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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 6 - Témoignages du 17 septembre - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 17 septembre 2001

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 9h05 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogue canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Je déclare ouvertes les délibérations publiques du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites. Chers collègues, c'est avec un vif plaisir que je vous souhaite la bienvenue aujourd'hui à l'occasion de la reprise de nos travaux pour l'automne 2001.

Je profite de l'occasion pour souhaiter la bienvenue à ceux et celles qui se sont déplacés pour assister à cette séance, à Ottawa, ainsi qu'à ceux et celles qui nous écoutent soit à la radio ou à la télévision, ou encore via le site Internet de notre comité.

J'informe les internautes qu'ils peuvent maintenant nous voir. En effet, nous poursuivons l'expérience amorcée en juin dernier. Des caméras numériques captent nos débats et en permettent la retransmission vidéo. Il s'agit d'une première pour un comité parlementaire.

Le comité est composé de cinq sénateurs. Sans plus tarder, je voudrais vous présenter ceux qui sont présents ce matin. À ma gauche se situe le vice-président du comité, le sénateur Colin Kenny de l'Ontario, et à mon extrême droite se situe le sénateur Tommy Banks, représentant la province de l'Alberta. Nous avons aussi avec nous ce matin le sénateur Marcel Prud'homme, qui s'intéresse comme vous le savez aux questions internationales, et s'il y a un champ d'activité où les questions internationales sont omniprésentes, il s'agit bien du dossier qui nous occupe.

Certains de nos membres sont absents et ils s'en excusent. Il s'agit du sénateur Rossiter de l'Île-du-Prince-Édouard et du sénateur Maheu du Québec. Je suis le sénateur Pierre Claude Nolin et je fais partie du contingent québécois au Sénat du Canada. Sont aussi assis à mes côtés le greffier du comité, M. Blair Armitage, ainsi que le directeur de la recherche pour le comité, le Dr Daniel Sansfaçon.

Le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites fut créé dans sa première version lors du dernier Parlement. En effet, le 11 avril 2000, le Sénat votait à l'unanimité la constitution d'un premier comité sur les drogues.

J'en fus nommé le président. Le 16 octobre 2000, après un long travail de préparation, nous tenions une première séance publique. Le déclenchement de l'élection générale en octobre dernier mettait fin à la 36e législature du Parlement et, par le fait même, prorogeait les travaux du comité.

En février 2001, dès le début de la 37e législature, le Sénat a amorcé l'étude de la motion visant la reconstitution du comité et, le 15 mars, il approuvait sans objection de reconduire les travaux du comité avec un mandat modifié.

[Traduction]

Le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites a reçu pour mission de se livrer à une étude et de préparer un rapport sur les politiques canadiennes en matière de cannabis, ainsi que sur leur contexte, de se pencher sur leur efficacité ainsi que sur les principes qui les sous-tendent, et aussi sur les moyens mis en oeuvre et les mesures de contrôle utilisées dans le cadre de leur application. Le comité doit également se pencher sur les politiques officielles adoptées dans d'autres pays. Nous aborde rons en outre la question des responsabilités internationales incombant au Canada en vertu des conventions dont il est signataire. Le comité se penchera aussi sur les répercussions sociales et sanitaires des politiques canadiennes en matière de cannabis, ainsi que sur les retombées prévisibles des autres approches susceptibles d'être adoptées.

[Français]

Enfin, le comité doit déposer son rapport final à la fin du mois d'août de l'an 2002. Afin de remplir adéquatement le mandat qui nous est confié, le comité a adopté un plan d'action. Ce plan s'articule autour de trois enjeux importants.

Le premier de ces enjeux est celui de la connaissance. Dans le but d'accroître cette connaissance, nous entendrons une gamme imposante d'experts canadiens et étrangers, issus des milieux académiques, policiers, judiciaires, médicaux, sociaux et gouver nementaux. Ces audiences se tiendront principalement à Ottawa et à l'occasion, comme ce fut le cas la semaine dernière à Toronto, à l'extérieur de la capitale.

Le second de ces enjeux est celui du partage de cette connaissance. Il s'agit assurément, selon mes collègues et moi, du plus noble de ces enjeux.

Le comité désire que les Canadiens de partout s'informent et partagent l'information que nous aurons recueillie. Nous défi sera de planifier et d'organiser un système assurant l'accessibilité et la distribution de cette connaissance.

Nous voudrons aussi connaître les vues de la population sur cette connaissance. Pour ce faire, nous tiendrons au printemps 2002 des audiences publiques dans divers lieux au Canada.

Enfin, le troisième enjeu du comité sera d'examiner de très près quels sont les principes directeurs sur lesquels une politique publique canadienne sur les drogues doit s'appuyer.

[Traduction]

Avant de vous présenter les éminents experts appelés à intervenir aujourd'hui, je tiens à vous rappeler qu'en vertu d'une décision du Sénat, le compte rendu des séances du comité tenues lors de la trente-sixième législature sera considéré comme faisant partie intégrante de nos travaux.

Je tiens également à rappeler que le site Internet du comité est régulièrement mis à jour et qu'on peut y accéder à l'adresse du site Internet parlementaire: www.parl.gc.ca.

[Français]

Quelques mots au sujet de la salle de comité où nous tenons notre séance aujourd'hui. Cette salle, identifiée comme la salle des peuples autochtones, fut aménagée en grande partie grâce aux efforts du sénateur Kenny, en 1996, pour rendre hommage aux peuples qui, les premiers, ont occupé le territoire de l'Amérique du Nord et qui, encore aujourd'hui, participent activement à l'essor du Canada. Quatre de nos collègues au Sénat représentent fièrement et dignement ces peuples.

Il sera question plus spécifiquement aujourd'hui de santé publique. Nous recevons quatre éminents experts canadiens dont, en premier lieu, M. Benedikt Fischer, Ph.D. en criminologie, professeur au Département des sciences de la santé publique de l'Université de Toronto. M. Fischer traitera, entre autres sujets, des éléments à considérer en vue d'une approche en matière de santé publique qui aborde le contrôle de l'usage du cannabis au Canada.

En second lieu, nous entendrons le docteur Perry Kendall, médecin hygiéniste pour le gouvernement de la Colombie- Britannique. Le docteur Kendall soulèvera la question des options concernant le contrôle social du cannabis dans le contexte d'autres substances psycho-actives, tant légale qu'illégales.

Cet après-midi, nous entendrons le docteur Richard Mathias, médecin et professeur d'organisation sanitaire au Département de santé et d'épidémiologie de l'Université de la Colombie- Britannique. Il nous présentera une nouvelle perspective en santé publique en ce qui concerne l'usage des drogues pour les Canadiens.

Enfin, le docteur Colin R. Mangham, Ph.D., directeur de la Prevention Source B.C., nous interpellera au sujet du vrai débat sur la réduction des méfaits de l'usage des drogues illicites.

Notre premier témoin, M. Fischer, occupe simultanément quatre responsabilités.

[Traduction]

M. Fischer est le nouveau chercheur aux instituts de recherche en santé du Canada. En 1999, il est devenu professeur adjoint au Département des sciences de la santé publique de la Faculté de médecine de l'Université de Toronto. En l'an 2000, il a obtenu le poste de professeur adjoint au Centre de criminologie de l'Université de Toronto et depuis 1997, il est chercheur au Département de recherche sur les politiques cliniques, sociales, de prévention et de santé publique du Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto, en Ontario.

[Français]

Bienvenue, Monsieur Fischer. Nous vous sommes reconnais sants d'avoir accepté notre invitation et vous remercions pour l'intérêt que vous témoignez pour nos travaux.

[Traduction]

Il est possible que votre témoignage ou votre document, de même que les autres témoignages que nous entendrons aujourd'hui, suscite des questions qui ne pourront être posées; si vous êtes d'accord, nous aimerions pouvoir vous les transmettre par écrit.

Vous avez la parole.

M. Benedikt Fischer, professeur, Département des sciences de la santé publique, Université de Toronto: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier sincèrement de l'honneur que vous me faites en me permettant de m'adresser à vous ce matin et de vous faire part de ma réflexion et du fruit de mon travail sur ce sujet particulier. Ce comité offre une ouverture indispensable au Canada, qui aura ainsi l'occasion de prendre du recul sur la façon dont il aborde actuellement le contrôle et la gouvernance des substances illicites. J'aimerais vous donner un aperçu des questions et des connaissances essentielles à prendre en considé ration en vue d'une approche en matière de «santé publique» sur le sujet du contrôle de la consommation de cannabis au Canada, car je suppose que c'est de cette perspective suprême que nous devons nous placer. C'est le point central vers lequel doivent converger nos réflexions et nos efforts en matière de contrôle et de recherche des meilleures interventions concernant le cannabis et d'autres substances.

J'ai préparé un exposé que vous pourrez suivre grâce à une série de diapositives et qui aborde les questions pertinentes à notre sujet. J'en donnerai un bref aperçu. Si vous avez besoin de renseignements plus précis ou plus détaillés, vous pourrez soit les trouver dans mon document, soit me poser des questions complémentaires.

Voici ce dont je voudrais vous parler aujourd'hui. Certains des sujets de ces diapositives proviennent d'une étude que j'ai publiée avec quelques collègues en 1998 dans le journal Policy Options. Cette étude est fondée sur un projet coopératif entrepris avec des collègues du groupe de recherche sur les politiques en matière de drogue du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies. Nous avons publié cette étude ensemble en 1998, et je vous la présente également à titre de référence.

Pour commencer, je vous propose quelques éléments d'infor mation d'ordre épidémiologique sur la consommation de canna bis. Voici quelques chiffres de base sur la consommation de cannabis au Canada. Environ 7 p. 100 des Canadiens ont consommé du cannabis l'année dernière. Chez les étudiants, la prévalence de la consommation est un peu supérieure et se situait entre 23 et 44 p. 100 l'année dernière. Fait important à remarquer dans ce domaine, une petite minorité de ces consom mateurs, soit environ 1 p. 100 des adultes et 2 p. 100 des étudiants, en consomment quotidiennement. Quatre- vingt pour cent des adultes en consomment moins d'une fois par semaine, et c'est là une information importante qui est apparue ultérieurement dans le débat concernant les effets du cannabis sur la santé. Cela signifie que la majorité de ceux qui consomment occasionnellement du cannabis en fumant de la marijuana ou un joint ont une consommation irrégulière et beaucoup moins fréquente, par exemple, que ceux qui consomment de l'alcool ou du tabac. C'est un point important à considérer du point de vue de la santé.

Un certain nombre d'effets négatifs ont été suscités en laboratoire ou observés auprès des consommateurs à long terme, et je les présenterai tout à l'heure de façon plus détaillée. La consommation de cannabis présente évidemment des risques et des conséquences négatives pour la santé, mais la majorité de ces risques n'apparaissent que dans des circonstances bien particuliè res. Ils sont associés à une consommation constante et fréquente et doivent donc être compris dans ce contexte.

On s'accorde actuellement pour dire que le symptôme dit de dépendance ou de sevrage peut apparaître chez les grands consommateurs chroniques, mais il est tout à fait limité à ce petit groupe. Je vous fournirai des sources qui le prouvent et l'illustrent. Évidemment, le cannabis a aussi des effets positifs, comme la plupart des autres substances psychotropes. J'ai ici toute une liste de ces effets.

On vous a certainement parlé des nombreux avantages du cannabis à l'occasion du débat entourant l'utilisation thérapeuti que de la marijuana. C'est aussi un élément à considérer lorsqu'on parle de la qualité de la substance étudiée qui, pendant longtemps, a été diabolisée et qualifiée de substance délétère.

Elle présente pourtant des avantages considérables, notamment du point de vue thérapeutique, qui se concrétisent à différents niveaux d'utilisation et dont certains sont tout à fait uniques. Il convient de les prendre également en considération, en particulier lorsqu'ils apportent un soulagement à des patients gravement malades ou en phase terminale. Actuellement, dans le contexte de l'usage de la marijuana à des fins thérapeutiques, je suis heureux de voir que le gouvernement canadien a pris des mesures initiales pour reconnaître le bien-fondé de ces avantages et pour réaligner sa politique en conséquence.

Le cannabis présente des caractéristiques spécifiques importan tes sur lesquelles j'aimerais insister aux fins de votre étude, qui doit notamment porter sur les politiques applicables au cannabis par rapport aux autres substances. Par exemple, le cannabis se distingue nettement de l'alcool dans la mesure où on ne constate pas de violence liée à sa consommation. Pas un seul incident mortel n'a été attribué au cannabis ou à la consommation de cannabis, ce qui en fait une substance bien différente de beaucoup d'autres substances illicites dont il est quotidiennement question dans le contexte de la santé publique.

Vous voyez derrière moi une liste récente et complète des études professionnelles consacrées aux effets négatifs et aux risques du cannabis, et qui font le point sur la question. On y trouve notamment le rapport précurseur de Hall et de ses collègues australiens qui, en 1994, ont conclu que l'on peut atténuer sensiblement les principaux risques de la consommation du cannabis en évitant de conduire sous l'effet de cette substance, en évitant une utilisation chronique et quotidienne et en évitant d'inhaler profondément la fumée. Voilà les principaux facteurs qui permettent d'éviter la plupart des dangers et des risques liés à sa consommation.

Un important rapport de l'OMS et de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie, finalement publié en 1999, concluait, dans la phrase maîtresse de cet ouvrage de 400 pages, que d'après les modèles actuels de consommation, le cannabis semble poser beaucoup moins de problèmes graves de santé publique que l'alcool et le tabac dans les sociétés occidentales. L'étude de Zimmer et Morgan en venait à la même conclusion.

Mes collègues Perry Kendall, Jürgen Rehm et Robin Room ainsi que moi-même avons fait un effort modeste en 1997 pour comparer les effets sur la santé à long terme et à court terme, au niveau individuel et social, et entre différentes substances licites et illicites. Nous sommes arrivés à la conclusion que le cannabis était probablement la substance la moins nocive de toutes les substances au niveau de la perspective comparative de la santé publique.

En 1999, l'Institute of Medicine a publié un rapport qui a fait école. Ce rapport énonce que les dangers et les risques associés au cannabis, sont assez restreints, surtout lorsqu'on les compare à de nombreuses autres substances dont nous traitons.

L'important rapport Roques, commandé par le gouvernement fédéral français, rédigé par les spécialistes sans doute les plus éminents de France en pharmacologie et en recherche sur les médicaments, a dressé un tableau dans lequel il compare les substances licites et illicites selon différentes échelles de dangerosité et de toxicité. Si vous examinez l'avant-dernière colonne de ce tableau - la colonne concernant le cannabis -, vous constaterez que l'adjectif «faible» paraît plus fréquemment dans cette colonne que partout ailleurs dans ce tableau. Cela indique essentiellement très clairement que les risques et les dangers que présente le cannabis, comparativement à d'autres substances, sont limités et relativement faibles.

Ce ne sont là que certains renseignements provenant de l'Institute of Medicine. Je n'aborderai pas en détail les questions clés qui n'ont cessé d'être posées au cours des 50 ou 60 dernières années à propos du risque d'accoutumance: s'agit-il d'une drogue d'introduction? La marijuana est-elle plus dangereuse que le tabac? La marijuana tue-t-elle? Je pourrais difficilement rejeter les preuves et les conclusions présentées par le plus éminent institut de recherches médicales au monde. Essentiellement, nous sommes en train de détruire ces mythes et de réunir d'importantes données qui établissent que les risques de dépendance que présente la marijuana sont très limités. Sa dangerosité, comparati vement à celle du tabac, est très limitée; la marijuana ne tue pas et n'est pas une drogue d'introduction.

Si vous examinez les coûts sociaux qui se rattachent à la consommation du cannabis, l'étude marquante faite par Single et ses collègues en Ontario, vous constaterez dans les pourcentages que les coûts sociaux attribuables à la consommation du cannabis, comparativement aux autres substances, surtout le tabac et l'alcool, sont très limités. Par conséquent, même sur le plan économique, les coûts sont comparativement faibles.

Il est important, même pour ceux qui travaillent dans les domaines particuliers de la pharmacologie ou des sciences de la santé, d'examiner également l'histoire sociale de l'interdiction du cannabis et les raisons pour lesquelles nous sommes aux prises aujourd'hui avec un tel régime d'encadrement et de contrôle du cannabis. Comme nous le savons, l'histoire est toujours l'un des plus importants facteurs d'explication du présent.

Si vous vous reportez à l'ouvrage précurseur de Giffen, vous serez peut-être tout aussi perplexes que je l'ai été lorsque j'ai lu la première fois qu'il n'existait aucune raison valable, tant sur le plan de la santé que pour tout autre motif naturel évident, d'interdire le cannabis, comme l'avaient fait les parlementaires au cours des années 20. Essentiellement le cannabis a été ajouté à l'annexe de la loi d'interdiction de l'époque sans que cette question soit vraiment débattue et sans vraiment de preuves quant à ses dangers ou aux risques qu'il présentait. Cette substance a été ajoutée principalement en fonction des mythes, des pamphlets, des rapports de police et d'information populaire aux États-Unis - je parlerais de «propagande» - qui ont commencé à faire leur chemin au Canada. Cette information a été reçue et acceptée par certains parlementaires, et s'est traduite par un ajout à la loi, et à partir de ce jour en 1923, lorsque le cannabis a été ajouté à l'annexe sans aucun débat, il est devenu une drogue illégale, diabolisée et interdite au Canada.

L'une des principales figures responsables d'avoir répandu les rumeurs et les mythes concernant le cannabis au Canada était une femme qui est en fait célèbre en raison de sa place dans l'histoire de ce pays. Je crois qu'une statue de cette femme se trouve ici à l'extérieur - Emily Murphy, qui a été la première femme juge au Canada. Elle a rédigé un livre intitulé The Black Candle, publié en 1922. Dans ce livre, lorsqu'elle parle des effets du cannabis, Mme Murphy dit que ceux qui l'utilisent perdent complètement la tête... perdent tout sens de responsabilité morale... deviennent des fous furieux... et tuent ou se livrent à la violence... en ayant recours à des moyens d'une grande sauvagerie. Ce type de mythe à propos de la drogue à laquelle nous nous intéressons a persisté pendant de nombreuses années.

Ce discours et, bien entendu, les mécanismes de lutte, de contrôle et d'interdiction considérés comme nécessaires ont été repris par l'appareil canadien de lutte antidrogue en devenir au cours des années 40 et 50. En fin de compte, dans le sillage et le contexte de la contre-culture, la consommation de plus en plus répandue du cannabis parmi certains groupes sociaux a déclenché ce vaste mouvement antidrogue, qui a commencé au début des années 60 et qui a persisté jusqu'à la fin des années 60 et 70, et même jusqu'à aujourd'hui.

Je ferai quelques observations sur la situation juridique actuelle - et vous connaissez probablement tous ces détails juridiques aussi bien que moi. En vertu de la loi actuelle réglementant certaines drogues et autres substances, la possession de cannabis dans ce pays par qui que ce soit est interdite. Si nos agents de lutte antidrogue découvrent quelqu'un ayant en sa possession du cannabis, même en quantités infimes, pour la première fois, nous - notre Parlement et les citoyens du Canada - convenons que cette personne est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 1000 $ ou d'une peine d'emprisonnement maximale de six mois. C'est ce dont le Canada - c'est-à-dire les citoyens et les politiciens - ont convenu. Si nous découvrons quelqu'un ayant en sa possession un gramme de cannabis la deuxième fois, nous considérons qu'il convient de doubler le montant de l'amende et la durée de l'emprisonnement.

Dans les cas de possession où la quantité saisie est supérieure aux quantités limitées désignées d'un gramme de haschisch ou de 30 grammes de marijuana, que l'on considère comme des quantités pour usage personnel, nous convenons qu'il convient d'emprisonner ces personnes pendant sept ans.

Les méthodes employées pour appliquer la loi au Canada sont également très importantes. Comment la loi est-elle appliquée? Il vous étonnera peut-être d'apprendre que près de 60 000 personnes dans ce pays sont arrêtées chaque année en vertu des lois antidrogues pour des infractions mettant en cause le cannabis, et que sur ce nombre 39 000 sont arrêtées pour possession de cannabis. Par conséquent, la moitié de toutes les infractions en matière de drogue dans ce pays concernent la possession de cannabis. Autrement dit, la moitié de l'ensemble des ressources consacrées à la lutte antidrogue dans ce pays, la moitié des arrestations effectuées, la moitié des peines accordées, concernent des personnes qui ont une petite quantité de cannabis dans leur poche pour leur plaisir personnel. Ce sont les réalités de la mise en application de la loi.

Même si peu d'études approfondies ont été faites sur la question, il existe d'énormes disparités d'une province à l'autre ainsi qu'entre les centres urbains et ruraux. Cela témoigne également de l'énorme injustice qui existe au niveau de l'application des lois sur le cannabis dans ce pays. Nous savons d'après la recherche empirique et ethnographique à laquelle j'ai participé dans certains cas, que les policiers disposent d'une énorme marge de manoeuvre lorsqu'ils tombent sur un citoyen ayant en sa possession du cannabis pour son usage personnel. En tant que personne qui s'intéresse aux sciences et aux principes juridiques, cela m'inquiète énormément car j'estime que cela sape considérablement d'importants principes juridiques.

De plus, nous n'avons aucune indication claire à propos des pratiques en matière de détermination de la peine pour possession de cannabis au Canada. Nous savons que la majorité des délinquants primaires font l'objet d'une forme quelconque d'absolution, qu'il s'agisse d'une absolution inconditionnelle ou sous condition, mais on a de plus en plus recours aux condamnations avec sursis dans le cadre des nouvelles disposi tions sur les condamnations avec sursis. Certains se voient imposer une faible amende. D'autres, toutefois, sont condamnés à l'emprisonnement pour simple possession de cannabis, surtout concurremment avec un casier judiciaire. Souvent, les contreve nants autochtones ou les contrevenants appartenant à d'autres groupes socio-économiques ou à des minorités ethniques vont en prison parce qu'ils ont omis de payer une amende ou pour d'autres condamnations concernant la possession de cannabis. Par conséquent, des gens sont effectivement emprisonnés pour simple possession de cannabis en fonction des mécanismes que je viens de décrire, ce qui est très inquiétant.

Même si ces personnes reçoivent une libération sous condition, il ne faut pas oublier qu'elles ont désormais un casier judiciaire pour une infraction mineure. Même si la peine semble clémente, ces personnes ont un casier judiciaire qui crée un énorme fardeau sans compter les coûts sociaux découlant du contrôle pénal actuel du cannabis au Canada.

Au cours des 30 dernières années, il y a eu environ deux millions d'arrestations pour possession de cannabis au Canada. Selon l'évaluation de spécialistes, environ 600 000 Canadiens ont un casier judiciaire pour possession de cannabis. Ils ont peut-être reçu une libération conditionnelle ou une faible amende, mais ils n'en ont pas moins un casier judiciaire. Nous savons tous quelles en sont les conséquences, surtout pour les jeunes qui sortent de l'école et s'apprêtent à entrer sur le marché du travail, à suivre un apprentissage, à commencer une carrière ou une famille, ou peut-être à voyager. Cela représente un énorme fardeau au niveau social, professionnel et économique. Il est extrêmement important de se demander si quelqu'un qui aime fumer du pot et ne fait de mal à personne devrait se voir interdire le séjour aux États-Unis pendant 30 ans, se voir bloquer l'accès à certaines professions, ou se voir refuser la citoyenneté s'il s'agit d'un immigrant récent. Est-ce raisonnable?

À l'heure actuelle, le système de justice pénale consacre environ 400 millions de dollars par an à l'application des lois interdisant le cannabis. C'est ce que le contribuable paie pour faire appliquer les lois actuelles. On pourrait s'attendre à ce qu'une telle dépense donne de bons résultats. À l'époque du néofiscalisme et du néolibéralisme, si nous faisons un investisse ment important, nous voulons que cela rapporte gros. J'ai le regret de devoir vous décevoir, mais les preuves des effets dissuasifs tant généraux que spécifiques de la répression actuelle de l'usage du cannabis sont très limitées. Les preuves empiriques révèlent que ces effets dissuasifs sont minimes sinon tout à fait inexistants. Autrement dit, ceux qui veulent consommer du cannabis le font malgré les sévères punitions qui existent actuellement.

Nous avons ici une longue liste de mesures qui ont été prises au cours des 30 dernières années. Il s'agit de commissions politiques de haut rang, de commissions constituées par les divers gouvernements fédéraux, à commencer par la célèbre Commis sion Le Dain, en 1969. Ces experts ont examiné l'état et le bien-fondé des mesures de répression existantes et ont conclu que le système actuel ne donnaient pas les résultats escomptés, qu'il était inadéquat et qu'il devait être modifié.

Il faut surtout souligner l'important rapport de la Commission Le Dain sur le cannabis, publié en 1972, qui concluait que la consommation de cannabis ne devrait pas être criminalisée et qu'en raison de sa pharmacologie, de ses effets sur le comporte ment et de ses effets sociaux, le cannabis ne devrait pas entrer dans la même catégorie que les autres substances illicites. Cette commission déclarait que le droit pénal ne devrait pas viser les consommateurs de cannabis et qu'il faudrait trouver un système de contrôle entièrement différent pour cette drogue étant donné qu'elle ne s'apparente pas aux substances comme l'héroïne et la cocaïne.

Au cours des 10 dernières années, de nombreuses institutions spécialisées dans le domaine du droit, de la pharmacologie, de la toxicomanie, de la police, de la politique de santé et de la médecine ont déclaré que la loi actuelle était inefficace, inappropriée et qu'elle allait à l'encontre du but visé. La liste que vous voyez derrière moi est celle des institutions qui ont émis cette opinion. Vous avez là les plus grands experts qui s'intéressent à la recherche sur le cannabis, sa consommation et ses effets. La totalité des grands journaux du pays représentant les diverses tendances politiques ont dit que le système ne fonction nait pas, qu'il était insatisfaisant et anachronique et qu'il fallait trouver de nouvelles solutions, ce sur quoi le public est d'accord.

D'après les sondages effectués au cours des 10 dernières années, notamment par Santé Canada, nous savons que les deux tiers des Canadiens considèrent que la consommation de cannabis ne devrait pas être punissable d'emprisonnement et qu'environ la moitié des Canadiens préconisent explicitement la décriminalisa tion ou déjudiciarisation de la consommation de cannabis. Cette opinion persiste depuis 25 ans. Autrement dit, les législateurs et les décideurs politiques n'ont tenu aucun compte jusqu'ici du message que l'opinion publique leur adresse depuis un quart de siècle.

Je ne crois pas utile de mentionner l'appui général des Canadiens à l'usage de cette substance à des fins thérapeutiques, et ce n'est d'ailleurs pas l'objet premier de cette discussion, même si un certain rapport existe entre les deux.

Je voudrais vous parler brièvement des traités internationaux. Le sénateur Nolin a déjà mentionné l'importance de cette dimension. Je crois nécessaire de faire une mise au point. Cet argument est souvent invoqué. J'ai entendu de nombreux membres de la classe politique dire qu'ils seraient prêts à changer les choses et à envisager certaines réformes, mais que les obligations que nous confèrent les traités internationaux nous en empêchent.

C'est faux. Il y a plusieurs choses importantes à savoir au sujet des traités internationaux. La Convention unique de 1961 et le protocole de 1972 confèrent aux pays signataires l'obligation d'interdire, de punir et de contrôler certaines activités relatives aux substances illicites. Il n'est toutefois pas clair que cette convention vise l'usage personnel de ces substances et c'est une notion qui est de plus en plus contestée. La convention mentionne la culture, la production, la distribution et la diffusion des substances illicites et demande qu'elles fassent partie des infractions punissables. Elle ne s'adresse pas à celui qui en fait usage pour son plaisir personnel. Elle vise l'industrie, le commerce et le contrôle de la distribution. L'Organe international de contrôle des stupéfiants, l'organisme d'exécution des traités internationaux, le confirme en précisant, dans son rapport de 1992, que les signataires ne doivent pas nécessairement considérer la possession ou l'usage des drogues comme des infractions punissables étant donné que leurs obligations se rapportent à la culture, à l'achat ou à la possession de drogues pour en faire le trafic. C'est une précision qu'il est très important de connaître.

Puis il y a la Convention de Vienne de 1988. Les cinq premiers mots de cette convention sont particulièrement importants. Il y est également question du contrôle de l'usage et de la possession, mais il y est dit que, sous réserve des principes énoncés dans sa constitution, chaque signataire doit sanctionner pénalement la possession de stupéfiants pour l'usage personnel. La première chose importante à retenir est que c'est sous réserve des principes énoncés dans la constitution du pays. Si certains principes énoncés dans la Constitution, ou dans notre Charte des droits, s'opposent à la criminalisation de la possession ou de l'usage de certaines substances, il revient au pays signataire de trouver des moyens d'en tenir compte. Nous prenons notre Constitution très au sérieux et à juste titre. Nous devrions vérifier de près si ces deux exigences sont conciliables ou de quelle façon nous pourrions les concilier. La Convention de Vienne nous y autorise de façon explicite.

Elle indique en outre que les parties peuvent prévoir, pour remplacer ou pour compléter les sanctions pénales, des mesures visant à traiter, éduquer, soigner, réadapter ou intégrer socialement le contrevenant. Les parties peuvent le faire pour remplacer ou renforcer les sanctions pénales. Autrement dit, vous pouvez avoir des lois disant qu'en théorie, il s'agit d'une infraction et que l'on veut punir les coupables, mais que nous pouvons également trouver une solution de rechange. C'est à nous qu'il revient de définir le genre de traitement que nous voulons imposer, le genre d'éducation, de soins, de réadaptation ou d'intégration sociale. Nous avons toute liberté de décider de la façon dont nous traiterons ceux qui utilisent le cannabis pour leur plaisir personnel. Il n'est pas nécessaire de les punir même si l'on interprète à la lettre les traités internationaux. Nous n'avons pas à les sanctionner de façon pénale ou autre.

L'OICS le confirme très clairement dans son interprétation. Il dit qu'aucune des conventions n'impose à un signataire l'obliga tion de condamner ou de punir les toxicomanes qui commettent des infractions punissables. Ils peuvent opter pour des mesures non pénales comprenant le traitement, l'éducation, les soins, la réadaptation ou l'intégration sociale. Je ne vois pas ce qu'il vous faut de plus pour trouver d'autres solutions plus appropriées pour remédier à la consommation de cannabis.

Comme le temps passe vite, je vais survoler rapidement ce qui se passe dans d'autres pays. Il y a toute une série de systèmes politiques et juridiques que je considère assez développés et dont la plupart se trouvent en Europe de l'Ouest, mais cela comprend également l'Australie, et qui au cours des 10 ou 15 dernières années, ont décriminalisé la possession de cannabis au niveau juridique, c'est-à-dire en révisant ou en modifiant leurs lois ou, de facto, en changeant la façon dont leurs lois étaient appliquées. Ces changements ont été mis en oeuvre de façon différente. Ils tiennent plus ou moins compte des mêmes réalités. Ces pays se sont rendu compte que la répression et l'interdiction de l'usage du cannabis étaient inefficaces, qu'elles allaient à l'encontre du but visé et ils ont modifié leur loi ou la façon dont la police l'appliquait, la façon dont les accusations étaient portées, dont les juges et les tribunaux traitaient les contrevenants, ou tout cela à la fois. La plupart des pays dont j'ai dressé la liste ici, comme la Suisse, l'Allemagne, les Pays-Bas - et je souligne que ce n'est pas seulement vrai pour les Hollandais, mais pour pratiquement toute l'Union européenne et une partie du Commonwealth - ont réexaminé leur façon de faire et décriminalisé le contrôle du cannabis. Un bon exemple est celui du Royaume-Uni qui se contente, dans la plupart des cas, de donner un avertissement à ceux qui sont trouvés avec du cannabis en leur possession pour leur consommation personnelle. L'Australie a mis au point un système de contravention en dehors du système pénal; on impose une petite amende et cette façon de réprimer la possession de cannabis n'a pas de conséquences pénales.

Et la liste continue. Le Portugal vient de changer sa législation. La Belgique est sur le point de faire la même chose. L'Espagne l'a fait pour le cannabis et pratiquement toutes les autres substances psychotropes illicites. La liste est longue. Le Canada se retrouve de plus en plus isolé et avec de moins en moins d'alliés au niveau de sa politique concernant la consommation personnelle de cannabis.

Oui, le Canada a encore un puissant allié. Néanmoins, je crois que nous devrions nous demander si c'est bien auprès de cet allié qu'il faut rechercher la solution à ce problème particulier.

Beaucoup de gens se demandent ce qui arriverait si nous décriminalisions ou que nous modifiions la loi et cessions d'envoyer les gens en prison pour consommation de cannabis. Que se passerait-il? Est-ce que ce serait la fin du monde? Est-ce que nos enfants se mettront tous tout d'un coup à fumer du cannabis? Est-ce que le chaos régnera? Les recherches montrent que rien ne changera. La seule chose qui changera de manière significative, c'est la réduction spectaculaire du coût social et économique lié à la consommation de cannabis. Autrement, les taux de consommation, les taux de problèmes de santé liés à la consommation du cannabis, comme nous l'ont montré les expériences naturelles en Europe et en Australie où des réformes ont été adoptées, ne changeront pas vraiment. Les gens qui fument, qui veulent fumer du cannabis dans un contexte ou dans un autre, le font de toute manière. Il n'y aura pas augmentation significative du nombre de nouveaux consommateurs, tout simplement parce que la loi ne sera plus aussi sévère. Ce n'est pas vrai. La population a plus d'intelligence que cela.

De plus, le cannabis est de plus en plus accepté socialement et culturellement comme atout, coutume, rite social et culturel. Le rapport au cannabis ressemble de plus en plus à celui à l'alcool. Tout comme nous aimons nous asseoir autour d'une table les jours de fête comme aujourd'hui, aujourd'hui c'est Ros-ha-sanah et c'est un des nombreux événements culturels religieux qui incitent les gens à se réunir autour d'un verre de vin, dans de nombreuses autres cultures ils s'assoient ensemble et fument un joint. Il ne s'agit pas de lancer une nouvelle mode dans le pays, mais à mon avis, nous ne devrions pas punir ceux qui le font pour des raisons culturelles qui leur sont propres.

Je tiens à faire une toute petite remarque sur l'importance du rôle joué par les forces de l'ordre responsables du régime auquel la consommation de cannabis est assujettie depuis 80 ans. Il faut être prudent, d'accord, mais aussi être conscient du rôle joué par la police dans la perpétuation de la mythologie et des réalités sur lesquelles nous semblons nous fonder de manière empirique pour conserver au cannabis le statut qu'il continue à avoir dans nos textes de loi. Il importe de savoir que les forces de l'ordre ont grandement bénéficié au cours des années du statut criminel du cannabis.

Certains d'entre vous ne connaissent peut-être pas la seule raison pour laquelle la Gendarmerie royale existe encore aujourd'hui et n'a pas été abolie en 1925, quand elle était supposée l'être. C'est cette année que tous les pouvoirs de police ont été conférés aux provinces. La Gendarmerie royale s'est rendu compte que le pays avait besoin d'une machine nationale, organisée et sophistiquée pour combattre le trafic de drogues. Elle a saisi cette occasion qui lui a permis de survivre et de trouver une raison d'être, la lutte antidrogue. C'est la seule raison pour laquelle la Gendarmerie royale existe encore.

Si on considère qu'environ 30 p. 100 des ressources de la Gendarmerie royale sont consacrées à la lutte contre le trafic de drogues, il est évident que du point de vue institutionnel, il lui est difficile de dire tout à trac: «Désormais nous ne penserons plus en termes de police mais en termes de santé.» Il y a trop de politique institutionnelle et d'intérêts en jeu.

Sur un plan plus anecdotique et ethnographique, nous savons également que les lois actuelles de possession de cannabis permettent à un policier de détenir temporairement et d'arrêter un individu simplement parce qu'il a des motifs raisonnables de croire qu'il sent le cannabis. C'est un outil important qui permet à la police de fouiller, de détenir temporairement, et cetera, certains individus. Chose impossible à faire s'il n'y a pas délit. Un tel outil n'existe pas dans l'arsenal de la police. Dans certaines circonstan ces, c'est un outil qui peut se révéler très important et que, bien entendu, beaucoup n'aimeraient pas voir disparaître. Cependant, il ne faudrait pas oublier cet aspect dans le contexte de la réflexion sur les méthodes de contrôle.

Quelles sont nos options? C'est à ce niveau que j'aimerais prendre un peu de recul. Mon intention n'est pas de prescrire quelque chose, mais plutôt d'énumérer un certain nombre de choses qui pourraient être faites tant sur le plan juridique qu'administratif. Nous pourrions soustraire totalement la posses sion de cannabis du cadre des lois antidrogues à caractère pénal. Nous pourrions supprimer la disposition visant la possession de cannabis et essayer de régler ailleurs la question.

Nous pourrions prévoir dans la loi réglementant certaines drogues et autres substances une libération complète et automati que pour possession de cannabis. Dans un tel cas, la loi continuerait à considérer illégale la possession de cannabis mais elle prévoirait automatiquement pour toute personne arrêtée et inculpée de ce délit qu'elle soit automatiquement libérée sans casier judiciaire.

Nous pourrions éliminer la peine d'emprisonnement pour possession de cannabis. Cela empêcherait même la possibilité théorique d'emprisonnement pour ce délit.

La Loi sur les contraventions nous donne le moyen légal de faire quelque chose de très analogue à ce que font les Australiens. Pour le délit de possession de cannabis, ils ont inventé une infraction d'ordre civil à caractère non pénal, une simple amende.

Nous pourrions éduquer les contrevenants ou les traiter. Cependant, à ce sujet, je tiens à signaler un danger très réel: l'éducation ou le traitement des contrevenants est un concept très populaire; cependant, la popularité de ce concept ne signifie pas forcément qu'il est efficace ou approprié. La consommation de cannabis est une activité pour laquelle un traitement n'est pas forcément approprié ou nécessaire. Il y a de nombreux dangers à obliger des gens à suivre un traitement s'ils n'en ont pas besoin ou si les circonstances de leur consommation ne nécessitent pas du tout de traitement. Je me méfie de la systématisation de ce genre de concept ou de peines conditionnelles.

Cependant, quoi que vous recommandiez aux législateurs, j'insiste sur l'éducation, la prévention et le traitement en cas de besoin. C'est un pilier important pour toute mesure progressiste dans ce domaine. Il importe de maintenir une approche punitive lorsque la consommation de cannabis peut mettre en danger le bien-être d'autres personnes. Les consommateurs de cannabis ne devraient ni conduire ni manoeuvrer des machines. C'est à ce niveau que la loi est un moyen approprié de dissuasion et de punition.

Je finirai par la question de pure forme qu'il faut poser: qu'est-ce qui est en jeu? Je crois que ce qui est en jeu est beaucoup plus que le simple contrôle mécanique de cette substance psychotrope. Ce qui est en jeu c'est le défi que doivent relever une loi et un gouvernement sensés, efficaces et efficients. C'est le problème depuis longtemps. C'est à ce niveau qu'on fait appel aux bons gouvernements pour protéger la santé de la population et adopter des lois et des politiques qui soient justes et efficaces. Ces lois et ces politiques touchent une partie non négligeable de la population, surtout chez les jeunes.

Ce qui est en jeu, c'est la protection et le respect de principes constitutionnels importants incluant les questions d'égalité. Je fais ici allusion aux disparités d'application de la loi et des effets concrets que le contrôle actuel de la consommation de cannabis a sur des populations ethniques et socio-économiques marginali sées. Cependant, c'est aussi une question de droits humains en termes d'égalité et de justice de traitement appliqué aux consommateurs de cannabis par opposition aux consommateurs d'autres substances psychotropes. Ce sont toutes des questions constitutionnelles qui requièrent que des mesures délicates soient prises, y compris l'examen des effets actuels et les orientations futures.

Il y a aussi la question du respect du public et de la crédibilité perçue de la loi. Il importe que nos lois soient respectées et considérées crédibles par l'opinion publique. Dans une grande mesure, les lois actuelles sur la consommation et la possession de cannabis nous ont fait perdre ce respect et cette crédibilité. Il faut y pallier. Actuellement, sur cette question, l'opinion de la majorité est laissée de côté.

Pour finir, il n'est pas besoin d'en connaître encore beaucoup plus ni de faire beaucoup d'autres recherches. Cela fait 50 ans que nous étudions cette question. Tout ce qu'il faut savoir pour répondre à cette question se trouve dans le rapport Le Dain qui remonte maintenant à 30 ans. Ce qu'il nous faut aujourd'hui c'est une volonté politique.

Le sénateur Kenny: Professeur, merci de votre exposé. J'aimerais commencer par vous poser une question hypothétique. Supposons que vous ayez des adolescents à la maison et qu'ils viennent vous voir pour vous dire ceci: «Papa, que penses-tu de l'idée que nous fumions de la marijuana?» Que leur répondriez- vous?

M. Fischer: Ma partenaire et moi nous sommes posé la question hier soir. Je préférerais pour ma part que personne ne fume de la marijuana. Toutefois, si vous décidez de le faire, vous devriez pouvoir le faire en toute sécurité. Si vous le faites par curiosité, faites votre expérience et prenez votre décision en vous fondant sur les résultats de votre expérience et sur ce que vous en avez conclu; prenez votre décision par vous-même, et pas parce que la Bible ou d'autres religions vous diront que c'est mauvais et que la marijuana fera de vous une mauvaise personne ou quelqu'un de violent, comme le disait Emily Murphy. Prenez votre décision par vous-même. Et si vous continuez à consommer du cannabis parce que cela vous plaît ou peu importe la raison, il faut que vous puissiez le faire sans craindre la réaction que je pourrais avoir ou que pourrait avoir votre médecin. Je ne voudrais pas non plus que vous vous fassiez arrêter pour cela. Je ne voudrais pas qu'on vous retire vos privilèges de citoyen ou qu'on vous empêche de faire une carrière. Je voudrais plutôt que vous restiez en santé et que vous puissiez continuer à vous adonner par plaisir à cette activité en toute sécurité. Et je demanderais à mon gouvernement de faire en sorte que les conditions vous le permettent. Voilà ce que je dirais à mes enfants.

Le sénateur Kenny: Beaucoup de familles tiennent cette même discussion que vous avez eue avec votre partenaire. Il y a une chose qui m'embête dans votre exposé: de façon générale, si on a le choix entre carrément ne pas consommer cette drogue ou la consommer dans les conditions que vous réclamez, comment la société doit-elle expliquer aux jeunes que, toutes choses étant égales, il serait préférable qu'ils ne consomment pas de la marijuana?

M. Fischer: Comment résoudre ce dilemme? Je répondrai par une autre question: que faire, si l'on est placé devant le même dilemme dans le cas de l'alcool? Comme parent, étant donné mes antécédents et les connaissances que j'ai du domaine, je serais beaucoup plus inquiet si mes enfants prenaient de l'alcool. Apparemment, nous semblons accepter le fait qu'il soit tout à fait possible et normal pour les jeunes d'avoir le droit d'acheter de l'alcool, de se rendre dans des bars à l'insu de leurs parents, de prendre des consommations lors des fêtes, de s'enivrer et même de conduite une voiture au risque de se tuer et d'en tuer d'autres. Nous semblons ne pas nous en faire avec cela! Depuis cinq ans, je n'ai vu aucun comité se pencher spécifiquement sur les conséquences pour la santé de la consommation d'alcool chez les jeunes ni sur les problèmes que cela pose pour la police. Même si l'alcool rend les jeunes et les plus vieux agressifs et conduit à la violence, au risque d'entraîner des morts, on ne semble pas s'en inquiéter outre mesure.

Et que dire du tabac et des jeunes qui fument à l'école, au risque d'endommager de façon irréparable leurs poumons et leurs autres organes? Or, on ne semble pas s'en inquiéter. D'accord, on prend certaines mesures, mais personne n'est encore allé jusqu'à suggérer de jeter en prison les jeunes qui s'adonnaient au tabagisme, du simple fait que, à notre avis, fumer est mauvais. Nous n'irions jamais jusque-là. Nous voyons plutôt la chose du point de vue de la santé publique et essayons d'atteindre les meilleurs résultats possible en la matière sans pour autant nous en prendre trop férocement à l'utilisateur, en le stigmatisant ou en le criminalisant ou même en lui nuisant dans sa carrière au point où sa vie en serait détruite. Pour y arriver, il faut trouver le juste équilibre en matière de santé publique.

Je suis totalement d'accord avec vous et j'ai beaucoup de sympathie à l'égard des parents qui sont aux prises avec ce problème. Je répète que, pour ma part, je ne souhaiterais pas que mes enfants consomment de ces substances. Toutefois, il est possible qu'ils le fassent. Mais ce sera à eux de prendre la décision en fonction de ce qui leur convient le mieux. Mais j'aimerais bien qu'ils aient la possibilité de faire leur propre expérience sans que cela leur cause un préjudice plus grand que ce que leur causera en réalité la consommation de cette drogue. J'aimerais que cela soit possible également pour les autres, et c'est là le défi que nous devons relever.

Le sénateur Kenny: Sauf le respect que je vous dois, vos réponses ne me satisfont pas, car votre réflexion n'est pas très rigoureuse. Il est futile de comparer la marijuana à l'alcool. Dans le cas de l'alcool, il existe des lois. Une grande partie de la population considère comme désagréable l'abus d'alcool. Si vous dites aux Canadiens que leurs enfants devraient pouvoir fumer de la marijuana parce qu'ils peuvent tout autant consommer des produits alcooliques, et qu'il suffit d'ajouter la marijuana à la liste, j'ai l'impression que vous ne trouverez pas beaucoup d'appui chez eux. Il en va de même pour le tabac. Nous déployons d'énormes efforts pour réduire le tabagisme chez les jeunes. Nous faisons des efforts concertés pour communiquer avec les jeunes et pour les intégrer au processus de changement d'attitude entourant le tabagisme.

Votre réponse ne me réconforte aucunement. J'aurais espéré vous entendre répondre ceci à vos enfants: bon, si tu veux vraiment consommer de la marijuana, eh bien vas-y, mais lis d'abord ceci pour comprendre comment la consommation de la marijuana pourra te nuire et pourquoi tu ne devrais pas en consommer. Seriez-vous d'accord avec l'idée d'instaurer une politique gouvernementale dans le but de décourager activement les gens d'en consommer, dans la mesure où c'est malsain?

M. Fischer: Ma réponse ne m'apparaît pas vous avoir contredit.

Le sénateur Kenny: Les parents d'aujourd'hui sont préoccu pés de voir leurs enfants consommer de l'alcool et fumer. Ils sont d'avis que même s'il n'y a pas de sanction officielle pour les dissuader, au moins quelqu'un dit haut et fort que c'est à rejeter.

M. Fischer: Je crois que tout le monde est d'accord avec cela. Je n'ai pas l'impression que ce que j'ai proposé plus tôt aille à l'encontre de cela, tout au contraire. N'oublions pas que le message premier que nous envoyons aujourd'hui à la population canadienne c'est que ceux qui fument aujourd'hui du cannabis sont des criminels et devraient être jetés en prison. Après tout, c'est ce que dit la loi! La loi ne dit pas qu'il faut aller éduquer les gens, leur envoyer de l'information puis les obliger à suivre un traitement. Non, ce n'est pas ce que dit la loi. Comprenons-nous bien: la loi dit que si vous fumez un joint, vous êtes passible de six mois d'emprisonnement. Et c'est cela que je conteste!

Cette façon de faire m'apparaît inappropriée, inefficace et inadéquate, et c'est pour cela que j'aimerais y substituer un régime qui suivrait les grandes lignes que vous avez décrites. Il faut avant tout informer les jeunes et les plus vieux, c'est-à-dire quiconque songerait à consommer du cannabis, de ses effets bénéfiques et pervers. J'ai énuméré les deux au cours de mon exposé. Ce ne sont pas uniquement les effets bénéfiques ou les effets nocifs qui m'intéressent. Je veux que les Canadiens en connaissent tous les effets et soient en mesure de prendre une décision éclairée et d'accepter tous les effets, en profitant des avantages ou en assumant consciemment les risques. C'est uniquement de cette façon que les utilisateurs potentiels pourront prendre des décisions éclairées et judicieuses. Et c'est seulement à ce moment-là que nos politiques et lois agiront de façon efficace, rentable et harmonieuse en conformité avec nos principes directeurs constitutionnels, juridiques, de bonne santé et de politique sociale prônés par notre pays. Or, ce qui me préoccupe, c'est qu'une bonne partie de ces principes directeurs sont actuellement piétinés par la façon dont nos lois et nos politiques s'appliquent.

Voilà pourquoi à l'heure qu'il est, malgré les points de vue que pourront prôner certains et malgré ce que l'on pense individuelle ment du tabagisme ou de la consommation d'alcool, d'aucuns parmi les plus radicaux pourraient aller jusqu'à suggérer de criminaliser les jeunes qui boivent ou qui fument, du simple fait que c'est très nocif pour eux. Tout le monde est d'accord pour dire qu'il est mauvais que les jeunes fument. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas considérer comme criminels ceux qui fument la cigarette de la même façon que nous voulons rendre criminels ceux qui fument du cannabis? Nous ne ferions jamais cela. Nous ne le pourrions pas pour les mêmes raisons qui nous préoccupent, moi et mes collègues, à savoir les effets et les retombées problématiques voire inacceptables du régime actuel de contrôle du cannabis.

Il ne faut pas avoir deux poids deux mesures pour ce genre de choses. Je nous vois très mal le faire et maintenir cette formule inégale ou cette politique contradictoire dans bien d'autres domaines de la santé ou de la politique sociale.

Le sénateur Kenny: Vous avez dit qu'il n'y avait pas de lien entre la consommation de la marijuana et la violence. A-t-on constaté des cas de violence de la part de personnes qui essayaient de se procurer de l'argent pour acheter du cannabis?

M. Fischer: Pas à ma connaissance. Je n'en ai pas entendu parler dans tous les documents que j'ai pu étudier.

Le sénateur Kenny: À votre avis, c'est parce que le cannabis ne coûte pas cher?

M. Fischer: Je pense que c'est parce qu'on peut très facilement se procurer du cannabis au Canada. En outre, les propriétés du cannabis ont un effet calmant et apaisant sur le comportement, au lieu de rendre les individus agressifs comme le font l'alcool ou la cocaïne.

Le sénateur Kenny: Je ne parlais pas des gens qui sont en train d'en consommer, mais de ceux qui essaient de s'en procurer.

M. Fischer: Oui.

Le sénateur Kenny: En dernier lieu, je voudrais aborder la question de la réduction des préjudices. Les témoins reviennent souvent sur ce thème. Dans l'expérience menée aux Pays-Bas, on propose aux individus des cafés ou des endroits où ils peuvent se procurer du cannabis. Les statistiques montrent que là où la drogue est facilement disponible de cette façon, on en consomme moins qu'on ne le fait généralement en Amérique du Nord.

Il y a une zone floue dont personne n'a parlé, en tout cas pas à ma satisfaction, c'est toute celle du commerce de gros, de la distribution et de la production. Je comprends bien comment fonctionnent ces cafés, mais je ne comprends pas quel genre de dispositif on pourrait mettre en place pour assurer la production, le commerce de gros et la distribution sans problème.

M. Fischer: Les Hollandais ont trouvé une solution assez raisonnable, simple et directe à ce problème. Actuellement, leur gouvernement est en train d'octroyer des permis aux producteurs et aux distributeurs. Autrement dit, les personnes qui cultivent de la marijuana dans des champs ou des serres doivent demander un permis au gouvernement hollandais. Je ne sais pas exactement à quel palier de gouvernement, mais c'est à une autorité quelcon que. On inspecte les exploitations. Il y a des règles, avec des règlements d'application. Si les personnes concernées respectent les règlements visant la qualité, la vérification et le commerce de gros, elles obtiennent leurs permis.

En général, c'est un permis temporaire qui précise exactement la nature de la production, sa destination, les quantités, et cetera. C'est la même chose que n'importe quel autre permis ou autorisation octroyé à une entreprise de production de biens ou de services. À l'occasion, les producteurs font l'objet d'une vérification en fonction de ces paramètres.

C'est comme cela que le système de production et de distribution est organisé dans ce pays. Avec ce système original, les Hollandais ont une longueur d'avance sur les autres pays qui se débattent avec les questions de possession et de consommation. Il faudra tôt ou tard que tous les autres pays dont j'ai parlé se penchent sur cette question car il est bien évident que s'il y a consommation, il y a demande et s'il y a demande, il faut bien que les gens achètent le produit quelque part.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous nous donner la source d'où vous tirez cette information? Je crois me souvenir qu'un de nos précédents témoins nous a dit que le système variait d'une région à l'autre aux Pays-Bas et que c'était surtout parce que la police fermait les yeux que la marchandise pouvait être livrée. Le système avait l'air beaucoup plus chaotique que le système organisé et bien réglementé que vous nous décrivez. Pourriez- vous nous donner vos sources?

M. Fischer: Je dois dire qu'il est bien possible que la réglementation locale varie d'une région à l'autre du pays, mais le mieux serait que je vous mette en contact avec des personnes au niveau local qui pourront vous donner une description parfaite ment authentique de la situation.

Le président: À propos des Pays-Bas, nous allons consacrer toute la journée du 19 novembre à étudier leur expérience et à entendre des témoins de ce pays.

J'ai une question à propos des enfants d'âge scolaire. Nous avons entendu des témoignages à ce sujet durant la précédente session législative, et ces témoignages ont été incorporés à notre constat par le biais d'une décision du Sénat. Le Dr Mark Zoccolillo, de l'Université McGill, mène une vaste enquête sur la consommation et l'abus de drogues licites et illicites dans les écoles secondaires chez les adolescents du Québec.

Dans son témoignage, le Dr Zoccolillo nous a dit, données à l'appui, que la consommation de marijuana augmentait, mais surtout, que les adolescents du Québec étaient des polytoxicoma nes, c'est-à-dire qu'ils consommaient toute une variété de drogues licites et illicites. En Ontario, constatez-vous le même genre de choses dans ce groupe?

M. Fischer: Nous constatons des tendances analogues depuis 20 ou 25 ans. Les données montrent que la consommation augmente et diminue comme la consommation d'autres substan ces. La consommation de tabac, d'alcool et d'autres produits fluctue dans cette population.

C'est un problème particulièrement ardu pour les chercheurs et les décideurs car nous ne comprenons pas vraiment ce qui détermine ces fluctuations. Il est difficile de comprendre pourquoi les adolescents consomment plus de cannabis un été plutôt qu'un autre. Pourquoi les minijupes sont-elles à la mode un été et pas le suivant? Tout cela est le résultat de pressions culturelles et d'influences des pairs complexes et difficiles à expliquer rationnellement.

L'une des principales choses que nous savons, c'est que la dynamique et les modalités de cette consommation ne sont pas influencées par la gravité des mesures législatives. Nous avons d'excellentes données qualitatives qui montrent que la loi est le dernier des soucis des écoliers. Ils se préoccupent beaucoup plus de ce que font ou ne font pas leurs camarades. Ce qui compte, c'est ce qui est «cool», ce qui se fait autour d'eux, la façon dont on se comporte dans un groupe ou lors d'un party. Ce qu'ils voient, c'est ce qu'ils retirent de cette activité à court terme. Ils ne se préoccupent pas tellement du long terme. Ce sont des questions qui comptent, et c'est là que le système actuel brille par son inefficacité.

Le président: Quelles sont les conséquences de ce constat que vous faites dans votre témoignage pour l'Ontario et pour la situation au Québec? Logiquement, cela doit être la même chose dans les autres provinces.

M. Fischer: Et même à l'étranger. C'est la même chose en Europe.

Le président: Quelles sont les conséquences de ces constats pour la formulation des politiques publiques? Vous venez de dire que la loi n'avait aucune importance et que quoi que nous fassions, nous ne pouvons pas avoir la moindre influence.

M. Fischer: Pour des législateurs, cela doit être très frustrant.

Le président: Évidemment, nous examinons le problème en tant que législateurs, mais nous voulons comprendre, avant de proposer une autre solution, s'il faut suivre une autre démarche.

M. Fischer: Effectivement, il faut trouver une autre voie. Je dois défendre la loi parce qu'elle a encore une valeur importante et symbolique qu'il ne faut pas négliger. Elle a aussi une valeur éducative. Je ne suis pas un fanatique des théories de la dissuasion, mais il est cependant essentiel, surtout dans le contexte social des jeunes que je viens de vous présenter, de trouver des moyens d'informer ce groupe particulier de façon crédible, acceptable et efficace sur le pour et le contre, les effets positifs et négatifs, les risques à court et à long terme et les conséquences de la consommation de cannabis. Comme cela, ils pourront prendre eux-mêmes leurs décisions de façon responsa ble, en toute connaissance de cause.

Le président: Et qui devrait faire cela? En fait, il y a déjà des policiers qui le font, en allant parler aux étudiants dans les écoles.

M. Fischer: Pourquoi les policiers? Pourquoi devrais-je croire qu'un policier, à qui on apprend à traquer et à arrêter des criminels et à appliquer la loi, est l'expert le plus judicieux, le mieux informé et le plus compétent pour transmettre des informations sur les risques pour la santé et les effets de substances psychotropes sur mon enfant? Est-ce que je vais aller m'adresser à un policier si j'ai un problème respiratoire ou un problème de poumon ou si j'ai une question sur des substances psychotropes? Bien sûr que non, pas plus que je ne vais aller m'adresser à mon médecin si j'ai un problème juridique. Soyons réalistes.

Voilà les conséquences de l'évolution un peu chaotique de la lutte antidrogue au pays. Les forces policières ont pris le train en marche et s'y sont agrippées, mais pas parce qu'elles étaient les professionnels les mieux formés pour s'en occuper. Avez-vous déjà jeté un coup d'oeil sur le programme des cours des agents de police? Ils n'ont pas de formation dans les domaines voulus.

Nous avons besoin de gens qui s'y connaissent en santé, en comportement, en questions sociales et interpersonnelles. Ce n'est pas dans ces domaines que se spécialisent forcément les policiers. Il y a des professionnels pour cela. Il y a des parents, des enseignants, des animateurs de groupe, des éducateurs et d'autres personnes en général, respectés par les jeunes, qui occupent des fonctions professionnelles et autres.

Je n'exclus pas d'emblée les policiers, mais ce n'est pas le groupe professionnel qu'il faut quand on pense à ce qu'ils incarnent et symbolisent et à leurs outils de travail. On n'a pas besoin d'armes à feu, de menottes ou de matraques chimiques pour faire ce que vous avez décrit. Il faut des spécialistes respectés, des éducateurs et des gens comme soi. Il me vient tout de suite à l'esprit trois ou quatre groupes de professionnels qui conviendraient mieux à la tâche que des policiers.

Le président: J'ai parlé de données sur les consommateurs et la consommation de drogues. Je sais qu'à Toronto, on produit un rapport annuel sur la consommation de drogues. À l'échelle nationale, la dernière enquête remonte à 1993-1994. Devrait-on faire plus souvent des sondages sur la consommation de drogues, d'après vous, et qui devrait s'en charger?

M. Fischer: Mon établissement va m'en vouloir énormément pour la réponse que je vais vous donner parce que je devrais vous dire: «Chaque année et donnez-nous beaucoup d'argent pour nous en charger.» Mais ma réponse est la suivante: «Non, pas plus souvent que maintenant.» C'est ma réponse sincère.

Nous savons assez bien ce qui se passe. Il serait bon de faire des contrôles aléatoires à l'occasion. On n'a pas besoin d'une enquête nationale chaque année. Il y a des mécanismes d'enquête dans les régions du pays qui nous donnent une assez bonne idée de la tendance.

Il n'y a pas de grosses surprises - que la consommation du cannabis monte de 5 p. 100 ou pas n'a rien de crucial. Il faut faire des contrôles aléatoires bien choisis sur les types de consomma tion, en particulier les risques et les dangers connexes. Vous avez dit tout à l'heure que la tendance à la consommation de telle ou telle drogue est à la hausse, et qu'il existe une combinaison de certains facteurs - par exemple, si les gens fument du pot puis prennent le volant ou s'adonnent à d'autres activités dangereuses.

Voilà le genre d'information qu'il nous faut, et nous pouvons l'obtenir grâce à un système local intelligent et sélectif de contrôles. On ne se tire pas trop mal d'affaires à l'heure actuelle. Je tiens en particulier à ce que l'on obtienne le plus de résultats possible pour l'argent que le gouvernement peut dépenser. On n'a pas besoin de plus de recherche là-dessus.

Le sénateur Banks: Certaines sociétés civilisées ont des lois fondées sur d'autres choses que l'interdiction d'activités qui se soldent par des pertes matérielles et qui reposent plutôt sur la moralité. Nous avons beaucoup de lois de ce genre. Monsieur Fischer, vous avez dit que le problème du cannabis, en particulier, est un problème de santé et de gestion de la santé. Toutefois, il y a des gens au pays et ailleurs qui estiment que les drogues qui viennent perturber le psychisme sont en soi moralement répréhen sibles.

C'est un point de vue différent du vôtre, si j'ai bien compris. Que répondriez-vous à celui qui est d'avis que nous avons fait une erreur à propos de l'alcool et du tabac? Je conviens avec vous que l'interdiction d'office ne semble pas être efficace, même s'il y a une polémique autour de cela aussi.

Ces choses-là sont mauvaises et fumer du pot est répréhensible de la même manière, soit pour la morale, que se piquer à l'héroïne mais si le tort pour la société peut être beaucoup moindre. Ces choses sont tout simplement répréhensibles. Que répondez-vous à cela?

M. Fischer: C'est une position philosophique fondamentale et légitime. Vu mon système de valeurs à moi, je suis contre. Si, pour quelque raison que ce soit, ils en sont convaincus et arrivaient par la force de leur argument à faire prévaloir leur vue, je dis qu'ils devraient à tout le moins les appliquer en conformité avec nos principes constitutionnels. Si la drogue et sa consomma tion sont moralement inacceptables, ils doivent interdire toutes les substances et traiter le consommateur d'alcool de la même façon que le consommateur de cannabis. De ce point de vue, la consommation d'alcool serait tout aussi répréhensible que celle du cannabis.

Pour ne pas enfreindre certains de nos principes constitution nels les plus importants - à commencer par l'égalité devant la loi - il faudrait que la règle s'applique uniformément. C'est le corollaire inéluctable de cette action philosophique.

Voilà un des arguments d'ordre constitutionnel. Le dilemme et le raisonnement de la Cour suprême d'Allemagne en 1994 lorsqu'elle a statué sur la légalité de l'interdiction du cannabis dans ce pays étaient précisément celui-là. Les gens ont contesté cette inégalité constitutionnelle et soutenu que le traitement fait au cannabis par rapport à d'autres drogues viole le principe de l'égalité de la loi, ce dont la cour a convenu.

Le sénateur Banks: Si la possession et la consommation personnelle de cannabis sont dépénalisées, il serait intéressant de voir si l'on invoquera la Constitution pour soutenir que sa production devrait donc être illégale. Si la possession n'est pas illégale, pourquoi la vente devrait-elle l'être?

L'autre question que je voudrais vous poser porte sur l'usage médical du cannabis. Vous avez dit que plus de 90 p. 100 des Canadiens sont en faveur de l'usage médical du cannabis, mais tous ceux que nous avons entendus jusqu'à présent affirment qu'il n'y a pas suffisamment de travaux de recherche qui démontrent de façon indiscutable l'efficacité du cannabis à des fins médicales. Il n'y a pas d'études de ce genre. D'autres nous disent que si ces études n'existent pas, c'est parce qu'aux États-Unis - sans doute le pays où elles seraient menées - elles rencontrent une antipathie politique. Si c'est le cas, pensez-vous qu'il serait censé pour le Canada, où 90 p. 100 de la population favorise l'usage médical du cannabis, d'entreprendre des études pour déterminer de la manière la plus prudente et scientifique qui soit, si oui ou non le cannabis a des bienfaits sur le plan médicinal?

M. Fischer: J'ai deux avis sur la question. D'une part, il serait bon et nécessaire de le faire pour déterminer de manière scientifique les avantages médicinaux du cannabis. En revanche, soyons réalistes et réfléchissons un instant aux principes qui nous guident. Ceux à qui l'on donne actuellement de la marijuana à des fins médicales sont des malades en phase terminale. La plupart d'entre eux sont au stade final du cancer ou du sida. La majorité d'entre eux nous disent, quelles que soient leurs raisons, que de fumer un joint les aide en allégeant leur souffrance ou tout simplement en améliorant leur bien-être. Je suis un scientifique. Je crois aux faits et à la raison scientifique. Je suis aussi un être humain. Quand je vois des gens au stade terminal du sida ou du cancer qui allègent leur souffrance en fumant un joint, je me demande s'il faut une opération de plusieurs milliards de dollars et dix ans de recherche pour déterminer si un joint est nettement plus bénéfique pour cette personne qu'un médicament de pointe cher créé en synthèse dans un laboratoire - si j'ai devant moi quelqu'un qui va mourir dans six mois et qui me dit que fumer un joint lui permet de se sentir beaucoup mieux. Entre le scientifique et l'être humain que je suis, il y a une forme de conflit et de tension.

Le sénateur Banks: Personne ne vous reprendra sur ce point, mais certains affirment que le cannabis possède des propriétés médicales qui n'ont rien à voir avec les soins palliatifs et le soulagement des symptômes de la phase terminale. Étant donné qu'il en est peut-être ainsi, vous qui êtes un scientifique allez sûrement encourager la recherche visant à déterminer les propriétés médicinales du cannabis en marge de ces usages. Dans de nombreuses sociétés, depuis la nuit des temps, on l'utilise dans la médecine traditionnelle pour guérir des maux autres que le sida et le cancer dans leurs phases terminales. Si le cannabis a des effets bénéfiques à certains égards, nous pourrions peut-être en trouver d'autres par le raffinement de la matière et l'amélioration de son usage.

M. Fischer: En principe, je serais tout à fait favorable à l'élargissement de notre connaissance scientifique à la condition que nos efforts et la planification de ces efforts ne fassent pas obstacle à la résolution du problème que j'ai mentionné plus tôt.

Le président: Nous avons d'autres questions, nous allons donc vous écrire. Nous espérons que, dans votre réponse, vous allez annexer toute la documentation à l'appui des informations que vous nous avez communiquées.

Le sénateur Prud'homme: Je remercie les membres du comité. Je ne suis pas membre de ce comité. J'ai vécu ce débat il y a une trentaine d'années de cela, et nous avions alors parcouru le Canada. Vous savez à quel point les Canadiens étaient alors divisés. Partout où nous allions, l'intolérance entre ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre était totale. Il n'y a pas eu une seule rencontre publique où je n'ai pas dû intervenir très gentiment pour calmer les gens, les parents. Tout le monde avait peur ou avait les idées trop larges.

Les mêmes thèses peuvent être avancées, mais il y en a une qui m'intéresse beaucoup. Elle n'a rien à voir avec l'usage médical ou autre. Je songe à la réaction qu'aurait notre voisin, les États-Unis d'Amérique, si nous devions autoriser la consommation de la marijuana. Comme vous l'avez fort bien dit, il ne saurait y avoir de consommation de la marijuana sans production de celle-ci. Les deux vont ensemble. Notre ami et voisin serait mécontent si nous devions autoriser la marijuana. J'aimerais que vous me donniez une opinion contraire. L'une de mes plus grandes préoccupations dans cette question, à savoir la réaction des États-Unis d'Améri que, c'est qu'ils n'hésiteraient pas un seul instant à verrouiller la frontière ou à retarder des gens pendant des heures parce qu'on fouillerait toutes les voitures. Je ne crois pas qu'ils aient atteint le même niveau de compréhension que nous au Canada. Qu'en pensez-vous?

M. Fischer: Ma première réaction est d'ordre philosophique. Je vous demanderais si la morale et les valeurs de la souris devraient être déterminées par l'éléphant. C'est une réponse philosophique.

Tout d'abord, il y a la question de la souveraineté. Comme c'est le cas de nombreuses autres questions que nous traitons au niveau politique dans notre pays, nous n'avons pas l'avantage de la situation. À maints égards, c'est une question économique, politique et juridique. Mais c'est aussi une question de souverai neté. Le Canada doit énoncer et défendre sa conviction sans détour - il ne doit pas s'en tenir à ce que croient les États-Unis mais à ce que nous croyons juste et raisonnable.

On doit aussi se demander si les États-Unis feraient vraiment une chose pareille? Surtout en ces heures malheureuses que nous vivons, où les États-Unis ont d'autres soucis plus grands. Est-ce qu'ils voudraient vraiment fermer la frontière pour ça, dresser des obstacles et imposer...

Le sénateur Prud'homme: Quand j'ai dit «verrouiller», j'entendais par là des retards infinis rien que pour nous ennuyer, par exemple pour fouiller les voitures. Les Canadiens diraient: «Eh, je viens ici toutes les semaines moi. Pourquoi fouillez-vous ma voiture?» Et les Américains répondraient: «Allez-vous plaindre à votre gouvernement parce que personne n'entre ici avec de la marijuana.» Nous devons être pratiques. Nous sommes coincés entre les deux.

M. Fischer: D'un autre côté, la réalité actuelle n'est pas bien loin de ce que nous disons de toute façon ou de nos conjectures. Tout le monde sait qu'on produit beaucoup de marijuana à Vancouver et en Colombie-Britannique, et que beaucoup de gens ont de la marijuana dans leur voiture de toute façon. Cela est vrai également des gens qui entrent aux États-Unis par le Mexique. Il y a des contrôles aux frontières. Même si nous modifiions le système de contrôle, je ne crois pas qu'il y aurait des débordements ou que les choses changeraient dramatiquement. On ne va pas voir tout à coup des autobus et des camions pleins de marijuana entrer aux États-Unis. La situation serait à peu près la même qu'aujourd'hui. Je ne crois pas que les États-Unis gagneraient beaucoup à modifier leur approche. Il se pose en ce moment des problèmes beaucoup plus pressants qui dictent la protection de leur frontière, et le fait d'avoir quelques personnes qui ont quelques grammes de marijuana dans leur voiture ne pèse pas très lourd.

Le président: Le fait que les États-Unis soient notre voisin et notre meilleur allié nous préoccupe beaucoup. Le 5 novembre, le comité consacrera toute sa journée aux États-Unis. Nous allons entendre des experts intéressants qui nous diront ce qui se passe de ce côté. Sénateur Prud'homme, nous pourrons peut-être trouver ce jour-là réponse à votre question.

Monsieur Fischer, merci beaucoup. Au cours des deux derniers jours d'audience, nous avons invité les témoins à rester parce que, après que tous les témoignages ont été entendus, nous pouvons céder la parole aux témoins qui restent. Nous constatons ainsi parfois des convergences intéressantes sur diverses questions.

M. Fischer: Je vous remercie de votre invitation. Malheureuse ment, je dois partir. Je ne peux pas rester cet après-midi parce que je dois rentrer à Toronto ce soir.

Le président: Je vous remercie pour votre témoignage et vos réponses. Nous allons vous écrire. Si vous avez des informations que vous jugez pertinentes, n'hésitez pas à nous les communiquer. Nous vous lirons avec plaisir.

Notre second témoin ce matin est le Dr Perry Kendall, qui a fait carrière pendant 25 ans en santé publique. Il a été médecin hygiéniste pour les villes de Victoria et de Toronto ainsi que pour la province de la Colombie-Britannique. En outre, il a été président-directeur général de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie de l'Ontario de 1995 à 1998.

Docteur Kendall, merci d'avoir accepté notre invitation. Nous vous écoutons.

Le Dr Perry Kendall, agent de santé de la province de la Colombie-Britannique: C'est un privilège que de témoigner devant votre comité. Comme vous l'avez dit, j'ai fait carrière pendant plus de 25 ans en santé publique. J'ai exercé des responsabilités relatives à la santé publique en ma qualité de premier médecin hygiéniste des villes de Victoria et de Toronto, et je suis en ce moment agent de santé de la province de la Colombie-Britannique. Les opinions que j'exprime dans le présent document sont les miennes et ne représentent nullement la position d'aucun organisme ou ministère, ou du gouvernement qui m'emploie en ce moment.

Comme vous l'avez dit, j'ai été également président et directeur général de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie de l'Ontario, qui était à l'époque le plus grand centre de recherche et de traitement clinique du Canada dans le domaine des toxicomanies relatives à l'alcool, au tabac, aux drogues et aux médicaments d'ordonnance. Durant ces années, j'ai non seule ment conversé avec des personnes de toutes les couches de la société et des consommateurs de bien des sortes de drogues, mais j'ai pu aussi m'entretenir avec des chercheurs en substances psychoactives, en dépendance et en politique sociale de l'Améri que du Nord et rencontrer des chercheurs de l'Europe et de l'Australie.

Ma carrière en santé publique m'a donné une assez longue expérience de la politique et des problèmes relatifs à la santé publique qui sont liés à la consommation d'alcool, de tabac et de drogues, particulièrement lorsqu'il s'agit des liens qu'ils ont avec les épidémies de séropositivité et d'hépatite C qui ont fait rage au cours des 15 dernières années au Canada et dans les villes où j'ai travaillé.

Mon exposé d'aujourd'hui porte principalement sur la question de l'élaboration d'un cadre réglementaire pour le Canada et, par voie de conséquence, il présente une approche axée sur la santé publique en matière de contrôle d'une vaste gamme de substances psychoactives, qui sont en ce moment licites ou illicites.

En résumé, d'autres ont dit que la réglementation régissant le cannabis est incorrecte sur le plan de la pharmacologie, de la sociologie et de l'économie. Mon analyse me porte à ajouter le plan juridique également.

Au chapitre de la pharmacologie, il est tout à fait incorrect que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances classe le cannabis dans la catégorie des narcotiques. Il s'agit d'une caractéristique qu'il a en commun avec un certain nombre d'autres substances illégales. Son classement dans la catégorie des dépresseurs du système nerveux central comme les opioïdes et les stimulants tels que la cocaïne, avec lesquels il n'a aucune propriété en commun, ne vise aucun but utile d'ordre taxonomi que. Il vise à peine à nous rappeler l'héritage que constituent les écrits non informés d'Emily Murphy au début des années 20.

En ce qui a trait à la sociologie, on peut prétendre que, non seulement la réglementation actuelle ne produit pas l'effet de dissuasion qu'elle vise, mais elle engendre aussi un certain nombre d'effets non voulus et défavorables. Parmi ceux-ci, on peut citer le manque de respect envers la loi, la création d'un fossé entre le point de vue des adultes et celui des adolescents et l'atténuation de l'effet des messages de prévention fondés sur des preuves. En ce qui concerne le plan économique, la réglementa tion actuelle contribue à gonfler les prix et les profits et à inciter les criminels organisés à pénétrer le marché clandestin. Les profits sont élevés, les prix sont bas et la qualité est meilleure.

En fait, en Colombie-Britannique, selon la police, le cannabis représente un marché de 6 milliards de dollars et au cours des 20 dernières années, il est passé d'une économie à l'échelle du jardin à un marché extrêmement organisé et verticalement intégré qui, toujours selon la police, est contrôlé par de grandes familles de criminels organisés.

Il se pourrait aussi que les facteurs économiques aient contribué à la fusion des marchés des drogues dites dures et des drogues dites douces, ce qui veut dire que la clientèle est initiée aux deux genres de drogues.

À mon avis, c'est par ailleurs une mauvaise loi, et le cadre juridique ne décourage pas la consommation. Il encourage le manque de respect envers la loi et il a pour conséquence non voulue la fusion des marchés des drogues et l'atténuation de l'effet des programmes de prévention et d'information.

De plus, la loi n'est pas mise en application de façon uniforme au sein des provinces.

En 1999, seulement 17 p. 100 des personnes arrêtées en Colombie-Britannique pour possession de cannabis ont été accusées contre 78 p. 100 à l'Île-du-Prince-Édouard. En outre, son application est largement perçue comme étant fonction des préjugés sociaux et ethniques des agents chargés de l'application de la loi et elle obtient un faible appui de la part de ces agents haut placés représentés par l'Association canadienne des chefs de police.

En vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la possession demeure un crime. Au fait, cette loi avait été présentée en tant que projet de loi d'ordre administratif, après un long débat et de nombreuses années à la Chambre, et lors de son adoption, on avait promis qu'un examen complet de la législation canadienne en matière de drogues serait effectué. Ce n'est que maintenant, cinq ou six ans plus tard, que cet examen est en train d'être mené.

En raison des objections qui avaient été soulevées durant les longs débats qui avaient précédé l'adoption des mesures législatives antérieures, on a tenté de faire en sorte que cette loi diminue l'ampleur sur le plan criminel de la culpabilité et fasse une distinction entre la possession personnelle et commerciale. La clémence peut être accordée dans les cas de possession de petites quantités et un verdict de culpabilité pour possession de petites quantités n'entraîne pas automatiquement l'établissement d'un casier judiciaire transmis au Centre d'information de la police canadienne. Néanmoins, plus de 26 000 accusations de possession de cannabis ont été portées par des policiers en 1999. Un verdict de culpabilité a de graves répercussions sur le plan de la recherche d'emploi et les déplacements à l'étranger. M. Fischer a examiné certaines de ces répercussions de façon plus générale.

Même si les services de police prétendent que la possession de cannabis est pratiquement décriminalisée au Canada, 75 p. 100 des crimes liés à la drogue en Colombie-Britannique en 1998 étaient liés au cannabis. Encore une fois, dans la plupart des cas, les accusations n'étaient que pour simple possession.

Nous devons nous demander pourquoi le cannabis est traité de la sorte. Le débat sur le cannabis a nui à l'observation scientifique des méfaits de cette substance tant pour la personne que pour la société et ce débat est accompagné de ce que j'appellerais une dialectique inflationnaire-déflationnaire. D'un côté, ceux qui s'opposent à la libéralisation ont tendance à amplifier les dangers et, lorsque ceux-ci ne sont pas connus, à assumer le pire. De l'autre côté, ceux qui sont en faveur de la légalisation diminuent la gravité des faits prouvés ou prétendus ou en font abstraction. Il est difficile de trouver un juste équilibre.

Bien sûr, il se pourrait aussi que les dangers ne soient pas pertinents pour le volets social ou politique du débat. J'aimerais penser que ce n'est pas le cas, mais, de toute évidence, pour de nombreuses personnes, le débat sur le cannabis comporte un aspect symbolique. On vous en parlera davantage cet après-midi.

Quoi qu'il en soit, nous parlons de dérivés de plantes qui contiennent un certain nombre d'alcaloïdes psychoactifs. Les effets psychoactifs comprennent principalement une euphorie légère et une altération de la notion du temps. Une désorientation et des crises de panique peuvent aussi se produire. On dit aussi que l'appréciation de la musique et de l'art est meilleure à l'instar de l'appétit. Ce dernier élément semble important pour l'un des prétendus bienfaits, à savoir l'atténuation des effets de la cachexie liée au sida et de la nausée qui accompagnent les traitements de chimiothérapie.

Toutes les informations que je résumerai dans les minutes qui viennent proviennent d'un ensemble d'ouvrages qui ont été commandés par l'Organisation mondiale de la santé et publiés dans une monographie du Centre de toxicomanie et de santé mentale de l'Ontario; ces informations sont facilement disponi bles.

Le corps humain produit des ligands naturels de cannabis, et des récepteurs de cannabis ont été trouvés dans le cerveau et le système lymphatique périphérique. Nous savons donc que le cannabis joue un rôle dans la physiologie humaine. Un cannabinoïde naturel a aussi été trouvé dans le corps humain, cannabinoïde qui produit bon nombre des effets du cannabis. Contrairement à l'alcool ou à la nicotine, la toxicité aiguë du cannabis est faible. Aucune dose mortelle n'est connue et les autres effets physiologiques sur le rythme cardiaque et la pression sanguine sont similaires à ceux de la nicotine et généralement bien tolérés, quoique de récents rapports laissent entendre que, chez les hommes plus âgés, la consommation de cannabis peut engendrer un risque d'infarctus du myocarde légèrement plus élevé que les relations sexuelles.

Parce que le cannabis est habituellement fumé, il comporte les mêmes effets aigus et chroniques que le tabac, dont l'irritation des voies respiratoires, la toux et, probablement en raison d'une utilisation à long terme, la bronchite, la bronchopneumopathie chronique obstructive et le cancer du poumon et du pharynx. La consommation de cannabis affaiblit le système immunitaire, mais son incidence sur la santé est probablement mineure. Elle ne peut être mesurée. Par ailleurs, des études menées chez les animaux ont révélé des répercussions sur le système de reproduction. En effet, le cannabis perturbe les systèmes hormonaux des mâles et des femelles et augmente les anomalies liées aux chromosomes. Ces résultats sont bien sûr pertinents pour l'humain, mais des études menées chez ces derniers n'ont pas encore montré une incidence négative mesurable, à part des répercussions sur le comportement et le développement des enfants nés de mères qui ont fumé du cannabis durant la grossesse. De même, en raison du mode d'administration habituelle, le faible poids à la naissance et la naissance prématurée peuvent être liés à la consommation de cannabis durant la grossesse. Manifestement, la consommation de cannabis devrait être évitée pendant la grossesse, tout comme la consommation d'alcool et de tabac doit être évitée pendant les années de procréation.

Beaucoup de documents existent au sujet de l'incidence du cannabis sur la cognition. La mémoire à court terme est touchée et l'utilisation à long terme peut mener à un mauvais fonctionne ment chronique et mesurable de la fonction cognitive, bien que cela puisse résulter d'une intoxication chronique persistante plutôt que d'une détérioration de la substance du cerveau.

Le cannabis a aussi une incidence négative sur les habiletés psychomotrices. Il est d'ailleurs contre-indiqué de conduire ou de faire fonctionner de l'équipement lourd sous l'effet du cannabis. Encore une fois, contrairement à l'alcool, le cannabis a tendance à ralentir les conducteurs au lieu de les faire accélérer. De même, il est rare que les fumeurs de cannabis soient impliqués dans des cas d'agression et de violence physique.

Le cannabis peut déclencher des symptômes de la schizophré nie chez les personnes atteintes de cette maladie ou du trouble schizophréniforme. La documentation fait aussi état de crises de panique et de dysphorie.

On avait prétendu que le cannabis provoquait l'apparition du syndrome amotivationnel, mais les chercheurs ont rejeté cette idée au cours des 10 dernières années.

La question de la dépendance a été contestée, mais il existe de solides preuves qui montrent que la dépendance peut s'installer chez les consommateurs de longue date. Cette dépendance est moins importante que celle à l'alcool ou aux opiacés, quoique, étant donné que le cannabis est largement consommé, elle pourrait fort bien être l'une des plus répandues dans les sociétés occidentales, mais peu de personnes cherchent à se faire traiter.

Des préoccupations ont été soulevées avec raison à propos de l'effet de la consommation de cannabis sur le développement des adolescents. Il s'agit d'une question importante, d'autant plus que l'utilisation est la plus élevée à la fin de l'adolescence. Le risque de décrochage scolaire, l'instabilité sur le plan de l'emploi et le passage à des drogues plus dures sont toutes des conséquences négatives qui ont été associées à la prise de cannabis.

On ne s'entend pas encore toutefois sur la mesure dans laquelle ces liens constituent des causes. D'autres hypothèses ont été posées, à savoir que la consommation de cannabis chez les adolescents, comme la consommation d'alcool, le début précoce des relations sexuelles et le tabagisme, est en fait un repère pour d'autres risques ou conditions sociales défavorables.

Des recherches menées en 1997 par la Fondation de la recherche sur la toxicomanie en Ontario auprès de groupes d'élèves d'écoles secondaires de la province semblent montrer que l'utilisation occasionnelle de cannabis par des jeunes Blancs bien intégrés appartenant à la classe moyenne comporte peu de dangers, voire aucun. La consommation a en fait été associée à des adolescents bien adaptés socialement, obtenant de très bons résultats. Au contraire, l'utilisation solitaire à l'école était clairement, et probablement avec exactitude, perçue comme une activité de «nuls».

Les groupes de discussion ont été très révélateurs sur ce que les jeunes pensent de nos mesures visant à dissuader les gens de consommer du cannabis et des initiatives éducatives que nous avons mises en place. En fait, ces groupes de discussion nous ont donné des réponses à certaines des questions que vous avez posées à M. Fischer plus tôt. Certaines personnes sont considé rées comme des messagers peu crédibles. Cela dépendait surtout de l'âge des répondants, mais en général, on a jugé que les policiers, les enseignants et bon nombre d'adultes sont mal informés et transmettent des renseignements erronés et biaisés. Par contre, on désirait manifestement obtenir des informations précises qui tendaient à confirmer ce que les jeunes eux-mêmes avaient pu constater sur l'usage du cannabis, d'après leur propre expérience ou celle de ceux qui les entourent.

On a critiqué nos campagnes de sensibilisation actuelles en affirmant que tous nos messages sont rejetés. Si certains de nos messages sont perçus comme étant délibérément ou accidentelle ment peu précis, tous les renseignements, eux, sont rejetés comme étant inexacts, que ce soit le cas en réalité ou non. Ainsi, les jeunes font fi de messages de nature sociale ou scientifique véridiques et les rejettent comme ils le font des informations inexactes.

Tous les chercheurs s'entendent toutefois pour affirmer que l'effet ressenti en consommant du cannabis diminue les habiletés scolaires. Des études récentes semblent démontrer une baisse mesurable quoique réversible du quotient intellectuel liée à la consommation assidue de grandes quantités de cannabis, et que la participation à des activités illégales comporte des risques considérables, surtout peut-être pour les jeunes dont le lien avec l'école est faible.

Il reste la crainte que le cannabis soit une drogue d'introduc tion. On prétend depuis longtemps que la consommation de marijuana est le premier pas vers l'expérimentation et ensuite l'accoutumance aux drogues dures. Bien qu'il soit rare qu'un consommateur d'héroïne ou de cocaïne n'ait pas commencé par prendre du cannabis, la vaste majorité, plus de 95 p. 100 des fumeurs de cannabis, ne passe pas à l'utilisation de drogues plus dures. L'hypothèse selon laquelle le passage à des drogues comme l'ecstasy, l'amphétamine, la cocaïne ou l'héroïne constitue un effet direct du cannabis sur le cerveau est la moins convaincante.

Une explication plus probable est que l'utilisation de cannabis peut être l'un des nombreux facteurs sociaux et culturels, dont les relations familiales, l'influence des pairs, l'attitude et les croyances sociales et le caractère rebelle de la jeunesse, associé à la probabilité accrue d'utilisation d'autres substances. Autrement dit, les facteurs qui contribuent à la consommation du cannabis peuvent amener un petit nombre de personnes à faire l'expérience d'autres drogues illicites. C'est ce que confirme le fait qu'une consommation précoce de cannabis et d'autres comportements à risque, y compris le décrochage et le sentiment d'aliénation à l'égard de la famille et de la collectivité, servent notamment à prédire un usage plus risqué et la probabilité de consommation de drogues dures plus tard dans la vie.

Cela peut aussi expliquer le lien qui existe entre la consomma tion de cannabis et la faible réussite sur le plan professionnel et scolaire ainsi que les problèmes personnels et sociaux. Un autre facteur peut être le fait que le cannabis est illégal; ainsi, un vendeur de cannabis risque aussi de vendre d'autres drogues. Après avoir mis de côté les méthodes de prévention que nous avons essayé de lui inculquer par le passé, l'utilisateur est tenté d'essayer d'autres drogues du fait qu'il ne croit plus aux risques qu'on leur attribue après avoir constaté que les dangers attribués à la consommation du cannabis avaient été exagérés.

En outre, il est à noter que la consommation de tabac et d'alcool précède habituellement l'utilisation de cannabis. Les praticiens du milieu de la santé publique prétendent que le tabac, et non le cannabis, constitue en fait la drogue d'introduction.

En résumé, il fait peu de doute que la consommation de cannabis a une incidence négative sur la santé des Canadiens. Toutefois - et ce «toutefois» est important - un document commandé par l'OMS conclut que la prise intermittente de cannabis est probablement moins dangereuse que la consomma tion de tabac et d'alcool et, selon le niveau de consommation actuel, constitue un problème de santé publique moins important que l'alcool et le tabac, qui ont des caractéristiques en commun avec le cannabis.

M. Fischer vous a présenté certaines données relatives aux coûts de l'alcool, du tabac, des drogues illicites et du cannabis sur les dépenses relatives aux soins de santé.

En Colombie-Britannique, par exemple, en 1992, sur le nombre de journées d'hôpital attribuées aux consommateurs de drogues illégales, moins de 3 p. 100 correspondaient à la consommation de cannabis. La proportion doit être encore plus faible aujourd'hui étant donné l'explosion du VIH et de l'hépatite dus à l'utilisation de seringues par les toxicomanes.

En résumé, l'OMS a préparé un document où l'on fait une comparaison des effets néfastes sur la santé des gros consomma teurs de marijuana, d'alcool, de tabac et d'héroïne, par rapport à divers facteurs: les accidents de la route et autres, la violence et le suicide, les décès par surdose, le VIH et les infections du foie, la cirrhose du foie, les maladies cardiaques, les maladies respiratoi res, les cancers, la maladie mentale, la dépendance et l'accoutu mance, ainsi que les effets durables sur le foetus. Dans ce tableau, un seul astérisque correspond à un effet moins courant ou moins établi. Un double astérisque correspond à des effets importants. Ce sont ces données qui nous permettent d'affirmer que la marijuana, par rapport à d'autres drogues légales et illégales, a une incidence relativement mineure.

Vous remarquerez que, pour la dépendance et l'accoutumance, les auteurs de cette étude accordent le bénéfice du doute, étant donné qu'un double astérisque correspond à un effet bien établi, quoique tous les chercheurs ne soient pas d'accord sur ce point.

Si les contraintes sociales et juridiques à l'égard de la consommation de cannabis sont motivées en grande partie par les risques pour la santé et les coûts sociaux que cette drogue représente, nous devons nous demander pourquoi nous traitons le cannabis si différemment de l'alcool et du tabac, qui sont des substances licites causant des dommages nettement plus impor tants. Certes, il est fort valable qu'en tant que société, nous ne voulions pas allonger la liste des substances nocives. Nous devrions donc nous demander si notre cadre de réglementation réussit à réduire la consommation, et si son application est relativement un bon moyen de dissuasion. Si nous sommes tout aussi déterminés à prévenir la consommation d'alcool et l'usage du tabac chez les mineurs, nous n'infligeons pas le même genre de sanctions criminelles aux jeunes reconnus pour avoir pris ces substances, même si nous savons qu'actuellement, les risques pour la santé et les coûts sociaux associés à l'abus d'alcool et au tabagisme dépassent de loin ceux du cannabis.

Les enfants auxquels nous avons parlé dans le cadre de ces études et ceux auxquels j'ai parlé dans les écoles où je me suis rendu considèrent l'écart entre les drogues légales et illégales comme étant très hypocrite. Ils voient les législateurs fumer leurs cigares en buvant un scotch ou un cognac; pourtant, lorsqu'ils essaient de se procurer un plaisir interne semblable grâce au cannabis, ils sont criminalisés. Il existe un important clivage entre l'opinion des jeunes et celle des législateurs adultes.

L'étude des tendances en matière de consommation de cannabis est une façon d'évaluer l'effet dissuasif de la loi. Si nous n'avons pas de données nationales ou provinciales suivies sur le sujet, les études longitudinales effectuées en Ontario concordent avec les observations faites aux États-Unis et dans les provinces canadien nes, selon lesquelles l'usage du cannabis a connu pendant 20 ans, dans les années 60 et 70, une tendance à la hausse qui a connu son apogée en 1979, année où l'on a enregistré au cours du dernier mois un taux de 32 p. 100 environ parmi les jeunes. C'est ce qui a été constaté même s'il y a eu 670 fois plus de condamnations liées au cannabis au cours de la même période.

La consommation a par la suite diminué de façon constante pendant plus de 10 ans, pour enregistrer son plus bas niveau en 1991, à environ 11 à 12 p. 100, après quoi elle a augmenté, pour atteindre 25 p. 100 en 1998, sans toutefois atteindre le niveau observé à la fin des années 70.

Les plus récentes données indiquent que, parmi les répondants d'âge scolaire, la consommation est la plus importante en 11e année et elle serait de 42 p. 100 en Ontario et de 57 p. 100 en Colombie-Britannique, selon un sondage effectué auprès d'un groupe d'étudiants de 11e année de Vancouver. On a constaté la même tendance, comme l'a dit M. Fischer en Australie, aux États-Unis, aux Pays-Bas et dans certains autres pays européens. Aux Pays-Bas, le pourcentage est passé de 3 p. 100 en 1988 à 11 p. 100 en 1996.

Il importe de noter toutefois que, pour la majorité des consommateurs au Canada, l'usage du cannabis est occasionnel ou expérimental. Seulement 2 p. 100 des étudiants indiquent en faire un usage hebdomadaire en réponse aux questions des sondages sur leur consommation au cours des quatre dernières semaines.

L'augmentation de la consommation, je le répète, a été constatée dans tous les pays. Nous sommes toutefois témoins actuellement d'une stabilisation. Il ressort des données les plus récentes concernant l'Ontario que ces taux élevés sont en train de se stabiliser. Les données pour les États-Unis indiquent la même tendance. Aux Pays-Bas, selon certains rapports, la consommation commence même à diminuer, et la courbe commence à descendre.

Lorsqu'on parle du cannabis et des Pays-Bas, toutes sortes d'articles et de rapports semblent indiquer que la dépénalisation de fait du cannabis dans ce pays a entraîné une augmentation de sa consommation. On entend dire également que la dépénalisation en Alaska et en Australie a été suivie par une augmentation de la consommation. C'est exact. Ce qu'oublient toutefois de signaler les personnes qui ont fait état de ces augmentations de consommation une fois que le cannabis a été dépénalisé, c'est qu'on constatait la même augmentation dans des pays et États voisins qui n'avaient pas dépénalisé le cannabis ou qui au contraire avaient renforcé le régime de réglementation. Nous constatons une tendance sociale générale indiquant une augmenta tion de la consommation suivie de la diminution de celle-ci, ce qui, comme l'a dit M. Fischer, n'est pas vraiment en rapport avec le régime de réglementation en vigueur dans le pays où la consommation existe.

L'augmentation de la consommation coïncide avec une baisse dans le signalement des dommages qui seraient causés par le cannabis. Dernièrement au Canada, nous avons constaté une plus grande tolérance de la part du public pour la consommation personnelle et une certaine indulgence à l'égard de l'utilisation du cannabis à des fins humanitaires dans le contexte médical. En effet, l'opinion populaire à ce sujet a été renforcée par une série de décisions rendues par les tribunaux qui confirment le droit d'accès au cannabis pour des raisons médicales et l'établissement d'un cadre de recherche et d'un réseau de distribution licite.

Les questions que vous avez posées au sujet de l'efficacité du cannabis dans des cas autres que le syndrome de dépérissement chronique ou le traitement antinausée dans les cas d'épilepsie et de maladies neuromusculaires, et cetera, font actuellement l'objet de recherches. On espère que les résultats seront bientôt connus. Ainsi, si la consommation du cannabis a évolué dans le cas des soins palliatifs, nous pourrons ainsi savoir quelle utilité ce produit peut avoir.

Je conclurais de ce qui précède que le cadre de réglementation en vigueur au Canada n'a eu pratiquement aucune incidence sur les niveaux de consommation d'ensemble. C'est ce que corrobo rent certaines études qui ont examiné l'assouplissement et, dans certains cas, le durcissement ultérieur des sanctions pénales en vigueur ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, aux Pays-Bas et en Australie. Le professeur Eric Single, qui a témoigné devant votre comité, et ses collègues ont abondamment écrit sur le sujet. Leurs conclusions sont comparables et solides dans tous les cas.

À peu près rien ne prouve qu'un cadre de réglementation plus libéral pour le cannabis fait augmenter la consommation ou les coûts. En fait, dans les pays qui ont assoupli leur cadre juridique, les coûts liés à l'application de la loi ont diminué. Il est important de remarquer qu'il n'y a pas de demande accrue manifeste étant donné que l'argument le plus sérieux qui est invoqué contre l'assouplissement de notre cadre de réglementation est le fait qu'il entraînerait une augmentation de la consommation de cannabis et de ses dommages sur le plan personnel et social.

Outre les coûts liés à l'application de la loi, la politique d'interdiction du cannabis engendre d'autres coûts sociaux. De nombreux citoyens principalement jeunes sont arrêtés et condam nés chaque année. Beaucoup d'entre eux n'auraient pas de casier judiciaire autrement, avec les effets négatifs que cela peut avoir sur leurs études, leur travail et leurs relations familiales. Il ne faut pas négliger non plus, et cela s'applique autant à ceux qui ont été reconnus coupables d'avoir consommé du cannabis qu'à la société dans son ensemble, la question de la violation des droits et libertés individuels pour faciliter l'application de la loi en matière de drogues.

Si nous concluons, comme la Commission Le Dain l'a fait il y a quelque 25 ou 30 ans, que nous pouvons réussir à limiter la consommation et à éviter les dommages sur le plan social sans imposer de sanctions pénales dans le cas du cannabis, quelle serait alors une solution de rechange raisonnable? J'aurais un modèle à proposer au comité, un modèle qui peut offrir une réponse sur le plan social pour un certain nombre de psychotropes, licites et illicites, et qui permettra de réduire les dommages causés non seulement par les drogues mais aussi par les régimes de surveillance.

Beaucoup d'analystes affirment que nos régimes de lutte contre les drogues font indirectement plus de mal que de bien. La prolifération soudaine du VIH et du VHC chez les consomma teurs de drogues injectables est souvent citée à titre d'exemple.

En 1998, les responsables de la santé publique de Colombie- Britannique ont rédigé un rapport. L'une de leurs recommanda tions est que le gouvernement fédéral modifie la loi réglementant certaines drogues et autres substances afin d'encadrer la disponi bilité légale de certaines drogues de l'annexe 1 dans un régime d'ordonnances médicales étroitement contrôlé, le tout s'insérant dans un arsenal complet de mesures de lutte contre les toxicomanies; la possession de petites quantités de drogue réglementée serait alors décriminalisée, mais les délits relatifs à l'importation et au trafic demeureraient et l'exécution de la loi serait renforcée.

Le cadre d'examen de différents régimes de réglementation a été élaboré en 1984 par le psychiatre britannique Marks. C'est un cadre simple, appelé «le paradoxe de l'interdiction» qui, essentiellement semble indiquer que les dommages causés par une drogue peuvent être représentés par une courbe en «U», où la demande se trouve en ordonnée et le régime de réglementation en abscisse. Au sommet des deux branches du «U», la demande et la consommation sont au maximum, tout comme les dommages causés. À l'une des extrémités de l'axe de la réglementation, qui correspond à l'interdiction, les dommages sont causés non seulement par les effets directs de la drogue, ou de ses adultérants, mais aussi par de mauvaises habitudes de consommation (infections, mort par surdose), les crimes commis pour se procurer de la drogue, les coûts sociaux des procédures judiciaires et des établissements de détention, les conséquences d'avoir un casier judiciaire, les coûts associés à la corruption des forces policières et les coûts de renonciation de l'application de la loi.

L'exemple que Marks donne à ce sujet est l'époque de la prohibition en Amérique du Nord. Il est vrai que la quantité totale d'alcool consommée aux États-Unis a diminué pendant la prohibition, mais les torts causés par l'alcool se sont multipliés. Si la fréquence de la cirrhose du foie a diminué, plus de 1 000 personnes ont été tuées par la police dans le cadre de l'application de la loi. Et ces victimes n'étaient pas des trafiquants d'alcool. Nous savons déjà que les guerres intestines entre les gangs de trafiquants d'alcool ont certainement contribué à gonfler ces chiffres.

Pour d'autres auteurs, l'actuelle «guerre aux drogues» déclarée aux États-Unis en est un exemple encore plus éloquent. À l'autre extrémité de l'axe de la réglementation, il y a le libre marché absolu, sans aucune entrave pour la production commerciale et la distribution du produit. Le portrait que fait Hogarth de l'Angleter re avec ses bars louches et son intoxication généralisée est probablement ce qui correspond le plus à la définition que Marks fait de l'«intoxication épidémique», alors qu'on pouvait être «ivre pour quelques sous, ivre-mort pour à peine plus» selon le slogan publicitaire de l'époque.

Au centre, au bas du «U» proposé par Marks, il y a un point où les extrêmes de l'interdiction ou du marché libre absolu ont été modulés, et pourtant où la consommation pourrait être modérée et les dommages associés à la consommation et à la surveillance limités. C'est ce qu'on appelle l'«approche de santé publique». Dans le contexte de réglementation actuel, c'est au centre du bas du «U» que l'on retrouve les drogues licites les plus réglementées, celles qui sont contrôlées et prescrites par ordonnance par les professionnels de la santé. La position des psychotropes, le tabac et l'alcool se situent vers la droite de la courbe.

Le tabac s'est lentement déplacé de la droite, qui correspond à un marché entièrement libre, vers le centre au cours des vingt dernières années, tandis que l'alcool s'est éloigné de l'extrême gauche de la courbe parce que, après la levée de l'interdiction complète, il est devenu un produit rigoureusement réglementé, assujetti au monopole de l'État comme l'était le marché canadien des boissons alcooliques dans les années 60, s'apparentant ainsi aux médicaments prescrits, pour se déplacer maintenant de façon continue vers l'extrême droite, étant donné que les gouvernements et l'«industrie des rafraîchissements» visent de plus en plus à normaliser sa consommation. Ainsi, les restrictions en matière de publicité son abolies, la vente le dimanche et tard en soirée est autorisée, certaines provinces ont privatisé leur ancien monopole et d'autres ont décidé de permettre la vente de bière et de vin dans les magasins du coin.

En même temps, les dommages associés à sa consommation diminuent dans un certain sens, et nous en sommes arrivés à reconnaître que, pour les adultes de 50 ans et plus, une consommation modérée d'alcool est bénéfique pour la santé. Il reste à savoir toutefois si l'accès accru à l'alcool a été aussi favorable pour les jeunes et les buveurs dysfonctionnels.

Le Dr Harold Kalant, qui a déjà comparu devant vous au cours des audiences a beaucoup écrit sur les substances psychotropes, notamment un traité dans lequel il se demande s'il est possible d'établir un cadre de réglementation fondé uniquement sur les effets pharmacologiques et physiologiques des drogues. Il a conclu que nos connaissances en la matière étaient insuffisantes mais que, même si nous avions les connaissances voulues, nos valeurs culturelles et symboliques jouaient un rôle tout aussi important dans ce que nous approuvons et dénigrons, et que même essayer d'établir ce cadre pourrait s'avérer inutile.

Le Sénat nous donne toutefois l'occasion d'essayer de nouveau de rendre rationnel le monde irrationnel des drogues et, même si nous ne le rendons pas parfaitement rationnel, je suis d'avis que nous pouvons concevoir un meilleur régime de réglementation que celui que nous avons aujourd'hui.

Pour revenir au modèle de Marks, je cite le travail d'un de mes anciens collègues des Services de toxicomanie de Colombie-Bri tannique - Mark Haden - qui a proposé un certain nombre de possibilités le long de l'axe. Il en a énuméré sept, mais il serait toujours possible d'accroître ou de réduire ce nombre.

Un plus loin se trouve la législation et l'imposition de restrictions sur les produits, comme l'emballage, la commerciali sation, les modes de vente, la publicité, et cetera, puis la législation et l'imposition de restrictions visant les produits et les consommateurs, comme l'âge de l'acheteur, le volume d'achat, la preuve de résidence, et cetera, puis l'accès sur ordonnance seulement, puis la décriminalisation de fait, par exemple, en ne tenant pas compte des lois en vigueur, puis à l'autre extrémité, le maintien de la criminalisation telle qu'elle existe actuellement.

De façon plus spécifique et plus restreinte, en 1998, le Groupe de travail national du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies chargé d'étudier la politique en matière de toxicomanie a proposé, au sujet de la réglementation nécessaire dans le cas du cannabis, une série de mesures plus souples pour lutter contre le cannabis, tout en maintenant cependant son statut de drogue illicite. On proposait entre autres: l'amende seulement, une option d'infraction d'ordre civil, une option de déjudiciarisa tion et une option consistant à envisager le transfert des responsabilités en la matière aux provinces.

À la suite de cette analyse, le groupe a formulé une série de recommandations dont la première était la suivante: la peine en cas d'accusation de possession de cannabis devrait être réduite. Plus précisément, la possession de cannabis devrait devenir une infraction d'ordre civil en vertu de la Loi sur les contraventions.

Le groupe a aussi recommandé d'offrir un traitement de désintoxication aux gros consommateurs ou à ceux qui consom ment d'autres drogues illicites, d'assortir toute modification apportée à la loi d'une évaluation des niveaux de consommation et des dommages ultérieurs et de joindre à toute modification apportée à la loi pour atténuer les conséquences pour les consommateurs de cannabis un message clair indiquant que nous ne sommes pas pour autant moins préoccupés par les éventuels problèmes liés à la consommation de cannabis.

Ces recommandations semblent judicieuses quoique conserva trices - décriminalisation et évaluation plutôt que légalisation - et conformes à l'opinion de la majorité des Canadiens, y compris les milieux de la police et de la santé publique.

Cependant, une mise en garde est nécessaire. Si le Canada adoptait cette recommandation, nous devrions prendre des mesures pour éviter de reproduire ce qui s'est passé en Australie, où l'établissement d'un «programme expiatoire pour le cannabis» a eu en fait pour effet «d'élargir le filet» parce que les policiers ont donné des contraventions à des consommateurs qu'ils avaient ignorés auparavant.

Beaucoup de contrevenants n'ayant pas payé leurs amendes ont été condamnés par le système de justice pénale, ce qui a involontairement fait en sorte que le nombre de personnes incriminées est aussi important sinon plus qu'avant l'adoption de la nouvelle mesure.

On peut se demander si, compte tenu sur ce que nous savons sur le cannabis par rapport à l'alcool, un régime semblable mais plus sévère serait justifié. C'est-à-dire, l'État pourrait-il mettre en place un contrôle de la production et de la vente au détail ainsi qu'un accès plus limité, avec limites d'âge, restrictions géographi ques, quantitatives, et cetera? Quand je suis arrivé en Ontario, en 1972, si je voulais acheter une bouteille de vin, je devais me rendre dans une boutique anonyme, consulter une liste de produits, écrire ma demande sur un bout de papier et la remettre à un commis qui disparaissait dans l'arrière-boutique et revenait avec une bouteille emballée dans un sac de papier brun. Je payais mon achat et je m'en allais.

Cette approche permettrait au gouvernement de percevoir des taxes qui pourraient servir à l'éducation et au traitement. Cette solution reçoit l'appui d'un certain nombre de mes collègues en Colombie-Britannique. Même si elle est tout à fait raisonnable, je ne crois pas qu'elle serait acceptable pour le moment. Il faut en effet penser aux obligations du Canada en vertu des traités internationaux, même si je constate que, selon les conditions du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues, aucune des Conventions n'exige qu'une partie condamne ou punisse ceux qui ont commis de telles infractions, même quand elles sont réputées être punissables; des mesures de rechange peuvent toujours être substituées à la condamnation au criminel.

C'est par conséquent avec certaines réserves que j'appuie les recommandations du groupe de travail du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies. Les faits et les analyses indiquent toutefois que nous pourrions faire mieux, si nous faisions preuve d'initiative.

Le président: Si je comprends bien, votre recommandation se trouve au paragraphe précédant l'avant-dernier, n'est-ce pas?

Dr Kendall: Oui.

Le président: Compte tenu du climat politique, vous croyez toutefois que la recommandation qui pourrait être appliquée serait celle de 1998?

Dr Kendall: À tout le moins, on pourrait appliquer la recommandation de 1999.

Le sénateur Banks: Dr Kendall, vous avez inclus dans cette recommandation des restrictions d'accès strictes. Quelles seraient ces restrictions et à qui s'appliqueraient-elles? Seraient-elles semblables aux restrictions d'âge qui s'appliquent à la vente de tabac et d'alcool?

Dr Kendall: On pourrait mettre en place un régime axé sur les restrictions d'âge - les restrictions géographiques, le nombre de points de vente, le régime de licences et la réglementation de ces points de vente, la quantité de produits qui peut être vendue et l'état de la personne à qui elle est vendue. On pourrait par exemple avoir un régime semblable à celui en vigueur pour l'alcool.

Le sénateur Banks: Ce régime est toutefois extrêmement inefficace dans le cas du tabac.

Dr Kendall: Si on voulait limiter le nombre d'endroits où l'on vend du tabac, il serait plus efficace de limiter la vente de ce produit aux pharmacies plutôt que d'autoriser la vente dans tous les dépanneurs. Les pharmaciens licenciés, ils peuvent retirer le produit de la vente libre. Ils ont plus avantage à limiter l'accès aux produits que les propriétaires de dépanneur.

Le sénateur Banks: Au début de votre exposé, vous avez dit qu'il y avait eu, en 1999, 26 000 condamnations pour possession. Un peu plus tôt aujourd'hui, M. Fischer a dit qu'il y en avait eu 36 000. Pourriez-vous me laisser savoir lequel de ces chiffres est le bon ou d'où ils proviennent l'un et l'autre.

Dr Kendall: J'ai dit qu'il y avait plus de 26 000 accusations. Il faudrait que je discute avec M. Fischer et que nous précisions les chiffres.

Le sénateur Banks: Si je pose cette question, c'est qu'il est préférable que les chiffres soient uniformes, bien que je ne suis pas certain de leur utilité.

J'apprécierais que vous nous le fassiez savoir. De cette façon, nous pourrons être sûrs que votre argument de base est qu'il ne faudrait pas inclure le cannabis dans le régime actuel, comme il l'est dans la loi réglementant certaines drogues et autres substances. Vous avez dit que le cannabis y avait été inclus, à tort, avec d'autres substances. J'aimerais que vous nous expliquiez ces observations du point de vue professionnel.

Pour ce qui est de la question du cannabis en tant que drogue d'introduction, mes enfants ont passé l'âge, mais je m'inquiète maintenant pour mes petits-enfants.

Peu m'importe que le cannabis soit une drogue d'introduction pour une quelconque raison physiologique - dont on nous a dit qu'elle n'existe pas - ou est-ce que le même vendeur de drogues dans la cour d'école pourrait ajouter un peu d'autres drogues à du cannabis pour la faire connaître aux jeunes et même pour les rendre dépendants.

Mais en tant que grand-parent, parent ou personne intéressée à un degré quelconque, je m'inquiéterais de la possibilité que le cannabis puisse mener, pour quelque raison que ce soit, à l'usage d'autres drogues. Croyez-vous que nous puissions faire la distinction entre les différentes façons par lesquelles cette introduction peut se produire? Dans le régime actuel, du moins, les criminels peuvent se procurer toutes les drogues illicites, par définition, et les mélanger, n'est-ce pas? Vous et M. Fischer avez parlé, je crois, de mélanges, lorsque vous parlez de la disponibilité de ces drogues. Peut-on sérieusement dire que ce facteur d'introduction n'existe pas?

Dans le même ordre d'idées, des scientifiques, des médecins et d'autres personnes du domaine de la médecine nous ont dit qu'il est clair, démontrable et irréfutable que le cannabis n'est pas une drogue d'introduction. Par contre, des agents de police qui travaillent dans les rues et sont confrontés chaque jour à ce problème disent le contraire. Qui devons-nous croire? Comment devons-nous décider de qui nous croirons? Les policiers, ceux qui travaillent dans ce domaine tous les jours, ont-ils raison, ou vaut-il mieux croire les scientifiques qui disent qu'il n'existe aucune preuve physiologique?

Dr Kendall: À bien des égards, les scientifiques et les policiers parlent de deux choses différentes. Pour un policier, quiconque enfreint une loi risque d'en enfreindre une autre. Les policiers sont au centre-ville auprès des gens. Ils ont un peu la même perspective que moi, lorsque je travaillais dans une clinique populaire et que tous les jeunes que je soignais dans cette clinique étaient atteints de maladies transmises sexuellement. Il était facile pour moi d'en conclure que tous les jeunes ont une vie sexuelle active et qu'ils ont tous des maladies transmises sexuellement, compte tenu de ma clientèle. Dans ce milieu, je ne voyais qu'un nombre limité de jeunes par rapport à tous ceux qui existent. Les policiers tirent des conclusions valables pour la population auprès de laquelle ils travaillent, mais cette population n'est pas représentative de l'ensemble des jeunes.

La thèse qui veut que le cannabis soit une drogue d'introduc tion s'appuie sur l'argument suivant: le cannabis affecte le cerveau de l'usager et y crée un besoin pour d'autres drogues. Ce besoin ne peut être satisfait qu'en consommant des drogues plus fortes et en plus grande quantité. Voilà la théorie classique de la drogue d'introduction, qui ne tient pas debout.

Toutefois, lorsque nous regroupons toutes les drogues et enseignons à nos enfants que tous ces produits sont aussi mauvais les uns que les autres, nous sommes portés à assimiler tous les marchés. Il ne devrait pas nous étonner d'apprendre que lorsque les enfants font l'essai d'une substance, ils constatent qu'ils n'en perdent pas la raison. Ils ne se réveillent pas le lendemain matin en proie à un syndrome de dépendance aiguë. Leurs amis n'éprouvent pas de problèmes à la suite de l'usage des drogues. Alors pourquoi devraient-ils nous croire lorsque nous leur affirmons que telle autre drogue - qui, dans leur esprit, n'est ni plus ni moins illégale que l'autre - est plus dangereuse ou nuisible? Ils ne le croient pas. Ils seront peut-être même portés à faire l'essai de cet autre produit pour en avoir le coeur net.

Les Pays-Bas nous fournissent des preuves solides à l'appui de cette théorie puisque, grâce aux cafés où l'on vend du cannabis et à la décriminalisation de la possession de petites quantités, on est parvenu à y séparer les deux marchés de la drogue. Aux Pays-Bas, l'usage des drogues dures, l'héroïne et la cocaïne, est beaucoup moins répandu qu'aux États-Unis et dans les autres pays où les deux marchés sont semblables et se côtoient.

Le sénateur Banks: Les drogues dures y sont-elles moins utilisées qu'elles ne l'étaient avant cette séparation des marchés?

Dr Kendall: Oui, et l'âge moyen des utilisateurs de drogues injectables aux Pays-Bas augmente sans cesse, ce qui montre qu'on a réussi à y séparer les marchés et qu'il n'y a pas d'effet d'introduction aux drogues injectables. Les plus jeunes ne viennent pas élargir les rangs de la cohorte des usagers.

La situation est différente au Canada. Ce sont des jeunes qui, régulièrement, se joignent à la cohorte des utilisateurs de drogues injectables. Nous n'avons pas réussi à séparer ces marchés.

Le sénateur Banks: Dans l'état actuel des choses au Canada, si je me fie à ce que vous venez de dire, on pourrait donc conclure qu'il y a effet d'introduction direct d'une drogue à une autre dans le but de satisfaire un besoin mais qu'il y a un lien entre les deux dans le régime canadien actuel.

Dr Kendall: Dans de nombreux cas, les deux types de produits sont offerts en même temps.

Le sénateur Banks: J'en reviens à mon argument précédent. Qu'il y ait ou non effet d'introduction au sens médical, la question est presque secondaire. Parce que nous n'avons pas séparé ces deux types de drogues au pays, un lien existe entre l'utilisation, d'une part, d'une drogue que vous qualifiez de relativement inoffensive et, de l'autre, de drogues qui sont assurément plus nocives.

Dr Kendall: Du point de vue statistique, le lien est manifestement faible. Deux pour cent seulement des usagers du cannabis font l'essai d'autres drogues qui sont peut-être offertes par le même revendeur. D'après mes conversations, au fil des ans, avec ma fille de 24 ans, il y a une certaine démarcation des marchés. Les drogues offertes dans les écoles secondaires de sa région, c'est-à-dire à Vancouver, sont généralement des drogues douces comme le cannabis, tandis que le marché du centre-ville offre à la fois les drogues douces et les drogues dures. Il y a une certaine différenciation des marchés selon le milieu.

Les groupes de discussion organisés dans 46 écoles secondaires de l'Ontario ont révélé que, dans certaines régions, les deux types de drogues étaient intégrées. De façon plus générale, nous avons constaté que les marchés s'adaptaient à la demande, et que c'était le cannabis, et non les drogues dures qui étaient en demande. D'après cette étude, la plupart des jeunes des écoles secondaires considèrent que l'utilisation des drogues dures, c'est pour les zéros, tout comme l'utilisation quotidienne du cannabis. Il n'y avait pas de marché comme tel dans les écoles secondaires.

Le sénateur Banks: Les enfants sont rendus beaucoup plus loin que nous. Ils ont fait la distinction.

Dr Kendall: Si nous les écoutions et tenions compte de ce qu'ils nous ont dit, nous aurions un programme de prévention beaucoup plus efficace.

Le président: Je sais que ma question est difficile pour un chercheur mais, compte tenu de ce que nous savons de l'utilisation du cannabis et des tendances actuelles, cette drogue représente-t-elle toujours un problème de santé publique?

Dr Kendall: Le problème est beaucoup moins grave que ceux engendrés par l'alcool et le tabac. Le cannabis pose un problème pour certains enfants, que nous pouvons identifier. Ce sont les enfants qui n'ont pas bénéficié d'un plein développement pendant la jeune enfance. Ce sont les enfants qui, pendant les années préscolaires, ne sont pas prêts à l'apprentissage. Ce sont les enfants des écoles élémentaires et secondaires qui sont aux prises avec des troubles d'apprentissage et des troubles affectifs par rapport à l'école et à la collectivité. Nous pouvons les aider à exercer des choix judicieux en les éduquant. Nous pouvons aussi identifier ceux qui ont besoin d'un soutien spécial, d'alphabétisa tion ou d'éducation sur le plan du comportement social.

Le président: Qui devrait dispenser cette éducation?

Dr Kendall: Les éducateurs devraient provenir de différents milieux. Les services policiers peuvent jouer un rôle. Quand vient le temps d'encourager des choix judicieux par rapport aux substances psychoactives, chez les enfants en bas âge, toute personne représentant l'autorité, qu'il s'agisse d'un parent, d'un agent de police ou d'un enseignant est jugée crédible. À mesure que l'enfant vieillit et commence à remettre en question l'autorité, il faut adopter, à mon avis, une approche moins autoritaire, une approche par les pairs, une forme d'éducation respectueuse, qui présente les faits et exprime aux jeunes les choix que nous souhaitons les voir effectuer. La même approche ne fonctionne pas pour tout le monde. Et il y a les enfants à haut risque, qui exigent une toute autre approche.

Ma réponse reprend largement celle de M. Fischer. L'informa tion doit venir de sources multiples, et le contenu doit être précis et homogène. Les mass média, la culture populaire, les enseignants, les parents et les éducateurs spéciaux, tous ont un rôle à jouer.

Le président: Pendant votre entretien avec le sénateur Banks, vous avez employé l'expression «marché intégré». Le marché est-il intégré parce que ces substances sont illégales, ou doit-on déduire de votre témoignage et de la réponse que vous avez donnée au sénateur Banks que si l'une de ces substances était réglementée mais non illicite, c'est-à-dire dispensée sur recom mandation personnelle, le marché ne serait pas intégré?

Dr Kendall: D'après moi, le marché ne serait pas intégré. C'est une hypothèse qui pourrait faire l'objet d'une recherche, et nous pourrions en avoir le coeur net.

Le président: Nous avons donc un laitier qui vend non seulement du lait mais aussi de la crème glacée et tout le reste parce que tous les produits qu'il vend sont prohibés. Si l'une de ces substances n'était pas interdite, l'accès aux drogues dures ou aux substances illicites serait coupé faute de demande.

Dr Kendall: C'est ce que je suppose oui, et mon hypothèse est étayée par l'expérience néerlandaise et par des recherches.

Le président: Nous consacrerons toute une journée à l'étude de l'expérience néerlandaise. Il sera intéressant d'apprendre quelles sont les tendances d'utilisation des drogues douces et dures dans ce pays, et la réalité risque de nous surprendre. J'ai hâte d'entendre ces témoignages.

Vous parliez de conventions internationales. Pouvez-vous nous expliquer un peu nos options? Il est facile de dire que nous aimerions pouvoir agir mais que nous avons les mains liées. Dans votre témoignage, vous avez dit que nous pourrions aller au-delà de la réponse facile «en interprétant», pour employer le jargon des avocats, les conventions de façon à comprendre le sens du texte. Pouvez-vous préciser?

Dr Kendall: Je craignais une telle question.

Le président: C'est un sujet délicat.

Dr Kendall: Je ne suis pas avocat et je n'ai pas étudié les conventions en détail. Toutefois, je vous rappelle que le PNUCID affirmait, dans son rapport mondial sur les drogues de 1997, qu'aucune de ces conventions n'oblige les autorités à condamner ou à punir ceux qui commettent de telles infractions, même s'ils sont passibles d'une peine. D'autres méthodes alternatives peuvent toujours remplacer les poursuites pénales. Cela laisse la porte ouverte, et je vous recommande d'obtenir un avis juridique sérieux sur les options et les conséquences qui découlent de cette ouverture dans le contexte du cadre réglementaire international. D'après mon interprétation, le texte ouvre la voie à l'abandon d'un régime d'interdiction en faveur d'un régime de réglementa tion.

Le président: Vous êtes de Vancouver, et Vancouver est probablement le centre de la production du cannabis au Canada à l'heure actuelle. Que pouvez-vous nous dire à propos de la réaction de vos voisins au sud de la frontière?

Dr Kendall: Les différents services de police disent que la frontière canadienne est trop perméable et que les tribunaux canadiens sont trop indulgents vis-à-vis les personnes inculpées d'infractions liées au cannabis. Par conséquent, la GRC en Colombie-Britannique a intensifié ses efforts visant l'application de la loi et la sécurité.

Je ne crois pas que les États-Unis constituent un monolithe ni que les opinions des services de police américains, ou même de certains sénateurs, reflètent les opinions d'un échantillon repré sentatif d'Américains. Bon nombre d'États ont adopté des lois pour décriminaliser et permettre l'utilisation de la marijuana à des fins médicinales. Aucun État n'a une seule opinion et les opinions au niveau fédéral diffèrent de celles des États. L'opinion des médecins et des chercheurs est différente aussi.

Le président: C'est la dernière partie de votre réponse qui m'intéresse le plus. Vous restez en contact avec vos homologues professionnels de l'autre côté de la frontière. Quelle est leur compréhension du sujet? Sont-ils sur la même longueur d'onde que vous? Bien sûr, nous allons leur poser ces questions, mais pensez-vous qu'ils seraient prêts à appuyer votre recommandation personnelle?

Dr Kendall: Je dirais que la majorité des chercheurs dans le domaine de la santé et de la toxicomanie auxquels j'ai parlé, et je n'ai pas consulté tout le monde, favoriseraient une approche fondée sur la santé publique, une solution de compromis visant à minimiser les dommages, à les mesurer et à les atténuer. Je ne parle pas simplement des dommages causés par les substances et l'utilisation de ces substances, mais aussi celles qu'entraîne l'approche réglementaire. Les deux extrêmes du spectre politique ont des opinions assez tranchées quant aux drogues intraveineuses et illicites et à l'impact de la guerre contre les drogues sur la santé du peuple américain.

Le président: Dans vos dernières remarques, vous avez fait référence à une recommandation pragmatique. Elle est influencée par des principes non pas scientifiques, mais plutôt moraux et historiques. Voici ma dernière question, et si vous préférez répondre par écrit, n'hésitez pas à le faire. Quelles lignes directrices devraient influencer la politique publique en matière de drogues illicites? Évidemment, la science a un rôle à jouer, mais quel est le rôle des moeurs et quel devrait être le rôle des lois pénales? C'est une question assez vaste; comme je l'ai déjà mentionné, si vous voulez, vous pouvez nous envoyer votre réponse par écrit.

Dr Kendall: Je vous fournirai des commentaires par écrit avec plaisir. Certains de nos principes inhérents devraient être centrés sur les libertés personnelles et le respect des choix d'autrui. Il faudrait éviter les questions où l'on fait des choses pour le bien des gens au lieu de se concentrer sur les questions qui causent du tort à autrui. Si l'on essaie de restreindre les comportements et la liberté de choix, il faudrait se limiter aux domaines où il est prouvé que ces comportements causent du tort à autrui. Il faudrait chercher différents moyens de modifier ces comportements. Je suis sûr que de nos jours, nous nous sommes écartés de ces principes et que les contraintes sociales que nous avons imposées au choix des individus et ce qui se passe une fois que les individus ont fait ces choix dans le contexte de nos efforts de lutte actuels cause plus de tort aux gens que si on permettait aux individus de faire des choix et qu'on essayait d'atténuer les dommages subséquents. Nous avons amplifié les torts causés par des mauvais choix faits par les gens.

Le président: Peu importe les arguments des scientifiques et des spécialistes, un grand nombre de gens affirment, en dépit des efforts tentés pour fournir des preuves, que ces arguments sont moralement indéfendables. Même si l'on peut soutenir raisonna blement que la moralité ne devrait pas influencer la politique gouvernementale, elle influence en fait les décisionnaires.

Le sénateur Banks: Vous avez entendu la question que j'ai posée à M. Fischer tout à l'heure. Notre pays et d'autres ont des lois qu'on considère civilisées et morales concernant, entre autres, le suicide, qui prévoient qu'on ne doit pas faire de tort à autrui, que c'est répréhensible. Bien entendu, il n'y a pas de solutions simples dans le cas de l'avortement, car il n'existe pas de définition scientifique du moment où commence la vie. On pourrait prétendre qu'il y a bien des choses qui ne font pas tort à un tiers mais qui sont interdites par des lois pour des raisons morales. Vous n'avez pas dit que d'autres droits fondés sur la moralité doivent être modifiés.

Voulez-vous répondre brièvement à la question que vous a posée le président concernant la différence entre une loi dont la seule raison d'être c'est de réduire le tort causé à autrui, et une loi qui prévoit qu'une activité donnée, même si elle cause du tort uniquement à son auteur, n'est pas conforme à la moralité et donc est défendue par la loi. Beaucoup de gens croient qu'il faut avoir des lois fondées uniquement sur des considérations morales, comme c'est le cas. Faut-il simplement ne pas tenir compte de cet argument?

Dr Kendall: Je dirais que la valeur morale des substances de qualifiées d'illicites provient d'une volonté d'aider les gens et de les empêcher de se faire mal. Je pense qu'on a évalué les torts et les avantages qui pourraient résulter de l'utilisation de ces substances. On pourrait avancer un argument assez solide pour dire que les torts causés par la lois par suite de la position morale adoptée l'emportent sur les avantages.

Le sénateur Banks: Par extrapolation, faut-il dire concernant les autres drogues que la question morale ne se pose pas parce que ces drogues font du tort uniquement à ceux qui sont assez sots pour se piquer?

Dr Kendall: Je pense qu'on peut qualifier de moraux nos efforts actuels pour limiter l'usage de l'héroïne injectable, qui a entraîné des milliers de morts évitables dus à la surdose, et des milliers d'infections évitables aussi. Si on fait le bilan des torts et des biens, je dirais que du point de vue moral le régime actuel de lutte contre les drogues injectables est très immoral, parce qu'il nous empêche de mettre en place des programmes et des pratiques qui vont empêcher les gens de mourir et d'autres de contracter des infections et de se faire encore plus mal.

Le sénateur Banks: Si on pousse l'argument un peu plus loin, on pourrait dire qu'à tous les points de vue, moraux et autres, il serait logique de décriminaliser l'usage des drogues.

Dr Kendall: Je pense que oui. Il faut choisir le régime avec soin. Mes collaborateurs et moi ont publié un document en 1998 dans lequel nous avons dit qu'il serait plus avantageux pour la société et pour les narcomanes d'avoir un régime très serré qui nous permette de délivrer des ordonnances, plutôt que d'avoir le régime actuel qui fournit, de façon illicite, des substances impures. Nous n'avons aucune prise sur un tel régime. Ce n'est pas comme si on voulait passer d'une situation où il n'y a pas de drogues illicites dans la rue à une inondation de médicaments prescrits. À Vancouver, on passe d'une situation où le centre-ville est inondé de drogues de pureté douteuse à une situation où on pourrait contrôler dans un contexte médical la quantité et la pureté des drogues. De cette façon, on pourrait limiter les morts et les maladies et réduire la souffrance humaine.

Le sénateur Banks: Vous avez dit tout à l'heure qu'il y a des recherches en cours au sujet de l'usage médical dont vous avez parlé. L'émission de la CBC, Quirks and Quarks, portait justement sur cette question l'autre jour. Le Dr Donald Abrams, qui fait des recherches sur le cancer et sur le sida à l'Université de Californie à San Francisco, a été interviewé à cette émission. Il a fait des essais cliniques pour savoir si le cannabis possède véritablement les avantages médicinaux fondés sur les preuves empiriques selon lesquelles le corps produit des cannabinoïdes et par quelques cas anecdotiques. L'animateur de l'émission, M. MacDonald, a dit:

Il n'existe pas beaucoup de preuves scientifiques valables pour justifier l'usage de la marijuana à des fins médicales. Nous n'avons pas encore déterminé son efficacité grâce à des essais cliniques bien conçus et bien encadrés. Mais ce n'est pas par manque d'efforts.

C'est le Dr Abrams qui a dit:

Il faut se rappeler qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle découverte. On se sert de la marijuana comme composé thérapeutique depuis des milliers d'années. Il est donc clair qu'il s'agit d'une substance ayant des avantages thérapeuti ques. Vous savez que je disais toujours que si la science pouvait survivre à la politique, nous procéderions aux ces essais. Voici un autre exemple de ma naïveté: car la science et la politique sont tellement interreliées qu'il est impossible de savoir laquelle va pouvoir survivre et triompher de l'autre.

Il fait référence à la situation aux États-Unis et au manque de volonté politique en matière de recherches en ce qui concerne l'efficacité de l'usage de la marijuana à des fins médicales. Vous dites qu'il y a des essais en cours. En fait-on?

Dr Kendall: Oui.

Le sénateur Banks: Où?

Dr Kendall: Santé Canada a prévu le financement ainsi que les paramètres en vue de la recherche médicale sur l'usage de la marijuana à des fins médicales. Je ne sais pas exactement qui fait les essais cliniques, mais toute une série d'essais sont en cours.

Le président: L'Université McGill à Montréal étudie l'action sédative de la marijuana. Cette université a reçu une subvention il y a un mois et demi.

J'aimerais revenir au modèle du Dr Marks. Savez-vous s'il existe une étude empirique pour ce modèle? S'agit-il simplement d'une proposition ou d'une idée, ou est-ce que ce modèle a fait l'objet d'une étude?

Dr Kendall: On n'a pas fait une seule étude. C'est une idée, un modèle. Cependant, on peut utiliser certaines données pour déterminer l'impact des différents régimes réglementaires sur l'usage des drogues et l'impact de ces régimes sur des personnes et la société dans son ensemble. Par exemple, on pourrait examiner l'utilisation du tabac, le nombre de personnes qui fument, les cancers pulmonaires et le nombre de maladies cardiaques qui résultent d'une approche axée purement sur l'économie du marché et les comparer à la diminution du tabagisme et des maladies cardiaques subséquentes tirées des données de la Californie. Les données du Canada qui portent sur les cancers pulmonaires chez les hommes témoignent du problème de tabagisme et reflètent nos attitudes envers le tabac, ce qui reflète, à son tour, jusqu'à quel point on décide de promouvoir ou de ne pas promouvoir le produit ou d'en limiter l'accès. Pour presque toute substance psychoactive, vous pourriez examiner l'impact des différents régimes et procéder à des tests. C'est en partie le résultat d'une telle étude qui a mené à ce modèle.

Le président: C'est une façon intéressante d'examiner la situation actuelle ainsi que les options et les solutions de rechange possibles.

Pour en revenir à l'influence de la moralité sur l'élaboration de la politique, pourriez-vous nous dire pourquoi, étant donné vos connaissances et celles de vos collègues du milieu scientifique canadien, il y a une telle divergence et pourquoi ne se reflète-t-elle pas parmi la population pour influencer les gens est moralement répréhensible? Il me semble que vous nous fournissez des renseignements qui sont à la fois sensés et raisonnables et je suis certain que ce que vous dites n'est pas nouveau. Comment se fait-il que ce message n'atteint pas la population en général?

Dr Kendall: Les sociologues ont écrit de nombreux ouvrages pour répondre à cette question.

Je crois que l'information commence à s'infiltrer. Il y a des groupes forts qui font contrepoids et qui s'opposent fondamenta lement à certaines de ces approches pour diverses raisons. Le Dr Mathias en discutera peut-être cet après-midi.

Quant au cannabis, par exemple, il est clair que les policiers sur la ligne de front ne veulent pas perdre un outil; ils se voient handicapés dans la lutte contre les éléments criminels. Dans mes entretiens avec de nombreux policiers, je peux vous dire qu'ils ne veulent pas perdre ce qui leur semble un outil utile. À mon avis, c'est-à-dire du point de vue d'un scientifique, le fait que cet outil utile entraîne de nombreuses conséquences non intentionnelles et indésirables importe peu aux policiers. S'ils perdent cet outil, ils seront fâchés.

Le président: Vous nous dites donc qu'il existe vraiment des gens qui s'opposent de bonne foi à tout changement parce qu'ils considèrent qu'une telle chose serait moralement répréhensible mais qu'il existe un autre groupe, qui n'agit pas de bonne foi, et qui s'oppose à tout changement pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la question morale.

Dr Kendall: Oui, pour des raisons pratiques. Par exemple, un groupe qui fait le marketing et la vente des drogues illicites et dont les profits sont largement supérieurs à ceux qu'il pourrait réaliser en vertu d'un régime réglementaire. Il est dans l'intérêt d'un tel groupe de préserver le statu quo. Je vous parle des médicaments que les entreprises pharmaceutiques pourraient fabriquer pour quelques cents l'once et qu'elles vendent mainte nant pour des centaines de milliers de dollars.

Monsieur le président, puis-je vous montrer deux autres diapositives?

Le président: Bien sûr.

Dr Kendall: La première diapositive est une comparaison de l'emploi du cannabis chez les adolescents aux États-Unis et aux Pays-Bas pendant plus ou moins la même période, c'est-à-dire 1994, 1996 et 1997. Toutes choses égales, si l'on vous demandait de choisir un régime réglementaire qui minimisait l'emploi du cannabis, vous considériez probablement et à juste titre le pays ayant l'utilisation la plus faible.

Le président: Si on veut être juste en ce qui concerne les tendances et la population, lorsqu'on observe les chiffres concernant l'utilisation des drogues dans toute l'Europe on voit qu'elle est inférieure à celle de l'Amérique du Nord, n'est-ce pas?

Dr Kendall: À l'exception du Royaume-Uni, où le taux d'utilisation est supérieur.

Le président: En général, en Europe occidentale, y compris les Pays-Bas, la France, la Suisse, la Belgique, l'Espagne, le Portugal et l'Italie, le taux d'utilisation des drogues est inférieur à celui de l'Amérique du Nord, n'est-ce pas?

Dr Kendall: Oui. Je vous ai montré cette comparaison parce qu'on va vous dire que le régime néerlandais a engendré une toxicomanie de proportion épidémique. En toute honnêteté, les données n'appuient pas cette position.

Le président: Si nous avons d'autres questions, nous vous écrirons pour obtenir une réponse. Si vous obtenez d'autres renseignements qui d'après vous pourraient être utiles au comité, veuillez nous les faire parvenir.

[Français]

Avant de clore les travaux de cette séance du comité, je tiens à rappeler à tous ceux et celles et qui s'intéressent aux travaux du comité, qu'ils peuvent lire et s'informer au sujet des drogues illicites en rejoignant notre site Internet à l'adresse suivante: www.parl.gc.ca. Vous y retrouverez les exposés de tous nos témoins ainsi que leur biographie et toute la documentation argumentaire qu'ils auront jugée nécessaire de nous offrir. Vous trouverez aussi plus de 150 liens Internet relatifs aux drogues illicites. Vous pouvez utiliser cette adresse pour nous transmettre vos courriels.

Au nom du Comité spécial sur les drogues illicites, je désire vous remercier pour l'intérêt que vous portez à notre importante recherche.

La séance est levée.


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