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RAPPORT DU COMITÉ

Le JEUDI, 13 juin 2002

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts

a l’honneur de présenter son

DIXIÈME RAPPORT


Votre Comité, autorisé à examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaire et les mesures à court et à long terme pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada, à conformément à son ordre de renvoi du 20 mars 2001, entrepris cet examen et présente maintenant un rapport intérimaire intitulé, Les agriculteurs canadiens en danger.

Respectueusement soumis,

Le président,
Leonard J. Gustafson


Les agriculteurs canadiens en danger

Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts

RAPPORT  INTÉRIMAIRE

L’honorable Leonard Gustafson, Président
 L’honorable John Wiebe, Vice-président

Juin 2002


MEMBRES

 LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L'AGRICULTURE ET DES FORÊTS

Les honorables sénateurs 

Libéraux

Michel Biron
*Sharon Carstairs, C.P. (ou Robichaud, C.P.)
Thelma Chalifoux
Joseph Day
Joyce Fairbairn, C.P.
Elizabeth Hubley
Jim Tunney
John (Jack) Wiebe (vice-président)  

Conservateurs

Leonard Gustafson (Président)Marjory LeBreton
*John Lynch-Staunton,  c.pC.P. (ou Kinsella)Donald Oliver, cC.rR.
Terry Stratton
David Tkachuk

 

(*Membres d'office)

Les recherchistes

June Dewetering
Frédéric Forge
Lorie Srivastava

Greffier
Daniel Charbonneau

 

Nota : Les honorables sénateurs Catherine Callbeck; Jane Cordy; Joan Fraser; Janis Johnson; Laurier LaPierre; Frank Mahovlich; Gerard Phalen; Brenda Robertson; Nick Sibbeston; Herbert Sparrow; Mira Spivak et Raymond Setlakwe ont également faitr partie du Comité.


ORDRE DE RENVOI 

Extrait des Journaux du Sénat du mardi 20 mars 2001 :

L'honorable sénateur Wiebe propose, appuyé par l'honorable sénateur Banks,

Que le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts soit autorisé à se pencher sur le commerce international des produits agricoles et agroalimentaire et les mesures à court et à long terme pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada;

Que les documents et témoignages recueillis sur la question, ainsi que les travaux accomplis par le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts au cours de la trente-sixième législature soient remis au Comité;

Que le Comité présente son rapport au plus tard le 30 juin 2002.

La motion, mise aux voix, est adoptée.

Le greffier du Sénat,
Paul C. Bélisle


Liste d’abréviations 

ACORN – Atlantic Canada Organic Regional Network 

CSA – Cadre stratégique agricole 

ESB – Encéphalopathie spongiforme bovine 

PAC – Politique agricole commune 

FCADR – Fonds canadien d’adaptation et de développement rural 

PCSAF – Programme canadien de salubrité alimentaire à la ferme 

PEA – Plan environnemental en agriculture 

ATCF – Aide au transport des céréales fourragères 

PIB – Produit intérieur brut 

GM – Génétiquement modifié 

HACCP – Système de l'analyse des risques – point critique pour leur maîtrise 

CSRN – Compte de stabilisation du revenu net 

UE – Union Européenne


TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS

SOMMAIRE

LISTE DES RECOMMENDATIONS

LE CŒUR DE NOTRE PAYS
    Le Canada rural est le cœur de notre pays

FACTEURS QUI INFLUENT SUR LES REVENUS AGRICOLES
    Les coûts sur les marchés des facteurs de production
        Les changements climatiques et les difficultés liées à l’environnement
        Les coûts de l’évolution des préférences des consommateurs
        La hausse des prix des facteurs de production à cause de la diminution de la concurrence sur les marchés
        Le transport et le coût des aliments pour animaux
        Les coûts de la main-d’œuvre
    Les recettes tirées du marché
        La baisse des prix à la production à cause des cours mondiaux
        Les changements des prix à la production attribuables à l’évolution des préférences du consommateur
        L’effet d’une concurrence limitée sur les prix à la production
        Les programmes de protection du revenu
        L’effet des différends commerciaux sur les prix à la production 

L’AGRICULTURE ET LES FORCES DU MARCHÉ
    La diversification
    L’agriculture à valeur ajoutée
    Les programmes de salubrité alimentaire à la ferme et les plans environnementaux en agriculture
        Les programmes de salubrité alimentaire
        Les plans environnementaux en agriculture
        Le soutien aux programmes environnementaux et de salubrité alimentaire
    Qui s’adaptera? 

LES AGRICULTEURS ET LE CANADA RURAL
    Les contributions financières au Canada rural
    Les frictions avec les populations non agricoles
    Les valeurs multifonctionnelles des exploitations agricoles dans le Canada rural
    Les améliorations de la viabilité des localités rurales 

LA RECHERCHE, CLÉ DE L’AVENIR POUR L’AGRICULTURE

CONCLUSION

ANNEXE A

ANNEXE B

ANNEXE C

ANNEXE D


AVANT-PROPOS

De mai 2001 à mars 2002, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a tenu des audiences à Ottawa et s'est rendu à Washington, dans les provinces Maritimes et dans l'Union européenne pour discuter du commerce international des produits agricoles et agroalimentaires, et des mesures à courts et à longs termes propres à garantir la bonne santé de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire du Canada. Le Comité a rencontré des groupes agricoles et d'autres parties intéressées qui s'occupent du développement rural au Canada (voir la liste des groupes en annexe). Les membres du Comité ont également rencontré des parlementaires des États-Unis et de l'Union européenne, ainsi que des représentants de divers départements américains et de la Commission de l'Union européenne. 

Ces réunions ont permis d'aborder des questions comme l'état des revenus agricoles, les politiques agricoles des États-Unis et de l'Union européenne, les différends commerciaux, le développement rural et la recherche en agriculture. Le présent rapport rend compte de la réflexion et des opinions du Comité, au terme de ces longs travaux et déplacements, et propose des recommandations en vue d'orienter l'élaboration de la politique canadienne sur l'agriculture et l'agroalimentaire et d'améliorer l'état de l'agriculture au Canada. 

SOMMAIRE

Le Canada rural est le cœur de notre pays. Il y a là plus qu'un attachement sentimental. En effet, il fait une importante contribution à notre économie, car il est à l'origine de 15 p. 100 de notre produit intérieur brut et de 40 p. 100 de nos exportations.

Les agriculteurs occupent une place centrale dans le Canada rural. Non seulement ils créent des emplois, mais ils protègent aussi l'environnement en travaillant le paysage pastoral. Ces grands espaces verts et dégagés présentent des possibilités pour le tourisme et répondent aux besoins en loisirs d'un nombre croissance de citadins.

La population non agricole du Canada doit comprendre que les agriculteurs apportent de nombreuses contributions économiques et sociales en dehors de la production de denrées alimentaires. Ils jouent un rôle fondamental dans notre société, et les gouvernements ne doivent pas abandonner leurs responsabilités à leur égard.

Pourtant, les agriculteurs canadiens sont aux prises avec de nombreuses difficultés, dont la baisse des revenus agricoles à cause de la hausse des coûts de production et de la diminution du prix des produits agricoles, les subventions sans équivalence versées par des gouvernements étrangers, l'évolution des préférences des consommateurs, des exigences accrues en matière de sécurité alimentaire et de protection de l'environnement, une concurrence insuffisante sur des marchés agricoles clés, le groupement des sociétés dans les entreprises de conditionnement et le commerce de gros et de détail, et un soutien limité de l'État.

Les agriculteurs ont besoin de l'aide du gouvernement sous la forme de recherches mieux ciblées, d'une assistance étatique qui ne fausse pas les choix de production, au vu des nombreux avantages qu'ils rapportent à tous les Canadiens, et d'une politique agricole pluriannuelle axée sur l'agriculteur et guidée par une vue d'ensemble.

Ces mesures de soutien donneront aux agriculteurs un avantage concurrentiel. Si les règles du jeu sont les mêmes pour tous, les agriculteurs canadiens peuvent soutenir la concurrence de tous les agriculteurs du monde.

S'ils sont privés de cette aide, une menace continuera de peser sur les agriculteurs canadiens.


LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation 1 : Qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada étudient la possibilité de procéder à des examens structurés et détaillés de la politique sur l'agriculture et l'agroalimentaire tous les cinq ans, comme le font les États-Unis avec le processus du Farm Bill et l'Union européenne avec sa Politique agricole commune. 

Recommandation 2 : Que le gouvernement s'engage à consacrer au moins 1 p. 100 de son Produit intérieur brut à l'assistance à l'agriculture.

Recommandation 3 : Que, en plus de la série existante de critères de sécurité, de qualité et d'évaluation agronomique, le gouvernement ajoute des critères d'" acceptation sur le marché " au processus d'approbation des nouvelles variétés de plantes.

Recommandation 4 : Que le Bureau de la concurrence, avant d'approuver une fusion ou une acquisition, soit tenu de faire une analyse approfondie des effets du changement sur le secteur de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Cette analyse devrait être communiquée dans un rapport aux comités de l'agriculture du Sénat et de la Chambre des communes. L'analyse et la rédaction du rapport devraient être confiés à des membres du personnel du Bureau de la concurrence qui ont de solides compétences en agriculture. 

Recommandation 5 : En outre, le Comité recommande que le Bureau de la concurrence fasse enquête sur le marché des facteurs de production de l'agriculture au Canada ainsi que sur le marché du détail en alimentation afin de voir s'il existe une concurrence suffisante sur ces marchés pour assurer un établissement efficace des prix pour les agriculteurs.

Recommandation 6 : Que le gouvernement élabore des programmes de protection du revenu agricole qui sont souples, de façon à répondre aux besoins des diverses régions.

Recommandation 7 : Que le ministre du Commerce international et le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire étudient avec leurs homologues des États-Unis et de l'Union européenne l'élaboration d'un mécanisme accéléré de règlement des différends bilatéraux dans le commerce des produits agricoles. Ce mécanisme serait utilisé lorsque le produit agricole en question est périssable ou revêt une grande importance économique pour une région donnée.

Recommandation 8 : Que le ministre responsable de la Commission canadienne du blé, le ministre du Commerce international et le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire rencontrent le représentant au Commerce et le secrétaire à l'Agriculture à la première occasion afin de discuter d'une solution durable pour dissiper les préoccupations américaines au sujet du commerce du grain entre le Canada et les États-Unis.

Recommandation 9 : Que le gouvernement élabore une stratégie exhaustive prévoyant des stimulants fiscaux ainsi qu'une aide directe du gouvernement fédéral sous la forme de ressources financières et de services spécialisés pour améliorer le développement du secteur de l'agriculture à valeur ajoutée, notamment des projets propres aux agriculteurs, dans les zones rurales du Canada.

Recommandation 10 : Que le gouvernement élabore un système d'agrément abordable pour les organismes de certification canadiens en vertu de la norme nationale applicable à l'agriculture biologique et qu'il veille à ce que ce système réponde aux exigences de nos principaux marchés d'exportation de produits biologiques.

Recommandation 11 : Que le gouvernement inclue dans le Cadre stratégique agricole un mécanisme de partage des coûts pour la mise en œuvre des plans environnementaux en agriculture et des systèmes de salubrité alimentaire à la ferme adoptés par les agriculteurs. Ce mécanisme pourrait être intégré à des programmes actuels comme le Programme de salubrité alimentaire à la ferme. 

Recommandation 12 : Que le gouvernement instaure immédiatement une politique permettant d'aider financièrement ceux qui désirent quitter le secteur agricole, au moyen de programmes de recyclage ou de retraite anticipée.

Recommandation 13 : Que la contribution annuelle versée au Fond canadien d'adaptation et de développement rural soit doublée pour la faire passer de 25 à 50 millions de dollars et que la diversification et l'agriculture à valeur ajoutée soient des priorités d'adaptation. 

Recommandation 14 : Que, dans le dialogue rural, le gouvernement prenne l'initiative d'ateliers et de conférences pour aider les collectivités rurales aux prises avec des débats déchirants entre les agriculteurs et les ruraux qui ne sont pas agriculteurs. 

Recommandation 15 : Que le gouvernement fédéral travaille de concert avec les organisations agricoles à l'élaboration d'une vigoureuse campagne de communications pour veiller à ce que tous les Canadiens comprennent l'apport économique et social des agriculteurs à notre société.

Recommandation 16 : Qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada étudie l'application de la notion de multifonctionnalité à l'agriculture canadienne. Cette étude devrait normalement établir les rôles divers de l'agriculture dans les différentes régions du pays et analyser les moyens de promouvoir ces rôles.

Recommandation 17 : Que le gouvernement accorde une aide financière aux programmes d'infrastructure visant à améliorer les routes principales pour en accroître la sécurité et relier les marchés régionaux à des marchés plus vastes.

Recommandation 18 : Que le gouvernement s'associe à des entreprises privées pour garantir que la totalité des Canadiens auront accès à des services Internet à haute vitesse en s'inspirant d'un plan comme celui de SuperNet, en Alberta, et en branchant tous les établissements publics.

Recommandation 19 : Que les gouvernements fédéraux et provinciaux accroissent leur soutien financier pour les activités de recherche et de développement. Ils doivent tenir compte des occasions et des préoccupations propres à chaque région, de façon que les agriculteurs canadiens restent concurrentiels et soient en mesure de s'adapter à leur contexte en constante évolution. Par exemple, les gouvernements doivent accorder de nouveaux fonds pour la recherche dans des secteurs prometteurs comme celui de l'agriculture biologique. Le Comité recommande également que le gouvernement revoie ses programmes de recherche pour tenir compte de ce que l'industrie agricole envisage pour l'avenir, en ce qui concerne les nouvelles cultures et les nouvelles applications, et qu'il relève son aide financière en conséquence.

Recommandation 20 : Que le gouvernement tienne compte des besoins à long terme de la recherche lorsqu'il élabore des programmes de recherche dans les établissements fédéraux ou attribue des subventions de recherche à d'autres établissements.

Recommandation 21 : Que le gouvernement, avec la collaboration des provinces et des territoires, adopte un mécanisme structuré par lequel les agriculteurs peuvent participer à l'établissement des priorités dans les recherches publiques. 


LE CŒUR DE NOTRE PAYS

Le Canada rural est le cœur de notre pays. 

Il ne faut pas voir là seulement le signe d'un attachement sentimental, car le Canada rural fait une contribution importante à notre économie. Il est à l'origine de 15 p. 100 de notre produit intérieur brut et de 40 p. 100 de nos exportations, surtout grâce à nos industries qui exploitent les ressources naturelles : agriculture, pêche, forêts et mines. Plus important encore, le Canada rural est bénéfique pour l'environnement, et ses grands espaces verts présentent des possibilités pour le tourisme et répondent aux besoins en loisirs d'un nombre croissant de citadins. 

Au cours des audiences du Comité, beaucoup de témoins ont avancé l'idée que la viabilité de nombreuses localités rurales dépendait de la bonne santé de l'agriculture. L'industrie agricole et agroalimentaire est le troisième employeur du Canada, par ordre d'importance, et même des centres urbains comme Toronto en tirent des avantages économiques. En effet, l'agglomération torontoise a des activités économiques de l'ordre de 1,3 milliard de dollars qui sont liées à l'agriculture. Au niveau local, la majorité des habitants des localités rurales sont encore actifs dans des entreprises agricoles ou bien leur travail est directement lié à l'agriculture. La plupart de nos localités et villages ont la collectivité agricole comme clientèle principale. Les agriculteurs canadiens ont toujours apporté et continuent d'apporter une contribution essentielle à la bonne santé sociale de nos localités rurales. Ainsi, les services à la société comme les écoles des zones rurales dépendent largement des familles agricoles pour maintenir un niveau de service suffisant. De plus, les agriculteurs canadiens sont les gardiens d'une grande partie du paysage du Canada.

Entre 1999 et 2000, le nombre d'agriculteurs à temps plein a diminué de 26 p. 100, ce qui est la baisse la plus marquée en 35 ans; on a fait observer au Comité que l'âge moyen des agriculteurs à temps plein avait augmenté, pour atteindre 57 ans. Qui plus est, les jeunes ont tendance, pour des raisons diverses, à ne pas reprendre l'exploitation familiale, ce qui aggrave encore le problème de la diminution et du vieillissement de la population agricole. Pareilles tendances démographiques dans notre société ont de quoi susciter de vives inquiétudes pour l'avenir de notre pays. La situation n'est pas propre au Canada, car le Comité a appris que l'Union européenne (UE) perdait chaque année 3 p. 100 de ses agriculteurs. En Europe occidentale, aux États-Unis ou au Canada, on se demande avec inquiétude dans quelle mesure les jeunes trouvent aujourd'hui moins attrayante une carrière en agriculture. 

Le gouvernement fédéral et les provinces ne doivent pas renoncer à leur responsabilité commune à l'égard des agriculteurs canadiens. Il est toutefois vrai que le Plan d'action rural fédéral et le nouveau Cadre stratégique agricole (CSA) marquent une évolution favorable vers un engagement envers le secteur agricole. Il faut cependant faire plus. Les gouvernements doivent se donner une stratégie à long terme qui définit les divers objectifs à viser en agriculture, ainsi que les moyens de les atteindre. 

Le Comité est en faveur d'examens cohérents et réguliers des dépenses et politique en agriculture, au lieu de l'approche au coup par coup qui a été adoptée au Canada. Selon nous, les modifications de la politique et des niveaux de soutien ont été par le passé des réactions à des crises et non la manifestation d'une vue d'ensemble, si bien qu'elles n'ont pas toujours été axées sur les agriculteurs, qui sont ainsi mis en danger. En conséquence, le Comité recommande :

Recommandation 1 : Qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada étudient la possibilité de procéder à des examens structurés et détaillés de la politique sur l'agriculture et l'agroalimentaire tous les cinq ans, comme le font les États-Unis avec le processus du Farm Bill et l'UE avec sa Politique agricole commune. 

Le Comité estime qu'un examen régulier et exhaustif de la politique canadienne sur l'agriculture et l'agroalimentaire s'impose si nous voulons apporter une aide réelle aux agriculteurs, étant donné que leur situation change au gré de l'évolution du marché. Il croit également que le gouvernement doit inverser la tendance à réduire le soutien qu'il accorde à l'agriculture, afin de favoriser une agriculture et une collectivité agricole dynamiques dans le Canada rural. 

Pour faire face aux effets cumulés du bas prix des céréales, des coûts de transport élevés et d'autres facteurs, les agriculteurs ont manifestement besoin d'une assistance financière immédiate. […] cela ne saurait suffire pour régler le problème, même à court terme. Entre 1991-1992 et 1998-1999, le gouvernement fédéral a retiré près de 2 milliards de dollars par an des paiements de soutien du secteur agricole de l'ouest du Canada en abolissant la subvention du Nid-de-Corbeau, en réduisant les programmes de sécurité et en réduisant les sommes consacrées à la R-D. L'aide annoncée récemment par le gouvernement fédéral est encore loin de compenser ces réductions de budgets.

- M. Wayne Motheral, président, Association des municipalités du Manitoba


Les témoins ont constamment insisté sur la nécessité d'aider les agriculteurs dans divers domaines clés, notamment la recherche, le commerce et l'adaptation aux exigences changeantes du marché. Le niveau apparemment incommensurable des subventions et des protections offertes par les États-Unis à leurs agriculteurs en vertu du Farm Bill et du soutien accordé aux siens par l'UE encouragent la surproduction et font diminuer les cours mondiaux. 

Des témoins ont signalé au Comité des secteurs que le gouvernement fédéral devrait cibler dans ses efforts d'aide financière. Aux yeux de beaucoup de témoins, les cinq éléments clés du nouveau Cadre stratégique agricole sont certes importants, mais, sans un apport financier fédéral, la politique restera lettre morte pour les agriculteurs canadiens. Néanmoins, le Comité ne perd pas de vue le fait que l'assistance doit être responsable sur le plan financier et demeurer conforme aux obligations que le Canada a contractées dans ses engagements internationaux en matière commerciale, notamment auprès de l'Organisation mondiale du commerce.

Bien que certains témoins aient réclamé des subventions comparables à celles qui sont accordées aux États-Unis, le Comité reconnaît que le Canada ne peut pas se permettre pareille générosité. Il demeure que le Canada tire de l'arrière, par rapport à l'UE et aux États-Unis, pour ce qui est de l'assistance agricole en pourcentage du produit intérieur brut (PIB). En 2000, l'UE y a consacré 1,35 p. 100, les États-Unis 1,05 p. 100 et le Canada seulement 0,78 p. 100. Ainsi donc, le Canada ne consacre pas au soutien de son agriculture une proportion de sa richesse économique aussi grande que ne le font l'UE et les États-Unis. Le Comité est fermement convaincu que les agriculteurs canadiens peuvent affronter la concurrence de n'importe quel autre pays, pourvu que les règles du jeu soient les mêmes pour tous. Il recommande donc : 

Recommandation 2 : Que le gouvernement s'engage à consacrer au moins 1 p. 100 de son PIB à l'assistance à l'agriculture. 

Des témoins qui ont comparu devant le Comité ont exprimé l'espoir que le cadre stratégique agricole élaboré par Agriculture et Agroalimentaire Canada et les ministères provinciaux de l'Agriculture puisse atténuer la multitude de difficultés auxquelles les agriculteurs canadiens font face. Néanmoins, pour réduire les risques de façon significative pour les agriculteurs canadiens qui s'efforcent de réussir, il faut que la politique agricole aborde de nombreux problèmes, notamment ceux des revenus agricoles, des exigences changeantes du marché, du développement du Canada rural et des besoins en recherche. Si ces défis sont relevés, les agriculteurs canadiens seront en mesure de réduire les risques et de continuer à contribuer à l'économie canadienne au cours du XXIe siècle et après.


FACTEURS QUI INFLUENT SUR LES REVENUS AGRICOLES

Les coûts sur les marchés des facteurs de production

… comme dans le reste du pays, les agriculteurs doivent lutter face à un niveau toujours très bas du prix des denrées, alors que le prix de leurs intrants, comme les engrais, le carburant et les produits chimiques, continue d'augmenter. Bon nombre d'agriculteurs n'auront pas les moyens pour ensemencer leurs champs ce printemps, ce qui aura un effet profond non seulement sur eux et leurs familles mais aussi sur leurs communautés et sur l'économie rurale dans son ensemble.

 - M. Wayne Motheral, président, Association des municipalités du Manitoba

Les revenus des agriculteurs subissent directement le contrecoup des coûts de production. Ces dernières années, les agriculteurs de l'Ouest et des Maritimes ont dû faire face à la sécheresse, à l'évolution des préférences des consommateurs, à l'augmentation du coût des facteurs de production et à des contraintes en matière de main-d'œuvre.


Les changements climatiques et les difficultés liées à l'environnement

Ces dernières années, les agriculteurs ont éprouvé de graves difficultés à cause de la sécheresse, qu'ils produisent des céréales, des oléagineux, des pommes de terre ou des fruits ou qu'ils élèvent du bétail. Keystone Agricultural Producers a signalé que, dès 1999, le sud-ouest du Manitoba et le sud-est de la Saskatchewan ont eu des conditions équivalant à la sécheresse, car les agriculteurs n'ont pu faire les semailles. 

Le Comité a appris que, selon les climatologues, la sécheresse a sévi en Nouvelle-Écosse pendant cinq années de suite. La Fédération de l'agriculture de la Nouvelle-Écosse a estimé que l'industrie laitière Nouvelle-Écosse avait à elle seule perdue jusqu'à 8 millions de dollars en 2000 à cause des suites directes de la sécheresse. La Fédération de l'agriculture de l'Île-du-Prince-Édouard a signalé que la sécheresse de 2001 avait eu des conséquences dévastatrices pour la culture de la pomme de terre et la production maraîchère, avec une réduction du rendement se situant entre 40 et 60 p. 100. La Fédération estime que la sécheresse aura coûté environ 100 millions de dollars à l'agriculture de l'Île.

Les sécheresses successives et d'autres problèmes climatiques ont incité plusieurs personnes, des groupes agricoles et des représentants des provinces à aborder la question des changements climatiques et de ses effets sur l'agriculture canadienne. Pour beaucoup, il s'agit d'un dossier dans lequel le gouvernement du Canada doit faire preuve de leadership, car les agriculteurs devront peut-être consentir des investissements importants pour adapter leurs pratiques de production et faire face à des conditions climatiques encore plus variables et incertaines à l'avenir. À certains endroits, les agriculteurs doivent appliquer des plans environnementaux en agriculture, ce qui alourdit leurs coûts, puisqu'il faut se conformer à ces exigences. 

Les sécheresses successives au Canada ont frappé l'agriculture et mis en péril l'avenir des collectivités agricoles. Le manque d'eau menace le développement même du Canada rural; il faut donc en tenir compte dans la planification de l'avenir de ces collectivités. Au cours de son étude, le Comité a constaté que les contraintes de l'environnement étaient un problème si grave pour l'agriculture et le Canada rural qu'il a décidé d'entreprendre une vaste étude sur les effets des changements climatiques sur l'agriculture au Canada.



Les coûts de l'évolution des préférences des consommateurs

En plus des problèmes environnementaux, les agriculteurs canadiens doivent s'adapter à l'évolution des préférences des consommateurs, au début d'un nouveau siècle. Pour répondre aux préférences et aux exigences nouvelles en matière de sécurité alimentaire et d'environnement, les agriculteurs doivent consentir des investissements importants dans leur exploitation. Il peut s'agir d'immobilisations (p. ex., matériel ou lagune de traitement des eaux usées), ou d'investissements dans la gestion (p. ex., recherche de nouvelles sources d'aliments biologiques, élaboration de plans environnementaux et tenue des comptes) et dans les modifications de production (p. ex., nouvelles cultures ou nouvelles méthodes de production). 

En ce qui concerne l'environnement, les agriculteurs adoptent des plans de gestion environnementale pour lutter contre les odeurs désagréables et les émissions de gaz à effet de serre, gérer les sols et protéger l'eau. À l'Île-du-Prince-Édouard, plus de 60 p. 100 des exploitations ont déjà achevé un plan environnemental en agriculture (PEA); l'objectif visé est que, au plus tard à l'hiver 2005, 95 p. 100 du secteur agricole primaire de la province ait un PEA. Malgré une assistance financière initiale pour amorcer un plan de cette nature, les agriculteurs risquent d'avoir du mal à absorber les coûts de la tenue des livres, car leur capacité d'obtenir sur le marché des prix à la production plus élevés demeure limitée. Cette impossibilité de recouvrer les coûts pourrait devenir critique si toutes les exploitations sont tenues d'avoir un plan environnemental, ce qui exclut toute possibilité pour les exploitations dotées d'un PEA de se démarquer de celles qui n'en ont pas. Cela sera encore plus vrai pour les petites exploitations dont les ressources humaines et les ressources en capitaux sont limitées.

Quant à la demande accrue de systèmes plus rigoureux pour assurer la salubrité des aliments dans les exploitations agricoles, les agriculteurs font face à des coûts semblables à ceux des plans environnementaux. Des systèmes comme le Système de l'analyse des risques - point critique pour leur maîtrise (HACCP), tout souhaitables qu'ils soient, entraînent des coûts de tenue de livres que les agriculteurs ont du mal à recouvrer. Bien que les agriculteurs reconnaissent que ces investissements sont nécessaires et bénéfiques, ils ont peut-être déjà dépassé la limite du raisonnable, vu leurs liquidités limitées et leur endettement. 

La hausse des prix des facteurs de production à cause de la diminution de la concurrence sur les marchés

Des témoins ont signalé que les coûts des facteurs de production avaient augmenté ces dernières années. Le Conseil canadien de la gestion d'entreprise a expliqué qu'il y avait moins de fournisseurs dans l'ensemble du pays. Cette diminution a pour conséquence une concurrence moins vive sur les marchés des facteurs de production et des prix plus élevés pour les agriculteurs canadiens. Ainsi, trois sociétés se partagent la distribution et la vente au détail de la majeure partie de l'huile, de l'essence et du carburant diesel au Canada, et trois sociétés dominent le secteur des machines agricoles. À ce propos, M. Apedaile, professeur émérite au département d'économie rurale, à l'Université de l'Alberta affirme ceci :

[L]es cinq plus gros producteurs d'engrais se divisent environ 90 p. 100 de l'offre d'engrais. Nous disons que la concentration commence à interférer avec les résultats compétitifs qui répartissent en réalité les revenus de façon équitable là où les coûts sont encourus. Dans la manutention des grains, le traitement des intrants et le matériel agricole, […] c'est un peu le retour à l'époque des territoires où nous n'avions qu'une seule quincaillerie où faire nos achats parce que les routes étaient si mauvaises que nous ne pouvions aller nulle part ailleurs. Nous avions des monopoles territoriaux. Dès que nous pouvions acheter ailleurs, nous allions évidemment là où les prix étaient plus bas. Le phénomène de la concurrence, c'est qu'un très petit nombre d'entreprises représente la quasi-totalité des intrants de l'agriculture.


Le transport et le coût des aliments pour animaux

Le problème de la hausse des coûts est aggravé par l'augmentation du coût des aliments pour animaux dans les Maritimes, attribuable au transport. Le Comité a entendu des témoins des trois provinces Maritimes confirmer que les aliments pour animaux leur coûtent plus cher depuis l'abolition du Programme d'aide au transport des céréales fourragères (ATCF), lors du budget fédéral de 1995. L'élimination de ce programme a rendu les céréales fourragères très coûteuses dans toutes les Maritimes; un exploitant de ferme laitière de la Nouvelle-Écosse a affirmé que, en 2000, il avait dépensé environ 25 p. 100 de sa production brute à l'achat de céréales fourragères. Il ne les produit pas dans sa propre exploitation parce que les coûts sont prohibitifs. Porc NB Pork estime que ces aliments coûtent au Nouveau-Brunswick 30 $ de plus la tonne qu'en Ontario.

Le programme d'aide prévoyait des versements pour les éleveurs des régions qui ne produisent pas assez de céréales fourragères, afin d'abaisser leurs coûts et de permettre le maintien d'une industrie de l'élevage rentable. Le gros des versements était fait au Canada atlantique, à la Colombie-Britannique et à l'est du Québec. Les fonds affectés au programme s'élevaient à quelque 15 millions de dollars en 1994-1995. Le 1er octobre 1995, le programme a cessé d'être un programme de subventions au transport. Dans les années suivantes, le montant en diminution progressive - environ 60 millions de dollars sur 10 ans - devait servir à soutenir l'adaptation et le développement de l'industrie .[1]

Dans l'ouest du Canada, la disparition du tarif du Nid-de-Corbeau a obligé les agriculteurs à payer la totalité du coût du transport du grain vers les ports tandis que les coûts des facteurs de production, comme ceux de l'engrais, des semences et du carburant, continuaient d'augmenter, selon l'Association des municipalités du Manitoba.



Les coûts de la main-d'oeuvre

Les coûts de la main-d'œuvre ont également augmenté dans tout le secteur agricole, car moins de travailleurs y sont attirés. L'Agricultural Producers Association of Saskatchewan a fait observer que les jeunes qui habitent encore dans les localités agricoles travaillent pour le secteur pétrolier, et non en agriculture. En outre, la Saskatchewan Association of Rural Municipalities a insisté sur les pénuries de main-d'œuvre dans la province. Le même phénomène se remarque dans le secteur agricole des Maritimes, par exemple pour la production d'arbres de Noël qui, en Nouvelle-Écosse, emploie 2 500 travailleurs saisonniers spécialisés pendant une période de six à huit semaines. Ces travailleurs ont besoin de diverses compétences : sylviculture, lutte antiparasitaire, commercialisation, taux de change, procédures d'exportation, règlements sur la santé et la sécurité de diverses administrations, communications interpersonnelles. Des secteurs comme celui-là ont de plus en plus de mal à attirer de la main-d'œuvre, même s'ils offrent plus que le salaire minimum.

Dans les Maritimes, le Comité a entendu des témoignages voulant que le secteur horticole éprouve des problèmes particuliers de main-d'œuvre, car il exige plus de main-d'œuvre que la production de céréales, par exemple. En Nouvelle-Écosse, il emploie 30 p. 100 de toute la main-d'œuvre agricole dans la province. Le caractère saisonnier des activités complique encore le problème de recrutement, car les modifications apportées au programme d'assurance-emploi en 1996 ont limité les prestations qu'on peut verser aux travailleurs saisonniers. 

De plus, l'organisme Potatoes New Brunswick a dit au Comité que les conditions d'admissibilité à l'assurance-emploi devraient tenir compte des différences régionales, de façon à atténuer les problèmes de main-d'œuvre. Bien que les grandes régions productrices de pommes de terre de la province - situées entre l'Île-du-Prince-Édouard et les États-Unis - ont les mêmes conditions d'application du régime d'assurance emploi que la péninsule acadienne, elles ont un taux de chômage de 4 p. 100, alors que la péninsule acadienne a un taux de 23 p. 100. Ce manque de souplesse dans l'application du régime fait augmenter les coûts pour les agriculteurs.

 

Les recettes tirées du marché

À propos des recettes des agriculteurs, un certain nombre de sujets sont revenus fréquemment au cours des audiences du Comité : prix sur les marchés internationaux, évolution des préférences des consommateurs, manque de concurrence aux niveaux du gros et du détail, différends commerciaux.



La baisse des prix à la production à cause des cours mondiaux

Des témoins des quatre coins du Canada ont expliqué au Comité que les agriculteurs font face à des prix qui sont à la baisse. Une cause importante de cette tendance est la faiblesse des cours sur les marchés internationaux. Malgré les mesures d'assistance que le gouvernement fédéral a récemment annoncées, certains producteurs de l'ouest du Canada ont estimé que, avec les prix qui ont cours, ils perdront au moins 40 $ l'acre de céréales ou d'oléagineux ensemencé ce printemps. La faiblesse des prix s'explique en grande partie par l'offre importante en provenance des États-Unis et de l'UE, en raison des subventions versées par leurs gouvernements respectifs. En 1999, pour chaque dollar que les producteurs canadiens de blé ont reçu, seulement 11 cents venaient du gouvernement fédéral, contre 46 cents dans le cas des agriculteurs américains et 58 cents dans celui des agriculteurs européens.

Un certain nombre de témoins ont exprimé des inquiétudes au sujet des subventions des États-Unis et de l'UE et se sont demandé si ces subventions étaient conformes à leurs engagements respectifs à l'Organisation mondiale du commerce. La déclaration de M. Laurence Nason fait écho à ces sentiments : " Le Canada a décidé de se comporter en boy-scout en ce qui concerne les accords commerciaux mondiaux, mais les États-Unis et l'Europe occidentale n'ont pas aboli leurs programmes dans la même mesure. " 

Le Comité se trouvait à Washington peu après que la Commission de l'agriculture de la Chambre des représentant eut adopté la proposition de Farm Bill, en juillet 2001. Depuis, le Sénat a approuvé sa propre version du Farm Bill, qui étend les mesures de soutien aux cultures de légumineuses. Bien que certains groupes et particuliers aient décrit la proposition de la Chambre des représentants comme " l'un des projets de loi les plus écologiques jamais proposés ", les deux versions du Farm Bill demeurent les sources de fortes distorsions dans les choix de production.

L'UE entamera également un examen de mi-mandat de sa Politique agricole commune (PAC). Les résultats des prochaines élections en France et en Allemagne influenceront l'examen de la PAC, mais des responsables européens ont dit qu'il leur faudrait envisager des moyens différents de soutenir les agriculteurs. De plus, l'UE a bloqué le budget de la PAC jusqu'en 2006, et elle devra peut-être intégrer dix nouveaux États membres d'ici 2004. Bien que le Comité croie que la politique de l'UE comportera toujours des paiements directs, des indications donnent à penser qu'elle évoluera d'une assistance au producteur vers une aide au développement rural qui sera découplée, c'est-à-dire qu'elle ne faussera pas les choix de production.

Pendant le séjour du Comité en Europe, il a été question de l'évolution de l'offre mondiale. Depuis 15 ans, la production a augmenté dans les pays dont les frais de production sont inférieurs, surtout dans l'hémisphère sud. Il est devenu plus difficile de livrer concurrence sur les denrées de fort volume et, malheureusement, la demande sur les marchés d'exportation n'a pas progressé de façon substantielle pour absorber l'offre supplémentaire, ce qui a aggravé la faiblesse des cours. Ainsi, selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, la demande mondiale de blé a diminué de 47 p. 100 entre 1995 et 2000 tandis que l'offre mondiale augmentait de 26 p. 100.



Les changements des prix à la production attribuables à l'évolution des préférences du consommateur

Un autre facteur qui influe sur les prix payés aux producteurs est l'évolution des préférences des consommateurs. Ainsi, la hausse de la demande de produits biologiques a fait augmenter les prix de ces aliments, qui se vendent maintenant nettement plus cher que les aliments ordinaires. Même si la part de marché des produits biologiques, au Canada, n'est toujours que de l'ordre de 1 ou 2 p. 100, avec des ventes estimées à 800 millions de dollars, le chiffre des ventes va augmenter, car un plus grand nombre d'agriculteurs, de transformateurs et de détaillants seront attirés par les prix plus élevés. 

Un autre exemple est l'inquiétude du public au sujet des aliments génétiquement modifiés (GM). Comme la capacité d'acceptation de ces produits par le public est limitée, certains producteurs de cultures GM doivent se contenter de prix plus faibles, tandis que, sur certains marchés, ceux qui ont des productions non GM peuvent réclamer un prix plus élevé. La méfiance du public influe sur les décisions des transformateurs comme les minotiers canadiens, qui ont exprimé des craintes au sujet du blé GM. La plupart des années, les minotiers canadiens sont les plus importants clients des agriculteurs de l'ouest du Canada. La North American Millers Association a fait connaître sa position publiquement : il faut éviter de mettre sur le marché des produits qui n'y sont pas largement acceptés. Cette évolution des préférences des consommateurs fait baisser les prix que les agriculteurs peuvent tirer de certaines productions - prix qui peut être ramené à zéro s'il s'avère impossible de vendre les produits. Les préoccupations du public influent donc sur les choix de production des agriculteurs canadiens et donc sur leurs recettes. 

Le Comité a entendu les préoccupations des agriculteurs et d'autres intervenants du milieu agricole au sujet de l'éventuelle approbation de blé GM au Canada. L'introduction de blé GM au Canada pourrait menacer toute l'industrie, car les marchés ne sont pas prêts à accepter ce type de produit. Comme il n'existe actuellement aucun moyen de séparer efficacement le blé GM des variétés classiques, l'introduction d'une seule variété de blé GM aurait pour effet de nous fermer tous les marchés qui répugnent à acheter des céréales GM. Abstraction faite des problèmes de l'ordre de la science et de la sécurité, le risque de perdre des marchés d'exportation pour un produit comme le blé à un moment où les agriculteurs sont plongés dans de graves difficultés est une raison suffisante pour agir avec une extrême prudence.

Les exportations de canola du Canada vers l'UE ont atteint un sommet de 425 millions de dollars en 1994, mais elles sont maintenant presque nulles, car l'UE a bloqué son processus d'approbation des variétés génétiquement modifiées. Pendant sa mission d'information à Bruxelles, le Comité a appris que l'UE importait maintenant le canola de pays comme l'Australie. Bien que la Commission de l'UE prétende qu'elle reprendra son processus d'approbation dans un proche avenir, le Comité est convaincu que le marché de l'UE est perdu pour les produits génétiquement modifiés et que les agriculteurs doivent faire preuve de prudence dans le choix des semences, car ce sont toutes les exportations agricoles du Canada qui pourraient être menacées. 

Selon le processus d'approbation qui s'applique aujourd'hui au Canada, une nouvelle variété est homologuée pour production commerciale si elle satisfait à des critères de qualité pour utilisation finale, de qualité agronomique et de sécurité pour l'homme et l'environnement. Il n'y a actuellement aucune disposition permettant d'interdire l'introduction d'une nouvelle variété, même s'il est évident qu'elle aura un effet préjudiciable sur le marché et fera diminuer les revenus des agriculteurs. Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 3 : Que, en plus de la série existante de critères de sécurité, de qualité et d'évaluation agronomique, le gouvernement ajoute des critères d'" acceptation sur le marché " au processus d'approbation des nouvelles variétés de plantes.


L'effet d'une concurrence limitée sur les prix à la production

Des témoins de l'ensemble du Canada ont exprimé des inquiétudes au sujet de la faiblesse de la concurrence ou de son absence aux niveaux du gros et du détail, soutenant que cela fait baisser les prix que les agriculteurs touchent. Dans les Maritimes, le Comité a appris que seulement deux détaillants contrôlaient 85 p. 100 du marché, et ils se concurrencent très vigoureusement. Cela a pour conséquence qu'ils offrent des prix plus faibles aux agriculteurs pour préserver leurs marges bénéficiaires. Cette situation de marché duopsone[2] limite la capacité des agriculteurs d'obtenir le meilleur prix pour leurs produits. Des témoignages comme ceux-là soulèvent des inquiétudes au sujet de la concentration des sociétés chez les fournisseurs de facteurs de production et chez les détaillants de produits alimentaires. Pour cette raison, le Comité recommande : 

Recommandation 4 : Que le Bureau de la concurrence, avant d'approuver une fusion ou une acquisition, soit tenu de faire une analyse approfondie des effets du changement sur le secteur de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Cette analyse devrait être communiquée dans un rapport aux comités de l'agriculture du Sénat et de la Chambre des communes. L'analyse et la rédaction du rapport devraient être confiés à des membres du personnel du Bureau de la concurrence qui ont de solides compétences en agriculture.

Recommandation 5 : En outre, le Comité recommande que le Bureau de la concurrence fasse enquête sur le marché des facteurs de production de l'agriculture au Canada ainsi que sur le marché du détail en alimentation afin de voir s'il existe une concurrence suffisante sur ces marchés pour assurer un établissement efficace des prix pour les agriculteurs. 

La concentration des entreprises demeure une préoccupation pour beaucoup dans le secteur de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Bien qu'on reconnaisse les bienfaits d'une certaine concentration, il ne faut pas que les agriculteurs aient à souffrir des suites des fusions et acquisitions dans des industries qui ont des effets sur leurs exploitations. Lorsqu'il y a moins de fournisseurs de facteurs de production, et donc moins de concurrence, les agriculteurs doivent payer plus cher les produits; lorsqu'il y a moins de concurrence dans le commerce de gros et de détail à cause de la diminution du nombre d'acheteurs, les agriculteurs deviennent des preneurs de prix et sont forcés d'accepter de vendre leurs produits moins cher.


Les programmes de protection du revenu

La fédération croit que le CSRN est un très bon programme mais qu'il est, comme la plupart des programmes d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, plus adapté aux provinces de l'Ouest et du centre qu'aux provinces Maritimes. La taille des entreprises d'ici est souvent plus petite que celle des autres régions du Canada. Le climat ainsi que la diversité des cultures possibles n'est pas de la même envergure, ce qui affecte grandement le revenu admissible de nos entreprises.
- M. Paul-Émile Soucy, président de la Fédération des agriculteurs et agricultrices francophones du Nouveau- Brunswick

Des témoins du Canada atlantique appartenant à divers groupements de producteurs ont dit et répété que des programmes comme le Compte de stabilisation du revenu agricole (CSRN) semblent avoir été conçus en fonction des agriculteurs de l'Ouest qui produisent des céréales et des oléagineux. Des agriculteurs appartenant aussi bien à des groupes d'éleveurs qu'à des groupes d'horticulteurs ont exprimé le souhait que ces programmes soient revus et adaptés aux besoins régionaux d'autres groupes de producteurs. Ainsi, pendant les audiences publiques que le Comité a tenues en Nouvelle-Écosse, il a été signalé que la diversification poussée de l'agriculture dans les Maritimes avait fréquemment pour conséquence que les agriculteurs ne sont pas admissibles à certains programmes de protection du revenu qui tiennent compte de l'ensemble des revenus agricoles. Ainsi, les paiements versés par le Programme canadien du revenu agricole dépendent d'une baisse soudaine du revenu agricole, ce qui ne risque guère de se produire lorsque l'exploitation est très diversifiée, car les revenus proviennent de différentes sources.

Les producteurs de céréales et d'oléagineux croient cependant que les programmes de protection du revenu ne tiennent pas compte des produits dont les prix sont constamment bas. Comme le ministre Vanclief l'a déclaré au Comité, " nos politiques […] ne visent nullement à répondre aux besoins des agriculteurs dont le principal problème est de toujours tirer un faible revenu de leur exploitation ".

L'impression qu'on peut avoir que les programmes de protection du revenu ont été conçus pour une autre production ou une autre région est un obstacle majeur au succès de tout programme portant sur les revenus agricoles. Étant donné que les gouvernements fédéral et provinciaux discutent en ce moment des futurs moyens de gestion du risque dans le cadre de la politique agricole, le Comité recommande :

Recommandation 6 : Que le gouvernement élabore des programmes de protection du revenu agricole qui sont souples, de façon à répondre aux besoins des diverses régions.


L'effet des différends commerciaux sur les prix à la production 

Enfin, des différends commerciaux divers continuent d'entraver la capacité des agriculteurs canadiens d'obtenir des prix plus élevés à la production. Des témoins ont dit et répété qu'ils voulaient que les produits importés soient soumis aux mêmes normes de salubrité des aliments et de bien-être des animaux que les Canadiens exigent et auxquelles ils ont droit.
Des témoins ont dit que, même s'ils exploitent les débouchés qui s'offrent à eux sur les marchés intérieurs et étrangers, ils sont aux prises avec des difficultés diverses, comme des obstacles non tarifaires. Par exemple, M. Len Giffen, coordonnateur du Nova Scotia Christmas Tree Council, a soutenu que les producteurs ne pouvaient plus exporter leurs arbres au Royaume-Uni pour de motifs censément phytosanitaires. En effet, le gouvernement britannique exige que les arbres de Noël de la Nouvelle-Écosse soient accompagnés de certificats phytosanitaires déclarant que les arbres sont exempts des parasites interdits. Le Nova Scotia Christmas Tree Council est d'avis que le gouvernement britannique risque d'ajouter de nouvelles espèces à la liste des parasites interdits, une fois que les producteurs néo-écossais auront pu éliminer ceux qui sont déjà interdits, de façon à exclure les arbres de la Nouvelle-Écosse du marché britannique. Quant aux États-Unis, M. Giffen a dit " qu'une fois que le chargement passe la frontière et se trouve sur le territoire des États-Unis, seuls des citoyens américains ont le droit de charger et de décharger les arbres. Par conséquent, nous ne pouvons pas envoyer nos propres équipes pour gérer les problèmes quand ils apparaissent. " Des irritants commerciaux comme ceux-là font baisser les prix pour les agriculteurs canadiens lorsqu'ils vendent leurs produits sur les marchés étrangers.

À l'occasion, d'autres irritants surgissent dans les échanges commerciaux bilatéraux. Pendant les missions d'étude du Comité à Washington et dans les Maritimes, il a été question de la galle verruqueuse de la pomme de terre à l'Île-du-Prince-Édouard et du temps qu'il a fallu pour faire rouvrir la frontière. Bien que les Canadiens soient d'avis qu'il a fallu trop de temps, les membres du Comité ont appris que, dans le domaine des problèmes sanitaires et 
phytosanitaires, le règlement a été " très rapide ", car, dans d'autres cas semblables, il faut parfois des années pour obtenir une solution. Il a été soutenu que les Américains redoutaient la galle verruqueuse, et on a dit également que l'Agence canadienne d'inspection des aliments avait une information insuffisante. Par contre, le Canada a affirmé clairement que les renseignements scientifiques voulus étaient disponibles.

Le Comité a aussi discuté avec des représentants de l'UE de problèmes d'accès au marché pour certains produits canadiens comme les vins et les spiritueux et le bœuf élevé avec des hormones de croissance. De plus, il a exprimé ses préoccupations au sujet de la cote accordée au Canada par l'UE dans son système d'évaluation du risque à l'égard de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Cette évaluation a déjà porté préjudice à notre capacité d'exporter des produits de viande dans l'UE et risque d'entraîner d'autres irritants commerciaux, car l'UE ne reconnaît pas que le Canada est exempt de l'ESB aux termes des normes internationales.

Au cours des échanges, l'idée d'organismes indépendants qui faciliteraient le règlement des divergences d'opinions scientifiques entre les pays a été abordée. Un organisme de cette nature aurait pu servir, par exemple, dans l'affaire récente de la galle verruqueuse de la pomme de terre. Les membres du Comité se sont fait dire que les pays devaient conserver le droit de se protéger de la manière qu'ils jugent bon, quitte à recourir à des mécanismes de règlement des différends lorsque les parties ne s'entendent pas.

L'issue des entretiens bilatéraux et de l'intervention des mécanismes de règlement des différends peut varier. Tandis qu'il a été possible de parvenir à un accord avec le département américain de l'Agriculture, qui permettra d'améliorer l'accès aux marchés américains pour les pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard, le marché de l'UE reste fermé au bœuf canadien malgré deux décisions de l'Organisation mondiale du commerce, et le Canada a été forcé de recourir à des représailles contre l'UE.

Il faut qu'on puisse régler rapidement ces irritants commerciaux, qui peuvent paralyser financièrement des agriculteurs et des régions entières. Le Comité trouve réconfortant le dialogue bilatéral qui semble s'être noué au sujet du problème de la galle verruqueuse, mais il croit qu'il faut concevoir un mécanisme permanent pour résoudre rapidement ces genres de différends agricoles bilatéraux. À cette fin, le Comité recommande : 

Recommandation 7 : Que le ministre du Commerce international et le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire étudient avec leurs homologues des États-Unis et de l'UE l'élaboration d'un mécanisme accéléré de règlement des différends bilatéraux dans le commerce des produits agricoles. Ce mécanisme serait utilisé lorsque le produit agricole en question est périssable ou revêt une grande importance économique pour une région donnée. 

L'enquête toujours en cours aux termes de la loi américaine - les mesures prises en vertu de l'article 301 - continue de susciter l'incertitude pour les céréaliculteurs de l'ouest du Canada. Cette enquête a été lancée par la North Dakota Wheat Commission au sujet de la Commission canadienne du blé. Les producteurs de l'Ouest souhaitent que la question se règle le plus tôt possible. Lors de son passage à Washington, le Comité s'est fait dire que les agriculteurs américains étaient particulièrement irrités de l'intervention de la Commission canadienne du blé lorsque les prix des céréales sont bas et que le taux de change ne leur est pas favorable. Si on passe en revue l'histoire des irritants dans les échanges bilatéraux, il apparaît clairement que les enquêtes sur le commerce canadien du grain demandent beaucoup de temps et coûtent cher aux agriculteurs de part et d'autre de la frontière, ce qui est d'autant plus regrettable lorsque, comme en ce moment, les agriculteurs de toute l'Amérique du Nord sont plongés dans une crise. 

Le Comité estime que, à l'avenir, il faut éviter les enquêtes sur le commerce bilatéral du grain. Il faut convaincre les agriculteurs américains que le Canada pratique un commerce loyal dans ce secteur. Pour éviter d'autres enquêtes et les pertes de temps et les coûts qu'elles supposent et mettre plutôt l'accent sur les aspects positifs de nos relations bilatérales, le Comité recommande: 

Recommandation 8 : Que le ministre responsable de la Commission canadienne du blé, le ministre du Commerce international et le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire rencontrent le représentant au Commerce et le secrétaire à l'Agriculture à la première occasion afin de discuter d'une solution durable pour dissiper les préoccupations américaines au sujet du commerce du grain entre le Canada et les États-Unis.


L'AGRICULTURE ET LES FORCES DU MARCHÉ

Nous avons beaucoup à apprendre sur ce que désire le consommateur et sur les moyens de commercialiser notre produit [()]. Nous devons cesser de nous voir comme des producteurs de marchandises.

- M. Fraser Hunter, président du Comité de planification industrielle de la Fédération agricole de Nouvelle-Écosse.

À une époque où le prix des marchandises est trop bas pour couvrir les coûts de production, les solutions qui s'offrent aux entreprises pour rester viables sont limitées. Il y en a trois, selon le Conseil canadien de la gestion d'entreprise agricole : s'agrandir, se diversifier ou trouver un créneau. Depuis la fin du tarif du Nid?de?Corbeau et de l'Aide au transport des aliments du bétail, beaucoup d'agriculteurs ne s'attendent plus à ce que le gouvernement fédéral subventionne toutes les exploitations agricoles du Canada pour en garantir la viabilité. Les faits dont le Comité a été informé semblent indiquer que le soutien du revenu n'est peut?être pas une solution pour les exploitations moins rentables. Par exemple, au Manitoba, les 20 p. 100 de fermes céréalières de taille analogue les moins rentables étaient toujours en exploitation à un niveau inférieur au seuil de rentabilité même si elles reçoivent en moyenne trois fois plus de soutien du revenu que les 20 p. 100 de fermes les plus rentables. 

La nécessité de s'adapter à l'évolution de la demande est une question qui a été abordée à toutes les réunions qui ont eu lieu à Ottawa et dans les Maritimes. Des groupes de fermes ont fourni au Comité des quantités d'exemples de diversification et d'initiatives à valeur ajoutée en réponse à l'augmentation de la demande en matière de salubrité alimentaire et de pratiques respectueuses de l'environnement. Il va sans dire que la gestion de ces questions est considérée comme indispensable pour ceux qui désirent continuer à faire de l'exploitation agricole. 

En juin 2001, les ministres fédéral et provinciaux de l'Agriculture ont annoncé l'application d'un plan d'action national relatif à un cadre stratégique agricole (CSA). Ils sont convenus que " […] le but commun est d'assurer la prospérité et le succès à long terme du secteur de l'agriculture et de l'agro?alimentaire en étant le chef de file mondial en matière de salubrité des aliments, d'innovation et de production soucieuse de l'environnement ". Le ministre Vanclief a déclaré au Comité que, pour réussir, les agriculteurs canadiens doivent s'assurer qu'ils peuvent répondre à la demande en matière de salubrité alimentaire et d'environnement, qu'ils sont équipés pour prendre de l'expansion et se diversifier et qu'ils peuvent tirer parti des possibilités que leur offrent la science et la technologie. 

Le CSA fait encore l'objet de discussions, mais il est d'ores et déjà considéré comme une politique susceptible de promouvoir une agriculture plus axée sur le marché. La majorité des témoins qui ont comparu devant le Comité ont le sentiment que les forces du marché permettront aux agriculteurs d'obtenir de meilleurs revenus. Les témoins ont fait état de plusieurs aspects importants pour les agriculteurs et le secteur agricole : la diversification, l'agriculture à valeur ajoutée, les programmes de salubrité alimentaire à la ferme, les plans environnementaux en agriculture et les mesures destinées à aider les agriculteurs qui ne peuvent pas s'adapter à l'évolution du marché. 



La diversification

On entend généralement par diversification agricole un système agricole qui favorise la production d'un éventail de plantes et d'animaux et de leurs produits, par opposition à la monoculture et à la spécialisation à grande échelle[3] . Les partisans de la diversification sont d'avis qu'elle permet aux agriculteurs de jouir d'une plus grande stabilité financière en atténuant les effets négatifs des brusques chutes de production ou de vente de certains produits. Par exemple, l'agriculteur qui exploite une ferme diversifiée ne subira pas de conséquences négatives de l'apparition d'un obstacle phytosanitaire au commerce (comme le chancre de la pomme de terre dans l'Î.?P.-É. en 2000-2001), puisqu'il peut obtenir des revenus d'autres sources. 

Au cours de ses réunions avec les protagonistes de l'Ouest du Canada, à Ottawa, le Comité a appris que les agriculteurs céréaliers des Prairies ont relevé le défi de la diversification. Des exploitations sont passées d'un système axé principalement sur la production de blé à des opérations plus diversifiées, comme l'atteste la croissance de la production de cultures spécialisées comme les cultures de légumineuses et de graines de moutarde ainsi que l'augmentation de la production de bétail. Dans les Maritimes, région où l'agriculture est généralement plus diversifiée, d'autres productions sont apparues. Par exemple, le secteur de production du bleuet sauvage a connu une croissance extraordinaire dans les quinze dernières années. 

Les témoins de la collectivité des chercheurs ont exposé au Comité ce que les résultats de la recherche offriront de possibilités dans l'avenir. Il sera possible de créer de nouveaux produits et de nouveaux créneaux pour les agriculteurs. On a fourni au Comité des exemples comme les aliments à effets bénéfiques pour la santé (nutraceutiques), les épices, l'agriculture moléculaire (l'utilisation de cultures et d'animaux non pour la production d'aliments, mais pour la production de produits pharmaceutiques), etc.
La diversification a cependant ses inconvénients, et comme le montrent les exemples suivants que les témoins ont donnés :

Dans des régions comme les Maritimes, où la superficie de terres agricoles est relativement petite, un excès de diversification risque d'avoir pour conséquence qu'il n'y aura pas assez d'agriculteurs produisant un volume suffisant de tel ou tel produit pour assurer la rentabilité de cette production.
a viabilité du secteur agricole

Les créneaux sont par définition des marchés limités. Comme la Saskatchewan compte environ 50 millions d'acres de terres, il est peut?être irréaliste de penser que chaque ferme peut produire de quoi alimenter des créneaux du marché, puisque la demande peut être satisfaite par une production à petite échelle. 

La diversification n'élimine pas les problèmes de production et le faible niveau des prix. Par exemple, le Farm Bill proposé par le Sénat américain prévoit un appui aux cultures de légumineuses, qui risque d'entraver les efforts de diversification et la dominance du marché acquise par les agriculteurs des Prairies. 

Le Comité encourage les efforts de diversification pour garantir une meilleure stabilité financière et il insiste sur l'importance de l'élargissement des possibilités de diversification offertes aux agriculteurs.



L'agriculture à valeur ajoutée 

Nous les principaux producteurs savons bien que l’argent est dans la transformation des aliments et dans la valeur ajoutée.

- M. Terry Hildebrandt, président de l’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan

L'agriculture à valeur ajoutée englobe tous les moyens par lesquels les agriculteurs peuvent s'approprier une partie plus importante du dollar dépensé par le consommateur pour ses besoins alimentaires[4] , qu'il s'agisse de commercialisation directe, de propriété des installations de transformation (pâtes alimentaires ou plantes à éthanol) ou de la production de produits agricoles à plus grande valeur intrinsèque (comme les céréales à identité préservée, les produits biologiques ou le poulet élevé en liberté) dont les prix sont supérieurs à ceux des produits agricoles traditionnels.

Les exportations de produits agricoles et agroalimentaires du Canada ont atteint un niveau record en 2001, s'élevant à 26,49 milliards de dollars. Il s'agit certes d'une excellente nouvelle pour le secteur agricole canadien, mais une partie trop importante de ces exportations se compose de matières premières agricoles. Le Comité croit qu'il faudrait atteindre l'objectif canadien de 4 p. 100 des échanges mondiaux de denrées alimentaires non pas en exportant plus de matières premières mais en augmentant la part de la production à valeur ajoutée de manière à vraiment aider les agriculteurs à s'approprier une partie plus importante du dollar dépensé par le consommateur.

Comme l'estime l'Association des municipalités du Manitoba, il faut instaurer de nouvelles méthodes économiques axées sur la production de produits à forte valeur ajoutée précis au lieu de produits génériques pour revitaliser l'économie d'un certain nombre de collectivités rurales du Canada. Pour beaucoup d'entre elles, il devient évident que, pour retenir la population rurale, notamment dans les provinces de l'Ouest, il faut absolument développer des processus et des entreprises de production de produits à valeur ajoutée.

Au cours de son voyage en Europe, le Comité a appris que l'UE ne peut pas concurrencer l'hémisphère sud dans le domaine des produits en vrac, mais qu'elle le peut sur le marché des aliments transformés. Le Comité estime que cette situation s'applique de plus en plus au Canada et que la production de produits à valeur ajoutée doit être encouragée, faute de quoi le Canada se fera dépasser par les pays où nos agriculteurs exportent leurs produits. 

Le Comité a eu connaissance des succès remportés dans le domaine des produits à valeur ajoutée, par exemple la production de tartes et de jus de canneberge dans les Maritimes, la transformation de fromage au Québec et la production de luzerne déshydratée dans l'Ouest du Canada. La valeur ajoutée, cela peut être aussi simple que de vendre des fruits et des légumes le long des routes. En Europe, les indications géographiques protégées pour certains aliments de qualité supérieure, comme le jambon de Parme et beaucoup de fromages au lait cru, par exemple, sont considérées comme une valeur ajoutée et permettent aux agriculteurs d'occuper des créneaux du marché. 

Le Comité estime que les agriculteurs eux-mêmes doivent envisager de se lancer dans le secteur des produits à valeur ajoutée pour obtenir une plus grande partie du prie des aliments.


Au Canada, la question est de mettre cet argent dans la poche des agriculteurs, puisque la plupart des usines de transformation ne leur appartiennent généralement pas. Les membres du Comité ont appris que, dans les Maritimes, des entreprises comme McCain et Cavendish assurent la stabilité financière aux agriculteurs en raison de leur demande annuelle de pommes de terre. Le Comité estime cependant que les agriculteurs eux?mêmes doivent envisager de se lancer dans le secteur des produits à valeur ajoutée pour obtenir une plus grande partie du prix des aliments. Par exemple, selon le ministère de l'Agriculture, des Pêches et de l'Aquaculture du Nouveau?Brunswick, dans cette province, le secteur de la transformation des aliments représente 375 p. 100 de la valeur à la ferme. 

Là encore, la diversité de notre pays suppose que des types d'agriculture à valeur ajoutée différents s'appliqueront aux différentes régions. Selon l'Agence de promotion économique du Canada atlantique, les petits agriculteurs s'efforcent de descendre la chaîne alimentaire. La proximité de centres urbains et de marchés plus vastes, comme la Nouvelle?Angleterre et le Québec, sont des stimulants aux initiatives de production à valeur ajoutée parmi les agriculteurs. Ces initiatives sont par exemple la commercialisation directe et les usines de transformation de taille moyenne qui visent certains créneaux de production spécialisée, par exemple de produits comme les confitures et tartes " faites maison ". Le Comité a également appris que les agriculteurs pourraient faire de leur lieu d'exploitation et de leur petite taille un atout en raison de leur proximité géographique des consommateurs. L'agriculture biologique, par exemple, est considérée comme un moyen de conserver de petites fermes pour la consommation locale. La Fédération agricole de la Nouvelle?Écosse a également déclaré au Comité que le développement de produits à valeur ajoutée à la ferme peut faciliter le transfert entre générations, puisque l'agriculteur peut confier une partie de son exploitation à ses enfants. 

Dans les Prairies, étant donné que l'agriculture est à grande échelle et que les marchés sont éloignés, les agriculteurs doivent adopter une perspective différente. Les initiatives de production à valeur ajoutée envisagées par les témoins étaient de l'ordre d'usines de transformation à plus grande échelle, par exemple pour la production de plantes à éthanol ou de pâtes alimentaires. Le Comité insiste sur le fait qu'il est important que les agriculteurs possèdent ces usines par le biais de coopératives ou d'autres types d'association. 

Il existe cependant beaucoup d'entraves au développement de l'agriculture à valeur ajoutée. Au cours des réunions du Comité, certaines questions sont revenues sur le tapis : la disponibilité de capitaux, les besoins en matière d'infrastructure et le manque de ressources pour effectuer des études de marché. Le Comité recommande donc : 

Recommandation 9 : Que le gouvernement élabore une stratégie exhaustive prévoyant des stimulants fiscaux ainsi qu'une aide directe du gouvernement fédéral sous la forme de ressources financières et de services spécialisés pour améliorer le développement du secteur de l'agriculture à valeur ajoutée, notamment des projets propres aux agriculteurs, dans les zone rurales du Canada.

Le développement du secteur de l'agriculture biologique, par exemple, est un exemple des difficultés auxquelles se heurtent les agriculteurs lorsqu'ils veulent développer des entreprises à valeur ajoutée. Avec un taux de croissance qui oscille entre 20 et 25 p. 100 par année, le secteur des aliments biologiques représente le segment de l'industrie agroalimentaire qui progresse le plus rapidement.

L'Atlantic Canada Organic Regional Network (ACORN) insiste sur l'importance de la période de transition, au cours de laquelle l'agriculteur doit employer des pratiques biologiques sans être autorisé à vendre ses produits à titre de produits biologiques. À cet égard, le Comité a appris que l'UE a pris des mesures spéciales pour indemniser les agriculteurs pendant cette période. Les producteurs de produits biologiques reconnaissent également qu'ils ont besoin d'améliorer leurs méthodes de commercialisation, en créant des liens avec les détaillants, en faisant de la commercialisation directe et en harmonisant les normes et les procédures de certification. Comme l'explique l'ACORN, il y a lieu de s'inquiéter de l'absence d'une procédure claire et abordable pour réviser la norme nationale du Canada de façon régulière et opportune. Par ailleurs, le système d'agrément actuel, qui permettrait la reconnaissance internationale des organismes de certification canadiens, est jugé trop coûteux et risque d'entraîner des coûts éventuellement plus élevés pour les agriculteurs qui demandent la certification. On craint également que le système national actuel ne réponde pas aux exigences de nos marchés d'exportation, notamment dans les pays de l'UE. Le Comité recommande donc :

Recommandation 10 : Que le gouvernement élabore un système d'agrément abordable pour les organismes de certification canadiens en vertu de la norme nationale applicable à l'agriculture biologique et qu'il veille à ce que ce système réponde aux exigences de nos principaux marchés d'exportation de produits biologiques. 
Les programmes de salubrité alimentaire à la ferme et les plans environnementaux en agriculture 


Les ministres fédéral et provinciaux de l'Agriculture se sont engagés à appliquer le nouveau cadre stratégique agricole (CSA) du point de vue de ses principaux éléments : gestion des risques, salubrité et qualité des aliments, environnement, renouvellement, science et innovation. Un certain nombre de témoins ont fait remarquer que, s'ils sont d'accord en principe sur les éléments de ce modèle théorique, ils n'entérineraient pas nécessairement le tout sans savoir comment on aidera les agriculteurs à appliquer ces principes. Ils ont notamment soulevé la question de l'aide financière nécessaire à l'application des mesures de protection de l'environnement et de salubrité alimentaire. Par exemple, la Fédération agricole de l'Î.?P.?É. et Porc NB Pork ont déclaré que leurs membres étaient désireux de se conformer aux exigences environnementales, mais qu'ils manquaient de ressources - humaines et financières - pour répondre aux exigences croissantes en matière de qualité de l'eau et de l'air. 

Les programmes de salubrité alimentaire

Je ne crois pas que nos aliments soient moins sains qu’auparavant. Je pense que la population a le sentiment que les agriculteurs sont de plus en plus éloignés de la production des aliments.  Je pense que les gens aiment savoir d’où vient ce qu’ils mangent.

- Dr Tim Ogilvie, doyen du Collège vétérinaire de l’Atlantique de l’Université de l’Île‑du‑Prince

‑Édouard

Au cours des dernières années, la question de la salubrité alimentaire est devenue très populaire dans les médias et parmi les consommateurs canadiens. Cette sensibilisation est due, entre autres, à la propagation de maladies animales comme la maladie de la " vache folle " ou la fièvre aphteuse, qui ont donné lieu à la destruction de nombreux troupeaux en Europe et en Asie. Il n'y a pas eu de problème de salubrité alimentaire d'importance au Canada, mais les consommateurs s'inquiètent de l'usage d'antibiotiques pour le bétail et de la culture de produits génétiquement modifiés.

Le système canadien de salubrité alimentaire est un élément fondamental de l'image de l'agriculture canadienne comme agriculture saine et sûre. Comme l'explique la Fédération d'agriculture du Nouveau?Brunswick, c'est l'un des piliers de la confiance et du soutien de la population à l'égard du secteur de l'agriculture. Parmi les agriculteurs, très peu nient l'importance du système d'inspection des aliments, et la plupart des gens sont convaincus que les aliments vendus au Canada sont sûrs.

Au cours de son exposé au Comité, le ministre Vanclief a déclaré que, comme le système canadien de salubrité alimentaire porte surtout sur les étapes ultérieures à la ferme, le CSA s'intéressera plutôt à l'amélioration de la salubrité à la ferme. Les instruments de contrôle de la salubrité des aliments, comme l'Analyse des risques et la maîtrise des contrôles critiques (ARMCC) ont de plus en plus largement employés par les agriculteurs. Les programmes de salubrité alimentaire à la ferme fondés sur l'ARMCC permettent d'améliorer les techniques de gestion agricole et la justification, la manipulation et l'analyse des données. Une certification ARMCC garantit que les aliments sont passés par différentes étapes de contrôle qui donnent l'assurance aux entreprises de transformation et aux détaillants - et, en fin de compte, aux consommateurs - que les normes de salubrité ont été respectées dans le processus de production. 

Certains protagonistes espèrent que la vérification et la certification seront effectuées à titre indépendant, peut?être par une partie tierce, bien que cela puisse donner lieu à des dépenses supplémentaires pour les agriculteurs et au recours à des ressources humaines supplémentaires pour les organismes de certification. 

Le Comité est conscient du fait que les groupes nationaux de producteurs utilisent les fonds fournis par le gouvernement fédéral dans le cadre du programme canadien de salubrité alimentaire à la ferme (PCSAF), administré par la Fédération canadienne de l'agriculture. Par exemple, les Producteurs de poulet du Canada ont élaboré un programme pour mettre en œuvre un système ARMCC dans leurs exploitations. Le programme suppose des méthodes de gestion et de tenue de registres. Selon les organisations provinciales de producteurs de poulet que le Comité a rencontrées, la procédure de vérification comptable nécessaire à la certification des participants devrait commencer sous peu. Des programmes analogues sont en cours d'élaboration pour les producteurs de porc et d'œufs. 

Il existe cependant des opinions divergentes parmi les agriculteurs. Certains estiment que les gouvernements doivent encore convaincre les consommateurs que notre système est sûr au lieu d'essayer de mettre en œuvre des systèmes de salubrité alimentaire coûteux. D'autres pensent que le Canada a beaucoup de chance de ne pas avoir subi de graves problèmes de salubrité alimentaire et que le secteur de l'agriculture doit se mettre en situation de rendre compte du système de production et de la qualité des aliments aux consommateurs. Faute de quoi, il risque de se produire une érosion du marché et une perte d'accès aux marchés étrangers. On constate par ailleurs un mouvement croissant dans le secteur canadien du détail : on veut pouvoir retracer l'origine d'un problème de salubrité alimentaire, y compris jusqu'à la ferme de production. 

Dans l'ensemble, tous estiment que les agriculteurs ne peuvent pas gagner la bataille contre l'opinion publique et que la question centrale est celle de la confiance des consommateurs dans les produits agricoles. Comme le CSA fait encore l'objet de discussions, on n'a pas dit grand?chose de la façon dont les systèmes de salubrité alimentaire à la ferme seraient mis en œuvre, ni établi qui en assumerait les frais. Certains espèrent que le secteur de l'agriculture - y compris les organisations d'agriculteurs - jouera un rôle de premier plan à cet égard, comme c'est le cas du programme élaboré par les Producteurs de poulet du Canada. 

Rien actuellement ne garantit que ce genre de système entraînera des revenus supérieurs pour les agriculteurs. Le ministère de l'Agriculture et de la Foresterie de l'Î.?P.?É. espère cependant que son projet " Food Trust " suscitera une reconnaissance de la marque et permettra de pénétrer certains créneaux et d'obtenir des revenus supérieurs pour les agriculteurs. Le Comité estime que tous les Canadiens et les consommateurs des marchés étrangers profitent de ce genre d'initiatives et que cela justifie leur financement.



Les plans environnementaux en agriculture

Dans notre secteur, l’agriculture, on nous demande par exemple : « Respectez‑vous l’environnement ? ».

- Mme Anne Forbes, présidente du Conseil canadien de la gestion d’entreprise agricole

L'agriculture affronte un certain nombre de problèmes environnementaux comme la pollution des eaux souterraines (nitrates, pesticides, pathogènes), l'érosion des sols, la qualité de l'air (gaz à effet de serre, odeurs, ammoniaque) et la perte de biodiversité (diversité génétique et diversité des écosystèmes). Le Comité estime que les agriculteurs ont toujours essayé de gérer nos terres et nos ressources naturelles de façon responsable, mais, pour réduire les coûts et accroître la production, ils sont contraints, disent?ils, de prendre des décisions qui ne sont pas dans l'intérêt de l'environnement ni de leurs fermes à long terme. 

Canards illimités Canada pense que les progrès technologiques et la baisse des marges de profit ont donné lieu à des activités qui ont des effets néfastes sur l'eau, les sols, le poisson et la faune des terres agricoles. Il y a par ailleurs le travail de sols marginaux ou très érodables, le drainage des sols marécageux, le surpâturage de zones naturelles, l'élimination de zones tampons végétales le long des cours d'eau et des bordures de champs et l'usage excessif d'engrais et de pesticides. Il s'en est suivi une détérioration de l'intégrité écologique des zones agricoles. L'Association des municipalités du Manitoba est également d'avis que les agriculteurs emploient des méthodes qui risquent d'avoir des effets néfastes sur l'environnement à long terme parce qu'ils pensent que le système économique actuel ne leur fournit pas de raisons de recourir à d'autres méthodes. 

Les Canadiens s'inquiètent de plus en plus de l'environnement et, comme une partie de plus en plus nombreuse de la population rurale n'est pas directement employée dans l'agriculture, les agriculteurs commencent à ressentir plus directement les pressions exercées par leurs voisins. Les consommateurs veulent l'assurance que les agriculteurs emploient des méthodes respectueuses de l'environnement même si, parfois, leurs attentes risquent de mettre les agriculteurs dans l'embarras. Ainsi, beaucoup de témoins ont déclaré au Comité que certaines cultures de produits génétiquement modifiés comme la pomme de terre Bt peuvent contribuer à la réduction de l'usage des pesticides, mais les variétés en question ont été retirées du marché parce que les consommateurs se méfient des aliments génétiquement modifiés. 

Les plans environnementaux en agriculture (PEA) sont considérés comme un moyen de convaincre les consommateurs que les agriculteurs emploient de bonnes méthodes agricoles. Comme les systèmes de salubrité des aliments à la ferme, les PEA sont une procédure de contrôle qui permet de vérifier les pratiques agricoles, notamment en ce qui concerne l'entreposage des pesticides et le respect des zones tampons. Certaines provinces ont déjà mis en œuvre ce genre de projets : par exemple, comme nous l'avons vu, 50 p. 100 des agriculteurs de l'Î.?P.?É. sont déjà assujettis à un PEA. 

Concernant les conflits entre les pratiques agricoles classiques et la population rurale non agricole - même lorsque les agriculteurs, notamment les éleveurs, respectent les directives et règlements, le Comité estime que les PEA pourraient permettre aux agriculteurs d'éviter les poursuites judiciaires de consommateurs en aval et d'atténuer leur responsabilité à cet égard. En fait, certains témoins estiment que les clients et les consommateurs exigeront la durabilité environnementale et l'inscriront comme condition dans les futurs contrats d'achat de produits agricoles. Le Conseil canadien de gestion d'entreprise agricole considère que les PEA sont un moyen de protéger les agriculteurs et, en fin de compte, une nécessité pour leur viabilité, car, estime?t?il, il est possible que les banquiers eux aussi tiennent compte de l'existence de PEA lorsqu'ils choisiront leurs clients. 
Il reste que la sensibilisation aux effets économiques des pratiques respectueuses de l'environnement (et leur absence) est un élément important de la solution. Par exemple, depuis la publication du rapport Nos sols dégradés, dans les années 80 et après les discussions concernant les effets de l'érosion des sols dans le secteur agricole, on a beaucoup fait en matière de conservation des sols. Selon l'Administration du rétablissement agricole des Prairies, les agriculteurs d'environ un tiers de la superficie cultivée des Prairies emploient une méthode quelconque de réduction du travail des sols.



Le soutien aux programmes environnementaux et de salubrité alimentaire

Une meilleure conservation environnementale sera un avantage pour tous les Canadiens et [(]) les propriétaires fonciers doivent être subventionnés pour les mesures qu’ils prennent en matière de protection et de conservation [ (]) de cet environnement.

- M. Terry Hildebrandt, président de l’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan

Les avantages environnementaux que les agriculteurs contribuent à produire sont désignés comme biens à coût d'exclusion élevé. Un bien à coût d'exclusion élevé est un bien dont il est trop coûteux d'exclure quelqu'un d'en bénéficier. Par exemple, si un agriculteur modifie ses pratiques de gestion pour qu'un cours d'eau voisin ne soit pas pollué, il améliore effectivement la qualité du cours d'eau - et de l'environnement - pour l'ensemble des Canadiens. L'agriculteur a produit ce qu'on appelle en économie une externalité positive en modifiant ses pratiques. Une externalité est l'effet d'une personne sur une autre dont il n'est pas tenu compte dans le comportement commercial ordinaire. Dans ce cas?ci, l'agriculteur a créé un avantage pour la société en améliorant la qualité de l'eau - donc en produisant une externalité positive - même si l'eau ne fait pas l'objet d'échanges sur les marchés agricoles ordinaires où les gens achètent et vendent des produits agricoles.
Comme le demandait la Fédération de l'agriculture de l'Î.?P.?É., " qui va payer " pour les contributions des agriculteurs à la qualité de l'environnement? Selon la théorie économique classique, le gouvernement doit subventionner les efforts des agriculteurs pour produire ce bien à coût d'exclusion élevé, puisqu'il s'agit d'une externalité positive qui profite à tous les Canadiens.

De plus, comme ces normes environnementales deviennent courantes à l'échelle de la vente au détail, les agriculteurs seront incapables de distinguer leurs produits les uns des autres ni d'établir de prix supérieurs pour les produits respectueux de l'environnement, puisque tous les produits le seront. Les agriculteurs ne pourront pas facturer ceux à qui ils vendent leur production ou leur bétail (les grossistes et les entreprises de transformation) et ils ne pourront donc pas récupérer les dépenses supplémentaires qu'ils auront peut?être engagées dans l'amélioration de l'environnement. 

Ces mêmes arguments valent pour les coûteuses mesures de salubrité des aliments (ex. : possibilité de retracer l'origine d'un produit) que les agriculteurs pourraient être contraints de prendre. Comme dans le cas des avantages environnementaux, les dépenses associées à ces mesures ne pourront être recouvrées par les agriculteurs lorsque tous les agriculteurs auront mis en œuvre des systèmes comme l'ARMCC. Leurs produits deviendront homogènes à cet égard, et, là encore, les grossistes et les détaillants ne leur rembourseront pas leurs frais supplémentaires. Pourtant, tous les Canadiens profiteront de ces mesures sous la forme, par exemple d'une réduction des coûts de soins de santé et d'une plus grande responsabilisation de notre système alimentaire. 

La version de la Chambre des représentants américaine du Farm Bill propose d'accroître le budget de base des programmes de protection des sols, de l'eau et de la faune de 75 p. 100, soit plus de 16,5 milliards de dollars américains supplémentaires sur dix ans. Ces fonds permettront aux agriculteurs de modifier leurs méthodes d'exploitation pour répondre aux exigences de la réglementation sur une base de partage des coûts. Le Comité recommande donc : 

Recommandation 11 : Que le gouvernement inclue dans le CSA un mécanisme de partage des coûts pour la mise en œuvre des plans environnementaux en agriculture et des systèmes de salubrité alimentaire à la ferme adoptés par les agriculteurs. Ce mécanisme pourrait être intégré à des programmes actuels comme le Programme de salubrité alimentaire à la ferme. 

 

Qui s'adaptera?

 

Quant aux 40 p. 100 qui constituent la dernière tranche, nous les appelons les « déconnectés » parce qu'il est difficile de trouver un mot qui n'a ni pour effet de dénigrer ni de démoraliser. En réalité, nous devons nous employer à même préserver la dignité des membres de ce groupe.

- Mme Anne Forbes, présidente du Conseil canadien de gestion d’entreprise agricole


La diversification, l'innovation, la valeur ajoutée et la réponse aux demandes du marché sont autant de stratégies destinées à améliorer les revenus des agriculteurs. Certains témoins estiment que les petites fermes familiales comme les grandes exploitations intégrées peuvent adopter un système de production à valeur ajoutée et appliquer des systèmes ARMCC comme le Programme de salubrité alimentaire à la ferme ou les plans environnementaux en agriculture. Ces solutions supposent cependant des capacités d'adaptation et des ressources. D'une série de négociations multilatérale à l'autre et d'une contrainte du marché à l'autre, les agriculteurs doivent constamment repenser leurs procédés de production. La consolidation du capital humain et de sa capacité sera l'une des clés de l'adaptation des agriculteurs canadiens à l'évolution de l'environnement dans lequel ils travaillent. 

Selon une étude effectuée par le Conseil canadien de gestion d'entreprise agricole, cependant, environ 40 p. 100 des agriculteurs ne veulent pas ou ne peuvent pas changer. Ce groupe n'est pas homogène : il englobe tous les groupes d'âge, tous les niveaux d'avoir net, tous les produits, tous les revenus, tous les degrés d'instruction et toutes les régions. Beaucoup prédisent donc que, si l'on ne fait rien d'autre, ces solutions accéléreront la baisse du nombre d'agriculteurs au Canada. 

La Nouvelle?Zélande a vu le nombre de ses agriculteurs diminuer considérablement lorsqu'elle a fait des coupures dans les subventions agricoles, contraignant son secteur agricole à se soumettre aux décrets du marché. Par ailleurs, malgré des subventions élevées, l'UE connaît encore un déclin constant de 3 p. 100 par an du nombre de ses agriculteurs. En fait, dans le cadre du développement rural prévu par sa Politique agricole commune (PAC), l'UE a mis en œuvre un système de retraite anticipé et d'autres mesures pour aider les agriculteurs à quitter le secteur, mais à rester dans les zones rurales. Le Comité recommande donc : 

Recommandation 12 : Que le gouvernement instaure immédiatement une politique permettant d'aider financièrement ceux qui désirent quitter le secteur agricole, au moyen de programmes de recyclage ou de retraite anticipée. 

Le Comité estime que, d'ici environ une décennie, le Canada produira le même volume d'aliments, dans des conditions respectueuses de l'environnement et avec de meilleures garanties de salubrité, mais avec moins d'agriculteurs. C'est pourquoi le Comité estime que les adaptations proposées ici pourraient ne pas être suffisantes pour maintenir une collectivité agricole active dans le Canada rural. 

Les témoins ont généralement mis l'accent sur la nécessité d'aider les agriculteurs à faire la transition entre une agriculture axée sur la production et une agriculture soumise aux lois du marché. Les agriculteurs ont besoin d'aide pour investir et pour récupérer les coûts qu'ils ne peuvent pas récupérer sur le marché. 

Aux États-Unis, le Comité a appris que le financement des efforts de conservation, notamment ceux qui sont envisagés par le Comité de la Chambre des représentants dans le Farm Bill, transfère certaines mesures d'aide fédérales des efforts de production aux efforts de conservation. Les Américains appuient ces efforts, notamment ceux qui auront des effets à long terme pour la population.

Le Canada peut accorder ce genre d'aide aux agriculteurs pour remplir ses obligations internationales aux termes d'accords comme l'OMC, à condition qu'il s'agisse de subventions vertes. Pour être considérée comme telle, une subvention ne doit pas modifier le marché ou ne causer qu'une distorsion minimale. Ces subventions doivent être gouvernementales et ne pas se répercuter sur les consommateurs sous la forme de prix plus élevés, et elles ne doivent pas supposer un soutien des prix. Il s'agit généralement de programmes qui ne concernent pas directement certains produits et englobent un soutien direct du revenu des agriculteurs sans égard aux niveaux de production ou aux prix actuels, c'est?à?dire que ces programmes sont découplés des niveaux de production et des prix en cours. Les subventions vertes sont autorisées sans limites pourvu qu'elles soient conformes aux critères applicables. Elles portent également sur la protection de l'environnement et le développement régional .[5]

Le gouvernement du Canada et les gouvernements des provinces peuvent financer les programmes de développement rural et environnemental pour aider les agriculteurs canadiens à transformer le secteur agricole de façon qu'il puisse relever les défis du XXIe siècle pourvu qu'ils respectent les critères de la catégorie verte.

Par ailleurs, il semble que les États-Unis et l'UE vont réaligner un plus grand nombre de leurs subventions. Ils continueront à investir dans leurs secteurs agricoles, mais ils s'assureront que leurs subventions sont conformes à la catégorie verte afin d'éviter les représailles de leurs partenaires commerciaux. 

Depuis 1995, le Fonds canadien d'adaptation et de développement rural (FCADR) a permis à des agriculteurs de s'adapter à l'évolution. Les programmes nationaux et provinciaux se partagent environ 60 millions de dollars de fonds fédéraux par an. Une allocation annuelle de 25 millions de dollars est administrée par treize conseils provinciaux, qui soutiennent des initiatives propres à certaines régions. Le Comité pense que le FCADR est un moyen utile d'aider les agriculteurs à adopter des systèmes de production à valeur ajoutée et de répondre à l'évolution de la demande. Le Comité recommande donc : 

Recommandation 13 : Que la contribution annuelle versée au FCADR soit doublée pour la faire passer de 25 à 50 millions de dollars et que la diversification et l'agriculture à valeur ajoutée soient des priorités d'adaptation.

LES AGRICULTEURS ET LE CANADA RURAL

[L]e développement des capacités des collectivités rurales est certainement une condition nécessaire au développement du Canada rural d'aujourd'hui, mais cette condition n'est peut-être pas suffisante. Dans un deuxième temps, je suis d'avis que le processus de concentration dans l'agriculture fait en sorte que plusieurs collectivités rurales sont menacées de disparition au Canada et qu'il faut mettre en place de nouvelles approches économiques dans le but de revitaliser l'économie de ces territoires.

-Dr Bruno Jean, président, Fondation canadienne pour la revitalisation rurale

Les agriculteurs canadiens font partie intégrante du Canada rural. Ils partagent le milieu rural avec leurs voisins qui ne sont pas agriculteurs et contribuent à la vie rurale par leurs activités agricoles. Leurs exploitations enrichissent l'économie locale non seulement à cause de leurs achats de facteurs de production - comme la main-d'œuvre, les aliments pour animaux, les machines agricoles et les engrais - mais aussi par les avantages esthétiques et environnementaux que rapportent leurs activités. Malgré tout, il semble exister un clivage de plus en plus marqué entre les agriculteurs et la population en général à cause de questions comme les préoccupations à l'égard de l'environnement et de la salubrité des aliments. Comme les agriculteurs canadiens contribuent à notre richesse nationale, il importe de réconcilier les deux groupes à cet égard. 



Les contributions financières au Canada rural

Bon nombre de petites communautés des Prairies se sont épanouies comme centres de prestation de services aux fermes environnantes, et beaucoup jouent encore ce rôle aujourd'hui. […] (Les agriculteurs) constituent encore aujourd'hui leurs plus gros clients. Je veux parler des concessionnaires de machines agricoles, des banques, des concessionnaires d'automobiles, des épiceries, des quincailleries et de tous les autres commerces qui se sont établis dans les petites collectivités et qui donnent de l'emploi à leurs résidents. Manifestement, le sort de ces communautés dépend directement de l'agriculture.

- M. Wayne Motheral, président, Association des municipalités du Manitoba

L'agriculture est un secteur important de l'économie, car elle est à l'origine d'environ 8,5 p. 100 du produit intérieur brut (PIB) du Canada, elle est le plus important secteur de fabrication dans sept provinces sur sept, et elle rapporte chaque année un excédent commercial qui se situe entre 5 et 7 milliards de dollars. Si l'économie rurale ne dépend pas entièrement de l'agriculture, les producteurs agricoles font tout de même des investissements financiers importants dans les localités rurales, emploient de la main-d'oeuvre, achètent des facteurs de production, dont des machines, et paient des impôts fonciers. L'agriculture est la source d'un emploi sur sept au Canada - et dans certaines régions, la proportion s'élève même jusqu'à un sur cinq. Par ces investissements financiers, les agriculteurs aident à créer une vie rurale dynamique avec les entreprises locales, les écoles et les organisations communautaires. 

Les jeunes qui veulent se lancer en agriculture s'en abstiennent à cause de divers obstacles financiers. Le Comité a la ferme conviction qu'il faut aider les jeunes qui sont intéressés par l'agriculture, car les agriculteurs remplissent de nombreuses fonctions économiques et sociales pour l'ensemble de notre pays, et non uniquement pour le Canada rural. Par exemple, le secteur agroalimentaire se situe au troisième rang des employeurs au Canada, car il donne du travail à 1,9 million de personnes, en zone rurale comme dans les villes. En Alberta, l'industrie des aliments et des boissons est la plus importante du secteur de la fabrication de la province, employant presque le cinquième de la main-d'oeuvre de ce secteur. Les seules ramifications sur le plan de l'emploi justifient à elles seules qu'on aide les nouveaux venus de cette industrie. 

On ne pourra attirer du sang neuf en agriculture que si celle-ci peut offrir un avenir prometteur. Le Comité a appris que, entre autres facteurs, les jeunes seront attirés en agriculture si ce secteur est rentable et si la propriété individuelle est maintenue. Bien que certains gouvernements provinciaux aient des programmes d'aide aux nouveaux venus - ce qui est un progrès - l'agriculture doit être plus rentable pour les exploitants. Parmi les domaines où le gouvernement peut aider les jeunes agriculteurs notons le transfert des actifs agricoles entre générations (machines, terres, quotas, par exemple), le développement de secteurs qui intéressent les jeunes comme la production biologique, l'élevage d'animaux à fourrure comme le vison et les entreprises à valeur ajoutée qui sont plus intéressants à cause d'une marge bénéficiaire plus alléchante.

Pourtant, avec les nombreux défis que les agriculteurs canadiens ont à relever de nos jours, un plus grand nombre d'entre eux se retirent des affaires. Comme l'a affirmé l'Association des municipalités du Manitoba, " les agriculteurs sont chassés de leurs terres, des élévateurs de céréales ferment leurs portes, des entreprises locales sont en difficulté, des écoles disparaissent et des municipalités perdent leur assiette fiscale ". La situation a été décrite comme " une crise communautaire qui menace le tissu social du Canada rural ". 



Les frictions avec les populations non agricoles

Fait probablement plus important encore, il s'agit d'un problème qui a trait aux gens. Il s'agit non pas seulement de récoltes, du bétail ou de statistiques, mais aussi de Canadiens.

- M. Jack Hayden, Fédération canadienne des municipalités

À l'aube du XXIe siècle, les agriculteurs canadiens doivent affronter non seulement les risques ordinaires que sont les aléas du temps, les nuisibles et les fluctuations du marché mondial, mais aussi l'évolution des préférences de la société canadienne. La sécurité des aliments et l'environnement sont au premier plan des préoccupations des Canadiens. Les consommateurs veulent absolument savoir d'où viennent leurs aliments, comment ils sont produits et quels sont les effets de la production sur des ressources naturelles comme l'eau et sur la qualité de l'air. Réagissant à cette demande, des fabricants et des détaillants de produits d'alimentation exigent de leurs fournisseurs des assurances en matière de sécurité des aliments et de protection de l'environnement. Ces préoccupations sont encore plus vives dans les localités rurales où les agriculteurs habitent et travaillent et où une importante partie de la population n'est pas composée d'agriculteurs. Les agriculteurs doivent utiliser les ressources naturelles des zones rurales en tenant compte d'intérêts économiques et sociaux parfois concurrents.

Bien que les agriculteurs pratiquent une intendance responsable de leurs terres et des ressources naturelles, ils se sentent de plus en plus forcés à prendre des décisions qui ne sont pas dans l'intérêt à long terme de l'environnement afin de réduire les coûts et d'accroître la production. Par exemple, pour maximiser la production, ils cultivent des terres marginales dans les zones situées à proximité de cours d'eau et d'autres zones écologiquement délicates, et ils renoncent à la rotation normale des cultures pour produire plus fréquemment que le sol ne le permet des récoltes d'une plus grande valeur. C'est précisément ce type d'utilisation des sols qui inquiète les ruraux qui ne sont pas agriculteurs.

S'il est vrai que les agriculteurs doivent apprendre à faire leur travail tout en respectant les autres, en bons citoyens, les autres ruraux doivent aussi accepter le potentiel agricole des sols cultivables qui les entourent. Dans cette optique, il faut engager un dialogue courtois et constructif entre les divers groupes intéressés. Néanmoins, et malgré les avantages multifonctionnels de l'agriculture, des frictions subsisteront vraisemblablement. Le Comité recommande donc : 

Recommandation 14 : Que, dans le dialogue rural, le gouvernement prenne l'initiative d'ateliers et de conférences pour aider les collectivités rurales aux prises avec des débats déchirants entre les agriculteurs et les ruraux qui ne sont pas agriculteurs. 

Même si les pratiques agricoles signalées plus haut risquent d'avoir des conséquences préjudiciables pour l'environnement, à long terme, les agriculteurs estiment que l'état actuel du marché ne leur laisse pas le choix. Par conséquent, les agriculteurs et les autres ruraux d'opposent de plus en plus sur des questions comme l'expansion des élevages de bétail, les odeurs désagréables et la dégradation de la qualité de l'eau et de l'air. Pourtant, les agriculteurs aident à fournir les avantages dont profite la population rurale. Les agriculteurs ne font pas que produire des aliments. Ils remplissent des rôles multiples qui sont favorables à l'environnement.



Les valeurs multifonctionnelles des exploitations agricoles dans le Canada rural

Nous disons à nos concitoyens que nous avons plus à offrir que le blé, le boeuf et le porc. Nous pouvons assurer l'intendance de l'environnement. Nous l'avons fait par le passé et nous sommes disposés à le faire dans l'avenir. Un environnement propre, chose d'une grande importance pour nous tous, peut faire partie de ce que nous offrons. Nous devons toutefois être dédommagés des mesures que nous prenons pour assurer la qualité de l'environnement.

- M. Terry Hildebrandt, président, Agricultural Producers Association of Saskatchewan


La multifonctionnalité reconnaît les valeurs économiques et sociales que sert l'agriculture, en dehors de la production de denrées alimentaires. Bien que ces autres éléments aient une valeur économique - c'est-à-dire que la société accorde une valeur à des choses comme un paysage pastoral -, ils peuvent ne pas avoir un prix direct sur le marché. Les avantages indirects comprennent des valeurs environnementales comme les espaces verts et les puits de carbone, les commodités rurales et une valeur culturelle. Plusieurs témoins ont attesté ces avantages que les agriculteurs procurent aux zones rurales. Même si les agriculteurs enrichissent la qualité de vie des autres ruraux, ces avantages ne sont pas forcément évidents pour ces derniers, car ces avantages sont indirects.

En sensibilisant davantage les ruraux non agriculteurs aux valeurs que les producteurs agricoles apportent à leur collectivité et à l'ensemble du pays, il sera peut-être possible de rapprocher ces deux groupes de ruraux. Des témoins de l'ouest du Canada et des Maritimes ont exhorté le Comité à renforcer cette sensibilisation des non-agriculteurs à la contribution économique et sociale des agriculteurs, en dehors de la production de denrées alimentaires. Ainsi, on a signalé au Comité que le secteur du tourisme à l'Île-du-Prince-Édouard dépendait du paysage pastoral exploité qu'est celui de l'agriculture. Le Comité est tout à fait d'accord avec les témoins pour dire qu'il faut amener la population non agricole à comprendre le rôle fondamental des agriculteurs dans notre société et l'importance de leur survie, tout en reconnaissant que l'échec des gouvernements à cet égard a entravé le développement du Canada rural. Il est essentiel que le gouvernement fédéral travaille avec les agriculteurs et les organisations agricoles pour montrer aux Canadiens qui ne sont pas agriculteurs les contributions de l'agriculture à notre société. C'est pourquoi le Comité recommande :

Recommandation 15 : Que le gouvernement fédéral travaille de concert avec les organisations agricoles à l'élaboration d'une vigoureuse campagne de communications pour veiller à ce que tous les Canadiens comprennent l'apport économique et social des agriculteurs à notre société. 

En outre, en aidant à maintenir un paysage exploité attrayant, la diversité écologique et un environnement sain, les agriculteurs pourront peut-être montrer à ceux qui ne sont pas des producteurs agricoles que les deux groupes ont en commun des valeurs semblables. L'Agricultural Producers Association of Saskatchewan a avancé l'idée que, en améliorant l'état de santé environnementale du paysage rural canadien, les agriculteurs pouvaient aider le Canada à honorer ses obligations aux termes de programmes environnementaux internationaux comme le protocole de Kyoto. Par leurs activités agricoles, les agriculteurs peuvent peut-être atténuer des risques environnementaux pour la planète par le piégeage du carbone, l'intendance de la biodiversité et des espèces menacées ou en péril.

Comme la Fédération canadienne des municipalités l'a dit, il existe de nombreux liens entre l'agriculture et les collectivités rurales. Notons par exemple les liens avec l'économie rurale, le tissu social des collectivités rurales et la salubrité de l'environnement. Pendant sa mission d'étude en Europe, le Comité a étudié les diverses mesures de développement rural qui font partie de la PAC. Ces mesures portent sur l'adaptation des exploitations agricoles, les ressources humaines (régime de retraite anticipée, formation, jeunes agriculteurs), l'économie rurale (transformation et commercialisation des produits agricoles, diversification des activités non agricoles, etc.) et l'environnement. Exception faite des mesures agro-environnementales, toutes les mesures sont d'application facultative. Chaque État membre présente un plan de développement rural qui désigne la zone géographique idéale qui correspond aux priorités retenues et précise les mesures à prendre pour une mise en oeuvre fructueuse.

Pendant sa mission d'information en Irlande du Nord, le Comité a beaucoup appris sur la manière dont on aide les agriculteurs pour qu'ils contribuent à la protection de l'environnement. Les agriculteurs, dont l'adhésion au programme est facultative, doivent respecter un ensemble de pratiques écologiques. Ainsi, dans les prairies basses humides, habitat riche qui subit souvent des inondations saisonnières, les agriculteurs ne peuvent utiliser aucun type d'engrais, et ils doivent se conformer à des exigences précises concernant les périodes de pâturage et le nombre de têtes de bétail. Comme ces pratiques peuvent ne pas être rentables, les agriculteurs reçoivent en contrepartie des indemnités calculées d'après les coûts supplémentaires ou la perte de revenu qui découlent de ces exigences. Cette formule se traduit par une biodiversité accrue, une meilleure qualité de l'eau dans les cours d'eau et les lacs, et la préservation de paysages particuliers. 

D'autres programmes visent à préserver des éléments patrimoniaux ou à développer des activités agrotouristiques dans les exploitations. Les habitants non agriculteurs d'autres pays sont disposés à soutenir leurs agriculteurs pour atteindre simultanément plusieurs objectifs, dont l'approvisionnement en denrées alimentaires salubres produites sur place, la protection de l'environnement, la préservation de l'habitat de la faune, les grands espaces verts et la préservation du mode de vie rural. 

Dans l'UE, les agriculteurs reçoivent un soutien de deux types de programmes : (1) les versements liés à la production, comme des paiements directs fondés sur les rendements passés ou un nombre repère de têtes de bétail et (2) le soutien au développement rural, qui se rapporte aux rôles multifonctionnels de l'agriculture, comme le programme agro-environnemental.

Graphique 1 : Soutien de l'UE à l'agriculture aux termes de la Politique agricole commune. 

En Irlande du Nord, par exemple, le budget actuel des programmes agro-environnementaux s'établit à environ 6 millions de livres par an (13,8 millions de dollars). Aux termes des propositions actuelles, il devrait passer à 12 millions de livres (27,6 millions de dollars), dépendant des choix politiques qui découleront de la révision à mi-parcours de la PAC et de l'accent qui sera mis sur les mesures de développement rural. Comme environ 5000 agriculteurs participent à des programmes agro-environnementaux en Irlande du Nord, le versement moyen s'élève à environ 1 200 £ par exploitation (2 760 $). Les versements consentis en vertu de ces programmes ne représentent guère qu'environ 3 p. 100 de tous les versements directs accordés aux agriculteurs de l'Irlande du Nord (de 200 à 225 millions de livres par année, soit de 460 à 500 millions de dollars)[6] . La faiblesse de ce pourcentage tient au fait qu'une proportion minime des agriculteurs participent aux programmes (environ 16,7 p. 100 des exploitations).

Pour les exploitations participantes, ces versements peuvent représenter un part importante des revenus. Ainsi, les paiements versés par les programmes agro-environnementaux représentaient 18 p. 100 (4 440 £) des revenus agricoles d'un élevage de bovins d'embouche de 40 têtes que le Comité a visité - il s'agit d'un agriculteur à temps plein dont l'exploitation fait 80 hectares. Les paiements l'indemnisent pour l'entretien de haies, la perte de revenus attribuable à l'interdiction des engrais dans des zones vulnérables et à d'autres interdictions semblables. Les paiements en fonction de la politique de marché (paiements directs liés aux facteurs de production) représentent 25 p. 100 (5 700 £) des rentrées de cette exploitation et les ventes de bétail produisent les 57 p. 100 restant (13 240 £). 

Certes, le Comité reconnaît que la notion de multifonctionnalité a été critiquée comme étant un moyen de légitimer des subventions à la production qui faussent les échanges commerciaux, mais cet écueil n'est pas inévitable, pourvu que les programmes soient correctement conçus. Par exemple, l'UE a élaboré des programmes axés sur certains autres avantages 
propres à l'agriculture, dont les mesures agro-environnementales sont un exemple. En conséquence, le Comité recommande : 

Recommandation 16 : Qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada étudie l'application de la notion de multifonctionnalité à l'agriculture canadienne. Cette étude devrait normalement établir les rôles divers de l'agriculture dans les différentes régions du pays et analyser les moyens de promouvoir ces rôles. 

Le Comité croit qu'il faut accorder un soutien aux agriculteurs pour tenir compte de leur rôle d'intendants du territoire, et le soutien de l'État vise les autres rôles de l'agriculture, afin de promouvoir les valeurs rurales. 


L'amélioration de la viabilité des localités rurales

Nous demeurons donc improductifs, à cause de quelques kilomètres de bitume qui manquent.

- M. Paul-Émile Soucy, président de la Fédération des agriculteurs et agricultrices francophones du Nouveau- Brunswick


Le développement rural est une question complexe, et la recherche de solutions durables nécessite l'examen d'un ensemble varié de relations qui s'étendent aux phénomènes économiques, politiques et socioculturels. Le caractère unique des zones rurales nécessite une intervention gouvernementale qui doit se faire en partenariat avec les intervenants ruraux, comme les agriculteurs, et les administrations locales. 

Le cadre de la politique canadienne de développement rural s'est concrétisé en 1998, grâce à la création du " Partenariat rural canadien " pour mettre en œuvre les politiques et programmes fédéraux. Est venue s'ajouter en 2000 " la lentille rurale ", qui est un moyen d'obliger les ministères et organismes fédéraux à envisager les dossiers selon l'optique des Canadiens qui habitent dans les zones rurales et éloignées.

Les gouvernements doivent comprendre - et l'approche du Partenariat rural montre qu'ils le font de plus en plus - que la simple injection de fonds dans les collectivités rurales n'est pas une solution durable. Si les assises agricoles permettant de bâtir l'avenir ne sont pas assez solides, il existe deux possibilités : créer des entreprises et des emplois dans la localité ou bien partir. Les gouvernements doivent prendre conscience que leur rôle principal est d'aider à créer des débouchés par le développement de marchés rentables dans les zones rurales. Par ailleurs, ceux qui habitent dans les régions rurales doivent se considérer comme un groupe d'intérêts qui a un objectif commun, sans quoi il sera impossible de maintenir le mode de vie rural.

Plusieurs conditions sont nécessaires au bon fonctionnement des marchés. Tout d'abord, il doit exister un produit ou un service à échanger; deuxièmement, il doit y avoir un nombre suffisant d'acheteurs et de vendeurs pour que la concurrence joue; troisièmement, le processus de négociation doit sembler équitable; enfin, un ensemble de règles doit régir les échanges. Le plus souvent, dans les régions rurales, une ou plusieurs de ces conditions ne sont pas réalisées. Le gouvernement doit comprendre que, dans certaines régions rurales, des années d'intervention pourraient ne réussir que de façon limitée à favoriser le développement de marchés viables, avec les avantages qui y sont associés.

Des témoins des quatre coins du Canada ont expliqué au Comité que le gouvernement devait investir dans les infrastructures du Canada rural si nous ne voulions pas qu'il périclite au XXIe siècle. Les besoins en infrastructure comprennent le circuit classique des routes et celui des liaisons numériques par Internet. Quant aux contraintes des infrastructures classiques, le Comité a appris des témoins du Canada atlantique qu'ils étaient incapables de pénétrer les marchés nationaux et internationaux à cause de l'état médiocre des routes et des limites des réseaux routiers. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, on a expliqué au Comité que l'accès au marché québécois et au marché canadien en général se faisait par la route 185 qui non seulement est étroite, mais qui est aussi l'une des routes les plus meurtrières du Canada. Cette infrastructure routière déficiente relègue les agriculteurs aux marges d'un vaste continent. Il s'agit d'un handicap majeur, car il leur interdit un accès rapide aux marchés lucratifs des provinces du centre et des États-Unis. En réalité, seuls quelques tronçons de la route transcanadienne ont quatre voies. Certaines régions ont donc un accès limité au marché américain, car ils ne peuvent profiter d'un réseau routier convenable. 

Les agriculteurs de cette région du pays sont donc, en un sens, condamnés dès le départ, car les produits agricoles sont souvent périssables, et les grands clients ont besoin, pour exploiter leur entreprise, de fournisseurs capables d'honorer les calendriers de livraison. Les agriculteurs n'ont pas non plus de possibilités de croissance, car la population des Maritimes ne peut à elle seule soutenir les infrastructures agricoles nécessaires à une production de masse capable d'offrir des prix concurrentiels. Afin de donner aux agriculteurs des régions canadiennes la possibilité de répondre aux attentes de leurs marchés, le Comité recommande :

Recommandation 17 : Que le gouvernement accorde une aide financière aux programmes d'infrastructure visant à améliorer les routes principales pour en accroître la sécurité et relier les marchés régionaux à des marchés plus vastes. 

Outre les types classiques d'investissement dans les infrastructures, le Comité a entendu des sociétés privées et publiques soutenir que les gouvernements doivent les aider à relier les localités rurales à Internet, ce qui pourrait s'avérer une étape essentielle pour garder des jeunes dans les campagnes à l'avenir. 

Un représentant de Bell Canada a même admis que les moyens et l'infrastructure de télécommunication sont peut-être plus importants pour le Canada rural que pour le Canada urbain. Selon Bernard Courtois, chef de la stratégie, Bell Canada :

Il est évident que, en plein centre de Toronto, on a accès à toutes sortes de choses, ainsi qu'à l'activité économique, sans recourir forcément aux moyens de télécommunication. Par contre, dans le Canada rural, ces moyens sont essentiels si on veut être en prise sur l'économie plus large et puiser dans les richesses du savoir. " 

Des représentants de Bell Canada et d'Aliant Canada, dans le Canada atlantique, ont dit que, dans l'ensemble du pays, les fournisseurs de service Internet rejoignaient de 70 à 80 p. 100 de la population, laissant de côté les 20 à 30 p. 100 restants, essentiellement dans les zones rurales, qui n'ont pas la densité démographique des grands centres urbains pour attirer les investissements des entreprises privées. Les coûts estimatifs, dans le Canada atlantique, pour donner Internet à haute vitesse au reste de la population sont de 6 000 $ à 12 000 $ par client, et la période de recouvrement de l'investissement est de l'ordre de 12 à 15 ans. Les Canadiens peuvent manifester un certain malaise à l'idée que le gouvernement investisse dans une coentreprise qui peut passer pour du luxe et qu'il vaudrait mieux, selon eux, laisser au secteur privé, mais les entreprises s'abstiendront de cet investissement parce qu'il n'est pas rentable. 

Pourtant, il est vital d'investir dans le Canada rural, ce qui doit être le rôle du gouvernement. Cela est d'autant plus vrai qu'on peut soutenir que les techniques de communication de pointe sont encore plus précieuses dans le Canada rural que dans le Canada urbain. La technologie peut être un moyen qui permettra au Canada rural de se prendre en main. La technologie, y compris celle de l'information, peut assurer davantage de services aux zones rurales - des services gouvernementaux et sociaux essentiels comme l'éducation, la santé et les services administratifs. Plus important encore peut-être, elle pourrait garder les jeunes dans les campagnes. Aliant Canada, qui a comparu devant le Comité en Nouvelle-Écosse, a dit qu'elle attirait des jeunes très qualifiés en leur offrant des emplois bien payés et les gardait ainsi dans le Canada atlantique. Il est clair, cependant, qu'il y a un ensemble de rôles pour les secteurs public et privé.

Bell Canada a signalé le projet SuperNet d'Alberta. Dans le cadre de ce projet, le gouvernement provincial s'associe à Bell Canada et investit chaque année dans les télécommunications pour brancher tous les établissements publics - écoles, établissements de santé et bureaux de l'appareils gouvernemental -, et il paiera ce service. D'autres gouvernements provinciaux n'ont pas les mêmes ressources financières que le gouvernement de l'Alberta. Le Comité recommande donc : 


Recommandation 18 : Que le gouvernement s'associe à des entreprises privées pour garantir que la totalité des Canadiens auront accès à des services Internet à haute vitesse en s'inspirant d'un plan comme celui de SuperNet, en Alberta, et en branchant tous les établissements publics.


LA RECHERCHE, CLÉ DE L'AVENIR POUR L'AGRICULTURE

D'après de nombreux groupes, les recherches innovatrices n'ont jamais été plus indispensables que maintenant à la réussite de l'agriculture. Le Comité a visité plusieurs centres de recherche dans le Canada atlantique, où il a été réconforté de constater que la recherche n'a pas pour seuls buts d'accroître la production ou d'abaisser les frais de production des agriculteurs. Le Comité estime que ces recherches innovatrices sont un facteur clé qui peut permettre aux agriculteurs d'atténuer leurs risques et de livrer concurrence efficacement dans l'économie mondiale d'aujourd'hui.

Il y a de nouveaux défis à relever pour la recherche. Tout d'abord, elle doit aider les agriculteurs à affronter la concurrence mondiale, et notamment trouver de nouveaux produits ou conférer une valeur ajoutée aux produits existants. Les biocarburants, les nutraceutiques, les produits pharmaceutiques et les aliments biologiques transformés sont autant d'avenues de recherche qui pourraient s'avérer très fructueuses.

Comme l'agriculture doit réagir aux préoccupations en matière d'environnement, les services de recherche doivent trouver pour les agriculteurs de nouvelles méthodes d'exploitation respectueuses de l'environnement et à faible coût. Le Centre de conservation des sols et de l'eau de l'Est du Canada a souligné l'importance des pratiques de gestion exemplaires qui intègrent des principes de production propres à renforcer la pérennité économique et environnementale à long terme de l'agriculture. Il ne se fait pas non plus assez de recherche sur l'agriculture biologique. Le Comité considère l'agriculture biologique non seulement comme un débouché intéressant pour les agriculteurs, mais aussi comme un banc d'essai pour élaborer les pratiques d'une agriculture durable à l'avenir. À ce propos, le Comité se félicite de la création du Centre d'agriculture biologique du Canada, au Collège d'agriculture de la Nouvelle-Écosse.

Enfin, il y a le grand défi de l'adaptation de l'agriculture canadienne aux changements climatiques et à leurs effets sur la disponibilité des ressources, et à l'évolution de la situation en ce qui concerne les nuisibles et les maladies. Ainsi, le Comité a entendu des points de vue différents sur les besoins en irrigation dans l'est du Canada. À cet égard, il est devenu évident qu'il était essentiel de mieux connaître nos ressources en eaux souterraines avant de faire des choix irréversibles. 

Comme la Fédération d'agriculture du Nouveau-Brunswick l'a fait observer, il est pressant d'adopter une stratégie de recherche publique. Le Canada doit avoir ses propres recherches agricoles qui serviront tous les Canadiens, car la propriété des résultats des recherches peut avoir d'importantes répercussions sur les agriculteurs. Ainsi, pour protéger leur investissement dans le développement de plantes GM, les entreprises privées accordent aux agriculteurs des permis pour semer une seule récolte commerciale, les producteurs devant accepter de ne conserver aucune partie de la récolte pour les semailles suivantes. Par contre, toute recherche effectuée par le gouvernement du Canada permet un accès plus libre la technologie ou aux produits nouveaux. Les recherches publiques peuvent déboucher sur des réussites qui auront un grand retentissement sur l'agriculture canadienne, comme en témoigne l'implantation du canola dans les Prairies et de la variété de pommes de terre Shepody dans les Maritimes.

Il y a également place pour des recherches financées par l'industrie, mais elles pourraient avoir une orientation différente de celle des recherches financées par le public, comme la commercialisation. Le Programme de partage des frais pour l'investissement en R et D permet à l'industrie de financer les recherches dans un établissement fédéral, avec une contribution égale du gouvernement fédéral. Mais un système qui n'exige que des contributions à part égale ne pourra pas nécessairement mettre l'accent sur les applications futures, car les nouvelles cultures ne mobiliseront pas forcément une masse critique de producteurs pour produire des recettes suffisantes et participer au Programme. En outre, les recherches agricoles au niveau fédéral sont structurées autour de 18 " centres d'excellence " qui s'intéressent surtout aux productions passées de la région, comme la pomme de terre dans les Maritimes ou les céréales dans les Prairies. Ainsi, l'industrie des légumineuses ne peut demander de l'argent dans le cadre du Programme, car il n'existe dans le système fédéral aucun programme pour cette production.

Les programmes de recherche du Canada ont été fort utiles aux agriculteurs. Par exemple, les efforts de la recherche leur ont procuré des variétés végétales adaptées à notre climat et aux particularités des sols. Ces résultats utiles de la recherche ont également bien servi les consommateurs, qui ont eu droit à un plus grand choix de produits, par exemple. Le Comité reconnaît que, même si le financement de l'agriculture a augmenté récemment, il faut injecter de l'argent frais si nous voulons aider les agriculteurs canadiens à concurrencer les producteurs américains et européens, lourdement subventionnés. De plus, les programmes de recherche ne doivent pas se limiter aux cultures d'aujourd'hui, mais aussi porter sur les problèmes que les agriculteurs risquent d'éprouver à l'avenir. Le Comité recommande donc : 

Recommandation 19 : Que les gouvernements fédéral et provinciaux accroissent leur soutien financier pour les activités de recherche et de développement. Ils doivent tenir compte des occasions et des préoccupations propres à chaque région, de façon que les agriculteurs canadiens restent concurrentiels et soient en mesure de s'adapter à leur contexte en constante évolution. Par exemple, les gouvernements doivent accorder de nouveaux fonds pour la recherche dans des secteurs prometteurs comme celui de l'agriculture biologique. Le Comité recommande également que le gouvernement revoie ses programmes de recherche pour tenir compte de ce que l'industrie agricole envisage pour l'avenir, en ce qui concerne les nouvelles cultures et les nouvelles applications, et qu'il relève son aide financière en conséquence.

Le Comité croit que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle équilibré en appliquant une stratégie qui réduira les risques pour l'agriculture canadienne. Comme les applications nouvelles peuvent souvent être développées sur une échelle modeste, la recherche régionale est importante pour s'assurer que ces applications correspondent aux conditions et aux besoins de l'agriculture. 

Lorsqu'il s'agit d'applications nouvelles comme les biocarburants, par exemple, les recherches doivent également être axées sur le long terme. Le Comité s'est laissé dire aussi que les travaux de recherche à long terme qui durent moins de trois ans, dans des domaines comme la conservation des sols, les changements climatiques et la qualité de l'eau, n'ont souvent aucun sens. Par exemple, les recherches sur les effets des changements climatiques ou le piégeage du carbone doivent s'étaler sur de plus longues périodes, le plus souvent plus de cinq ans. Le Comité recommande donc : 

Recommandation 20 : Que le gouvernement tienne compte des besoins à long terme de la recherche lorsqu'il élabore des programmes de recherche dans les établissements fédéraux ou attribue des subventions de recherche à d'autres établissements. 

Enfin, le Comité croit que la clé du succès, dans toute stratégie de recherche, sera la diffusion des résultats et l'accès, pour l'industrie, à l'ensemble des données utilisées pour arriver à ces résultats. De nombreux témoins ont souligné qu'il importait de faire participer les agriculteurs à l'établissement des priorités. Cela permet des transferts de technologie fructueux, de sorte que, lorsque de nouveaux produits ou de nouvelles pratiques sont élaborés, les agriculteurs peuvent les utiliser de façon efficace. Les agriculteurs peuvent participer de bien des façons. Par exemple, ACORN a remarqué que, à l'Île-du-Prince-Édouard, le gouvernement provincial avait offert des subventions de recherche aux agriculteurs biologiques pour élaborer un projet de recherche qui les intéressait. Le Comité recommande donc : 

Recommandation 21 : Que le gouvernement, avec la collaboration des provinces et des territoires, adopte un mécanisme structuré par lequel les agriculteurs peuvent participer à l'établissement des priorités dans les recherches publiques.


CONCLUSION

Pendant ses audiences et ses missions d'information, le Comité a tiré un certain nombre de conclusions. Outre les points qui précèdent, il prend acte de ce qui suit :

  • Les agriculteurs, quels soient leur secteur ou leur région, sont en difficulté à cause de la faiblesse du prix des denrées, des coûts élevés des facteurs de production, de l'imprévisibilité des conditions météorologiques, du manque d'infrastructures ou des exigences accrues de la réglementation ou du marché.

  • Le Canada rural est le cœur de notre pays parce qu'il fait une importante contribution économique et sociale qui améliore notre qualité de vie. Pourtant, des difficultés diverses entraînent la mort lente du Canada rural.

  • Si les règles du jeu sont les mêmes pour tous, les agriculteurs canadiens peuvent affronter la concurrence de tous les autres agriculteurs du monde.

  • À cause de la diversité de notre agriculture, d'un bout à l'autre du pays, les politiques fédérales peuvent être perçues comme favorisant une région ou un produit par rapport à d'autres.

  • Tout comme le gouvernement fédéral, les provinces ont la responsabilité de veiller au bon état de santé de l'agriculture. Pour s'acquitter de cette responsabilité, les deux ordres de gouvernement doivent déployer de plus grands efforts pour élaborer une politique pluriannuelle commune.

  • Le Canada est allé au-delà de ce qu'exigent ses obligations au sein de l'OMC en réduisant son soutien à l'agriculture, éliminant son aide financière plus rapidement que ne le prévoient les règles de l'OMC. Le Comité estime que le gouvernement doit renoncer à cette orientation à l'avenir. Même si les gouvernements fédéral et provinciaux ne peuvent soutenir l'agriculture et l'agroalimentaire aussi généreusement que les États-Unis, les gouvernements devraient les financer dans les mêmes proportions de notre richesse économique que le fait notre principal partenaire commercial et s'engager à affecter au moins 1 p. 100 de notre PIB au soutien à l'agriculture.

  • Il faut chercher à assurer la prospérité de l'agriculture et de l'agroalimentaire au Canada par des moyens comme :
        · la recherche scientifique;
        · la recherche d'occasions d'offrir des produits à valeur ajoutée;
        · la satisfaction des exigences du marché concernant par exemple la salubrité des aliments et des pratiques de     production écologiquement responsables;
        · un accent plus marqué sur les valeurs rurales et sur les autres rôles de l'agriculture, comme l'intendance des sols et de l'eau;
        · l'instauration de règles sur le commerce international propices à un cadre commercial dans lequel les agriculteurs canadiens - qui sont très efficaces et offrent des produits de grande qualité - pourront prospérer.

    Si ces changements ne sont pas apportés, une menace continuera de peser sur les agriculteurs canadiens.


[1] Budget fédéral de 1995. Voir : http://www.agr.gc.ca/budget/budget95/feedsf.html.

[2] Il y a marché monopsone lorsqu’il existe un seul acheteur. Par exemple, s’il y a sur un marché un seul transformateur à qui les agriculteurs peuvent vendre leur produit, ce transformateur exerce un « pouvoir monopsone », et il peut dicter le prix qu’il va accorder aux agriculteurs. La situation est analogue à un monopole, situation dans laquelle il existe un seul vendeur sur un marché.

[3] Jasper Womach, Agriculture : A Glossary of Terms, Programs, and Laws, Congressional Research Center, 2e édition, 1999.

[4] Jasper Womach,  Agriculture : A Glossary of Terms, Programs, and Laws, Congressional Research Center, 2e édition, 1999.

[5] OMC – Première phase : Soutien interne  — Catégories orange, bleue et verte Voir : http://www.wto.org/english/tratop_f/agric_e/negs_bkgrnd08_domestic_f.htm#green

[6] Ce montant doit normalement augmenter de 6 p. 100 d’ici 2005-2006.


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