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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 7 - Témoignages pour la séance du matin


OTTAWA, le lundi 1er octobre 2001

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 9 h 09 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogues canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Je déclare ouvertes les délibérations publiques du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites. C'est avec un vif plaisir que je vous souhaite la bienvenue aujourd'hui. Je profite de l'occasion pour souhaiter la bienvenue à ceux et celles qui se sont déplacés pour assister, ici à Ottawa, à cette séance ainsi qu'à ceux et celles qui nous écoutent à la radio, à la télévision ou via le site Internet du comité. J'informe les internautes qu'ils peuvent maintenant nous voir. En effet, nous poursuivons l'expérience amorcée en juin dernier. Des caméras numériques captent nos débats et en permettent la retransmission vidéo. Il s'agit d'une première pour un comité parlementaire canadien.

Le comité est composé de cinq sénateurs. Sans plus tarder, je voudrais vous les présenter. L'honorable Colin Kenny, de l'Ontario, occupe la vice-présidence du comité. L'honorable Tommy Banks, représente l'Alberta. L'honorable Shirley Maheu, représente le Québec. Sont aussi membres du comité, l'honorable Terry Stratton, représentant le Manitoba. Nous accueillons aussi, à titre d'observateur, l'honorable Jean Lapointe, représentant le Québec. Je m'appelle Pierre Claude Nolin, et je représente également la province de Québec. Le Dr Daniel Sansfaçon est membre du comité à titre de directeur de la recherche.

Le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites fut créé dans sa première version durant le dernier Parlement. En effet, le 11 avril 2000, le Sénat votait à l'unanimité la constitution d'un premier comité spécial sur les drogues. J'en fut nommé le président.

Le 16 octobre 2000, après un long travail de préparation, nous tenions une première séance publique. Le déclenchement de l'élection générale en octobre dernier a mis fin à la 36e législature du Parlement et, par le fait même, mis un terme aux travaux du comité.

En février 2001, dès le début de la 37e législature, le Sénat amorçait l'étude de la motion visant la reconstitution du comité et, le 15 mars, approuvait sans objection de reconduire les travaux du comité avec un mandat modifié.

[Traduction]

Le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites a pour mandat d'étudier et faire rapport sur les politiques canadiennes concernant le cannabis, en contexte, et sur l'efficacité de cette approche, les moyens de sa mise en oeuvre ainsi que le contrôle de son application. De plus, le comité doit examiner les politiques officielles adoptées par d'autres pays et les obligations internatio nales qui incombent au Canada en vertu des conventions qu'il a signées sur les drogues illicites.

Le comité va également étudier les effets sociaux et sanitaires du cannabis et les effets possibles de diverses politiques.

[Français]

Enfin, le comité doit déposer son rapport final à la fin du mois d'août 2002. Afin de remplir adéquatement le mandat qui nous est confié, le comité a adopté un plan d'action. Ce plan s'articule autour de trois enjeux importants. Le premier de ces enjeux est celui de la connaissance. Afin de le surmonter, nous entendrons une gamme imposante d'experts, tant Canadiens qu'étrangers, des milieux académiques, policiers, judiciaires, médicaux, sociaux et gouvernementaux. Ces auditions se tiendront principalement à Ottawa et à l'occasion, si nécessaire, à l'extérieur de notre capitale. Le second de ces enjeux est celui du partage de la connaissance. Il s'agit, selon moi et assurément, du plus noble de ces enjeux.

Le comité désire que les Canadiens de partout s'informent et partagent l'information que nous aurons recueillie. Notre défi sera de planifier et d'organiser un système assurant l'accessibilité et la distribution de cette connaissance. Nous voudrons aussi connaître les vues de la population sur cette connaissance. Pour ce faire, nous tiendrons au printemps 2002 des audiences publiques dans divers lieux au Canada.

Enfin, comme troisième enjeu, le comité devra examiner de très près quels sont les principes directeurs sur lesquels une politique publique canadienne sur les drogues doit s'appuyer.

[Traduction]

Avant de vous présenter nos spécialistes distingués d'au jourd'hui, permettez-moi de vous informer que le Sénat a ordonné que tous les documents et témoignages recueillis sur le sujet par le comité pendant la 36e législature soient incorporés comme partie intégrante de nos délibérations.

Je tiens également à vous informer que le comité a un site Web à jour. On y accède par le site Web du Parlement: www.parl.gc.ca. Toutes nos délibérations s'y trouvent, y compris les mémoires et la documentation d'appui fournie par nos témoins experts. Nous tenons à jour aussi plus de 150 liens à d'autres sites connexes.

[Français]

Quelques mots au sujet de la salle de comité où nous tenons notre séance d'aujourd'hui. Cette salle, identifiée comme la salle des peuples autochtones, fut aménagée en 1996 pour rendre hommage aux peuples qui, les premiers, ont occupé le territoire de l'Amérique du Nord et qui, encore aujourd'hui, participent activement à l'essor du Canada. Quatre de nos collègues au Sénat représentent fièrement et dignement ces peuples.

Aujourd'hui, nous examinerons les politiques publiques fran çaises sur le contrôle des drogues illicites. Afin de nous aider, nous recevons trois éminents représentants français. Dans un premier temps, ce matin, nous entendrons Mme Nicole Maestrac ci, juriste et présidente de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.

Après la pause du matin, elle sera suivie de M. Jean-Michel Coste, démographe, sociologue et directeur de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies. Enfin cet après-midi, nous recevrons M. Michel Kokoreff, sociologue et maître de conférences à l'Université de Lille, ainsi qu'à l'Institut d'études politiques de Paris.

Mme Nicole Maestracci a été avocate jusqu'en 1977, avant de devenir magistrat en 1979. Elle a occupé plusieurs postes sur le terrain, dont celui de juge des enfants, à Melun, de 1979 à 1983, et de juge de l'application des peines en Seine-Saint-Denis de 1992 à 1996. Elle fut notamment chef de bureau à la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la Justice chargé de la mise en 9uvre des peines de substitution de 1984 à 1987, puis conseiller technique au cabinet du garde des sceaux de 1988 à 1990. Conseiller à la Cour d'appel de Paris depuis 1996, elle a été nommée présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie en juin 1998.

Bienvenue, Madame Maestracci, nous vous somme très reconnaissants d'avoir accepté notre invitation et nous vous remercions de l'intérêt que vous témoignez à nos travaux. La procédure est très simple: nous vous accordons environ de 20 à 30 minutes pour présenter votre propos et ce sera suivi d'une période de questions par mes collègues. Je vous demande immédiatement la possibilité de pouvoir vous écrire après votre témoignage pour vous soumettre des questions qui auraient été omises à l'occasion de votre témoignage et qui mériteraient votre attention, questions pour lesquelles nous espérons recevoir des réponses, bien entendu.

Si, après votre témoignage, vous considérez qu'il y a des informations qui peuvent nous être transmises par vous et que vous jugez opportun que ces informations nous soient transmises, nous les accueillerons avec beaucoup d'intérêt.

Mme Nicole Maestracci, présidente, Mission interministé rielle de lutte à la drogue et à la toxicomanie: Merci de m'accueillir dans cette instance pour vous parler de la politique française, de l'histoire de la politique française et aussi des difficultés que nous avons rencontrées pour mettre en 9uvre une politique qui n'est peut-être pas encore parfaite, mais qui est probablement plus cohérente qu'elle ne l'était auparavant.

Je crois que nous serons en mesure de vous remettre un certain nombre de documents d'information sur la politique française dont certains sont en anglais et en français, de telle sorte que vous puissiez avoir des documents écrits. Par ailleurs, nous aussi avons un site Internet sur lequel on trouve toutes les informations sur la politique française: www.drogues.gouv.fr et on peut y trouver l'essentiel des éléments qu'on pourra vous donner les uns et les autres au sujet de la politique française.

J'avais pensé, compte tenu de votre attente, vous parler un peu de l'histoire de la politique française et vous dire quelles sont les raisons pour lesquelles nous avons été conduits à adopter une nouvelle politique en France.

Je dirais qu'avant la fin des années 1960, nous n'avions pas de problème de drogues illicites en France ou, du moins, ce n'était pas repéré ou considéré comme un problème. Nous avions une loi assez ancienne, de 1916, qui avait été adoptée pendant la guerre de 1914-1918, parce qu'il y avait eu un important débat autour de l'usage des drogues illicites par les soldats de la Grande guerre. C'était une loi de prohibition, mais avec des sanctions pénales relativement modérées et jusqu'à la fin des années 1960, comme dans la plupart des pays, nous n'avons pas eu de problème avec les drogues illicites. Dans tous les cas, nous ne le savions pas et cela n'entraînait pas de problèmes sociaux repérés.

Ce n'est qu'à la fin des années 1960, comme dans beaucoup de pays occidentaux, qu'il y a eu une explosion à la fois de la marijuana et de l'héroïne, ce qui a conduit le Parlement à adopter une loi en 1970. Cette loi est assez intéressante parce que c'est l'une des lois issues du mouvement de défense sociale dans le droit pénal et qui était une loi qui essayait d'associer une vision répressive, une vision pénale des choses et une vision santé publique.

Une des dispositions essentielles de cette loi était l'injonction thérapeutique, c'est-à-dire la possibilité de ne pas sanctionner pénalement les usagers de drogues s'ils acceptaient de se soigner. En même temps, c'était une loi assez répressive, parce qu'elle prévoyait un an d'emprisonnement pour les simples usagers.

En France, il y a, d'une part, un système d'opportunité des poursuites, c'est-à-dire que le procureur peut décider ou non de poursuivre. D'autre part, les peines prévues par le code pénal ne constituent qu'un plafond, et le juge est libre de descendre bien en-dessous de ce plafond. Néanmoins, les peines d'un an d'emprisonnement étaient prévues pour les usagers et les peines assez lourdes concernant le trafic le sont devenues encore plus au fil des modifications successives de la loi.

On a donc une loi qui était très contestée, mais qui a fonctionné plus ou moins jusqu'à la fin des années 1990. Il faut bien dire que l'aspect répressif de la loi a été très rapidement appliqué et très sévèrement appliqué. L'aspect santé publique, la prise en charge sanitaire, a été moins bien appliqué puisqu'il a fallu attendre jusqu'en 1985, à peu près 15 ans après le vote de la loi, pour qu'on mette véritablement en place les injonctions thérapeutiques, c'est-à-dire un dispositif permettant de soigner les gens référés par la justice. C'était un dispositif très imparfait. C'est la raison pour laquelle cette loi a été et est toujours vécue en France comme une loi beaucoup plus répressive que sanitaire et qu'elle fait l'objet d'un important débat en France.

Nous arrivons à la fin des années 1980, début 1990, les années sida, qui ont bouleversé notre vision de la santé publique et de la prise en charge des toxicomanes. Je vous fais part rapidement d'un certain nombre de constats. D'une part, on avait un dispositif de soins qui était très orienté vers les héroïnomanes - la France comptait 150 000 d'héroïnomanes - alors que beaucoup d'usagers n'étaient pas véritablement pris en charge par ce système. En outre, on avait un système de prise en charge qui était très orienté vers une prise en charge psychanalytique des personnes, qui exigeaient, pour être prise en charge, que la personne ait une demande. Si la personne n'avait pas de demande, elle n'était pas prise en charge.

Quelle a été la conséquence d'un tel dispositif qui, par ailleurs, donnait des résultats intéressants? Les usagers les plus marginalisés et ceux les plus en difficulté n'étaient pas pris en charge. Au moment des années sida, lorsque les usagers de drogue se sont retrouvés en grand nombre malades du sida, ils se sont retrouvés dans les hôpitaux sans jamais avoir été pris en charge auparavant par un système sanitaire ou par un médecin.

On s'est rendu compte que le dispositif de soins dont tout le monde était fier, qu'on croyait efficace, n'était pas adopté à la situation des usagers les plus marginalisés. Ce sont eux qui posent les problèmes de santé publique et de sécurité publique.

La deuxième difficulté de notre système législatif était considéré comme très répressif. On lui a beaucoup reproché d'avoir empêché, en sanctionnant les usagers de drogues, la mise en place d'une véritable politique sanitaire permettant aux usagers de se soigner. Si les usagers sont sanctionnés et qu'ils peuvent être interpellés par la police, ils ne se rendent pas dans les centres de soins. Ils n'utilisent pas de seringues propres et ne se rendent pas dans les centres conçus pour prévenir les risques.

La troisième difficulté tient à l'état de la société française, qui tenait un débat extrêmement passionnel sur ces questions. Comme beaucoup de débats en France, la question de la drogue a été considérée d'une certaine manière comme un problème qui relevait de la morale, et qui soulevait en France des débats extrêmement idéologiques et passionnels, avec des excès dans un sens comme dans l'autre, et des positions qui étaient extrêmement catégoriques et pas toujours appuyées sur des connaissances scientifiques réelles. Cette disposition, pour entretenir des débats très passionnels, était alimentée par le fait que pendant très longtemps, on a eu très peu de données scientifiques fiables. On n'avait pas d'enquêtes épidémiologiques régulières ni de données scientifiques très fiables, ce qui laissait libre cours à beaucoup d'interprétations très contradictoires et très idéologiques.

L'autre problème que posait ce type de politique est que nous avions un problème de pilotage interministériel. C'est-à-dire que chaque ministère faisait sa propre politique en matière de drogues, même si depuis 1982, le gouvernement avait mis en place une mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Au début, elle avait très peu de moyens, c'était juste un comité d'experts, et n'avait pas l'autorité pour animer une coordination interministérielle, de sorte qu'on assistait à ce qu'on peut appeler une sorte de schizophrénie des pouvoirs publics. Par exemple, en ce qui concerne les héroïnomanes les plus en difficulté, le ministre de la Santé demandait à ce que tous les départements aient des programmes pour échanger des seringues, pour en distribuer des propres, et en même temps, on avait la police qui interpellait les usagers de drogues dès lors qu'ils avaient une seringue dans la poche. Cette contradiction n'était gérée nulle part, finalement, et c'était les usagers qui en faisaient les frais. Cela conduisait donc à se poser la question de notre pilotage interministériel.

À cette époque, l'épidémie de sida a entraîné un très grand débat à l'intérieur des services de la toxicomanie. Un certain nombre de spécialistes restant sur les positions anciennes, se disaient: «Notre système a bien fonctionné, il faut continuer à fonctionner avec un système qui ne prend charge que des usagers qui acceptent de se soigner et d'être abstinents». D'autres intervenants et spécialistes disaient: «On ne peut pas laisser mourir les gens. Il faut avoir des politiques de réduction des risques et s'occuper des usagers même s'ils n'ont pas l'intention de devenir complètement abstinents». Ce qui revenait à dire des échanges de seringues, des traitements de substitution et des lieux d'accueil pour des usagers dont on savait qu'ils continueraient à consommer des produits. Cela a aussi été une grande fracture dans le milieu des intervenants en toxicomane, laquelle a conduit à se poser la question de la pertinence de notre politique.

On arrive à la fin des années 1990. Pendant ces années, en France, on avait mis en place un certain nombre d'outils de réduction des risques. On avait ouvert un certain nombre de lieux d'accueil pour les usagers très marginalisés. On avait commencé avec difficulté à développer les traitements de substitution, parce qu'il y avait un conflit entre les spécialistes autour de ces traitements de substitution. On a commencé véritablement à les développer à partir de 1996 et on a développé les programmes d'échange de seringues.

C'est un développement qui a été fait par le seul ministère de la Santé, sans que les autres ministères se sentent impliqués dans la mise en oeuvre de cette politique. Je crois que c'est une question extrêmement importante.

Dans les années 1998, plusieurs rapports ont été rendus au gouvernement sur notre politique de lutte contre la drogue. Il s'agissait de rapports assez critiques pour les raisons que je vous ai indiquées. Lorsque j'ai été nommée, le premier ministre m'a demandé de lui faire des propositions de réorganisation tout en disant qu'ils n'étaient pas prêt à changer la loi. Ils n'étaient pas prêt non plus à bouleverser entièrement le système d'organisation. Au fond, il fallait réorganiser le dispositif et faire en sorte qu'il fonctionne, sans laisser entendre que nous prenions un axe totalement différent de celui pris jusqu'à présent.

À partir de là, je me suis appuyée sur les constats que je viens de rappeler. On commençait à avoir, à l'Observatoire, - et Jean-Michel Coste vous en parlera plus précisément - un certain nombre de données épidémiologiques qui montraient que les comportements de consommation s'étaient beaucoup modifiés, en particulier chez les jeunes qui n'étaient que très rarement utilisateurs d'un seul produit, mais qui associaient plusieurs produits de manière parfois très épisodique et occasionnelle, ou parfois de façon plus régulière, mais qui associaient des produits licites et illicites. Donc, des politiques de prévention et de prise en charge qui distinguaient selon les produits n'étaient pas pertinentes, en tous cas pour ce qui concerne les jeunes.

D'autres part, on savait, à la suite d'un certain nombre de travaux scientifiques, que les drogues licites et illicites agissaient sur le système nerveux d'une manière similaire, et qu'il n'y avait pas de raison en termes de santé publique pour avoir des politiques aussi différentes que celles que nous avions par le passé.

Enfin, en France particulièrement, nous avions un important problème d'alcool qui était largement sous-estimé. On avait un dispositif de soin et de prise en charge beaucoup plus important pour les usagers de drogues qui étaient relativement peu nombreux, si on veut parler seulement des usagers problématiques, et on avait un dispositif très faible et très peu performant pour les usagers d'alcool et en particulier, les usagers problématiques ou les alcolo-dépendants.

Tous ces éléments ont fait que j'ai proposé au gouvernement, à la suite de tous les rapports des scientifiques, d'étendre les compétences de ma mission et d'étendre le plan qui allait être adopté par le gouvernement à tous les produits psychoactifs, c'est-à-dire les drogues illicites, l'alcool et le tabac, les médicaments détournés de leur usage - qui devient un problème extrêmement important - et les substances dopantes au-delà de leur utilisation dans le sport de haut niveau.

Cela modifiait évidemment le contenu du travail qu'il y avait à faire. Cela a suscité en France un débat très important, non pas sur les drogues illicites, mais sur l'alcool parce que le fait qu'on étende le plan à l'alcool a entraîné dans les régions vitivinicoles - qui sont importantes en France - et dans l'industrie de l'alcool, beaucoup de résistance. Cela a entraîné un débat politique qui a duré huit ou neuf mois parce qu'en France, ce que nous appelons le «lobby alcoolier» a un poids extrêmement important et un pouvoir important pour modifier les décisions.

Fait intéressant, alors qu'on pensait que le débat aurait lieu sur les drogues illicites et sur les nouvelles approches qu'on pourrait proposer sur ces drogues, le débat a, en réalité, eu lieu sur l'alcool beaucoup plus que sur les drogues illicites. Ce que l'on a cherché à faire avec le nouveau plan, c'est de partir de connaissances scientifiques avérées fiables parce qu'il me semblait que c'était le seul moyen de pacifier le débat. Ne pas en faire un enjeu politique au sens idéologique du terme, mais de faire en sorte que l'on puisse travailler à partir d'arguments raisonnables.

La deuxième préoccupation que j'ai eue lorsqu'on a préparé le plan, c'est d'être en mesure d'observer les nouvelles tendances de consommation et les nouveaux produits qui circulent afin de réagir très rapidement. Également, de prendre les décisions politiques qui s'imposent et d'informer aussi les acteurs de prévention dès que possible.

Le troisième objectif était de faire partager une culture commune et ce, non seulement au grand public. Il me semble que dans ce domaine, on ne peut pas adopter une politique qui ne soit pas un minimum partagée par l'ensemble de la population, c'est-à-dire qui ne repose pas sur une adhésion profonde de la population, et faire partager cette cause commune à l'ensemble des professionnels. Lorsque je dis cela, je parle des professionnels non spécialisés. Nous avions un petit noyau de spécialistes en France, très compétents, et des professionnels non spécialisés, c'est-à-dire des médecins, des enseignants, des policiers et des magistrats qui n'avaient qu'une connaissance très faible de ces questions souvent très contradictoires. Il fallait faire en sorte que tout le monde partage des objectifs communs et se souvienne qu'une politique de lutte contre les drogues est une politique qui est avant tout destinée à protéger la santé publique. Même si un policier et un médecin ne font pas le même métier, leur objectif final devrait être le même et c'est là-dessus qu'on a essayé de travailler.

Après, on peut décliner le plan de différentes manières. Je rappellerai quelques points qui me paraissent essentiels dont celui du développement des connaissances. Vous avez rappelé les objectifs dans lesquels je me retrouve tout à fait, c'est-à-dire la connaissance, le partage des connaissances et les principes selon lesquels on établit une politique. Bien entendu, on a essayé de faire ce travail. Améliorer les connaissances veut dire avoir un organisme indépendant des pouvoirs publics doté d'une certaine autonomie, c'est-à-dire dont les résultats sont incontestables. L'Observatoire a été créé par un plan de 1993, c'est-à-dire avant cette nouvelle politique qui a été mise en oeuvre un peu plus tard. Il y a eu beaucoup de résistance et on a toujours beaucoup de mal à accepter l'idée qu'il va y avoir un organisme indépendant qui donnera les données telles qu'elles sont et qui dira: «Vous pouvez être d'accord ou pas, mais c'est la réalité scientifique.» On a développé cet Observatoire en élaborant des enquêtes épidémiologiques régulières. La connaissance et le croisement de toutes les données statistiques qui existent dans chacun des ministères - et qui ne sont pas forcément très compatibles entre elles - doivent servir de point focal pour l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. Il nous paraissait important d'avoir un organisme européen qui recueille l'ensemble de ces données. À l'Observatoire, on a étendu la compétence des recherches à l'alcool, au tabac et aux autres produits. Aujourd'hui, on a un organisme de référence qui nous permet d'avoir un certain nombre de données fiables sur ces questions ainsi qu'un réseau d'experts scientifiques de toutes les disciplines, aussi bien des sociologues que des neurobiologistes, que l'on peut consulter lorsque tel ou tel problème se pose. C'est un élément absolument essentiel pour conduire une politique publique.

En France, on a un important débat sur la sécurité intérieure. Ce débat fait l'objet de prises de positions idéologiques, en partie parce que nous n'avons pas mis en place, par le passé, un organisme indépendant de recueils des données et d'analyses de la réalité, tel que les scientifiques peuvent nous la donner.

La deuxième chose est de faire partager les connaissances. Cela est indispensable: en France, on avait beaucoup de congrès sur la toxicomanie, mais ils étaient réservés à un petit monde de spécialistes, toujours les mêmes, qui se voyaient régulièrement dans toute la France. D'une manière générale, on retrouvait la même chose en Europe.

On a essayé de rédiger un certain nombre de documents à destination du grand public avec deux idées très importantes. Le grand public est prêt à lire et à comprendre un certain nombre de données scientifiques. On a cru longtemps qu'ils ne pourraient pas les comprendre parce que c'était trop scientifique et technique. On a, par exemple, élaboré un petit livre qu'on a appelé «Savoir plus, risquer moins», qui donne un certain nombre d'éléments sur les produits et les enquêtes épidémiologiques. Lorsqu'on a élaboré ce livre, tout le monde nous a dit: «C'est trop compliqué, les gens ne le lieront pas » et cetera. On a vendu ce petit livre dans les kiosques à journaux au prix de 10 francs. C'était un lieu de proximité où c'était facile pour les gens de les acheter. En trois jour, on n'avait plus un seul exemplaire et on en a vendu un million d'exemplaires en sept semaines.

Ce qui montre que lorsqu'on donne de l'information aux gens, ils s'en servent et qu'il y a une demande d'information qui est considérable dans le grand public. Les éducateurs des banlieues françaises qui font de la prévention spécialisée, m'ont dit que des jeunes qui ne lisaient pas beaucoup de livres d'une manière générale, avaient lu ce petit livre de la première à la dernière page. Cela montre bien que là aussi on s'était trompés et que les gens ne se contentent pas d'affiches qui leur dictent ce qu'ils doivent faire ou ne pas faire. Ils ont besoin qu'on leur explique pourquoi tel et tel comportement est dangereux ou ne les pas. Bien sûr, cela ne suffit pas à changer les comportements, mais c'est un préalable indispensable. On a fait tout ce travail qui reste encore à parfaire parce que c'est un travail de longue durée. Pour élever le niveau de connaissances de l'ensemble de la population, il faudra cinq à 10 ans pour arriver à faire en sorte que cette question soit une question de santé publique ou de société comme une autre. Ce travail est amorcé. Un des points extrêmement intéressants c'est lorsqu'on a étendu cette politique à l'alcool et aux tabacs, tout le monde a dit que l'opinion française ne le supporterait pas compte tenu de la place du vin dans la société française et dans les habitudes culturelles françaises. Finalement, il y a eu avant un long débat politique. Une fois que la décision a été prise, les Français ont tout à fait adhéré à cette idée. Ils ont été en mesure de distinguer des usages occasionnels et des usages problématiques.

Le fait qu'on ait parlé de l'alcool, du tabac et des médicaments et ce, en même temps qu'on parlait des drogues, a fait sans doute que chacun s'en est senti plus proche puisque chacun avait l'expérience de la consommation d'un produit qu'il soit licite ou illicite. C'était un élément important qui ne nous conduisait pas à dire que tous les produits allaient avoir le même régime législatif, mais cela conduisait à dire à chacun: «Attention, si vous utilisez, aucun produit psychoactif n'est anodin». Après, c'était une question de mesure et de gestion des risques et c'est de la prévention de proximité. L'amélioration des connaissances et la communication m'apparaissent comme étant les deux points essentiels dans le mise en oeuvre de la politique et de faire en sorte que tout le monde ait la même culture et la même connaissance de ces questions. Donc chacun joue un peu un rôle de prévention de proximité. Cela m'apparaît indispensable.

Il y a un gros travail à faire en matière de prévention parce que nous étions très en retard en France dans ce domaine. C'est peut-être moins le cas au Canada. Nous n'avions pas de cadre dans les établissements scolaires pour la mise en oeuvre de programmes de prévention. On avait des associations, des médecins, des policiers, toute une série de gens qui intervenaient dans les établissements scolaires et qui tenaient souvent des discours contradictoires et qui n'intervenaient pas de manière cohérente.

On a essayé de mettre en oeuvre des plans de prévention dans chaque département de telle sorte que l'on puisse toucher tous les adolescents d'une classe d'âge avec des programmes qui soient cohérents et qui reposent sur des connaissances scientifiques fiables. C'est un travail qu'on a commencé dès décembre 1999, après l'adoption du plan. Suite au travail qui a été fait dans d'autres pays européens plus en avance que nous, je sais que c'est un travail qui prendra environ 10 ans pour faire en sorte qu'on ait de vrais programmes de prévention dans les établissements scolaires.

On a aussi beaucoup modifié l'approche dans le domaine des soins et de la prise en charge. Nous avions ce dispositif assez développé pour les héroïnomanes, mais nous n'avions rien pour les autres usagers problématiques, que ce soit les usagers de drogues de synthèse ou de la cocaïne.

En ce qui a trait à l'alcool et le tabac, nous n'avions pas grand chose. En ce qui concerne au problème de la dépendance aux médicaments, en particulier celui de la dépendance au vasodyazépine, nous n'avions pratiquement rien. On devait essayé de développer la capacité de la médecine de proximité, des centres de soins de proximité et de repérer les usagers de consommations problématiques. Si on ne développe pas cette capacité de repérer, les gens viennent consulter que lorsqu'ils sont déjà malades et c'est particulièrement vrai pour l'alcool. La moyenne d'âge dans nos centres de soins pour l'alcool était d'environ 40 ans. Avant 40 ans, les gens ne sont pas nécessairement malades, ils ne ressentent pas de pathologie et donc ils ne vont pas consulter.

L'un des objectifs était de faire en sorte que les médecins de proximité posent les questions simples qui permettent un diagnostique précoce et de proposer une prise en charge. Dans un premier temps, on travaille beaucoup plus en réseau avec les médecins généralistes de proximité et les centres de soins spécialisés en rapprochant les centres de soins spécialisés pour l'alcool et les centres de soins spécialisés pour les drogues, pour qu'on ait dans chaque département un certain nombre de centres de référence qui peuvent également mettre en oeuvre les traitements de substitution, et plus particulièrement la méthadone. Et, ensuite, offrir des services hospitaliers pour les situations les plus lourdes ou les plus spécialisées.

On a créé un certain nombre de réseaux, ville-hôpital qui permettent de répondre à cette exigence et de, sans doute, mieux prendre en charge des situations qui sont extrêmement variées. On n'a pas mal développé les traitements de substitution puisqu'on a aujourd'hui environ 80 000 personnes qui sont sous traitement de substitution en France, dont 70 000 sous subitex, qui est une spécificité française puisque ce n'est pas commercialisé actuellement dans d'autres pays qui est de la Buprénorphine au dosage, et la méthadone est utilisée par 10 000 usagers d'héroïne. C'est un développement qui a été extrêmement rapide qui est, en partie, mis en oeuvre par la médecine de ville.

Je terminerai sur la question de la coordination entre le système répressif et le système sanitaire et social pour essayer justement d'améliorer la compréhension que peuvent avoir les usagers de drogues de notre système de sanctions. Pour rendre plus efficace notre système de sanctions, on a incité tous les procureurs de la République à passer des conventions avec nos directeurs des affaires sanitaires et sociales, c'est-à-dire les personnes qui gèrent le dispositif de soins.

Ceci avec un objectif très clair: toutes les personnes qui sont interpellées par la police pour un usage de drogues illicites ou pour un usage d'alcool qui a provoqué un délit puisse bénéficier d'une prise en charge sanitaire et sociale.

On a bien avancé dans ce programme et on a aujourd'hui 93 départements sur 100 qui ont de telles conventions. Cela permet de faire en sorte que même si l'on ne poursuit pas pénalement quelqu'un qui a été interpellé, il puisse faire l'objet d'une orientation sanitaire et sociale et que cette orientation sanitaire et sociale existe même si cette personne est poursuivie pénalement. On a donc la sanction pénale qui sanctionne le délit commis et l'importance du délit commis, mais en même temps il y a l'orientation sanitaire et sociale qui doit être la règle dès lors qu'il y a une consommation problématique.

En parallèle avec cette orientation concernant l'usage de drogues et les délits liés à cet usage de drogues, nous avons développé également un certain nombre d'outils de lutte contre le trafic, en particulier le trafic local. Le développement de petits réseaux de trafic en France est un gros problème, qui d'ailleurs ne concernent pas seulement les drogues illicites, mais partiellement les drogues illicites et qui entraînent une certaine économie parallèle.

Nos systèmes de lutte contre le trafic et notre organisation policière n'étaient pas extrêmement efficaces pour lutter contre ces petits trafics. Nous avons essayé de travailler beaucoup plus à partir d'une approche du patrimoine, du train de vie des personnes plutôt qu'une approche classique d'indicateurs, de filature, de renseignements qui ne donnent pas grand chose pour ce type de délits.

Là aussi, on a essayé d'avoir une politique équilibrée de lutte contre le trafic local. Lorsque je parle de trafic local, évidemment cela ne remet pas en cause tous les efforts sur le trafic international. Mais je dirais qu'à ce sujet on avait déjà fait un travail assez important alors que sur le trafic local on avait véritablement un problème de savoir-faire. C'était très important sur le plan politique parce que les jeunes ne pouvaient pas comprendre qu'on les interpelle pour usage de cannabis si leur revendeur était tranquillement chez lui et n'était pas interpellé. C'était donc aussi très important de rééquilibrer la question et de dire que c'est plus grave de revendre que de consommer des produits.

Juste un mot pour finir sur ce qu'est ma mission et ce qu'est la coordination nationale et locale. En France, comme vous le savez, malgré les lois de décentralisation, on reste un pays très centralisé avec une administration napoléonienne, je dirais, et dont les ministères avaient tendance à travailler de façon très verticale. Tout ce qui est horizontal a beaucoup de difficulté à fonctionner.

La mission dont je suis responsable est placée sous l'autorité du premier ministre et 43 fonctionnaires sont dans la mission. Ce sont des fonctionnaires qui viennent de tous les ministères, c'est-à-dire qu'il y a aussi bien un médecin, un pharmacien, un commissaire de police, un magistrat, un gendarme, un douanier et j'en oublie certainement. Cela permet d'élaborer à l'intérieur de la mission une culture commune à tous les ministères.

Cette mission a la possibilité de réunir, chaque fois qu'elle en a besoin et sur tous les thèmes dont elle est chargée, l'ensemble des ministères dans un comité interministériel, qui comprend dans sa version élargie 19 départements ministériels. Comme maintenant l'alcool est également dans le champ, on va du ministère de l'Agriculture au ministère de l'Éducation, en passant par le ministère de la Santé, le ministère de la Justice, le ministère de l'Intérieur, et cetera. On peut donc les réunir en formation élargie ou en formation plus restreinte.

Lorsqu'il y a des désaccords sur tel ou tel sujet, on va à l'arbitrage du premier ministre ou du cabinet du premier ministre. Nous avons mis en place dans chaque département autour du préfet, puisque je vous rappelle qu'en France nous sommes organisés en département, un comité interministériel qui fait au plan local ce que je fais au plan national.

Voilà pour notre système de coordination. Je crois qu'il fonctionne mieux qu'il n'a fonctionné, sans être tout à fait parfait, parce que - et je le répète encore - nous avons maintenant un certain nombre de données fiables et que nous sommes repérés par les ministères comme un organisme de référence qui peut les aider à mettre en 9uvre leurs propres politiques et qui peut les rendre plus efficace dans le mise en 9uvre de leurs propres politiques.

Aujourd'hui nous avons un débat en France, qui n'a pas véritablement cessé, sur cette question des produits, sur la question du cannabis et de la réforme de la loi. Je crois que le problème qui se posera dans les prochaines années sera beaucoup moins la question de la dépénalisation du cannabis, que la question de savoir quoi faire avec tous les nouveaux produits qui arrivent sur le marché. Je parle à la fois des drogues de synthèse et des médicaments détournées de leur usage, mais aussi des formidables possibilités pour le trafic qu'offre Internet. Je crois qu'on entre aussi dans une période nouvelle. L'une de mes préoccupations est de faire en sorte que nous ne résonnions pas sur cette période nouvelle à partir des connaissances que nous avions dans la période ancienne. Toutes ces données nous montrent que la frontière entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit, ce qui est licite et illicite, va devenir de plus en plus floue et que, dans tous les pays, on va se poser la question de la pertinence de la prohibition. Faut-il avoir des systèmes de prohibition ou faut-il, au contraire, réfléchir à des systèmes de réglementation qui ne sont ni la légalisation ou autorisation, ni prohibition et interdiction totale dont on a vu que cela avait montré, dans tous les pays, ses limites.

Je suis prête, bien entendu, à répondre à vos questions orales et celles écrites que vous voudrez bien me poser par la suite.

Le président: Madame Maestracci, je vais risquer une première question. Dans les différents rapports auxquels nous avons eu accès, dont ceux qui ont précédé la mise en place de l'Observatoire, il est démontré - je reviens sur la question des adolescents - un manque de coordination entre les programmes de prévention et l'accessibilité limitée. J'ai certains chiffres quant à la possibilité pour les élèves d'avoir accès à des programmes de prévention. Pouvez-vous nous expliquer ce qui a été mis en place pour combler cette lacune? Pouvez-vous nous décrire quels sont les programmes qui ont été mis en place?

Mme Maestracci: D'abord, en mettant le doigt sur cette lacune on s'est rendu compte qu'elle concernait bien d'autres questions. Par exemple, on avait un grand déficit en France en matière d'éducation sexuelle, on n'avait pas de programme de prévention organisée dans les établissements scolaires. On a donc demandé à chaque préfet, dans chaque département, de définir un programme de prévention.

Ce qui veut dire identifier toutes les personnes qui interviennent dans les établissements scolaires pour parler aux jeunes des drogues, de l'alcool, du tabac, et cetera et puis vérifier le programme qu'ils mettent en oeuvre et de définir dans chaque département de nouveaux programmes de prévention avec des objectifs chiffrés, je dirais, de l'ensemble des jeunes adolescents qu'on veut toucher.

Au sujet de l'âge des jeunes, on était tellement en retard qu'on a fait le choix de cibler les adolescents. Je suis convaincue qu'il faut commencer beaucoup plus tôt et avoir des programmes qui s'adressent aux enfants de l'école primaire ainsi que des programmes qui s'adressent aux étudiants d'âge universitaire. Mais on ne pouvait pas tout faire à la fois. On a donc commencé par l'adolescence. On a demandé aux préfets de regarder le nombre d'adolescents qu'ils avaient et d'avoir pour objectif la mise en application d'un minimum de programmes de prévention qui soit faits par des gens formés.

On leur a demandé d'abord d'identifier les intervenants et ensuite de les former. On a mis en place des programmes locaux de formation pour les acteurs de prévention. Et, on leur a demandé également d'inventorier tous les outils de prévention, que ce soit les documents écrits, que ce soit les programmes vidéo qui étaient utilisés dans les établissements scolaires. On a mis en place à Paris une commission de validation des outils de prévention, comprenant toute une série d'experts de la prévention, pour définir quels étaient les outils les plus appropriés à cette classe d'âge et à des interventions en milieu scolaire.

On n'était pas encore en mesure de dire quels étaient les programmes de prévention qu'ils devaient mettre en oeuvre. On a fait le choix de partir de ce qui existait déjà parce qu'on savait très bien qu'on ne pouvait pas concevoir des programmes, on ne pouvait pas inventer des professionnels de la prévention dans toutes les établissements. Il fallait partir de ce qui existait déjà en attirant l'attention sur le fait qu'il ne suffisait pas d'avoir de la bonne volonté pour faire de la prévention, mais qu'il fallait un minimum de formation et un minimum d'outils validés.

Dans d'autres pays européens on peut constater que tout le monde a fait le même chemin que la situation que j'ai décrit, c'est-à-dire toutes ces interventions très dispersées et un manque de politiques cohérentes d'ensemble et cetera. Même les pays qui ont maintenant des politiques de prévention plus régulières, mieux installées dans le temps, ont mis environ 10 ans et sont passés par ces différentes phases. On est d'une certaine manière à la phase d'une prise de conscience où on a maintenant un certain nombre d'outils de prévention validés.

Je ne sais pas si on franchira la seconde phase parce que c'est une question qui est complexe. Faut-il ou non avoir dans les établissements scolaires ou à la disposition des établissements scolaires, des vrais professionnels de la prévention, ce que les pays du Nord de l'Europe appellent les préventologues? Ou faut-il, au contraire, mieux former un certain nombre de médecins et d'enseignants pour faire ce travail? Cette question n'a pas été tranchée en France. Il faudra la trancher parce qu'i y a un débat entre les experts de la prévention sur ces questions.

Le président: Madame Maestracci, il n'y a aucun doute que vos derniers commentaires répondent à ce qui aurait été ma question supplémentaire à savoir qui sont ces intervenants à la lumière de cette coexistence difficile entre la répression et la prévention ou l'approche sociaux sanitaire? N'y-a-t-il pas de danger de retrouver chez ces intervenants les vieux mythes du passé? Avez-vous la crainte, selon l'intervenant qui s'adressera aux jeunes, qu'un message sera privilégié?

Mme Maestracci: Bien sûr. Je trouve plutôt que le danger s'éloigne. Toutefois, il existe à l'évidence. En France, l'essentiel des interventions de prévention étaient faites par des policiers et des gendarmes avec des méthodes qui n'étaient pas du tout adaptées aux nouvelles méthodes de prévention. Par exemple, il y a eu une époque, qui est en train de se terminer, où les policiers et les gendarmes allaient dans les classes avec une valise de produits. Tous les pays ont eu cette expérience. On a fait le choix de dire, oui, les policiers et les gendarmes ont leur place dans les établissements scolaires, mais ils ont leur place pour l'apprentissage de la loi ou de la citoyenneté. Ils n'ont pas à donner l'information dans le domaine de la santé publique. Donc, on doit rendre cohérente l'intervention avec les autres acteurs.

Par ailleurs, nous avions un certain nombre d'organisations non gouvernementales, des associations de prévention de l'alcoolisme, des associations de soins pour les toxicomanes, en plus des associations d'éducation à la santé qui intervenaient dans le plus grand désordre. Là aussi on avait beaucoup de formation et d'information à donner. D'autant plus que, s'il est vrai que les policiers et les gendarmes avaient peu de formation sur les questions de santé publique, les éducateurs ou les associations avaient peu de formation sur les questions de la loi. Des messages tout à fait contradictoires et inexacts étaient véhiculés. C'est un énorme chantier. Ce qui m'a un peu rassurée, c'est de voir que tous les pays qui avaient essayé de mettre en oeuvre des programmes de prévention étaient passés par les mêmes difficultés. En même temps, j'ai conscience que c'est un travail de longue durée. C'est un travail qui nécessite en plus une réactualisation constante. Si on a des bons acteurs de prévention on aura des informations qui changeront et il est nécessaire que, constamment, on puisse les actualiser.

Je crois qu'on a proposé plusieurs modèles de prévention. En particulier, on a dit que cela ne servait à rien de parler des produits et de donner des informations très techniques. Lorsqu'on fait de la prévention, on doit partir de l'expérience des jeunes; on doit partir de leur motivation à consommer; on doit renforcer leur compétence psychosociale. L'application, d'ailleurs, à la santé est très inspirée de votre pays. Aujourd'hui, on se rend compte qu'on ne peut pas faire tout cela si on n'a pas, en même temps, un certain nombre de connaissances techniques. Ne serait-ce que pour les évacuer, c'est-à-dire la connaissance sur les produits, bien sûr, que cela ne va pas être fondamental et central dans l'action de prévention qu'on va mener. On ne peut pas s'adresser à un jeune sur ces questions sans avoir suffisamment d'information pour répondre à ces questions. Sinon, on n'est pas crédible. Ce point est très important. Si on n'est pas crédible on n'est pas entendu.

D'autre part, on n'est pas toujours en mesure de dire la vérité. On a bien vu en France la difficulté qu'avait un certain nombre d'acteurs de prévention mal formés ou peu formés à dire la vérité. Par exemple, en France les policiers et les gendarmes étaient très gênés dès lors qu'on a diffusé des informations juste sur le cannabis. Pendant très longtemps on a dit que le cannabis était extrêmement dangereux et pouvait conduire aux drogues dures, et cetera. On s'est contenté de ce type de discours. Ce type de discours ne peut pas résister dès lors qu'émergent des connaissances scientifiques que tous les pays ont et qui sont aujourd'hui indiscutables.

Lorsqu'on commence à dire la vérité, c'est très difficile parce que la vérité n'est ni noire ni blanche, elle est un peu entre les deux, elle est beaucoup plus nuancée.Cela demande donc de la part des acteurs de prévention beaucoup de finesse.De même, les acteurs de prévention avaient beaucoup de difficulté à aborder la question de la loi. Ils disaient que puisque la loi était votée, on ne pouvait pas parler de la dépénalisation. Dire aux policiers ou aux gendarmes que: «Certes la loi est votée, mais il faut que vous soyez capables de parler aux jeunes de cette question: comment se vote une loi dans un pays, et quels sont les éléments qui ont conduits à voter cette loi.» Comme les lois ne sont pas éternelles c'est aussi un apprentissage de la citoyenneté de dire que vous serez un jour en mesure d'intervenir dans la proposition d'une nouvelle loi. Cela nécessite, de la part des acteurs de prévention, beaucoup de compétence.

Le sénateur Maheu: Lorsque vous dites que chaque ministère avait sa propre politique, vous m'intriguez. S'il n'y a pas de consultation entre les ministres, cela signifie-il que si le ministre de la Santé, par exemple, déclare qu'il y a un gros problème de consommation chez les jeunes, que le ministre de la Justice n'agira pas? Connaissant la réaction du public français, je trouve cela étrange.

Mme Maestracci: Il est toujours difficile de commenter postérieurement les événements. Selon mon interprétation, un tel poids idéologique et moral - ce sujet était tellement tabou dans la société française, qu'il s'agissait d'une question de bien ou du mal - pesait sur la question des drogues, que lorsqu'on a commencé à mettre en place la politique de la réduction des risques, le ministère de la Santé, à tort ou à raison, s'est dit: «Si on veut faire quelque chose, il faut le faire sans que personne ne le sache».

Je me souviens très bien d'un témoignage personnel. Quand j'étais au cabinet du ministre de la Justice, on avait commencé à faire les premiers programmes d'échange de seringues. Je me souviens qu'un membre du cabinet du ministère de la Santé m'avait téléphone pour me dire: «Deux ou trois procureurs de la République, si vous leur téléphonez, seraient d'accord pour tolérer un programme d'échange de seringues dans leur département sans qu'on poursuive pénalement les usagers». Ils se sont dit - et ce n'était peut-être pas absurde, compte tenu de ce qu'était la société française - que s'ils s'engageaient dans un débat interministériel ou un débat de société sur ces questions, que cela prendrait un temps infini, parce qu'on n'avait jamais véritablement parlé de ces questions en France. Si on voulait donc être rapide, il fallait faire les choses sans faire de bruit. À tel point qu'on a eu pas mal de difficultés autour de l'installation des lieux d'accueil pour les usagers les plus marginalisés. On a commencé à installer des lieux d'accueil, ce qu'on appelle des boutiques en France, sans prévenir du tout les voisins ni la population autour. Cela a alors donné lieu à des débats très importants autour de la sécurité, et des associations se sont constituées pour et contre, et cetera.

On aurait pu éviter ces débats si le gouvernement, à l'époque, avait été capable d'expliquer pourquoi on mettait en place un programme de réduction des risques. Il a bien compris un certain nombre de choses concernant la prévention du sida. Pourquoi alors n'a-t-il pas réussi à donner cette information pour les usagers de drogues? Peut-être parce que la question des usagers de drogues était plus sulfureuse que les autres questions. C'est vrai que cela a été un déficit de la politique française.

Une autocensure de la part du ministère de la Santé n'aurait pas dû exister et peut-être qu'en parler aurait fait aboutir le dossier. On arrive juste maintenant, en France, à un certain consensus sur le fait que - il a même fallu l'inclure dans une circulaire - les policiers ne devaient plus arrêter les personnes qui avaient une seringue propre dans le poche. On arrive juste à comprendre cette idée.

On ne peut pas demander à des services de police ou de gendarmerie de mettre en oeuvre des recommandations s'ils ne comprennent pas à quoi elles servent. On n'a pas suffisamment expliqué le processus. On est en trains de créer une culture commune. J'espère que cela donnera des résultats pour les autres modifications qu'il faudra certainement apporter à notre politique.

Le sénateur Maheu: Nous devons également, au Canada, élaborer des programmes d'éducation à tous les niveaux. Vous encouragez le dialogue sur tous les plans à la fois, drogue, tabac et alcool. Puisque l'industrie des vins et spiritueux est énorme en France, prévoyez-vous des résistances de la part des adolescents, ou d'autres problèmes, en ce qui concerne la consommation d'alcool?

Mme Maestracci: Pour conforter ce que vous dites, on n'avait déjà pas beaucoup de prévention sur les drogues illicites, mais on en avait deux fois moins pour l'alcool et le tabac, qui concernent beaucoup plus de monde. Cela démontre bien que ce sont des questions dont on parle beaucoup plus difficilement, pour différentes raisons, que celles des drogues illicites. En plus, on a toujours une connaissance de la consommation des jeunes relativement contrastée. On sait plus de choses aujourd'hui sur la consommation des drogue illicites, d'autant plus qu'on a mis en place un observatoire des nouvelles tendances de consommation et des nouveaux produits qui circulent. Sur l'alcool, au fond, on avait une bonne connaissance des alcolo-dépendants, qui avaient 20 ou 25 ans de consommation d'alcool derrière eux et qui étaient pris en charge par des dispositifs de soins. C'est une population que l'on connaît bien en France. Et puis toute cette population de consommateurs excessifs, qui ne sont pas encore dépendants ou qui ne le deviendront jamais, parce que c'est plutôt une consommation avec des ivresses répétées. Cette consommation a été très ignorée.

C'est pour cette raison qu'il a été difficile de mettre en place la prévention. Les personne qui intervenaient pour faire de la prévention dans les établissements scolaires venaient des associations de prévention de l'alcoolisme et des associations d'anciens buveurs, lesquelles sont très fortes en France. On a des associations d'anciens buveurs qui prennent en charge les alcolo-dépendants. Ces personnes venaient parler de l'alcolo- dépendance alors que cela n'était pas nécessairement adapté à une population de jeunes qui, au contraire, soit vont conduire après avoir bu ou soit vont être ivres tous les samedis soirs, mais pour lesquels la menace n'est pas encore celle de l'alcolo-dépendance.

Il sera intéressant de suivre cette évolution en France, si tout cela se confirmera à long terme. Selon les enquêtes, la France demeure le pays le plus consommateur d'Europe à égalité avec le Portugal. Cependant, une enquête européenne faite en milieu scolaire, chez les jeunes de 16 ans, montre que les jeunes Français de 16 ans ne sont plus, loin de là, les plus gros consommateurs d'Europe. Il y a peut-être une rupture de générations. Les jeunes de 16 ans ne consomment pas comme leurs parents. En revanche, ils sont parmi le plus gros consommateurs de cannabis.

On pourrait émettre comme hypothèse qu'il y a un effet de vases communicants, c'est-à-dire que si on consomme beaucoup d'un produit, on consomme un peu moins d'un autre, ou au contraire, si on consomme beaucoup d'un produit, on a la chance de tout consommer? On n'a pas de réponse à ces questions pour le moment, mais on a été surpris de voir que les jeunes Français de 16 ans n'étaient plus les gros consommateurs d'Europe. Il y a 10 ans, cette même enquête aurait donné des résultats très différents.

Le sénateur Maheu: Des enquêtes qui démontreraient pourquoi les jeunes consomment du cannabis plutôt que de l'alcool sont-elles en cours?

Mme Maestracci: Les deux experts que vous entendrez vous en diront peut-être plus que moi, mais pour le moment on en est au stade des hypothèses. Si on examine un peu la consommation de cannabis dans les pays européens, il existe un autre élément de réflexion.

Par exemple, des pays comme la Grande-Bretagne, qui avait pendant très longtemps une consommation de cannabis beaucoup plus élevée que les autres pays d'Europe, à un certain moment on arrive à un effet de seuil, c'est-à-dire que tout se passe comme si la consommation ne pouvait pas augmenter éternellement. Il existe seuil du marché - si on peut l'appeler ainsi - ou un seuil qu'on ne peut pas dépasser.

Pour le moment, tous ces éléments ne sont que des hypothèses puisque la plupart des enquêtes n'offrent pas un recul énorme qui nous permette de tirer des conclusions définitives sur les modes de consommation. Il y a également le fait que ce qu'on ne regarde pas, on ne le voit pas. Par exemple, on a découvert que l'usage des substances dopantes était très répandu chez les jeunes sportifs amateurs lorsqu'en 1998 l'affaire du dopage a éclaté durant le Tour de France. Comme on ne posait jamais la question dans les enquêtes épidémiologiques, on ne le savait pas, donc cela n'existait pas.

Il faut faire attention au fait qu'en France on a relativement peu de recul sur l'évolution de la consommation de cannabis. Il est certain qu'elle a augmenté mais il faut être prudent en ce qui concerne les proportions d'augmentation car ce n'est que maintenant que des enquêtes suffisamment précises peuvent révéler le nombre de consommateurs réguliers et moins réguliers.

Je serais donc très prudente là-dessus mais en même temps, je crois qu'il est intéressant de se poser la question du caractère substitutif de telle ou telle consommation. Est-ce, si on consomme plus d'un produit on consomme moins d'un autre produit? Personnellement, j'ai été très frappée de voir, par exemple, des cas de certains pays comme l'Iran qui ne consomme pas d'alcool - du moins, pas officiellement d'alcool même s'il y a un marché parallèle - et où on retrouve un million cinq cent mille héroïnomanes.

Il est nécessaire de se poser ce genre de question. Dans le livre intitulé Savoir plus, risquer moins et qu'on a diffusé, on a commencé en disant qu'il n'y a pas de société sans drogue. À partir du moment où on affirme qu'il n'y a pas de société dans drogue, on doit donc penser que de vivre avec les drogues de la manière la moins risquée possible est sans doute d'éliminer les drogues les plus dangereuses.

Il est absolument nécessaire que nous nous posions ces questions et que nous mettions en place des systèmes d'observation qui nous permettent de voir quelles sont les grandes tendances d'évolution de la consommation. Il est possible que la question du cannabis, si on refait la même étude dans 10 ans, ne soit plus du tout la question qui soit posée. Les progrès de l'industrie chimique et de l'industrie du médicament sont tels que c'est autour de tous ces produits qu'on aura des questions à se poser dans les années qui viennent. Donc, ne nous trompons pas non plus de débat.

[Traduction]

Le sénateur Banks: J'espère que vous m'excuserez de poser mes questions en anglais. J'espère aussi que quelles que soient les décisions que vous allez prendre en France, elles ne feront pas obstacle à l'exportation de votre excellent vin partout au monde, à moi en particulier.

Cela m'amène à vous poser une question à laquelle vous avez faite allusion dans votre réponse à la sénatrice Maheu. S'il était possible de trouver une personne complètement objective - et je doute que ce soit possible; sauf peut-être les enfants de 16 ans dont vous avez parlé ou un Martien qui arrive ici pour nous observer -, cette personne objective constaterait toutes les consommations abusives de l'alcool et du tabac qui existent dans notre société et qui sont extrêmement dangereuses non seulement pour les consommateurs de ces produits mais également pour autrui. Pour le moment, ma question se limite au cannabis. Dans le cas du cannabis, une personne objective conclurait qu'à première vue, du moins selon la preuve anecdotique, une consommation modérée, même si elle entraîne un affaiblissement des facultés, semble faire moins de tort aux consommateurs et à la société que les deux autres produits. Toutefois, la production et la vente d'alcool sont légales, et on en donne aux gens lors de la messe le dimanche matin. Le tabac est un produit légal, même si tous reconnaissent ses effets nocifs. Cependant, pour des raisons que vous qualifiez de morales, je pense, nous avons déclaré que le cannabis est illégal.

À part l'argument moral, ceux qui veulent que le cannabis continue d'être illégal prétendent qu'il s'agit d'une drogue d'introduction qui mène, inexorablement, à l'utilisation d'autres drogues plus puissantes et plus dangereuses. Quelle est votre opinion là-dessus, compte tenu de tous les renseignements dont vous disposez? La consommation du cannabis est-elle une porte d'entrée à la consommation d'autres drogues plus nuisibles?

[Français]

Mme Maestracci: Quant à la dernière question, il est clair - toutes les enquêtes le démontrent - que le cannabis n'est pas plus une voie vers des drogues plus dangereuses que le tabac, l'alcool ou d'autres conduites à risque.

Il est vrai que tous les consommateurs de drogues plus dangereuses ont commencé par consommer du cannabis, mais ils ont commencé à consommer également de l'alcool, du tabac ou d'autres produits.

D'autres part, c'est une infime proportion de personnes, qui consomment du cannabis, qui consommeront des drogues plus dures. Nous avons des informations contrastées sur le cannabis parce que, certes, ce n'est pas le produit le plus dangereux parmi tous les produits qu'on a évoqués puisque nous savons qu'il n'entraîne pas de lésions irréversibles.

En revanche, nous avons un petit nombre d'usagers problémati ques qui consomment du cannabis du matin au soir et qui accuseront un certain nombre de problèmes de santé ou de problèmes sociaux. Et l'une des difficultés rencontrées dans tous les pays, c'est justement de repérer ces usagers problématiques et d'en tirer des conséquences.

Au fond, un des points mis en évidence dans le plan français est le suivant: ce qui fait la dangerosité intrinsèque du produit, c'est le comportement de consommation, c'est-à-dire que selon que l'on consomme peu ou beaucoup, selon que l'on consomme avant de conduire ou dans certaines circonstances, on va être plus dangereux pour soi-même ou pour les autres.

Tout le monde est en accord avec cette observation, mais en même temps on ne sait pas très bien comment en tirer des conséquences, que ce soit dans le domaine juridique ou dans le domaine des politiques. Comment écrire, dans un projet de loi, que l'on doive ne s'intéresser qu'aux usagers problématiques et comment l'écrire?

Tous les pays se trouvent confrontés à cette situation. Beaucoup de pays européens ont introduit l'idée d'usagers problématiques dans leur législation sans toujours pouvoir la définir clairement.

Ce qui est difficile sur le cannabis, c'est de ne pas tomber d'un excès dans l'autre. Le fait que le cannabis soit le produit le moins dangereux de tous ceux qu'on a évoqués, ne veut pas dire pour autant qu'on ne va pas avoir un certain nombre de consommateurs très problématiques. Cela ne conduit pas nécessairement aux drogues dures, mais cela peut entraîner des difficultés très importantes pour des jeunes adolescents qui vont consommer du cannabis du matin au soir.

Deuxièmement, est-ce uniquement une réponse pénale ou, au contraire, est-ce qu'on doit augmenter ou développer les réponses éducatives ou sanitaires? Voilà les questions qu'on doit se poser sur le cannabis qui est certainement la plus complexe.

Le président: Je vous informe que les questions qui vous seront écrites et vos réponses à ces questions seront aussi publiées sur notre site Internet.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Vous avez dit que vos voisins en Europe ont adopté beaucoup d'approches différentes. Le Canada a comme seul voisin immédiat un grand pays avec lequel nous faisons beaucoup de commerce. L'attitude américaine, à l'heure actuelle en tout cas, privilégie les solutions passant par la justice, dans le but de réprimer l'importation des drogues.

Pourriez-vous nous décrire brièvement les liens que vous avez pu nouer entre la France et ses voisins, notamment les pays qui ont adopté une orientation très différente de celle préconisée par la France à l'heure actuelle?

[Français]

Mme Maestracci: La situation a beaucoup évolué dans les cinq dernières années. Il y a cinq ans, il y avait des positions radicalement différentes et les réunions européennes à Bruxelles étaient l'occasion de débats extrêmement passionnels et conflic tuels. Il y avait une opposition très forte entre la France, qui avait une politique assez répressive, et les Pays-Bas qui avaient une politique relativement tolérante.

En réalité, c'était un conflit qui reposait très largement sur les représentations que chacun se faisait de l'autre pays. En Europe, tous les pays - cela a été une tendance très commune - ont travaillé sur des données scientifiques objectives. Dès lors qu'on commence à travailler sur des données scientifiques objectives, il n'y a pas 56 solutions aux problèmes. Finalement, les pays européens ont plutôt eu tendance à rapprocher leurs politiques et à les distinguer. C'est d'ailleurs le constat de l'Observatoire européen aujourd'hui. Au fond, les politiques au-delà des discours politiques sont beaucoup plus proches qu'on ne l'imagine. La grande tendance européenne autour de ces questions est de prévoir une orientation sanitaire et sociale pour les usagers, de ne pas être très répressif sur les usagers en les envoyant en prison. Tous les pays européens sont d'accord sur ce point, il s'agit plutôt de peines de substitution ou des sanctions administratives pour l'usage en public. Aujourd'hui, il y a une certaine unanimité sur ce point.

Il y a un certain nombre de pays qui mettent en place des expérimentations ou qui ont des zones de tolérance. Par exemple, la zone de tolérance néerlandaise est beaucoup moins importante qu'on l'imagine. Au fond, on peut vendre dans les cafés jusqu'à cinq grammes de cannabis. Au-delà de cinq grammes, c'est pénalisé. L'alimentation des cafés, c'est le trafic illicite.

C'est vrai qu'il y a une zone de tolérance, mais elle est relativement faible. On peut trouver de l'autre côté de la frontière ou en France, une tolérance à l'égard de 20, 25 ou 30 grammes de cannabis parce qu'à la frontière, dans les départements du nord de la France, il y a beaucoup de petites quantités de cannabis qui circulent et les procureurs de la République française ont eu tendance à avoir une tolérance relative à l'égard de la possession d'une quantité liée à la consommation personnelle.

On se rend compte que chaque pays - parce qu'on ne peut pas poursuivre tout le monde et la loi doit jouer ce rôle symbolique - est amené à avoir un certain nombre de zones de tolérance et à sanctionner beaucoup plus le trafic que l'usage.

Ce qui a fait évoluer cette situation - qui était très bloquée en Europe parce que les relations entre les Pays-Bas et la France étaient épouvantables à cause de la question des drogues - c'est la connaissance réciproque. Les Néerlandais pensaient que la France était un peuple de policiers et les Français pensaient qu'on pouvait acheter et vendre du cannabis à n'importe quel coin de rue et que toutes les drogues étaient en vente libre aux Pays-Bas. La connaissance réciproque des politiques était importante. Qu'on fasse tous partie des mêmes connaissances scientifiques et épidémiologiques a fait que les politiques se sont rapprochées. Cela prend du temps, mais il y a un certain moment où il devient évident qu'on a beaucoup moins de points différents que de points communs. Lorsque je suis allée aux Pays-Bas début juillet, le communiqué de presse à la fin du voyage était qu'effectivement, il restait des points différents parce que nous n'avons pas la même culture, mais les points communs sont beaucoup plus importants que les divergences. Peut-être que vous aurez une évolution de même nature.

Le président: Merci beaucoup pour votre témoignage, nous allons sûrement vous écrire. J'aurais voulu vous entendre sur l'injonction thérapeutique, sur la force probante des informations dont le magistrat doit tenir compte pour prendre telle avenue ou telle autre. Je vous écrirai et nous publierons vos réponses.

La séance est suspendue.

La séance reprend.

Le président: Nous avons devant nous M. Jean-Michel Coste. M. Coste a, entre autres, un diplôme d'expert démographe de l'Université de Paris I et une maîtrise de sociologie de l'Université de Paris V.

Depuis 1995, il est directeur de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies. En 1993, il occupait le poste de chargé de mission à la délégation générale à la lutte contre la drogue et la toxicomanie, où il a contribué au recueil, à l'analyse et à la synthèse des données et connaissances sur les drogues et les toxicomanies. De plus, il a participé à la mise en place du point focal français au réseau européen d'information sur les drogues et les toxicomanies, ainsi qu'à la mise en place de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies. En 1991, il occupait le poste de chargé de mission auprès du sous-directeur des statistiques et études de santé. En 1986, il était chef du Bureau des statistiques des établissements d'hospitalisation au ministère de la Santé et, en 1982, il était responsable du secteur établissements pour personnes handicapées ou en difficulté, du Bureau des statistiques d'action sociale du ministère des Affaires sociales.

Monsieur Coste, bienvenue. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir accepté notre invitation et vous remercions de l'intérêt que vous portez à nos travaux. Comme je l'ai dit tout à l'heure au témoin précédent, vous parlez de 20 à 30 minutes et ensuite nous vous posons des questions. Si le temps nous manque, je prendrai la responsabilité de vous écrire et nous publierons à la fois les questions et les réponses que vous nous aurez soumises.

M. Jean-Michel Coste, directeur, Observatoire français des drogues et des toxicomanies: Je remercie le comité du Sénat pour nous donner cette opportunité de contribuer à ses travaux. Vous m'avez demandé en fait une intervention sur deux thèmes: la présentation de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, et le deuxième concerne les principales tendances en matière de consommation de drogues illicites et de conséquen ces.

Pour la première partie sur l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, je vous ferai un rapide historique. À la fin des années 1980, les pouvoirs publics ont émis l'idée de mettre en place une structure indépendante et publique sur l'observation du phénomène des drogues et toxicomanies en France, cela à peu près à la même période où en Europe se réfléchissait aussi la création d'une agence européenne qui est devenue l'Observatoire européen.

Dans un calendrier assez proche, en 1993, les deux textes l'un européen et l'autre français ont été publiés. Il y a en France la création de l'Observatoire français des drogues et des toxicoma nies et il y a une directive européenne qui crée l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. Il faut souligner d'ailleurs que c'est à la suite d'une initiative française que cet Observatoire européen a été mis en place.

Les choses ont pris un certain temps entre le début des années 1990 et la fin de 1995, date de la mise en place réelle de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies parce que les choses ont été quand même d'une certaine complexité et de manière à mettre d'accord l'ensemble des ministères sur ce projet.

En France, le statut de l'Observatoire français est un statut particulier qui s'appelle le Groupement d'intérêt public. C'est en fait un établissement autonome public qui comporte trois instances différentes dont l'équilibre des rôles et des pouvoirs est extrêmement important.

Il y a en place un conseil d'administration qui va fixer les grandes orientations stratégiques, notre cahier des charges en termes de travail et aussi les moyens pour accomplir cette mission. Le conseil d'administration est composé d'un représen tant des principaux ministères en charge que l'on retrouve dans le comité interministériel en charge du dossier des drogues et des toxicomanies.

La mission interministérielle y est également, ainsi que deux structures associatives : la Fédération des observatoires régionaux de la santé et un réseau de centre de documentation spécialisée sur le domaine.

La deuxième instance est le Collège scientifique. Il est composé à la fois de représentants institutionnels de la statistique publique comme l'Institut national de la statistique, mais aussi l'Institut national de la recherche dans le domaine médical et les principaux gestionnaires des sources d'information sur le sujet. On retrouve la direction de la statistique et de la recherche du ministère de la Santé, mais également l'Office central de répression du trafic des stupéfiants en tant que gestionnaire d'une des sources d'information: le fichier des auteurs d'infractions à la législation sur les stupéfiants.

La deuxième partie du Collège scientifique regroupe des chercheurs, des experts nommés à titre personnel qui représentent les différents champs disciplinaires concernés par nos travaux. La deuxième instance est donc le Collège scientifique qui prononce des avis et, dans le cadre de l'Observatoire, suit et valide de près la teneur scientifique de notre activité et notamment de nos publications.

La troisième instance est une étude permanente. Il y a actuellement à l'Observatoire 25 personnes qui travaillent à temps plein sur la description du phénomène des drogues et des toxicomanies en France, avec un budget de l'ordre de 25 millions de francs. Voilà les moyens attribués à l'Observatoire.

La nature juridique du GIP correspond à la fois à la volonté des pouvoirs publics de créer une structure indépendante et en même temps de préserver des liens étroits, parce que la finalité de cet Observatoire est de produire des éléments de connaissance, notamment dans le domaine de la surveillance, qui soient utiles pour éclairer la décision publique. Ce n'est donc pas un institut de recherches dont l'objet principal est de rechercher pour recher cher, mais il y a bien ce lien extrêmement étroit. La finalité de nos travaux sont toujours orientés vers un aspect d'aide à la décision publique. Voilà rapidement la présentation sur le plan du statut juridique et de l'organisation.

La mission de l'Observatoire est une mission d'observation globale du phénomène à la fois de collecte des données et d'indicateurs disponibles, d'amélioration du système d'informa tion. Je décrirais assez brièvement, tel qu'évoqué par Mme Maestracci, les lacunes du système français qui étaient l'absence de dispositifs permanents d'observation des consommations en population générale, qui est l'une des bases en termes d'indica teurs, et de synthétiser souvent par la confrontation, et l'aspect clandestin des drogues illicites. Souvent les sources d'information n'éclairent qu'une partie du phénomène d'où un travail de croisement, de repérage et d'analyse de faisceaux d'indicateurs permettant de dégager des tendances pertinentes.

Ce travail de synthèse s'illustre dans une de nos publications majeures qui est un rapport intitulé «Indicateurs et tendances», qui est une photographie globale du phénomène de drogues et de dépendance en France, que l'on publie tous les deux ou trois ans. Ceci correspond à notre activité, une part de notre mission, puiqu'on a une mission principalement nationale, donc française, mais également une mission européenne puisqu'on est le correspondant de l'Observatoire européen. On contribue à l'ensemble des travaux de l'Observatoire européen en dressant périodiquement cet état du phénomène en France, et en mettant en 9uvre le programme de travail décidé par l'Observatoire européen.

Quels sont nos domaines d'activités? Il y a quatre grand axes de travail pour l'Observation. Ce sont de grandes orientations qui ont été fixées par le conseil d'administration, à la fin de 1998, qui couvraient la période similaire à celle du plan du gouvernement sur la période 1999-2001. Autour d'un travail de base de l'Observatoire de repérage, d'analyse et de synthèse des indica teurs disponibles, administratifs ou institutionnels, le ministère de la Santé mène périodiquement des enquêtes sur les recours aux soins par les usagers de drogues. Le ministère de l'Intérieur a son fichier des auteurs d'infractions à la législation des stupéfiants. Deux des sources que nous suivons et sur lesquelles nous pouvons être amenés à faire des propositions d'amélioration, notamment par rapport à des standards qui se développent sur le plan européen dans le domaine de la mortalité sur le registre. C'est un des domaines sur lesquels nous essayons de progresser puisque, actuellement, nous n'arrivons qu'à repérer qu'une partie du phénomène. Je reprendrai une des remarques de Mme Maestracci qui est très importante: on ne peut décrire que ce qu'on voit, quand on se dote de moyens de le voir. En matière de mortalité, il est dans le débat extrêmement difficile de dégager des tendances quand on sait qu'une partie importante des décès peuvent échapper au système d'information existant.

Cette partie est une partie qui, dès la création de l'Observatoire fin 1995, a été largement développée et sur laquelle nous avons maintenant un travail qui est entrée dans la routine, même s'il y a encore quelques axes sur lesquels nous essayons de faire progresser le dispositif statistique français, par exemple, sur le domaine de la mortalité, en essayant de mener des approches de manière à pouvoir mesurer l'ampleur global de ce phénomène.

Une des lacunes que l'on avait dressée lors des premier travaux de repérage des sources d'information existantes, était l'absence d'enquêtes en population générale. Sur cette partie, l'Observatoire a depuis trois ans mis en oeuvre un centre d'action de manière à ce que l'on puisse avoir en France, sur une base régulière, des enquêtes menées sur la même base qui permet de dégager des tendances évolutives dans la chronologie sur la question du nombre de consommateurs de tel ou tel produit, l'âge des consommateurs et sur la fréquence des consommations?

Ce dispositif comporte quatre grandes envolées: une enquête régulière tous les deux ans sur l'opinion et les perceptions - c'est un phénomène fondamental - la représentation des Français par rapport au phénomène des drogues. Il est important de savoir qu'en 1999, une très large majorité des Français avaient accepté la politique de réduction des risques sur les programmes d'échange de seringues ou sur la substitution.

Cette enquête surveille à fois les opinions sur les politiques publiques, mais aussi la représentation des Français sur les produits, leur dangerosité potentielle qui nous permet d'avoir un baromètre sur ces présentations, sur les différents produits des drogues licites et illicites. C'est une remarque importante même si mon propos, à votre demande, sera centré sur les drogues illicites. Nous menons des travaux sur l'ensemble des drogues et dans les enquêtes, il est tout à fait pertinent d'avoir cette approche globale compte tenu de l'intrication des consommations. Quand on enquête sur les perceptions, les opinions ou les consommations on le fait toujours sur l'ensemble des drogues licites ou illicites.

Les trois autres volets, ce sont des enquêtes sur les consomma tions sur la population générale, c'est-à-dire la population la plus large possible âgée de 15 à 75 ans; des volets spécifiques auprès des jeunes d'âge stratégique où s'initie une consommation notamment de drogues illicites - qui sont les plus fortes - en milieu scolaire. C'est une enquête qui se passe dans un contexte européen. Madame Maestracci a évoquée l'enquête auprès des jeunes scolarisés de 16 ans. En France, on l'a élargie a une tranche d'âge plus large, mais qui reste compatible avec le protocole européen. Et une enquête très riche d'enseignement, qui se passe à la fin de l'adolescence, lors de la journée de préparation à la défense, en France, cette journée a remplacé le service militaire.

Depuis l'année 2000, les jeunes filles sont tenues à participer à cette journée de préparation à la défense. Vous avez toute une classe d'âge autour de 18 ans, qui est tenue de se présenter à cette journée de préparation à la défense, avec un taux de couverture, parce qu'il y a des obligations administratives, les jeunes ne peuvent pas obtenir leur diplôme ou leur permis de conduire s'ils ne se rendent pas à cette journée. Et 98 p. 100 d'une classe d'âge participe à cette journée de préparation à la défense. C'était une magnifique opportunité pour placer une enquête épidémiologique. Ce qu'on a pu faire à partir de l'an 2000. Cette enquête sera annuelle et sera un véritable baromètre sur les consommations sur l'ensemble des drogues, des jeunes à cet âge stratégique de la fin de l'adolescence.

J'ai appuyé sur cette partie pour vous illustrer le type de travaux que l'on a pu être amené. L'objectif de l'Observatoire c'est d'analyser et d'utiliser les données existantes. On peut faire des propositions d'amélioration, mais on ne va pas recréer quelque chose de similaire et quand cela n'existe pas avec les moyens budgétaires que l'on a, on développe soit par l'équipe de travail de l'Observatoire, soit en partenariat avec des équipes de chercheurs extérieurs, de telles enquêtes.

Le troisième axe de travail correspond à une des préoccupa tions un peu prospective qu'a largement développé Mme Maestracci, qui est l'observation des tendances récentes, c'est-à- dire ne pas se tromper de bataille et essayer de détecter au plus tôt l'émergence de phénomènes nouveaux, ce qui se passe actuelle ment autour des drogues de synthèse.

Ce dispositif est relativement expérimental pour l'Union européenne. L'Observatoire français va coordonner un projet européen puisque l'Europe a également la volonté de mettre en place, à l'échelle européenne, un tel dispositif.

Ce dispositif s'appelle TREND «Tendances récentes et nouvel les drogues» et il repose sur une idée relativement simple, même si elle est complexe à mettre en oeuvre. Il s'agit d'un réseau d'observateurs sur 13 sites en France dont 10 villes en France métropolitaine et trois dans les départements d'outre-mer. Seront mobilisés à la fois des épidémiologistes ou des chercheurs formés sur les techniques de l'observation ethnographique et sur le contact avec des usagers de drogue, et des acteurs de prévention. Il s'agit notamment de dispositifs mis en place dans le cadre de la politique de réduction des risques qu'on appelle «des dispositifs de première ligne» ou «à bas seuil d'exigence», c'est-à-dire des dispositifs qui essaient de prendre contact avec les usagers en leur offrant, par exemple, l'hébergement, en amont d'une demande de soins de la part de ces usagers. Ces acteurs professionnels font de la réduction de risques et ils sont également des observateurs pertinents pour nous montrer l'émergence de phénomènes.

Au sein de ce dispositif, il y a également un projet de surveillance des produits consommés puisqu'on veut savoir ce que consomment les jeunes, notamment dans le cadre du phénomène de consommation de drogues de synthèse. Ce dispositif repose sur la collecte d'échantillons de drogues de synthèse, principalement de produits vendus comme étant de l'Ecstasy, achetés auprès de consommateurs et analysés par des laboratoires publics qui déterminent précisément la composition de ces produits. J'aurai l'occasion de vous présenter quelques données.

Le dernier axe est celui d'un travail autour de l'évaluation des politiques publiques. Fin 1999, l'Observatoire a reçu un mandat de la part du comité interministériel, soit une approche d'évalua tion globale des mesures du plan triennal. Notre travail dans le domaine de l'évaluation porte également sur des dispositifs particuliers, notamment autour de quatre axes du plan triennal déterminés comme des priorités en matière d'évaluation par le comité interministériel et sur lequel il y a un processus d'évaluation que l'on commande généralement à des équipes externes déjà engagées. Voilà la palette de notre activité autour des indicateurs, des enquêtes, des tendances émergentes et de l'évaluation des politiques publiques.

Pour la deuxième partie de mon intervention, j'avais fait parvenir le texte qui résume les principales tendances. Le texte est plus riche que la demi heure accordée à ma présentation. C'est la base sur les tendances en matière de consommation de drogues illicites et les conséquences sanitaires et sociales de ces consommations.

Je voudrais plutôt illustrer l'articulation du travail de l'Obser vatoire avec la politique publique en essayant de vous illustrer quatre séries de questions auxquelles on tente d'apporter des réponses. C'est autour de ces quatre questions que je vais présenter quelques données. Je vous ai également préparé un deuxième document qui contient des graphiques de base sur l'importance des consommations ou des conséquences. Ce sont des tableaux clé sur le phénomène de la consommation de drogues en France en 2001.

Il y a souvent une première question qui tourne autour du nombre d'usagers. Il y a deux ou trois ans, on était incapable de répondre de façon précise à ce type de questions, c'est-à-dire combien y a-t-il de consommateurs de tel ou tel produit, que ce soit pour les drogues, le tabac ou l'alcool? Deuxième question, quel est le produit qui génère le plus de problèmes? Troisième question, que consomment les jeunes? Et la quatrième question pour faire le lien avec un indicateur dans une optique d'évalua tion, quel était l'impact de la mise en place de la politique dite de réduction des risques en France dans le milieu des années 1990?

Combien y a-t-il de consommateurs de drogues illicites en France? Il s'agit de questions simples à préciser avec des sous-questions parce qu'il n'est jamais facile de répondre à des questions aussi simples. Qu'est-ce que vous appelez un consom mateur? Si c'est un expérimentateur d'un produit illicite, en France, il y en a 10 millions. La population française étant de 60 millions d'habitants, il y a donc 20 p. 100 de la population française qui a déjà fait l'expérience d'une drogue illicite, principalement le cannabis. Vous avez cette donnée dans le premier tableau qui est la figure 1, tirée de l'enquête en population générale, c'est-à-dire sur une population âgée de 18 à 75 ans. Vous avez à la première colonne, pour les 18 à 75 ans, la fréquence de l'expérimentation des différents produits, que ce soit les produits licites ou illicites. Pour le cannabis, c'est 21,6 p. 100 de la population. C'est donc principalement le cannabis. On montre aussi des produits qui sont dans des ordres de grandeur tout à fait différents, soit de 1 à 2 p. 100, soit la cocaïne, le LSD et les amphétamines, et à un niveau encore moindre, l'«Ecstasy» et l'héroïne en expérimentation au cours de la vie.

Pour les consommateurs occasionnels, soit au moins une fois au cours de l'année, on descend de 10 à 3,5 millions. Sur la notion d'usage répété définie sur une base d'au moins 10 fois au cours de l'année, c'est-à-dire une consommation quasi mensuelle, les données tombent à 1,7 million. À cette question, on peut apporter trois réponses en fonction de la définition que vous donnez au terme «consommateur».

La principale drogue illicite consommée en France est de loin le cannabis. En Europe c'est une constante.

Qui consomme? Ce sont principalement les jeunes. La figure 1 démontre que ces consommations sont beaucoup plus fortes chez les jeunes puisque chez les 18-25, on compte 46,8 p. 100 d'expérimentateurs de cannabis.

La figure 2 illustre le résultat de l'enquête que j'ai évoquée et qui a eu lieu lors de la journée de préparation à la défense. Sur quatre colonnes, on ne retrouve que des filles de 17 ans et des garçons de 17 à 19 ans. On voit ici que le niveau d'expérimenta tion du cannabis chez les jeunes a passé le seuil symbolique du 50 p. 100 et qu'à ce jour, on peut dire qu'une majorité de jeunes Français ont fait l'expérience du cannabis.

Pour les autres produits, vous avez à la colonne de droite des consommations qui ne sont pas à un niveau marginal puisqu'elles sont supérieures à 5 p. 100. Ces produits regroupent les champignons hallucinogènes, l'Ecstasy et de LSD. Dans des proportions moindres, la cocaïne est les amphétamines sont des drogues consommées par 3 p. 100 des garçons de 19 ans. Les consommations d'héroïne demeurent relativement marginales parce que cela ne concerne qu'un peu plus de 1 p. 100 de ces garçons de 19 ans.

Un autre élément peut être abordé à travers cette question. C'est d'essayer de mieux graduer la notion de consommation. Je crois qu'il est extrêmement important de répondre aux préoccupa tions des pouvoirs publics lorsqu'en matière de prévention, ces pouvoirs publics sont à la recherche d'un dispositif dont l'objectif n'est pas seulement de prévenir le premier usage, mais également de prévenir le passage d'un usage régulier à un usage problématique.

Du point de vue des enquêtes, il est important de cerner cette notion d'usage problématique et de graduer les consommateurs. Il est possible de le faire en essayant de repérer les consommations qui restent occasionnelles, celles qui sont sur des bases répétées ou régulières et celles qui sont problématiques.

Actuellement, on tente de cerner trois critères de consomma tion. On tente de voir si le jeune consomme le cannabis de façon intensive ou journalière, s'il le consomme fréquemment seul et s'il le consomme souvent le matin. Si on arrive à la conjonction de ces trois critères, je crois qu'on peut cerner un objet qui recouvre la notion d'usage problématique de cannabis.

Toujours selon la même enquête, la figure 4 vous présente, pour le cannabis, les différents types de consommation et les valeurs correspondantes. Il y a la notion d'abstinent - celui qui n'a jamais consommé de cannabis -, d'expérimentateur - qui a consommé une fois au cours de sa vie mais pas au cours de l'année passée -, et d'occasionnel jusqu'à intensif - qui est défini par 20 fois par mois et plus. Toute cette gradation comprend six catégories différentes.

Ce tableau nous démontre que si le fait d'avoir expérimenté du cannabis au moins une fois est devenu majoritaire, la plus grande part de ces consommations reste des consommations occasionnel les. Mais lorsqu'on s'intéresse à la population dont le niveau de consommation est le plus élevé, c'est-à-dire les garçons de 19 ans, on remarque que sur 10 jeunes garçons de 19 ans, vous avez quatre abstinents, trois qui demeurent sur des consommations expérimentales ou occasionnelles, deux qui sont sur des consom mations répétées ou régulières et un sur dix qui consomme de façon intensive.

Si vous croisez ce chiffre, vous avez 15,8 p. 100 des garçons de 19 ans qui font un usage intensif de cannabis. La moitié de ce pourcentage a aussi une consommation fréquente le matin et de façon seule. Vous pouvez donc obtenir un pourcentage se situant autour de 8 p. 100 des garçons de 19 ans, qui font un usage de cannabis pouvant être qualifié de problématique.

Cela résume un peu les types de questions pour lesquelles on peut être amenés à donner un certain nombre d'éléments d'appréciation aux pouvoir publics. Quant aux autres questions, je serai plus bref.

Quelle drogue pose le plus de problèmes en France? Dans tous les pays européens, sauf quelques États du Nord qui ont un problème spécifique avec les amphétamines, c'est de loin l'héroïne. Même si, en tendance d'évolution, ce constat est de moins en moins vrai dans la mesure où ce n'est plus l'héroïne seule. La plupart des usagers problématiques de drogues illicites sont des polyconsommateurs. C'est le premier constat que l'on peut faire.

Dans cette polyconsommation, les produits autres que les opiacées qui prennent de plus en plus de place actuellement sont la cocaïne, l'alcool et également les médicaments psychotropes détournés. En France, on estime à 150 000 le nombre d'usagers d'héroïne et de cocaïne qui sont des usagers à problème dont une large majorité est prise en charge dans le cadre de programmes de substitution.

Même si elle est en voie de diminution, l'injection reste un mode d'administration fréquent. En termes de conséquences, les problèmes spécifiques en matière de maladies infectieuses qui en résultent sont le sida et les hépatites. On estime aujourd'hui que 16 p. 100 des usagers problématiques sont séropositifs au VIH et que 63 p. 100 - environ les deux tiers - sont séropositifs à l'hépatite C.

Que consomment réellement les jeunes? Je voudrais aborder cette question à travers un phénomène émergent: les consomma tions de drogues de synthèse qui sont apparues en France au début des années 90.

Les enquêtes épidémiologiques démontrent que, selon l'âge et le sexe, 1 à 7 p. 100 des jeunes consomment ou ont consommé ce type de produit, en général dans un contexte festif. Il est important de souligner que cela se fait dans le cadre de d'autres consommations, c'est-à-dire que c'est rarement uniquement des drogues de synthèse, mais également beaucoup de cannabis et d'autres produits tels que les stimulants. Dans certains contextes, on peut également retrouver une consommation d'héroïne par inhalation de fumée. Par rapport à ce phénomène émergent, on a cherché à savoir ce que consomment exactement ces jeunes. C'est en ce sens qu'on avait mis en place le projet sur système d'information sur les drogues de synthèse.

À la figure 7, vous avez les résultats sur les échantillons vendus comme Ecstasy. L'intérêt du recueil, puisque les échantillons sont recueillis par des observateurs et des acteurs de prévention de terrain, ceux-ci peuvent collecter un certain nombre d'observa tions de contexte.

Est-ce qu'il y a eu un problème médical au cours de la soirée? Comme quoi ce produit a-t-il été acheté? Et on peut, par exemple, répondre à la question à savoir si ce qui a été vendu comme Ecstasy contient vraiment du MDMA, le produit actif.

On a donc isolé de la base de données les échantillons qui avaient été achetés comme étant de l'Ecstasy. On découvre qu'un tiers correspondent à l'appellation, qui contiennent du MDMA et que du MDMA. On se rend compte, puisqu'on fait la quantifica tion, que le dosage en MDMA d'un produit peut aller de un à dix, de un à 20, dans certains cas, donc avaient des dosages extrêmement différents ce qui posent, comme vous pouvez vous en douter, plusieurs problèmes. L'autre constat est qu'un tiers des échantillons contiennent du MDMA avec un autre produit actif dont l'interaction est évidemment très mal connue. Il y a aussi une part non négligeable de l'ordre de 18 p. 100, qui sont des médicaments détournés dont l'utilisation peut provoquer de sérieux problèmes. Voilà le type d'information auquel on est aussi amené à répondre par rapport à des préoccupations de santé publique.

Ma dernière question était la suivante: quel est impact sur la politique mise en place en France sur la réduction des risques? Dans un de mes textes, je rappelle dans les grandes lignes que la politique de réduction des risques a commencé en 1987, par la mise en vente libre des seringues en France, mais qui s'est essentiellement développée à partir de la fin de l'année 1993 avec le développement des programmes d'échange de seringues et le départ de la substitution, qui a pris son essor fin 1995 début 1996.

Pour vous donner une illustration en matière de substitution, il y a la figure de l'évolution du nombre de patients sous traitement de substitution, et vous pouvez voir qu'en France il y avait 50 usagés de drogues en traitement de substitution fin 1993; 2 000 fin 1995; fin 1997 ils étaient 50 000, et plus de 80 000 fin de l'an 2000, avec une spécificité en France puisque le produit dominant est la Buprénorphine à haut dosage et non pas la méthadone.

En terme d'impact, il faudrait développer parce qu'il pourrait y avoir des facteurs associés, mais globalement les experts retiennent un centre d'impact positif notamment c'est le cas sur les décès en matière de sida et VHI. Sur les décès vous avez les deux graphiques, figure 10 et figure 11: le figure 10, on peut dire que c'est l'impact de cette politique de réduction des risques, la baisse des décès par surdose constatés par les forces de police. Vous voyez qu'en 1994, il y a une inversion de tendance. Cette tendance était en augmentation depuis le début des années 70, qui avait culminé avec 564 décès répertoriés en 1994, depuis cette tendance suit une courbe descendante et on est à 119, donc une division par quatre de ce nombre de décès entre 1994 et 2000.

Il y a une courbe similaire même si les raisons sont toutes autres au niveau des décès par sida. Toutes autres simplement parce que l'on a l'impact principal des nouvelles thérapeutiques en matière de sida, qui ont très nettement amélioré l'espérance de vie des usagers atteint du VHI. Donc, les décès par sida pour les usagers de drogues, qui étaient 1 044 en 1994, ont été ramenés à 148 en 2000.

Le deuxième impact positif c'est le VHI. Sur la figure 8 vous voyez l'évolution de la prévalence déclarée chez les usagés injecteurs qui passe de 23 p. 100 en 1994, à 16 p. 100 en 1999. Il y a des limites. C'est le cas, par exemple, de l'hépatite C où les mesures en matière de réduction des risques n'ont pas eu l'impact qu'on pouvait espérer en matière de prévalence de l'hépatite C, qui reste à un niveau très préoccupant: il était à 51 p. 100 en 1994, il est aujourd'hui, en 1999, à 63 p. 100 Donc près des deux tiers des usagers de drogues sont infectés par le virus de l'hépatite C.

Voilà rapidement l'illustration que l'on pouvait faire autour - même si elle est très sommaire - de la notion de l'impact de la politique de la réduction des risques. Je vais m'arrêter là parce que je crois que j'ai largement débordé du temps qui m'était imparti.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: J'examine les chiffres que vous nous avez fournis. Je note en particulier les décès par sida et les décès par surdose constatés par la police entre 1990 et 2000. Vous dites que la baisse est attribuable à votre programme de réduction de risque. Je présume que ce programme a été mis en oeuvre dans tout le pays, n'est-ce pas?

[Français]

M. Coste: Les programmes d'échange de seringues ont été développés progressivement après la fin de l'année 1993. Mais en matière d'échange de seringues en France - c'est une différence par rapport à d'autres pays européens - l'accès pour les usagés de drogues à un dispositif général que sont les pharmacies qui depuis 1987, sont autorisées à vendre aux usagés de drogues, sans ordonnance, des seringues.

En matière de matériel stérile, il y a deux dispositifs assez différents: la mise en vente libre des seringues à partir de 1987, et le développement des programmes d'échange de seringues depuis le milieu des années 1990.

L'autre élément de la politique de réduction des risques c'est la mise en place - à partir du milieu des années 1990 - des structures dites à bas seuil, bas seuil d'exigence. C'est à dire, ce sont des structures d'accueil pour usagés ou des contacts dans la rue des usagers partant du principe où l'on n'exige pas de l'usager qu'il s'inscrive dans une démarche d'abstinence. On leur offre un service de première ligne sur les questions sociales ou de santé. Cela contribue à la politique de réduction des risques.

Le troisième aspect est la politique de substitution qui a eu, contrairement aux autres, un développement sur une duré beaucoup plus courte, centré sur les années 1996-1997.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Si j'ai bien compris, vous avez dit oui, que le programme a été mis en oeuvre dans tout le pays, et compte tenu des renseignements que vous nous avez fournis, pourquoi dites-vous que la chute du taux de mortalité est attribuable à ce programme? Pour pouvoir tirer cette conclusion, vous auriez été certainement obligés de mettre ce programme en oeuvre à certains endroits pour constater les résultats, comparati vement à l'absence du programme à d'autres endroits. Vous ne dites rien de vos constatations dans les régions où ce programme n'était pas appliqué. Par conséquent, comment conclure que le programme a été efficace?

[Français]

M. Coste: Vous avez tout à fait raison. D'un strict point de vue de l'évaluation, vous ne pouvez conclure avec certitude de l'impact, en termes d'impacts, de la mesure sur, par exemple un indicateur, que si vous avez mis en place un dispositif avec un groupe de contrôle, ce qui ne se fait jamais. On peut le faire avec des zones qui ont mis en place, par exemple une ville, un programme d'échange de seringues et une autre qui ne l'a pas fait. Mais là, vous aurez aussi des secteurs de confusion parce que les deux villes ne sont pas tout à fait les mêmes et n'ont pas forcément la même population d'usagers.

Si nous voulons conclure de façon certaine sur cette question, il faudrait faire des études randomisées, c'est-à-dire prendre une population d'usagers de drogues et dire, au hasard, que cette personne aura des seringues stériles et les autres non. Vous comprenez que du point de vue éthique, il est difficile de mettre en place de telles études.

J'ai présenté ces données comme des indicateurs d'impact. C'est vrai qu'il faut rester prudent parce qu'on n'a pas une certitude totale, mais l'analyse de la littérature internationale sur ces points converge avec le fait qu'en France, au milieu des années 1990, contrairement à certains pays européens, il y a eu une réorientation très forte de la politique, notamment en matière de réduction des risques. Cela converge avec une inversion de tendance et actuellement nous avons beaucoup moins d'hypo thèses fortes pour expliquer cette inversion de tendance.

Vous avez tout à fait raison, on ne peut pas néanmoins conclure avec certitude que la baisse des décès par surdose est liée directement et indubitablement à la politique de réduction des risques.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Nous aimerions tous pouvoir croire que le programme de réduction de risque a été couronné de succès. Si on fait abstraction de ces questions morales, que je peux comprendre, c'est-à-dire soigner certaines personnes mais pas d'autres, quelles autres explications peut-on avoir de cette réduction notable de mortalité? Est-ce possible que les groupes à risque élevé étaient moins nombreux? Est-ce que ces gens-là sont morts avant 1995 et donc un plus petit nombre de personnes souffraient du problème? Avez-vous d'autres idées là-dessus? Pouvez-vous tirer d'autres conclusions qui expliquent ce qui aurait pu provoquer une telle chute, une explication autre que le programme que vous avez mis en place?

[Français]

M. Coste: Vous avez énoncé une des autres hypothèses. Effectivement, le nombre de décès en France des usagers de drogues, au début des années 1990, a été quand même relativement important.Une partie de la population des usagers de drogue est morte dans la première moitié de la décennie de 1990. Ce simple constat peut expliquer que si vous avez une diminution des flux d'entrée de nouveaux toxicomanes, à un moment donné, le nombre de décès va diminuer. C'est un des facteurs explicatifs que j'ai évoqués.

Si ce facteur était primordial, il n'aurait pas pu avoir cette importance puisqu'on a quand même une diminution d'un à quatre sur quatre ou cinq ans. Une inversion de tendance de cette ampleur ne peut s'expliquer que par un facteur autre et il nous semble raisonnable de penser que c'est la mise en place notamment de la substitution. La substitution voulait dire aussi, et c'est largement démontré, une meilleure insertion sociale des usagers de drogues, donc des conditions où la mortalité est réduite parce que les gens ne sont plus dans la rue et il y a un plus fort contrôle qui permet de minimiser ces occurrences de décès.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Dans un autre ordre d'idées, vous nous avez donné des chiffres sur la consommation de l'alcool, du tabac et de toute une gamme de drogues. Au Canada, personne ne semble mourir de la consommation de cannabis. Certains meurent des drogues injectées, mais 45 000 Canadiens meurent chaque année des maladies liées au tabagisme.

Quelle est la situation en France? Quel est le niveau de consommation du tabac en France? Vos chiffres indiquent qui en fait l'expérience au moins une fois; mais lorsqu'il s'agit d'une consommation régulière, quelle est la mortalité liée au tabagisme par rapport aux autres drogues?

[Français]

M. Coste: La question de la mise en perspective de la mortalité due au tabac, à l'alcool et aux drogues illicites est une question difficile. Effectivement, nous avons des chiffres. Le problème, c'est que l'on ne parle pas tout à fait de la même chose.

En France, nous estimons actuellement à 60 000 les décès liés à la consommation de tabac et à 45 000 les décès liés à la consommation d'alcool. Par rapport aux chiffres que je vous ai donnés sur les usages de drogues illicites qui sont, en cumulant, 300, vous voyez que ce n'est pas du tout le même ordre de grandeur.

Malgré tout, il y a un certain nombre de précautions à prendre sur les techniques pour estimer les décès liés au tabac et à l'alcool. Nous essayons d'approcher l'ensemble de la mortalité liée à ces produits, ce que nous n'arrivons pas à faire sur le champ des drogues illicites. Par exemple, il y a les décès liés à l'imprégnation alcoolique au volant. On va mettre en place une étude pour essayer d'en mesurer l'importance. Un des résultats secondaires de cette étude est de voir l'importance que peut avoir la mortalité dans les accidents de la route liés à la consommation de cannabis puisque le cannabis peut aussi contribuer à la mortalité des accidents de la route.

De la façon dont la consommation se fait actuellement en France, en partie d'ailleurs pour des raisons de la prohibition du cannabis, le produit dominant est la résine de cannabis. Elle se fait en mélangeant le cannabis avec le tabac et avec le papier et la technique classique du joint: mélange du tabac, du papier et du cannabis. Si on dit qu'il n'y a pas de décès reconnu au cannabis, le fait de consommer dix joints par jour, vous consommez dix cigarettes avec le papier, avec un filtre artisanal qui est beaucoup moins performant qu'un filtre de cigarette. Il est donc difficile de comparer.

Les ordres de grandeur sont tels que les problèmes de santé publique sont clairement, en termes de mortalité, le tabac, l'alcool et ensuite les drogues illicites. Même si pour les drogues illicites, ce n'est quand même pas tout à fait la même population.

Les consommateurs de tabac et d'alcool sont des gens âgés autour de 55 à 60 ans. Ce sont des décès avancés alors qu'en termes de nombre d'années vécues, l'indicateur n'est pas le nombre de décès, mais le nombre d'années de vie perdues. Cela va remonter la part des décès dus à la consommation de drogues illicites. Il s'agit essentiellement d'une population jeune, âgée autour de 30 ans.

Actuellement, pour la mise en perspective que l'on essaie de faire, il est extrêmement important de travailler sur l'ensemble des champs qui donne ces chiffres et qui fournissent des ordres de grandeur. Cependant, connaissant l'approche qu'on a avec l'alcool et le tabac, on ne peut pas encore mener la mise en perspective sur les drogues illicites. Elles sont encore difficilement compara bles.

Le président: Ce sont des statistiques concernant les décès suite à la consommation de tabac. Vous pouvez nous transmettre ces données?

M. Coste: Oui. Le document écrit que j'ai préparé est essentiellement basé sur le prochain rapport que l'on va publier à la fin de l'année. Il est uniquement centré sur les drogues illicites. Dans notre rapport, on traite sur le même plan les drogues licites et illicites.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Vous venez de dire, en répondant au sénateur Kenny, que des décès dans les accidents de la route peuvent être liés à la consommation du cannabis tout comme à la consommation d'alcool. S'agit-il d'un fait établi? Nous avons beaucoup de preuves dans le cas des accidents de la route provoqués par des gens dont les facultés étaient affaiblies par l'alcool. Je ne connais pas de cas d'accidents de la route liés directement à la consommation du cannabis. Quelqu'un dont les facultés sont affaiblies par la consommation d'alcool peut fort bien rouler à 100 kilomètres à l'heure dans une zone où c'est interdit, tandis que quelqu'un dont les facultés sont affaiblies par la consommation du cannabis va probablement rouler à une vitesse de 10 kilomètres à l'heure dans une zone où c'est interdit. Existe-t-il des chiffres sur les cas de décès dans les accidents de la route liés à la consommation du cannabis?

[Français]

M. Coste: Non. J'ai dit que l'on allait mettre en place une étude, dont un des objectifs sera de voir la part attribuable à la consommation de cannabis et quel effet, cette consommation de cannabis a sur la cause d'accidents mortels. Cette étude sera mise en place à la fin de l'année. L'étude, pour une période de deux ans, sera faite à partir de l'observation d'accidents de la route ayant provoqué le décès de personnes, sur lesquelles des prélèvements d'alcool et aussi de stupéfiants seront faits. À l'issue de l'étude, on pourra documenter l'impact éventuel de la consommation de cannabis dans les causes d'accidents mortels.

On a un centre d'études qui mesure la prévalence de la présence de THC chez le conducteur. La prévalence peut être plus ou moins importante, mais le problème est d'essayer d'analyser si cette consommation - du point de vue méthodologique, cela peut être fait, mais on ne l'a pas encore fait - a provoqué l'accident. C'est ce que fera cette étude.

Une étude menée en France déterminerait que le risque d'accidents chez les consommateurs de cannabis serait deux fois plus élevé. Cette étude pose cependant des problèmes méthodolo giques. En effet, dans ce type d'étude, tout repose sur la comparaison du groupe type avec le groupe témoin. Le groupe témoin a été choisi dans le cadre des urgences hospitalières, il s'agit des accueillis à l'urgence hospitalière, non traumatisés de la route. C'est un groupe témoin relativement contestable.

Actuellement, ce fait n'est pas clairement documenté, et c'est l'objectif de cette étude que d'arriver à le documenter. Peut-être qu'elle sera ou non concluante. Cela a été fait sur l'alcool, mais pas encore sur le cannabis. On est encore dans l'incertitude sur ce point.

[Traduction]

Le sénateur Banks: J'espère que vous aurez la gentillesse de nous faire parvenir un exemplaire une fois qu'il est terminé.

Plusieurs graphiques que vous nous avez donnés illustrent clairement mon prochain argument, mais surtout le troisième graphique. On voit là une différence très nette et constante entre la consommation masculine et féminine des drogues, notamment entre les adolescents et les adolescentes.

Est-ce que vos recherches vous ont permis d'en déterminer la raison? Est-ce parce que les filles sont plus intelligentes? Est-ce parce qu'elles sont moins portées à faire des choses folles? Sont-elles plus prudentes? Pourrait-on obtenir des renseignements utiles à partir de cet état de faits qui pourraient être appliqués de façon positive?

[Français]

M. Coste: On n'a pas épuisé la question, néanmoins, j'ai quelques indications. En ce qui concerne certains produits, les filles consomment plus que les garçons. C'est le cas des médicaments psychotropes, dont la tendance est à la hausse. On retrouve également ce type de consommation chez la population des adultes en général. Le tabac est un autre produit sur lequel il y a eu convergence. Jusqu'à tout récemment, les filles fumaient moins que les garçons. L'étude menée en 1999 et l'Étude escapade démontrent que les jeunes filles consomment plus de tabac. La différence est significative. Elles ont dépassé les garçons pour ce qui est de la consommation de tabac. La différence est très minime par rapport aux médicaments psychotropes. L'alcool demeure une consommation très masculine, le cannabis égale ment. Si toutefois vous regardez la figure d'évolution, la seule enquête qui nous permette d'établir une tendance pour les années 1990 avec deux points de référence, 1993 et 1999, on voit que l'augmentation de la consommation est très nette pour les deux sexes quel que soit l'âge. Les courbes de 1999 sont toujours largement au-dessus des courbes de 1993. On peut voir que l'expérimentation de cannabis chez les filles a nettement plus augmenté que chez les garçons. Par exemple, chez les filles de 18 ans, on est passé de 17 à 42 p. 100, alors que chez les garçons, on est passé de 34 à 58 p. 100.

Quel que soit l'âge, les garçons ont toujours des taux de consommation supérieurs. La polyconsommation et notamment les consommations répétées sont relativement importantes. C'est le cas pour le tabac et le cannabis. Il ne serait pas étonnant, en termes de tendance, que la consommation des filles rejoignent celle des garçons.

Globalement, par rapport aux conduites à risque les comporte ments sont très différenciés entre garçons et filles. Les rapports face à la loi démontraient des comportements aussi différenciés: au début des années 1990, il y avait une consommation de cannabis très nettement masculine.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Nous vous saurons gré de nous faire parvenir une copie de ce rapport dès qu'il sera terminé.

[Français]

Le président: Nous serions très intéressés à prendre connais sance de ce rapport lorsqu'il sera disponible.

Le sénateur Maheu: Lors de votre réponse à une question posée par le sénateur Kenny ayant trait aux décès reliés au tabac en France, qui a une population de 60 millions d'habitants, avez-vous dit que 45 000 décès étaient liés à la consommation de tabac?

M. Coste: Le nombre de décès liés à la consommation du tabac se chiffre à 60 000 et 45 000 pour la consommation d'alcool.

Le sénateur Maheu: Au Canada c'est environ 40 000 sur 40 millions d'habitants. Nous ne sommes pas loin du double.

Le président: Vous sera-t-il possible de nous transmettre les méthodologies utilisées pour suivre le niveau des décès liés à l'alcool et au tabac?

M. Coste: Oui.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Les différences dans ce cas sont très importantes. Chaque année, 45 000 personnes meurent des effets du tabagisme, tandis que seulement 4 000 personnes meurent de problèmes liés à l'alcool, y compris la conduite en état d'ébriété. Ce pays est plus petit, il n'est pas de la même taille, mais la relation entre les deux facteurs est très différente, et il nous faut examiner la méthodologie afin de décider si nous pouvons comparer les données.

[Français]

Le président: Lorsque nous recevrons ces méthodologies, nous serons en mesure de faire la comparaison avec les nôtres.

Un des volets du travail de l'Observatoire est l'évaluation des politiques publiques. Quelles méthodologies suivez-vous pour faire ces évaluations et donnez m'en un exemple? Je présume que la note de passage n'a pas été atteinte et que les dirigeants politiques ont décidé de la modifier.

M. Coste: Sur ce domaine, malheureusement, la France ne pourra pas vous apportez beaucoup de réponses. Il me semble que le Canada a beaucoup plus l'expérience que nous en matière d'évaluation des politiques publiques. La démarche d'évaluation en France n'est pas une démarche intégrée aux professionnels et les dispositifs des programmes ou des politiques publiques. C'est une démarche à moyen et à long terme. Nous en sommes vraiment la première étape. À la fin de 2002, on aura un certain nombres d'éléments de la politique que vous a décrite Mme Nicole Maestracci. Par exemple, le volet de la formation, qui est quand même crucial, et celui de la stratégie des pouvoirs publics, comment elle a été mise en place et quel est son impact. On aura alors une évaluation en bonne et due forme qui nous permettra de dresser un certain nombre de constats sur la mise en 9uvre de la politique et son l'impact.

Sur les quatre axes prioritaires que sont les programmes départementaux de prévention et les programmes de formation, ce travail nous permettra de dresser un certain nombre de constats. Une étape extrêmement importante a été franchie en réunissant autour d'une table les acteurs de l'interministériel pour qu'ils se mettent d'accord sur le référenciel du plan triennal. Le plan triennal comporte un certain nombres d'orientation et de mesures. On a essayé de regrouper tout cela à partir d'objectifs assez généraux jusqu'aux objectifs opérationnels que se fixaient les différentes administrations.

Ce travail d'élaboration consensuel autour d'un référenciel peut avoir un modeste impact dans le cas de la préparation du futur plan triennal. C'est une démarche à long terme qu'on souhaitait mettre en place. Par la suite, des dispositifs particuliers feront l'objet d'évaluations plus classiques. Tout cela correspond à un environnement où la culture de l'évaluation en France est balbutiante.

Le président: J'aimerais vous poser quelques questions en ce qui a trait à l'indépendance de votre organisme. Mme Maestracci nous a parlé de la réticence de certains corps constitués à véhiculer une information qui contredisait une information qu'ils avaient utilisée abondamment dans le passé.

Au niveau de votre conseil d'administration ou au niveau d'intervenants qui légitimement peuvent participer à vos travaux, vous sentez-vous suffisamment indépendant pour offrir, à ceux qui le demandent, des réponses et une information juste et objective? Avez-vous toute la latitude pour atteindre ces objectifs? Le Président de la République a-t-il raison de vous confier 25 millions de francs chaque année?

M. Coste: La question de l'indépendance n'est pas une question simple. J'utilise plutôt le terme «autonomie» plutôt que «indépendance». La difficulté est de trouver la bonne distance entre une claire autonomie sur les constats dressés et les rapports. Tout ce qu'on publie, est publié sous le contrôle et l'autorité du seul collège scientifique. Il y a une réelle autonomie et indépendance sur les résultats et nos publications.

Le président: C'est une nuance importante.

M. Coste: En même temps, l'Observatoire doit rester proche des pouvoirs publics notamment dans les études qu'on est amené à commander. C'est bien par rapport à des questions que se pose l'interministériel. Il est parfois plus difficile d'essayer d'anticiper les questions qui pourraient être posées dans les années à venir.

Il faut quand même rester dans un lien qui permette une proximité entre nos travaux et nos études et le développement au jour le jour de la politique publique. C'est, à mon avis, une formule avec le groupement d'intérêt public et l'organisation institutionnelle. Il y a un bon équilibre entre le rôle de l'interministériel au sein du conseil d'administration, et une réelle autonomie du collège scientifique sur la teneur de ce qu'on produit.

Le président: Vous avez parlé de l'évaluation des substances. Parlez-nous des teneurs en THC car il en est question un peu partout.

M. Coste: On va en 2002, mener un projet expérimental pour, - toujours dans cette logique de questionnement - savoir ce que consomment réellement les jeunes. Le cannabis, principalement c'est de la résine. Il n'y a pas que du cannabis, mais des tas d'autres choses.

Un certain nombre de données, remontées à travers notre réseau d'observation des phénomènes émergents. nous laissent à penser qu'il pourrait y avoir de la résine de cannabis amplifiée en termes d'effets avec des coupages des produits tels que des benzodiazépines. Il y a également la question de la teneur en THC. On voudrait pouvoir documenter deux choses sur le cannabis: savoir s'il y a une augmentation de la teneur en THC sur le cannabis consommé, et deuxièmement connaître ce qu'il y a dans les produits de coupage du cannabis. C'est effectivement un des prolongements du premier travail que nous avions entrepris sur les drogues de synthèse. Nous allons maintenant continuer ce travail sur les drogues de synthèse, mais aussi commencer à explorer la question du cannabis.

Le président: Toutefois, vous n'avez pas encore, entre les mains, de données sur la teneur en THC?

M. Coste: Si. Nous en avons, mais ce sont des données qui proviennent des saisies. Ce sont quand même des données sur des produits qui, par définition, ne sont pas consommés.

Le président: Présumons qu'ils auraient été vendus s'ils n'avaient pas été saisis.

M. Coste: Voilà. Mais après, ces produits peuvent subir encore un certain nombre de coupages et de transformations.

Le président: Nous ne sommes pas à un point de vente.

M. Coste: Voilà.

Le président: Que vous révèlent ces teneurs en THC?

M. Coste: Les teneurs en THC sont relativement élevées, mais c'est une question sur laquelle je pourrai vous donner des informations.

Le président: Nous avons reçu de l'information pour l'Amérique du Nord et nous aimerions bien la comparer avec l'information de la France.

M. Coste: Ce sera dans le rapport que nous allons publier. Je peux vous donner rapidement le tableau des analyses des laboratoires des services répressifs de l'an 2000.

Le président:La figure numéro 13 de votre dernier tableau montre les interpellations pour usage. Il y a nette augmentation depuis 1990: quatre fois plus d'interpellations. Je comprends qu'une interpellation ne veut pas nécessairement dire une mise en accusation?

M. Coste: Oui.

Le président: N'est-ce pas là un constat? Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Quelle évaluation pouvons-nous donner, à partir de ce constat, des nouvelles politiques publiques en France? C'est quand même quatre fois plus d'interpellations en dix ans. Est-ce parce qu'il y a quatre fois plus de consommateurs? Est-ce l'efficacité policière?

M. Coste: Il peut y avoir plusieurs raisons. Par exemple, en ce moment en France, on a réactivé le plan Vigie-pirate. Cela mènera sans aucun doute à un certain nombre de Vigie-pirates par rapport au problème du terrorisme, avec un contrôle des policiers assez présent. L'année où il y avait eu ce plan Vigie-pirate, il y avait eu un accident statistique sur le nombre d'interpellations.

Nous sommes sur une tendance d'augmentation depuis 10 ans qui est liée à l'augmentation de la consommation. Nous ne sommes pas capables de mesurer si la consommation, entre le début et la fin des années 1990, a été multipliée par quatre. Cependant il y a eu une augmentation très nette de la consommation de cannabis.

Un autre constat que nous pouvons tirer est qu'il pourrait être intéressant de rapporter les 82 000 interpellations pour usage de cannabis des 10 millions d'expérimentateurs. Vous obtiendrez alors la probabilité d'avoir une arrestation si vous êtes consomma teur de cannabis. Pour votre dénominateur, vous pouvez prendre soit les 10 millions ou alors les 3,7 millions ou les usagers répétés, c'est-à-dire les 1,7 millions. Si nous prenons, par exemple, les usagers répétés, nous avons une probabilité de capture relativement faible. Vous pouvez faire l'autre rapproche ment: un rapprochement par rapport à la loi et au constat que vous pouvez faire sur l'application de la loi, et aussi pour un usager d'équité par rapport à la loi.

Le président: Je suis d'accord, mais regardez la courbe pour l'héroïne. Elle a diminué depuis 1994.

M. Coste: Oui. Là, nous avons les interpellations pour usage, c'est-à-dire que les interpellations pour trafic sont répertoriées ailleurs. On a le même phénomène d'impact indirect de la politique de réduction des risques et de la tendance, au cours de la deuxième moitié des années 1990, d'une perte de vitesse de la consommation d'héroïne. Elle ne disparaît pas, elle continue à être consommée, mais moins fréquemment. Elle est remplacée par des produits de substitution dans lesquels on peut retrouver des opiacés, mais également d'autres produits comme les stimulants, l'alcool et les médicaments détournés. C'est un indicateur indirect, d'où la nécessité de croiser les indicateurs. Vous les constatez sur les interpellations, sur les taux de VIH et les injecteurs de drogues, et sur le taux de mortalité. C'est donc à partir du croisement et de la convergence de ces tendances qu'on peut construire. Cette tendance est un des éléments qui permet de dire que l'usage d'héroïne dans la deuxième moitié des années 1990 a perdu de l'importance en France.

Le président: Je vous remercie, monsieur Coste. Nous vous ferons parvenir nos questions restées en suspens.

Avant de suspendre les travaux de cette séance du comité, je tiens à rappeler à tous ceux et celles qui s'intéressent aux travaux du comité qu'ils peuvent lire et s'informer sur le sujet des drogues illicites en rejoignant notre site Internet: www.parl.gc.ca. Vous y retrouverez les exposés de tous nos témoins, leur biographie et la documentation argumentaire qu'ils auront jugé nécessaire de nous remettre, ainsi que plus de 150 liens Internet relatifs aux drogues illicites. Vous pouvez aussi utiliser cette adresse pour nous transmettre vos courriels.

Nous allons suspendre cette séance et reprendrons nos travaux à 14 h 30.

La séance est ajourné.


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