la fin de l'année, si je ne me trompe.
Les Indonésiens eux-mêmes ont créé leur propre dispositif d'enquête, appuyé par la Commission des droits de l'homme, qui depuis très longtemps bénéficie de notre soutien. Le processus est donc lancé. Il faudra attendre de voir où cela nous mènera. Nous n'en sommes pas encore pour le moment à envisager les procès, et cetera. Nous n'en sommes qu'à l'étape de l'enquête.
Le président: Messieurs, vous avez donc entendu les points de vue des membres de notre comité; vous avez été très utiles en répondant à leurs questions. Nous vous en remercions.
Chers sénateurs, nous allons prendre cinq minutes de pause avant d'entendre le témoin suivant.
Je vous rappelle que nous avons prévu une petite réunion à huis clos après le prochain témoin, pour débattre des travaux futurs du comité.
Nous recevons donc maintenant le professeur Albert Legault. Nous n'avons aucune notice biographique, et j'ai demandé au professeur de nous parler un petit peu de ce qui l'intéresse, et de ses antécédents.
Allez-y.
[Français]
M. Albert Legault, professeur, Institut québécois des affaires internationales de l'Université Laval: Je suis à la fois touché et honoré de me présenter devant un auditoire aussi distingué et aussi redoutable puisque j'ai assisté aux questions posées aux témoins précédents, et j'ai pu constater que les questions peuvent être dangereuses et qu'il est toujours difficile de répondre à ce genre de questions.
Le maintien de la paix est probablement, depuis 1966 ou 1967, un élément important de ma carrière puisque j'étais à l'époque directeur-adjoint du Centre international d'information sur les opérations de maintien de la paix, à Paris. Mes spécialités concernent les études stratégiques. La fin de la guerre froide n'a fait que me renvoyer à mes anciennes amours, c'est-à-dire le maintien de la paix. Cette conjonction de l'ONU, du maintien de la paix et des questions stratégiques me place, au bout de 30 ou 35 ans de carrière, comme un spécialiste de ces questions.
Soyez rassurés, j'ai un texte de 16 pages, mais je vais tenter simplement de faire un résumé des trois ou quatre dernières pages ou des conclusions qui m'apparaissent les plus intéressantes.
Nous sommes dans une phase de transition, dit-on, pour plusieurs raisons. D'abord, toutes les questions essentielles et importantes restent ouvertes. La question de l'autosaisine de l'OTAN sur le Kosovo est une question juridique qui reste ouverte et qui n'a pas de solution. La question du nouveau concept stratégique de l'OTAN reste aussi ouverte puisque entre l'Europe et le hors-zone, nous n'avons toujours pas de leçon particulière à offrir. La question de l'élargissement de l'OTAN reste aussi ouverte. C'est donc vraiment une période de transition.
J'aimerais quand même préciser qu'au cours des dernières années, il y a peut-être un élément qui m'apparaît essentiel, et l'un des sénateurs l'a mentionné précédemment, c'est l'apparition de nouvelles normes de droit international. Les trois principales normes sont la création des tribunaux pénaux internationaux, les interventions de type humanitaire, et une forme d'ingérence dans les affaires intérieures de l'État, que l'on peut définir sous forme de surveillance d'élection ou de processus démocratique visant à assurer la consolidation de la paix à l'intérieur de ces pays.
Ce sont là trois nouvelles normes qui ne font pas consensus au sein du système international, et ce sont des normes en grande partie dues à l'initiative des membres du Conseil de sécurité. Il s'agit donc d'un pouvoir quasi législatif ou quasi judiciaire des membres du Conseil de sécurité, ou des décisions qui en découle et qui, par conséquent, ne sont pas des conventions de droit international.
La question qui devrait se poser, et qui intéresse manifestement les membres de ce comité puisque j'ai assisté aux discussions antérieures, est la suivante: sommes-nous passés d'un siècle de minorisation des minorités à travers les dictatures, telles que nous les avons connues en URSS, à un siècle de majorisation des minorités, telles que nous les connaissons aujourd'hui à travers le Kosovo et la question du Timor oriental?
J'aimerais souligner quatre points que je crois importants. Le premier est probablement le plus important, je pense qu'il faudrait réfléchir à créer une nouvelle architecture de diplomatie préventive.
La diplomatie préventive, telle que nous l'avons connue avec Boutros Boutros-Ghali, telle que nous avons tenté de la renforcer à travers la présentation, au 50e anniversaire de l'Assemblée générale des Nations unies, du rapport canadien intitulé: «Vers une force de réaction rapide», tous ces efforts se sont malheureusement traduits par un échec, probablement parce que personne n'a envie d'avoir recours à un 911 international tant que la personne n'est pas mourante.
Lorsque je pense à une nouvelle architecture de diplomatie préventive, je pense essentiellement au chapitre 6 de la Charte de l'ONU, le règlement pacifique des différends, et je souhaiterais pour ma part, si on peut s'inspirer du Kosovo et du Timor oriental sans préjuger du bien-fondé ou non de ces études de cas, que le Conseil de sécurité crée éventuellement un comité d'étude des minorités et qu'il puisse véritablement faire des études sur ces questions d'une façon un peu mieux intégrée que ce que nous faisons aujourd'hui.
On le fait dans le domaine financier suivant l'architecture du système financier international. Pourquoi ne le fait-on pas dans le domaine de la paix et de la sécurité? Comment peut-on gérer le chaos avec l'imprévisibilité que cela comporte? C'est tout un processus. Je pense notamment au haut-commissaire des droits de la personne, Mme Mary Robinson, au haut-commissaire aux réfugiés et au chapitre 6 de la Charte du règlement pacifique des différends. Pourquoi ne peut-on avoir un comité de suivi sur certains États qui sont les plus susceptibles d'éclater dans les années à venir?
Cette nouvelle architecture fait cruellement défaut et le Conseil de sécurité ne prend pas ses responsabilités. Tout se fait désormais à partir de groupes informels. Si on trouve les Japonais pour aller au Cambodge, les Australiens pour aller au Timor, et les Américains pour aller au Kosovo, on dit merci. Tout se fait, en d'autres termes, dans les coulisses et cela rejoint les intérêts des États nationaux, mais pas nécessairement ceux de la communauté internationale. Si ces procédés avaient existé, nous ne serions peut-être pas dans la même situation que celle que nous connaissons aujourd'hui au Timor oriental.
Les gens et les observateurs précisent que le Kosovo est le début d'une nouvelle époque. Au contraire, je pense que le Kosovo est la fin d'une époque. En réalité, l'Europe et les pays européens trouvaient insupportable le cancer politique qui existait en périphérie de l'Europe et ce problème a finalement été réglé. Le seul régime communiste qui n'avait pas accepté la transition a été mis au ban et la question de l'ex-Yougoslavie, sans être totalement réglée, est dans un processus de règlement qui devrait nous redonner l'Europe connue autrefois, surtout depuis l'écroulement de l'ancien empire de l'ex-URSS. L'Europe d'antan va se reconstituer. Ce n'est pas l'Europe suprafédérale, c'est un processus politique qui ressemble à la mondialisation des échanges que nous connaissons et que nous retrouvons en Europe, même si un déficit démocratique ou un manque de légitimité politique à cette nouvelle organisation existe dans ce que l'on appelle l'Union européenne.
Cette fin d'une époque a une signification profonde. L'Europe se fera sans la Russie et cela veut dire que nous devrons continuer de faire avec la Russie ce que nous avons fait dans le passé: promouvoir des partenariats politiques, économiques et militaires et aussi élaborer une stratégie de limitation des dommages. Il faut limiter les dégâts quand un empire se désintègre. Dans l'histoire de l'humanité, il y a peu d'empires qui se sont désintégrés d'une façon aussi pacifique. C'est un tour de force de la fin de la guerre froide de constater que la renaissance de l'Europe se fait dans un climat relativement pacifique. Le Canada sera moins sollicité dans l'avenir en Europe. Ces deux processus parallèles d'une Europe en formation, d'une association de partenariat avec les nouveaux pays de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est marquent un changement important et nous serons moins sollicités dans l'avenir.
La crise du Kosovo a marqué des conclusions politiques simples pour les Européens. L'OTAN peut intervenir en Europe, mais dans le hors-zone, c'est l'affaire des Américains: ne nous demandez rien, si jamais on y va, c'est probablement parce que nous y trouverons aussi notre compte. Pour le Canada, le hors-zone a une signification différente. Il y a certainement eu la guerre du Golfe et il y a beaucoup d'exemples où je pense que le rôle du Canada peut se mesurer uniquement par rapport à ce que souhaite les États-Unis pour nous. Le hors-zone n'est plus une question de l'OTAN mais du type de rapport que nous souhaitons entretenir avec les États-Unis.
Si vous prenez l'ensemble de ces considérations, notre participation actuelle en Europe pourrait peut-être être associée à des négociations économiques avec des partenaires bilatéraux dans le cadre des discussions sur la création de la zone de libre-échange Nord-Atlantique. Notre rôle en Europe est rarement reconnu même si nous le remplissons adéquatement. La plus grande contribution du Canada a été pendant la guerre de Corée où 30 ou 40 p. 100 de nos ressources de la Défense étaient consacrées à cette soi-disant opération des Nations unies qui en réalité était menée sous la direction des États-Unis. Nous n'avons pas eu plus d'influence auprès de Washington que si nous avions participé à la mesure de nos moyens.
Une des grandes vertus du Canada est la diversification de ses relations politiques, militaires et économiques. Le partenariat pour la paix devrait continuer à être renforcé, car le Canada a un rôle important à jouer à ce titre. Cela fait partie des compensations financières de l'Europe ou de l'OTAN vis-à-vis du Canada. Bientôt, une centaine de participants des pays de l'Europe de l'Est viendront au centre de formation de maintien de la paix à Cornwallis, en Nouvelle-Écosse. Il faut diversifier nos relations militaires vers la Francophonie. Je souhaite saluer la décision récente du ministère des Affaires étrangères de créer, à Montréal, un bureau du centre Lester B. Pearson de Cornwallis.
Étant donné les contraintes qui s'appliquent aux forces militaires canadiennes, nous devons mettre à profit le répit que nous aurions peut-être en Europe d'ici les prochaines années pour négocier le maintien continu de notre présence en recevant des compensations politiques ou économiques ou la réduction du nombre de nos soldats qui participent à des opérations à l'étranger, de façon à maintenir un meilleur équilibre entre l'entraînement et la formation des officiers qui devraient participer à des forces de combat et nos missions de maintien de la paix.
À Valcartier, depuis sept ans, j'ai eu l'occasion d'enseigner à des officiers militaires. Les contraintes sont très sévères. Nous poursuivons souvent des objectifs contradictoires. J'ai soumis au gouvernement du Canada, en 1997, par le biais du ministre Young, le rapport sur la réforme des Forces armées canadiennes. L'une des conclusions les plus importantes de ce rapport, d'une façon concomitante avec trois autres rapports provenant d'autres sources, était l'éducation de nos forces armées: nous ne pourrons plus pourvoir à l'éducation de nos forces armées actuellement, parce que les contraintes sont trop grandes sur les militaires actuels.
[Traduction]
Le président: À partir du témoignage que nous venons d'entendre, mais également à partir de ce qui nous a été dit en Europe, les membres du comité comprennent que les pays d'Europe insistent beaucoup maintenant sur l'idée d'une identité européenne de sécurité et de défense.
Cela évidemment pose un certain nombre de questions qui intéressent le Canada. Imaginons que l'IESD, c'est-à-dire l'Identité européenne de sécurité et de défense, voie le jour. Je pense que cela pose encore un certain nombre de questions, mais supposons qu'elle voit le jour au sein de l'OTAN. Quel serait alors le rôle du Canada au sein de l'Organisation? Si l'IESD se concrétise, les Européens fourniraient le personnel et une partie importante du matériel. L'OTAN s'occuperait du renseignement, du transport aérien lourd, de la structure de commandement et de contrôle, dans une certaine mesure, mais cela serait fourni par les États-Unis. La question qui m'intéresse ici est celle-ci: dans la mesure où il y aurait des opérations de l'OTAN en Europe, quel serait exactement le rôle du Canada? Nous risquons, probablement, de devenir de plus en plus un appendice des forces armées américaines, auxquelles notre armée de l'air et notre infanterie seraient intégrées. Je ne sais pas si cela plaira beaucoup aux Canadiens, et je ne me hasarderai pas à répondre.
Résumons: au cas où l'IESD se concrétise en Europe, quel rôle resterait-il à jouer, au Canada?
M. Legault: Ce n'est pas une question à laquelle il est facile de répondre, et cela fait 30 ans que je réponds de la même façon. En 1968 j'étais le seul professeur à témoigner devant un Comité des affaires extérieures -- ainsi nommé à l'époque -- et à défendre l'OTAN. Nous devons absolument être membres de l'OTAN. La question est ensuite de savoir quelle doit être la forme de notre participation. Devons-nous entretenir des troupes, ou, militairement parlant, devons-nous être présents?
L'OTAN est une alliance aux multiples facettes. Elle a été extrêmement utile, et plus particulièrement dans le domaine militaire, à des fins de formation et d'entraînement. Les 30 ans, approximativement, que les forces canadiennes ont passés en Allemagne leur ont été extrêmement utiles. Nous avons pu participer à des manoeuvres militaires avec nos alliés, et être présents au sein d'une structure de commandement intégrée.
Faites bien attention au fait que le problème ne se pose pas de la même façon pour la marine et l'armée de l'air qui sont totalement intégrées. Je pense d'ailleurs que le Canada est un pays très schizophrène. La marine et l'armée de l'air sont en quelque sorte l'affaire des Américains; pour l'infanterie c'est un peu différent. Voulons-nous marcher avec des Américains, ou participer avec les Britanniques à des missions, comme nous le faisons dans le Timor oriental, ou avec les Australiens? Quel doit être exactement le rôle de l'armée de terre de nos forces canadiennes? Le problème s'est toujours posé depuis la formation de l'OTAN. Ce que nous avons fait en Bosnie-Herzégovine, et au Kosovo, avec des alliés qui défendaient les mêmes valeurs que nous, a permis de donner une formation de terrain utile aux forces canadiennes.
Par définition les crises sont imprévisibles. Comme je l'ai déjà dit, je ne sais pas si nous serons appelés à l'avenir à participer à nouveau aux missions de l'OTAN en Europe. Je pense que les Américains sont de moins en moins enclins à avoir un rôle actif en Europe. Tout le monde semble d'accord là-dessus. L'identité européenne de défense pourrait répondre aux objectifs de missions mineures, de missions de contrôle, dans le cas de conflits mineurs, mais ne répondrait certainement pas aux besoins d'une crise majeure telle que celle du Kosovo. Ça n'est qu'une conjecture, mais je suppose que si les choses tournaient mal en Europe, seuls les Américains pourraient intervenir à nouveau. Peut-être à la demande des Européens; mais je ne vois pas dans les 10 ou 20 prochaines années d'événement politique majeur qui puisse contraindre les États-Unis à se porter à la défense de l'Europe une fois de plus.
Pour le long terme vous avez raison. Les États-Unis s'intéressent de moins en moins à l'Europe. Je pense qu'ils y conserveront une force minimale, car ces troupes sont un relais important en cas d'opérations majeures telles que celle du Golfe. Leur présence militaire considérable en Europe, à l'époque de la Guerre du Golfe, a beaucoup aidé les États-Unis. Je pense donc qu'ils continueront à y être présents.
L'Union européenne, ou même l'Union de l'Europe occidentale, ne peut se lancer dans des opérations militaires qu'avec l'accord du conseil de l'OTAN. Il serait donc extrêmement difficile pour l'Europe d'intervenir sur le plan militaire si les États-Unis s'y opposaient. Et en cas d'intervention, il ne s'agirait que de missions mineures, car je n'envisage pas, dans les 10 ou 15 ans qui viennent, que les Européens puissent se lancer dans des opérations militaires de l'envergure de celle de l'an dernier, ou de l'année précédente, au Kosovo.
Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question, mais c'est dans cette direction qu'il faut orienter sa réflexion.
Le sénateur Andreychuk: À supposer que vous ayez tort, et en imaginant qu'il y ait d'autres Bosnies, peut-être plus à l'Est, et cetera, pensez-vous que les Européens puissent s'en sortir sans les Américains? Nous sommes amenés à croire qu'avec l'IESD, les Européens sont en train de se regrouper, après avoir tiré des leçons de leur expérience au Kosovo, et qu'ils vont maintenant «s'occuper de leurs propres affaires» comme ils le disent. Pourtant, ils n'ont pas véritablement les moyens de gérer des crises de cette importance ni même de moindre importance. On nous a répété que les Américains étaient une nécessité, que les Européens les veuillent ou non. Soit, c'est un petit peu embarrassant d'être à la remorque des Américains, dans certains cas, mais aucun des pays européens n'a la capacité de s'en sortir seul. Ils semblent vouloir à nouveau à tout prix retrouver cette capacité en réunissant et amalgamant leurs forces, mais est-ce bien réaliste?
M. Legault: Je partage votre scepticisme. J'ai déjà dit qu'en ce qui concerne l'Europe, si celle-ci devait intervenir, ce ne devrait être que de façon accessoire et pour des conflits mineurs. Toutefois, l'Europe a tenté de résoudre la crise en Yougoslavie pendant quatre ans avant que les États-Unis ne se décident à l'aider. J'imagine que les États-Unis n'étaient pas mécontents de voir l'Europe se débattre dans cette situation particulière pendant quatre ans.
Ce qui se passe dans les Balkans est un cas particulier. Il y a bien des problèmes ailleurs, et particulièrement en Europe de l'Est. L'Union européenne pourrait sans doute régler par elle-même certains de ces problèmes, dans la mesure où ils ne deviennent pas démesurés et dans la mesure où les Russes ne seraient pas tentés d'intervenir. L'Europe n'est pas complètement démunie. Mais la question qu'il faut se poser, c'est que faire si la situation se complique. En cas de difficulté, les Américains deviennent tout à fait indispensables; ils le sont même lorsqu'il s'agit d'opérations mineures, comme le partage des renseignements. Ce qui compte, ce n'est pas uniquement la capacité de transporter à l'étranger des troupes; c'est aussi la capacité du service de renseignement, la gestion des renseignements et la prise de décisions.
Pour ce qui est de la prise de décisions, je suis très sceptique, à moins que l'Union européenne -- et ce n'est pas un bon exemple -- puisse faire ce qu'a fait l'OTAN, savoir déléguer nos votes à deux, trois ou même quatre pays, par exemple la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France et peut-être l'Italie. Autrement dit, rien ne se fera tant que les autres pays ne délégueront pas leurs votes à ces quatre pays choisis.
Autrement dit, le processus de prise de décisions adopté par l'OTAN dans la crise du Kosovo n'a été possible que lorsque nous avons donné notre vote au secrétaire général. Le Canada a accepté la nécessité de l'intervention, et c'est le secrétaire général qui a décidé du moment opportun pour intervenir. Je reste donc très sceptique, à moins que quelque chose de semblable ne se produise au sein de l'Union européenne.
S'il est une question sur laquelle il est difficile de partager quoi que ce soit, c'est bien la question de vie ou de mort. J'imagine que l'Europe n'en est pas encore là. Elle n'a pas les moyens d'intervenir efficacement, si ce n'est dans des crises mineures. Voilà pourquoi l'alliance joue toujours un rôle aussi crucial.
L'alliance est en quelque sorte une police d'assurance contre d'importants développements en Europe de l'Est. Cela a toujours été le cas, et cela devrait rester ainsi pour longtemps encore. Je ne suis pas trop inquiet.
Toutefois, je vous répondrai qu'à mon avis, l'Europe n'a pas les moyens d'intervenir efficacement.
[Français]
Le sénateur Bolduc: Si les Américains opposent un veto, agirons-nous comme eux afin de maintenir nos bonnes relations avec eux? Est-ce bien le rôle du Canada au sein de l'OTAN? D'une certaine façon, NORAD est encore plus vital pour nous.
M. Legault: Il n'y a pas de problèmes particuliers au sein de l'OTAN en ce qui a trait à la marine et l'aviation. Nous sommes plus préoccupés, en ce qui concerne notre environnement immédiat, de l'accès à la technologie américaine. Les sous-marins que nous avons acquis récemment n'ont pas fait de grands débats au sein de la presse.
Ce qui compte essentiellement pour les Américains lorsqu'il s'agit d'un embargo ou du contrôle d'une zone stratégique, c'est la marine et l'aviation. Cela ne cause pas de véritables problèmes pour le Canada sauf pour les troupes. Il faudrait impliquer davantage nos diplomates que nos militaires sur le front puisque nous ne sommes pas en mesure de fournir cette ressource. De toute façon, cette contribution sera toujours minimale et s'intégrera toujours à l'intérieur d'un commandement soit britannique ou multinational. Cela n'ajoute pas énormément à l'influence du Canada au sein des rapports canado-américains ou au sein de la communauté internationale. Je n'aimerais pas qu'un parlementaire soit dans la position d'avoir à négocier avec les pays européens quelque chose en retour pour notre présence en Europe. Ils ne nous prendraient pas très au sérieux.
Le sénateur Bolduc: C'est ce qu'ils nous ont dit lorsque nous les avons rencontrés.
[Traduction]
Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit que l'une de vos préoccupations, c'était la formation des forces armées. Ce qui m'inquiète, pour ma part, c'est que je ne sais pas si nous avons vraiment décidé en vue de quelle tâche nous formions nos forces armées. On semble toujours former nos forces armées en vue du combat, dans un processus d'engagement traditionnel, mettant en jeu les forces terrestres, tout particulièrement. Par ailleurs, nous leur demandons de façon accrue d'agir dans un rôle de maintien de la paix. Je me demande donc si nous avons l'effectif qu'il nous faut, s'il est bien formé, s'il a l'équipement qu'il lui faut pour pouvoir mener sa tâche à bien.
M. Legault: C'est un problème qui découle en grande partie des conflits internes au sein même des forces armées, et particulièrement de l'armée de terre, incapable de décider de quel genre d'équipement elle avait besoin, notamment. Au fond, c'est la faute de l'armée elle-même, il lui faudra peut-être dix ans pour remonter la pente.
Le rôle de maintien de la paix a permis aux forces armées de renouveler une partie de leur équipement terrestre, particulièrement le Coyote qui est un véhicule terrestre très efficace. L'armée a donc quand même pu tirer son épingle du jeu des missions de maintien de la paix. Aujourd'hui, elle est en effet mieux protégée qu'elle ne l'était naguère, mais il reste encore du chemin à faire.
Toutefois, votre question me semble de portée plus vaste. Que doit faire l'armée? Quelles missions doit-on lui donner à l'avenir? Comment régler ce problème particulier? Dans mon témoignage, j'ai parlé d'un certain équilibre qu'il faudrait atteindre entre le maintien de la paix et la capacité de combattre. La capacité de combattre demeure une mission et un objectif communs au Livre blanc sur la défense de 1994. Je ne crois pas que la situation ait changé. Si elle devait changer, la décision ne devrait pas venir des forces armées mais plutôt du milieu politique, du Parlement.
Si l'on veut de s'en tenir à une armée de policiers ou à une force constabulaire, le milieu politique peut prendre cette décision. Ce n'est pas aux forces armées elles-mêmes de décider de leur mandat.
Mais en même temps, nous tentons de collaborer et d'inclure les deux éléments. Je crois qu'il serait difficile de prolonger cette situation encore longtemps. Nous avons quand même un certain temps pour nous ajuster ou pour décider d'entraîner nos forces armées soit pour combattre des guerres soit pour des missions de maintien de la paix.
Les forces armées ont toujours tenu le même discours -- et c'est dommage que mes collègues de la Défense nationale soient partis: elles ont toujours affirmé que si l'on forme bien un soldat pour la guerre, il peut aussi maintenir la paix. L'ennui, c'est que l'entraînement et le type d'équipement changent très rapidement et qu'il pourrait être nécessaire de faire des rajustements d'ici 5 ans. Je ne sais pas si nous devons espérer que l'on dépose un nouveau Livre blanc sur la défense. Je suis heureux de ne pas être obligé de prendre cette décision d'ici 5 ans.
Le sénateur Di Nino: J'aimerais d'abord m'attarder aux mesures prises unilatéralement par l'OTAN au Kosovo, sans qu'elle ait attendu d'avoir un mandat de l'ONU. Quelle incidence pourrait avoir cette décision sur l'avenir de l'ONU? Quelle incidence cela pourrait-il avoir sur les conflits qui pourraient surgir ailleurs dans le monde, là où l'ONU pourrait jouer normalement un rôle, rôle qui pourrait néanmoins être neutralisé par l'OTAN?
M. Legault: Les Nations unies ont en effet été mises dans une situation difficile. Comme vous le savez, les actions diplomatiques du G8, auxquelles est venue s'ajouter la résolution finale du Conseil de sécurité, ont ramené dans le giron des Nations unies la résolution du conflit au Kosovo.
Le conflit n'a pas perduré. L'ONU y a certainement perdu quelques plumes, mais elle peut faire plus. La véritable question, c'est de savoir si nous aurions dû nous tourner vers les Nations unies, si nous aurions dû tenter de consulter les Russes et les Chinois sur cette question, à tout le moins pour sauver un point de vue légitime. Je crois que c'était là la bonne solution. Peut-être aurions-nous dû essayer, mais les États-Unis et d'autres alliés étaient d'avis qu'il nous manquait le temps voulu pour le faire.
Cette décision aura-t-elle d'autres conséquences pour le rôle que pourraient jouer les Nations unies dans des conflits régionaux? Ça, c'est une question plus difficile. Les Russes vous diront en privé que ce que nous avons au Kosovo leur a pavé la voie pour leur intervention en Tchéchénie. Cette intervention unilatérale a rendu les choses plus difficiles, mais il y avait déjà là-bas des conflits régionaux. Les États-Unis sont actuellement la seule superpuissance au monde du point de vue militaire, et les Nations unies ont très peu de marge de manoeuvre pour agir ne serait-ce que dans des cas de prévention, comme je le disais plus tôt. Leur marge de manoeuvre devrait être renforcée.
J'ai l'impression tout de même que les Nations unies ont toujours un rôle à jouer. Si cette organisation n'existait pas, il faudrait la créer. L'ennui, c'est que par définition, les crises sont imprévisibles. Nous devons repartir à zéro dans chaque opération, car nous ne tirons aucune leçon du passé, semble-t-il. Il est donc devenu extrêmement difficile pour les Nations unies d'agir comme institution internationale ayant un budget. Les Nations unies ne peuvent agir qu'en fonction de ce qu'exigent d'elle ses États membres. Par conséquent, le règlement d'un conflit régional donné dépendra toujours des puissances régionales ou des superpuissances, voire des pays qui auraient à coeur le règlement du conflit.
À mon avis, les choses n'ont pas fondamentalement changé depuis 1945, pour ce qui est de la marge de manoeuvre de l'ONU. Ce qui a changé, c'est qu'il est devenu possible pour certains pays d'agir militairement de façon décisive en invoquant un consensus qui se serait dégagé dans un pays plus ou moins démocratique. C'est cela qui a changé, mais l'ONU reste toujours composée d'une majorité de pays membres qui ne souscrivent pas nécessairement au point de vue occidental d'une intervention que justifieraient des principes démocratiques ou des raisons humanitaires. Nous nous retrouvons là où nous étions il y a quelques années. Je n'entrevois aucune évolution particulière qui, au cours des 5 à 10 prochaines années, pourrait sceller la fin de l'ONU, ou la renforcer considérablement.
Le sénateur Di Nino: Je m'intéresse maintenant au rôle du Canada au sein de l'OTAN. Vous avez dit, je crois, que l'OTAN se définissait comme un groupe d'alliés partageant les mêmes valeurs. C'était certainement le cas il y a de cela plusieurs années. Toutefois, le visage du Canada change, car il y a de moins en moins d'Européens qui immigrent au Canada. Au cours des 20 à 30 dernières années, le visage de l'immigration a énormément changé, puisque les nouveaux arrivants proviennent surtout des pays du Pacifique. Pensez-vous que cela pourrait avoir une incidence sur le rôle que pourrait jouer le Canada dans des organisations telles que l'OTAN? Ainsi, ne devrait-on pas envisager de former une autre alliance avec les pays du Pacifique, pour que cela représente mieux la réalité canadienne d'aujourd'hui?
M. Legault: On m'a posé souvent cette question au cours des 20 dernières années. La difficulté vient de ce qu'il n'y a pas d'ennemi commun en Asie. Jusqu'où peut-on aller?
Notre intervention au Timor oriental illustre bien aujourd'hui le fait que nous soyons disposés à collaborer avec les Britanniques et les Australiens. Nous avons toujours collaboré avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande de façon officieuse, à tout le moins pour ce qui est du partage des renseignements, et particulièrement lors des manoeuvres navales. Nous commençons à faire de même avec les Japonais. Les anciennes alliances militaires n'ont pas toujours été très fructueuses dans certaines régions du monde, particulièrement au Moyen-Orient. Elles ont toutes disparu d'elles-mêmes. La seule qui ait été couronnée de succès, c'est l'OTAN. Et la seule qui pourrait sans doute intervenir où que ce soit, advenant une menace grave à l'échelle internationale, c'est encore l'OTAN.
Que nous reste-t-il à faire? Emboîter le pas aux Américains ou pas? Si l'ONU délègue une quelconque responsabilité à une alliance officieuse -- ce que j'appelle une coalition ponctuelle menée par des pays ayant des forces armées imposantes -- devons-nous y prendre part ou pas? C'est une bonne question. Si une décision est prise en vertu du chapitre 7, elle devient obligatoire. On a beau consulter son gouvernement ou le Parlement et leur demander leur avis, les décisions prises par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre 7 sont exécutoires pour les États membres. On a beau tourner le problème dans tous les sens, nous ne pouvons échapper à cette obligation.
En réponse à votre question, je dirais que je n'entrevois pas la nécessité de former une alliance militaire en Asie. Je ne vois aucune raison de le faire. Serions-nous partie prenante à des mesures prises par nos alliés? Oui. Devons-nous agir si on nous le demande? Oui, dans la mesure de nos ressources. Toutefois, où intervenir dépend de nos ressources nationales et dépend des conflits internes au Canada.
[Français]
Le sénateur Bolduc: J'ai demandé aux gens qui ont comparu avant vous qu'ils m'expliquent pourquoi on se retrouve au Timor. Est-ce parce que notre ministre a un rôle éminent au Conseil de sécurité? Est-ce parce que les Australiens sont nos amis et que ce n'est pas loin de chez eux? On sort du Commonwealth, puis on va travailler avec eux? On a invoqué toute une série de raisons, mais j'ai encore de la difficulté avec cela.
À propos du nouveau concept de l'aide humanitaire, comme le dit George Kennan, lui-même Américain, il est très irréaliste de croire que les Américains puissent régenter le reste du monde. Si les Américains n'ont pas les ressources pour le faire, comment pouvons-nous le faire? C'est pas mal loin de chez nous, le Timor oriental. Si on y va, en vertu de quoi n'irions-nous pas le lendemain au Pakistan ou en Mongolie? Où est-ce qu'on arrête?
M. Legault: Je n'ai manifestement pas de réponses particulières. Vous avez raison, les Américains ne veulent pas y aller parce que leurs intérêts ne sont pas menacés.
Je n'ai jamais appartenu à aucun parti politique, ni au Québec, ni au fédéral. Mon âme est donc pure, mais je me déclare comme un internationaliste libéral. Cela signifie que si vous laissez constamment la décision des questions de sécurité aux membres du Conseil de sécurité, vous n'aurez plus rien à dire. Si vous voulez avoir droit aux votes, si vous voulez changer les normes internationales, si vous voulez être pris au sérieux, il faut agir, avoir des ressources et pouvoir intervenir si on nous le demande. Autrement, c'est le drame.
Je pense que les gens devraient revoir l'histoire, l'échec de la Société des Nations et l'incapacité des États, petits et moyens, à vouloir prendre une décision. Ils devraient se mettre ensemble pour faire des choses, pour forcer les gens, les grands surtout, à admettre qu'ils ne peuvent pas déterminer seuls les règles du jeu.
Ceci étant dit, au Timor oriental, nous participons à une action internationale. Je ne me prononce pas sur le fond du dossier. Peut-être que tous les gens de Valcartier s'entraînent en Europe, et il faudrait peut-être qu'une compagnie d'infanterie du PPCNI s'entraîne en Asie. On pourrait invoquer maintes raisons.
Je regrette que nos diplomates ne soient pas plus intervenus avant pour régler ce conflit. Plusieurs signaux nous indiquaient que la situation échapperait au contrôle des autorités politiques, pourtant nous n'avons rien fait.
Je demandais dans ma présentation initiale qu'il y ait au moins un comité de suivi sur le problème des minorités. C'est sur ce problème qu'on aura à se pencher dans l'avenir. En URSS, on voit un petit peu ce qui se passe avec les minorités. En Inde et au Pakistan, on ne sait vraiment pas comment les événements vont tourner. Pour la Chine, je suis moins inquiet à cause de ses traditions séculaires et millénaires. Mais c'est le problème du XXIe siècle.
Il ne faut pas s'illusionner, à moins qu'on puisse créer une architecture de diplomatie préventive sur ces questions en réfléchissant sérieusement au règlement pacifique des différends et en organisant une meilleure gestion de ces problèmes avec tous les organismes qui s'en occupent.
Le problème est que chacun fait ses choses dans son petit coin et rien ne se passe. Cela est grave et il va falloir y réfléchir sérieusement. Cela ne veut pas dire que j'ai envie de régler le problème du Timor oriental ou que je pourrais le faire.
Les grandes puissances n'ont peut-être pas envie qu'on se mêle de leurs affaires, mais il y a encore beaucoup à faire sur le plan diplomatique et peut-être davantage que ce que nous demandons à nos militaires lorsqu'il s'agit d'éteindre des feux de broussaille. C'est là la façon la plus rationnelle, la plus logique ou la plus efficace d'utiliser nos ressources.
Je pense que les Canadiens et les diplomates canadiens peuvent faire beaucoup plus que ce qu'on leur demande actuellement. Il est que la situation intérieure canadienne existe toujours.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: M. Pearson, un des architectes de l'OTAN, a expliqué à la population canadienne que l'OTAN reposait sur deux piliers, la paix et la sécurité en Europe par le truchement d'une alliance armée, d'une part, et la coopération économique d'autre part.
Vous dites quelque chose d'intéressant dans votre mémoire. Vous dites que dans ces conditions, le Canada devrait lier de façon accrue sa participation aux opérations européennes de maintien de la paix à de plus grandes concessions économiques de la part de ses partenaires européens.
Autrement dit, vous prônez le recoupement avec l'économie. Nous avons découvert, quelque peu à notre étonnement, que la Grande-Bretagne, notre allié le plus ancien en Europe, rejetait cette idée et qu'elle nous avait même conseillé fortement de garder les deux distincts. D'après la Grande-Bretagne, le Canada devrait être toujours prêt à participer aux missions de maintien de la paix en Europe, chaque fois que celle-ci le lui demanderait, sans jamais chercher à rattacher sa participation à des concessions économiques. C'est en tout cas ce qu'a dit le président des affaires étrangères de la Chambre basse. D'autres pays européens ont abondé dans le même sens, comme la France et, dans une moindre mesure, l'Allemagne.
Quel serait l'avantage économique pour le Canada d'élargir l'OTAN ou de prendre part à un plus grand nombre d'activités de maintien de la paix dans une Europe élargie s'il devait y avoir dissociation complète en vertu de la Charte de l'Atlantique?
M. Legault: Comme je l'expliquais au sénateur Bolduc, je ne voudrais pas être obligé de demander aux Européens quelque chose en contrepartie de notre contribution. C'est une question épineuse. Mais vous avez raison de dire que l'Union européenne deviendra un marché très vaste. La semaine dernière, l'ancien vice-président du Parlement européen a déclaré que nous en étions arrivés au point où les alliés en Europe pourraient demander aux États-Unis de déplacer le Fonds monétaire international de Washington vers l'Europe, puisque le Fonds pourrait finir par émettre principalement en unité monétaire européenne.
Je crois qu'il se développera une grande zone économique en Europe et que, par conséquent, il s'agira de voir si nous y aurons toujours accès et si les négociations sur la zone libre de l'Atlantique Nord porteront fruit. Je ne comprends pas pourquoi, mais le Canada n'a jamais été très chanceux dans ses tentatives d'associer sa participation à des concessions. Vous avez raison de dire que les Britanniques nous ont déjà fait connaître leur désaccord là-dessus.
Dans les années 50, nous avons tenté de faire accepter NORAD comme notre contribution à la sécurité de l'OTAN, mais en vain. Lorsque j'étais conseiller spécial du ministre de la Défense nationale, de 1980 à 1982, M. Weinberger est même venu voir le ministre et lui a dit très clairement que nous n'avions pas d'autre choix que d'envoyer nos troupes là où se trouvait l'ennemi.
Même si nous sommes d'une quelconque utilité à l'Europe, il semble que nous soyons reconnus uniquement comme une annexe des forces armées américaines et que nous ne puissions négocier des avantages politiques et économiques en échange de notre contribution.
Je ne sais comment résoudre ce dilemme. Mais je crois que nous avons plus à perdre que l'Europe, et c'est ce qui est important. L'Europe a connu les deux grandes guerres mondiales. Le Canada y a pris part, puis l'OTAN a été créée. L'Europe reste une région très importante, même si elle ne constitue pas notre plus grand partenaire économique. Je n'ai pas les chiffres exacts, mais je crois que nos échanges commerciaux avec l'Europe représentent de 7 p. 100 à 10 p. 100. C'est relativement peu, mais ce qui est plus important encore, c'est tout ce que nous risquons de perdre si nous ne collaborons pas avec notre allié.
Même si les chiffres de l'immigration disent autre chose, l'ennui, c'est que si nous dissocions l'Europe de la sécurité mondiale, nous perdrons beaucoup. Nous perdrons la stabilité du système international qui existe depuis maintenant 50 ans. Cette dissociation m'angoisse. Parfois, je ne fais pas confiance à ces gens. Ils sont merveilleux, mais on ne peut pas toujours prédire leur comportement, et cela risque de vous mettre dans l'eau chaude.
Je me permets de caricaturer quelque peu mes amis européens en leur absence, mais eux comme nous ont intérêt à maintenir les liens économiques et militaires entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Pour les Canadiens, la difficulté est d'obtenir quelque chose en retour, et c'est une question à laquelle je n'ai jamais su répondre.
Le sénateur Grafstein: Vous semblez dire que l'élargissement de l'OTAN est inévitable, particulièrement en ce qui concerne la Roumanie, la Slovénie et les pays baltes. L'OTAN a d'ailleurs annoncé qu'elle était en régime accéléré, et qu'elle se préoccupait peu des réactions que ses intentions pouvaient avoir dans l'ancien empire soviétique et en Russie elle-même. Quelle devrait être la position du Canada eu égard à cet élargissement, étant donné qu'il ne semble en tirer aucun avantage économique et que cet élargissement à cinq nouveaux membres diluera encore plus son influence?
M. Legault: Vous avez tout à fait raison là-dessus. Nous n'avons aucun intérêt économique en Bulgarie. Nous avons vendu quelques réacteurs nucléaires à la Roumanie, et je crois que nous sommes à négocier la vente d'un autre.
Je ne m'étais pas rendu compte que la Roumanie et la Bulgarie étaient en voie d'être acceptées rapidement. Je crois que la déclaration d'avril dernier de l'OTAN indiquait qu'ouvrait grand la porte.
Le sénateur Grafstein: Je croyais que c'était vrai pour la Roumanie, mais pas pour la Bulgarie; mais évidemment, les pays baltes sont tout à fait prêts.
M. Legault: Il y a d'autres pays qui sont des membres presque de facto de l'OTAN mais qui n'ont jamais été invités à en faire partie, tels que l'Albanie et le Kosovo. En fait ces deux pays sont à toutes fins utiles, c'est-à-dire du point de vue économique et politique, des membres de l'OTAN.
Vous avez raison de dire que l'Europe de l'Est essaie de se débarrasser de l'influence soviétique et d'ouvrir les régimes de ces divers pays pour faire en sorte que leurs institutions se démocratisent et pour que les régimes fonctionnent de plus en plus comme les régimes occidentaux.
Que je sache, nous n'avons aucun intérêt économique dans ces régions. Nous avons certainement plus d'intérêts économiques en Pologne que nous n'en avons en République tchèque, en Hongrie et dans d'autres pays de l'Europe de l'Est.
Toutefois, il est important de maintenir le contact avec ces régions et avec ces populations, pour les fins de la diplomatie multilatérale. Mais on ne peut dire si cela alourdira encore plus nos efforts diplomatiques. Ce sera peut-être le cas, et il se peut aussi que nous ayons à payer plus que nous ne recevions en échange. Toutefois, je crois que cela représente le dernier vestige de la guerre froide qu'il nous faut régler. Je ne vois pas comment les Canadiens pourraient refuser cet élargissement.
Les gens de l'Union européenne vous diront que cet élargissement de l'OTAN marquera les frontières géographiques de l'Europe telles qu'ils les souhaitent, à savoir sans la Russie. Mais en même temps, il nous faut avoir en réserve une stratégie de limitation des dommages auprès des Russes. Autrement dit, il nous faudra cultiver des accords de partenariat, entre autres choses.
Il n'y a aucune autre façon de s'en sortir. En ce qui concerne la Russie, la seule chose à faire, c'est de tenter de réduire au minimum les effets de la dislocation ou de la désintégration de l'empire soviétique.
[Français]
Le sénateur De Bané: Je sais votre réputation considérable en matière de défense. Je voudrais vous demander votre avis sur ce nouvel organisme de défense de l'Union européenne. Lorsque nous étions en Europe, nous avons rencontré le nouveau secrétaire général, M. Solana, qui, jusqu'à tout récemment, dirigeait le secrétariat général de l'OTAN. Mon impression en parlant avec les Européens, c'est que, d'une part, particulièrement les Français ont constaté que l'Europe n'avait pas les outils nécessaires pour maîtriser un conflit comme celui qui était à leur porte en Yougoslavie, d'autre part, plusieurs de ceux que nous avons rencontrés étaient d'avis que si jamais les Européens entreprenaient une action militaire sans la participation des États-Unis, cela voudrait dire la fin de l'OTAN.
Ils reconnaissaient qu'aujourd'hui certains chaînons importants pour être totalement autonomes étaient absents, par exemple, le commandement intégré, une capacité auto-portée pour les équipements lourds et le service de renseignements. Mais plus fondamentalement, certains disaient que si jamais vous entreprenez quelque chose sans la participation des Américains, cela voudra dire tôt au tard la désintégration de l'OTAN.
Dans les documents que vous nous avez remis, vous restez silencieux à ce sujet. J'ai senti, particulièrement chez les Allemands, l'idée que cela devient très délicat d'entreprendre quelque chose sans la participation des Américains.
Comme vous le savez, dans un premier temps, on disait qu'on ne fera cela que si les États-Unis décident de ne pas intervenir. Dans un deuxième temps, à Cologne, on a retiré cette condition: si les États-Unis ne veulent pas intervenir, s'il y a un conflit en Europe un jour, on devrait pouvoir s'en occuper seul en se servant bien sûr de nos équipements dans l'OTAN. Quel est votre sentiment?
M. Legault: Sur le plan des perceptions psychologiques, vous avez tout à fait raison. Les Européens souhaiteraient prendre en main leur propre destin et remercier très gentiment les Américains en leur disant: vous avez été très utiles, maintenant on s'occupe de nos affaires. Le discours officiel américain est simple. Il appuie fermement la constitution d'un deuxième pays européen. C'est le discours officiel et il n'est pas très différent de celui du président américain Kennedy, en 1960, lorsqu'il parlait de la théorie des deux haltères, à savoir que la sécurité repose essentiellement sur deux puissances militaires, une puissance OTAN-européenne et une puissance américaine. C'était un petit peu ce qu'offrait le président Kennedy aux Britanniques par l'entremise de la fusée Polaris qu'ils ont d'ailleurs acceptée. Le général de Gaulle a refusé en disant qu'il ne troquerait pas son droit d'aînesse européen contre un plat de Polaris. Cette théorie est intéressante sur le plan rationnel ou logique. En réalité, est-ce que cela se traduirait par une espèce de désintégration de la défense entre l'Europe et les États-Unis. Il est possible que les Européens aient raison, mais l'inverse est aussi possible, à savoir qu'ils n'aient pas les moyens de pouvoir décider. C'est un débat assez théorique puisqu'il faut que quelqu'un décide en matière de vie et de mort. Il faut que quelqu'un prenne la responsabilité. Quand c'est le plus fort et le plus grand, on n'a pas le choix, on ne peut rien faire. Comment voulez-vous que les Britanniques, les Allemands et les Français débloquent des procédures décisionnelles démocratiques quand l'Union européenne risque de passer de 15 pays à 27 au cours des prochaines années? Douze candidats viennent d'être acceptés dans le cadre des négociations sur l'élargissement de l'Union européenne. Comment peut-on sérieusement penser qu'en cas de vie ou de mort, 25 pays vont déléguer cette responsabilité. C'est là où je suis très sceptique.
Cela revient à mes propos du début. Si les Britanniques, les Allemands et les Français décident d'intervenir, les Américains diront: merci beaucoup, enfin vous vous occupez de vos affaires. Cela n'ira pas plus loin. Par exemple, regardez la paranoïa européenne sur la question du Proche-Orient. À chaque fois que les États-Unis ont décidé de la façon de régler le conflit israélien d'une certaine façon, les Européens ont hurlé que leur point de vue n'était pas considéré. Inversement, quand ils ne font rien, ils disent aux Américains de prendre leurs responsabilités car ils sont le leader mondial.
Ce partage continu des perceptions psychologiques des Européens n'est pas facile à comprendre. Même si cela marque la fin de l'OTAN, à supposer que les Européens aient raison, je suis prêt, à ce sujet, à faire de nombreuses concessions, les États-Unis resteront. Qu'est-ce que cela change?
Le sénateur De Bané: Je voudrais apporter un bémol à la réflexion du sénateur Bolduc. Je ne suis pas d'accord avec lui au sujet du Timor oriental.
Lorsque je vois le Canada participer au G8, je me demande si on peut réellement lui demander de s'asseoir à la table, là où se prennent de grandes décisions économiques, sans assumer une responsabilité pour la stabilité de la planète.
On ne peut à la fois être autour de la table où se prennent les grandes décisions et s'en laver les mains lorsqu'il y a un conflit qui ne nous touche pas directement. Le Canada doit assumer le prix du privilège qu'il a de faire partie du G8.
D'autre part, je me demande si en Asie, des pays comme le Japon et d'autres ne devraient pas eux aussi assumer la responsabilité du maintien de la paix dans leur région comme le fait l'OTAN en Europe occidentale. En attendant que cela prenne forme, le Canada ne peut prendre part aux décisions sans passer à la caisse.
M. Legault: Concernant la question du Japon, le gouvernement du Japon et la République allemande ont dans le passé utilisé leur constitution comme un alibi pour ne pas participer et ne pas contribuer à des opérations de maintien de la paix.
Vous avez parfaitement raison. Il est clair que le Conseil de sécurité reflète un peu l'ordre de Yalta. Il faudrait tout de même que les Japonais et que les Allemands deviennent des membres permanents du Conseil de sécurité, avec ou sans droit de veto. C'est une question que je laisse aux diplomates.
Je dirais aux Américains qu'accorder un droit de veto à un puissant État européen et à un État asiatique sans se mettre à dos les Indes et le Pakistan, cela n'a aucun sens pour le moment. La question du veto reste donc bloquée. La question de la réforme du Conseil de sécurité est toujours bloquée; on en discute depuis cinq ans.
Au Kosovo, les Allemands commencent tranquillement à prendre leurs responsabilités, à accroître leur participation et à payer un peu plus. Les Japonais ont fait un effort au Cambodge en payant une grande partie de la facture. Au Cambodge, ils n'ont pas été très habiles sur le plan des rapports entre le Secrétaire général et leur organisation. Il a été difficile de faire bouger le Conseil national suprême qui était sous la tutelle de l'ONU, mais il y a un début d'effort.
Il est clair qu'à ce niveau, le Canada aurait un rôle beaucoup moins influent que celui qu'il a actuellement. Faut-il souhaiter cette évolution? Je le pense personnellement. Je crois que les grandes puissances économiques doivent s'impliquer davantage et que les petites puissances comme le Canada peuvent également faire leur part indépendamment.
On n'a pas besoin des autres pour savoir qu'on peut être utile dans le règlement pacifique des différends, qu'on a de bons négociateurs et de bons diplomates, ou qu'on est même très utile avec les pays nordiques pour la redéfinition des concepts de la sécurité de la personne.
Le Canada peut continuer à se trouver une niche, peut continuer à travailler avec des pays du même rang. Comme il a une proximité géographique importante avec les États-Unis, il sera toujours sollicité et on l'appellera souvent.
Ces choses ne doivent pas changer dans l'avenir. Plus il y a de puissances qui s'occupent de ces questions, plus la sécurité du système international sera mieux gérée et plus équilibrée, par opposition à la situation actuelle.
[Traduction]
Le président: J'ai une question, la dernière, je crois. Dans la déclaration d'avril dernier faite à Washington par les chefs d'État et de gouvernement, on reconnaît que les événements survenus à l'extérieur de la zone de l'OTAN peuvent avoir des conséquences très graves pour les pays membres. J'ai lu que, au fur et à mesure que les Européens semblent vouloir assumer de plus en plus de responsabilités pour ce qui se passe sur la scène européenne, les Américains semblent croire, pour leur part, que l'OTAN devrait faire sentir son influence dans d'autres régions du monde. Pour les Américains, c'est peut-être ce qui justifie à elle seule, l'existence de l'OTAN.
Que devrait penser le Canada de la proposition américaine de faire sentir l'influence de l'OTAN dans d'autres zones? Posons la question différemment: Prenons l'intérêt que pourrait avoir le Canada de s'assurer un approvisionnement en pétrole; cet intérêt coïncide-t-il à ce point avec les intérêts des États-Unis que nous devrions souscrire à la suggestion des Américains de faire intervenir l'OTAN dans des régions loin de son territoire?
M. Legault: La question est très importante, mais elle n'est pas nouvelle. J'avais l'habitude de dire à mes étudiants que le Japon était de fait membre de l'OTAN, précisément à cause de tous les problèmes de sécurité. Dans les milieux de l'OTAN, on consulte très fréquemment les Japonais au sujet de la sécurité du Golfe et de la façon dont on transporte le pétrole du Moyen-Orient par le Détroit de Malacca. Ce sont de graves questions qu'il faut se poser. Dès lors que l'on parle de pétrole ou d'autres ressources importantes, l'alliance a un rôle véritable à jouer et donne lieu à beaucoup de consultations.
Le président: D'accord, mais il y a sûrement quelques pays européens qui hésiteraient à participer à des opérations hors zone.
M. Legault: Si je devais me mettre à la place d'un chef d'État américain, j'aurais tendance à dire: «Mais nous avons gagné la guerre froide; nous avons injecté tant de ressources dans la Méditerranée depuis 50 ans, à vous de le faire maintenant.» Ce que les Américains espèrent des pays européens, c'est qu'ils assument une plus grande part du fardeau. L'Europe refuse, bien sûr, et je la comprends. Mais de la même façon, le Canada ne souhaite pas nécessairement non plus aider les Américains à se bâtir une puissance militaire énorme sur laquelle il n'aurait aucun contrôle.
La position du Canada sur les problèmes hors zone devrait être ferme: il faut maintenir la politique actuelle portant qu'il doit y avoir consultation étendue dès que des problèmes hors zone surgissent.
Nous ne pouvons pas nous engager officiellement à l'avance. Si une crise surgit, la décision doit être prise de façon ponctuelle, et nous préférerions évidemment que ce soit les organisations internationales qui interviennent, comme l'ONU, plutôt que les États-Unis. Toutefois, si les choses devaient s'envenimer et que les Américains devaient intervenir, je crois que les antécédents du Canada seraient révélateurs de la position qu'il prendrait.
Le président: Vous dites que chaque incident doit être évalué de façon ponctuelle. Cela veut donc dire que, dans certains cas, nous pourrions éventuellement souscrire au point de vue des Américains, ce qui pourrait avoir des conséquences pour nos forces armées. Autrement dit, nos forces armées doivent être édifiées et entraînées de façon à pouvoir éventuellement s'allier aux forces américaines, n'est-ce pas?
M. Legault: Vous avez tout à fait raison en ce qui concerne notre aviation et notre marine. C'est d'ailleurs ce qui se passe actuellement. Au Kosovo, nous étions de fait le seul allié de taille en mesure de mener à bien des missions aériennes, de façon coordonnée avec les Américains. Les autres alliés avaient beaucoup de difficulté. En fait, nous sommes entraînés et équipés de façon à pouvoir aider les Américains dans certaines situations, particulièrement en ce qui concerne les deux plus importants secteurs de nos forces armées, soit l'aviation et la marine.
Notre force terrestre est l'un des éléments mineurs de notre armée, à mon avis. En effet, elle ne consiste que d'environ 35 000 personnes, soit l'équivalent du corps de police de New York. Pouvons-nous faire notre marque auprès des Américains? Nous pouvons faire notre marque dans certains cas, lorsqu'il y a intégration des différents corps d'armée avec les Britanniques ou avec les Américains dans des conflits moins graves, pour des fins logistiques. Les réserves -- et c'est un rôle que nous avons joué à l'OTAN depuis 25 ans -- servent d'habitude à assurer la sécurité d'une zone quelconque, une fois que l'armée principale s'est retirée. Ce n'est pas ce que l'on appelle une contribution majeure, et ce ne le sera jamais.
Le sénateur Bolduc: Autrement dit, le ministère des Affaires étrangères ne pourrait envisager d'élaborer des critères qui serviraient de cadre de décisions en cas d'intervention internationale? Êtes-vous en train de nous dire que le gouvernement devrait avoir les coudées franches pour décider dans chaque cas?
M. Legault: Oui, ne serait-ce que pour respecter le fonctionnement démocratique de notre société, le Parlement et le Conseil des ministres ont voix au chapitre. D'un point de vue technique, les critères ont été relativement bien définis à la page 30 du Livre blanc de 1994: il faut au départ une force multinationale et un mandat clair, mais ce sont là des éléments techniques. Toutefois, si vous voulez parler de la décision politique du Canada de prendre part ou non à une mission donnée, vous avez tout à fait raison.
Le sénateur Bolduc: C'est ce que nous faisons pour la défense et pour l'aide à l'étranger. Pourtant, nos affaires étrangères sont encore à l'époque du XVIIIe siècle. C'est le roi qui décide.
M. Legault: Je ne connais aucun pays qui s'engagerait automatiquement. Les pays nordiques ne le font pas, ni les Suisses ni les Australiens; pourquoi le ferions-nous? Rien ne nous distingue de ces autres pays. Nous pouvons bien nous engager auprès du secrétaire général des Nations unies à envoyer des troupes, et c'est ce que nous avons fait. Nous lui réservons deux ou trois bataillons en cas d'urgence; toutefois, c'est un peu comme un chèque d'American Express. Une fois que vous avez signé au haut du chèque, le chèque est vôtre, mais si vous souhaitez le toucher, vous devez signer à nouveau au bas, puis vous laissez le gouvernement décider. Il en sera toujours ainsi.
Le sénateur Grafstein: Songeons un peu au siècle prochain: dans notre système actuel, une fois que la décision a été prise par l'OTAN d'accepter, disons, les pays baltes, ce n'est plus une question de légitimité juridique. Le Parlement n'a plus de rôle à jouer, l'exécutif prend les décisions, et la seule chose que les gouvernements doivent faire, c'est donner au geste posé une certaine crédibilité politique.
M. Legault: Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question. Parlez-vous de l'article V de l'OTAN?
Le sénateur Grafstein: Admettons que l'OTAN élargit ses cadres. Dans votre scénario, nous suivons les Américains, ou les Européens, parce que nous ne voulons pas être oubliés. Nous repoussons automatiquement les frontières de l'OTAN jusqu'à la Russie, en admettant les États baltes, par exemple, tout près de la Roumanie. Le Bélarus, ou l'Ukraine, serait entre les deux. Si le Canada adhère à cette mesure, il sera automatiquement appelé à défendre ces frontières si des troubles se produisent dans cette région. Le Canada ne peut plus décider seul; le Parlement n'est plus dans le coup.
L'exécutif ne décide que s'il dispose des troupes voulues à un moment particulier pour accomplir une mission précise. La question de la légitimité politique se pose ensuite, à savoir, convaincre la population canadienne que c'est une bonne chose pour le Canada. Cependant, il n'existe aucune exigence ou responsabilité juridique en vertu de la Constitution ou de la pratique parlementaire qui nous oblige à faire intervenir le Parlement.
M. Legault: Si vous parlez de la procédure de l'OTAN, en termes stricts, vous avez raison. L'article V oblige automatiquement le Canada à adhérer aux objectifs de l'alliance. Cependant, nous avons toujours la possibilité de dire que nous ne ferons rien, que nous n'avons pas les ressources qu'il faut, que nous ne voulons pas envoyer notre marine, ou que nous ne voulons pas envoyer notre aviation. Nous avons toujours une certaine marge de manoeuvre dans ces cas-là.
Ça pourrait être pire. Si la Russie adhère à l'OTAN, le Canada pourrait être automatiquement engagé dans une guerre contre la Chine, donc ce n'est pas si mal.
Sur le plan juridique, avec l'élargissement de l'alliance, ces frontières sont légitimées et reconnues, et il se pose en effet la question d'une participation obligatoire à la défense collective en cas d'agression. Toutefois, je ne crois pas que cette hypothèse se pose au cours des 20 ou 25 prochaines années. La question de l'instabilité interne se pose davantage.
Les États baltes sont peut-être plus stables qu'on le pense en général. Pour ajouter une note optimiste à ce débat, je dirai que dans les pays nordiques, et surtout dans les États baltes, on semble privilégier davantage l'établissement d'une zone de coopération à l'adhésion à l'OTAN. Je crois que les États baltes ont dépassé de loin la question de l'élargissement. J'incline davantage à croire que l'expansion jusqu'aux frontières baltes ne se poursuivra pas; cela dit, je peux me tromper.
Comme l'a dit le sénateur Andreychuk, il arrive aux professeurs de se tromper.
Le président: Honorables sénateurs, nous allons tenir une brève séance à huis clos; cependant, nous ne pouvons pas siéger tout de suite à huis clos parce qu'il faut quelques minutes pour éteindre les appareils. Nous allons donc faire une petite pause, et nous allons reprendre ensuite à huis clos.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.