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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 10 - Témoignages pour la séance de l'avant-midi


VANCOUVER, le mercredi 7 novembre 2001

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 9 heures pour réexaminer les lois et les politiques antidrogues canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Je déclare réouverte cette séance du Comité spécial sur les drogues illicites.

[Traduction]

Le président: À l'origine, nous devions venir à Vancouver le 12 septembre. Le Comité a tenu des audiences à Toronto le 10 septembre, et nous devions être en déplacement le 11. De toute évidence, nous avons dû annuler l'audience de Vancouver. Nous sommes heureux d'être ici aujourd'hui.

Notre premier témoin est le maire Owen, et je tiens à raconter une anecdote le concernant.

En 1999, je suis venu à Vancouver à l'occasion d'une réunion de la conférence des maires de grandes villes. Le maire Owen présidait la réunion, à l'occasion de laquelle les délégués ont adopté une mention appuyant la création de notre comité. Monsieur le maire, vous faites donc partie de notre comité, et nous vous en sommes reconnaissants.

Je vous invite d'abord à présenter votre exposé, après quoi les membres du Comité vous poseront des questions.

M. Philip Owen, maire, ville de Vancouver: Je suis honoré d'avoir été invité à vous entretenir de l'élaboration de la politique antidrogue de Vancouver, «A Framework for Action: A Four-Pillar Approach to Drug Problems in Vancouver».

En février, je me suis rendu à Ottawa pour discuter avec quelques représentants du gouvernement fédéral de ce document stratégique, qui n'était alors qu'une ébauche. La version provisoire a reçu un accueil favorable. De retour à Ottawa en juin pour débattre de la version révisée, j'ai rencontré les ministres McLellan et Macauley. J'ai également passé beaucoup de temps avec le ministre Rock, qui s'est montré très favorable à notre initiative. Par conséquent, je tiens à remercier le gouvernement fédéral de l'ouverture dont il a fait preuve dans ce dossier. Nous avons été très bien accueillis à l'occasion de nos deux visites à Ottawa. Depuis, le ministre Rock et moi avons échangé de la correspondance.

Nous sommes donc heureux que votre comité soit venu à Vancouver entendre ce que nous avons à dire. Au cours des quatre dernières années, la ville de Vancouver et ses citoyens en sont venus à la conclusion qu'ils ne peuvent faire fi du problème des drogues illicites et des infractions contre les biens qui en découlent. Nous ne pourrons pas régler le problème grâce au seul recours à l'incarcération non plus qu'à l'adoption de politiques libérales. Tous les centres urbains du pays, tous les centres urbains du monde, en fait, font face à la même situation. On ne peut tout simplement pas faire comme si de rien n'était.

Impossible d'opter pour la politique de l'autruche. Donald MacPherson - le coordonnateur de la politique en matière de drogues de la ville de Vancouver qui m'accompagne aujourd'hui - et moi avons commencé à effectuer certains travaux préparatoires. Nous avons passé un certain temps aux États-Unis, où il apparaît clairement que la lutte antidrogue ne donne pas les résultats attendus. Pour gérer le problème, nous devons donc avoir recours à un système de soins exhaustif qui débouche sur la création de communautés sûres et saines dans l'ensemble de la ville.

Dans les années 90, Vancouver a connu un grave problème lié à la vente et à la consommation de drogues illicites, plus particulièrement l'héroïne et la cocaïne. Durant cette période, des centaines de personnes sont mortes d'overdoses. De nombreuses autres ont contracté le VIH, l'hépatite C et d'autres maladies en raison de l'usage de drogues injectables.

La croissance du trafic de drogue à Vancouver a eu de graves impacts sur la ville. Nous avons donc mis au point ce que nous considérons comme une approche exhaustive pour étudier les problèmes liés aux toxicomanies et au trafic de drogue dans la ville.

En 1997, nous avons établi la Coalition for Crime Prevention and Drug Treatment de Vancouver. À l'époque de sa formation, la coalition comprenait la ville de Vancouver, le chef de police et 20 partenaires communautaires. Dans un premier temps, nous avons pris contact avec des groupes d'intérêt et des groupements d'entreprise de la collectivité, et la coalition compte aujourd'hui 63 partenaires, y compris un large éventail d'entreprises et de représentants des secteurs de la santé, de l'éducation et des services sociaux. Les partenaires de la coalition ont apporté un certain nombre de contributions importantes qui se sont traduites par l'amélioration des programmes de prévention du crime et de désintoxication, dans le Downtown Eastside de même que dans l'ensemble de la ville. Des ateliers sur la prévention du crime, des tribunes sur la drogue, des programmes de sensibilisation et de prévention de la toxicomanie chez les jeunes et de nombreuses autres initiatives de la coalition contribuent à l'amélioration des programmes de prévention du crime et de désintoxication aux quatre coins de la ville. Au cours des trois dernières années, je dirais que près d'une centaine de ces tribunes ont été organisées à Vancouver.

En novembre 2000, soit après quatre années de recherche et de participation communautaires poussées dans le Downtown Eastside et ailleurs dans la ville, Vancouver a rendu public un document de travail provisoire - celui dont j'ai fait mention il y a un instant. Le document reposait sur les quatre piliers que sont la prévention, le traitement, l'exécution de la loi et la réduction des préjudices.

Pendant six mois, Donald MacPherson et moi, ainsi que de nombreux autres intervenants, avons rencontré des groupes de citoyens pour solliciter leurs commentaires. Nous avons rencontré des groupes de petite et de grande taille, comptant de 10 à 250 personnes. Nous avons assisté à des dizaines de réunions. À la fin, le document a reçu un accueil favorable. Le soutien du public est de l'ordre de 80 à 90 p. 100.

Le document a été renvoyé à M. MacPherson, qui en est l'auteur. Il a effectué certaines modifications, intégré certaines suggestions valables émanant de citoyens et mis certains aspects en lumière. Le 15 mai 2001, le conseil municipal a adopté le document final sans opposition.

En mars 2000, la ville de Vancouver, la province de la Colombie-Britannique et le gouvernement du Canada, ont signé ce qu'on appelle l'Accord de Vancouver. Il s'agit d'un remarquable nouveau modèle de relations intergouvernementales qui lie l'administration de Vancouver et les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada - Hedy Fry, au nom du gouvernement fédéral, Jenny Kwan, au nom du gouvernement provincial et moi-même l'avons signé. En vertu de cet accord, les trois ordres de gouvernement s'entendent pour collaborer à la conclusion d'une convention de développement urbain visant à promouvoir et à soutenir le développement économique durable, le développement social et le développement communautaire à Vancouver.

Par l'entremise de l'Accord de Vancouver, les trois ordres de gouvernement présents dans la collectivité se concerteront pour mettre au point une approche exhaustive du problème de la toxicomanie à Vancouver. Dans le contexte de la mise au point d'une stratégie antidrogue urbaine efficace, bon nombre de mesures liées aux toxicomanies regroupent les compétences des trois ordres de gouvernement.

Un des principaux éléments de l'Accord de Vancouver a trait à l'établissement d'un secrétariat chargé de la mise en oeuvre du plan d'action. Le secrétariat permettra aux gouvernements et à la collectivité de s'unir pour assurer l'adoption d'une approche concertée de la mise en oeuvre et - aspect important - de l'évaluation.

Où en sommes-nous aujourd'hui dans la mise en oeuvre de la politique antidrogue? Depuis le 15 mai, des fonctionnaires de la ville travaillent de concert avec la collectivité et d'autres ordres de gouvernement, et des progrès considérables ont été accomplis à ce chapitre.

J'ai fait allusion plus tôt aux quatre piliers. Le premier est la prévention. À cet égard, un groupe de travail issu de la coalition de Vancouver et le Vancouver Sun produisent une série d'une durée de cinq jours intitulée «Power Choices - Drug Awareness and Prevention For Youth». La série étalée sur cinq jours sera publiée dans le journal. En outre, elle sera distribuée dans environ 2 000 salles de classes de Vancouver, dans le cadre de la Semaine nationale de sensibilisation aux toxicomanies.

L'Alcohol-Drug Education Service, partenaire de la coalition, s'apprête à élargir son programme d'éducation et de prévention appelé «Making Decisions». Le programme existe depuis des années, mais, grâce aux efforts de la coalition, il sera offert, au cours de la prochaine année, aux élèves de la septième, de la huitième et de la neuvième années. Près de 1 100 élèves de la sixième et de la septième années des quatre coins de la province bénéficient déjà du programme.

J'ai moi-même de jeunes petits-enfants. À ce titre, j'aimerais bien que le programme soit offert dès la première année, et les spécialistes de la prévention disent s'orienter dans cette voie.

En ce qui a trait au traitement, on a entrepris la création de quatre centres de santé dans le cadre des premières initiatives ciblées découlant de l'Accord de Vancouver portant sur le Downtown Eastside. Ces centres se répartiront comme suit: un centre contact-santé, un centre de dynamique de la vie, une clinique de santé communautaire et la clinique Pender. On a établi un financement de 2,1 millions de dollars, et les centres du conseil sanitaire de Vancouver et de Richmond devraient ouvrir leurs portes à la mi-décembre en 2001, à l'exception du centre de la dynamique de la vie, dont l'ouverture n'est prévue qu'en avril prochain. Le conseil sanitaire de Vancouver et de Richmond continue d'envisager la décentralisation de ces services de base aux toxicomanes dans l'ensemble de la ville et de la région. Les services de base, y compris l'échange de seringues, le counselling pour les alcooliques et les toxicomanes, la désintoxication à domicile et la fourniture de méthadone, sont offerts dans des centres de santé communautaire locaux aux quatre coins de la ville.

Les services ne sont pas tous centralisés dans Downtown Eastside; en fait, ils sont répartis sur l'ensemble du territoire. Les maires régionaux nous viennent en aide dans leurs municipalités respectives; Richmond, Burnaby et la Rive-Nord sont très avancés dans ce domaine.

L'Institut de recherche en santé du Canada a approuvé et financé en partie les essais cliniques d'un traitement à l'aide d'héroïne à Montréal, Toronto et Vancouver mis de l'avant par la North American Opiate Medications Initiative. Un petit nombre d'héroïnomanes de longue date des quatre coins du pays, soit environ 240, participeront au projet, qui vise à évaluer l'efficacité de l'utilisation d'héroïne dans le cadre d'un programme de traitement.

En ce qui concerne le pilier axé sur l'exécution de la loi, qui sert de complément à l'initiative sanitaire, on entreprendra en janvier 2002 la réorganisation du carrefour des rues Main et Hastings dans le Downtown Eastside. Une fois les centres provinciaux du conseil sanitaire en place, nous allons modifier la structure matérielle du carrefour. La ville de Vancouver a engagé 550 000 $ dans ce projet. Axé sur l'amélioration de la sécurité publique, le programme vise à favoriser l'exécution de la loi à cet endroit et à réduire le niveau d'activité des trafiquants de drogue.

Les piliers ont pour but de séparer l'utilisateur du revendeur. À l'heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de le faire. L'initiative bénéficie de vastes appuis. Le gouvernement provincial et Justice Canada ont participé à l'élaboration d'une infrastructure et d'un programme pour le Tribunal de traitement de la toxicomanie, et le projet est en voie de réalisation sur la rue Pender à Vancouver. On s'attend à ce que les clients mettent environ dix mois à mener le programme à bien au Tribunal du traitement de la toxicomanie.

En vertu du pilier axé sur la réduction du préjudice, les ministres provinciaux de la Santé ont, en septembre 2001, rendu public un rapport intitulé «Réduire les méfaits associés à l'usage des drogues par injection au Canada».

Il y a six semaines, à l'occasion d'une réunion tenue dans les Maritimes, les médecins hygiénistes provinciaux ont rencontré les ministres provinciaux de la Santé. Ensemble, ils ont élaboré ce rapport des plus intéressants sur la réduction des méfaits. Les auteurs du rapport revendiquent la mise sur pied d'un groupe de travail appelé à étudier la possibilité de créer des centres de consommation supervisés au Canada. Le groupe se réunira à la fin novembre. De même, on a entrepris une étude des décès imputables à des overdoses, avec l'appui de l'Accord de Vancouver et du bureau du coroner en chef.

Parmi les autres progrès connexes, permettez-moi de citer le travail effectué par le conseil sanitaire de Vancouver et de Richmond pour répondre aux besoins des toxicomanes de la région. Parmi ces progrès, citons une ligne d'accès au service de désintoxication qui a entraîné une réduction spectaculaire des délais d'attente et une augmentation des taux d'occupation des lits des cliniques de désintoxication de toute la région de Vancouver, un programme ambulatoire de désintoxication dans le cadre duquel des services externes sont offerts, un examen de l'utilisation de la méthadone dans la région et un programme de logement subventionné offrant conjointement un logement à prix modique et des services de désintoxication conçus pour répondre aux besoins des particuliers en sevrage.

Nous sommes heureux des progrès réalisés, mais beaucoup reste à faire. On ne devra pas ménager les efforts pour assurer le financement et la mise en oeuvre de toutes les mesures définies dans la politique antidrogue. Pour améliorer la santé et la sécurité des collectivités et des particuliers, nous devons continuer de collaborer avec vigueur avec tous les ordres de gouvernement et associer les collectivités - cela est très important - à la mise en oeuvre opportune des mesures visées dans les quatre piliers.

Le ministre Rock, avec qui je corresponds et discute régulièrement, est très sensible à cette question et reconnaît volontiers que, du point de vue de Santé Canada, les utilisateurs sont malades. Nous sommes dotés d'un système national de soins de santé, et c'est à lui qu'il revient de soigner les personnes en question.

La présente politique antidrogue et les mesures qu'elle renferme constituent des éléments cruciaux pour répondre au problème du trafic de drogues illicites et des impacts négatifs qu'il a sur la santé et la sécurité de nos collectivités. Au fur et à mesure que le monde est rétréci, on comprend que les conséquences régionales, nationales et internationales d'un système exhaustif de soins de santé visant à pallier les problèmes liés à la toxicomanie et à l'activité criminelle s'y rapportant revêtent une importance capitale. Les liens entre le trafic de drogues illicites et le terrorisme, en particulier aujourd'hui, ne sont qu'une des illustrations de la pertinence de plus en plus généralisée des politiques antidrogues locales.

Il y a quelques jours, le premier ministre de la Grande-Bretagne, Tony Blair, a déclaré qu'environ 70 p. 100 de l'héroïne consommée en Angleterre venait de l'Afghanistan. Des sommes provenant des collectivités finissent donc dans les goussets des organisations terroristes. Il y a un lien direct avec les bouleversements que connaît le monde.

Je tiens à vous remercier chaleureusement d'être ici. Les citoyens sont manifestement prêts à agir. C'est ce qu'ils nous disent à Vancouver. Nous avons eu un dialogue poussé et bénéficions d'un appui massif de la part du public. Nous avons tous commencé à changer d'attitude à ce sujet. Comment puis-je l'affirmer? Parce que vous êtes ici. Vous êtes ici et nous parlons de ce problème, et cela est en soi très encourageant.

Le président: Monsieur MacPherson, voulez-vous faire une déclaration avant que nous ne passions à la période de questions?

M. Donald MacPherson, coordonnateur de la politique en matière de drogues, ville de Vancouver: J'ai effectivement une brève déclaration à faire.

D'abord, je tiens à vous remercier d'avoir pris le temps de venir dans notre ville pour entendre parler de personnes aux prises avec l'épineux problème de la toxicomanie et de la solution que la collectivité peut apporter au problème de la vente et de la consommation de drogues illicites à Vancouver.

Comme vous le savez, Vancouver a, au cours des dernières années, vécu une situation des plus difficiles. Au cours de la dernière décennie, de nombreux résidents de la ville ont beaucoup souffert, et nous avons vu leur état de santé se détériorer. Nous avons été témoins des proportions alarmantes qu'ont pris les pertes de vie causées par les overdoses, les maladies transmissibles et l'activité criminelle connexe.

Nous espérons qu'à terme, les délibérations de votre comité déboucheront sur des recommandations susceptibles d'aider le Canada à progresser sur la voie de la lutte contre les drogues illicites dans le cadre d'une approche claire qui soit à la fois exhaustive, fondée sur les résultats et, fait plus important encore, tournée vers la réduction des préjudices aux particuliers et aux collectivités imputables aux drogues.

Dans le document que nous vous avons fait parvenir, «A Framework For Action: A Four-Pillar Approach to Drug Problems in Vancouver», on décrit une bonne partie des problèmes auxquels Vancouver a fait face au cours de la dernière décennie. Le document porte principalement sur des drogues illicites autres que le cannabis. Nous avons agi ainsi de façon intentionnelle, afin de centrer le débat sur les questions liées à la toxicomanie, au trafic de drogues illicites et à l'impact négatif de l'héroïne et de la cocaïne sur notre collectivité. Le document résulte de quelques années d'efforts déployés par bon nombre de représentants de la collectivité ainsi que d'organisations gouvernementales et non gouvernementales. Il s'inspire d'autres études rédigées au cours de la dernière décennie à propos de l'expérience d'autres administrations. Il tient également compte des multiples membres de la collectivité qui s'emploient à faire de notre ville une collectivité où il est plus sain et plus sûr de vivre et de travailler.

Comme le maire Owen l'a déjà indiqué, il a, en 1997, créé la Coalition pour la prévention du crime et le traitement de la toxicomanie en reconnaissance de la nécessaire participation de la collectivité au sens large à l'élaboration d'une solution au problème des drogues tenant compte du contexte de Vancouver.

En 1998, cette coalition a parrainé une conférence internationale sur la prévention du crime et le traitement de la toxicomanie qui a réuni des spécialistes européens, américains et canadiens, lesquels nous ont entretenus de leur expérience dans ce domaine. À l'époque, nous avions beaucoup à apprendre.

En avril 2000, le conseil municipal de Vancouver a créé le poste de coordonnateur de la politique en matière de drogues afin de conférer une autorité plus grande à la municipalité dans le dossier des drogues. Même si une bonne part des responsabilités liées aux mesures à prendre pour contrer la vente et la consommation des drogues illicites ne relève pas du mandat des municipalités, les impacts de la consommation et de la vente de drogues illicites sur nos citoyens et nos collectivités demeurent très locaux.

En novembre 2000, le conseil municipal de Vancouver a adopté «A Framework For Action» à titre de document de lutte antidrogue de la ville, sans opposition. Dans le document, on invite tous les ordres de gouvernement à s'engager dans la lutte contre les drogues illicites dans notre collectivité. On y affirme clairement que la toxicomanie est un problème auquel on doit s'attaquer au moyen d'une approche sanitaire exhaustive mettant les toxicomanes en relation avec les services sanitaires et mettant un terme à la marginalisation des héroïnomanes et des cocaïnomanes. On y précise que l'activité criminelle doit être sanctionnée et que la sécurité de nos collectivités demeure un enjeu crucial. Enfin, on y plaide en faveur de la responsabilisation au moyen de la concertation des efforts et d'une évaluation rigoureuse de toutes les initiatives, de façon à réduire au minimum les préjudices causés par les drogues.

Dans le document, on admet que la consommation de drogues illicites est un problème international et que les solutions proposées doivent tenir compte du contexte régional, national et international. On plaide en faveur d'un leadership fort dans les secteurs qui relèvent de la compétence du gouvernement fédéral, et on souligne que les dispositions législatives fédérales doivent être revues sous l'angle du resserrement des sanctions imposées aux criminels et au crime organisé. On doit aussi se demander dans quelle mesure nos lois constituent dans les faits des obstacles à l'adoption d'approches nouvelles et novatrices élaborées dans d'autres pays.

Nous vivons dans une société où la consommation de drogue est répandue. Les drogues licites sont omniprésentes, en cas de besoin, on peut s'en procurer pour s'aider à vivre, que ce soit pour apaiser la douleur, nous tenir éveillés, nous aider à dormir et ainsi de suite. Au même titre que les drogues licites, les drogues illicites sont là pour de bon. Il s'agit d'un problème auquel nous devons nous attaquer et que, comme le maire l'a déclaré, nous devons apprendre à gérer de manière à réduire les préjudices causés aux particuliers et aux collectivités. Admettre l'existence d'un problème constitue la première étape de son règlement, et je pense que c'est ce qu'a fait Vancouver.

Dans toute stratégie, un autre élément important a trait au fait que les mesures que nous prenons pour améliorer la situation de personnes doivent reposer sur de saines données qui montrent que les interventions que nous effectuerons sont dans les faits susceptibles de corriger la situation et d'entraîner une réduction des préjudices causés aux particuliers et à la société. Nous devons examiner les résultats de recherche, discuter avec les personnes touchées par nos interventions et déterminer les approches qui donnent de bons résultats selon les situations. Nous devons trouver des solutions efficaces sur le terrain et non reconduire les débats idéologiques qui, souvent, font en sorte qu'on fait peu pour remédier à ces graves problèmes. Là où les données nous font défaut, nous devons mettre au point un réseau de recherche et faire l'essai d'approches nouvelles et novatrices dont on pourra tirer des enseignements.

Je suis d'avis que les travaux de votre Comité apporteront une contribution précieuse à l'élaboration d'une approche claire et pragmatique des drogues illicites dans notre société. À ce propos, le leadership national est un élément important capable d'aider les municipalités du pays à mettre au point de nouvelles approches et à répondre à des problèmes dans leur contexte particulier. Dans «A Framework For Action», on plaide en faveur du leadership, et nous sommes impatients de collaborer avec les représentants au niveau national et de jouer notre rôle au niveau local pour soutenir l'élaboration d'une nouvelle politique antidrogue pour le Canada.

Le président: Je vous remercie, monsieur MacPherson.

Je vais moi-même ouvrir la période de questions. Monsieur le maire Owen, vous avez fait allusion aux quatre piliers, ceux-là mêmes qui sont à la base de notre stratégie ou de notre politique nationale depuis 1987. Bien entendu, vos documents sont à ce propos beaucoup plus détaillés que l'était la stratégie nationale antidrogue.

Nous voulons commencer par la prévention et l'éducation, soit votre premier pilier. Connaissez-vous le programme D.A.R.E. des États-Unis? Avez-vous importé ce programme ou avez-vous élaboré votre propre programme à partir de zéro?

Le maire Owen: Oui, nous connaissons le programme D.A.R.E. La GRC applique des éléments de ce programme dans la région. Il s'agit d'une forme d'éducation.

L'Alcohol-Drug Education Service, que dirige Art Steinmann existe depuis un certain nombre d'années. M. Steinmann préconise une approche différente. Il a obtenu l'adhésion des conseils scolaires. Le conseil scolaire de Vancouver, qui, il y a trois ans affichait des réticences assez fortes, accueille désormais le service à bras ouverts. M. Steinmann a maintenant accès aux écoles. Le président du conseil scolaire de Vancouver et le conseil scolaire lui-même ont appuyé le programme. Le ministre de l'Éducation est au courant.

On me demande: «Qu'est-ce que la prévention?» La prévention, c'est l'éducation. Ce que j'espère, c'est qu'on commencera à faire de la prévention auprès même des élèves de première année. On me dit: «Comment allez-vous vous y prendre? Les élèves vont être troublés.»

Je me plais à utiliser l'exemple de mes petits-enfants. J'en ai six. Les deux plus jeunes sont âgés de six ans. Lorsque, l'année dernière, j'ai assis mon jeune petit-fils sur le siège avant de ma voiture, il m'a dit «Je ne peux pas m'asseoir là, il y a un sac gonflable. Je dois m'asseoir derrière.» Il s'est donc assis derrière. Puis il m'a demandé: «Tu as bouclé ta ceinture, grand-papa?»

Essayez d'allumer une cigarette autour de ces enfants. Vous n'en aurez pas le courage. Ces enfants savent tout.

Nous devons les initier à l'abus de drogue et à la consommation de drogue à mauvais escient, aux stupéfiants. Ils savent tout le reste. Nous devons nous y prendre tôt.

Plus tôt, cette année, M. MacPherson et moi avons visité une école de l'est de Vancouver; à l'occasion de cette visite, deux parents se sont levés pour parler d'un revendeur qui exerçait ses activités dans la cour d'école. Apparemment, un revendeur versait à certains élèves de onzième et de douzième années - lesquels étaient d'avis qu'il n'était plus «cool» de consommer des drogues - cinq cents dollars par semaine pour recruter aux grades inférieurs des consommateurs de produits illicites. Nous savons qu'il existe une telle activité aux grades inférieurs, chez les enfants de onze, douze et treize ans.

Je tiens à ce que mes petits-enfants de six ans soient sensibilisés au phénomène de l'intimidation et des pressions exercées par les pairs. Ils savent à quoi s'en tenir au sujet des produits du tabac et de l'alcool. Faire de la prévention, c'est leur donner les outils et l'information dont ils ont besoin pour faire face à ces problèmes à un âge précoce, lorsqu'ils y sont confrontés pour la première fois. Le conseil scolaire a appuyé la démarche.

The Alcohol-Drug Education Service est légèrement différent du programme D.A.R.E. La GRC applique certains aspects de ce programme. Nous ne sommes pas associés à D.A.R.E., mais le programme est raisonnablement présent en Colombie-Britannique.

Le sénateur Kenny: Du point de vue des enjeux de santé publique à Vancouver, où les drogues illicites se classent-elles par rapport aux cigarettes et à l'alcool? Vos préoccupations à leur égard sont-elles comparables? Y a-t-il un problème qui cause des torts plus grands que les autres? Pouvez-vous établir un ordre de priorité?

Le maire Owen: Les décès causés par l'alcool représentent un problème majeur. En ce qui concerne les cigarettes, Vancouver a été la première ville du Canada à adopter des règlements visant à assurer un environnement sans fumée. Les représentants du secteur de l'accueil, des hôtels, du divertissement, des restaurants et des pubs nous ont adressé de vives critiques. Pendant un certain temps, nous avons fait face à des turbulences, mais nous étions convaincus d'avoir raison et notre résolution n'a pas fléchi.

Je vais demander à M. MacPherson de dire un mot de la question des drogues.

M. MacPherson: Je n'ai pas les données en main, mais je pense qu'il est certain que, au pays, l'alcool et le tabac sont nettement plus préjudiciables à un plus grand nombre de nos citoyens que l'héroïne et la cocaïne. «A Framework For Action» est un plan visant à mettre au point des moyens d'action contre les drogues illicites. De toute évidence, nous nous efforçons de réduire au minimum les préjudices causés par les drogues licites. Cependant, les drogues sont des drogues: elles causent toutes des préjudices.

Étant donné l'augmentation en flèche du nombre de décès imputables à des overdoses, la prévalence élevée du VIH parmi les utilisateurs de drogues injectables et les torts causés par les drogues illicites, nous avons compris que la ville ne réagissait pas avec assez de fermeté au problème de l'héroïne et de la cocaïne sur son territoire.

Le maire Owen: Du milieu à la fin des années 90, environ 147 personnes mouraient chaque année d'une overdose à Vancouver. Cette année, nous en sommes à environ 70 ou 71. Certains résultats positifs commencent à se faire sentir.

Le sénateur Kenny: Vous avez parlé de l'évaluation, qui représente un élément impressionnant et important. L'Atlanta Center for Disease Control suggère de réserver environ 10 p. 100 des fonds à l'évaluation. Le centre recommande la désignation d'un évaluateur au début du programme, l'établissement d'objectifs publics, la détermination de points de repère et la publication des résultats et de l'évaluation.

Tout cela fait-il partie de votre plan d'action?

Le maire Owen: Oui, absolument.

Le sénateur Kenny: Vous avez réservé 10 p. 100 des fonds à votre disposition?

M. MacPherson: Sur ce plan, l'Accord de Vancouver nous vient en aide: en effet, on a ici affaire à trois ordres de gouvernement qui collaborent pour cibler des ressources et les réserver pour l'évaluation.

L'une des hypothèses sur laquelle repose le document est que le domaine de la toxicomanie en général n'a pas été évalué de façon exhaustive ni cohérente. Il existe un grand nombre de programmes qui n'ont jamais été évalués et qui sont à caractère plutôt idéologique. L'évaluation représente un enjeu énorme, très complexe et, naturellement, coûteux.

Nous mettons des ressources sur la table, et nous encourageons les gouvernements provincial et fédéral à nous imiter. Une bonne part de ces ressources seront réservées à l'évaluation. Les citoyens, au même titre que le conseil municipal, comptent fermement sur un processus d'évaluation.

Le sénateur Kenny: Vous avez parlé de D.A.R.E. et aussi de ce qui semble être un programme des plus exhaustif destiné aux salles de classe. La prestation de ces renseignements à des jeunes passe par des figures d'autorité. Nous savons tous que les adolescents se rebellent contre les figures d'autorité et rejettent leurs conseils.

Avez-vous des programmes créés par des jeunes servant de complément aux programmes présentés par les policiers et les enseignants?

M. MacPherson: À l'occasion de nos consultations publiques, la question a été soulevée. Je pense qu'il y a ici deux ou trois distinctions à établir. D'abord, c'est qu'on trouve dans les recherches sur la prévention des données qui montrent que certains programmes fonctionnent mieux que d'autres. Nous devons tenir compte de ces données.

La prévention a été la chasse gardée des figures d'autorité, par exemple les médecins, les policiers, les enseignants, et cetera. Les jeunes nous ont dit que les messages les plus efficaces émanaient de jeunes. De tels programmes ne sont pas largement diffusés et sont en fait très rares. Certains sont en difficulté, mais nous devons les soutenir.

Dans nos consultations publiques, nous avons certes entendu parler du problème que vous avez soulevé.

Le sénateur Carney: Le Downtown Eastside fait partie du centre de Vancouver, que j'ai représenté à titre de députée pendant la majeure partie des années 80. Je suis donc plus au courant que le parlementaire moyen de certains des problèmes qui s'y posent.

Monsieur le maire Owen, y a-t-il un lien direct entre le terrorisme et la consommation de drogue à Vancouver?

Le maire Owen: À ma connaissance, non. Je citais simplement le premier ministre de la Grande-Bretagne et d'autres autorités nationales. J'ai également entendu des sénateurs américains évoquer l'existence d'un tel lien.

Le sénateur Carney: On nous parle souvent des effets indirects de la consommation de drogue - augmentation des vols de voiture, introductions par effraction, problèmes de santé, vandalisme -, mais je n'étais pas au courant de l'existence d'un lien précis avec le terrorisme.

Le maire Owen: Non, je citais simplement le premier ministre Blair.

Le sénateur Carney: Monsieur MacPherson, vous connaissez le centre communautaire Carnegie. De toute évidence, votre politique antidrogue est mûrement réfléchie. Établissez-vous une distinction entre la consommation de la marijuana et celle d'autres drogues, des drogues plus dures ou injectables?

M. MacPherson: Dans la politique, nous ne nous sommes pas intéressés à fond au problème du cannabis. Nous sommes conscients de la présence de tout un éventail de drogues illicites sur le marché - ecstasy, drogues à usage récréatif, cannabis. Cependant, la politique antidrogue est clairement axée sur l'héroïne et la cocaïne. On soulève clairement la question d'une certaine forme de dissociation du cannabis, de l'héroïne et de la cocaïne, mais on ne formule pas de recommandations complètes en ce sens.

Le maire Owen: En 1994, Vince Cain a présenté un rapport sur la consommation de drogue à mauvais escient en Colombie-Britannique. L'une des recommandations de ce rapport, était l'amorce d'un dialogue public sur le cannabis, dissocié d'autres formes de drogues illicites, en particulier l'héroïne et la cocaïne.

Le fait d'entendre le gouvernement fédéral évoquer la possibilité d'autoriser l'utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques, dans un contexte très limité et contrôlé m'a encouragé. Je crois que le public est prêt à un tel débat. Les citoyens sont d'humeur et aptes à entreprendre une discussion sérieuse et à arrêter une décision concernant la dissociation du cannabis d'autres drogues, en particulier l'héroïne et la cocaïne.

Le sénateur Carney: Cet après-midi, un de mes voisins de l'île Saturn, une des îles Gulf, présentera une lettre d'une diplômée du secondaire âgée de 19 ans qui a sondé ses camarades de l'école secondaire au sujet de l'utilisation privée de marijuana. Je tenais simplement à vous prévenir que nous allions aborder la question sous l'angle d'une utilisation en milieu non urbain.

La Colombie-Britannique est un important producteur de marijuana - si je comprends bien, il s'agit de la principale exportation de la province. L'utilisation privée est également répandue. À la lumière de votre expérience du Downtown Eastside et du centre Carnegie, monsieur MacPherson, avez-vous des opinions personnelles à ce sujet?

La question intéresse les membres du comité, qui se demandent s'ils devraient ou non débattre de cette question. Nous avons entre nous des discussions sérieuses à ce sujet. Comment suggéreriez-vous aux membres du comité d'aborder cette question?

M. MacPherson: À la lumière de mon expérience et de mes vues personnelles, l'alcool a été, à mes yeux, le principal problème de toxicomanie du Downtown Eastside jusque dans les années 90. À la fin des années 80, le trafic de drogue s'est transformé à Vancouver - seuls les trafiquants sont au courant. La cocaïne est arrivée en ville en quantités plus importantes et à moindre coût. On peut en dire autant de l'héroïne.

Sur la foi de mon expérience, je suis donc en mesure d'affirmer que l'alcool, la cocaïne et l'héroïne sont les substances utilisées à mauvais escient dans les quartiers déshérités. Bien entendu, on pourrait ajouter les produits du tabac. De nombreuses personnes pauvres fument.

Dans le Downtown Eastside, il existe certains marchés pour le cannabis - et cette question a été débattue à l'occasion de nos consultations. Certains revendeurs de cannabis côtoient des revendeurs d'héroïne et de cocaïne. On ne devrait pas obliger les acheteurs de cannabis à se trouver près de revendeurs d'héroïne ou de cocaïne. Ces arguments ont été évoqués à l'occasion de nos consultations.

Le sénateur Carney: Monsieur le maire Owen, quelle est, à votre avis, la plus importante contribution que le gouvernement fédéral puisse apporter pour combattre le problème de la drogue?

Si nous ne devrions que recommander une ou deux mesures parmi tout un éventail d'instruments possibles, quels sont ceux que vous nous suggéreriez de promouvoir?

Le maire Owen: Il s'agit d'une question de santé publique, d'ordre public. Les citoyens commencent à se rendre compte du fait qu'un adolescent qui consomme de la cocaïne ou de l'héroïne est une personne malade, et non criminelle. On a du mal à se l'admettre, mais l'idée fait son chemin.

Pour changer de mode de vie, substituer la méthadone à l'héroïne et la cocaïne, et, un jour, s'abstenir de toute consommation, ces personnes ont besoin de l'aide du réseau médico-hospitalier du pays. Oui, certaines vont rechuter à l'occasion, mais nous avons besoin de centres qui les accompagnent tout au long de leur itinéraire.

Nous ne pouvons pas tous les incarcérer. Les États-Unis en ont fait l'essai, et nous savons, à la lumière des statistiques, que la situation de ce pays est catastrophique.

Les trois ordres de gouvernement doivent concerter leurs efforts.

L'Accord de Vancouver s'applique de mars 2000 à mars 2005; il s'agit d'un partenariat sur cinq ans. Le Centre national de prévention du crime nous verse un million de dollars par année pour une période de cinq ans. Il y aura un groupe stratégique composé de représentants de chacun des ordres de gouvernement de même qu'un groupe de direction composé de cinq employés. Les employés de tous les niveaux, certains de pouvoir compter sur l'appui de l'organe politique, seront à même de collaborer. Le modèle institué par l'Accord de Vancouver est un très bon instrument. À mon avis, il nous rendra de fiers services.

Votre Comité entend des témoignages partout au pays, nous discutons du problème - et cela est bon. Cependant, je recommanderais d'abord que l'on fasse de ce problème un enjeu sanitaire axé sur le traitement.

L'exécution de la loi fait partie de l'équation, et la police ne compte que pour l'un des quatre piliers. Il y a cinq ans, la solution générale au problème consistait à faire appel à la police et à jeter les revendeurs et les consommateurs en prison. Dieu merci, cela n'a rien donné.

Nous misons aujourd'hui sur une approche pragmatique, exhaustive et prudente qui a de l'allant et une certaine viabilité, grâce à la participation des trois ordres de gouvernement au financement, à la mise en oeuvre et à l'évaluation. Le secrétariat dont il a été question est financé par le gouvernement fédéral et provincial de même que l'administration municipale. Tous ont investi le tiers de la somme nécessaire pour deux ans, soit un million de dollars et collaborent.

Le sénateur Carney: Étant donné les efforts et l'argent affectés au problème, quand comptez-vous retirer certains avantages ou certaines récompenses, constater des améliorations notables? Quand saurez-vous que votre approche est fructueuse?

Le maire Owen: Nous avons apporté beaucoup de modifications en mettant l'accent sur le Downtown Eastside. Nous avons décentralisé les services, notamment l'échange de seringues et la fourniture de méthadone.

Au début de l'année prochaine, les quatre centres du conseil sanitaire de Vancouver et de Richmond seront ouverts. Ainsi, les policiers qui ont arrêté un adolescent intoxiqué pourront demander l'aide d'un centre doté d'infirmières accréditées par la province travaillant à temps plein. Dans un autre immeuble, on trouvera un centre de sevrage, un centre de désintoxication, sans parler du centre de dynamique de la vie qui guidera les toxicomanes sur la voie de la guérison.

Ces centres commenceront à ouvrir leurs portes à la fin du mois, du moins je l'espère, sinon à la fin décembre en tout cas, du moins pour trois d'entre eux, l'ouverture du quatrième étant prévue pour avril. Quand ils seront ouverts, nous commencerons à constater certains résultats. On séparera le consommateur du revendeur. Je pense que les six premiers mois d'application nous donneront une bonne idée de la situation.

Le sénateur Carney: Il faut miser sur un engagement à vie, sur un engagement à long terme.

Le maire Owen: Absolument. Un engagement à long terme est absolument essentiel, il faut en venir là. Si le modèle donne de bons résultats, le ministre Rock est intéressé à la mise en oeuvre de certaines stratégies nationales, de certains projets pilotes nationaux, qu'on exécutera peut-être dans quelques-uns des centres plus importants pour voir si certaines des solutions proposées donnent de bons résultats.

Le sénateur Kenny: Monsieur le maire Owen, avez-vous vu dans les journaux des articles annonçant l'ouverture, ici, la semaine dernière, d'un café offrant du cannabis? Le cas échéant avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?

Le maire Owen: Oui. Il s'agit du Marijuana Teahouse.

M. MacPherson: Selon les détails que j'ai en main, la ville a délivré un permis pour la tenue d'une manifestation en prévision de l'inauguration, mais il n'était valable que pour un jour. Les membres d'un groupe ont présenté à la ville des demandes de permis d'aménagement pour rénover un immeuble existant du centre-ville, dans lequel ils espèrent accueillir des personnes autorisées par Santé Canada à utiliser du cannabis à des fins thérapeutiques.

Le maire Owen: Ils n'ont ni permis d'occupation ni permis d'exploitation commerciale. Ils ont reçu un permis les autorisant à organiser une manifestation spéciale d'un jour, et ils devront nous soumettre une nouvelle demande. Les responsables de la délivrance des permis et des licences traiteront leur demande, et la question aboutira peut-être devant le conseil municipal, mais, pour le moment, les personnes en question ne sont pas titulaires d'un permis d'exploitation commerciale. Si l'établissement est ouvert aujourd'hui, il n'est pas dans la légalité.

Le sénateur Lawson: Monsieur le maire Owen, je sais que vous vous passionnez pour cette question et que vous faites preuve de beaucoup de leadership au conseil et dans le cadre du programme.

M. MacPherson affirme qu'on peut tirer des enseignements auprès des jeunes et vous vous dites vous-même à l'écoute de vos petits-enfants. Parfois, on apprend des choses que nous préférerions ignorer. À titre d'exemple, mon petit-fils de cinq ans grimpe sur mon genou et me demande: «Est-ce que tu as une pipe, grand-papa?» Je lui réponds: «Non. Pourquoi?» Il répond: «Quand tu vas casser ta pipe, nous allons aller à Disneyland.» Parfois, on entend des choses qu'on préférerait ne pas savoir.

Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire la série que le National Post a consacrée à cette question il y a quelques mois. Une des manchettes se lisait comme suit: «Comment la décriminalisation officieuse de la mari a généré un marché noir d'une valeur de plusieurs milliards de dollars». Même si la Colombie-Britannique exporte des tomates et des poivrons de serre et ce genre de produits, la marijuana semble venir au premier rang des exportations. Il s'agit d'une culture commerciale et d'une industrie d'une valeur d'un milliard de dollars pour la Colombie-Britannique.

Ces plantations font l'objet d'un grand nombre de descentes policières, mais, selon des sources policières, les tribunaux n'imposent pas de lourdes peines. C'est un peu comme si cette décriminalisation officieuse était admise. Comme le sénateur Carney l'a affirmé, la Chambre des communes votera aujourd'hui sur un projet de loi d'initiative parlementaire portant sur la marijuana.

Essentiellement, on disait dans l'article que nous avons perdu la guerre contre les drogues et que nous perdons notre temps à tourner en rond en dépensant en pure perte des milliards de dollars. Nous devrions envisager non seulement de légaliser la marijuana, mais aussi de légaliser les drogues.

Dans votre exposé, vous avez fait allusion à un programme de traitement à l'aide d'héroïne. Je ne connais pas ce programme, mais je tiens pour acquis qu'il a trait au traitement des toxicomanes au moyen d'une forme ou d'une autre d'héroïne autorisée par la loi.

Partagez-vous le point de vue selon lequel nous avons perdu la guerre contre les drogues et que nous dépensons des milliards de dollars sans avoir réalisé de progrès par rapport à la situation d'il y a une décennie? Êtes-vous d'avis qu'il est temps que le Parlement décriminalise la marijuana, comme le proposent les auteurs de bon nombre de mémoires que nous avons reçus?

Le maire Owen: D'abord et avant tout, je ne crois pas que nous ayons perdu la guerre.

Les citoyens sont prêts à la tenue d'un débat ouvert sur cette question. La marijuana et les drogues dures représentent deux enjeux différents. À ma connaissance, l'héroïne et la cocaïne n'ont jamais été légalisées où que ce soit dans le monde. La question du cannabis, du «pot» et de la marijuana est différente, et quelques États des États-Unis s'orientent dans cette direction - l'Ohio et la Californie, en particulier. La Suisse, l'Allemagne et la Hollande étudient tous la possibilité d'aborder de façon distincte la question de la marijuana ou du cannabis. Je pense que c'est important.

En ce qui concerne les tribunaux et la marijuana, seulement 17 p. 100 des exploitants de plantation arrêtés par les policiers sont traduits devant la justice, et les peines imposées sont limitées, voire inexistantes; en général on impose aux responsables une légère amende, et c'est tout. Je pense que c'est là, probablement qu'il faut faire de cette question un enjeu de discussion distinct.

Comme je l'ai indiqué plus tôt, nous ne pouvons pas nous débarrasser du problème de la consommation d'héroïne, de cocaïne et de drogues dures au moyen de la seule incarcération. Nous ne pouvons pas non plus y parvenir au moyen de politiques libérales. Cependant, nous ne pouvons pas non plus faire fi du problème. Je pense que nous avons mis au point une approche pragmatique qui fonctionne.

Dans mon esprit, les drogues dures et les drogues douces représentent deux enjeux distincts. Je pense qu'il convient de tenir un débat séparé au sujet de la marijuana et des descentes contre les plantations. Je pense que le public est prêt.

Le sénateur Lawson: Parlons un peu du dernier aspect, à savoir le problème de la marijuana. Vous et moi savons, vous à titre de président de la commission de police et moi à titre de membre de la fondation de la police, qu'on gaspille des ressources abondantes dans ce dossier, des ressources qu'il vaudrait mieux orienter vers le type de programme auquel vous avez fait allusion ce matin.

Le maire Owen: Absolument. Cela ne fait aucun doute. La marijuana est illégale. Nos policiers, que leur serment professionnel oblige à faire appliquer les lois du Canada, ne peuvent faire fi de la plainte d'un citoyen selon laquelle un voisin cultive de la marijuana dans son sous-sol. Les policiers doivent intervenir, et le conseil doit investir une autre somme de 750 000 $.

Pensez aux pertes de revenus, aux efforts et aux bouleversements que subit la société en raison de cette activité. C'est incroyable. Les chiffres sont affolants. Nous ne percevons ni ÉTAPES ni TVP sur ces transactions en espèces. Les citoyens veulent qu'on mette un terme à cette situation.

Il est sain que nous soyons ici à Vancouver pour discuter de cette question avec les honorables sénateurs. Je suis très encouragé par le fait que vous soyez ici, sénateur Lawson, pour nous poser des questions sur notre participation à ce débat.

Le sénateur Jaffer: J'ai été frappée par votre passion, par votre volonté de séparer le revendeur du consommateur, par votre volonté de venir en aide au consommateur plutôt que de laisser au système judiciaire le soin de se charger de lui. D'après ce que je comprends aujourd'hui, cependant, on consacre aujourd'hui moins aux trois piliers que représentent le traitement, la prévention et la réduction des préjudices qu'à l'exécution de la loi. Si je comprends bien, une bonne part des fonds sont toujours affectés à l'exécution de la loi, n'est-ce pas? Les fonds sont-ils toujours affectés majoritairement à l'exécution de la loi?

Le maire Owen: Pas en ce qui concerne les fonds que nous avons reçus dans l'enveloppe du Centre national de prévention du crime.

À Vancouver, le budget de la police est de 120 millions de dollars, ce qui représente un peu plus de 20 p. 100 de notre budget total. On finance à même ce budget l'énergie et les efforts consacrés à la lutte antidrogue. Par conséquent, les fonds ne proviennent pas des programmes auxquels nous participons de concert avec les gouvernements provincial et fédéral.

Le sénateur Jaffer: Pouvez-vous nous donner une idée approximative du montant que vous allouez aux trois autres piliers, à savoir le traitement, la prévention et la réduction des préjudices?

Le maire Owen: Si vous incluez le logement social, secteur dans lequel la ville de Vancouver joue un rôle très actif, le montant se situerait à plus de 10 millions de dollars. Nous sommes dotés d'un programme exhaustif de logement social d'une valeur de six à sept millions de dollars par année. Nous venons tout juste d'approuver une somme de 550 000 $ pour les modifications qui seront apportées au carrefour des rue Main et Hastings.

Je devrais consulter d'autres sources et additionner les chiffres, mais le budget de la ville de Vancouver est de 545 millions de dollars, et nous affectons au moins 10 millions de dollars de l'argent des contribuables à ce dossier. Les fonds dont nous disposons proviennent des impôts fonciers.

M. MacPherson: Puis-je attirer votre attention sur le rapport des médecins-hygiénistes de la province de 1997 qui indique que, en Colombie-Britannique, le coût de l'exécution de la loi était environ 4,5 fois supérieur à celui du traitement? Je pense que de nombreux policiers le confirmeront. Ils diront qu'ils se sont occupés de l'exécution de la loi, mais que des ressources doivent également être affectées aux trois autres piliers. On nous a répété à l'envi que les policiers étaient laissés à eux-mêmes pour s'occuper de ce qui constitue en réalité un énorme problème de santé publique. Il est certain que les Européens qui nous ont rendu visite ont établi clairement que nous devons investir - et investir massivement - dans des services destinés aux toxicomanes. Cette mesure nous permettra un jour de réaliser des économies.

Le président: Je tiens à vous remercier tous deux de votre présence. J'ai d'autres questions, mais je vais vous les adresser par écrit, et nous allons inclure les questions et les réponses dans nos délibérations.

Du point de vue du gouvernement fédéral à tout le moins, j'ai appris, au sujet de la dernière question portant sur les coûts, que le vérificateur général publiera d'ici décembre un rapport d'examen complet portant sur les divers programmes fédéraux consacrés à la lutte antidrogue. Ces chiffres vous aideront probablement à comprendre comment l'argent est dépensé.

Le maire Owen: Je vous remercie beaucoup. Nous sommes très encouragés par votre présence à Vancouver ce matin.

Le président: Notre prochain témoin est le Dr Mark Tyndall. Le Dr Tyndall nous parlera du projet NAOMI, auquel le maire Owen a fait allusion dans son exposé.

La parole est à vous, docteur Tyndall.

Le Dr Mark Tyndall, Centre d'excellence en VIH/sida - région de la Colombie-Britannique: Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à prendre la parole devant les membres du comité spécial. Je considère qu'il s'agit d'un enjeu de la plus haute importance et je félicite les membres du comité de s'y être attaqués.

Le 7 novembre est également une journée importante parce qu'il s'agit de la journée au cours de laquelle les parents amènent leur enfant de la neuvième année avec eux au travail. Ma fille sera donc en mesure de confirmer que mon emploi du temps consiste à donner mon avis à des politiciens de haut rang.

On m'a invité ce matin à titre de chercheur associé à un projet auquel participent un grand nombre d'utilisateurs de drogue injectable du Downtown Eastside de Vancouver. En ma qualité de médecin appelé à traiter des infections au VIH parmi des groupes de marginaux, je suis en réalité ici à titre de citoyen intéressé sincèrement convaincu que notre approche des drogues illicites et des personnes qui en consomment est terriblement inopportune. Comme médecin, je suis chaque jour confronté aux conséquences graves pour la santé de la consommation de drogue, de l'héroïnomane en sevrage au consommateur de crack émacié au sortir de trois jours de bamboche en passant par l'adolescente battue dont les fréquentations ont mal tourné. Il y a là quelque chose de terriblement anormal. On ne peut impliquer la responsabilité aux seules drogues. Notre façon de réagir à la consommation de drogue a pour effet d'aggraver une situation déjà mauvaise.

Depuis deux ans, je dirige la Vancouver Injection Drug User's Study, dans le cadre de laquelle on suit plus de 1 400 utilisateurs de drogues injectables vivant à Vancouver. En plus de réaliser des tests de dépistage du VIH et de l'hépatite C, nous recueillons des données détaillées au sujet des comportements sexuels, des types de consommation de drogue, de l'incarcération, du logement et de l'utilisation des services de santé. L'étude a débuté en 1996 au moment d'une épidémie de VIH et d'hépatite dans le Downtown Eastside de Vancouver.

À l'heure actuelle, 35 p. 100 des sujets de l'étude sont séropositifs pour le VIH, et plus de 90 p. 100 ont été infectés par l'hépatite C. Pourtant, ces statistiques alarmantes sous-estiment peut-être les taux réels d'infection du reste de la communauté. La vaste majorité des participants continuent d'utiliser des drogues injectables, malgré les coûts physiques et sociaux évidents. En fait, la plupart d'entre eux ont de très longs antécédents de toxicomanie et utilisent invariablement des drogues pour atténuer la douleur imputable à la dissolution de leur famille, à la violence physique, à la violence sexuelle ou à la maladie mentale. Fait tragique, plus de 10 p. 100 des sujets de l'étude sont déjà morts, la moitié d'entre eux à la suite d'une overdose.

Comme l'étude porte sur le Downtown Eastside, plus de 80 p. 100 des sujets y résident. On estime à plus de 5 000 le nombre d'utilisateurs actifs de drogues injectables dans ce petit secteur. Peu d'entre eux travaillent, et la plupart bénéficient des prestations d'aide sociale ou d'assurance-invalidité, avec une allocation de loyer fixe qui les condamne essentiellement à vivre dans le Downtown Eastside. Plus de la moitié d'entre eux vivent dans des maisons de chambre en décrépitude, la plupart font appel à des banques alimentaires et à d'autres dons, et la plupart sont profondément ancrés dans la culture de la rue et de la drogue. Plus de 70 p. 100 des sujets ont ainsi été incarcérés pour des activités liées à la drogue, et bon nombre de participantes ont recours à la prostitution pour satisfaire leurs besoins en drogue. De toute évidence, nous avons ici affaire à des personnes rejetées par la société, à des dépossédés, à des marginalisés et, dans de nombreux cas, à des désespérés. Ces personnes sont les victimes de la société, des drogues et de la négligence.

Il convient d'affirmer clairement que l'épidémie de VIH que connaît Vancouver est tributaire de l'utilisation de cocaïne injectable. Même si l'utilisation de multiples drogues, notamment l'héroïne, le crack, la marijuana, l'alcool et d'autres, est répandue, c'est l'utilisation de cocaïne injectable qui représente le risque le plus élevé de transmission du VIH et de l'hépatite.

Il existe également une corrélation élevée entre la consommation de cocaïne et des infections liées à l'injection, par exemple des abcès, des infections osseuses et des infections des valvules cardiaques. Souvent, les utilisateurs de cocaïne injectable se lancent dans d'intenses bringues au cours desquelles ils s'injectent 20 doses consécutives ou même plus, au cours d'une courte période. Chaque fois, le risque d'une injection non sécuritaire associée au partage d'une seringue par inadvertance est amplifié. Dans notre étude, les cocaïnomanes invétérés sont sept fois plus susceptibles de contracter le VIH que les non-consommateurs de cocaïne.

On a laissé entendre que les stratégies de réduction des préjudices ne feront qu'encourager les toxicomanes à continuer de consommer et qu'elles en inciteront d'autres à commencer. Dans l'étude de Vancouver ou dans les études menées dans d'autres villes qui ont adopté une approche fondée sur la réduction des préjudices, absolument rien ne permet d'en venir à une telle conclusion. En fait, la commission Le Dain avait déclaré que le Downtown Eastside était la capitale de la drogue du Canada en 1972, soit bien longtemps avant qu'on ne fasse la promotion de la théorie de la réduction des préjudices.

D'après les résultats de notre étude, les deux principales raisons qu'invoquent les toxicomanes pour vivre dans le Downtown Eastside sont l'accessibilité des drogues et les logements à bon marché. Dans notre étude la plus récente, aucun participant n'a déclaré avoir été attiré dans le quartier par le programme d'échange de seringues et moins de 5 p. 100 d'entre eux ont dit avoir été incités à s'y établir par d'autres services.

Même si le Downtown Eastside constitue une cible d'intervention critique qui va de soi, l'utilisation des drogues injectables est en rapide expansion dans d'autres régions de la province. Dans bon nombre de villes et de villages de plus grande taille, de nombreuses versions du Downtown Eastside sont en voie de formation. Cette situation est particulièrement préoccupante, dans la mesure où bon nombre de ces collectivités ne disposent pas des services sociaux et des services de santé les plus élémentaires pour faire face à ce problème. Les communautés des Premières nations en particulier me semblent vulnérables à l'introduction et à la dissémination de la cocaïne et de l'héroïne de même que des infections au VIH et à l'hépatite qui en découlent.

Vancouver a été le siège d'une horrible étude naturelle sur l'utilisation des drogues et, plus récemment, sur la transmission du VIH et de l'hépatite. À l'occasion de rencontres internationales, on cite toujours Vancouver à titre d'exemple de ville n'ayant pas été capable de prévenir une épidémie de VIH. Si on continue d'hésiter à assurer les services et les interventions même les plus modestes, nous allons avoir par surcroît la réputation de n'avoir rien fait une fois l'épidémie déclarée.

Comme le maire Owen l'a mentionné, on a, au cours de la dernière année, assisté à un mouvement de fond visant à remédier au problème, et je pense que cette situation nous réconforte tous. Il est ironique de penser que nous consacrons presque tous nos efforts et la quasi-totalité de nos ressources à la lutte contre la criminalité, à la réduction de l'utilisation de la consommation de drogue en public, à la limitation de l'activité des prostitués et au traitement des maladies liées aux drogues tout en négligeant pour une large part les causes sous-jacentes du problème.

Vancouver et d'autres villes canadiennes ne sont pas les seules à lutter pour réduire les préjudices associés à la consommation de drogues illicites. Nous pouvons nous tourner vers quelques villes européennes qui ont obtenu des résultats remarquables dans la lutte contre leurs problèmes visant à remédier à l'utilisation de drogues à mauvais escient au moyen de stratégies exhaustives de réduction des préjudices. Francfort, en Allemagne, est peut-être l'exemple le plus probant d'une ville qui a transformé un milieu de la drogue important et ouvert en un environnement bien administré, contrôlé et relativement sûr pour les utilisateurs.

Cependant, il convient de noter qu'on n'a pas éliminé l'utilisation des drogues illicites. Partout dans le monde, les toxicomanes et les non-toxicomanes sont conscients du fait que l'utilisation de drogues telle qu'elle se pratique dans le Downtown Eastside n'est pas viable et que, dans de nombreux cas, elle peut être mortelle. Cependant, l'abstinence passe nécessairement par la prestation de services à long terme offerts dans un cadre intégré.

Pendant le débat actuel, une chose ressort clairement - il faut que la situation change. Il est dans l'intérêt de chacun - en particulier les toxicomanes - d'aller de l'avant. Contrairement à la croyance populaire, la vaste majorité des toxicomanes préférerait se voir faire autre chose. Ils ne font pas la promotion d'une utilisation plus répandue des drogues. Trop souvent, on présente les toxicomanes sous les traits d'êtres nombrilistes, corrompus et généralement responsables des maux économiques et sociaux de nos centres urbains. Or, la recherche de boucs émissaires est tout à fait improductive et occulte les véritables problèmes - de façon plus précise, le fait que la toxicomanie est d'abord et avant tout un problème de santé publique que l'on devrait aborder sous l'angle de la prévention et du traitement.

Entre le marchand qui souhaite exploiter un commerce, le groupe d'aînés qui tient à une rue sûre, le gouvernement provincial qui s'efforce d'équilibrer son budget de la santé, les activistes politiques qui militent en faveur de la justice sociale, les policiers qui s'emploient à réduire l'incidence d'actes criminels et le jeune de la rue qui vient tout juste d'être témoin du décès d'un camarade à la suite d'une overdose, le statu quo n'est pas une possibilité. À huit pâtés de maison de l'hôtel où nous sommes se trouve le quartier le plus pauvre du Canada, celui où on observe peut-être la plus forte concentration de toxicomanes qui utilisent des drogues injectables au monde. Les taux de VIH sont comparables à ceux de l'Afrique du Sud. A-t-on besoin d'autres arguments pour se convaincre de l'urgence d'agir?

Un certain nombre de mesures précises s'imposent. La plupart ont déjà été définies dans des recommandations et des rapports antérieurs et répétées à l'envi. On songe en particulier à des programmes plus poussés de prévention et de sensibilisation du public, à l'expansion des centres de traitement et de désintoxication, aux solutions de rechange à l'imposition de peines d'emprisonnement, à l'établissement de salles d'injection sûres, à un meilleur réseau de distribution des seringues, à la multiplication des choix de substances de rechange possibles, à des projets comme NAOMI, à des services de méthadone améliorés, à des programmes novateurs pour les cocaïnomanes, au traitement du VIH et de l'hépatite C et, enfin, à une amélioration des conditions de logement. On pourrait prolonger la liste.

Que nous soyons motivés par l'intérêt personnel, la compassion sincère ou par un sentiment se trouvant entre les deux, nous devons réaliser des progrès dans ces dossiers. Des vies sont gâchées, le VIH se répand, les villes se détériorent et des jeunes meurent pendant que cet interminable débat fait rage. Les Canadiens disposent d'une excellente occasion de faire preuve d'un leadership mondial au moyen d'une approche équilibrée, humaine et éclairée de l'utilisation de drogues, laquelle débouchera en fin de compte sur l'amélioration de l'état de santé et du bien-être de la société.

L'administration municipale et les gouvernements fédéral et provincial doivent comprendre que les conséquences économiques et sociales de l'inaction dans le dossier des drogues illicites sont inimaginables.

Le président: Merci, docteur Tyndall.

Je pense que vous êtes le témoin tout indiqué pour nous expliquer la teneur de la North American Opiate Maintenance Initiative. Nous en avons entendu parler plus tôt cette semaine à l'occasion du témoignage du Dr Ethan Nadelmann du Lindesmith Center - Drug Policy Foundation. Je pense que l'initiative a pour but de reproduire une expérience européenne. Le sénateur Lawson y a fait allusion pendant sa discussion avec le maire Owen.

Pouvez-vous nous fournir plus de détails et expliquer l'initiative à mes collègues.

Le Dr Tyndall: Je n'ai été associé au projet que de façon périphérique. Martin Schecter est le chercheur principal. Avant mon arrivée à Vancouver, le projet couvait déjà, mais je suis en mesure de vous fournir certains détails.

L'initiative s'inspire d'un projet mené en Suisse. En réalité, il a été mené auprès d'héroïnomanes et d'opiomanes invétérés...

Le président: Je pense qu'il serait d'abord important de discuter des similitudes entre le contexte de la Suisse et le contexte du Canada. Ainsi, tous seront en mesure de comprendre que nous comparons des pommes avec des pommes.

Le Dr Tyndall: C'est l'une des difficultés. Les contextes ne sont pas exactement les mêmes - cependant, le milieu suisse se compare à celui qu'on retrouve dans la plupart des villes canadiennes. En ce qui concerne la ghettoïsation du problème de la toxicomanie dans le Downtown Eastside, la ville de Vancouver demeure relativement bénigne. Comme je l'ai indiqué, les problèmes vont bien plus loin, mais il s'agit véritablement du centre. En Amérique du Nord, le cas du Downtown Eastside demeure tout à fait unique.

La situation n'est pas identique à celle de la Suisse, mais je pense que nous pouvons tirer certains enseignements de l'expérience suisse. Chez certaines personnes, les habitudes de consommation sont si profondément ancrées que les traitements échouent à répétition. Ces personnes sont incapables d'occuper un emploi. C'est en commettant des actes criminels qu'elles ont accès à leurs drogues. Les héroïnomanes vivent très difficilement de l'aide sociale. Il s'agit d'une toxicomanie coûteuse, qui exige une forme ou une autre de soutien. Les conséquences de la toxicomanie sur la santé et la criminalité viennent en grande partie du fait que les intéressés n'arrivent pas à se procurer de la drogue.

En supprimant cet obstacle, nous pourrions mobiliser les intéressés avec un esprit beaucoup plus lucide et, avec un peu de chance, les guérir de leur toxicomanie. En reconduisant cette situation - les toxicomanes n'ont pas accès à des drogues et sont sans cesse désespérés - nous réunissons les ingrédients de l'autodestruction et de l'annihilation de nos villes.

En donnant à certaines personnes la possibilité d'accéder gratuitement à des drogues, nous avons donc le sentiment de pouvoir éliminer bon nombre de ces facteurs de risque, à la fois pour la société et pour la santé des intéressés, comme des études l'ont montré. Dans l'étude suisse, on a observé certains phénomènes, notamment de meilleures possibilités d'emploi, le redressement de certaines statistiques relatives à la santé et la réduction du nombre de transmissions d'agents infectieux véhiculés par le sang. De bons exemples venus de la Suisse montrent que le programme a donné de bons résultats, mais je pense que nous devons toujours examiner s'il s'agit d'une solution appropriée dans le contexte nord-américain.

Le président: Le programme NAOMI tente donc de reproduire en Amérique du Nord une expérience qui a été tentée ou mise en oeuvre en Suisse il y a huit ou neuf ans, n'est-ce pas?

Le Dr Tyndall: Il s'en est inspiré. L'étude est terminée, mais le programme a été appliqué il y a huit ou neuf ans.

Le président: Pour dire les choses simplement, les médecins, les infirmières et les travailleurs sociaux administraient des cliniques. Un particulier muni d'une ordonnance, dirons-nous, pouvait s'y rendre pour obtenir gratuitement de l'héroïne ou d'autres drogues injectables, n'est-ce pas?

Le Dr Tyndall: Oui, exactement. Le tout se déroulait dans un environnement contrôlé. On a entrepris un autre programme dans le cadre du projet NAOMI pour passer en revue tous les examens éthiques. Le programme exigeait la supervision d'infirmières. À la suite d'une injection, les intéressés doivent rester sur place pendant une demi-heure. La mesure vise à vérifier si la drogue produit des effets secondaires. On s'attend à ce qu'ils reviennent le lendemain pour subir d'autres injections. Il s'agit d'un environnement relativement contrôlé qui ne convient pas à tous. Il est certain que les personnes au mode de vie plus déréglé n'acceptent pas d'assujettir leur consommation à cette forme d'embrigadement.

À propos de Vancouver, l'autre aspect que je m'efforce de faire ressortir concerne l'épidémie liée à la cocaïne. Pour les cocaïnomanes, le recours à l'héroïne ne constitue pas la solution. Dans certains cas, comme l'ont montré les programmes liés à l'utilisation de méthadone comme solution de rechange, les utilisateurs de drogues multiples sont certes stabilisés par l'utilisation de la méthadone, même s'ils continuent de consommer de la cocaïne et, dans certains cas, de l'héroïne. Dans un tel environnement contrôlé, on peut réduire bon nombre des risques auxquels ils s'exposent, mais il convient de rappeler que nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les personnes qui participent à un programme destiné aux héroïnomanes cessent de consommer d'autres drogues ni que tous les participants rentrent dans les rangs.

Il faut, me semble-t-il, souligner qu'il s'agit d'un élément d'un programme exhaustif. Si, aujourd'hui, on lançait un projet NAOMI et qu'on y admettait tous les toxicomanes de Vancouver, on ne pourrait faire état d'un impact majeur puisque le programme n'est pas pour tout le monde et que le problème comporte de très nombreuses facettes. J'y vois seulement un élément de réponse parmi de nombreux autres.

Le président: Il importe de comprendre que les substances qui seraient administrées dans ces cliniques seraient contrôlées. Chacun, y compris les utilisateurs, connaîtrait la substance administrée. Il n'y aurait ni mélange, ni contenu inconnu, n'est-ce pas?

Le Dr Tyndall: Exactement. Un des principaux risques que courent les personnes qui s'approvisionnent régulièrement dans la rue tient au fait qu'elles ne savent pas vraiment ce qu'elles achètent. De nombreux cas d'overdose sont imputables à des drogues vendues dans la rue qui sont plus pures que ce à quoi les utilisateurs sont habitués. Ceux qui en prennent trop risquent l'overdose. La vie du toxicomane qui s'approvisionne dans la rue le jour et qui parasite çà et là est très dangereuse. Dans de nombreux cas, l'utilisateur ne sait pas vraiment ce qu'il s'injecte.

En supprimant ce risque, on réduit assurément le nombre de cas d'overdose. Dans les villes où un tel programme a été mis en oeuvre, on n'a déploré aucune overdose dans les emplacements autorisés.

Le sénateur Jaffer: J'aimerais revenir sur la différence entre la Suisse et le Canada. J'aimerais mieux comprendre. Quand vous dites que les situations respectives des deux pays ne sont pas les mêmes, faites-vous référence à la diversité ou au fait que nous n'utilisons pas assez de ressources?

Le Dr Tyndall: Je n'ai jamais visité les locaux du programme en Suisse. Je ne suis peut-être donc pas la personne la plus indiquée pour en parler.

Je pense que le phénomène de ghettoïsation observé à Vancouver est relativement unique. On retrouve de très nombreux utilisateurs dans un espace restreint. En Suisse comme dans d'autres villes nord-américaines, on observe une dissémination beaucoup plus grande.

De même, on offrait simultanément beaucoup plus de services. Si, par conséquent, un tel programme était mis en oeuvre de façon isolée, je ne pense pas qu'il produira un impact. Un programme de la sorte doit s'inscrire dans une approche exhaustive majeure, comme celle que le maire Owen a définie dans son approche reposant sur quatre piliers. Pour le segment de la population qui se compose de personnes foncièrement impossibles à joindre et n'ayant pas répondu au traitement, le programme offrirait une autre porte d'entrée dans le système. Je vois dans un tel programme un outil précieux, mais il faudrait prendre concurremment toutes les autres mesures nécessaires.

Le sénateur Jaffer: Offre-t-on des programmes particuliers aux femmes de Vancouver?

Le Dr Tyndall: Oui. Vancouver compte de nombreux organismes communautaires. Certains s'adressent en particulier aux femmes enceintes, d'autres visent les femmes qui travaillent dans les rues; d'autres encore sont destinés aux femmes en détresse.

À propos de la situation de Vancouver, un fait intéressant tient au nombre de personnes qu'intéresse l'organisation communautaire. En fait, j'ai entendu dire que plus de 200 organismes étaient actifs dans le Downtown Eastside. Ces services doivent cependant être coordonnés.

Les femmes de Vancouver sont plus susceptibles que les hommes de la ville d'être victimes des nouvelles infections ou de connaître les taux d'infection les plus élevés. Les femmes sont très vulnérables, en raison de la transmission sexuelle et de l'utilisation de seringues.

Le président: Le Comité entendra des spécialistes de la Suisse qui expliqueront en détail les divers aspects de cette expérience. Selon le dernier décompte, la Suisse compte aujourd'hui 33 endroits où le programme est offert. En janvier, on nous expliquera le fonctionnement exact du programme et ses coûts. Naturellement, on nous en présentera également une évaluation.

Le sénateur Lawson: En ce qui concerne le programme en vertu duquel on administre à des toxicomanes de l'héroïne autorisée par la loi, l'exercice vise-t-il simplement à répondre aux besoins du toxicomane, selon son niveau de consommation personnelle, ou a-t-il pour but de tenter de l'amener à renoncer à l'héroïne?

Le Dr Tyndall: Les essais suisses ont montré qu'un pourcentage considérable d'utilisateurs ont cessé de consommer. Je dirais qu'il s'agit d'une façon de joindre les personnes qui, aujourd'hui, ne répondent pas aux programmes.

Nous ne nous attendrions pas à ce qu'un toxicomane participant au programme se rende au même endroit pour recevoir une injection deux ou trois fois par jour au cours d'une période de dix ans. Ce n'est pas ce que nous souhaiterions. L'exercice viserait plutôt à mobiliser ces personnes et à leur proposer d'autres solutions.

La dépendance d'un toxicomane s'étend sur de nombreuses années. La toxicomanie est une maladie ou une affection caractérisée par des rechutes, et nous devons assurément examiner la question à long terme. Pour vous aider à comprendre, je dirais que la personne qui a l'habitude de s'injecter de la drogue dans une ruelle, dans une flaque d'eau, court, du point de vue de la santé publique, un danger extrême lorsqu'elle ne parvient pas à s'approvisionner. Le but ultime d'un programme comme NAOMI consiste à proposer quelque chose de différent à la personne en question, un environnement plus contrôlé, une occasion de participer à un programme de traitement et à d'autres possibilités susceptibles de produire des changements.

Le sénateur Lawson: Il existe une vaste école de pensée - à laquelle j'appartiens peut-être - selon laquelle nous aurions déjà perdu la guerre contre la drogue. En vous entendant dire ce matin que la situation que connaît l'est de Vancouver est en voie de prendre forme dans des collectivités plus petites de la province, on n'a aucun mal à croire que nous avons perdu cette guerre.

Aurait-on raison de mettre sur pied un programme fédéral-provincial mixte ayant pour but d'examiner la situation de ces collectivités périphériques pour tenter de couper le mal à la racine? Je n'arrive pas à comprendre que les toxicomanes acceptent ce qu'un étranger leur donne, c.-à-d. une substance qui risque fort de provoquer chez eux des lésions cérébrales ou même de les tuer. Je n'arrive pas à le comprendre, mais c'est peut-être parce que je suis de l'ancienne école.

Quoi qu'il en soit, aurait-on raison de tenter de recueillir des ressources pour aller dans ces collectivités tenter de sensibiliser les utilisateurs et, oui, de leur fournir des drogues gratuites?

Si nous avons perdu la guerre contre la drogue, ne devrions-nous pas envisager de la légaliser? L'expérience menée en Suisse donne des résultats probants; l'expérience tentée ici et dans l'est de la ville fonctionne bien dans un environnement contrôlé. Pourquoi ne pas aller dans les collectivités où le phénomène de la drogue commence tout juste à se manifester et tenter à tout le moins d'éviter les cas d'overdose ou de décès, qui sont si nombreux?

Il s'agit ici de faire l'éducation des intéressés. Qu'en est-il des «raves»? Nous sommes maintenant confrontés au problème de l'«ectasy». Une fois de plus, nous n'avons pas affaire à des enfants qui ne comprennent pas ce qu'ils font. En fait, nous avons affaire à des toxicomanes endurcis dont les besoins sont si pressants qu'ils ne font même plus attention. Il s'agit de jeunes adultes - deux sont morts, à l'âge de 18 et de 25 ans, si je ne m'abuse - qui font confiance à un étranger et risquent leur vie en échange de la promesse de vivre un bon moment à l'occasion d'un «rave». Comment faire face à un tel problème? Il doit bien y avoir un moyen ou une solution préférable à ce que nous faisons aujourd'hui?

Aurait-on raison de réunir nos ressources et d'attaquer le problème, d'aller dans ces régions et de proposer une nouvelle façon de faire?

Le Dr Tyndall: Oui. Vous avez présenté la situation mieux que j'aurais pu le faire. Pour un bon nombre d'entre nous qui travaillons sur le terrain, il apparaît clairement que la plupart des torts causés du point de vue de la santé et du VIH sont imputables à notre façon de réagir aux drogues, et non à la consommation de drogues. En confinant le problème au monde interlope et en laissant carte blanche à ceux qui y évoluent, nous avons, me semble-t-il, perdu la guerre.

L'expression «lutte antidrogue» provoque en moi un certain malaise. En mettant uniquement l'accent sur les aspects criminels de la toxicomanie, nous avons permis au phénomène de se répandre. Nous ne l'avons pas abordé sous l'angle de la santé publique. Nous avons permis à des milliers de résidents de la province de connaître une mort horrible faute d'avoir trouvé un moyen de les mobiliser. Nous avons laissé des éléments criminels dicter l'ordre du jour.

Dans le Downtown Eastside, il est très difficile de dissocier les utilisateurs des revendeurs. En ce qui a trait au crack, par exemple, un toxicomane achètera 12 roches de crack pour 100 $, en vendra 10 à 10 $ chacune, et en conservera deux. Faut-il assimiler cette personne à un vendeur ou non? La personne vend la drogue pour pouvoir consommer. Elle est une victime tout autant que celle à qui elle le vend.

Il est très difficile de remonter jusqu'aux responsables. Sur la rue, il est très difficile d'établir une distinction entre les vendeurs, les acheteurs et les utilisateurs. La plupart des intéressés sont des victimes.

Au chapitre des interventions en haut, notre dossier n'est guère reluisant. L'importante saisie d'opiacés effectuée en septembre dernier en Colombie-Britannique constitue un exemple éloquent. Dans le cadre de notre étude, nous avons suivi le prix des drogues pour constater que la saisie n'avait eu aucun effet. Le prix est demeuré exactement le même.

Une grande quantité de drogues entrent au pays sans que nous y puissions rien. Il s'agira d'une cause désespérée tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas mis au point de meilleurs moyens d'intervention à ce stade. Il est très difficile de départager les revendeurs des utilisateurs. Une fois de plus, je pense que toutes ces personnes sont des victimes à des degrés divers et qu'elles doivent être toutes mobilisées.

Le sénateur Lawson: Ce que vous nous dites, c'est de toute évidence que nous dépensons des millions de dollars dans le domaine des soins de santé sans résultats très brillants. Si nous pouvions supprimer l'argument du profit pour les revendeurs et les personnes qui réalisent des fortunes colossales grâce à ce commerce, sans parler de toutes les activités dérivées, nous aurions beaucoup plus de ressources à investir dans les soins de santé et les nouveaux programmes, n'est-ce pas?

Le Dr Tyndall: Oui, c'est le programme idéal.

Je n'ai pas parlé de mon travail à l'hôpital St. Paul, où je travaille à titre de spécialiste à des maladies infectieuses et médecin affecté à la salle des personnes atteintes du sida. Au début des années 90, cette salle a été créée à l'intention surtout des homosexuels de Vancouver. On a depuis assisté à un renversement total de la situation. Aujourd'hui, 16 des 18 lits de la salle sont occupés par des utilisateurs de drogues injectables, la plupart souffrant de problèmes liés à l'injection. Ils ne sont pas tous atteints de maladies au VIH. Ils souffrent d'abcès et d'endocardite, des maladies tout à fait évitables, et nous devons les garder à l'hôpital pour une période de six à huit semaines chaque fois. Cela coûte très cher.

Nous qualifions de «grands voyageurs» les personnes admises à l'hôpital à répétition. Lorsqu'on me téléphone au sujet d'un particulier, je demande maintenant son nom parce que souvent je le connais pour l'avoir vu au cours de la dernière année. On a affaire à une énorme porte tournante. Ces problèmes, qui coûtent au système de santé des millions de dollars, on pourrait les éviter.

Le sénateur Lawson: Je veux faire un dernier commentaire. Ce que vous avez dit est important pour nous parce que certains d'entre nous siégeons à des comités du Sénat chargés d'étudier l'état du système de soins de santé du Canada. À ma connaissance, aucun des témoins entendus jusqu'ici n'a parlé du nombre de lits occupés par les personnes atteintes du sida et les toxicomanes.

Le Dr Tyndall: Permettez-moi une digression. À mes yeux, l'ironie, c'est qu'on dépense beaucoup d'argent pour traiter une personne à l'hôpital - une endocardite ou une infection de la valvule cardiaque, disons, maladies qui exigent parfois une intervention chirurgicale. Souvent, ces personnes demeurent hospitalisées pour une période de six semaines. Nous effectuons de multiples tests, dépensons probablement un million de dollars, puis nous faisons appel à des travailleurs sociaux pour nous assurer que les personnes en question regagneront leur chambre d'hôtel, là où leur problème a débuté. Si on agit de la sorte, c'est pour éviter qu'ils perdent leur chambre. Prévisiblement, bien sûr, les personnes en question sont de retour en moins de trois mois. À mon avis, la façon dont nous abordons le problème du point de vue de la santé est relativement tordue.

Le président: Quelques questions au sujet du cannabis. Dans vos essais cliniques, rencontrez-vous des utilisateurs de cannabis?

Le Dr Tyndall: Dans une proportion que j'évaluerais à près de 100 p. 100.

Le président: Près de 100 p. 100? Nous n'avons pas ici affaire à des personnes utilisant uniquement du cannabis, n'est-ce pas?

Le Dr Tyndall: Il s'agit d'une population qui utilise de multiples drogues, et nous considérons que les personnes qui ont commencé à utiliser du cannabis courent beaucoup moins de risque que le reste de la population. Une personne qui passe ses journées à se geler dans sa chambre en fumant quatre ou cinq joints et qui évite la rue est, du point de vue de la santé, dans une situation nettement préférable.

Il est évident que le cannabis fait partie des habitudes des utilisateurs de drogues multiples, et les toxicomanes en consomment pour refroidir leurs ardeurs. Celles qui, à l'approche du versement des chèques d'aide sociale, redoutent la perspective d'avoir de l'argent plein leurs poches, qui ne souhaitent pas le dilapider en achetant de la cocaïne feront l'acquisition d'un peu de marijuana et s'assoiront devant la télé pendant toute la journée. C'est beaucoup plus sûr. À Vancouver, je pense que la marijuana sert pratiquement d'outil de réduction des préjudices.

Le président: Je suis certain que vous avez entendu parler des règlements en vigueur depuis le 1er août, c'est-à-dire ceux qui concernent l'accès à de la marijuana à des fins thérapeutiques. Les avez-vous lus? Avez-vous des recommandations à nous faire à ce sujet?

Le Dr Tyndall: J'ai des patients qui viennent me voir à la clinique pour que je leur remplisse une ordonnance leur donnant droit à de la marijuana gratuite. Pour eux, il s'agit d'une mesure d'économie. La drogue est facile d'accès. Elle peut se révéler coûteuse. Alors si on peut s'en procurer gratuitement, pourquoi s'en priver? Cependant, bon nombre de ces personnes ne se donneront même pas la peine de remplir toutes les formalités administratives. À Vancouver, il n'y a pas vraiment de problèmes d'accès.

Le président: En vous demandant de faire des commentaires sur les règlements, je voulais savoir si, à votre avis, des maladies devraient être ajoutées à la liste ou si certaines devraient être radiées de la liste. J'aimerais aussi avoir votre avis sur le processus pour savoir si, par exemple, il croule sous les formalités administratives. En tant que médecin, vous assumez, à la lecture des règlements, de lourdes responsabilités. C'était là le sens de mon commentaire.

Le Dr Tyndall: Le processus est lourd. Il y a trop de paperasserie. Selon les indications médicales, on devrait avoir recours à la marijuana en tant que médicament pour combattre la nausée - chez les personnes séropositives pour le VIH, par exemple. Certaines données laissent croire qu'il s'agit d'un remède très efficace.

Cependant, les personnes qui souhaitent consommer de la marijuana pour tempérer un peu leur consommation d'autres drogues ne seraient pas considérées comme admissibles en vertu des indications médicales.

Le président: Vous n'êtes pas en train de nous dire que nous devrions élargir les règlements pour qu'ils s'appliquent à de tels cas, n'est-ce pas?

Le Dr Tyndall: Exactement.

Le président: Je pense que vous devriez répondre par oui.

Le Dr Tyndall: Oui. Tous ceux qui se présentent à la clinique aimeraient obtenir sans payer de la marijuana. Ce que je dois faire, quant à moi, c'est de remplir les documents pour eux et trouver des justifications. La chose la plus facile à dire, c'est qu'ils sont séropositifs et qu'ils ne tolèrent pas leur médication antivirale.

Tout de même, je crois qu'il faudrait élargir cela. Comme je le dis, dans certains des questionnaires que nous administrons, nous ne posons même pas de question sur la marijuana, car c'est comme fumer. Certes, il y a des conséquences pour la santé, mais compte tenu de la population avec laquelle je traite - ce sont des cocaïnomanes et des héroïnomanes invétérés -, la question n'entre pas vraiment en jeu.

Le sénateur Carney: Votre exposé sur l'utilisation du cannabis comme tranquillisant ou presque pour les patients pris d'angoisse me rappelle que, pendant longtemps, au Canada, l'héroïne a servi à des fins médicinales. Elle était administrée pendant l'accouchement. À l'époque, elle était considérée comme étant le meilleur médicament à administrer à une femme qui accouche, car elle ne provoquait pas les effets secondaires de la morphine.

Avez-vous des idées sur l'utilisation de l'héroïne à des fins médicinales?

Le Dr Tyndall: Dans un contexte médical, nous avons des solutions de rechange. La morphine, que nous administrons sans hésiter dans les hôpitaux, est essentiellement la même substance, sauf qu'elle porte un autre nom. Nous l'utilisons avec précaution en raison de la dépendance qu'elle peut causer. Je dirais donc que, dans certaines situations, l'héroïne serait tout aussi adéquate que la morphine. Toutefois, dans les hôpitaux, nous avons à notre disposition d'autres analgésiques.

Le sénateur Carney: Il n'y a pas de raison extraordinaire de s'en servir?

Le Dr Tyndall: Je ne crois pas, non. Je ne crois pas que ce soit vraiment nécessaire.

La méthadone est un autre exemple de substance que nous pouvons employer en milieu hospitalier. Je ne vous en ai pas parlé, mais c'est sûrement la substance la plus sévèrement réglementée dans la province, et, pour une bonne part, à juste titre. Je peux commander n'importe quelle substance qui figure sur le formulaire de l'hôpital, sauf la méthadone, à moins de détenir un permis particulier à cet égard.

Par conséquent, il y a un certaine crainte de la méthadone, de l'héroïne. Nous ne voulons pas créer de dépendance.

Le sénateur Carney: En tant que médecin, avez-vous un point de vue, compte tenu de votre expérience clinique, sur les effets de la décriminalisation de la marijuana? Je ne poserai pas une question tendancieuse. Nous aimerions savoir s'il y a lieu de prévoir un débat distinct à cet égard, comme le propose le maire Owen?

Le Dr Tyndall: Oui, je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il devrait y avoir un débat distinct. Compte tenu de la population avec laquelle je traite - je crois que la marijuana est un problème qui n'en est pas un. Il n'y a pas de problème de santé observable en dehors des conséquences incroyables de la consommation de cocaïne et d'héroïne. Pour le grand public, c'est vraiment une autre question dont il faut s'occuper. Par contre, pour ce qui est du groupe dont je parle, c'est à côté de la question.

Le président: Docteur Tyndall, qu'en est-il de tous ces gens qui ont une dépendance envers un médicament d'ordonnance? Par exemple, beaucoup de gens ont une accoutumance au Prozac. Est-ce que cela vous préoccupe?

Le Dr Tyndall: Il y a des gens bien plus éloquents que moi qui ont abordé cette question. Tout de même, à mes yeux, la décision d'établir quel médicament est légal et lequel ne l'est pas est assez arbitraire.

Comme vous l'avez dit avant, l'alcool a sur la santé des conséquences nettement plus importantes que les drogues illicites; or, l'alcool est une drogue tout à fait acceptée. Ce qui est légal et ce qui est illégal semble relever d'une décision assez arbitraire. Je le dis: pour une bonne part, le problème dévastateur lié à la cocaïne et à l'héroïne tient à la façon dont nous nous occupons de la question.

Pour ce qui touche la réintégration des gens dans la société, si notre seule réaction consiste à mettre les gens en prison et à leur établir un casier judiciaire, il est peu probable qu'ils réussissent à s'en tirer merveilleusement, plus tard. Dès les premiers moments de leur carrière de toxicomane, ils se font montrer du doigt comme étant essentiellement des citoyens dégénérés qui ne méritent pas vraiment que nous leur accordions de l'attention et qui, vraiment, n'ont plus d'avenir. Très rapidement, nous les acculons au pied du mur. Celui qui a un casier judiciaire bien garni et qui vit au centre-ville depuis trois ou quatre ans, dans un hôtel, est peu susceptible d'obtenir un emploi ou de se remettre sur pied s'il ne bénéficie pas d'un soutien communautaire important. En criminalisant la consommation des drogues, nous avons acculé les gens au pied du mur et avons limité leurs possibilités pour l'avenir.

Le sénateur Lawson: Conviendrait-il d'ajouter simplement un autre produit à la société des alcools de l'État, un coin du magasin où on pourrait se procurer de l'héroïne ou de la cocaïne, et d'appliquer les taxes appropriées, s'il est bien entendu que les recettes ainsi obtenues seraient consacrées à la réadaptation, aux soins de santé et à d'autres problèmes liés aux drogues? Est-ce que cela serait indiqué?

Le Dr Tyndall: Vous essayez de me coincer, là.

Le sénateur Lawson: Je dois poser ce genre de questions. Il y a des gens qui proposent ce genre de mesures. Je crois que nous devons en parler ouvertement.

Le Dr Tyndall: Ce serait une expérience très intéressante. Si je devais offrir le produit à la société des alcools, il y aurait peut-être quelques personnes de plus qui seraient prêts à l'essayer. Par contre, si une certaine éducation publique faisait partie de l'expérience et si les gens savaient dans quoi ils s'embarquent, je crois que ce serait une expérience intéressante. Je suis convaincu qu'il n'y aurait pas de détérioration majeure de la santé de la population s'il nous fallait adopter une telle mesure.

L'autre aspect important de la question, c'est de savoir comment et pourquoi les gens décident de s'injecter des drogues. Encore une fois, c'est une activité qui est motivée par la criminalité et par le coût des drogues. À New York, par exemple, on assiste à une diminution très marquée du nombre de personnes qui s'injectent de l'héroïne. À la place, ils fument de l'héroïne, et du point de vue de la santé publique, c'est une activité beaucoup plus saine. Comme la plupart des utilisateurs sont pauvres, ils veulent tirer le maximum de leur investissement, d'où l'idée de s'injecter la drogue. Si je pouvais modifier le mode d'administration de la drogue, cela aurait des effets bénéfiques du point de vue de la santé publique. Si la drogue était plus facilement accessible et si elle était légale, les gens commenceraient à faire cela.

Le sénateur Lawson: Je vous ai coincé en vous posant cette question - mais je suis d'accord avec vous. Je serais prêt à essayer cela.

Le président: Docteur Tyndall, merci d'avoir accepté notre invitation et d'être venu ce matin. Nous allons rester en communication avec vous. Si nos recherchistes ont d'autres questions pour vous, nous vous les ferons parvenir par écrit. Nous tenons pour acquis que cela ne vous dérangera pas de nous répondre par écrit.

Notre prochain témoin est Mme Hilary Black, la personne responsable du Compassion Club of Vancouver, qui est probablement à l'origine de l'établissement de lieux semblables à Vancouver, à Toronto et à Montréal.

Nous vous invitons à nous présenter votre exposé, madame Black. Ensuite, nous allons pouvoir vous poser des questions.

Mme Hilary Black, directrice-fondatrice, B.C. Compassion Club Society: Je suis fondatrice et codirectrice de la B.C. Compassion Club Society; de même, je consomme du cannabis à des fins médicinales et je suis membre en règle de la Society. Je suis honorée de pouvoir m'adresser à vous aujourd'hui et de représenter les membres, le personnel et le conseil d'administration de la Compassion Society ainsi que le milieu du cannabis.

Mon exposé comportera trois grands volets. Premièrement, je vais brosser un tableau de la Compassion Club Society comme modèle de centre de distribution communautaire du cannabis, solution de rechange à la prohibition. Deuxièmement, je traiterai de l'importance et de la nécessité de l'autonomie dans le contexte des soins de santé et des effets délétères de la prohibition sur cette autonomie. Troisièmement, je vais décrire en quoi la prohibition est à l'origine d'une sorte de destruction sociale et en quoi elle est l'instrument de politiques et d'entreprises qui cherchent à promouvoir leurs propres desseins, plutôt que de s'attaquer à des difficultés sociosanitaires réelles.

La Compassion Club Society est inscrite en bonne et due forme comme organisation sans but lucratif. Nous distribuons du cannabis à des fins médicinales depuis quatre ans. Nous avons créé une zone où la prohibition ne s'applique pas, afin de permettre que les consommateurs de cannabis à des fins médicinales puissent se procurer la substance sans subir la crainte et la honte liées à prohibition. Notre organisation est fondée sur le consensus et emploie 28 personnes. Elle sert 1 600 personnes.

Nos membres présentent les symptômes et les états les plus divers: le VIH et le sida, le cancer, la sclérose en plaques, l'arthrite, la douleur chronique, la fibromyosite, l'épilepsie, le glaucome, l'hépatite C, l'anxiété, la dépression, l'insomnie, les troubles alimentaires et bien d'autres affections encore. Pour être membre en règle de l'organisation, il faut présenter une confirmation de diagnostic et une note recommandant la consommation de cannabis de la part d'un médecin, d'un naturopathe ou d'un psychiatre. Si un médecin n'est pas prêt à signer une recommandation, mais uniquement parce que le caractère juridiquement incertain du cannabis le met mal à l'aise ou qu'il y associe des représailles possibles de la profession, nous pouvons inscrire le patient sans recommandation de la part du médecin, suivant le degré de gravité de l'état diagnostiqué. Nous offrons nos services six jours par semaine.

Notre menu quotidien comporte habituellement de sept à dix variétés de cannabis, une ou deux variétés de haschich, de la résine de cannabis et des petits pains et gâteaux. Il importe que les consommateurs de cannabis à des fins médicinales aient accès à différentes variétés du produit, car l'effet du cannabis dépend de la variété employée et de la méthode d'ingestion. Nous expliquons les différences pertinentes à nos membres, qui peuvent alors choisir la variété de cannabis qui convient le mieux pour traiter efficacement leurs symptômes.

L'indica et le sativa sont les deux principales variétés de cannabis utilisé à des fins médicinales. Nombre de souches résultent du croisement de ces deux variétés. À l'intérieur de chacune de ces variétés et de ses croisements, il y a un nombre extraordinairement élevé de souches individuelles, dont chacune comporte des effets et des caractéristiques canabinoïdes qui lui sont propres.

Selon les données empiriques dont on dispose, les souches d'indica ont un effet calmant et sont efficaces pour contrer l'anxiété, la douleur, la nausée, pour stimuler l'appétit, pour susciter le sommeil, pour vaincre les spasmes musculaires et les tremblements, entre autres symptômes. Les souches du sativa sont davantage un stimulant, efficace pour stimuler l'appétit, soulager la dépression, les migraines, la douleur et les nausées. Nous sommes maintenant au courant de souches spécifiques qui sont efficaces pour traiter des symptômes et des états particuliers. Les membres notent leur consommation afin de repérer la souche la plus efficace dans leur cas. Nous effectuons également un suivi serré des achats des membres afin de pouvoir les aider à connaître leurs propres habitudes de consommation et, pour nous-mêmes, afin de ne pas revendre aux mêmes personnes et afin d'encourager une consommation responsable.

Nous avons un salon où nos membres peuvent fumer en toute sécurité, à l'abri de la crainte et de la honte d'être des criminels. Des membres provenant de toutes sortes de classes économiques et souffrant de toutes sortes d'états différents s'y appuient mutuellement de manière incroyable.

La Compassion Club Society permet à ses membres de consulter les praticiens de son centre de mieux-être. Nous avons deux herboristes-cliniciens, deux conseillers-cliniciens, un conseiller en alimentation, un praticien de la médecine chinoise traditionnelle, un praticien du raiki et un massothérapeute spécialiste de l'acupression. Nous avons aussi un programme de yoga. Nous subventionnons ces services grâce à la distribution du cannabis. Les membres paient les services du centre de mieux-être suivant une échelle progressive allant de 3 à 30 $. Ceux qui sont nantis paient plus, ceux qui le sont moins paient moins.

Par l'entremise de notre centre de mieux-être, nous encourageons le recours holistique au cannabis, une de nombreuses herbes médicinales. Nous reconnaissons que le cannabis permet non pas de guérir, mais plutôt de vivre avec l'affection. C'est une substance préventive qui permet de soulager les symptômes et d'améliorer la qualité de vie.

La Compassion Club Society est vouée à l'amélioration de la qualité de la collectivité où elle se trouve. Depuis quatre ans, nous appliquons avec succès un modèle de centre de distribution communautaire de cannabis sans intervention de l'État. Nous entretenons de solides liens avec nos voisins, et tous les soucis qu'ils peuvent avoir tiennent non pas aux services que nous fournissons, mais plutôt au fait que nous nous adonnons à une activité illégale.

Même si nous nous adonnons tous les jours à de la désobéissance civile, nous avons de nombreuses interactions positives avec le secteur médical et le secteur des services sociaux. Le monde médical nous envoie des gens tous les jours, et nous sommes constamment sollicités pour présenter des exposés à une panoplie d'organisations et d'établissements qui souhaitent se renseigner sur la consommation de marijuana à des fins médicinales. Citons en exemple la Société de la sclérose en plaques, les sociétés de lutte au VIH/sida, la B.C. Coalition of People with Disabilities, l'hôpital psychiatrique Riverview, l'hospice St. James, l'Université de la Colombie-Britannique, le Capilano College et le Justice Institute.

De façon générale, les services policiers locaux nous appuient merveilleusement. Ils soulignent aux médias qu'ils ont mieux à faire, que notre cas n'est plus très prioritaire. Dans la région de Vancouver, la police respecte habituellement les membres en possession d'une carte et ne confisquent pas leurs médicaments. Elle reconnaît qu'il existe une zone grise entre la lettre de la loi et la manière dont la loi est appliquée.

Nous contribuons à l'économie en fournissant un revenu et des avantages sociaux à 28 employés ainsi qu'un revenu à un certain nombre de cultivateurs de cannabis et leur famille. Comme notre centre de mieux-être prodigue des soins parallèles à nos membres et à nos employés, c'est autant de consultations et de visites que l'on évite chez le médecin et à l'urgence, d'où des économies précieuses pour le réseau de la santé. Parmi ceux qui apportent une contribution précieuse au monde du cannabis consommé à des fins médicinales, citons les botanistes, les chimistes, les infirmières, les médecins, les avocats, les spécialistes de la culture et les administrateurs de la santé.

Nombre des spécialistes qui ont témoigné devant votre comité ont affirmé que les données anecdotiques ne prouvent rien, mais une bonne part de la pratique médicale repose sur les antécédents ainsi établis. Nous devons nous rappeler que les humains consomment du cannabis depuis le début de l'histoire et qu'il n'y a eu, à ce jour, aucun décès connu lié à l'utilisation de la substance. Comme d'autres témoins ont déjà pu vous le dire, il y a peu de raisons de croire que la substance cause des dommages biologiques à quiconque, même à ceux qui en font une consommation relativement importante.

L'opposition à la décriminalisation du cannabis ne repose sur aucun fondement toxicologique. Tous les jours, à la Compassion Club Society, nous observons la preuve même de la sécurité et de l'efficacité du cannabis. Gregg Cooper, qui est ici aujourd'hui, est un jeune homme chez qui on a diagnostiqué l'apparition rapide de la sclérose en plaques il y a à peine quatre ans. Aujourd'hui, il ne peut prendre son bain, se vêtir ou se nourrir lui-même, sans cannabis. Cela soulage ses tremblements et sa douleur.

Vicky Nicholson a la sclérose en plaques, la fibromyosite, maladie grave qui atteint le tissu musculaire et conjonctif, et se déplace en fauteuil roulant. Plutôt que de subir les effets débilitants de son état, Vicky est marathonière au niveau national. Chaque fois qu'elle court, elle remporte une médaille. Elle attribue ses prouesses physiques impressionnantes au cannabis.

Michelle David est dans la soixantaine. Elle souffre, entre autres, d'arthrite aiguë. Elle est en mesure de résister à la pression qui s'exerce sur elle pour qu'elle aille en foyer d'accueil et qu'elle consomme de la morphine. Elle vit une vie autonome, sans consommer de médicaments, grâce au cannabis.

Un grand nombre de nos membres ne peuvent marcher, manger, dormir ou travailler sans cannabis. Le cannabis est également un instrument efficace pour la réduction des méfaits. Grâce à l'accès au cannabis, aux soins parallèles et au soutien de la collectivité à la Compassion Club Society, nous avons pu venir en aide à des personnes en dépendance à l'héroïne, à la cocaïne, au crack, à la méthadone, à la morphine, à la codéine et à l'alcool.

Il n'est pas nécessaire de mobiliser des ressources précieuses pour déterminer si le cannabis est vraiment efficace, mais il y a beaucoup à apprendre pour ce qui est de la manière dont le cannabis soulage toutes sortes de symptômes. La Compassion Club Society est bien placée pour mener à bien les recherches visant à recueillir des renseignements précieux, notamment en ce qui concerne le lien entre les caractéristiques cannabinoïdes de plusieurs souches et les symptômes et états sur lesquels les souches en question ont un effet. Nombre de nos membres participeraient volontiers à un tel projet. L'utilisation de placebo ne serait ni nécessaire ni éthique dans le cadre de telles études, au même titre que les tests sur des animaux.

Nous avons dressé un plan de recherche de concert avec une équipe de scientifiques de Vancouver. Notre proposition a toutefois été rejetée parce que nous refusons de faciliter une étude qui comporte l'utilisation d'un placebo ou d'une variété de cannabis de faible qualité et de faible puissance, importée de la National Institute on Drug Abuse des États-Unis. Toute étude visant à prouver l'efficacité du cannabis en tant que médicament, mais à l'aide d'une plante à faible puissance ou de souches inconnues comme celles que cultivent actuellement Plant Prairie Systems and Health Canada, est voué à l'échec. Il n'est pas nécessaire d'importer du cannabis aux fins des recherches, car nous produisons au Canada un cannabis de première qualité, en quantités énormes. L'information que nous pourrions recueillir est demandée par des médecins, des patients, des compagnies pharmaceutiques, Plant Prairie Systems et Santé Canada; néanmoins, nous n'avons pas les moyens financiers de faciliter les recherches en question.

La priorité établie de Santé Canada consiste à financer les recherches qui débouchent sur la création de produits pharmaceutiques susceptibles de faire l'objet d'un brevet et d'être vendus sur le marché. Ces produits légaux peuvent être employés pour renforcer l'oppression de l'accès au cannabis non traité. Ceux qui ont besoin de cannabis à des fins médicinales doivent avoir l'option d'employer un produit industriel ou encore la plante elle-même. Cela doit relever de leur choix à eux, et non pas de desseins politiques venant d'ailleurs.

Une de nos valeurs fondamentales, c'est d'aider tous les gens à se donner les moyens voulus pour prendre des décisions éclairées concernant leurs soins de santé. Nous croyons que les gens ont absolument le droit de choisir le cannabis sous forme d'herbe pour soulager leurs symptômes et améliorer la qualité de leur vie.

Nous croyons qu'il n'est pas nécessaire de souffrir d'un état chronique au début d'une maladie débilitante pour consommer légitimement du cannabis. Celui qui fait un usage récréatif du cannabis s'en sert comme calmant, comme stimulant, il en recherche les effets euphorisants, plutôt que de consommer des médicaments en vente libre, du café, de l'alcool ou d'autres drogues à usage récréatif, qu'elles soient légales ou illégales. Le cannabis est employé de cette façon dans de nombreuses autres cultures. Pour un grand nombre de personnes qui font un usage récréatif du cannabis, il s'agit d'une sorte de médication préventive qu'ils se prescriraient eux-mêmes. Le stress ouvre la porte à la maladie; or, le cannabis garde la porte fermée.

La prohibition a créé un marché artificiel du cannabis, et le prix de la substance est beaucoup plus élevé qu'il devrait l'être. Nombre de nos membres se trouvent dans une impasse. Ils sont trop malades pour manger, de sorte qu'ils achètent plutôt du cannabis: ils préfèrent la substance qui soulage leurs symptômes aux aliments qu'ils ne sont pas capables d'ingérer. Si la prohibition prenait fin, les gens auraient plus d'argent pour acheter et du cannabis et de la nourriture.

L'argent est l'une des raisons pour lesquelles les patients doivent toujours avoir le droit de cultiver leurs propres plantes médicinales, où que ce soit et avec qui que ce soit. C'est aussi une des raisons pour lesquelles on devrait interdire un monopole sur la culture et la distribution du cannabis destiné à des fins médicinales. Malheureusement, la prohibition est actuellement un outil qui peut servir à donner aux grandes sociétés - plutôt qu'aux êtres humains - le droit de bannir l'utilisation de l'appelante elle-même, sous sa forme naturelle, de sorte que les patients seraient contraints d'utiliser des produits industriels. Nous espérons que le contexte juridique évoluera de manière à faire de la place aux centres de distribution communautaires.

Le modèle de la pharmacie ne fonctionnera pas pour tout le monde. Les gens doivent avoir accès au soutien et aux services que fournissent les centres de distribution comme le nôtre, et le réseau de la santé a besoin d'un certain répit. Les Canadiens doivent toujours avoir le droit de choisir la plante elle-même plutôt qu'un dérivé pharmaceutique, et ils doivent avoir accès au cannabis en tant que médicament sous forme d'herbe qui n'est plus sous le contrôle des compagnies pharmaceutiques.

Au moment de devenir une industrie licite au Canada, l'industrie du cannabis à des fins médicinales sera un monopole du gouvernement ou d'une grande société, sinon ce sera une industrie artisanale viable et efficace. Pour l'instant, Plant Prairie Systems est en passe de devenir le seul et unique producteur légal de cannabis à des fins médicinales. Sur le plan économique et éthique, ce monopole est inacceptable.

La prohibition cause même des ennuis à Plant Prairie Systems, qui a de la difficulté à obtenir les semences dont elle a besoin. Plutôt que de permettre une collaboration entre Plant Prairie Systems et les producteurs de semence légitimes et respectés du Canada, on a concocté une formule où la police doit confisquer des semences et les remettre à Plant Prairie Systems. Pour que la bureaucratie ne se salisse pas les mains, on vole le travail du milieu du cannabis, tandis que nous continuons d'être persécutés et opprimés. Ce genre d'hypocrisie est partout.

Le nouvel établissement d'entreposage de virus à Winnipeg, qui est dangereux, est coté niveau 4 sur le plan de la sécurité, alors que la mine de Flin Flon où on cultive actuellement les semences volées est cotée niveau 7. Cela ne vise pas à protéger les enfants du quartier; c'est plutôt pour préserver la crainte du cannabis, qui permet de soutenir la prohibition. Le contexte politique chargé à l'origine de la prohibition a créé une situation où les intérêts politiques l'emportent sur les préoccupations réelles quant à la santé. La prohibition est venue troubler les tentatives de ceux qui créent les règles d'accès au cannabis médicinal, et les règles en question favorisent la prohibition, plutôt que des éléments pour la création d'un programme efficace et rationnel.

Si on fait des médecins les responsables de l'accès, c'est pour s'assurer que cela ne ressemble pas à de la décriminalisation. Les médecins ne souhaitent pas contrôler l'accès au cannabis. Nombre de médecins reconnaissent que le cannabis est un produit de santé naturel, ce qui ne relève pas de leur champ d'expertise. Pendant ce temps, les bureaucrates à Ottawa font échec aux directives d'accès des médecins. C'est une comédie. Les médecins ne devraient pas être responsables de l'accès, à moins que ce soit pour établir que le système médical prendra en charge les coûts.

Les Pays-Bas ont récemment adopté un projet de loi qui permet aux patients qui consomment du cannabis à des fins médicinales d'être remboursés par le gouvernement. Comme c'est le cas là-bas, les gens ici devraient pouvoir accéder au cannabis en dehors du système médical, s'ils choisissent de ne pas bénéficier d'une subvention. À l'inverse de ce qui se fait dans les Pays-bas, la nouvelle dispense dans les règles de Santé Canada exige la création et le maintien d'une bureaucratie aussi coûteuse qu'inutile. Ces règles sont nettement plus larges, plus interventionnistes et plus difficiles à administrer et à appliquer que les règles qui valent pour tout autre médicament naturel ou médicament d'ordonnance. C'est comme essayer de tuer une mouche avec un canon.

Les patients ne peuvent faire du cannabis leur traitement de premier choix. Ils doivent d'abord envisager ou essayer toutes les autres techniques allopathiques. Certains épileptiques seraient tenus d'envisager au moins de subir une lobotomie afin de présenter une demande de dispense. L'État agit comme un monstre à deux têtes.

Les policiers qui nous ont rendu visite à la Compassion Club Society m'ont dit que nous faisions un excellent travail; une fois, un policier a même protégé pour nous un coffre-fort plein de cannabis. Cependant, j'ai déjà eu le revolver d'un policier pointé vers la tête: j'étais dans un centre de culture du cannabis. Au moment où j'étais en compagnie du ministre fédéral de la Santé, Alan Rock, pour donner des recommandations et des renseignements qu'avait demandés Santé Canada, la GRC a fait une descente dans une serre où on faisait la culture de cannabis organique à faible coût pour la Compassion Club Society. Au moment même où je vous parle, pour vous livrer les renseignements dont nous disposons à titre d'expert en distribution du cannabis médicinal, mes collègues risquent d'être arrêtés, emprisonnés, de voir limiter leur capacité de voyager et de se trouver du travail, ainsi que leur liberté de distribuer du cannabis à ceux qui en ont besoin. La prohibition ne protège pas de Canadiens contre les effets délétères du cannabis; la prohibition détruit la vie de certains Canadiens.

La stigmatisation, la honte, un casier judiciaire - voilà qui peut empêcher la capacité de réussir que l'on a dans la vie. Des familles sont déchirées lorsque des enfants sont emportés par la protection de la jeunesse ou lorsqu'un parent est emmené par les services policiers. Souvent, de bonnes gens sont emprisonnées, même si ce sont des personnes dont nous avons besoin dans notre société. Les lois et non pas la plante causent la violence qu'il peut y avoir autour du cannabis.

Maintenant, la prohibition permet à des sociétés commerciales d'avoir le contrôle exclusif sur un champ médical dont elles savent très peu de choses, pendant que ceux qui ont de l'expérience continuent d'être persécutés. Le gouvernement ne peut justifier de consacrer une part à ce point énorme de ressources au contrôle d'une herbe qui n'est pas nuisible.

Je consomme du cannabis régulièrement. Cela me permet de rester en santé. Je vends du cannabis parce qu'elle cela permet à d'autres personnes d'être en santé. Je suis fatiguée d'être jugée comme une criminelle, puis d'être sollicitée comme personne-ressource par le gouvernement fédéral, le réseau médical, les universités et ceux qui ont un très grand besoin. Je suis fatiguée de voir des vies être détruites, fatiguée de savoir que des gens malades et des gens en santé sont harcelés et soumis à de mauvais traitements de la part de la police, et je suis fatiguée de voir la collectivité vivre dans la crainte.

Lorsque vous entendez parler de «guerre contre la drogue», ne vous y méprenez, pas, c'est une guerre. Ce n'est peut-être pas une guerre menée à l'étranger avec des bombes ou une guerre qui fait les manchettes tous les soirs, mais c'est tout de même une guerre. C'est une petite guerre sale qui est menée ici même au pays, contre les Canadiens, tous les jours. Nous n'allons pas cesser de résister, tant que ce sera pas fini. Je vous implore: faites tout ce que vous pouvez pour mettre fin à cette guerre injuste et destructrice qui est menée contre notre collectivité. Nous voulons simplement qu'on nous laisse en paix.

Le président: Merci, madame Black. Personne ne vous traitera de criminelle, ici - pas de notre part, pas de la part de bien des gens que je connais. Tout de même, excusez-nous de faire appel à votre expérience. Nous avons besoin de cette expérience pour notre tâche, qui consiste à mieux comprendre pourquoi vous avez créé le club et comment celui-ci fonctionne.

Nous sommes heureux de constater que certains des membres vous accompagnent, et si mes collègues sont d'accord et s'ils ont des questions à poser à un de vos membres, je n'y vois aucun problème. S'il y a une question, nous l'espérons, vous nous donnerez des réponses.

Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Bien entendu, nous allons lire et étudier la documentation que vous nous donnez.

Le sénateur Carney: J'ai quelques questions à poser. Vous avez très bien présenté votre exposé. Il est intéressant de constater que vous êtes accompagnée de certains de vos membres: cela met un visage sur les questions que nous étudions.

Vous avez mentionné le fait que vous consommez du cannabis pour une raison médicale. Pour le compte rendu, pouvez-vous nous dire quelle est la raison médicale en question?

Mme Black: Une petite préface d'abord... mon père est ici, et je ne sais pas s'il le sait, ce qui est assez intéressant. Quand j'étais assez jeune, au moment où je découvrais ma sexualité, j'ai contracté l'herpès génital et j'ai utilisé du cannabis pour lutter contre le stress. Je n'ai pas eu d'accès. Je n'ai pas eu d'accès pendant trois au quatre ans. C'est parce que j'utilisais du cannabis pour contrôler mon stress. Un médecin m'a rédigé une note recommandant que je continue.

Le sénateur Carney: J'ai des questions à propos de votre mode de distribution.

À la lecture de votre mémoire, je me suis posé des questions sur la notion d'automédication. Je crois que l'automédication comporte normalement certaines contraintes.

Tout de même, j'aimerais savoir où vous vous procurez votre cannabis. Si je comprends bien, vous le donnez aux gens, n'est-ce pas? Qui paie les 28 membres du personnel et où est-ce que vous vous procurez votre cannabis?

Mme Black: Malheureusement, nous ne pouvons donner le cannabis sans rien demander en échange. En raison de la prohibition, la culture du cannabis coûte encore cher. Les gens doivent acheter beaucoup de matériel pour cacher l'endroit où le cannabis est cultivé, ce qui fait partie du marché artificiel dont je vous parlais. Nous comptons un certain nombre de cultivateurs qui travaillent à contrat pour nous, et nous sommes en mesure d'aller là où le cannabis est cultivé pour examiner la propreté des lieux et les normes de production. De même, nous achetons une petite quantité de cannabis sur le marché noir. Nous nous employons vraiment à nous assurer qu'il est de bonne qualité et qu'il comporte le moins d'impuretés possible. Malheureusement, il n'est pas possible d'avoir accès à un laboratoire en tout temps, pour tester la propreté du cannabis. Tout de même, plusieurs de nos employés sont allergiques à un produit chimique, et, malheureusement, ils nous servent de «goûteurs» assez souvent.

Le sénateur Carney: Qui paie les 28 employés?

Mme Black: Nous distribuons le cannabis en échange de frais d'adhésion à l'organisation. Nos membres l'achètent. Ils ne l'obtiennent pas sans frais. Nous ne pouvons le leur donner parce que cela coûte quelque chose de le produire.

Le sénateur Carney: Pouvez-vous nous donner une idée de ce que représente l'entreprise? Avez-vous une idée de ce à quoi monte la paie? Est-ce une entreprise? Pouvez-vous nous donner une idée?

Mme Black: Tout à fait. Il y a quelqu'un ici qui, de fait, serait mieux placé pour répondre que moi. Je peux vous dire que les 28 employés en question ne travaillent pas tous à temps plein. Il y en a probablement la moitié qui travaillent à temps plein, et la moitié, à temps partiel. Nous travaillons tous en échange d'un taux fixe - c'est une organisation fondée sur le consensus - qui représente environ 13,50 $ l'heure. Nous travaillons pour une petite somme d'argent. Ce que cela nous apporte, c'est la satisfaction de savoir que nous donnons à nos membres l'accès à des soins de santé gratuits.

Le sénateur Carney: Vos coûts sont couverts par le prix que vous demandez. Je présume que votre club est une association sans but lucratif et que tout «bénéfice» revient à l'organisation.

Mme Black: Tout à fait. Nous sommes inscrits comme organisation sans but lucratif.

Le sénateur Carney: D'accord. Pour ce qui est de l'automédication, comment réglez-vous le problème de la qualité? Parmi nous, la plupart de ceux qui prennent des médicaments peuvent compter sur le fait que leurs médicaments répondent à certaines normes cliniques. Bien entendu, vous ne pouvez faire cela, du fait que vous évoluez dans une zone grise. Comment voudriez-vous que la question des normes se règle, pour que les gens n'aient pas pour seul recours de faire des essais pour déterminer le genre de substance qui les aide le plus? La plupart d'entre nous ne sont pas vraiment en mesure d'évaluer la progression médicale de leur état en l'absence d'un certain soutien clinique.

Mme Black: Il est question ici de gens qui vont utiliser en petite quantité diverses variétés de cannabis pour voir quels sont les effets. Une seule et unique variété qui a été cultivée à trois endroits différents finira par produire trois effets très différents. On peut remettre une seule plante, de laquelle il est possible de tirer un cannabis aux propriétés relativement uniformes, à dix personnes différentes qui présentent le même état et les mêmes symptômes: on peut constater tout de même que le degré d'efficacité variera d'un cas à l'autre et que, plus ou moins, les gens peuvent préférer cette variété à une autre. C'est vraiment une question de préférence personnelle quand il est question de la plante entière.

Le sénateur Carney: Croyez-vous qu'il est nécessaire d'établir des normes médicales, des normes de prescription ou des normes de qualité? Avez-vous déjà eu une mauvaise expérience, même avec le sulfate de glucosamine ou quelque chose du genre?

Mme Black: Il est absolument indispensable pour les travaux que nous menons - et que nous aimerions continuer à mener - d'appliquer des directives strictes en ce qui concerne les moisissures, les insecticides, les fongicides, les métaux lourds et les choses du genre - qui peuvent être très dangereuses - que l'on peut trouver dans le cannabis non organique. Même dans le cannabis organique, certains de ces éléments microbiologiques peuvent être très nuisibles, surtout chez les gens qui ont un système immunitaire affaibli. Nous ne pourrons mettre au point de telles normes qu'au moment où le milieu de la marijuana à des fins médicinales aura accès à des laboratoires. Je crois qu'il est possible d'élaborer toutes sortes de normes en ce qui concerne la sécurité et l'hygiène des procédés de culture et de distribution.

Le sénateur Carney: D'où obtenez-vous vos drogues et qui devrait établir les normes en question? Cela devrait-il se faire dans le système de santé? Vous critiquez beaucoup l'aspect pharmaceutique de la chose, mais qui doit établir les normes?

Mme Black: Je crois que cela devrait représenter une collaboration entre les gens qui travaillent en ce moment même dans les tranchées et s'occupent de la marijuana à des fins médicinales, des gens qui en font la culture et les gens qui s'occupent de cannabis depuis 30 ou 40 ans et les spécialistes de la santé qui ont les connaissances et l'expérience voulues pour établir les concentrations acceptables des divers éléments qui font partie de la plante dont il est question.

Le sénateur Carney: Bon. D'autres sénateurs vont peut-être vouloir donner suite à cette question.

Quel prix faites-vous payer à vos patients, si c'est le terme qu'il faut employer?

Mme Black: Ils doivent acquitter des droits d'inscription annuels de 15 $, ce qui leur donne accès à notre centre de mieux-être. Pour les services du centre de mieux-être, la tarification est progressive, sinon ils y ont accès sans frais s'ils ne sont pas en mesure de faire un don. Nous vendons le cannabis à un prix qui varie entre 3 et 10 $ le gramme, ce qui représente généralement 3 ou 4 joints.

Le sénateur Carney: N'est-ce pas hors de prix pour vos patients?

Mme Black: Ce l'est, pour certains d'entre eux. Nous avons un programme de dons où chacun de nos membres a droit à deux dons de 1 gramme par semaine, et nous essayons d'en avoir suffisamment en stock pour les dons. Tout de même, la pauvreté est l'élément le plus fréquent parmi les aléas de la vie de nos membres.

Le sénateur Carney: Merci beaucoup. Nous allons nous rendre dans votre centre, demain, n'est-ce pas?

Le président: Oui.

Le sénateur Lawson: Vous nous avez présenté un excellent exposé. Certes, nous sommes là pour apprendre, pour nous renseigner sur ce qui se passe. Cela enrichit beaucoup ma connaissance et ma compréhension de toute votre histoire.

Deux questions me viennent rapidement à l'esprit. Vous avez parlé de vos fournisseurs. Je présume que vous avez accès à un approvisionnement constant. Devez-vous changer de fournisseur de temps à autre? Je pose la question parce que vous avez dit que vous étiez en train de faire quelque chose et que la GRC a fait une descente dans une serre où on faisait la culture d'un cannabis organique à faible coût pour la Compassion Club Society. Je présume que la GRC a fermé la serre en question. Ai-je raison?

Mme Black: Elle a bel et bien fermé cette installation. L'installation n'avait pas encore commencé à nous approvisionner en cannabis. C'était la première récolte. Nous avons simplement continué à recourir aux gens avec qui nous travaillions. Nous avons accès à un groupe de producteurs qui est toujours là pour nous. Il y a bien des changements de temps à autre. Il s'agit de savoir qui cultive le meilleur cannabis, le plus propre, la meilleure qualité, le moins cher. Si la qualité du produit d'un fournisseur régulier baisse ou qu'il y a un problème de moisissure ou que la récolte n'est plus acceptable à nos yeux pour une raison ou une autre, nous essayons d'aller chercher ailleurs un cannabis qui peut s'utiliser.

Le sénateur Lawson: De temps à autre - vous dites que vous avez des fournisseurs constants. Font-ils parfois l'objet de descentes? Comment font-ils pour échapper à cela?

Mme Black: Il s'agit, essentiellement, d'être un bon criminel.

Le sénateur Lawson: Ah bon, je n'avais pas pensé à cela.

Mme Black: Nous avons connu quelques personnes qui se sont retrouvées devant les tribunaux, non pas à cause de leurs liens avec la Compassion Club Society, mais plutôt à cause d'autres incidents. Dans un cas, il y a un type qui a servi d'intermédiaire pour que nous puissions acheter du cannabis auprès d'autres cultivateurs. Il était prêt à faire des inspections sur les lieux et à s'occuper parfois du transport. Nous avons été au tribunal à ses côtés, et il a fini par être acquitté, je crois. Le juge nous a félicités du genre de travail que nous accomplissons, une fois que nous avons expliqué notre démarche. Nous avons fait l'objet de quelques arrestations, mais le système judiciaire a fini par comprendre ce que nous faisons, et les tribunaux n'ont pas puni les gens comme criminels.

Le sénateur Lawson: J'imagine que vous recourez à des fournisseurs locaux?

Mme Black: Oui.

Le sénateur Lawson: C'est comme un programme pour encourager le commerce local?

Mme Black: Tout à fait.

Le sénateur Lawson: D'après ce qu'on me dit, c'est un produit d'une très grande qualité.

J'ai une autre question à poser. Vous avez dit que vous vendez, entre autres, des petits gâteaux. Puis-je demander si ce sont des petits gâteaux à saveur de cannabis?

Mme Black: Oui. Ce n'est pas uniquement pour la saveur. Quand le cannabis que vous ingérez passe par votre foie - quand vous le mangez plutôt que le fumez - c'est un mode d'administration tout à fait différent. Le principal ingrédient actif, le THC, absorbé par le foie, se dégrade et produit une substance appelée hydroxide cannabinoïde, je crois, et peut être jusqu'à 11 fois plus fort qu'il l'est quand les ingrédients actifs sont absorbés - quand on le fume, par la muqueuse - dans les poumons et directement dans le sang. Quand on ingère la substance, les effets peuvent durer deux ou trois fois plus longtemps et se révéler beaucoup plus intenses. Le dosage peut être plus difficile à contrôler, parce qu'on ne ressent pas les effets tout de suite. Il faut compter environ deux heures avant que les effets se fassent sentir.

Nous vendons toute une série de petits fours et gâteaux où le taux d'activité de la substance est variable et divers autres produits, et nous faisons auprès de nos membres le plus d'éducation possible avant qu'ils apportent un produit chez eux. C'est ce produit-là qui peut devenir trop intoxiquant.

Le sénateur Lawson: Parmi les petits fours et gâteaux que vous achetez, y a-t-il encore les carrés au chocolat que l'on faisait dans le bon vieux temps?

Mme Black: Oui. Nous avons d'excellents carrés au chocolat.

Le président: Madame Black, nous allons visiter la Compassion Club Society demain et nous pourrons traiter de cette question. Il y a un grand nombre de questions qui sont, disons, plus délicates. J'en ai une moi-même.

Le sénateur Carney: Qu'entendez-vous par «plus délicate»?

Le président: Quand je parle d'une question délicate, je parle de renseignements importants.

Le sénateur Carney: Avez-vous quelque chose contre les carrés au chocolat du sénateur Lawson?

Le président: Pas du tout. Je suis sûr que Mme Black comprend tout à fait ce que j'entends par «question délicate».

Dans votre menu quotidien, vous offrez une gamme de produits du cannabis, de la marijuana et du haschich. Êtes-vous au courant de ce que la société Prairie Plant System, PROPOS, peut offrir? N'y a-t-il qu'une variété? Va-t-elle offrir une gamme de produits de la marijuana?

Mme Black: D'après ce que j'en sais, le plan à long terme consiste à offrir une gamme de variétés. Je crois que la première récolte, à laquelle ils travaillent en ce moment, consiste en une variété et que la prochaine récolte en comportera trois. C'est ce qui a été signalé par les médias; ce n'est pas de première main que j'ai ce renseignement.

Le président: J'ai une dernière question à poser à propos du contrôle de la qualité que vous exercez pour vous assurer que les produits que vous recevez et que vous vendez à vos membres correspondent tout à fait à ce que vous présentez dans votre menu. Quel système avez-vous en place pour contrôler cela?

Mme Black: Nous sommes en mesure de nous rendre là où le cannabis est cultivé. L'été, nous sommes en mesure d'inspecter certains des champs où la récolte se fera à l'automne; il en va de même pour ce que les gens peuvent produire localement dans notre ville et à l'intérieur des maisons. Il faut nous rendre sur les lieux pour déterminer s'il y a de la moisissure sur les plantes ou s'il y a des champignons, quels produits chimiques peuvent être cachés dans une armoire quelque part, et faire l'inspection la plus rigoureuse possible.

Une fois que nous avons reçu le produit, nous avons, à la Compassion Club Society, des employés rémunérés qui sont de véritables spécialistes en cannabis. Il ne leur manque que le diplôme de l'université du cannabis. Il y a des signes de moisissure ou de champignons ou d'utilisation de produits chimiques que l'on peut repérer si on a un nez sensible, le goût développé et, surtout, si on s'allume un joint. Si le produit comporte un peu de moisissure ou de produits chimiques, on le sent sur ses lèvres et on le sent dans la gorge. De temps en temps, nous avons accès à un laboratoire où quelqu'un est prêt à pratiquer toutes sortes de désobéissances civiles et tester pour nous les produits. Malheureusement, nous n'avons pas toujours accès à ce service, car la personne n'a pas le permis voulu pour faire cela pour nous. La situation idéale est celle où nous aurions nous-mêmes un laboratoire.

Le président: Merci beaucoup. Nous allons nous revoir demain, et nous vous poserons toutes les questions voulues et obtiendrons toutes les réponses.

Notre prochain témoin est M. Dean Wilson, directeur général du regroupement Vancouver Area Network of Drug Users.

M. Dean Wilson, directeur général, Vancouver Area Network of Drug Users (VANDU): Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à m'adresser à vous au sujet des drogues illicites. J'habite le Downtown Eastside de Vancouver. La question de la consommation de drogues illicites a eu un effet profond sur ma collectivité, et de ce fait, sur le reste du Canada. Contrairement à ce que peuvent croire les gens, le Downtown Eastside regorge de gens bienveillants qui ont du coeur et qui croient que leur quartier, même si c'est le plus pauvre au Canada, a de nombreuses qualités qui font l'envie de villes partout dans le monde.

Pour ce qui est de la consommation de drogues, j'ai l'impression que les problèmes auxquels nous faisons face dans le Downtown Eastside pourraient servir à trouver des solutions qui seront avantageuses pour le reste du Canada. Durant les quelques minutes à venir, je vais parler des problèmes en question, les décrire et traiter des solutions auxquelles la collectivité est arrivée et qui, je l'espère, serviront à atténuer le stress associé à un secteur où la drogue se vend et se consomme ouvertement.

Au cours des huit à dix dernières années, un grand secteur de cette nature est apparu dans le coin de Main et Hastings. Les raisons qui expliquent le phénomène sont nombreuses et variées. Outre le fait qu'il s'agit d'un point de transbordement - ce qui fait qu'il y a beaucoup de drogues qui sont offertes à très bon marché -, il y a un grand nombre de pauvres. Il y a eu réduction des sommes d'argent consacrées à la santé mentale et à l'itinérance. La guerre à la drogue qu'ont livrée les services policiers de Vancouver et la GRC n'est que l'un des éléments qui ont favorisé la situation.

Ce qui me déprime, c'est qu'un grand nombre d'excellents rapports comme celui du médecin hygiéniste de la province, John Millar, intitulé «HIV, Hepatitis and Injection Drug Use in British Columbia - Pay Now or Pay Later?, et Injection Drug Use and HIV/AIDS» du HIV/AIDS Legal Network, et, pour remonter moins loin dans le temps, le cadre d'action et d'orientation communautaire de la ville de Vancouver et An Alcohol and Drug Action Plan For the Downtown Eastside/Strathcona - tous ces rapports ont fait ressortir les principales difficultés en cause et ont proposé d'excellentes solutions; néanmoins, aucune mesure n'a été prise.

Ce qui est encore plus déprimant, c'est que pendant que cela continue, tous les ans, mes frères et mes soeurs dans le Downtown Eastside continuent de mourir en nombre intolérable. Le Downtown Eastside présente le taux de fréquence du VIH/SIDA le plus élevé qui soit dans le monde industrialisé; de même, nous avons le taux le plus élevé d'Amérique du Nord pour ce qui est des décès par overdose. Ce qui est particulièrement troublant, c'est que cela est évitable. Nous avons établi les facteurs qui entrent en ligne de compte et, en consultant la collectivité et en faisant les recherches, nous avons conçu une solution globale, mais les autorités n'ont toujours pas agi. Pourquoi? C'est qu'il y a une poignée de groupes - composés de gens ayant censément une moralité supérieure - qui ont intérêt à ce que soit préservé le statu quo et que le Canada est prêt à permettre à la Drug Enforcement Agency, la DEA, et à la Central Intelligence Agency, la CIA, de nous dicter notre programme d'action en ce qui concerne la santé publique et les drogues illicites. Ces intérêts peu nombreux, mais nantis et puissants dictent l'évolution de la situation en affirmant qu'ils se soucient du bien commun, mais, en réalité, ils nuisent bien davantage que la consommation de drogue elle-même.

L'expérience démontre que l'approche de justice pénale ne fonctionne pas. Notre système de justice et nos prisons regorgent de gens - et de drogues - qui, soit dit en passant, n'auraient pas eu de démêlés avec la loi si nous envisagions la question comme un problème social. Nous devons nous rappeler que les drogues n'entraînent pas de maux pour la société. Ce sont des mécanismes de compensation qu'emploient certains pour composer avec ces maux.

Certaines des solutions proposées peuvent paraître controversées, mais il faut se rappeler que, il n'y a pas longtemps encore, la thérapie d'entretien à la méthadone et les programmes d'échange de seringues étaient aussi considérés comme controversés. Il faut des solutions globales qui comprennent la décriminalisation de la possession d'une petite quantité de drogue, quelle qu'elle soit, des installations pour la consommation en toute sécurité de drogues par voie intraveineuse, des programmes d'entretien à l'héroïne et des programmes de traitement à la méthadone à faible seuil. Les programmes en question, aux côtés des protocoles de traitement existants comme la prévention, la désintoxication, les centres de lutte contre l'alcoolisme et les traitements fondés sur l'abstinence, permettront aux soignants de disposer d'une panoplie complète, plutôt que d'être enchaînés comme ils le sont actuellement au moment de traiter les êtres humains faisant un usage intempérant des drogues.

Cette approche globale est qualifiée de «réduction des méfaits». Le terme semble être galvaudé, mais les préceptes de la réduction des méfaits permettent de réduire les méfaits non seulement pour le toxicomane, mais aussi pour la collectivité où il habite. Les autres facteurs dont il faut tenir compte sont les 16 déterminants sociaux de la santé de Santé Canada. Il s'agit notamment d'un logement stable, que l'Organisation mondiale de la santé reconnaît comme étant la meilleure façon de prévenir la prolifération du VIH/sida et de l'hépatite C, et de bons programmes nutritionnels, qui, conjugués à un peu de dignité et de bonté, contribuent énormément à réduire le stress lié à la consommation de drogues illicites dans toute collectivité.

À la place, nous gaspillons des millions de dollars en coups d'épée dans l'eau. Engager plus de policiers n'est qu'un outil de modification des comportements, et cela s'est révélé être un cuisant échec. Si la méthode était efficace, à coup sûr, les 26 milliards de dollars que les États-Unis y ont consacrés l'an dernier, en ne comptant que cette année-là, devraient avoir réglé le problème. Les services policiers semblent vouloir protéger leur budget et miner les libertés civiles du peuple, plutôt que de s'attaquer vraiment au problème. Je crois aussi que la fraternité médicale s'est embourbée dans des programmes dont le taux de succès est très bas. Les toxicomanes sont devenus des centres de profit facilement exploitables et sont considérés comme de la lie. Ces croyances doivent être exposées et remises en question avant que quoi que ce soit de concret ne puisse être accompli.

Dernièrement, le tandem tendancieux des autorités judiciaires et médicales a conçu un nouveau programme - le tribunal consacré aux drogues. Ce n'est qu'une autre façon de contraindre au traitement les toxicomanes, et cela a peu de chances de succès. Ces tribunaux existent aux États-Unis depuis 1989 et, à mon avis, ils n'ont fait que gaspiller les budgets limités prévus pour les programmes. On n'a qu'à songer au cas de Portland, en Oregon, l'exemple qui serait apparemment à suivre, pour déterminer que, même si on a réduit quelque peu la récidive en ce qui concerne les actes criminels, les taux de VIH/sida ont monté en flèche, et le nombre de décès dus à une surdose a presque triplé depuis la création du tribunal. À elles seules, ces statistiques devraient faire échec à toute volonté d'envisager la création de tribunaux prétendument progressifs du genre.

Au point où nous en sommes, vous avez sûrement entendu des témoignages faisant état de l'approche européenne de la toxicomanie. Je me suis rendu à Francfort, en Allemagne, l'automne dernier. J'ai été ahuri par l'approche concertée qui y est appliquée. Tous les intervenants envisagent le problème comme étant un problème social, et les quatre piliers - le respect de la loi, le traitement, la prévention et la réduction des méfaits - convergent pour qu'il y ait un réel continuum appliqué au problème. Cette approche est bien attestée, et elle a permis à un grand nombre de personnes et de familles d'éviter la souffrance associée à la toxicomanie.

Le groupe que je représente fonde son travail sur l'approche européenne. Il permet aux consommateurs de drogues illicites de vraiment se faire entendre, il leur accorde la dignité et les aide à déterminer l'issue de leur situation. J'en suis la preuve vivante. Je suis héroïnomane, mais on m'a donné la dignité, et je me suis accordé l'autodétermination dans ma lutte contre la toxicomanie. Qui est mieux placé pour parler de ces problèmes que ceux qui les vivent eux-mêmes? Je ne dis pas que les toxicomanes peuvent faire cavalier seul. Nous avons sûrement besoin d'aide et de soutien. Toutefois, comme j'ai adopté une approche active pour régler mes propres problèmes, j'ai commencé à m'attaquer aux questions qui, au départ, m'entraînaient à choisir l'automédication.

Pour terminer, j'aimerais énumérer ce qui, à mes yeux, changera vraiment la situation pour tous les toxicomanes et, de ce fait, toutes les collectivités où ils habitent. Accordez aux toxicomanes l'autodétermination, mais exigez d'eux qu'ils soient responsables; soutenez les quatre piliers de façon égale; permettez que les programmes soient souples; évoluez avec le temps; laissez aux Canadiens décider de la façon dont ils souhaitent aborder le problème, sans pression de la part de la Drug Enforcement Agency des États-Unis; permettez aux gens de s'attaquer localement aux problèmes de leur collectivité - toutes les villes n'ont pas besoin d'un endroit sûr pour la consommation de drogues par voie intraveineuse - et exigez la responsabilité de tous les intervenants. Si le travail ne peut se faire, alors soutenez et financez les groupes qui sauront le prendre en charge.

Si les éléments de cette liste étaient respectés, nous serions bien plus près de nous attaquer aux vraies questions et nous verrions une différence marquée dans les collectivités qui vivent quotidiennement le problème de la drogue.

Pour paraphraser Nancy Reagan, dites non à la guerre à la drogue.

Le président: Merci, monsieur Wilson.

De quels fonds dispose votre organisation et quelles sont les sources de financement?

M. Wilson: Nous sommes financés par le conseil de santé de Vancouver/Richmond à titre de groupe de défense de la santé. Nous obtenons environ 185 000 $ par année. Nous avons presque 1 000 membres qui consomment ou ont déjà consommé des drogues dures - l'héroïne et la cocaïne. Tout de même, nous préconisons les travaux d'extension et le COUNSELLING d'égal à égal.

Notre groupe, à l'aide de ce petit budget, en a fait plus pour stopper la prolifération du VIH/sida dans nos collectivités que tout autre groupe et que tous les autres groupes ensemble. Nous patrouillons les ruelles très tard, la nuit, et nous nous assurons que les gens disposent d'un matériel sans danger pour les injections et qu'ils ont droit même à un petit peu de gentillesse. La vie est dure dans la rue, et nous devons défendre nos propres intérêts, pour qu'ils puissent être en sécurité. Nous avons été littéralement condamnés à mort par la façon dont les programmes sont appliqués dernièrement.

Le président: Vous avez parlé du nouveau cadre qui existe à Vancouver. Avez-vous remarqué une quelconque révolution positive, parmi vos membres, depuis que ce cadre a été annoncé par le maire?

M. Wilson: Nous avons eu beaucoup à dire dans la préparation de ce document. Le rapport McIntyre disait que jusqu'à 86 p. 100 de la population de la ville de Vancouver est en accord. Ce qui est particulièrement troublant, c'est que nous ne faisons rien à cet égard.

Nous avons eu quelques petits succès. Le numéro qui existe pour la désintoxication permet maintenant à des gens de se faire traiter très rapidement. J'en suis heureux, mais nous devons commencer à mettre tout cela en place; nous ne pouvons choisir uniquement telle mesure ou telle autre. C'est un bloc. Il y a beaucoup de travail à faire du côté de l'exécution de la loi. Il nous faut de la prévention, il nous faut des traitements, il nous faut des programmes pour la réduction des méfaits et une fois tout cela mis ensemble, sous forme d'un grand problème global, nous pouvons corriger le tir. Nous pouvons sortir deux personnes de la situation. Deux ici, deux là, et en dernière analyse, nous allons sortir 4 000 personnes.

En Allemagne, il est un parc où il y a littéralement 5 000 personnes par jour. Si vous vous y rendez aujourd'hui, vous verrez qu'il y a des familles. Tout le monde y va. Cela s'est fait grâce aux contacts. Ce que nous devons faire, c'est consulter tout le monde dans la ville. Le temps est venu d'agir. Mes frères et mes soeurs sont littéralement condamnés à mort. Nous prenons de la drogue, mais le moment est venu de changer. Celui qui est mort n'entre pas en cure de désintoxication.

Le sénateur Carney: Quand vous dites que vous êtes l'un des groupes financés par le conseil de santé de Vancouver/Richmond, le vôtre est-il le seul groupe qui représente les toxicomanes du Downtown Eastside? Êtes-vous l'élément moteur de ce qui se fait, ou y a-t-il d'autres groupes?

M. Wilson: Il y en a quelques autres. Le Consumer Board est un autre groupe qui s'occupe du VIH/sida, un petit groupe. Il y en a un autre - les Dudes - qui travaille à partir de la Downtown Eastside Youth Activities Society, ou DAYAS, c'est-à-dire le centre d'échange de seringues du centre-ville.

Nous sommes 1 000. De fait, nous formons le premier groupe de toxicomanes en importance au Canada. Nous avons eu beaucoup de choses à dire non seulement dans la préparation du cadre d'action du maire - A Framework for Action: «A Four Pillar Approach to Drug Problems in Vancouver» -, mais également dans l'établissement du plan d'action sur les orientations communautaires. Je vous recommande la lecture du rapport sur le Downtown Eastside/Strathcona, car il est le fruit du travail d'une coalition composée de 58 groupes communautaires qui se sont réunis, pendant une longue période, et qui se sont raconté leurs quatre vérités.

Nous en sommes venus à la conclusion que nous n'allons pas tout obtenir ce que désire mon groupe et que l'autre partie n'obtiendra pas non plus tout ce qu'elle veut. Toutefois, si nous travaillons ensemble pour déterminer ce qui est important, comment nous procédons pour stopper cela, comment nous sortons la personne de la situation, nous pouvons nous organiser pour que les choses fonctionnent. Nous devrions adopter deux programmes, le programme des orientations communautaires et le cadre d'action du maire, et agir, et non seulement dire: on va engager 30 policiers de plus. «Au point où nous en sommes, nous devrions dire: envisageons donc d'ouvrir un centre pour que les toxicomanes puissent s'injecter en sécurité, pour faire cesser la propagation du VIH/sida.» Les statistiques à ce sujet sont ahurissantes. Le Downtown Eastside compte 5 000 toxicomanes qui consomment de la drogue par voie intraveineuse, dont 40 p. 100 sont séropositifs, 98 p. 100 ont l'hépatite C, maladie qui s'échelonne sur 20 à 30 ans. Qu'est-ce qui arrivera dans dix ou 15 ans, quand 5 000 personnes se presseront à la porte pour une greffe du foie? Pour ce qui est du coût des soins de santé, John Millar le dit: on paie tout de suite, sinon on va payer plus tard.

Une étude en cours dans les Territoires du Nord-Ouest vise à déterminer quelle est la toute première raison pour laquelle le VIH/sida se propage parmi les groupes d'Autochtones dans les territoires: on a conclu que quelqu'un a visité le Downtown Eastside au cours des six derniers mois. Nous avons des épidémies au Canada parce que les toxicomanes voyagent. Nous nous rendons dans d'autres villes. Les frères et soeurs autochtones retournent à la réserve. Alors, il y a le VIH, l'hépatite C, la tuberculose et toutes les autres maladies qui y sont associées - les six maladies qui constituent aujourd'hui une urgence du point de vue de la santé publique. Nous sommes des vecteurs, et il nous faut trouver une façon de stopper cela.

Le sénateur Carney: Puis-je approfondir la question avec vous? Ce travail vous motive décidément beaucoup. Qu'est-ce qui vous distingue de vos collègues dans le Downtown Eastside, qui ne font pas ce que vous faites? Qu'est-ce qui vous motive, vous et vos 1 000 membres, comment faites-vous pour déterminer si vos efforts portent fruit? Qu'est-ce qui fait que le travail que vous accomplissez vous remonte le moral? Est-ce le nombre de membres ou le résultat des patrouilles de nuit? C'est un problème horrible qui s'amplifie depuis plusieurs années. Qu'est-ce qui vous fait penser que votre travail porte fruit? Qu'est-ce qui vous motive, vous et vos membres?

M. Wilson: Je crois que c'est le fait que nous sommes tous, essentiellement, en train de mourir de quelque chose. J'ai l'hépatite C depuis plus de 20 ans. Quarante pour cent des membres de notre groupe ont le VIH. Je crois que nous voulons redonner à la vie quelque chose. Pour une bonne part, notre milieu est très marginalisé. Les gens sont très malades. Ils ne savent peut-être pas lire ou écrire. Ils peuvent être ceci ou ils peuvent être cela, mais nous devons nous défendre nous-mêmes.

Ann Livingston, coordonnatrice de programme, nous a donné l'occasion de nous faire entendre. Nous nous sommes enfin rendu compte du fait que nous pouvions nous faire entendre et que nous pouvions changer les choses. Si on pense au nombre de décès liés à une overdose qui sont survenus depuis quelques années, on constate que la réduction est directement attribuable au fait que Ann se soit rendu dans les ruelles et ait dit: «Écartez le danger, n'allez pas vous injecter tout seuls, utilisez un condom» et toutes ces choses et, en faisant cela, avec un peu de bonté. On nous traite littéralement comme de la merde dans le coin. Vivre dans une ruelle et faire de la drogue, cela n'a rien de trépidant. Ce n'est pas la fête. En fait, on est blotti contre une porte dans une ruelle, au centre-ville, à 3 heures du matin, et personne ne s'en soucie. Nous avons à ce point brûlé les ponts avec notre famille et d'autres personnes, en faisant de la drogue, qu'il n'y a plus personne vers qui se tourner, de sorte que nous nous tournons vers nous-mêmes. Comme je le dis, Ann nous donne la chance de nous faire entendre, et nous la saisissons.

Le fait que je m'en sois sorti me motive. Jusqu'à maintenant, j'ai contracté l'hépatite C, mais je crois que le moment est venu de redonner quelque chose à la collectivité, parce que j'adore le Downtown Eastside. C'est le meilleur quartier.

Le sénateur Carney: Vous vous êtes exprimé avec beaucoup d'éloquence pour votre milieu, et nous sommes très heureux de voir que vous avez pris la peine de venir nous rencontrer.

M. Wilson: Merci beaucoup, sénateur.

Le sénateur Lawson: Je n'ai qu'une question. Il y a des années de cela, face à ce que nous considérions comme un problème nouveau, l'alcoolisme, nous disions que nous faisions des relations humaines et pour choisir les gens qui devaient s'attaquer au problème, nous avons constaté que les seules fois où la démarche portait fruit étaient celles où on engageait d'anciens buveurs. On posait la question: «Qui serait mieux placé que toi pour faire cela?» Je peux vous le dire, il n'y a personne de mieux placé que vous, étant donné vos antécédents et votre expérience. Votre dévouement mérite des éloges. Durant son exposé, le maire a parlé d'un traitement faisant appel à l'héroïne qui est administré à Montréal, à Toronto et à Vancouver - et il y a un faible nombre de gens, 240 dans tout le pays, d'héroïnomanes de longue date qui se prêtent à un traitement visant à étudier l'efficacité de l'héroïne dans le cadre d'un traitement médicamenteux. Qu'en pensez-vous? Croyez-vous que c'est une bonne idée? Connaissez-vous ce projet? Fonctionne-t-il?

M. Wilson: Je crois qu'il est obligatoire que nous nous engagions là-dedans tout de suite. La CIA a dépensé jusqu'à 4 millions de dollars à ce jour. Nous avons demandé 5,6 millions de dollars. Si on examine les essais suisses faisant appel à l'héroïne, on constate que les chiffres sont ahurissants. Il n'y a pas d'itinérance, et le taux d'activité est de 40 p. 100. Le fait est que, après 18 mois, 17 p. 100 des 1 200 sujets en Suisse participaient à un traitement fondé sur l'abstinence. Ces chiffres sont ahurissants. Vous n'allez pas me dire que quelqu'un obtient ici un tel taux de succès, avec le statu quo. De fait, les Suisses considèrent l'entretien à l'héroïne comme une forme de traitement parce que les gens sont si nombreux à dire: «Eh bien, je me suis stabilisé, j'ai à nouveau de l'emprise sur ma vie», puis ils disent: «pourquoi est-ce que je fais cela? Je ne veux même pas cette héroïne maintenant, voulez-vous bien me sevrer.» Après 18 mois, ils sont considérés comme libres de leur dépendance. Dix-sept pour cent: c'est une statistique incroyable pour des gens auxquels on vient censément en aide au moyen d'un programme d'entretien à l'héroïne. Il est obligatoire que nous commencions à appliquer ce programme immédiatement. Les chiffres disent tout.

En Angleterre, on prescrit l'héroïne depuis les années 20 avec beaucoup de succès. Le Canada émule les États-Unis depuis trop longtemps. Les Britanniques ont dit non en 1920 - ils ont dit: et puis merde, non. Nous ne prescrivons pas d'héroïne aux toxicomanes. Nous n'allons pas prescrire quoi que ce soit - et le gouvernement a reculé, il en va de même pour le gouvernement américain. Tout de même, ici, le collège des médecins et chirurgiens a cédé aux pressions en 1948. Aujourd'hui, il est encore légal de prescrire de l'héroïne au Canada en milieu hospitalier. Nous devons nous engager dans cette démarche. Une fois que j'ai pu me stabiliser un peu, j'ai su qu'il y avait une vie à vivre en dehors de ma dépendance et, de ce fait, la semaine prochaine, moi qui suis ici devant vous, je m'engage dans un programme, un programme de désintoxication rapide des opiomanes. Je veux marcher droit maintenant, mais c'est parce que j'ai pu me stabiliser. Si nous permettons que les gens se stabilisent et soient traités à la méthadone, à l'héroïne ou à toute substance dont ils ont besoin pour se stabiliser, nous allons pouvoir les sortir du monde de la drogue, et ils vont s'apercevoir qu'il y a autre chose dans la vie, de sorte qu'ils ne voudront même pas s'asservir ainsi tous les matins. Ils n'en voudront pas, parce qu'ils sauront qu'ils ont une meilleure vie devant eux. Nous allons pouvoir faire cela, et le cadre d'action sera le point d'ancrage de toute l'action à cet égard.

Le sénateur Lawson: J'ai une dernière question. Vous croyez que le moment est venu, étant donné le succès de ce programme, le succès obtenu à l'étranger et dont vous parliez, d'appliquer le programme en question à d'autres régions de la province, Nous avons entendu dire ce matin que cela semble se propager, partout. Le moment est-il venu de faire cela? Croyez-vous que les vies sauvées et les coûts médicaux économisés seraient tels que le programme serait aussi viable sur le plan économique?

M. Wilson: La Rand Corporation, cellule de réflexion de droite aux États-Unis, a réalisé il y a environ dix ans une étude où elle conclut que pour chaque dollar consacré à la réduction des méfaits, les économies futures se situent entre sept et 11 dollars. Étant donné le fait que les pouvoirs publics sont actuellement mandatés pour économiser, je crois qu'il faut le faire, sinon on n'économisera pas d'argent. Chaque collectivité doit faire ce qu'il faut pour elle-même.

Je préconise l'aménagement de centres d'injection sans risque dans le Downtown Eastside, car la drogue se consomme ouvertement et à grande échelle dans le secteur. Or, ce genre de secteur comporte un élément de nuisance publique. Je ne veux pas que ma grand-mère ait à s'asseoir, dans l'autobus, à côté de quelqu'un qui s'injecte de l'héroïne. Les gens devraient avoir un lieu sûr où aller. Je ne dis pas que la ville de Red Deer, en Alberta, devrait avoir un centre d'injection sans risque, mais elle devrait avoir ce qu'il faut pour s'attaquer à son problème à elle. Si les jeunes sont nombreux, alors nous devrions leur demander ce qu'il leur faut quant au soutien des pairs et ce qu'il leur faut pour s'en sortir. S'il s'agit d'un secteur où la drogue se consomme ouvertement et à grande échelle, comme à Maisonville à Montréal, alors nous devrions aménager des centres d'injection sans risque. Faites ce qu'il faut: voilà ce que je recommande.

Soyons souples et n'écartons aucune option. Comme je l'ai dit, l'échange des seringues et le recours à la méthadone étaient tout à fait controversés il y a à peine dix ans. Aujourd'hui, nous y voyons les applications ordinaires de la science et de la médecine.

Je vous relaterai une petite anecdote à propos de l'Allemagne. Quand le premier centre d'injection sans risque y a été ouvert, 600 personnes du quartier se sont présentées pour dire: «Pas chez nous». Le centre a ouvert quand même. Trois mois plus tard, il y avait 35 personnes. Six mois plus tard, pas une âme s'est présentée, parce que la chose était devenue normale. Les gens comprenaient le but du centre. Ils permettaient aux gens de se sortir du monde de la drogue. Nous devons commencer à nous occuper de cela. Pour le traitement et pour cela, il ne s'agit pas seulement de recourir à des ex-toxicomanes. Tous les intervenants doivent participer, et à ceux qui ne produisent pas, tout comme on le fait partout ailleurs, à notre époque, où l'argent manque, nous disons adieu.

Le sénateur Jaffer: Monsieur Wilson, vous nous avez présenté un exposé très intéressant et très émouvant, et je vous en remercie. Je n'ai qu'une question à poser. Je ne sais pas si vous y étiez ce matin quand le maire nous a adressé la parole. Dans son exposé, il a beaucoup parlé des revendeurs, des consommateurs, du fait que la toxicomanie est une maladie et de divers traitements. J'aimerais vous entendre parler de votre expérience, obtenez-vous différents traitements en ce moment? Quel est votre expérience?

M. Wilson: Il n'y a pas beaucoup de choses qui se font en ce moment. Nous avons eu un peu de succès pour ce qui est du seul et unique accès à la désintoxication. Le paradoxe, c'est que nous avons besoin des drogues en question, de sorte que les revendeurs sont là. Je ne suis certainement pas du côté des narcotrafiquants milliardaires. Si nous avions accès à des programmes d'entretien à l'héroïne, nous n'en aurions pas besoin, mais les programmes ne sont pas très accessibles en ce moment pour la plupart des gens. Il n'y a pas grand-chose qui existe. Principalement, il s'agit de traitements fondés sur l'abstinence. Si nous pouvions faire embarquer les gens dans des programmes où ils ont une contribution à apporter et où on leur permet de concevoir le programme, ils diraient: «Bon, en ce moment, je ne suis pas vraiment en faveur de l'idée de l'abstinence totale», et si nous disions: «Très bien, plutôt que de t'injecter de l'héroïne, pourquoi n'essaies-tu pas de le fumer pendant un certain temps», nous pourrions les faire cheminer tranquillement sur la bonne voie.

J'ai parlé de la méthadone à faible seuil, mais je ne sais pas si vous savez de quoi il s'agit. Ce serait le cas de quelqu'un qui ne participe pas régulièrement à un programme de traitement à la méthadone, mais qui pourrait alors aller dans une pharmacie ou dans une clinique au centre-ville. Si une fille était sur le point de se prostituer ou si j'étais sur le point de faire un vol à main armée dans un poste à essence parce que je n'ai pas 10 $, on pourrait donner tout de suite, sur-le-champ, 30 milligrammes de méthadone. Les gens pourraient le boire et s'en aller. Ils ne reviendraient peut-être pas avant quatre jours. Nous pourrions désamorcer cette situation risquée tout de suite en leur donnant un peu de méthadone. Si quelqu'un revient trois ou quatre fois, alors on lui dit: «C'est la deuxième ou la troisième fois que tu viens ici cette semaine. Tu devrais peut-être t'inscrire au programme à temps plein.»

Si j'ai la méthadone et que les gens sont ici pour me voir, j'ai leur attention. Traitez-les avec gentillesse. Il existe de nombreuses stratégies. Il a été prouvé que 80 p. 100 des toxicomanes demeurent à l'écart de tout continuum de soins. Nous devons recourir à la méthadone à faible seuil, pour attirer les gens, afin d'entamer le dialogue, et travailler à partir de là.

Même plus tard, en travaillant et en appliquant les notions comme la dynamique de la vie, encore une fois, il doit s'agir d'un faible seuil. Les gens peuvent travailler pendant deux heures tous les trois jours. Cela leur permettrait de se mettre en marche et de se redonner les moyens d'agir, en ayant plus d'estime de soi. C'est le genre de stratégie que nous devons choisir. Il ne suffit pas de dire: «Nous avons un programme fondé sur l'abstinence, venez donc.» Personne ne va s'arrêter comme cela. Certains le font, mais nous devons les attirer et s'il ne faut que 30 milligrammes de méthadone une fois par mois pour le faire, pourquoi pas? Au moins, nous avons l'occasion de leur parler, ce qui est un point de départ.

Le président: J'ai une dernière question à propos du cannabis, question que je ne peux éviter. Quelle information pouvez-vous nous donner concernant l'utilisation du cannabis à Vancouver?

M. Wilson: Je crois que l'utilisation du cannabis à des fins médicinales...

Le président: Est-ce un problème?

M. Wilson: Non. La répression dont elle fait l'objet est ridicule. Les programmes ont fait leurs preuves dans plusieurs situations médicales. Là où ça fonctionne vraiment, c'est dans le cas des patients qui ont le VIH/sida et les maladies dégénératives comme l'hépatite C, plus tard. Cela stimule l'appétit, entre autres. Environ 75 p. 100 de la population du pays est d'accord avec la décriminalisation, ou légalisation. Légalisons la consommation de la marijuana, tout simplement. C'est simple, et je n'arrive pas à comprendre pourquoi cela prend tant de temps. Agissons donc simplement, adoptons cette mesure. La marijuana est efficace. C'est une médication applicable. Je ne veux pas que mon enfant de 15 ans ne fasse qu'en fumer. Nous devrions nous assurer de leur enseigner la bonne façon.

Le président: Merci, monsieur Wilson, de vos réponses et de votre témoignage. Nous allons demeurer en communication avec vous. Si nous avons d'autres questions, je vous écrirai.

M. Wilson: Merci beaucoup.

Le président: Nous accueillons maintenant M. David Mossop, avocat de la Community Legal Assistance Society. Monsieur Mossop, bienvenue parmi nous.

M. David Mossop, Community Legal Assistance Society: Monsieur le président, j'aimerais parler un peu de notre organisation. Il s'agit d'une société sans but lucratif de la Colombie-Britannique qui est constituée en société depuis 1971. Nous fournissons des services d'aide juridique aux gens à faible revenu et aux personnes handicapées. Nous disposons d'un budget d'environ 1,5 million de dollars par année. Nous avons huit avocats et, grosso modo, six techniciens juridiques et employés de soutien. Nous avons trois bureaux, dont un est situé à la faculté de droit de l'université. Nous avons un avocat qui supervise les étudiants en droit bénévoles qui s'occupent d'une vingtaine de séances par année et sont consultés par environ 6 000 personnes par année. Notre bureau principal est situé à peine à quelques pâtés de maison d'ici, dans le centre-ville de Vancouver. Ce bureau s'occupe des litiges en cour supérieure au nom de pauvres et de personnes handicapées. Notre effectif le plus nombreux se trouve à l'hôpital Riverview, où nous représentons les patients internés dans un hôpital psychiatrique en application de la Mental Health Act et les personnes qui ne sont pas jugées responsables aux yeux du droit criminel; nous les représentons devant la commission d'examen qui est chargée de déterminer si elles doivent être remises en liberté. Certaines des personnes en question ont non seulement des problèmes de santé mentale, mais aussi des complications dues à une toxicomanie, et nous intervenons à cet égard.

Ces remarques préliminaires étant faites, je vous dirais que je ne suis pas ici pour parler du coût humain du phénomène. D'autres gens l'ont fait avec éloquence aujourd'hui. Plutôt, je parlerai des centres d'injection sans risque et des obstacles juridiques à leur mise en marche. J'aimerais aussi parler de la manière dont, à mes yeux, les événements du 11 septembre ont une incidence sur la situation de la drogue, en ce qui concerne notre légalisation des drogues.

Il y a des obstacles à l'établissement de centres d'injection sans risque parce qu'on se demande si les gens responsables de tels centres seraient accusés de possession de drogue par le procureur de la Couronne. C'est à voir. Certains prétendent qu'ils pourraient être accusés pour des raisons de consentement et de contrôle, pour avoir permis à des gens d'apporter des drogues chez eux. La réponse est simple. Il existe une solution très simple: le cabinet fédéral est habilité, en application de la Loi réglementant certaines preuves et autres substances, à le permettre, et le ministre de la Santé est habilité à cet égard. Tout ce qu'il manque, c'est la volonté politique de mener les choses à terme.

Il n'est pas question de modifier les lois fédérales. Il est question de la décision politique de mener cela à terme. Je dirais que, à mon avis, le gouvernement fédéral doit non seulement accorder un permis à plusieurs centres, mais encore financer les centres à l'échelle nationale. Il existe un précédent à cet égard. Au début des années 70, le ministère fédéral de la Justice a financé des bureaux de droit communautaire à titre de projet pilote pour des périodes de trois ou quatre ans, afin de déterminer s'ils étaient viables et il a permis aux provinces de les financer. Le gouvernement fédéral pourrait faire cela. Il devrait également solliciter la coopération des provinces pour ce qui est de l'établissement de tels centres. Si les provinces ne souhaitent pas le faire pour des raisons politiques, le gouvernement fédéral dispose encore du pouvoir extraordinaire de déclarer les centres en question à l'avantage général du Canada, et il pourrait alors s'occuper des centres lui-même. Bien sûr, je n'envisagerais cela qu'en tout dernier recours, mais en dernière analyse, le gouvernement fédéral peut faire cela si les provinces ne veulent pas coopérer.

Je pourrais dire aussi qu'il y a un argument - j'espère que cela ne se retrouvera pas devant les tribunaux - selon lequel, sous le régime de la Charte des droits et libertés, une doctrine s'est développée au Canada concernant l'obligation de tenir compte de la situation des personnes handicapées. Il se peut que les toxicomanes aient, en application de la Charte, le droit d'avoir accès à des installations de traitement et accès à des centres d'injection sans risque. Ce n'est pas une affaire que nous devrions porter devant les tribunaux. C'est une décision politique. Il est à espérer que cette possibilité incitera les politiciens à prendre une décision.

Le président: Est-ce que cela a déjà été signalé à un tribunal ou même contesté?

M. Mossop: Personne n'a encore essayé, mais je dirais que les distinctions de la Cour d'appel de l'Ontario concernant la marijuana utilisée à des fins médicinales commencent à être orientées de cette façon. Chez les avocats, on estime que le système de justice s'est révélé un échec total à cet égard. À mes yeux, étant donné les brèves peines d'emprisonnement qu'imposent les tribunaux, un grand nombre de juges sont du même avis. Nous avons perdu la guerre contre les drogues.

J'ai écrit brièvement sur les événements du 11 septembre, qui, d'abord et avant tout, représentent une grande tragédie pour les amis et les familles des gens qui ont péri, aux États-Unis et au Canada, dans le cas des Canadiens qui ont été tués. Cela a eu un effet d'entraînement. Il y a eu un effet sur nos compagnies aériennes et aussi un effet sur le courrier. J'ai vu aujourd'hui, à CNN, que le FBI prend des gens qui étaient chargés de l'exécution des dispositions juridiques en matière de drogues et les affecte à la guerre au terrorisme. Nous pouvons économiser de l'argent du point de vue de l'exécution de la loi en légalisant lentement les drogues sous diverses formes, en créant des centres d'injection sans risque et des programmes d'entretien à l'héroïne. Ce sera un processus évolutif. Nous pouvons également réaffecter le personnel d'exécution de la loi pour qu'il se consacre à d'autres priorités de notre système, notamment le terrorisme.

Voilà les observations que je souhaite formuler. Nos lois comportent des dispositions qui nous permettent de nous occuper adéquatement des toxicomanes en mobilisant la panoplie de ressources dont nous avons parlé aujourd'hui, notamment en ce qui concerne les centres d'injection sans risque et les programmes d'entretien, et tout ce qu'il faut, c'est la volonté politique d'aller de l'avant.

Le président: Avez-vous, vous ou un de vos collègues au Legal Aid Centre, été liés à des causes déterminantes liées aux drogues, sinon à des litiges où la Charte est invoquée?

M. Mossop: Nous n'avons pas été partie à des affaires liées aux cas particuliers de drogues. Nous avons été liés à d'assez nombreux litiges mettant en jeu la situation de personnes handicapées, dans le contexte de l'obligation de tenir compte de leur situation. En ce moment, il serait mieux de permettre aux politiciens de s'attaquer à la question, même si je crains qu'ils hésitent à essayer de régler la question en ce moment.

Le président: Avez-vous examiné le nouveau règlement sur l'utilisation médicinale de la marijuana?

M. Mossop: Oui.

Le président: Avez-vous des recommandations ou des observations à formuler?

M. Mossop: L'utilisation médicinale est la première étape du processus de décriminalisation de la marijuana. On estime à 20 000 les producteurs de marijuana en Colombie-Britannique. Il n'y a aucune façon pour le système de justice pénale de régler cette question, point à la ligne. On ne peut légiférer pour instaurer la prohibition. On peut réglementer, mais on ne peut interdire la chose. Cela s'est révélé un échec. Je crois que la plupart des avocats sont de cet avis.

Le président: J'ai une dernière question à poser et, bien entendu, nous allons communiquer avec vous si nous avons d'autres questions. Vous parlez de l'affaire Parker qui s'est déroulée en Ontario, où il est question de l'utilisation médicinale de la marijuana. Comme vous le savez, les tribunaux ont appliqué l'article 7 de la Charte, comme la Cour suprême l'a fait il y a quelques années concernant l'affaire de l'avortement. Croyez-vous, à titre d'avocat, qu'il y a là une tendance, que les avocats n'ont pas suffisamment recouru aux droits à la liberté pour faire valoir des affaires en ce qui concerne la liberté et les libertés?

M. Mossop: Je suis d'accord avec vous. Je crois que l'affaire Parker signale le début d'un processus où les avocats vont essayer d'obtenir l'accès aux services, y compris des centres d'injection sans risque. Le traitement des causes devant les tribunaux prend beaucoup de temps. Il vaudrait mieux que les politiciens serrent les dents et commencent à agir. Je comprends les limites des politiciens. Ils ne peuvent dire subitement: «Nous allons légaliser les drogues.» Une façon mieux acceptée sur le plan politique consiste à faire naître lentement des situations où les drogues peuvent servir d'une manière ou selon une méthode contrôlée. Il sera plus acceptable sur le plan politique d'échelonner cela sur une certaine période que d'y aller pour un changement immédiat. Je serais moi-même en faveur d'un changement immédiat, mais je crois que, politiquement parlant, il peut être difficile de réaliser cela. Le gouvernement fédéral dispose d'un pouvoir assez important pour agir, s'il souhaite le faire. C'est la volonté politique qui fait défaut.

Le sénateur Jaffer: J'ai une question rapide à poser. Monsieur Mossop, vous avez probablement défendu de nombreuses personnes accusées d'infractions liées aux drogues. Ai-je raison?

M. Mossop: Je ne m'occupe pas de criminels en cour. Principalement, et c'est mon expérience à l'intérieur de notre organisation, je traite avec les gens considérés comme n'étant pas responsables aux yeux du droit criminel à cause d'un trouble mental. De même, je me suis déjà occupé d'un nombre important d'affaires mettant en jeu la toxicomanie. Sous le régime du Code criminel, nous avons un très bon système pour nous occuper de ces cas, et il y a un recours à une commission d'examen composée d'un psychiatre, d'un travailleur social et d'un avocat. Habituellement, les contrevenants sont internés à l'hôpital, puis ils bénéficient d'une libération conditionnelle. Ils sont habituellement placés dans une maison de transition, ce qui permet une lente évolution des choses. Habituellement, la maison de transition, dans le cas des toxicomanes, n'est plus située dans le Downtown Eastside.

Le sénateur Jaffer: Pour ce qui est du budget global, avez-vous une idée de la façon dont les sommes d'argent vont servir en rapport avec les accusations liées aux drogues?

M. Mossop: Je ne suis pas au courant, mais je crois qu'une part importante sert à défendre ceux qui sont accusés directement de trafic par le gouvernement fédéral, ceux qui bénéficient de l'aide juridique et ceux qui sont accusés d'un crime connexe, étant à la recherche d'une somme d'argent pour se payer leurs drogues. C'est un élément majeur du processus pénal.

Le président: Merci, monsieur Mossop. Comme je vous l'ai dit, nous allons demeurer en communication avec vous; si nous avons d'autres questions, nous allons vous écrire.

M. Mossop: Merci.

Le président: Je tiens à remercier tout le monde d'être venu assister à la séance aujourd'hui.

La séance est levée.


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