37-1
37e législature,
1re session
(29 janvier 2001 - 16 septembre 2002)
Choisissez une session différente
Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites
Fascicule 6 - Témoignages du 17 septembre - Séance du matin
| OTTAWA, le lundi 17 septembre 2001
|
| Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit
aujourd'hui à 9h05 pour réexaminer les lois et les politiques
antidrogue canadiennes.
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| Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le
fauteuil.
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| [Français]
|
| Le président: Je déclare ouvertes les délibérations publiques
du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites. Chers
collègues, c'est avec un vif plaisir que je vous souhaite la
bienvenue aujourd'hui à l'occasion de la reprise de nos travaux
pour l'automne 2001.
|
| Je profite de l'occasion pour souhaiter la bienvenue à ceux et
celles qui se sont déplacés pour assister à cette séance, à Ottawa,
ainsi qu'à ceux et celles qui nous écoutent soit à la radio ou à la
télévision, ou encore via le site Internet de notre comité.
|
| J'informe les internautes qu'ils peuvent maintenant nous voir.
En effet, nous poursuivons l'expérience amorcée en juin dernier.
Des caméras numériques captent nos débats et en permettent la
retransmission vidéo. Il s'agit d'une première pour un comité
parlementaire.
|
| Le comité est composé de cinq sénateurs. Sans plus tarder, je
voudrais vous présenter ceux qui sont présents ce matin. À ma
gauche se situe le vice-président du comité, le sénateur Colin
Kenny de l'Ontario, et à mon extrême droite se situe le sénateur
Tommy Banks, représentant la province de l'Alberta. Nous avons
aussi avec nous ce matin le sénateur Marcel Prud'homme, qui
s'intéresse comme vous le savez aux questions internationales, et
s'il y a un champ d'activité où les questions internationales sont
omniprésentes, il s'agit bien du dossier qui nous occupe.
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| Certains de nos membres sont absents et ils s'en excusent. Il
s'agit du sénateur Rossiter de l'Île-du-Prince-Édouard et du
sénateur Maheu du Québec. Je suis le sénateur Pierre Claude
Nolin et je fais partie du contingent québécois au Sénat du
Canada. Sont aussi assis à mes côtés le greffier du comité, M.
Blair Armitage, ainsi que le directeur de la recherche pour le
comité, le Dr Daniel Sansfaçon.
|
| Le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites fut créé
dans sa première version lors du dernier Parlement. En effet, le
11 avril 2000, le Sénat votait à l'unanimité la constitution d'un
premier comité sur les drogues.
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| J'en fus nommé le président. Le 16 octobre 2000, après un
long travail de préparation, nous tenions une première séance
publique. Le déclenchement de l'élection générale en octobre
dernier mettait fin à la 36e législature du Parlement et, par le fait
même, prorogeait les travaux du comité.
|
| En février 2001, dès le début de la 37e législature, le Sénat a
amorcé l'étude de la motion visant la reconstitution du comité et,
le 15 mars, il approuvait sans objection de reconduire les travaux
du comité avec un mandat modifié.
|
| [Traduction]
|
| Le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites a reçu pour
mission de se livrer à une étude et de préparer un rapport sur les
politiques canadiennes en matière de cannabis, ainsi que sur leur
contexte, de se pencher sur leur efficacité ainsi que sur les
principes qui les sous-tendent, et aussi sur les moyens mis en
oeuvre et les mesures de contrôle utilisées dans le cadre de leur
application. Le comité doit également se pencher sur les
politiques officielles adoptées dans d'autres pays. Nous aborde
rons en outre la question des responsabilités internationales
incombant au Canada en vertu des conventions dont il est
signataire. Le comité se penchera aussi sur les répercussions
sociales et sanitaires des politiques canadiennes en matière de
cannabis, ainsi que sur les retombées prévisibles des autres
approches susceptibles d'être adoptées.
|
| [Français]
|
| Enfin, le comité doit déposer son rapport final à la fin du mois
d'août de l'an 2002. Afin de remplir adéquatement le mandat qui
nous est confié, le comité a adopté un plan d'action. Ce plan
s'articule autour de trois enjeux importants.
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| Le premier de ces enjeux est celui de la connaissance. Dans le
but d'accroître cette connaissance, nous entendrons une gamme
imposante d'experts canadiens et étrangers, issus des milieux
académiques, policiers, judiciaires, médicaux, sociaux et gouver
nementaux. Ces audiences se tiendront principalement à Ottawa et
à l'occasion, comme ce fut le cas la semaine dernière à Toronto, à
l'extérieur de la capitale.
|
| Le second de ces enjeux est celui du partage de cette
connaissance. Il s'agit assurément, selon mes collègues et moi, du
plus noble de ces enjeux.
|
| Le comité désire que les Canadiens de partout s'informent et
partagent l'information que nous aurons recueillie. Nous défi sera
de planifier et d'organiser un système assurant l'accessibilité et la
distribution de cette connaissance.
|
| Nous voudrons aussi connaître les vues de la population sur
cette connaissance. Pour ce faire, nous tiendrons au printemps
2002 des audiences publiques dans divers lieux au Canada.
|
| Enfin, le troisième enjeu du comité sera d'examiner de très
près quels sont les principes directeurs sur lesquels une politique
publique canadienne sur les drogues doit s'appuyer.
|
| [Traduction]
|
| Avant de vous présenter les éminents experts appelés à
intervenir aujourd'hui, je tiens à vous rappeler qu'en vertu d'une
décision du Sénat, le compte rendu des séances du comité tenues
lors de la trente-sixième législature sera considéré comme faisant
partie intégrante de nos travaux.
|
| Je tiens également à rappeler que le site Internet du comité est
régulièrement mis à jour et qu'on peut y accéder à l'adresse du
site Internet parlementaire: www.parl.gc.ca.
|
| [Français]
|
| Quelques mots au sujet de la salle de comité où nous tenons
notre séance aujourd'hui. Cette salle, identifiée comme la salle
des peuples autochtones, fut aménagée en grande partie grâce aux
efforts du sénateur Kenny, en 1996, pour rendre hommage aux
peuples qui, les premiers, ont occupé le territoire de l'Amérique
du Nord et qui, encore aujourd'hui, participent activement à
l'essor du Canada. Quatre de nos collègues au Sénat représentent
fièrement et dignement ces peuples.
|
| Il sera question plus spécifiquement aujourd'hui de santé
publique. Nous recevons quatre éminents experts canadiens dont,
en premier lieu, M. Benedikt Fischer, Ph.D. en criminologie,
professeur au Département des sciences de la santé publique de
l'Université de Toronto. M. Fischer traitera, entre autres sujets,
des éléments à considérer en vue d'une approche en matière de
santé publique qui aborde le contrôle de l'usage du cannabis au
Canada.
|
| En second lieu, nous entendrons le docteur Perry Kendall,
médecin hygiéniste pour le gouvernement de la Colombie-
Britannique. Le docteur Kendall soulèvera la question des options
concernant le contrôle social du cannabis dans le contexte
d'autres substances psycho-actives, tant légale qu'illégales.
|
| Cet après-midi, nous entendrons le docteur Richard Mathias,
médecin et professeur d'organisation sanitaire au Département de
santé et d'épidémiologie de l'Université de la Colombie-
Britannique. Il nous présentera une nouvelle perspective en santé
publique en ce qui concerne l'usage des drogues pour les
Canadiens.
|
| Enfin, le docteur Colin R. Mangham, Ph.D., directeur de la
Prevention Source B.C., nous interpellera au sujet du vrai débat
sur la réduction des méfaits de l'usage des drogues illicites.
|
| Notre premier témoin, M. Fischer, occupe simultanément
quatre responsabilités.
|
| [Traduction]
|
| M. Fischer est le nouveau chercheur aux instituts de recherche
en santé du Canada. En 1999, il est devenu professeur adjoint au
Département des sciences de la santé publique de la Faculté de
médecine de l'Université de Toronto. En l'an 2000, il a obtenu le
poste de professeur adjoint au Centre de criminologie de
l'Université de Toronto et depuis 1997, il est chercheur au
Département de recherche sur les politiques cliniques, sociales, de
prévention et de santé publique du Centre de toxicomanie et de
santé mentale de Toronto, en Ontario.
|
| [Français]
|
| Bienvenue, Monsieur Fischer. Nous vous sommes reconnais
sants d'avoir accepté notre invitation et vous remercions pour
l'intérêt que vous témoignez pour nos travaux.
|
| [Traduction]
|
| Il est possible que votre témoignage ou votre document, de
même que les autres témoignages que nous entendrons
aujourd'hui, suscite des questions qui ne pourront être posées; si
vous êtes d'accord, nous aimerions pouvoir vous les transmettre
par écrit.
|
| Vous avez la parole.
|
| M. Benedikt Fischer, professeur, Département des sciences
de la santé publique, Université de Toronto: Honorables
sénateurs, je tiens à vous remercier sincèrement de l'honneur que
vous me faites en me permettant de m'adresser à vous ce matin et
de vous faire part de ma réflexion et du fruit de mon travail sur ce
sujet particulier. Ce comité offre une ouverture indispensable au
Canada, qui aura ainsi l'occasion de prendre du recul sur la façon
dont il aborde actuellement le contrôle et la gouvernance des
substances illicites. J'aimerais vous donner un aperçu des
questions et des connaissances essentielles à prendre en considé
ration en vue d'une approche en matière de «santé publique» sur
le sujet du contrôle de la consommation de cannabis au Canada,
car je suppose que c'est de cette perspective suprême que nous
devons nous placer. C'est le point central vers lequel doivent
converger nos réflexions et nos efforts en matière de contrôle et
de recherche des meilleures interventions concernant le cannabis
et d'autres substances.
|
| J'ai préparé un exposé que vous pourrez suivre grâce à une
série de diapositives et qui aborde les questions pertinentes à notre
sujet. J'en donnerai un bref aperçu. Si vous avez besoin de
renseignements plus précis ou plus détaillés, vous pourrez soit les
trouver dans mon document, soit me poser des questions
complémentaires.
|
| Voici ce dont je voudrais vous parler aujourd'hui. Certains des
sujets de ces diapositives proviennent d'une étude que j'ai publiée
avec quelques collègues en 1998 dans le journal Policy Options.
Cette étude est fondée sur un projet coopératif entrepris avec des
collègues du groupe de recherche sur les politiques en matière de
drogue du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les
toxicomanies. Nous avons publié cette étude ensemble en 1998, et
je vous la présente également à titre de référence.
|
| Pour commencer, je vous propose quelques éléments d'infor
mation d'ordre épidémiologique sur la consommation de canna
bis. Voici quelques chiffres de base sur la consommation de
cannabis au Canada. Environ 7 p. 100 des Canadiens ont
consommé du cannabis l'année dernière. Chez les étudiants, la
prévalence de la consommation est un peu supérieure et se situait
entre 23 et 44 p. 100 l'année dernière. Fait important à
remarquer dans ce domaine, une petite minorité de ces consom
mateurs, soit environ 1 p. 100 des adultes et 2 p. 100 des
étudiants, en consomment quotidiennement. Quatre-
vingt pour cent des adultes en consomment moins d'une fois par
semaine, et c'est là une information importante qui est apparue
ultérieurement dans le débat concernant les effets du cannabis sur
la santé. Cela signifie que la majorité de ceux qui consomment
occasionnellement du cannabis en fumant de la marijuana ou un
joint ont une consommation irrégulière et beaucoup moins
fréquente, par exemple, que ceux qui consomment de l'alcool ou
du tabac. C'est un point important à considérer du point de vue de
la santé.
|
| Un certain nombre d'effets négatifs ont été suscités en
laboratoire ou observés auprès des consommateurs à long terme,
et je les présenterai tout à l'heure de façon plus détaillée. La
consommation de cannabis présente évidemment des risques et
des conséquences négatives pour la santé, mais la majorité de ces
risques n'apparaissent que dans des circonstances bien particuliè
res. Ils sont associés à une consommation constante et fréquente
et doivent donc être compris dans ce contexte.
|
| On s'accorde actuellement pour dire que le symptôme dit de
dépendance ou de sevrage peut apparaître chez les grands
consommateurs chroniques, mais il est tout à fait limité à ce petit
groupe. Je vous fournirai des sources qui le prouvent et
l'illustrent. Évidemment, le cannabis a aussi des effets positifs,
comme la plupart des autres substances psychotropes. J'ai ici
toute une liste de ces effets.
|
| On vous a certainement parlé des nombreux avantages du
cannabis à l'occasion du débat entourant l'utilisation thérapeuti
que de la marijuana. C'est aussi un élément à considérer lorsqu'on
parle de la qualité de la substance étudiée qui, pendant longtemps,
a été diabolisée et qualifiée de substance délétère.
|
| Elle présente pourtant des avantages considérables, notamment
du point de vue thérapeutique, qui se concrétisent à différents
niveaux d'utilisation et dont certains sont tout à fait uniques. Il
convient de les prendre également en considération, en particulier
lorsqu'ils apportent un soulagement à des patients gravement
malades ou en phase terminale. Actuellement, dans le contexte de
l'usage de la marijuana à des fins thérapeutiques, je suis heureux
de voir que le gouvernement canadien a pris des mesures initiales
pour reconnaître le bien-fondé de ces avantages et pour réaligner
sa politique en conséquence.
|
| Le cannabis présente des caractéristiques spécifiques importan
tes sur lesquelles j'aimerais insister aux fins de votre étude, qui
doit notamment porter sur les politiques applicables au cannabis
par rapport aux autres substances. Par exemple, le cannabis se
distingue nettement de l'alcool dans la mesure où on ne constate
pas de violence liée à sa consommation. Pas un seul incident
mortel n'a été attribué au cannabis ou à la consommation de
cannabis, ce qui en fait une substance bien différente de beaucoup
d'autres substances illicites dont il est quotidiennement question
dans le contexte de la santé publique.
|
| Vous voyez derrière moi une liste récente et complète des
études professionnelles consacrées aux effets négatifs et aux
risques du cannabis, et qui font le point sur la question. On y
trouve notamment le rapport précurseur de Hall et de ses
collègues australiens qui, en 1994, ont conclu que l'on peut
atténuer sensiblement les principaux risques de la consommation
du cannabis en évitant de conduire sous l'effet de cette substance,
en évitant une utilisation chronique et quotidienne et en évitant
d'inhaler profondément la fumée. Voilà les principaux facteurs qui
permettent d'éviter la plupart des dangers et des risques liés à sa
consommation.
|
| Un important rapport de l'OMS et de la Fondation de la
recherche sur la toxicomanie, finalement publié en 1999,
concluait, dans la phrase maîtresse de cet ouvrage de 400 pages,
que d'après les modèles actuels de consommation, le cannabis
semble poser beaucoup moins de problèmes graves de santé
publique que l'alcool et le tabac dans les sociétés occidentales.
L'étude de Zimmer et Morgan en venait à la même conclusion.
|
| Mes collègues Perry Kendall, Jürgen Rehm et Robin Room
ainsi que moi-même avons fait un effort modeste en 1997 pour
comparer les effets sur la santé à long terme et à court terme, au
niveau individuel et social, et entre différentes substances licites et
illicites. Nous sommes arrivés à la conclusion que le cannabis
était probablement la substance la moins nocive de toutes les
substances au niveau de la perspective comparative de la santé
publique.
|
| En 1999, l'Institute of Medicine a publié un rapport qui a fait
école. Ce rapport énonce que les dangers et les risques associés au
cannabis, sont assez restreints, surtout lorsqu'on les compare à de
nombreuses autres substances dont nous traitons.
|
| L'important rapport Roques, commandé par le gouvernement
fédéral français, rédigé par les spécialistes sans doute les plus
éminents de France en pharmacologie et en recherche sur les
médicaments, a dressé un tableau dans lequel il compare les
substances licites et illicites selon différentes échelles de
dangerosité et de toxicité. Si vous examinez l'avant-dernière
colonne de ce tableau - la colonne concernant le cannabis -,
vous constaterez que l'adjectif «faible» paraît plus fréquemment
dans cette colonne que partout ailleurs dans ce tableau. Cela
indique essentiellement très clairement que les risques et les
dangers que présente le cannabis, comparativement à d'autres
substances, sont limités et relativement faibles.
|
| Ce ne sont là que certains renseignements provenant de
l'Institute of Medicine. Je n'aborderai pas en détail les questions
clés qui n'ont cessé d'être posées au cours des 50 ou 60 dernières
années à propos du risque d'accoutumance: s'agit-il d'une drogue
d'introduction? La marijuana est-elle plus dangereuse que le
tabac? La marijuana tue-t-elle? Je pourrais difficilement rejeter les
preuves et les conclusions présentées par le plus éminent institut
de recherches médicales au monde. Essentiellement, nous
sommes en train de détruire ces mythes et de réunir d'importantes
données qui établissent que les risques de dépendance que
présente la marijuana sont très limités. Sa dangerosité, comparati
vement à celle du tabac, est très limitée; la marijuana ne tue pas et
n'est pas une drogue d'introduction.
|
| Si vous examinez les coûts sociaux qui se rattachent à la
consommation du cannabis, l'étude marquante faite par Single et
ses collègues en Ontario, vous constaterez dans les pourcentages
que les coûts sociaux attribuables à la consommation du cannabis,
comparativement aux autres substances, surtout le tabac et
l'alcool, sont très limités. Par conséquent, même sur le plan
économique, les coûts sont comparativement faibles.
|
| Il est important, même pour ceux qui travaillent dans les
domaines particuliers de la pharmacologie ou des sciences de la
santé, d'examiner également l'histoire sociale de l'interdiction du
cannabis et les raisons pour lesquelles nous sommes aux prises
aujourd'hui avec un tel régime d'encadrement et de contrôle du
cannabis. Comme nous le savons, l'histoire est toujours l'un des
plus importants facteurs d'explication du présent.
|
| Si vous vous reportez à l'ouvrage précurseur de Giffen, vous
serez peut-être tout aussi perplexes que je l'ai été lorsque j'ai lu la
première fois qu'il n'existait aucune raison valable, tant sur le
plan de la santé que pour tout autre motif naturel évident,
d'interdire le cannabis, comme l'avaient fait les parlementaires au
cours des années 20. Essentiellement le cannabis a été ajouté à
l'annexe de la loi d'interdiction de l'époque sans que cette
question soit vraiment débattue et sans vraiment de preuves quant
à ses dangers ou aux risques qu'il présentait. Cette substance a été
ajoutée principalement en fonction des mythes, des pamphlets,
des rapports de police et d'information populaire aux États-Unis
- je parlerais de «propagande» - qui ont commencé à faire leur
chemin au Canada. Cette information a été reçue et acceptée par
certains parlementaires, et s'est traduite par un ajout à la loi, et à
partir de ce jour en 1923, lorsque le cannabis a été ajouté à
l'annexe sans aucun débat, il est devenu une drogue illégale,
diabolisée et interdite au Canada.
|
| L'une des principales figures responsables d'avoir répandu les
rumeurs et les mythes concernant le cannabis au Canada était une
femme qui est en fait célèbre en raison de sa place dans l'histoire
de ce pays. Je crois qu'une statue de cette femme se trouve ici à
l'extérieur - Emily Murphy, qui a été la première femme juge au
Canada. Elle a rédigé un livre intitulé The Black Candle, publié
en 1922. Dans ce livre, lorsqu'elle parle des effets du cannabis,
Mme Murphy dit que ceux qui l'utilisent perdent complètement
la tête... perdent tout sens de responsabilité morale... deviennent
des fous furieux... et tuent ou se livrent à la violence... en ayant
recours à des moyens d'une grande sauvagerie. Ce type de mythe
à propos de la drogue à laquelle nous nous intéressons a persisté
pendant de nombreuses années.
|
| Ce discours et, bien entendu, les mécanismes de lutte, de
contrôle et d'interdiction considérés comme nécessaires ont été
repris par l'appareil canadien de lutte antidrogue en devenir au
cours des années 40 et 50. En fin de compte, dans le sillage et le
contexte de la contre-culture, la consommation de plus en plus
répandue du cannabis parmi certains groupes sociaux a déclenché
ce vaste mouvement antidrogue, qui a commencé au début des
années 60 et qui a persisté jusqu'à la fin des années 60 et 70, et
même jusqu'à aujourd'hui.
|
| Je ferai quelques observations sur la situation juridique actuelle
- et vous connaissez probablement tous ces détails juridiques
aussi bien que moi. En vertu de la loi actuelle réglementant
certaines drogues et autres substances, la possession de cannabis
dans ce pays par qui que ce soit est interdite. Si nos agents de
lutte antidrogue découvrent quelqu'un ayant en sa possession du
cannabis, même en quantités infimes, pour la première fois, nous
- notre Parlement et les citoyens du Canada - convenons que
cette personne est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à
1000 $ ou d'une peine d'emprisonnement maximale de six mois.
C'est ce dont le Canada - c'est-à-dire les citoyens et les
politiciens - ont convenu. Si nous découvrons quelqu'un ayant
en sa possession un gramme de cannabis la deuxième fois, nous
considérons qu'il convient de doubler le montant de l'amende et
la durée de l'emprisonnement.
|
| Dans les cas de possession où la quantité saisie est supérieure
aux quantités limitées désignées d'un gramme de haschisch ou de
30 grammes de marijuana, que l'on considère comme des
quantités pour usage personnel, nous convenons qu'il convient
d'emprisonner ces personnes pendant sept ans.
|
| Les méthodes employées pour appliquer la loi au Canada sont
également très importantes. Comment la loi est-elle appliquée? Il
vous étonnera peut-être d'apprendre que près de 60 000
personnes dans ce pays sont arrêtées chaque année en vertu des
lois antidrogues pour des infractions mettant en cause le cannabis,
et que sur ce nombre 39 000 sont arrêtées pour possession de
cannabis. Par conséquent, la moitié de toutes les infractions en
matière de drogue dans ce pays concernent la possession de
cannabis. Autrement dit, la moitié de l'ensemble des ressources
consacrées à la lutte antidrogue dans ce pays, la moitié des
arrestations effectuées, la moitié des peines accordées, concernent
des personnes qui ont une petite quantité de cannabis dans leur
poche pour leur plaisir personnel. Ce sont les réalités de la mise
en application de la loi.
|
| Même si peu d'études approfondies ont été faites sur la
question, il existe d'énormes disparités d'une province à l'autre
ainsi qu'entre les centres urbains et ruraux. Cela témoigne
également de l'énorme injustice qui existe au niveau de
l'application des lois sur le cannabis dans ce pays. Nous savons
d'après la recherche empirique et ethnographique à laquelle j'ai
participé dans certains cas, que les policiers disposent d'une
énorme marge de manoeuvre lorsqu'ils tombent sur un citoyen
ayant en sa possession du cannabis pour son usage personnel. En
tant que personne qui s'intéresse aux sciences et aux principes
juridiques, cela m'inquiète énormément car j'estime que cela sape
considérablement d'importants principes juridiques.
|
| De plus, nous n'avons aucune indication claire à propos des
pratiques en matière de détermination de la peine pour possession
de cannabis au Canada. Nous savons que la majorité des
délinquants primaires font l'objet d'une forme quelconque
d'absolution, qu'il s'agisse d'une absolution inconditionnelle ou
sous condition, mais on a de plus en plus recours aux
condamnations avec sursis dans le cadre des nouvelles disposi
tions sur les condamnations avec sursis. Certains se voient
imposer une faible amende. D'autres, toutefois, sont condamnés à
l'emprisonnement pour simple possession de cannabis, surtout
concurremment avec un casier judiciaire. Souvent, les contreve
nants autochtones ou les contrevenants appartenant à d'autres
groupes socio-économiques ou à des minorités ethniques vont en
prison parce qu'ils ont omis de payer une amende ou pour
d'autres condamnations concernant la possession de cannabis. Par
conséquent, des gens sont effectivement emprisonnés pour simple
possession de cannabis en fonction des mécanismes que je viens
de décrire, ce qui est très inquiétant.
|
| Même si ces personnes reçoivent une libération sous condition,
il ne faut pas oublier qu'elles ont désormais un casier judiciaire
pour une infraction mineure. Même si la peine semble clémente,
ces personnes ont un casier judiciaire qui crée un énorme fardeau
sans compter les coûts sociaux découlant du contrôle pénal actuel
du cannabis au Canada.
|
| Au cours des 30 dernières années, il y a eu environ deux
millions d'arrestations pour possession de cannabis au Canada.
Selon l'évaluation de spécialistes, environ 600 000 Canadiens ont
un casier judiciaire pour possession de cannabis. Ils ont peut-être
reçu une libération conditionnelle ou une faible amende, mais ils
n'en ont pas moins un casier judiciaire. Nous savons tous quelles
en sont les conséquences, surtout pour les jeunes qui sortent de
l'école et s'apprêtent à entrer sur le marché du travail, à suivre un
apprentissage, à commencer une carrière ou une famille, ou
peut-être à voyager. Cela représente un énorme fardeau au niveau
social, professionnel et économique. Il est extrêmement important
de se demander si quelqu'un qui aime fumer du pot et ne fait de
mal à personne devrait se voir interdire le séjour aux États-Unis
pendant 30 ans, se voir bloquer l'accès à certaines professions, ou
se voir refuser la citoyenneté s'il s'agit d'un immigrant récent.
Est-ce raisonnable?
|
| À l'heure actuelle, le système de justice pénale consacre
environ 400 millions de dollars par an à l'application des lois
interdisant le cannabis. C'est ce que le contribuable paie pour
faire appliquer les lois actuelles. On pourrait s'attendre à ce
qu'une telle dépense donne de bons résultats. À l'époque du
néofiscalisme et du néolibéralisme, si nous faisons un investisse
ment important, nous voulons que cela rapporte gros. J'ai le regret
de devoir vous décevoir, mais les preuves des effets dissuasifs tant
généraux que spécifiques de la répression actuelle de l'usage du
cannabis sont très limitées. Les preuves empiriques révèlent que
ces effets dissuasifs sont minimes sinon tout à fait inexistants.
Autrement dit, ceux qui veulent consommer du cannabis le font
malgré les sévères punitions qui existent actuellement.
|
| Nous avons ici une longue liste de mesures qui ont été prises au
cours des 30 dernières années. Il s'agit de commissions politiques
de haut rang, de commissions constituées par les divers
gouvernements fédéraux, à commencer par la célèbre Commis
sion Le Dain, en 1969. Ces experts ont examiné l'état et le
bien-fondé des mesures de répression existantes et ont conclu que
le système actuel ne donnaient pas les résultats escomptés, qu'il
était inadéquat et qu'il devait être modifié.
|
| Il faut surtout souligner l'important rapport de la Commission
Le Dain sur le cannabis, publié en 1972, qui concluait que la
consommation de cannabis ne devrait pas être criminalisée et
qu'en raison de sa pharmacologie, de ses effets sur le comporte
ment et de ses effets sociaux, le cannabis ne devrait pas entrer
dans la même catégorie que les autres substances illicites. Cette
commission déclarait que le droit pénal ne devrait pas viser les
consommateurs de cannabis et qu'il faudrait trouver un système
de contrôle entièrement différent pour cette drogue étant donné
qu'elle ne s'apparente pas aux substances comme l'héroïne et la
cocaïne.
|
| Au cours des 10 dernières années, de nombreuses institutions
spécialisées dans le domaine du droit, de la pharmacologie, de la
toxicomanie, de la police, de la politique de santé et de la
médecine ont déclaré que la loi actuelle était inefficace,
inappropriée et qu'elle allait à l'encontre du but visé. La liste que
vous voyez derrière moi est celle des institutions qui ont émis
cette opinion. Vous avez là les plus grands experts qui
s'intéressent à la recherche sur le cannabis, sa consommation et
ses effets. La totalité des grands journaux du pays représentant les
diverses tendances politiques ont dit que le système ne fonction
nait pas, qu'il était insatisfaisant et anachronique et qu'il fallait
trouver de nouvelles solutions, ce sur quoi le public est d'accord.
|
| D'après les sondages effectués au cours des 10 dernières
années, notamment par Santé Canada, nous savons que les deux
tiers des Canadiens considèrent que la consommation de cannabis
ne devrait pas être punissable d'emprisonnement et qu'environ la
moitié des Canadiens préconisent explicitement la décriminalisa
tion ou déjudiciarisation de la consommation de cannabis. Cette
opinion persiste depuis 25 ans. Autrement dit, les législateurs et
les décideurs politiques n'ont tenu aucun compte jusqu'ici du
message que l'opinion publique leur adresse depuis un quart de
siècle.
|
| Je ne crois pas utile de mentionner l'appui général des
Canadiens à l'usage de cette substance à des fins thérapeutiques,
et ce n'est d'ailleurs pas l'objet premier de cette discussion, même
si un certain rapport existe entre les deux.
|
| Je voudrais vous parler brièvement des traités internationaux.
Le sénateur Nolin a déjà mentionné l'importance de cette
dimension. Je crois nécessaire de faire une mise au point. Cet
argument est souvent invoqué. J'ai entendu de nombreux
membres de la classe politique dire qu'ils seraient prêts à changer
les choses et à envisager certaines réformes, mais que les
obligations que nous confèrent les traités internationaux nous en
empêchent.
|
| C'est faux. Il y a plusieurs choses importantes à savoir au sujet
des traités internationaux. La Convention unique de 1961 et le
protocole de 1972 confèrent aux pays signataires l'obligation
d'interdire, de punir et de contrôler certaines activités relatives
aux substances illicites. Il n'est toutefois pas clair que cette
convention vise l'usage personnel de ces substances et c'est une
notion qui est de plus en plus contestée. La convention mentionne
la culture, la production, la distribution et la diffusion des
substances illicites et demande qu'elles fassent partie des
infractions punissables. Elle ne s'adresse pas à celui qui en fait
usage pour son plaisir personnel. Elle vise l'industrie, le
commerce et le contrôle de la distribution. L'Organe international
de contrôle des stupéfiants, l'organisme d'exécution des traités
internationaux, le confirme en précisant, dans son rapport de
1992, que les signataires ne doivent pas nécessairement considérer
la possession ou l'usage des drogues comme des infractions
punissables étant donné que leurs obligations se rapportent à la
culture, à l'achat ou à la possession de drogues pour en faire le
trafic. C'est une précision qu'il est très important de connaître.
|
| Puis il y a la Convention de Vienne de 1988. Les cinq premiers
mots de cette convention sont particulièrement importants. Il y est
également question du contrôle de l'usage et de la possession,
mais il y est dit que, sous réserve des principes énoncés dans sa
constitution, chaque signataire doit sanctionner pénalement la
possession de stupéfiants pour l'usage personnel. La première
chose importante à retenir est que c'est sous réserve des principes
énoncés dans la constitution du pays. Si certains principes
énoncés dans la Constitution, ou dans notre Charte des droits,
s'opposent à la criminalisation de la possession ou de l'usage de
certaines substances, il revient au pays signataire de trouver des
moyens d'en tenir compte. Nous prenons notre Constitution très
au sérieux et à juste titre. Nous devrions vérifier de près si ces
deux exigences sont conciliables ou de quelle façon nous
pourrions les concilier. La Convention de Vienne nous y autorise
de façon explicite.
|
| Elle indique en outre que les parties peuvent prévoir, pour
remplacer ou pour compléter les sanctions pénales, des mesures
visant à traiter, éduquer, soigner, réadapter ou intégrer socialement
le contrevenant. Les parties peuvent le faire pour remplacer ou
renforcer les sanctions pénales. Autrement dit, vous pouvez avoir
des lois disant qu'en théorie, il s'agit d'une infraction et que l'on
veut punir les coupables, mais que nous pouvons également
trouver une solution de rechange. C'est à nous qu'il revient de
définir le genre de traitement que nous voulons imposer, le genre
d'éducation, de soins, de réadaptation ou d'intégration sociale.
Nous avons toute liberté de décider de la façon dont nous
traiterons ceux qui utilisent le cannabis pour leur plaisir
personnel. Il n'est pas nécessaire de les punir même si l'on
interprète à la lettre les traités internationaux. Nous n'avons pas à
les sanctionner de façon pénale ou autre.
|
| L'OICS le confirme très clairement dans son interprétation. Il
dit qu'aucune des conventions n'impose à un signataire l'obliga
tion de condamner ou de punir les toxicomanes qui commettent
des infractions punissables. Ils peuvent opter pour des mesures
non pénales comprenant le traitement, l'éducation, les soins, la
réadaptation ou l'intégration sociale. Je ne vois pas ce qu'il vous
faut de plus pour trouver d'autres solutions plus appropriées pour
remédier à la consommation de cannabis.
|
| Comme le temps passe vite, je vais survoler rapidement ce qui
se passe dans d'autres pays. Il y a toute une série de systèmes
politiques et juridiques que je considère assez développés et dont
la plupart se trouvent en Europe de l'Ouest, mais cela comprend
également l'Australie, et qui au cours des 10 ou 15 dernières
années, ont décriminalisé la possession de cannabis au niveau
juridique, c'est-à-dire en révisant ou en modifiant leurs lois ou, de
facto, en changeant la façon dont leurs lois étaient appliquées. Ces
changements ont été mis en oeuvre de façon différente. Ils
tiennent plus ou moins compte des mêmes réalités. Ces pays se
sont rendu compte que la répression et l'interdiction de l'usage du
cannabis étaient inefficaces, qu'elles allaient à l'encontre du but
visé et ils ont modifié leur loi ou la façon dont la police
l'appliquait, la façon dont les accusations étaient portées, dont les
juges et les tribunaux traitaient les contrevenants, ou tout cela à la
fois. La plupart des pays dont j'ai dressé la liste ici, comme la
Suisse, l'Allemagne, les Pays-Bas - et je souligne que ce n'est
pas seulement vrai pour les Hollandais, mais pour pratiquement
toute l'Union européenne et une partie du Commonwealth - ont
réexaminé leur façon de faire et décriminalisé le contrôle du
cannabis. Un bon exemple est celui du Royaume-Uni qui se
contente, dans la plupart des cas, de donner un avertissement à
ceux qui sont trouvés avec du cannabis en leur possession pour
leur consommation personnelle. L'Australie a mis au point un
système de contravention en dehors du système pénal; on impose
une petite amende et cette façon de réprimer la possession de
cannabis n'a pas de conséquences pénales.
|
| Et la liste continue. Le Portugal vient de changer sa législation.
La Belgique est sur le point de faire la même chose. L'Espagne
l'a fait pour le cannabis et pratiquement toutes les autres
substances psychotropes illicites. La liste est longue. Le Canada
se retrouve de plus en plus isolé et avec de moins en moins
d'alliés au niveau de sa politique concernant la consommation
personnelle de cannabis.
|
| Oui, le Canada a encore un puissant allié. Néanmoins, je crois
que nous devrions nous demander si c'est bien auprès de cet allié
qu'il faut rechercher la solution à ce problème particulier.
|
| Beaucoup de gens se demandent ce qui arriverait si nous
décriminalisions ou que nous modifiions la loi et cessions
d'envoyer les gens en prison pour consommation de cannabis.
Que se passerait-il? Est-ce que ce serait la fin du monde? Est-ce
que nos enfants se mettront tous tout d'un coup à fumer du
cannabis? Est-ce que le chaos régnera? Les recherches montrent
que rien ne changera. La seule chose qui changera de manière
significative, c'est la réduction spectaculaire du coût social et
économique lié à la consommation de cannabis. Autrement, les
taux de consommation, les taux de problèmes de santé liés à la
consommation du cannabis, comme nous l'ont montré les
expériences naturelles en Europe et en Australie où des réformes
ont été adoptées, ne changeront pas vraiment. Les gens qui
fument, qui veulent fumer du cannabis dans un contexte ou dans
un autre, le font de toute manière. Il n'y aura pas augmentation
significative du nombre de nouveaux consommateurs, tout
simplement parce que la loi ne sera plus aussi sévère. Ce n'est pas
vrai. La population a plus d'intelligence que cela.
|
| De plus, le cannabis est de plus en plus accepté socialement et
culturellement comme atout, coutume, rite social et culturel. Le
rapport au cannabis ressemble de plus en plus à celui à l'alcool.
Tout comme nous aimons nous asseoir autour d'une table les
jours de fête comme aujourd'hui, aujourd'hui c'est Ros-ha-sanah
et c'est un des nombreux événements culturels religieux qui
incitent les gens à se réunir autour d'un verre de vin, dans de
nombreuses autres cultures ils s'assoient ensemble et fument un
joint. Il ne s'agit pas de lancer une nouvelle mode dans le pays,
mais à mon avis, nous ne devrions pas punir ceux qui le font pour
des raisons culturelles qui leur sont propres.
|
| Je tiens à faire une toute petite remarque sur l'importance du
rôle joué par les forces de l'ordre responsables du régime auquel
la consommation de cannabis est assujettie depuis 80 ans. Il faut
être prudent, d'accord, mais aussi être conscient du rôle joué par
la police dans la perpétuation de la mythologie et des réalités sur
lesquelles nous semblons nous fonder de manière empirique pour
conserver au cannabis le statut qu'il continue à avoir dans nos
textes de loi. Il importe de savoir que les forces de l'ordre ont
grandement bénéficié au cours des années du statut criminel du
cannabis.
|
| Certains d'entre vous ne connaissent peut-être pas la seule
raison pour laquelle la Gendarmerie royale existe encore
aujourd'hui et n'a pas été abolie en 1925, quand elle était
supposée l'être. C'est cette année que tous les pouvoirs de police
ont été conférés aux provinces. La Gendarmerie royale s'est rendu
compte que le pays avait besoin d'une machine nationale,
organisée et sophistiquée pour combattre le trafic de drogues. Elle
a saisi cette occasion qui lui a permis de survivre et de trouver
une raison d'être, la lutte antidrogue. C'est la seule raison pour
laquelle la Gendarmerie royale existe encore.
|
| Si on considère qu'environ 30 p. 100 des ressources de la
Gendarmerie royale sont consacrées à la lutte contre le trafic de
drogues, il est évident que du point de vue institutionnel, il lui est
difficile de dire tout à trac: «Désormais nous ne penserons plus en
termes de police mais en termes de santé.» Il y a trop de politique
institutionnelle et d'intérêts en jeu.
|
| Sur un plan plus anecdotique et ethnographique, nous savons
également que les lois actuelles de possession de cannabis
permettent à un policier de détenir temporairement et d'arrêter un
individu simplement parce qu'il a des motifs raisonnables de
croire qu'il sent le cannabis. C'est un outil important qui permet à
la police de fouiller, de détenir temporairement, et cetera, certains
individus. Chose impossible à faire s'il n'y a pas délit. Un tel outil
n'existe pas dans l'arsenal de la police. Dans certaines circonstan
ces, c'est un outil qui peut se révéler très important et que, bien
entendu, beaucoup n'aimeraient pas voir disparaître. Cependant, il
ne faudrait pas oublier cet aspect dans le contexte de la réflexion
sur les méthodes de contrôle.
|
| Quelles sont nos options? C'est à ce niveau que j'aimerais
prendre un peu de recul. Mon intention n'est pas de prescrire
quelque chose, mais plutôt d'énumérer un certain nombre de
choses qui pourraient être faites tant sur le plan juridique
qu'administratif. Nous pourrions soustraire totalement la posses
sion de cannabis du cadre des lois antidrogues à caractère pénal.
Nous pourrions supprimer la disposition visant la possession de
cannabis et essayer de régler ailleurs la question.
|
| Nous pourrions prévoir dans la loi réglementant certaines
drogues et autres substances une libération complète et automati
que pour possession de cannabis. Dans un tel cas, la loi
continuerait à considérer illégale la possession de cannabis mais
elle prévoirait automatiquement pour toute personne arrêtée et
inculpée de ce délit qu'elle soit automatiquement libérée sans
casier judiciaire.
|
| Nous pourrions éliminer la peine d'emprisonnement pour
possession de cannabis. Cela empêcherait même la possibilité
théorique d'emprisonnement pour ce délit.
|
| La Loi sur les contraventions nous donne le moyen légal de
faire quelque chose de très analogue à ce que font les Australiens.
Pour le délit de possession de cannabis, ils ont inventé une
infraction d'ordre civil à caractère non pénal, une simple amende.
|
| Nous pourrions éduquer les contrevenants ou les traiter.
Cependant, à ce sujet, je tiens à signaler un danger très réel:
l'éducation ou le traitement des contrevenants est un concept très
populaire; cependant, la popularité de ce concept ne signifie pas
forcément qu'il est efficace ou approprié. La consommation de
cannabis est une activité pour laquelle un traitement n'est pas
forcément approprié ou nécessaire. Il y a de nombreux dangers à
obliger des gens à suivre un traitement s'ils n'en ont pas besoin
ou si les circonstances de leur consommation ne nécessitent pas
du tout de traitement. Je me méfie de la systématisation de ce
genre de concept ou de peines conditionnelles.
|
| Cependant, quoi que vous recommandiez aux législateurs,
j'insiste sur l'éducation, la prévention et le traitement en cas de
besoin. C'est un pilier important pour toute mesure progressiste
dans ce domaine. Il importe de maintenir une approche punitive
lorsque la consommation de cannabis peut mettre en danger le
bien-être d'autres personnes. Les consommateurs de cannabis ne
devraient ni conduire ni manoeuvrer des machines. C'est à ce
niveau que la loi est un moyen approprié de dissuasion et de
punition.
|
| Je finirai par la question de pure forme qu'il faut poser:
qu'est-ce qui est en jeu? Je crois que ce qui est en jeu est
beaucoup plus que le simple contrôle mécanique de cette
substance psychotrope. Ce qui est en jeu c'est le défi que doivent
relever une loi et un gouvernement sensés, efficaces et efficients.
C'est le problème depuis longtemps. C'est à ce niveau qu'on fait
appel aux bons gouvernements pour protéger la santé de la
population et adopter des lois et des politiques qui soient justes et
efficaces. Ces lois et ces politiques touchent une partie non
négligeable de la population, surtout chez les jeunes.
|
| Ce qui est en jeu, c'est la protection et le respect de principes
constitutionnels importants incluant les questions d'égalité. Je fais
ici allusion aux disparités d'application de la loi et des effets
concrets que le contrôle actuel de la consommation de cannabis a
sur des populations ethniques et socio-économiques marginali
sées. Cependant, c'est aussi une question de droits humains en
termes d'égalité et de justice de traitement appliqué aux
consommateurs de cannabis par opposition aux consommateurs
d'autres substances psychotropes. Ce sont toutes des questions
constitutionnelles qui requièrent que des mesures délicates soient
prises, y compris l'examen des effets actuels et les orientations
futures.
|
| Il y a aussi la question du respect du public et de la crédibilité
perçue de la loi. Il importe que nos lois soient respectées et
considérées crédibles par l'opinion publique. Dans une grande
mesure, les lois actuelles sur la consommation et la possession de
cannabis nous ont fait perdre ce respect et cette crédibilité. Il faut
y pallier. Actuellement, sur cette question, l'opinion de la majorité
est laissée de côté.
|
| Pour finir, il n'est pas besoin d'en connaître encore beaucoup
plus ni de faire beaucoup d'autres recherches. Cela fait 50 ans
que nous étudions cette question. Tout ce qu'il faut savoir pour
répondre à cette question se trouve dans le rapport Le Dain qui
remonte maintenant à 30 ans. Ce qu'il nous faut aujourd'hui c'est
une volonté politique.
|
| Le sénateur Kenny: Professeur, merci de votre exposé.
J'aimerais commencer par vous poser une question hypothétique.
Supposons que vous ayez des adolescents à la maison et qu'ils
viennent vous voir pour vous dire ceci: «Papa, que penses-tu de
l'idée que nous fumions de la marijuana?» Que leur répondriez-
vous?
|
| M. Fischer: Ma partenaire et moi nous sommes posé la
question hier soir. Je préférerais pour ma part que personne ne
fume de la marijuana. Toutefois, si vous décidez de le faire, vous
devriez pouvoir le faire en toute sécurité. Si vous le faites par
curiosité, faites votre expérience et prenez votre décision en vous
fondant sur les résultats de votre expérience et sur ce que vous en
avez conclu; prenez votre décision par vous-même, et pas parce
que la Bible ou d'autres religions vous diront que c'est mauvais et
que la marijuana fera de vous une mauvaise personne ou
quelqu'un de violent, comme le disait Emily Murphy. Prenez
votre décision par vous-même. Et si vous continuez à consommer
du cannabis parce que cela vous plaît ou peu importe la raison, il
faut que vous puissiez le faire sans craindre la réaction que je
pourrais avoir ou que pourrait avoir votre médecin. Je ne voudrais
pas non plus que vous vous fassiez arrêter pour cela. Je ne
voudrais pas qu'on vous retire vos privilèges de citoyen ou qu'on
vous empêche de faire une carrière. Je voudrais plutôt que vous
restiez en santé et que vous puissiez continuer à vous adonner par
plaisir à cette activité en toute sécurité. Et je demanderais à mon
gouvernement de faire en sorte que les conditions vous le
permettent. Voilà ce que je dirais à mes enfants.
|
| Le sénateur Kenny: Beaucoup de familles tiennent cette
même discussion que vous avez eue avec votre partenaire. Il y a
une chose qui m'embête dans votre exposé: de façon générale, si
on a le choix entre carrément ne pas consommer cette drogue ou
la consommer dans les conditions que vous réclamez, comment la
société doit-elle expliquer aux jeunes que, toutes choses étant
égales, il serait préférable qu'ils ne consomment pas de la
marijuana?
|
| M. Fischer: Comment résoudre ce dilemme? Je répondrai par
une autre question: que faire, si l'on est placé devant le même
dilemme dans le cas de l'alcool? Comme parent, étant donné mes
antécédents et les connaissances que j'ai du domaine, je serais
beaucoup plus inquiet si mes enfants prenaient de l'alcool.
Apparemment, nous semblons accepter le fait qu'il soit tout à fait
possible et normal pour les jeunes d'avoir le droit d'acheter de
l'alcool, de se rendre dans des bars à l'insu de leurs parents, de
prendre des consommations lors des fêtes, de s'enivrer et même
de conduite une voiture au risque de se tuer et d'en tuer d'autres.
Nous semblons ne pas nous en faire avec cela! Depuis cinq ans, je
n'ai vu aucun comité se pencher spécifiquement sur les
conséquences pour la santé de la consommation d'alcool chez les
jeunes ni sur les problèmes que cela pose pour la police. Même si
l'alcool rend les jeunes et les plus vieux agressifs et conduit à la
violence, au risque d'entraîner des morts, on ne semble pas s'en
inquiéter outre mesure.
|
| Et que dire du tabac et des jeunes qui fument à l'école, au
risque d'endommager de façon irréparable leurs poumons et leurs
autres organes? Or, on ne semble pas s'en inquiéter. D'accord, on
prend certaines mesures, mais personne n'est encore allé jusqu'à
suggérer de jeter en prison les jeunes qui s'adonnaient au
tabagisme, du simple fait que, à notre avis, fumer est mauvais.
Nous n'irions jamais jusque-là. Nous voyons plutôt la chose du
point de vue de la santé publique et essayons d'atteindre les
meilleurs résultats possible en la matière sans pour autant nous en
prendre trop férocement à l'utilisateur, en le stigmatisant ou en le
criminalisant ou même en lui nuisant dans sa carrière au point où
sa vie en serait détruite. Pour y arriver, il faut trouver le juste
équilibre en matière de santé publique.
|
| Je suis totalement d'accord avec vous et j'ai beaucoup de
sympathie à l'égard des parents qui sont aux prises avec ce
problème. Je répète que, pour ma part, je ne souhaiterais pas que
mes enfants consomment de ces substances. Toutefois, il est
possible qu'ils le fassent. Mais ce sera à eux de prendre la
décision en fonction de ce qui leur convient le mieux. Mais
j'aimerais bien qu'ils aient la possibilité de faire leur propre
expérience sans que cela leur cause un préjudice plus grand que
ce que leur causera en réalité la consommation de cette drogue.
J'aimerais que cela soit possible également pour les autres, et
c'est là le défi que nous devons relever.
|
| Le sénateur Kenny: Sauf le respect que je vous dois, vos
réponses ne me satisfont pas, car votre réflexion n'est pas très
rigoureuse. Il est futile de comparer la marijuana à l'alcool. Dans
le cas de l'alcool, il existe des lois. Une grande partie de la
population considère comme désagréable l'abus d'alcool. Si vous
dites aux Canadiens que leurs enfants devraient pouvoir fumer de
la marijuana parce qu'ils peuvent tout autant consommer des
produits alcooliques, et qu'il suffit d'ajouter la marijuana à la
liste, j'ai l'impression que vous ne trouverez pas beaucoup
d'appui chez eux. Il en va de même pour le tabac. Nous
déployons d'énormes efforts pour réduire le tabagisme chez les
jeunes. Nous faisons des efforts concertés pour communiquer
avec les jeunes et pour les intégrer au processus de changement
d'attitude entourant le tabagisme.
|
| Votre réponse ne me réconforte aucunement. J'aurais espéré
vous entendre répondre ceci à vos enfants: bon, si tu veux
vraiment consommer de la marijuana, eh bien vas-y, mais lis
d'abord ceci pour comprendre comment la consommation de la
marijuana pourra te nuire et pourquoi tu ne devrais pas en
consommer. Seriez-vous d'accord avec l'idée d'instaurer une
politique gouvernementale dans le but de décourager activement
les gens d'en consommer, dans la mesure où c'est malsain?
|
| M. Fischer: Ma réponse ne m'apparaît pas vous avoir
contredit.
|
| Le sénateur Kenny: Les parents d'aujourd'hui sont préoccu
pés de voir leurs enfants consommer de l'alcool et fumer. Ils sont
d'avis que même s'il n'y a pas de sanction officielle pour les
dissuader, au moins quelqu'un dit haut et fort que c'est à rejeter.
|
| M. Fischer: Je crois que tout le monde est d'accord avec cela.
Je n'ai pas l'impression que ce que j'ai proposé plus tôt aille à
l'encontre de cela, tout au contraire. N'oublions pas que le
message premier que nous envoyons aujourd'hui à la population
canadienne c'est que ceux qui fument aujourd'hui du cannabis
sont des criminels et devraient être jetés en prison. Après tout,
c'est ce que dit la loi! La loi ne dit pas qu'il faut aller éduquer les
gens, leur envoyer de l'information puis les obliger à suivre un
traitement. Non, ce n'est pas ce que dit la loi. Comprenons-nous
bien: la loi dit que si vous fumez un joint, vous êtes passible de
six mois d'emprisonnement. Et c'est cela que je conteste!
|
| Cette façon de faire m'apparaît inappropriée, inefficace et
inadéquate, et c'est pour cela que j'aimerais y substituer un
régime qui suivrait les grandes lignes que vous avez décrites. Il
faut avant tout informer les jeunes et les plus vieux, c'est-à-dire
quiconque songerait à consommer du cannabis, de ses effets
bénéfiques et pervers. J'ai énuméré les deux au cours de mon
exposé. Ce ne sont pas uniquement les effets bénéfiques ou les
effets nocifs qui m'intéressent. Je veux que les Canadiens en
connaissent tous les effets et soient en mesure de prendre une
décision éclairée et d'accepter tous les effets, en profitant des
avantages ou en assumant consciemment les risques. C'est
uniquement de cette façon que les utilisateurs potentiels pourront
prendre des décisions éclairées et judicieuses. Et c'est seulement à
ce moment-là que nos politiques et lois agiront de façon efficace,
rentable et harmonieuse en conformité avec nos principes
directeurs constitutionnels, juridiques, de bonne santé et de
politique sociale prônés par notre pays. Or, ce qui me préoccupe,
c'est qu'une bonne partie de ces principes directeurs sont
actuellement piétinés par la façon dont nos lois et nos politiques
s'appliquent.
|
| Voilà pourquoi à l'heure qu'il est, malgré les points de vue que
pourront prôner certains et malgré ce que l'on pense individuelle
ment du tabagisme ou de la consommation d'alcool, d'aucuns
parmi les plus radicaux pourraient aller jusqu'à suggérer de
criminaliser les jeunes qui boivent ou qui fument, du simple fait
que c'est très nocif pour eux. Tout le monde est d'accord pour
dire qu'il est mauvais que les jeunes fument. Mais dans ce cas,
pourquoi ne pas considérer comme criminels ceux qui fument la
cigarette de la même façon que nous voulons rendre criminels
ceux qui fument du cannabis? Nous ne ferions jamais cela. Nous
ne le pourrions pas pour les mêmes raisons qui nous préoccupent,
moi et mes collègues, à savoir les effets et les retombées
problématiques voire inacceptables du régime actuel de contrôle
du cannabis.
|
| Il ne faut pas avoir deux poids deux mesures pour ce genre de
choses. Je nous vois très mal le faire et maintenir cette formule
inégale ou cette politique contradictoire dans bien d'autres
domaines de la santé ou de la politique sociale.
|
| Le sénateur Kenny: Vous avez dit qu'il n'y avait pas de lien
entre la consommation de la marijuana et la violence. A-t-on
constaté des cas de violence de la part de personnes qui essayaient
de se procurer de l'argent pour acheter du cannabis?
|
| M. Fischer: Pas à ma connaissance. Je n'en ai pas entendu
parler dans tous les documents que j'ai pu étudier.
|
| Le sénateur Kenny: À votre avis, c'est parce que le cannabis
ne coûte pas cher?
|
| M. Fischer: Je pense que c'est parce qu'on peut très facilement
se procurer du cannabis au Canada. En outre, les propriétés du
cannabis ont un effet calmant et apaisant sur le comportement, au
lieu de rendre les individus agressifs comme le font l'alcool ou la
cocaïne.
|
| Le sénateur Kenny: Je ne parlais pas des gens qui sont en
train d'en consommer, mais de ceux qui essaient de s'en procurer.
|
| M. Fischer: Oui.
|
| Le sénateur Kenny: En dernier lieu, je voudrais aborder la
question de la réduction des préjudices. Les témoins reviennent
souvent sur ce thème. Dans l'expérience menée aux Pays-Bas, on
propose aux individus des cafés ou des endroits où ils peuvent se
procurer du cannabis. Les statistiques montrent que là où la
drogue est facilement disponible de cette façon, on en consomme
moins qu'on ne le fait généralement en Amérique du Nord.
|
| Il y a une zone floue dont personne n'a parlé, en tout cas pas à
ma satisfaction, c'est toute celle du commerce de gros, de la
distribution et de la production. Je comprends bien comment
fonctionnent ces cafés, mais je ne comprends pas quel genre de
dispositif on pourrait mettre en place pour assurer la production,
le commerce de gros et la distribution sans problème.
|
| M. Fischer: Les Hollandais ont trouvé une solution assez
raisonnable, simple et directe à ce problème. Actuellement, leur
gouvernement est en train d'octroyer des permis aux producteurs
et aux distributeurs. Autrement dit, les personnes qui cultivent de
la marijuana dans des champs ou des serres doivent demander un
permis au gouvernement hollandais. Je ne sais pas exactement à
quel palier de gouvernement, mais c'est à une autorité quelcon
que. On inspecte les exploitations. Il y a des règles, avec des
règlements d'application. Si les personnes concernées respectent
les règlements visant la qualité, la vérification et le commerce de
gros, elles obtiennent leurs permis.
|
| En général, c'est un permis temporaire qui précise exactement
la nature de la production, sa destination, les quantités, et cetera.
C'est la même chose que n'importe quel autre permis ou
autorisation octroyé à une entreprise de production de biens ou de
services. À l'occasion, les producteurs font l'objet d'une
vérification en fonction de ces paramètres.
|
| C'est comme cela que le système de production et de
distribution est organisé dans ce pays. Avec ce système original,
les Hollandais ont une longueur d'avance sur les autres pays qui
se débattent avec les questions de possession et de consommation.
Il faudra tôt ou tard que tous les autres pays dont j'ai parlé se
penchent sur cette question car il est bien évident que s'il y a
consommation, il y a demande et s'il y a demande, il faut bien
que les gens achètent le produit quelque part.
|
| Le sénateur Kenny: Pourriez-vous nous donner la source d'où
vous tirez cette information? Je crois me souvenir qu'un de nos
précédents témoins nous a dit que le système variait d'une région
à l'autre aux Pays-Bas et que c'était surtout parce que la police
fermait les yeux que la marchandise pouvait être livrée. Le
système avait l'air beaucoup plus chaotique que le système
organisé et bien réglementé que vous nous décrivez. Pourriez-
vous nous donner vos sources?
|
| M. Fischer: Je dois dire qu'il est bien possible que la
réglementation locale varie d'une région à l'autre du pays, mais le
mieux serait que je vous mette en contact avec des personnes au
niveau local qui pourront vous donner une description parfaite
ment authentique de la situation.
|
| Le président: À propos des Pays-Bas, nous allons consacrer
toute la journée du 19 novembre à étudier leur expérience et à
entendre des témoins de ce pays.
|
| J'ai une question à propos des enfants d'âge scolaire. Nous
avons entendu des témoignages à ce sujet durant la précédente
session législative, et ces témoignages ont été incorporés à notre
constat par le biais d'une décision du Sénat. Le Dr Mark
Zoccolillo, de l'Université McGill, mène une vaste enquête sur la
consommation et l'abus de drogues licites et illicites dans les
écoles secondaires chez les adolescents du Québec.
|
| Dans son témoignage, le Dr Zoccolillo nous a dit, données à
l'appui, que la consommation de marijuana augmentait, mais
surtout, que les adolescents du Québec étaient des polytoxicoma
nes, c'est-à-dire qu'ils consommaient toute une variété de drogues
licites et illicites. En Ontario, constatez-vous le même genre de
choses dans ce groupe?
|
| M. Fischer: Nous constatons des tendances analogues depuis
20 ou 25 ans. Les données montrent que la consommation
augmente et diminue comme la consommation d'autres substan
ces. La consommation de tabac, d'alcool et d'autres produits
fluctue dans cette population.
|
| C'est un problème particulièrement ardu pour les chercheurs et
les décideurs car nous ne comprenons pas vraiment ce qui
détermine ces fluctuations. Il est difficile de comprendre pourquoi
les adolescents consomment plus de cannabis un été plutôt qu'un
autre. Pourquoi les minijupes sont-elles à la mode un été et pas le
suivant? Tout cela est le résultat de pressions culturelles et
d'influences des pairs complexes et difficiles à expliquer
rationnellement.
|
| L'une des principales choses que nous savons, c'est que la
dynamique et les modalités de cette consommation ne sont pas
influencées par la gravité des mesures législatives. Nous avons
d'excellentes données qualitatives qui montrent que la loi est le
dernier des soucis des écoliers. Ils se préoccupent beaucoup plus
de ce que font ou ne font pas leurs camarades. Ce qui compte,
c'est ce qui est «cool», ce qui se fait autour d'eux, la façon dont
on se comporte dans un groupe ou lors d'un party. Ce qu'ils
voient, c'est ce qu'ils retirent de cette activité à court terme. Ils ne
se préoccupent pas tellement du long terme. Ce sont des questions
qui comptent, et c'est là que le système actuel brille par son
inefficacité.
|
| Le président: Quelles sont les conséquences de ce constat que
vous faites dans votre témoignage pour l'Ontario et pour la
situation au Québec? Logiquement, cela doit être la même chose
dans les autres provinces.
|
| M. Fischer: Et même à l'étranger. C'est la même chose en
Europe.
|
| Le président: Quelles sont les conséquences de ces constats
pour la formulation des politiques publiques? Vous venez de dire
que la loi n'avait aucune importance et que quoi que nous
fassions, nous ne pouvons pas avoir la moindre influence.
|
| M. Fischer: Pour des législateurs, cela doit être très frustrant.
|
| Le président: Évidemment, nous examinons le problème en
tant que législateurs, mais nous voulons comprendre, avant de
proposer une autre solution, s'il faut suivre une autre démarche.
|
| M. Fischer: Effectivement, il faut trouver une autre voie. Je
dois défendre la loi parce qu'elle a encore une valeur importante
et symbolique qu'il ne faut pas négliger. Elle a aussi une valeur
éducative. Je ne suis pas un fanatique des théories de la
dissuasion, mais il est cependant essentiel, surtout dans le
contexte social des jeunes que je viens de vous présenter, de
trouver des moyens d'informer ce groupe particulier de façon
crédible, acceptable et efficace sur le pour et le contre, les effets
positifs et négatifs, les risques à court et à long terme et les
conséquences de la consommation de cannabis. Comme cela, ils
pourront prendre eux-mêmes leurs décisions de façon responsa
ble, en toute connaissance de cause.
|
| Le président: Et qui devrait faire cela? En fait, il y a déjà des
policiers qui le font, en allant parler aux étudiants dans les écoles.
|
| M. Fischer: Pourquoi les policiers? Pourquoi devrais-je croire
qu'un policier, à qui on apprend à traquer et à arrêter des
criminels et à appliquer la loi, est l'expert le plus judicieux, le
mieux informé et le plus compétent pour transmettre des
informations sur les risques pour la santé et les effets de
substances psychotropes sur mon enfant? Est-ce que je vais aller
m'adresser à un policier si j'ai un problème respiratoire ou un
problème de poumon ou si j'ai une question sur des substances
psychotropes? Bien sûr que non, pas plus que je ne vais aller
m'adresser à mon médecin si j'ai un problème juridique. Soyons
réalistes.
|
| Voilà les conséquences de l'évolution un peu chaotique de la
lutte antidrogue au pays. Les forces policières ont pris le train en
marche et s'y sont agrippées, mais pas parce qu'elles étaient les
professionnels les mieux formés pour s'en occuper. Avez-vous
déjà jeté un coup d'oeil sur le programme des cours des agents de
police? Ils n'ont pas de formation dans les domaines voulus.
|
| Nous avons besoin de gens qui s'y connaissent en santé, en
comportement, en questions sociales et interpersonnelles. Ce n'est
pas dans ces domaines que se spécialisent forcément les policiers.
Il y a des professionnels pour cela. Il y a des parents, des
enseignants, des animateurs de groupe, des éducateurs et d'autres
personnes en général, respectés par les jeunes, qui occupent des
fonctions professionnelles et autres.
|
| Je n'exclus pas d'emblée les policiers, mais ce n'est pas le
groupe professionnel qu'il faut quand on pense à ce qu'ils
incarnent et symbolisent et à leurs outils de travail. On n'a pas
besoin d'armes à feu, de menottes ou de matraques chimiques
pour faire ce que vous avez décrit. Il faut des spécialistes
respectés, des éducateurs et des gens comme soi. Il me vient tout
de suite à l'esprit trois ou quatre groupes de professionnels qui
conviendraient mieux à la tâche que des policiers.
|
| Le président: J'ai parlé de données sur les consommateurs et
la consommation de drogues. Je sais qu'à Toronto, on produit un
rapport annuel sur la consommation de drogues. À l'échelle
nationale, la dernière enquête remonte à 1993-1994. Devrait-on
faire plus souvent des sondages sur la consommation de drogues,
d'après vous, et qui devrait s'en charger?
|
| M. Fischer: Mon établissement va m'en vouloir énormément
pour la réponse que je vais vous donner parce que je devrais vous
dire: «Chaque année et donnez-nous beaucoup d'argent pour nous
en charger.» Mais ma réponse est la suivante: «Non, pas plus
souvent que maintenant.» C'est ma réponse sincère.
|
| Nous savons assez bien ce qui se passe. Il serait bon de faire
des contrôles aléatoires à l'occasion. On n'a pas besoin d'une
enquête nationale chaque année. Il y a des mécanismes d'enquête
dans les régions du pays qui nous donnent une assez bonne idée
de la tendance.
|
| Il n'y a pas de grosses surprises - que la consommation du
cannabis monte de 5 p. 100 ou pas n'a rien de crucial. Il faut faire
des contrôles aléatoires bien choisis sur les types de consomma
tion, en particulier les risques et les dangers connexes. Vous avez
dit tout à l'heure que la tendance à la consommation de telle ou
telle drogue est à la hausse, et qu'il existe une combinaison de
certains facteurs - par exemple, si les gens fument du pot puis
prennent le volant ou s'adonnent à d'autres activités dangereuses.
|
| Voilà le genre d'information qu'il nous faut, et nous pouvons
l'obtenir grâce à un système local intelligent et sélectif de
contrôles. On ne se tire pas trop mal d'affaires à l'heure actuelle.
Je tiens en particulier à ce que l'on obtienne le plus de résultats
possible pour l'argent que le gouvernement peut dépenser. On n'a
pas besoin de plus de recherche là-dessus.
|
| Le sénateur Banks: Certaines sociétés civilisées ont des lois
fondées sur d'autres choses que l'interdiction d'activités qui se
soldent par des pertes matérielles et qui reposent plutôt sur la
moralité. Nous avons beaucoup de lois de ce genre. Monsieur
Fischer, vous avez dit que le problème du cannabis, en particulier,
est un problème de santé et de gestion de la santé. Toutefois, il y a
des gens au pays et ailleurs qui estiment que les drogues qui
viennent perturber le psychisme sont en soi moralement répréhen
sibles.
|
| C'est un point de vue différent du vôtre, si j'ai bien compris.
Que répondriez-vous à celui qui est d'avis que nous avons fait une
erreur à propos de l'alcool et du tabac? Je conviens avec vous que
l'interdiction d'office ne semble pas être efficace, même s'il y a
une polémique autour de cela aussi.
|
| Ces choses-là sont mauvaises et fumer du pot est répréhensible
de la même manière, soit pour la morale, que se piquer à l'héroïne
mais si le tort pour la société peut être beaucoup moindre. Ces
choses sont tout simplement répréhensibles. Que répondez-vous à
cela?
|
| M. Fischer: C'est une position philosophique fondamentale et
légitime. Vu mon système de valeurs à moi, je suis contre. Si,
pour quelque raison que ce soit, ils en sont convaincus et
arrivaient par la force de leur argument à faire prévaloir leur vue,
je dis qu'ils devraient à tout le moins les appliquer en conformité
avec nos principes constitutionnels. Si la drogue et sa consomma
tion sont moralement inacceptables, ils doivent interdire toutes les
substances et traiter le consommateur d'alcool de la même façon
que le consommateur de cannabis. De ce point de vue, la
consommation d'alcool serait tout aussi répréhensible que celle du
cannabis.
|
| Pour ne pas enfreindre certains de nos principes constitution
nels les plus importants - à commencer par l'égalité devant la loi
- il faudrait que la règle s'applique uniformément. C'est le
corollaire inéluctable de cette action philosophique.
|
| Voilà un des arguments d'ordre constitutionnel. Le dilemme et
le raisonnement de la Cour suprême d'Allemagne en 1994
lorsqu'elle a statué sur la légalité de l'interdiction du cannabis
dans ce pays étaient précisément celui-là. Les gens ont contesté
cette inégalité constitutionnelle et soutenu que le traitement fait au
cannabis par rapport à d'autres drogues viole le principe de
l'égalité de la loi, ce dont la cour a convenu.
|
| Le sénateur Banks: Si la possession et la consommation
personnelle de cannabis sont dépénalisées, il serait intéressant de
voir si l'on invoquera la Constitution pour soutenir que sa
production devrait donc être illégale. Si la possession n'est pas
illégale, pourquoi la vente devrait-elle l'être?
|
| L'autre question que je voudrais vous poser porte sur l'usage
médical du cannabis. Vous avez dit que plus de 90 p. 100 des
Canadiens sont en faveur de l'usage médical du cannabis, mais
tous ceux que nous avons entendus jusqu'à présent affirment qu'il
n'y a pas suffisamment de travaux de recherche qui démontrent
de façon indiscutable l'efficacité du cannabis à des fins médicales.
Il n'y a pas d'études de ce genre. D'autres nous disent que si ces
études n'existent pas, c'est parce qu'aux États-Unis - sans doute
le pays où elles seraient menées - elles rencontrent une
antipathie politique. Si c'est le cas, pensez-vous qu'il serait censé
pour le Canada, où 90 p. 100 de la population favorise l'usage
médical du cannabis, d'entreprendre des études pour déterminer
de la manière la plus prudente et scientifique qui soit, si oui ou
non le cannabis a des bienfaits sur le plan médicinal?
|
| M. Fischer: J'ai deux avis sur la question. D'une part, il serait
bon et nécessaire de le faire pour déterminer de manière
scientifique les avantages médicinaux du cannabis. En revanche,
soyons réalistes et réfléchissons un instant aux principes qui nous
guident. Ceux à qui l'on donne actuellement de la marijuana à des
fins médicales sont des malades en phase terminale. La plupart
d'entre eux sont au stade final du cancer ou du sida. La majorité
d'entre eux nous disent, quelles que soient leurs raisons, que de
fumer un joint les aide en allégeant leur souffrance ou tout
simplement en améliorant leur bien-être. Je suis un scientifique.
Je crois aux faits et à la raison scientifique. Je suis aussi un être
humain. Quand je vois des gens au stade terminal du sida ou du
cancer qui allègent leur souffrance en fumant un joint, je me
demande s'il faut une opération de plusieurs milliards de dollars
et dix ans de recherche pour déterminer si un joint est nettement
plus bénéfique pour cette personne qu'un médicament de pointe
cher créé en synthèse dans un laboratoire - si j'ai devant moi
quelqu'un qui va mourir dans six mois et qui me dit que fumer un
joint lui permet de se sentir beaucoup mieux. Entre le scientifique
et l'être humain que je suis, il y a une forme de conflit et de
tension.
|
| Le sénateur Banks: Personne ne vous reprendra sur ce point,
mais certains affirment que le cannabis possède des propriétés
médicales qui n'ont rien à voir avec les soins palliatifs et le
soulagement des symptômes de la phase terminale. Étant donné
qu'il en est peut-être ainsi, vous qui êtes un scientifique allez
sûrement encourager la recherche visant à déterminer les
propriétés médicinales du cannabis en marge de ces usages. Dans
de nombreuses sociétés, depuis la nuit des temps, on l'utilise dans
la médecine traditionnelle pour guérir des maux autres que le sida
et le cancer dans leurs phases terminales. Si le cannabis a des
effets bénéfiques à certains égards, nous pourrions peut-être en
trouver d'autres par le raffinement de la matière et l'amélioration
de son usage.
|
| M. Fischer: En principe, je serais tout à fait favorable à
l'élargissement de notre connaissance scientifique à la condition
que nos efforts et la planification de ces efforts ne fassent pas
obstacle à la résolution du problème que j'ai mentionné plus tôt.
|
| Le président: Nous avons d'autres questions, nous allons donc
vous écrire. Nous espérons que, dans votre réponse, vous allez
annexer toute la documentation à l'appui des informations que
vous nous avez communiquées.
|
| Le sénateur Prud'homme: Je remercie les membres du
comité. Je ne suis pas membre de ce comité. J'ai vécu ce débat il
y a une trentaine d'années de cela, et nous avions alors parcouru
le Canada. Vous savez à quel point les Canadiens étaient alors
divisés. Partout où nous allions, l'intolérance entre ceux qui
étaient pour et ceux qui étaient contre était totale. Il n'y a pas eu
une seule rencontre publique où je n'ai pas dû intervenir très
gentiment pour calmer les gens, les parents. Tout le monde avait
peur ou avait les idées trop larges.
|
| Les mêmes thèses peuvent être avancées, mais il y en a une qui
m'intéresse beaucoup. Elle n'a rien à voir avec l'usage médical ou
autre. Je songe à la réaction qu'aurait notre voisin, les États-Unis
d'Amérique, si nous devions autoriser la consommation de la
marijuana. Comme vous l'avez fort bien dit, il ne saurait y avoir
de consommation de la marijuana sans production de celle-ci. Les
deux vont ensemble. Notre ami et voisin serait mécontent si nous
devions autoriser la marijuana. J'aimerais que vous me donniez
une opinion contraire. L'une de mes plus grandes préoccupations
dans cette question, à savoir la réaction des États-Unis d'Améri
que, c'est qu'ils n'hésiteraient pas un seul instant à verrouiller la
frontière ou à retarder des gens pendant des heures parce qu'on
fouillerait toutes les voitures. Je ne crois pas qu'ils aient atteint le
même niveau de compréhension que nous au Canada. Qu'en
pensez-vous?
|
| M. Fischer: Ma première réaction est d'ordre philosophique.
Je vous demanderais si la morale et les valeurs de la souris
devraient être déterminées par l'éléphant. C'est une réponse
philosophique.
|
| Tout d'abord, il y a la question de la souveraineté. Comme
c'est le cas de nombreuses autres questions que nous traitons au
niveau politique dans notre pays, nous n'avons pas l'avantage de
la situation. À maints égards, c'est une question économique,
politique et juridique. Mais c'est aussi une question de souverai
neté. Le Canada doit énoncer et défendre sa conviction sans
détour - il ne doit pas s'en tenir à ce que croient les États-Unis
mais à ce que nous croyons juste et raisonnable.
|
| On doit aussi se demander si les États-Unis feraient vraiment
une chose pareille? Surtout en ces heures malheureuses que nous
vivons, où les États-Unis ont d'autres soucis plus grands. Est-ce
qu'ils voudraient vraiment fermer la frontière pour ça, dresser des
obstacles et imposer...
|
| Le sénateur Prud'homme: Quand j'ai dit «verrouiller»,
j'entendais par là des retards infinis rien que pour nous ennuyer,
par exemple pour fouiller les voitures. Les Canadiens diraient:
«Eh, je viens ici toutes les semaines moi. Pourquoi fouillez-vous
ma voiture?» Et les Américains répondraient: «Allez-vous
plaindre à votre gouvernement parce que personne n'entre ici
avec de la marijuana.» Nous devons être pratiques. Nous sommes
coincés entre les deux.
|
| M. Fischer: D'un autre côté, la réalité actuelle n'est pas bien
loin de ce que nous disons de toute façon ou de nos conjectures.
Tout le monde sait qu'on produit beaucoup de marijuana à
Vancouver et en Colombie-Britannique, et que beaucoup de gens
ont de la marijuana dans leur voiture de toute façon. Cela est vrai
également des gens qui entrent aux États-Unis par le Mexique. Il
y a des contrôles aux frontières. Même si nous modifiions le
système de contrôle, je ne crois pas qu'il y aurait des
débordements ou que les choses changeraient dramatiquement.
On ne va pas voir tout à coup des autobus et des camions pleins
de marijuana entrer aux États-Unis. La situation serait à peu près
la même qu'aujourd'hui. Je ne crois pas que les États-Unis
gagneraient beaucoup à modifier leur approche. Il se pose en ce
moment des problèmes beaucoup plus pressants qui dictent la
protection de leur frontière, et le fait d'avoir quelques personnes
qui ont quelques grammes de marijuana dans leur voiture ne pèse
pas très lourd.
|
| Le président: Le fait que les États-Unis soient notre voisin et
notre meilleur allié nous préoccupe beaucoup. Le 5 novembre, le
comité consacrera toute sa journée aux États-Unis. Nous allons
entendre des experts intéressants qui nous diront ce qui se passe
de ce côté. Sénateur Prud'homme, nous pourrons peut-être trouver
ce jour-là réponse à votre question.
|
| Monsieur Fischer, merci beaucoup. Au cours des deux derniers
jours d'audience, nous avons invité les témoins à rester parce que,
après que tous les témoignages ont été entendus, nous pouvons
céder la parole aux témoins qui restent. Nous constatons ainsi
parfois des convergences intéressantes sur diverses questions.
|
| M. Fischer: Je vous remercie de votre invitation. Malheureuse
ment, je dois partir. Je ne peux pas rester cet après-midi parce que
je dois rentrer à Toronto ce soir.
|
| Le président: Je vous remercie pour votre témoignage et vos
réponses. Nous allons vous écrire. Si vous avez des informations
que vous jugez pertinentes, n'hésitez pas à nous les communiquer.
Nous vous lirons avec plaisir.
|
| Notre second témoin ce matin est le Dr Perry Kendall, qui a
fait carrière pendant 25 ans en santé publique. Il a été médecin
hygiéniste pour les villes de Victoria et de Toronto ainsi que pour
la province de la Colombie-Britannique. En outre, il a été
président-directeur général de la Fondation de la recherche sur la
toxicomanie de l'Ontario de 1995 à 1998.
|
| Docteur Kendall, merci d'avoir accepté notre invitation. Nous
vous écoutons.
|
| Le Dr Perry Kendall, agent de santé de la province de la
Colombie-Britannique: C'est un privilège que de témoigner
devant votre comité. Comme vous l'avez dit, j'ai fait carrière
pendant plus de 25 ans en santé publique. J'ai exercé des
responsabilités relatives à la santé publique en ma qualité de
premier médecin hygiéniste des villes de Victoria et de Toronto, et
je suis en ce moment agent de santé de la province de la
Colombie-Britannique. Les opinions que j'exprime dans le
présent document sont les miennes et ne représentent nullement la
position d'aucun organisme ou ministère, ou du gouvernement qui
m'emploie en ce moment.
|
| Comme vous l'avez dit, j'ai été également président et
directeur général de la Fondation de la recherche sur la
toxicomanie de l'Ontario, qui était à l'époque le plus grand centre
de recherche et de traitement clinique du Canada dans le domaine
des toxicomanies relatives à l'alcool, au tabac, aux drogues et aux
médicaments d'ordonnance. Durant ces années, j'ai non seule
ment conversé avec des personnes de toutes les couches de la
société et des consommateurs de bien des sortes de drogues, mais
j'ai pu aussi m'entretenir avec des chercheurs en substances
psychoactives, en dépendance et en politique sociale de l'Améri
que du Nord et rencontrer des chercheurs de l'Europe et de
l'Australie.
|
| Ma carrière en santé publique m'a donné une assez longue
expérience de la politique et des problèmes relatifs à la santé
publique qui sont liés à la consommation d'alcool, de tabac et de
drogues, particulièrement lorsqu'il s'agit des liens qu'ils ont avec
les épidémies de séropositivité et d'hépatite C qui ont fait rage au
cours des 15 dernières années au Canada et dans les villes où j'ai
travaillé.
|
| Mon exposé d'aujourd'hui porte principalement sur la question
de l'élaboration d'un cadre réglementaire pour le Canada et, par
voie de conséquence, il présente une approche axée sur la santé
publique en matière de contrôle d'une vaste gamme de substances
psychoactives, qui sont en ce moment licites ou illicites.
|
| En résumé, d'autres ont dit que la réglementation régissant le
cannabis est incorrecte sur le plan de la pharmacologie, de la
sociologie et de l'économie. Mon analyse me porte à ajouter le
plan juridique également.
|
| Au chapitre de la pharmacologie, il est tout à fait incorrect que
la Loi réglementant certaines drogues et autres substances classe
le cannabis dans la catégorie des narcotiques. Il s'agit d'une
caractéristique qu'il a en commun avec un certain nombre
d'autres substances illégales. Son classement dans la catégorie des
dépresseurs du système nerveux central comme les opioïdes et les
stimulants tels que la cocaïne, avec lesquels il n'a aucune
propriété en commun, ne vise aucun but utile d'ordre taxonomi
que. Il vise à peine à nous rappeler l'héritage que constituent les
écrits non informés d'Emily Murphy au début des années 20.
|
| En ce qui a trait à la sociologie, on peut prétendre que, non
seulement la réglementation actuelle ne produit pas l'effet de
dissuasion qu'elle vise, mais elle engendre aussi un certain
nombre d'effets non voulus et défavorables. Parmi ceux-ci, on
peut citer le manque de respect envers la loi, la création d'un
fossé entre le point de vue des adultes et celui des adolescents et
l'atténuation de l'effet des messages de prévention fondés sur des
preuves. En ce qui concerne le plan économique, la réglementa
tion actuelle contribue à gonfler les prix et les profits et à inciter
les criminels organisés à pénétrer le marché clandestin. Les profits
sont élevés, les prix sont bas et la qualité est meilleure.
|
| En fait, en Colombie-Britannique, selon la police, le cannabis
représente un marché de 6 milliards de dollars et au cours des 20
dernières années, il est passé d'une économie à l'échelle du jardin
à un marché extrêmement organisé et verticalement intégré qui,
toujours selon la police, est contrôlé par de grandes familles de
criminels organisés.
|
| Il se pourrait aussi que les facteurs économiques aient contribué
à la fusion des marchés des drogues dites dures et des drogues
dites douces, ce qui veut dire que la clientèle est initiée aux deux
genres de drogues.
|
| À mon avis, c'est par ailleurs une mauvaise loi, et le cadre
juridique ne décourage pas la consommation. Il encourage le
manque de respect envers la loi et il a pour conséquence non
voulue la fusion des marchés des drogues et l'atténuation de
l'effet des programmes de prévention et d'information.
|
| De plus, la loi n'est pas mise en application de façon uniforme
au sein des provinces.
|
| En 1999, seulement 17 p. 100 des personnes arrêtées en
Colombie-Britannique pour possession de cannabis ont été
accusées contre 78 p. 100 à l'Île-du-Prince-Édouard. En outre, son
application est largement perçue comme étant fonction des
préjugés sociaux et ethniques des agents chargés de l'application
de la loi et elle obtient un faible appui de la part de ces agents
haut placés représentés par l'Association canadienne des chefs de
police.
|
| En vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres
substances, la possession demeure un crime. Au fait, cette loi
avait été présentée en tant que projet de loi d'ordre administratif,
après un long débat et de nombreuses années à la Chambre, et lors
de son adoption, on avait promis qu'un examen complet de la
législation canadienne en matière de drogues serait effectué. Ce
n'est que maintenant, cinq ou six ans plus tard, que cet examen
est en train d'être mené.
|
| En raison des objections qui avaient été soulevées durant les
longs débats qui avaient précédé l'adoption des mesures
législatives antérieures, on a tenté de faire en sorte que cette loi
diminue l'ampleur sur le plan criminel de la culpabilité et fasse
une distinction entre la possession personnelle et commerciale. La
clémence peut être accordée dans les cas de possession de petites
quantités et un verdict de culpabilité pour possession de petites
quantités n'entraîne pas automatiquement l'établissement d'un
casier judiciaire transmis au Centre d'information de la police
canadienne. Néanmoins, plus de 26 000 accusations de possession
de cannabis ont été portées par des policiers en 1999. Un verdict
de culpabilité a de graves répercussions sur le plan de la recherche
d'emploi et les déplacements à l'étranger. M. Fischer a examiné
certaines de ces répercussions de façon plus générale.
|
| Même si les services de police prétendent que la possession de
cannabis est pratiquement décriminalisée au Canada, 75 p. 100
des crimes liés à la drogue en Colombie-Britannique en 1998
étaient liés au cannabis. Encore une fois, dans la plupart des cas,
les accusations n'étaient que pour simple possession.
|
| Nous devons nous demander pourquoi le cannabis est traité de
la sorte. Le débat sur le cannabis a nui à l'observation scientifique
des méfaits de cette substance tant pour la personne que pour la
société et ce débat est accompagné de ce que j'appellerais une
dialectique inflationnaire-déflationnaire. D'un côté, ceux qui
s'opposent à la libéralisation ont tendance à amplifier les dangers
et, lorsque ceux-ci ne sont pas connus, à assumer le pire. De
l'autre côté, ceux qui sont en faveur de la légalisation diminuent
la gravité des faits prouvés ou prétendus ou en font abstraction. Il
est difficile de trouver un juste équilibre.
|
| Bien sûr, il se pourrait aussi que les dangers ne soient pas
pertinents pour le volets social ou politique du débat. J'aimerais
penser que ce n'est pas le cas, mais, de toute évidence, pour de
nombreuses personnes, le débat sur le cannabis comporte un
aspect symbolique. On vous en parlera davantage cet après-midi.
|
| Quoi qu'il en soit, nous parlons de dérivés de plantes qui
contiennent un certain nombre d'alcaloïdes psychoactifs. Les
effets psychoactifs comprennent principalement une euphorie
légère et une altération de la notion du temps. Une désorientation
et des crises de panique peuvent aussi se produire. On dit aussi
que l'appréciation de la musique et de l'art est meilleure à l'instar
de l'appétit. Ce dernier élément semble important pour l'un des
prétendus bienfaits, à savoir l'atténuation des effets de la cachexie
liée au sida et de la nausée qui accompagnent les traitements de
chimiothérapie.
|
| Toutes les informations que je résumerai dans les minutes qui
viennent proviennent d'un ensemble d'ouvrages qui ont été
commandés par l'Organisation mondiale de la santé et publiés
dans une monographie du Centre de toxicomanie et de santé
mentale de l'Ontario; ces informations sont facilement disponi
bles.
|
| Le corps humain produit des ligands naturels de cannabis, et
des récepteurs de cannabis ont été trouvés dans le cerveau et le
système lymphatique périphérique. Nous savons donc que le
cannabis joue un rôle dans la physiologie humaine. Un
cannabinoïde naturel a aussi été trouvé dans le corps humain,
cannabinoïde qui produit bon nombre des effets du cannabis.
Contrairement à l'alcool ou à la nicotine, la toxicité aiguë du
cannabis est faible. Aucune dose mortelle n'est connue et les
autres effets physiologiques sur le rythme cardiaque et la pression
sanguine sont similaires à ceux de la nicotine et généralement
bien tolérés, quoique de récents rapports laissent entendre que,
chez les hommes plus âgés, la consommation de cannabis peut
engendrer un risque d'infarctus du myocarde légèrement plus
élevé que les relations sexuelles.
|
| Parce que le cannabis est habituellement fumé, il comporte les
mêmes effets aigus et chroniques que le tabac, dont l'irritation des
voies respiratoires, la toux et, probablement en raison d'une
utilisation à long terme, la bronchite, la bronchopneumopathie
chronique obstructive et le cancer du poumon et du pharynx. La
consommation de cannabis affaiblit le système immunitaire, mais
son incidence sur la santé est probablement mineure. Elle ne peut
être mesurée. Par ailleurs, des études menées chez les animaux
ont révélé des répercussions sur le système de reproduction. En
effet, le cannabis perturbe les systèmes hormonaux des mâles et
des femelles et augmente les anomalies liées aux chromosomes.
Ces résultats sont bien sûr pertinents pour l'humain, mais des
études menées chez ces derniers n'ont pas encore montré une
incidence négative mesurable, à part des répercussions sur le
comportement et le développement des enfants nés de mères qui
ont fumé du cannabis durant la grossesse. De même, en raison du
mode d'administration habituelle, le faible poids à la naissance et
la naissance prématurée peuvent être liés à la consommation de
cannabis durant la grossesse. Manifestement, la consommation de
cannabis devrait être évitée pendant la grossesse, tout comme la
consommation d'alcool et de tabac doit être évitée pendant les
années de procréation.
|
| Beaucoup de documents existent au sujet de l'incidence du
cannabis sur la cognition. La mémoire à court terme est touchée et
l'utilisation à long terme peut mener à un mauvais fonctionne
ment chronique et mesurable de la fonction cognitive, bien que
cela puisse résulter d'une intoxication chronique persistante plutôt
que d'une détérioration de la substance du cerveau.
|
| Le cannabis a aussi une incidence négative sur les habiletés
psychomotrices. Il est d'ailleurs contre-indiqué de conduire ou de
faire fonctionner de l'équipement lourd sous l'effet du cannabis.
Encore une fois, contrairement à l'alcool, le cannabis a tendance à
ralentir les conducteurs au lieu de les faire accélérer. De même, il
est rare que les fumeurs de cannabis soient impliqués dans des cas
d'agression et de violence physique.
|
| Le cannabis peut déclencher des symptômes de la schizophré
nie chez les personnes atteintes de cette maladie ou du trouble
schizophréniforme. La documentation fait aussi état de crises de
panique et de dysphorie.
|
| On avait prétendu que le cannabis provoquait l'apparition du
syndrome amotivationnel, mais les chercheurs ont rejeté cette idée
au cours des 10 dernières années.
|
| La question de la dépendance a été contestée, mais il existe de
solides preuves qui montrent que la dépendance peut s'installer
chez les consommateurs de longue date. Cette dépendance est
moins importante que celle à l'alcool ou aux opiacés, quoique,
étant donné que le cannabis est largement consommé, elle pourrait
fort bien être l'une des plus répandues dans les sociétés
occidentales, mais peu de personnes cherchent à se faire traiter.
|
| Des préoccupations ont été soulevées avec raison à propos de
l'effet de la consommation de cannabis sur le développement des
adolescents. Il s'agit d'une question importante, d'autant plus que
l'utilisation est la plus élevée à la fin de l'adolescence. Le risque
de décrochage scolaire, l'instabilité sur le plan de l'emploi et le
passage à des drogues plus dures sont toutes des conséquences
négatives qui ont été associées à la prise de cannabis.
|
| On ne s'entend pas encore toutefois sur la mesure dans laquelle
ces liens constituent des causes. D'autres hypothèses ont été
posées, à savoir que la consommation de cannabis chez les
adolescents, comme la consommation d'alcool, le début précoce
des relations sexuelles et le tabagisme, est en fait un repère pour
d'autres risques ou conditions sociales défavorables.
|
| Des recherches menées en 1997 par la Fondation de la
recherche sur la toxicomanie en Ontario auprès de groupes
d'élèves d'écoles secondaires de la province semblent montrer
que l'utilisation occasionnelle de cannabis par des jeunes Blancs
bien intégrés appartenant à la classe moyenne comporte peu de
dangers, voire aucun. La consommation a en fait été associée à
des adolescents bien adaptés socialement, obtenant de très bons
résultats. Au contraire, l'utilisation solitaire à l'école était
clairement, et probablement avec exactitude, perçue comme une
activité de «nuls».
|
| Les groupes de discussion ont été très révélateurs sur ce que les
jeunes pensent de nos mesures visant à dissuader les gens de
consommer du cannabis et des initiatives éducatives que nous
avons mises en place. En fait, ces groupes de discussion nous ont
donné des réponses à certaines des questions que vous avez
posées à M. Fischer plus tôt. Certaines personnes sont considé
rées comme des messagers peu crédibles. Cela dépendait surtout
de l'âge des répondants, mais en général, on a jugé que les
policiers, les enseignants et bon nombre d'adultes sont mal
informés et transmettent des renseignements erronés et biaisés.
Par contre, on désirait manifestement obtenir des informations
précises qui tendaient à confirmer ce que les jeunes eux-mêmes
avaient pu constater sur l'usage du cannabis, d'après leur propre
expérience ou celle de ceux qui les entourent.
|
| On a critiqué nos campagnes de sensibilisation actuelles en
affirmant que tous nos messages sont rejetés. Si certains de nos
messages sont perçus comme étant délibérément ou accidentelle
ment peu précis, tous les renseignements, eux, sont rejetés comme
étant inexacts, que ce soit le cas en réalité ou non. Ainsi, les
jeunes font fi de messages de nature sociale ou scientifique
véridiques et les rejettent comme ils le font des informations
inexactes.
|
| Tous les chercheurs s'entendent toutefois pour affirmer que
l'effet ressenti en consommant du cannabis diminue les habiletés
scolaires. Des études récentes semblent démontrer une baisse
mesurable quoique réversible du quotient intellectuel liée à la
consommation assidue de grandes quantités de cannabis, et que la
participation à des activités illégales comporte des risques
considérables, surtout peut-être pour les jeunes dont le lien avec
l'école est faible.
|
| Il reste la crainte que le cannabis soit une drogue d'introduc
tion. On prétend depuis longtemps que la consommation de
marijuana est le premier pas vers l'expérimentation et ensuite
l'accoutumance aux drogues dures. Bien qu'il soit rare qu'un
consommateur d'héroïne ou de cocaïne n'ait pas commencé par
prendre du cannabis, la vaste majorité, plus de 95 p. 100 des
fumeurs de cannabis, ne passe pas à l'utilisation de drogues plus
dures. L'hypothèse selon laquelle le passage à des drogues comme
l'ecstasy, l'amphétamine, la cocaïne ou l'héroïne constitue un
effet direct du cannabis sur le cerveau est la moins convaincante.
|
| Une explication plus probable est que l'utilisation de cannabis
peut être l'un des nombreux facteurs sociaux et culturels, dont les
relations familiales, l'influence des pairs, l'attitude et les
croyances sociales et le caractère rebelle de la jeunesse, associé à
la probabilité accrue d'utilisation d'autres substances. Autrement
dit, les facteurs qui contribuent à la consommation du cannabis
peuvent amener un petit nombre de personnes à faire l'expérience
d'autres drogues illicites. C'est ce que confirme le fait qu'une
consommation précoce de cannabis et d'autres comportements à
risque, y compris le décrochage et le sentiment d'aliénation à
l'égard de la famille et de la collectivité, servent notamment à
prédire un usage plus risqué et la probabilité de consommation de
drogues dures plus tard dans la vie.
|
| Cela peut aussi expliquer le lien qui existe entre la consomma
tion de cannabis et la faible réussite sur le plan professionnel et
scolaire ainsi que les problèmes personnels et sociaux. Un autre
facteur peut être le fait que le cannabis est illégal; ainsi, un
vendeur de cannabis risque aussi de vendre d'autres drogues.
Après avoir mis de côté les méthodes de prévention que nous
avons essayé de lui inculquer par le passé, l'utilisateur est tenté
d'essayer d'autres drogues du fait qu'il ne croit plus aux risques
qu'on leur attribue après avoir constaté que les dangers attribués à
la consommation du cannabis avaient été exagérés.
|
| En outre, il est à noter que la consommation de tabac et
d'alcool précède habituellement l'utilisation de cannabis. Les
praticiens du milieu de la santé publique prétendent que le tabac,
et non le cannabis, constitue en fait la drogue d'introduction.
|
| En résumé, il fait peu de doute que la consommation de
cannabis a une incidence négative sur la santé des Canadiens.
Toutefois - et ce «toutefois» est important - un document
commandé par l'OMS conclut que la prise intermittente de
cannabis est probablement moins dangereuse que la consomma
tion de tabac et d'alcool et, selon le niveau de consommation
actuel, constitue un problème de santé publique moins important
que l'alcool et le tabac, qui ont des caractéristiques en commun
avec le cannabis.
|
| M. Fischer vous a présenté certaines données relatives aux
coûts de l'alcool, du tabac, des drogues illicites et du cannabis sur
les dépenses relatives aux soins de santé.
|
| En Colombie-Britannique, par exemple, en 1992, sur le nombre
de journées d'hôpital attribuées aux consommateurs de drogues
illégales, moins de 3 p. 100 correspondaient à la consommation
de cannabis. La proportion doit être encore plus faible aujourd'hui
étant donné l'explosion du VIH et de l'hépatite dus à l'utilisation
de seringues par les toxicomanes.
|
| En résumé, l'OMS a préparé un document où l'on fait une
comparaison des effets néfastes sur la santé des gros consomma
teurs de marijuana, d'alcool, de tabac et d'héroïne, par rapport à
divers facteurs: les accidents de la route et autres, la violence et le
suicide, les décès par surdose, le VIH et les infections du foie, la
cirrhose du foie, les maladies cardiaques, les maladies respiratoi
res, les cancers, la maladie mentale, la dépendance et l'accoutu
mance, ainsi que les effets durables sur le foetus. Dans ce tableau,
un seul astérisque correspond à un effet moins courant ou moins
établi. Un double astérisque correspond à des effets importants.
Ce sont ces données qui nous permettent d'affirmer que la
marijuana, par rapport à d'autres drogues légales et illégales, a
une incidence relativement mineure.
|
| Vous remarquerez que, pour la dépendance et l'accoutumance,
les auteurs de cette étude accordent le bénéfice du doute, étant
donné qu'un double astérisque correspond à un effet bien établi,
quoique tous les chercheurs ne soient pas d'accord sur ce point.
|
| Si les contraintes sociales et juridiques à l'égard de la
consommation de cannabis sont motivées en grande partie par les
risques pour la santé et les coûts sociaux que cette drogue
représente, nous devons nous demander pourquoi nous traitons le
cannabis si différemment de l'alcool et du tabac, qui sont des
substances licites causant des dommages nettement plus impor
tants. Certes, il est fort valable qu'en tant que société, nous ne
voulions pas allonger la liste des substances nocives. Nous
devrions donc nous demander si notre cadre de réglementation
réussit à réduire la consommation, et si son application est
relativement un bon moyen de dissuasion. Si nous sommes tout
aussi déterminés à prévenir la consommation d'alcool et l'usage
du tabac chez les mineurs, nous n'infligeons pas le même genre
de sanctions criminelles aux jeunes reconnus pour avoir pris ces
substances, même si nous savons qu'actuellement, les risques
pour la santé et les coûts sociaux associés à l'abus d'alcool et au
tabagisme dépassent de loin ceux du cannabis.
|
| Les enfants auxquels nous avons parlé dans le cadre de ces
études et ceux auxquels j'ai parlé dans les écoles où je me suis
rendu considèrent l'écart entre les drogues légales et illégales
comme étant très hypocrite. Ils voient les législateurs fumer leurs
cigares en buvant un scotch ou un cognac; pourtant, lorsqu'ils
essaient de se procurer un plaisir interne semblable grâce au
cannabis, ils sont criminalisés. Il existe un important clivage entre
l'opinion des jeunes et celle des législateurs adultes.
|
| L'étude des tendances en matière de consommation de cannabis
est une façon d'évaluer l'effet dissuasif de la loi. Si nous n'avons
pas de données nationales ou provinciales suivies sur le sujet, les
études longitudinales effectuées en Ontario concordent avec les
observations faites aux États-Unis et dans les provinces canadien
nes, selon lesquelles l'usage du cannabis a connu pendant 20 ans,
dans les années 60 et 70, une tendance à la hausse qui a connu
son apogée en 1979, année où l'on a enregistré au cours du
dernier mois un taux de 32 p. 100 environ parmi les jeunes.
C'est ce qui a été constaté même s'il y a eu 670 fois plus de
condamnations liées au cannabis au cours de la même période.
|
| La consommation a par la suite diminué de façon constante
pendant plus de 10 ans, pour enregistrer son plus bas niveau en
1991, à environ 11 à 12 p. 100, après quoi elle a augmenté, pour
atteindre 25 p. 100 en 1998, sans toutefois atteindre le niveau
observé à la fin des années 70.
|
| Les plus récentes données indiquent que, parmi les répondants
d'âge scolaire, la consommation est la plus importante en 11e
année et elle serait de 42 p. 100 en Ontario et de 57 p. 100 en
Colombie-Britannique, selon un sondage effectué auprès d'un
groupe d'étudiants de 11e année de Vancouver. On a constaté la
même tendance, comme l'a dit M. Fischer en Australie, aux
États-Unis, aux Pays-Bas et dans certains autres pays européens.
Aux Pays-Bas, le pourcentage est passé de 3 p. 100 en 1988 à 11
p. 100 en 1996.
|
| Il importe de noter toutefois que, pour la majorité des
consommateurs au Canada, l'usage du cannabis est occasionnel
ou expérimental. Seulement 2 p. 100 des étudiants indiquent en
faire un usage hebdomadaire en réponse aux questions des
sondages sur leur consommation au cours des quatre dernières
semaines.
|
| L'augmentation de la consommation, je le répète, a été
constatée dans tous les pays. Nous sommes toutefois témoins
actuellement d'une stabilisation. Il ressort des données les plus
récentes concernant l'Ontario que ces taux élevés sont en train de
se stabiliser. Les données pour les États-Unis indiquent la même
tendance. Aux Pays-Bas, selon certains rapports, la consommation
commence même à diminuer, et la courbe commence à descendre.
|
| Lorsqu'on parle du cannabis et des Pays-Bas, toutes sortes
d'articles et de rapports semblent indiquer que la dépénalisation
de fait du cannabis dans ce pays a entraîné une augmentation de
sa consommation. On entend dire également que la dépénalisation
en Alaska et en Australie a été suivie par une augmentation de la
consommation. C'est exact. Ce qu'oublient toutefois de signaler
les personnes qui ont fait état de ces augmentations de
consommation une fois que le cannabis a été dépénalisé, c'est
qu'on constatait la même augmentation dans des pays et États
voisins qui n'avaient pas dépénalisé le cannabis ou qui au
contraire avaient renforcé le régime de réglementation. Nous
constatons une tendance sociale générale indiquant une augmenta
tion de la consommation suivie de la diminution de celle-ci, ce
qui, comme l'a dit M. Fischer, n'est pas vraiment en rapport avec
le régime de réglementation en vigueur dans le pays où la
consommation existe.
|
| L'augmentation de la consommation coïncide avec une baisse
dans le signalement des dommages qui seraient causés par le
cannabis. Dernièrement au Canada, nous avons constaté une plus
grande tolérance de la part du public pour la consommation
personnelle et une certaine indulgence à l'égard de l'utilisation du
cannabis à des fins humanitaires dans le contexte médical. En
effet, l'opinion populaire à ce sujet a été renforcée par une série
de décisions rendues par les tribunaux qui confirment le droit
d'accès au cannabis pour des raisons médicales et l'établissement
d'un cadre de recherche et d'un réseau de distribution licite.
|
| Les questions que vous avez posées au sujet de l'efficacité du
cannabis dans des cas autres que le syndrome de dépérissement
chronique ou le traitement antinausée dans les cas d'épilepsie et
de maladies neuromusculaires, et cetera, font actuellement l'objet
de recherches. On espère que les résultats seront bientôt connus.
Ainsi, si la consommation du cannabis a évolué dans le cas des
soins palliatifs, nous pourrons ainsi savoir quelle utilité ce produit
peut avoir.
|
| Je conclurais de ce qui précède que le cadre de réglementation
en vigueur au Canada n'a eu pratiquement aucune incidence sur
les niveaux de consommation d'ensemble. C'est ce que corrobo
rent certaines études qui ont examiné l'assouplissement et, dans
certains cas, le durcissement ultérieur des sanctions pénales en
vigueur ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, aux
Pays-Bas et en Australie. Le professeur Eric Single, qui a
témoigné devant votre comité, et ses collègues ont abondamment
écrit sur le sujet. Leurs conclusions sont comparables et solides
dans tous les cas.
|
| À peu près rien ne prouve qu'un cadre de réglementation plus
libéral pour le cannabis fait augmenter la consommation ou les
coûts. En fait, dans les pays qui ont assoupli leur cadre juridique,
les coûts liés à l'application de la loi ont diminué. Il est important
de remarquer qu'il n'y a pas de demande accrue manifeste étant
donné que l'argument le plus sérieux qui est invoqué contre
l'assouplissement de notre cadre de réglementation est le fait qu'il
entraînerait une augmentation de la consommation de cannabis et
de ses dommages sur le plan personnel et social.
|
| Outre les coûts liés à l'application de la loi, la politique
d'interdiction du cannabis engendre d'autres coûts sociaux. De
nombreux citoyens principalement jeunes sont arrêtés et condam
nés chaque année. Beaucoup d'entre eux n'auraient pas de casier
judiciaire autrement, avec les effets négatifs que cela peut avoir
sur leurs études, leur travail et leurs relations familiales. Il ne faut
pas négliger non plus, et cela s'applique autant à ceux qui ont été
reconnus coupables d'avoir consommé du cannabis qu'à la société
dans son ensemble, la question de la violation des droits et
libertés individuels pour faciliter l'application de la loi en matière
de drogues.
|
| Si nous concluons, comme la Commission Le Dain l'a fait il y
a quelque 25 ou 30 ans, que nous pouvons réussir à limiter la
consommation et à éviter les dommages sur le plan social sans
imposer de sanctions pénales dans le cas du cannabis, quelle serait
alors une solution de rechange raisonnable? J'aurais un modèle à
proposer au comité, un modèle qui peut offrir une réponse sur le
plan social pour un certain nombre de psychotropes, licites et
illicites, et qui permettra de réduire les dommages causés non
seulement par les drogues mais aussi par les régimes de
surveillance.
|
| Beaucoup d'analystes affirment que nos régimes de lutte contre
les drogues font indirectement plus de mal que de bien. La
prolifération soudaine du VIH et du VHC chez les consomma
teurs de drogues injectables est souvent citée à titre d'exemple.
|
| En 1998, les responsables de la santé publique de Colombie-
Britannique ont rédigé un rapport. L'une de leurs recommanda
tions est que le gouvernement fédéral modifie la loi réglementant
certaines drogues et autres substances afin d'encadrer la disponi
bilité légale de certaines drogues de l'annexe 1 dans un régime
d'ordonnances médicales étroitement contrôlé, le tout s'insérant
dans un arsenal complet de mesures de lutte contre les
toxicomanies; la possession de petites quantités de drogue
réglementée serait alors décriminalisée, mais les délits relatifs à
l'importation et au trafic demeureraient et l'exécution de la loi
serait renforcée.
|
| Le cadre d'examen de différents régimes de réglementation a
été élaboré en 1984 par le psychiatre britannique Marks. C'est un
cadre simple, appelé «le paradoxe de l'interdiction» qui,
essentiellement semble indiquer que les dommages causés par une
drogue peuvent être représentés par une courbe en «U», où la
demande se trouve en ordonnée et le régime de réglementation en
abscisse. Au sommet des deux branches du «U», la demande et la
consommation sont au maximum, tout comme les dommages
causés. À l'une des extrémités de l'axe de la réglementation, qui
correspond à l'interdiction, les dommages sont causés non
seulement par les effets directs de la drogue, ou de ses adultérants,
mais aussi par de mauvaises habitudes de consommation
(infections, mort par surdose), les crimes commis pour se procurer
de la drogue, les coûts sociaux des procédures judiciaires et des
établissements de détention, les conséquences d'avoir un casier
judiciaire, les coûts associés à la corruption des forces policières
et les coûts de renonciation de l'application de la loi.
|
| L'exemple que Marks donne à ce sujet est l'époque de la
prohibition en Amérique du Nord. Il est vrai que la quantité totale
d'alcool consommée aux États-Unis a diminué pendant la
prohibition, mais les torts causés par l'alcool se sont multipliés. Si
la fréquence de la cirrhose du foie a diminué, plus de
1 000 personnes ont été tuées par la police dans le cadre de
l'application de la loi. Et ces victimes n'étaient pas des trafiquants
d'alcool. Nous savons déjà que les guerres intestines entre les
gangs de trafiquants d'alcool ont certainement contribué à gonfler
ces chiffres.
|
| Pour d'autres auteurs, l'actuelle «guerre aux drogues» déclarée
aux États-Unis en est un exemple encore plus éloquent. À l'autre
extrémité de l'axe de la réglementation, il y a le libre marché
absolu, sans aucune entrave pour la production commerciale et la
distribution du produit. Le portrait que fait Hogarth de l'Angleter
re avec ses bars louches et son intoxication généralisée est
probablement ce qui correspond le plus à la définition que Marks
fait de l'«intoxication épidémique», alors qu'on pouvait être «ivre
pour quelques sous, ivre-mort pour à peine plus» selon le slogan
publicitaire de l'époque.
|
| Au centre, au bas du «U» proposé par Marks, il y a un point où
les extrêmes de l'interdiction ou du marché libre absolu ont été
modulés, et pourtant où la consommation pourrait être modérée et
les dommages associés à la consommation et à la surveillance
limités. C'est ce qu'on appelle l'«approche de santé publique».
Dans le contexte de réglementation actuel, c'est au centre du bas
du «U» que l'on retrouve les drogues licites les plus réglementées,
celles qui sont contrôlées et prescrites par ordonnance par les
professionnels de la santé. La position des psychotropes, le tabac
et l'alcool se situent vers la droite de la courbe.
|
| Le tabac s'est lentement déplacé de la droite, qui correspond à
un marché entièrement libre, vers le centre au cours des vingt
dernières années, tandis que l'alcool s'est éloigné de l'extrême
gauche de la courbe parce que, après la levée de l'interdiction
complète, il est devenu un produit rigoureusement réglementé,
assujetti au monopole de l'État comme l'était le marché canadien
des boissons alcooliques dans les années 60, s'apparentant ainsi
aux médicaments prescrits, pour se déplacer maintenant de façon
continue vers l'extrême droite, étant donné que les gouvernements
et l'«industrie des rafraîchissements» visent de plus en plus à
normaliser sa consommation. Ainsi, les restrictions en matière de
publicité son abolies, la vente le dimanche et tard en soirée est
autorisée, certaines provinces ont privatisé leur ancien monopole
et d'autres ont décidé de permettre la vente de bière et de vin dans
les magasins du coin.
|
| En même temps, les dommages associés à sa consommation
diminuent dans un certain sens, et nous en sommes arrivés à
reconnaître que, pour les adultes de 50 ans et plus, une
consommation modérée d'alcool est bénéfique pour la santé. Il
reste à savoir toutefois si l'accès accru à l'alcool a été aussi
favorable pour les jeunes et les buveurs dysfonctionnels.
|
| Le Dr Harold Kalant, qui a déjà comparu devant vous au cours
des audiences a beaucoup écrit sur les substances psychotropes,
notamment un traité dans lequel il se demande s'il est possible
d'établir un cadre de réglementation fondé uniquement sur les
effets pharmacologiques et physiologiques des drogues. Il a
conclu que nos connaissances en la matière étaient insuffisantes
mais que, même si nous avions les connaissances voulues, nos
valeurs culturelles et symboliques jouaient un rôle tout aussi
important dans ce que nous approuvons et dénigrons, et que
même essayer d'établir ce cadre pourrait s'avérer inutile.
|
| Le Sénat nous donne toutefois l'occasion d'essayer de nouveau
de rendre rationnel le monde irrationnel des drogues et, même si
nous ne le rendons pas parfaitement rationnel, je suis d'avis que
nous pouvons concevoir un meilleur régime de réglementation
que celui que nous avons aujourd'hui.
|
| Pour revenir au modèle de Marks, je cite le travail d'un de mes
anciens collègues des Services de toxicomanie de Colombie-Bri
tannique - Mark Haden - qui a proposé un certain nombre de
possibilités le long de l'axe. Il en a énuméré sept, mais il serait
toujours possible d'accroître ou de réduire ce nombre.
|
| Un plus loin se trouve la législation et l'imposition de
restrictions sur les produits, comme l'emballage, la commerciali
sation, les modes de vente, la publicité, et cetera, puis la
législation et l'imposition de restrictions visant les produits et les
consommateurs, comme l'âge de l'acheteur, le volume d'achat, la
preuve de résidence, et cetera, puis l'accès sur ordonnance
seulement, puis la décriminalisation de fait, par exemple, en ne
tenant pas compte des lois en vigueur, puis à l'autre extrémité, le
maintien de la criminalisation telle qu'elle existe actuellement.
|
| De façon plus spécifique et plus restreinte, en 1998, le Groupe
de travail national du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme
et les toxicomanies chargé d'étudier la politique en matière de
toxicomanie a proposé, au sujet de la réglementation nécessaire
dans le cas du cannabis, une série de mesures plus souples pour
lutter contre le cannabis, tout en maintenant cependant son statut
de drogue illicite. On proposait entre autres: l'amende seulement,
une option d'infraction d'ordre civil, une option de déjudiciarisa
tion et une option consistant à envisager le transfert des
responsabilités en la matière aux provinces.
|
| À la suite de cette analyse, le groupe a formulé une série de
recommandations dont la première était la suivante: la peine en
cas d'accusation de possession de cannabis devrait être réduite.
Plus précisément, la possession de cannabis devrait devenir une
infraction d'ordre civil en vertu de la Loi sur les contraventions.
|
| Le groupe a aussi recommandé d'offrir un traitement de
désintoxication aux gros consommateurs ou à ceux qui consom
ment d'autres drogues illicites, d'assortir toute modification
apportée à la loi d'une évaluation des niveaux de consommation
et des dommages ultérieurs et de joindre à toute modification
apportée à la loi pour atténuer les conséquences pour les
consommateurs de cannabis un message clair indiquant que nous
ne sommes pas pour autant moins préoccupés par les éventuels
problèmes liés à la consommation de cannabis.
|
| Ces recommandations semblent judicieuses quoique conserva
trices - décriminalisation et évaluation plutôt que légalisation -
et conformes à l'opinion de la majorité des Canadiens, y compris
les milieux de la police et de la santé publique.
|
| Cependant, une mise en garde est nécessaire. Si le Canada
adoptait cette recommandation, nous devrions prendre des
mesures pour éviter de reproduire ce qui s'est passé en Australie,
où l'établissement d'un «programme expiatoire pour le cannabis»
a eu en fait pour effet «d'élargir le filet» parce que les policiers
ont donné des contraventions à des consommateurs qu'ils avaient
ignorés auparavant.
|
| Beaucoup de contrevenants n'ayant pas payé leurs amendes ont
été condamnés par le système de justice pénale, ce qui a
involontairement fait en sorte que le nombre de personnes
incriminées est aussi important sinon plus qu'avant l'adoption de
la nouvelle mesure.
|
| On peut se demander si, compte tenu sur ce que nous savons
sur le cannabis par rapport à l'alcool, un régime semblable mais
plus sévère serait justifié. C'est-à-dire, l'État pourrait-il mettre en
place un contrôle de la production et de la vente au détail ainsi
qu'un accès plus limité, avec limites d'âge, restrictions géographi
ques, quantitatives, et cetera? Quand je suis arrivé en Ontario, en
1972, si je voulais acheter une bouteille de vin, je devais me
rendre dans une boutique anonyme, consulter une liste de
produits, écrire ma demande sur un bout de papier et la remettre à
un commis qui disparaissait dans l'arrière-boutique et revenait
avec une bouteille emballée dans un sac de papier brun. Je payais
mon achat et je m'en allais.
|
| Cette approche permettrait au gouvernement de percevoir des
taxes qui pourraient servir à l'éducation et au traitement. Cette
solution reçoit l'appui d'un certain nombre de mes collègues en
Colombie-Britannique. Même si elle est tout à fait raisonnable, je
ne crois pas qu'elle serait acceptable pour le moment. Il faut en
effet penser aux obligations du Canada en vertu des traités
internationaux, même si je constate que, selon les conditions du
Programme des Nations Unies pour le contrôle international des
drogues, aucune des Conventions n'exige qu'une partie condamne
ou punisse ceux qui ont commis de telles infractions, même
quand elles sont réputées être punissables; des mesures de
rechange peuvent toujours être substituées à la condamnation au
criminel.
|
| C'est par conséquent avec certaines réserves que j'appuie les
recommandations du groupe de travail du Centre canadien de lutte
contre l'alcoolisme et les toxicomanies. Les faits et les analyses
indiquent toutefois que nous pourrions faire mieux, si nous
faisions preuve d'initiative.
|
| Le président: Si je comprends bien, votre recommandation se
trouve au paragraphe précédant l'avant-dernier, n'est-ce pas?
|
| Dr Kendall: Oui.
|
| Le président: Compte tenu du climat politique, vous croyez
toutefois que la recommandation qui pourrait être appliquée serait
celle de 1998?
|
| Dr Kendall: À tout le moins, on pourrait appliquer la
recommandation de 1999.
|
| Le sénateur Banks: Dr Kendall, vous avez inclus dans cette
recommandation des restrictions d'accès strictes. Quelles seraient
ces restrictions et à qui s'appliqueraient-elles? Seraient-elles
semblables aux restrictions d'âge qui s'appliquent à la vente de
tabac et d'alcool?
|
| Dr Kendall: On pourrait mettre en place un régime axé sur les
restrictions d'âge - les restrictions géographiques, le nombre de
points de vente, le régime de licences et la réglementation de ces
points de vente, la quantité de produits qui peut être vendue et
l'état de la personne à qui elle est vendue. On pourrait par
exemple avoir un régime semblable à celui en vigueur pour
l'alcool.
|
| Le sénateur Banks: Ce régime est toutefois extrêmement
inefficace dans le cas du tabac.
|
| Dr Kendall: Si on voulait limiter le nombre d'endroits où l'on
vend du tabac, il serait plus efficace de limiter la vente de ce
produit aux pharmacies plutôt que d'autoriser la vente dans tous
les dépanneurs. Les pharmaciens licenciés, ils peuvent retirer le
produit de la vente libre. Ils ont plus avantage à limiter l'accès
aux produits que les propriétaires de dépanneur.
|
| Le sénateur Banks: Au début de votre exposé, vous avez dit
qu'il y avait eu, en 1999, 26 000 condamnations pour possession.
Un peu plus tôt aujourd'hui, M. Fischer a dit qu'il y en avait eu
36 000. Pourriez-vous me laisser savoir lequel de ces chiffres est
le bon ou d'où ils proviennent l'un et l'autre.
|
| Dr Kendall: J'ai dit qu'il y avait plus de 26 000 accusations. Il
faudrait que je discute avec M. Fischer et que nous précisions les
chiffres.
|
| Le sénateur Banks: Si je pose cette question, c'est qu'il est
préférable que les chiffres soient uniformes, bien que je ne suis
pas certain de leur utilité.
|
| J'apprécierais que vous nous le fassiez savoir. De cette façon,
nous pourrons être sûrs que votre argument de base est qu'il ne
faudrait pas inclure le cannabis dans le régime actuel, comme il
l'est dans la loi réglementant certaines drogues et autres
substances. Vous avez dit que le cannabis y avait été inclus, à tort,
avec d'autres substances. J'aimerais que vous nous expliquiez ces
observations du point de vue professionnel.
|
| Pour ce qui est de la question du cannabis en tant que drogue
d'introduction, mes enfants ont passé l'âge, mais je m'inquiète
maintenant pour mes petits-enfants.
|
| Peu m'importe que le cannabis soit une drogue d'introduction
pour une quelconque raison physiologique - dont on nous a dit
qu'elle n'existe pas - ou est-ce que le même vendeur de drogues
dans la cour d'école pourrait ajouter un peu d'autres drogues à du
cannabis pour la faire connaître aux jeunes et même pour les
rendre dépendants.
|
| Mais en tant que grand-parent, parent ou personne intéressée à
un degré quelconque, je m'inquiéterais de la possibilité que le
cannabis puisse mener, pour quelque raison que ce soit, à l'usage
d'autres drogues. Croyez-vous que nous puissions faire la
distinction entre les différentes façons par lesquelles cette
introduction peut se produire? Dans le régime actuel, du moins,
les criminels peuvent se procurer toutes les drogues illicites, par
définition, et les mélanger, n'est-ce pas? Vous et M. Fischer avez
parlé, je crois, de mélanges, lorsque vous parlez de la disponibilité
de ces drogues. Peut-on sérieusement dire que ce facteur
d'introduction n'existe pas?
|
| Dans le même ordre d'idées, des scientifiques, des médecins et
d'autres personnes du domaine de la médecine nous ont dit qu'il
est clair, démontrable et irréfutable que le cannabis n'est pas une
drogue d'introduction. Par contre, des agents de police qui
travaillent dans les rues et sont confrontés chaque jour à ce
problème disent le contraire. Qui devons-nous croire? Comment
devons-nous décider de qui nous croirons? Les policiers, ceux qui
travaillent dans ce domaine tous les jours, ont-ils raison, ou vaut-il
mieux croire les scientifiques qui disent qu'il n'existe aucune
preuve physiologique?
|
| Dr Kendall: À bien des égards, les scientifiques et les policiers
parlent de deux choses différentes. Pour un policier, quiconque
enfreint une loi risque d'en enfreindre une autre. Les policiers
sont au centre-ville auprès des gens. Ils ont un peu la même
perspective que moi, lorsque je travaillais dans une clinique
populaire et que tous les jeunes que je soignais dans cette clinique
étaient atteints de maladies transmises sexuellement. Il était facile
pour moi d'en conclure que tous les jeunes ont une vie sexuelle
active et qu'ils ont tous des maladies transmises sexuellement,
compte tenu de ma clientèle. Dans ce milieu, je ne voyais qu'un
nombre limité de jeunes par rapport à tous ceux qui existent. Les
policiers tirent des conclusions valables pour la population auprès
de laquelle ils travaillent, mais cette population n'est pas
représentative de l'ensemble des jeunes.
|
| La thèse qui veut que le cannabis soit une drogue d'introduc
tion s'appuie sur l'argument suivant: le cannabis affecte le
cerveau de l'usager et y crée un besoin pour d'autres drogues. Ce
besoin ne peut être satisfait qu'en consommant des drogues plus
fortes et en plus grande quantité. Voilà la théorie classique de la
drogue d'introduction, qui ne tient pas debout.
|
| Toutefois, lorsque nous regroupons toutes les drogues et
enseignons à nos enfants que tous ces produits sont aussi mauvais
les uns que les autres, nous sommes portés à assimiler tous les
marchés. Il ne devrait pas nous étonner d'apprendre que lorsque
les enfants font l'essai d'une substance, ils constatent qu'ils n'en
perdent pas la raison. Ils ne se réveillent pas le lendemain matin
en proie à un syndrome de dépendance aiguë. Leurs amis
n'éprouvent pas de problèmes à la suite de l'usage des drogues.
Alors pourquoi devraient-ils nous croire lorsque nous leur
affirmons que telle autre drogue - qui, dans leur esprit, n'est ni
plus ni moins illégale que l'autre - est plus dangereuse ou
nuisible? Ils ne le croient pas. Ils seront peut-être même portés à
faire l'essai de cet autre produit pour en avoir le coeur net.
|
| Les Pays-Bas nous fournissent des preuves solides à l'appui de
cette théorie puisque, grâce aux cafés où l'on vend du cannabis et
à la décriminalisation de la possession de petites quantités, on est
parvenu à y séparer les deux marchés de la drogue. Aux
Pays-Bas, l'usage des drogues dures, l'héroïne et la cocaïne, est
beaucoup moins répandu qu'aux États-Unis et dans les autres
pays où les deux marchés sont semblables et se côtoient.
|
| Le sénateur Banks: Les drogues dures y sont-elles moins
utilisées qu'elles ne l'étaient avant cette séparation des marchés?
|
| Dr Kendall: Oui, et l'âge moyen des utilisateurs de drogues
injectables aux Pays-Bas augmente sans cesse, ce qui montre
qu'on a réussi à y séparer les marchés et qu'il n'y a pas d'effet
d'introduction aux drogues injectables. Les plus jeunes ne
viennent pas élargir les rangs de la cohorte des usagers.
|
| La situation est différente au Canada. Ce sont des jeunes qui,
régulièrement, se joignent à la cohorte des utilisateurs de drogues
injectables. Nous n'avons pas réussi à séparer ces marchés.
|
| Le sénateur Banks: Dans l'état actuel des choses au Canada,
si je me fie à ce que vous venez de dire, on pourrait donc conclure
qu'il y a effet d'introduction direct d'une drogue à une autre dans
le but de satisfaire un besoin mais qu'il y a un lien entre les deux
dans le régime canadien actuel.
|
| Dr Kendall: Dans de nombreux cas, les deux types de produits
sont offerts en même temps.
|
| Le sénateur Banks: J'en reviens à mon argument précédent.
Qu'il y ait ou non effet d'introduction au sens médical, la question
est presque secondaire. Parce que nous n'avons pas séparé ces
deux types de drogues au pays, un lien existe entre l'utilisation,
d'une part, d'une drogue que vous qualifiez de relativement
inoffensive et, de l'autre, de drogues qui sont assurément plus
nocives.
|
| Dr Kendall: Du point de vue statistique, le lien est
manifestement faible. Deux pour cent seulement des usagers du
cannabis font l'essai d'autres drogues qui sont peut-être offertes
par le même revendeur. D'après mes conversations, au fil des ans,
avec ma fille de 24 ans, il y a une certaine démarcation des
marchés. Les drogues offertes dans les écoles secondaires de sa
région, c'est-à-dire à Vancouver, sont généralement des drogues
douces comme le cannabis, tandis que le marché du centre-ville
offre à la fois les drogues douces et les drogues dures. Il y a une
certaine différenciation des marchés selon le milieu.
|
| Les groupes de discussion organisés dans 46 écoles secondaires
de l'Ontario ont révélé que, dans certaines régions, les deux types
de drogues étaient intégrées. De façon plus générale, nous avons
constaté que les marchés s'adaptaient à la demande, et que c'était
le cannabis, et non les drogues dures qui étaient en demande.
D'après cette étude, la plupart des jeunes des écoles secondaires
considèrent que l'utilisation des drogues dures, c'est pour les
zéros, tout comme l'utilisation quotidienne du cannabis. Il n'y
avait pas de marché comme tel dans les écoles secondaires.
|
| Le sénateur Banks: Les enfants sont rendus beaucoup plus
loin que nous. Ils ont fait la distinction.
|
| Dr Kendall: Si nous les écoutions et tenions compte de ce
qu'ils nous ont dit, nous aurions un programme de prévention
beaucoup plus efficace.
|
| Le président: Je sais que ma question est difficile pour un
chercheur mais, compte tenu de ce que nous savons de
l'utilisation du cannabis et des tendances actuelles, cette drogue
représente-t-elle toujours un problème de santé publique?
|
| Dr Kendall: Le problème est beaucoup moins grave que ceux
engendrés par l'alcool et le tabac. Le cannabis pose un problème
pour certains enfants, que nous pouvons identifier. Ce sont les
enfants qui n'ont pas bénéficié d'un plein développement pendant
la jeune enfance. Ce sont les enfants qui, pendant les années
préscolaires, ne sont pas prêts à l'apprentissage. Ce sont les
enfants des écoles élémentaires et secondaires qui sont aux prises
avec des troubles d'apprentissage et des troubles affectifs par
rapport à l'école et à la collectivité. Nous pouvons les aider à
exercer des choix judicieux en les éduquant. Nous pouvons aussi
identifier ceux qui ont besoin d'un soutien spécial, d'alphabétisa
tion ou d'éducation sur le plan du comportement social.
|
| Le président: Qui devrait dispenser cette éducation?
|
| Dr Kendall: Les éducateurs devraient provenir de différents
milieux. Les services policiers peuvent jouer un rôle. Quand vient
le temps d'encourager des choix judicieux par rapport aux
substances psychoactives, chez les enfants en bas âge, toute
personne représentant l'autorité, qu'il s'agisse d'un parent, d'un
agent de police ou d'un enseignant est jugée crédible. À mesure
que l'enfant vieillit et commence à remettre en question l'autorité,
il faut adopter, à mon avis, une approche moins autoritaire, une
approche par les pairs, une forme d'éducation respectueuse, qui
présente les faits et exprime aux jeunes les choix que nous
souhaitons les voir effectuer. La même approche ne fonctionne
pas pour tout le monde. Et il y a les enfants à haut risque, qui
exigent une toute autre approche.
|
| Ma réponse reprend largement celle de M. Fischer. L'informa
tion doit venir de sources multiples, et le contenu doit être précis
et homogène. Les mass média, la culture populaire, les
enseignants, les parents et les éducateurs spéciaux, tous ont un
rôle à jouer.
|
| Le président: Pendant votre entretien avec le sénateur Banks,
vous avez employé l'expression «marché intégré». Le marché
est-il intégré parce que ces substances sont illégales, ou doit-on
déduire de votre témoignage et de la réponse que vous avez
donnée au sénateur Banks que si l'une de ces substances était
réglementée mais non illicite, c'est-à-dire dispensée sur recom
mandation personnelle, le marché ne serait pas intégré?
|
| Dr Kendall: D'après moi, le marché ne serait pas intégré.
C'est une hypothèse qui pourrait faire l'objet d'une recherche, et
nous pourrions en avoir le coeur net.
|
| Le président: Nous avons donc un laitier qui vend non
seulement du lait mais aussi de la crème glacée et tout le reste
parce que tous les produits qu'il vend sont prohibés. Si l'une de
ces substances n'était pas interdite, l'accès aux drogues dures ou
aux substances illicites serait coupé faute de demande.
|
| Dr Kendall: C'est ce que je suppose oui, et mon hypothèse est
étayée par l'expérience néerlandaise et par des recherches.
|
| Le président: Nous consacrerons toute une journée à l'étude
de l'expérience néerlandaise. Il sera intéressant d'apprendre
quelles sont les tendances d'utilisation des drogues douces et
dures dans ce pays, et la réalité risque de nous surprendre. J'ai
hâte d'entendre ces témoignages.
|
| Vous parliez de conventions internationales. Pouvez-vous nous
expliquer un peu nos options? Il est facile de dire que nous
aimerions pouvoir agir mais que nous avons les mains liées. Dans
votre témoignage, vous avez dit que nous pourrions aller au-delà
de la réponse facile «en interprétant», pour employer le jargon des
avocats, les conventions de façon à comprendre le sens du texte.
Pouvez-vous préciser?
|
| Dr Kendall: Je craignais une telle question.
|
| Le président: C'est un sujet délicat.
|
| Dr Kendall: Je ne suis pas avocat et je n'ai pas étudié les
conventions en détail. Toutefois, je vous rappelle que le PNUCID
affirmait, dans son rapport mondial sur les drogues de 1997,
qu'aucune de ces conventions n'oblige les autorités à condamner
ou à punir ceux qui commettent de telles infractions, même s'ils
sont passibles d'une peine. D'autres méthodes alternatives
peuvent toujours remplacer les poursuites pénales. Cela laisse la
porte ouverte, et je vous recommande d'obtenir un avis juridique
sérieux sur les options et les conséquences qui découlent de cette
ouverture dans le contexte du cadre réglementaire international.
D'après mon interprétation, le texte ouvre la voie à l'abandon
d'un régime d'interdiction en faveur d'un régime de réglementa
tion.
|
| Le président: Vous êtes de Vancouver, et Vancouver est
probablement le centre de la production du cannabis au Canada à
l'heure actuelle. Que pouvez-vous nous dire à propos de la
réaction de vos voisins au sud de la frontière?
|
| Dr Kendall: Les différents services de police disent que la
frontière canadienne est trop perméable et que les tribunaux
canadiens sont trop indulgents vis-à-vis les personnes inculpées
d'infractions liées au cannabis. Par conséquent, la GRC en
Colombie-Britannique a intensifié ses efforts visant l'application
de la loi et la sécurité.
|
| Je ne crois pas que les États-Unis constituent un monolithe ni
que les opinions des services de police américains, ou même de
certains sénateurs, reflètent les opinions d'un échantillon repré
sentatif d'Américains. Bon nombre d'États ont adopté des lois
pour décriminaliser et permettre l'utilisation de la marijuana à des
fins médicinales. Aucun État n'a une seule opinion et les opinions
au niveau fédéral diffèrent de celles des États. L'opinion des
médecins et des chercheurs est différente aussi.
|
| Le président: C'est la dernière partie de votre réponse qui
m'intéresse le plus. Vous restez en contact avec vos homologues
professionnels de l'autre côté de la frontière. Quelle est leur
compréhension du sujet? Sont-ils sur la même longueur d'onde
que vous? Bien sûr, nous allons leur poser ces questions, mais
pensez-vous qu'ils seraient prêts à appuyer votre recommandation
personnelle?
|
| Dr Kendall: Je dirais que la majorité des chercheurs dans le
domaine de la santé et de la toxicomanie auxquels j'ai parlé, et je
n'ai pas consulté tout le monde, favoriseraient une approche
fondée sur la santé publique, une solution de compromis visant à
minimiser les dommages, à les mesurer et à les atténuer. Je ne
parle pas simplement des dommages causés par les substances et
l'utilisation de ces substances, mais aussi celles qu'entraîne
l'approche réglementaire. Les deux extrêmes du spectre politique
ont des opinions assez tranchées quant aux drogues intraveineuses
et illicites et à l'impact de la guerre contre les drogues sur la santé
du peuple américain.
|
| Le président: Dans vos dernières remarques, vous avez fait
référence à une recommandation pragmatique. Elle est influencée
par des principes non pas scientifiques, mais plutôt moraux et
historiques. Voici ma dernière question, et si vous préférez
répondre par écrit, n'hésitez pas à le faire. Quelles lignes
directrices devraient influencer la politique publique en matière de
drogues illicites? Évidemment, la science a un rôle à jouer, mais
quel est le rôle des moeurs et quel devrait être le rôle des lois
pénales? C'est une question assez vaste; comme je l'ai déjà
mentionné, si vous voulez, vous pouvez nous envoyer votre
réponse par écrit.
|
| Dr Kendall: Je vous fournirai des commentaires par écrit avec
plaisir. Certains de nos principes inhérents devraient être centrés
sur les libertés personnelles et le respect des choix d'autrui. Il
faudrait éviter les questions où l'on fait des choses pour le bien
des gens au lieu de se concentrer sur les questions qui causent du
tort à autrui. Si l'on essaie de restreindre les comportements et la
liberté de choix, il faudrait se limiter aux domaines où il est
prouvé que ces comportements causent du tort à autrui. Il faudrait
chercher différents moyens de modifier ces comportements. Je
suis sûr que de nos jours, nous nous sommes écartés de ces
principes et que les contraintes sociales que nous avons imposées
au choix des individus et ce qui se passe une fois que les
individus ont fait ces choix dans le contexte de nos efforts de lutte
actuels cause plus de tort aux gens que si on permettait aux
individus de faire des choix et qu'on essayait d'atténuer les
dommages subséquents. Nous avons amplifié les torts causés par
des mauvais choix faits par les gens.
|
| Le président: Peu importe les arguments des scientifiques et
des spécialistes, un grand nombre de gens affirment, en dépit des
efforts tentés pour fournir des preuves, que ces arguments sont
moralement indéfendables. Même si l'on peut soutenir raisonna
blement que la moralité ne devrait pas influencer la politique
gouvernementale, elle influence en fait les décisionnaires.
|
| Le sénateur Banks: Vous avez entendu la question que j'ai
posée à M. Fischer tout à l'heure. Notre pays et d'autres ont des
lois qu'on considère civilisées et morales concernant, entre autres,
le suicide, qui prévoient qu'on ne doit pas faire de tort à autrui,
que c'est répréhensible. Bien entendu, il n'y a pas de solutions
simples dans le cas de l'avortement, car il n'existe pas de
définition scientifique du moment où commence la vie. On
pourrait prétendre qu'il y a bien des choses qui ne font pas tort à
un tiers mais qui sont interdites par des lois pour des raisons
morales. Vous n'avez pas dit que d'autres droits fondés sur la
moralité doivent être modifiés.
|
| Voulez-vous répondre brièvement à la question que vous a
posée le président concernant la différence entre une loi dont la
seule raison d'être c'est de réduire le tort causé à autrui, et une loi
qui prévoit qu'une activité donnée, même si elle cause du tort
uniquement à son auteur, n'est pas conforme à la moralité et donc
est défendue par la loi. Beaucoup de gens croient qu'il faut avoir
des lois fondées uniquement sur des considérations morales,
comme c'est le cas. Faut-il simplement ne pas tenir compte de cet
argument?
|
| Dr Kendall: Je dirais que la valeur morale des substances de
qualifiées d'illicites provient d'une volonté d'aider les gens et de
les empêcher de se faire mal. Je pense qu'on a évalué les torts et
les avantages qui pourraient résulter de l'utilisation de ces
substances. On pourrait avancer un argument assez solide pour
dire que les torts causés par la lois par suite de la position morale
adoptée l'emportent sur les avantages.
|
| Le sénateur Banks: Par extrapolation, faut-il dire concernant
les autres drogues que la question morale ne se pose pas parce que
ces drogues font du tort uniquement à ceux qui sont assez sots
pour se piquer?
|
| Dr Kendall: Je pense qu'on peut qualifier de moraux nos
efforts actuels pour limiter l'usage de l'héroïne injectable, qui a
entraîné des milliers de morts évitables dus à la surdose, et des
milliers d'infections évitables aussi. Si on fait le bilan des torts et
des biens, je dirais que du point de vue moral le régime actuel de
lutte contre les drogues injectables est très immoral, parce qu'il
nous empêche de mettre en place des programmes et des pratiques
qui vont empêcher les gens de mourir et d'autres de contracter des
infections et de se faire encore plus mal.
|
| Le sénateur Banks: Si on pousse l'argument un peu plus loin,
on pourrait dire qu'à tous les points de vue, moraux et autres, il
serait logique de décriminaliser l'usage des drogues.
|
| Dr Kendall: Je pense que oui. Il faut choisir le régime avec
soin. Mes collaborateurs et moi ont publié un document en 1998
dans lequel nous avons dit qu'il serait plus avantageux pour la
société et pour les narcomanes d'avoir un régime très serré qui
nous permette de délivrer des ordonnances, plutôt que d'avoir le
régime actuel qui fournit, de façon illicite, des substances
impures. Nous n'avons aucune prise sur un tel régime. Ce n'est
pas comme si on voulait passer d'une situation où il n'y a pas de
drogues illicites dans la rue à une inondation de médicaments
prescrits. À Vancouver, on passe d'une situation où le centre-ville
est inondé de drogues de pureté douteuse à une situation où on
pourrait contrôler dans un contexte médical la quantité et la pureté
des drogues. De cette façon, on pourrait limiter les morts et les
maladies et réduire la souffrance humaine.
|
| Le sénateur Banks: Vous avez dit tout à l'heure qu'il y a des
recherches en cours au sujet de l'usage médical dont vous avez
parlé. L'émission de la CBC, Quirks and Quarks, portait
justement sur cette question l'autre jour. Le Dr Donald Abrams,
qui fait des recherches sur le cancer et sur le sida à l'Université de
Californie à San Francisco, a été interviewé à cette émission. Il a
fait des essais cliniques pour savoir si le cannabis possède
véritablement les avantages médicinaux fondés sur les preuves
empiriques selon lesquelles le corps produit des cannabinoïdes et
par quelques cas anecdotiques. L'animateur de l'émission,
M. MacDonald, a dit:
|
| Il n'existe pas beaucoup de preuves scientifiques valables
pour justifier l'usage de la marijuana à des fins médicales.
Nous n'avons pas encore déterminé son efficacité grâce à des
essais cliniques bien conçus et bien encadrés. Mais ce n'est
pas par manque d'efforts.
|
| C'est le Dr Abrams qui a dit:
|
| Il faut se rappeler qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle
découverte. On se sert de la marijuana comme composé
thérapeutique depuis des milliers d'années. Il est donc clair
qu'il s'agit d'une substance ayant des avantages thérapeuti
ques. Vous savez que je disais toujours que si la science
pouvait survivre à la politique, nous procéderions aux ces
essais. Voici un autre exemple de ma naïveté: car la science
et la politique sont tellement interreliées qu'il est impossible
de savoir laquelle va pouvoir survivre et triompher de
l'autre.
|
| Il fait référence à la situation aux États-Unis et au manque de
volonté politique en matière de recherches en ce qui concerne
l'efficacité de l'usage de la marijuana à des fins médicales. Vous
dites qu'il y a des essais en cours. En fait-on?
|
| Dr Kendall: Oui.
|
| Le sénateur Banks: Où?
|
| Dr Kendall: Santé Canada a prévu le financement ainsi que les
paramètres en vue de la recherche médicale sur l'usage de la
marijuana à des fins médicales. Je ne sais pas exactement qui fait
les essais cliniques, mais toute une série d'essais sont en cours.
|
| Le président: L'Université McGill à Montréal étudie l'action
sédative de la marijuana. Cette université a reçu une subvention il
y a un mois et demi.
|
| J'aimerais revenir au modèle du Dr Marks. Savez-vous s'il
existe une étude empirique pour ce modèle? S'agit-il simplement
d'une proposition ou d'une idée, ou est-ce que ce modèle a fait
l'objet d'une étude?
|
| Dr Kendall: On n'a pas fait une seule étude. C'est une idée, un
modèle. Cependant, on peut utiliser certaines données pour
déterminer l'impact des différents régimes réglementaires sur
l'usage des drogues et l'impact de ces régimes sur des personnes
et la société dans son ensemble. Par exemple, on pourrait
examiner l'utilisation du tabac, le nombre de personnes qui
fument, les cancers pulmonaires et le nombre de maladies
cardiaques qui résultent d'une approche axée purement sur
l'économie du marché et les comparer à la diminution du
tabagisme et des maladies cardiaques subséquentes tirées des
données de la Californie. Les données du Canada qui portent sur
les cancers pulmonaires chez les hommes témoignent du
problème de tabagisme et reflètent nos attitudes envers le tabac,
ce qui reflète, à son tour, jusqu'à quel point on décide de
promouvoir ou de ne pas promouvoir le produit ou d'en limiter
l'accès. Pour presque toute substance psychoactive, vous pourriez
examiner l'impact des différents régimes et procéder à des tests.
C'est en partie le résultat d'une telle étude qui a mené à ce
modèle.
|
| Le président: C'est une façon intéressante d'examiner la
situation actuelle ainsi que les options et les solutions de rechange
possibles.
|
| Pour en revenir à l'influence de la moralité sur l'élaboration de
la politique, pourriez-vous nous dire pourquoi, étant donné vos
connaissances et celles de vos collègues du milieu scientifique
canadien, il y a une telle divergence et pourquoi ne se
reflète-t-elle pas parmi la population pour influencer les gens est
moralement répréhensible? Il me semble que vous nous fournissez
des renseignements qui sont à la fois sensés et raisonnables et je
suis certain que ce que vous dites n'est pas nouveau. Comment se
fait-il que ce message n'atteint pas la population en général?
|
| Dr Kendall: Les sociologues ont écrit de nombreux ouvrages
pour répondre à cette question.
|
| Je crois que l'information commence à s'infiltrer. Il y a des
groupes forts qui font contrepoids et qui s'opposent fondamenta
lement à certaines de ces approches pour diverses raisons. Le
Dr Mathias en discutera peut-être cet après-midi.
|
| Quant au cannabis, par exemple, il est clair que les policiers sur
la ligne de front ne veulent pas perdre un outil; ils se voient
handicapés dans la lutte contre les éléments criminels. Dans mes
entretiens avec de nombreux policiers, je peux vous dire qu'ils ne
veulent pas perdre ce qui leur semble un outil utile. À mon avis,
c'est-à-dire du point de vue d'un scientifique, le fait que cet outil
utile entraîne de nombreuses conséquences non intentionnelles et
indésirables importe peu aux policiers. S'ils perdent cet outil, ils
seront fâchés.
|
| Le président: Vous nous dites donc qu'il existe vraiment des
gens qui s'opposent de bonne foi à tout changement parce qu'ils
considèrent qu'une telle chose serait moralement répréhensible
mais qu'il existe un autre groupe, qui n'agit pas de bonne foi, et
qui s'oppose à tout changement pour des raisons qui n'ont rien à
voir avec la question morale.
|
| Dr Kendall: Oui, pour des raisons pratiques. Par exemple, un
groupe qui fait le marketing et la vente des drogues illicites et
dont les profits sont largement supérieurs à ceux qu'il pourrait
réaliser en vertu d'un régime réglementaire. Il est dans l'intérêt
d'un tel groupe de préserver le statu quo. Je vous parle des
médicaments que les entreprises pharmaceutiques pourraient
fabriquer pour quelques cents l'once et qu'elles vendent mainte
nant pour des centaines de milliers de dollars.
|
| Monsieur le président, puis-je vous montrer deux autres
diapositives?
|
| Le président: Bien sûr.
|
| Dr Kendall: La première diapositive est une comparaison de
l'emploi du cannabis chez les adolescents aux États-Unis et aux
Pays-Bas pendant plus ou moins la même période, c'est-à-dire
1994, 1996 et 1997. Toutes choses égales, si l'on vous demandait
de choisir un régime réglementaire qui minimisait l'emploi du
cannabis, vous considériez probablement et à juste titre le pays
ayant l'utilisation la plus faible.
|
| Le président: Si on veut être juste en ce qui concerne les
tendances et la population, lorsqu'on observe les chiffres
concernant l'utilisation des drogues dans toute l'Europe on voit
qu'elle est inférieure à celle de l'Amérique du Nord, n'est-ce pas?
|
| Dr Kendall: À l'exception du Royaume-Uni, où le taux
d'utilisation est supérieur.
|
| Le président: En général, en Europe occidentale, y compris les
Pays-Bas, la France, la Suisse, la Belgique, l'Espagne, le Portugal
et l'Italie, le taux d'utilisation des drogues est inférieur à celui de
l'Amérique du Nord, n'est-ce pas?
|
| Dr Kendall: Oui. Je vous ai montré cette comparaison parce
qu'on va vous dire que le régime néerlandais a engendré une
toxicomanie de proportion épidémique. En toute honnêteté, les
données n'appuient pas cette position.
|
| Le président: Si nous avons d'autres questions, nous vous
écrirons pour obtenir une réponse. Si vous obtenez d'autres
renseignements qui d'après vous pourraient être utiles au comité,
veuillez nous les faire parvenir.
|
| [Français]
|
| Avant de clore les travaux de cette séance du comité, je tiens à
rappeler à tous ceux et celles et qui s'intéressent aux travaux du
comité, qu'ils peuvent lire et s'informer au sujet des drogues
illicites en rejoignant notre site Internet à l'adresse suivante:
www.parl.gc.ca. Vous y retrouverez les exposés de tous nos
témoins ainsi que leur biographie et toute la documentation
argumentaire qu'ils auront jugée nécessaire de nous offrir. Vous
trouverez aussi plus de 150 liens Internet relatifs aux drogues
illicites. Vous pouvez utiliser cette adresse pour nous transmettre
vos courriels.
|
| Au nom du Comité spécial sur les drogues illicites, je désire
vous remercier pour l'intérêt que vous portez à notre importante
recherche. La séance est levée. |