Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites
Fascicule 10 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 13 h 30 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogues canadiennes.
Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président: Je déclare réouverte cette séance du Comité spécial sur les drogues illicites.
[Traduction]
Notre premier témoin cet après-midi est M. Heed. Bienvenue et merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Nous allons commencer par votre exposé, après quoi il y aura une période de questions et réponses.
M. Kash Heed, Service des drogues, Service la police de Vancouver: Honorables sénateurs, je vous remercie de l'occasion qui m'est offerte de vous adresser la parole cet après-midi. Je suis désolé de ne pas avoir de mémoire écrit à présenter au comité. Malheureusement, je n'ai su que tard la semaine dernière que je prendrais la parole au nom du chef de police à cette audience publique.
Les drogues illicites posent toutes sortes de problèmes à la ville de Vancouver, mais je vais concentrer mon attention sur le cannabis. Néanmoins, si vous avez des questions à propos d'autres drogues, j'essaierai d'y répondre pour le comité.
Je sais que vous avez entendu le témoignage d'individus qui représentent d'autres organismes d'application de la loi ou associations et d'experts d'autres domaines qui ont une vaste connaissance de ce sujet. Je vais essayer de ne pas répéter ce qu'ils vous ont dit. Je vais cependant vous faire part d'un point de vue sur lequel ces gens pourraient ou non être d'accord. Je suis conscient que l'analyse d'un sujet qui fait l'objet d'un débat social animé peut comporter des risques. De nombreux professionnels de l'application de la loi hésitent à discuter ouvertement du cannabis et plusieurs dirigeants de la police craignent de perdre le pouvoir d'arrêter des gens pour possession de drogue. Il est clair cependant que les responsables de l'application de la loi considèrent le commerce des drogues illicites comme un défi de taille et font souvent ressortir la menace que représentent le trafic des drogues et son impact sur la société.
Divers groupes qui participent au débat sur le cannabis défendent leurs propres vues avec force et désapprouvent ouvertement les vues de l'opposition. Par exemple, les groupes qui s'opposent à la légalisation, à la décriminalisation ou à d'autres approches libérales affirment que tout changement entraînera des coûts énormes. Ils affirment que tout changement mènera à une augmentation substantielle de l'usage et de l'abus de drogues et que les coûts liés aux soins de santé, à la prévention, à la perte de productivité et à l'application de la loi augmenteront proportionnellement.
Leurs opposants affirment que le cannabis comporte des risques minimes pour la santé s'il est consommé avec modération et font état des répercussions légales et sociales du maintien de la criminalisation de la possession de petites quantités de cannabis. D'autres encore affirment qu'ils appuient la décriminalisation de la possession de petites quantités de cannabis à la condition que le gouvernement mette en oeuvre de nouvelles initiatives pour la prévention de l'utilisation des drogues, l'éducation et le traitement.
Je ne passerai pas en revue tous les aspects du débat sur le cannabis. Je vous présenterai plutôt ce que je crois être les principales solutions de rechange à la politique existante.
Tout d'abord, j'aimerais vous décrire les pratiques actuelles du Service de la police de Vancouver. La police ne sévit presque plus en cas de possession de petites quantités et le gouvernement n'intente plus vraiment de poursuites pour usage de cannabis. Le nombre de poursuites en Colombie-Britannique pour possession de cannabis est peu élevé par comparaison à d'autres provinces. Il reste que certains policiers, la Couronne et des services judiciaires tiennent à intenter des poursuites dans le cas de ces infractions. Au bout du compte, la peine a tendance à être assez légère, et il y a souvent absolution inconditionnelle. Dans certains centres, le nombre de personnes accusées a diminué considérablement alors qu'ailleurs, les accusations sont chose assez fréquente. C'est à la police qu'il revient de décider si des accusations seront portées. La décision d'intenter des poursuites est fonction de deux facteurs: les chances de condamnation et l'intérêt public.
Il est important de signaler que le nombre des arrestations par la police est fonction des priorités en matière d'application de la loi. Les politiques du Service de la police de Vancouver veulent que les ressources servant à l'application de la loi soient concentrées sur les gens qui tirent un profit de la vente de drogues. Généralement, des accusations pour possession simple ne sont pas portées peu importe le type de drogue à moins qu'il y ait des circonstances atténuantes.
Nous reconnaissons que la répression n'est pas la solution idéale dans le cas d'un grand nombre de personnes qui consomment de la drogue ou de toxicomanes. Nous sommes vigilants et nous sommes assez tolérants envers les clubs qui fournissent du cannabis à des fins médicinales. Conformément au règlement sur l'accès médical à la marijuana, plusieurs autres projets du même genre sont en voie d'élaboration pour Vancouver. Dans la pratique, on peut parler de décriminalisation de fait ou de légalisation de fait étant donné la large marge de manoeuvre accordée à la police.
Nombreux sont ceux qui défendent les solutions de rechange sur le plan juridique que je vais soumettre à votre examen. Ce sont: une prohibition totale; la prohibition du commerce; une prohibition limitée avec sanctions au civil; et des lignes directrices en matière de contrôle. Je dois souligner que le choix entre les quatre solutions de rechange exige un examen des conditions sociales, des valeurs culturelles et de la réalité de la mise en oeuvre. Ces conditions sociales sont importantes parce que l'usage du cannabis et les lois qui en interdisent l'usage ont une importance symbolique en raison de l'affrontement des valeurs entre la société en général qui s'oppose à l'usage du cannabis et la grande minorité qui en tolère l'usage.
Les effets probables des solutions de rechange incluent des changements au niveau de l'utilisation, des coûts de l'application de la loi et des préoccupations sociales connexes. Figurent au nombre des préoccupations sociales la mise en marché d'autres drogues et le respect de la loi.
La prohibition a fait l'objet de critiques de plus en plus nombreuses ces dernières années. Des experts juridiques et du domaine de la santé ont donné à entendre que les lois actuelles interdisant l'usage du cannabis devraient être abrogées. Le fait que les politiques existantes n'aient pas réussi à dissuader les usagers, la criminalisation d'un grand nombre d'infractions et le coût élevé de l'application de la loi sont des arguments qui militent en leur faveur.
Je ne suis pas le seul à m'être prononcé officiellement en faveur de l'élimination des sanctions pénales à l'égard de la possession d'une petite quantité de cannabis comme moyen de réduire les coûts économiques de l'application de la loi et les coûts sociaux de l'arrestation d'individus qui n'ont commis aucune autre infraction.
Cependant, les économies réelles au chapitre des coûts de l'application de la loi qui découleraient de changements au niveau de la prohibition de la possession sont difficiles à évaluer. La difficulté est en partie attribuable au fait que les arrestations pour possession de cannabis ont diminué ces dernières années à Vancouver, ce qui est révélateur de la tendance générale à l'assouplissement de la loi pour possession simple. Néanmoins, une réduction des mesures d'application de la loi entraînerait des économies substantielles si la loi était abrogée ou modifiée.
La prohibition totale a eu pour résultat des coûts d'application élevés, l'aliénation de certains groupes, une application discriminatoire de la loi, un faible effet de dissuasion pour ce qui est de l'offre et un effet de dissuasion minime pour ce qui est de l'usage. De plus, la prohibition du commerce ne ferait qu'appuyer la politique officielle qui consiste à décourager l'usage, mais, en même temps, elle reconnaîtrait les difficultés pratiques reliées à l'élimination de l'usage.
Souvent, les lois qui visent exclusivement à supprimer les ventes sont plus rentables pour ce qui est de la réduction de la possession que les lois qui essaient de supprimer la possession directement. La raison, c'est qu'il y a moins de vendeurs que d'acheteurs. Cela permet de concentrer les efforts là où ils sont un peu plus efficaces: sur les ventes. Il y a une chose importante à savoir à propos de la prohibition du commerce et c'est que là où cette solution a été retenue, elle n'a apparemment pas entraîné une utilisation plus grande du cannabis que si l'usage en avait été prohibé.
À l'échelle nationale, il y a moins d'arrestations pour production de cannabis que pour consommation. Cependant, le coût de l'application de la loi pour la production est beaucoup plus élevé par arrestation.
Les coûts liés à l'application de la loi sont loin d'être les seuls coûts de la prohibition du commerce. Le cannabis rapporte énormément d'argent. La violence constitue elle aussi un coût lorsqu'il y a tentative de prohibition du cannabis. Les criminels de Vancouver se sont montrés prêts à recourir à la violence pour régler des différends, d'où une augmentation du nombre des homicides reliés à la marijuana dans la région. Il y a également eu des signalements de vols avec violation de domicile, d'enlèvements, d'agressions et de cambriolages lorsque des producteurs rivaux ou des entrepreneurs ont volé des producteurs.
Malgré les efforts des autorités policières pour prohiber le commerce, le nombre d'installations de culture de la marijuana a augmenté considérablement à Vancouver. Selon des estimations prudentes, il y avait en 1999 entre 7 000 et 8 000 installations de culture de la marijuana dans la vallée du bas Fraser - dont 2 700 à Vancouver. Aujourd'hui, leur nombre est évalué à plus de 15 000 dans la vallée du bas Fraser et la production à 4,2 milliards de dollars. À l'échelle provinciale, la valeur de gros annuelle est d'environ 6 milliards de dollars. Selon les rapports des services de renseignements, des groupes criminels vietnamiens et des bandes de motards criminels contrôleraient 85 p. 100 de la production et de la distribution de marijuana en Colombie-Britannique.
En octobre 2001, le Service de la police de Vancouver avait enquêté sur 501 installations de culture de la marijuana dans la ville par comparaison à 281 en 2000. Le nombre moyen de plants trouvés est de 244 et la valeur moyenne des plantes cultivées est de 257 000 $. La valeur à ce jour de la marijuana et de l'équipement saisis s'élève à 137 millions de dollars par comparaison à 57 millions de dollars en 2000. Les profits qui proviennent des installations de culture - qui sont principalement contrôlées par le crime organisé - sont canalisés vers différents secteurs de l'économie légitime. Cet argent blanchi expose les gens d'affaires à des groupes criminels et mine la nature concurrentielle des entreprises légitimes.
La prohibition limitée assortie de sanctions au civil s'apparente par sa portée à la prohibition complète et a la faveur d'un grand nombre de responsables de l'application de la loi. Un des avantages de cette solution est l'incidence qu'elle aura sur les ressources policières qui, à Vancouver, ont atteint leur limite. L'hypothèse, c'est que cette solution de rechange permettra aux responsables de l'application de la loi d'utiliser à des fins plus pressantes les ressources qui sont normalement consacrées à la répression. Il est cependant difficile de dire quelle incidence elle aura étant donné que plusieurs organismes d'application de la loi ont déjà décriminalisé l'usage dans les faits et utilisé les ressources ailleurs. Cette option n'est pas censée créer un casier judiciaire. Dans la pratique, elle veut dire que les consommateurs de cannabis n'auront vraisemblablement pas à faire face aux conséquences de leurs actes s'ils se font prendre en possession de petites quantités. Si cette solution est retenue, les agents de police devront quand même confisquer le cannabis et consacrer des ressources considérables à la poursuite des trafiquants.
Quoi qu'il en soit, plusieurs questions se poseront: quelle serait l'amende imposée? Cela s'appliquerait-il uniquement à ceux qui en sont à leur première infraction? Qu'arriverait-il si quelqu'un ne payait pas l'amende? Est-ce que cela donnerait à entendre que le cannabis est inoffensif?
L'argument en faveur d'un approvisionnement légal contrôlé est en grande partie fondé sur les coûts sociaux et l'inefficacité de la prohibition, ainsi que de la prohibition du commerce, et sur la croyance que le contrôle plutôt que la limitation du produit entraînerait une augmentation tellement grande de l'usage que ce serait inacceptable. En vertu d'une politique de contrôle, il ne serait plus illégal comme tel de cultiver, d'importer, de fabriquer, de distribuer et de consommer du cannabis.
Plusieurs options stratégiques vont de cette vaste catégorie incluant le retrait du cannabis du système de justice pénale à un système soigneusement contrôlé d'autorisation à la vente ou à un monopole gouvernemental de la vente au détail et de la production. Les contrôles peuvent aussi inclure l'établissement de prix fixés par la loi et l'application de taxes.
Les avantages de lignes directrices en matière de contrôle englobent la disparition de la plupart des marchés illégaux; des économies de coûts sur le plan social et de l'application de la loi qui pourraient mieux être utilisées pour des drogues dangereuses comme l'héroïne et la cocaïne; un meilleur contrôle de la qualité du produit; et une plus grande sensibilisation aux risques associés à l'usage des drogues.
Figurent au nombre des principaux inconvénients les conséquences d'un usage accru du cannabis, dont une augmentation des dommages pour la santé, le développement et le comportement. Une plus grande consommation de cannabis est considérée comme le coût le plus important de cette solution de rechange. Néanmoins, il est important de se rappeler que les lois actuelles n'ont pas entraîné une diminution de l'usage du cannabis.
La politique actuelle de prohibition de l'usage du cannabis est loin d'avoir atteint son objectif qui était de prévenir l'usage. On ne peut plus soutenir que l'usage du cannabis serait beaucoup plus répandu et ses effets beaucoup plus grands aujourd'hui s'il n'y avait pas eu prohibition.
Il est très facile de se procurer du cannabis malgré la prohibition. En dépit de tous les efforts d'application de la loi, peu importent les conditions, il demeurera facile de se procurer du cannabis. Des lignes directrices en matière de contrôle feraient en sorte qu'il serait encore plus facile de s'en procurer, mais il faudrait mettre en balance les estimations relatives à l'augmentation de l'usage et aux dommages que cela pourrait entraîner et les estimations relatives au coût et aux lacunes de nos lois actuelles. La question consiste essentiellement à savoir si plus de dommages seraient causés. De nombreuses questions demeurent sans réponse. Il y a de nombreuses choses que nous ne saurons pas tant que nous n'aurons pas essayé une approche différente et ce n'est qu'à ce moment-là que nous pourrons faire un choix éclairé.
En conclusion, je crois que les politiques actuelles axées sur la prohibition de l'usage du cannabis et le contrôle de l'offre de cannabis devraient être repensées. L'inefficacité confirmée du contrôle de l'usage au moyen de la prohibition de l'offre et le coût élevé de la mise en oeuvre d'une telle politique font qu'il est très peu probable qu'une politique de prohibition quelconque réussira à réduire l'usage de cannabis bien en deçà des niveaux actuels.
Qui plus est, il semble probable que le gouvernement fédéral devrait songer sérieusement dans un avenir prochain à éliminer les sanctions pénales. C'est pourquoi il faudrait envisager différentes solutions de rechange sur le plan juridique. Il est possible qu'après une étude empirique on s'aperçoive que les solutions de rechange comportent toutes sortes d'inconvénients qui ne résisteraient pas à un examen public.
Le président: Merci, inspecteur Heed, de votre exposé audacieux.
Parlez-vous en votre nom ou en celui de votre service?
M. Heed: Je parle au nom du Service de la police de Vancouver.
Le président: Merci beaucoup.
Le sénateur St. Germain: Monsieur l'inspecteur, j'ai une ou deux petites questions à vous poser. Étant donné qu'actuellement il n'y a presque pas de poursuites intentées dans la région de Vancouver pour possession de petites quantités, comment la situation se compare-t-elle à celle des régions rurales où la loi est appliquée plus strictement? Est-ce que cela ne crée pas un horrible déséquilibre dans l'application de la loi au niveau de la province?
M. Heed: Les poursuites pour possession de cannabis sont plus fréquentes ailleurs en Colombie-Britannique que dans la ville de Vancouver. Il faut examiner la division économique du travail ici à Vancouver et le volume de travail de nos tribunaux. Cela vaut non seulement pour l'appareil judiciaire, mais aussi pour le Service de la police de Vancouver. Nous disposons de ressources limitées; nous les utilisons de la façon jugée appropriée dans les circonstances.
Le sénateur St. Germain: C'est donc deux poids, deux mesures. Il y a un véritable manque d'uniformité d'application. Je ne critique pas ce que vous faites. Je ne fais qu'énoncer un fait. Êtes-vous d'accord?
M. Heed: Je suis d'accord. Je ne pense pas que ce manque d'uniformité soit caractéristique de la Colombie-Britannique; je dirais que la situation est la même partout au Canada.
Le sénateur St. Germain: Il y a le problème des facultés affaiblies. Comme vous le savez, j'étais dans la police. Nous étions toujours pris avec des héroïnomanes et des problèmes de conduite avec facultés affaiblies. S'il y avait légalisation, disposerions-nous aujourd'hui d'une technologie pour vérifier si les gens ont les facultés affaiblies parce qu'ils ont consommé du cannabis? Dans l'affirmative, cette technologie est-elle utilisée actuellement et l'est-elle agressivement?
M. Heed: Il existe une technologie et certains policiers ont reçu une formation pour détecter les drogues et les facultés affaiblies par la drogue. C'est la même chose que pour l'alcool et l'affaiblissement des facultés par l'alcool. Il s'agit essentiellement d'un problème de conduite avec les facultés affaiblies soit par les drogues soit par l'alcool.
Le sénateur St. Germain: Est-ce que les tests sont aussi perfectionnés que pour la conduite en état d'ivresse? Existe-t-il des tests pour une série de drogues?
M. Heed: Je suis désolé. Je ne peux pas répondre à cette question. Je sais seulement qu'il existe une technologie et que les policiers peuvent recevoir une formation. Je ne pourrais cependant pas vous dire en quoi consiste la formation ni en quoi consiste la technologie utilisée.
Le sénateur St. Germain: Appliquez-vous les règlements municipaux sur l'usage du tabac? Je soulève la question au nom du sénateur Kenny, parce que, vous savez, la situation est assez ridicule: on interdit l'usage de la cigarette et on veut intenter des poursuites contre les gens parce qu'ils ont fumé une cigarette, qui engendre une dépendance. Toutefois, comment rationaliser la légalisation de quelque chose d'aussi cancérigène et nuisible? Êtes-vous responsables à Vancouver de l'application du règlement antitabac?
M. Heed: Non. L'application du règlement a été confiée à d'autres employés de la ville. Il n'est pas appliqué par le Service de la police de Vancouver.
Le sénateur St. Germain: Mais ils ont le droit d'arrêter ces gens?
M. Heed: Je ne le pense pas.
Le sénateur Kenny: Inspecteur Heed, votre témoignage m'a paru raisonnable. J'aimerais vous le paraphraser pour voir si j'ai bien compris. Vous dites que ce phénomène existe de toute façon. Les gens consomment de la marijuana à Vancouver et ailleurs. Dans votre cas, à Vancouver, et l'affectation des ressources de la police à ce problème n'est pas rentable.
M. Heed: Non.
Le sénateur Kenny: Je n'ai pas bien compris?
M. Heed: Vous avez raison. Il n'est pas rentable pour nous d'y allouer des ressources pour le moment.
Le sénateur Kenny: Vous avez dit aussi, si je vous ai bien compris, que la société a établi une norme. Elle a déterminé comment elle allait se comporter et vous, en tant qu'agent du gouvernement, avez été envoyé pour amener la société à se comporter différemment de la façon dont elle a choisi de se comporter.
M. Heed: Exact.
Le sénateur Kenny: Ce que vous essayez de dire au comité, c'est que vous aimeriez que les lois soient conformes à la façon dont la société se comporte.
M. Heed: Exact.
Le sénateur Kenny: Je suis tout à fait à l'aise avec ce que vous dites. J'aimerais vous poser une ou deux questions précises pour ensuite faire un bref commentaire sur la cigarette.
Mme Black du club Compassion de la Colombie-Britannique a comparu devant nous ce matin et indiqué dans son témoignage que son organisme avait reçu ce qui semblait être un assez bon appui du service de police ici. Pouvez-vous confirmer cela?
M. Heed: Nous avons examiné les activités du club Compassion et nous en sommes arrivés à la conclusion que ce n'est pas une priorité actuellement sur le plan de l'application de la loi pour le Service de la police de Vancouver. Nous reconnaissons que bien des gens qui fréquentent le club Compassion sont malades. Nous utilisons nos ressources plus judicieusement en nous concentrant sur ce que nous considérons comme les effets plus nuisibles de la consommation de drogues dans la ville de Vancouver.
Le sénateur Kenny: Ma prochaine question est difficile. Du moins, je dirais qu'elle est difficile parce qu'elle m'est souvent posée par des membres de ma famille qui ont de jeunes enfants. Ils me disent - je paraphrase ici - «Kenny, qu'est-ce que c'est que cette étude de la marijuana? J'ai déjà assez de difficulté à élever le petit Jean et ça nous énerve. Cela nous met mal à l'aise que tu sois en train d'étudier cette question avec le comité sénatorial et que tu remues tout. Tu nous compliques l'existence et il est plus difficile pour nous d'élever Jean de la façon dont nous pensons qu'il devrait l'être.» Est-ce que c'est la même chose pour vous et comment réagissez-vous?
M. Heed: Oui. Ce matin, j'ai assisté à une réunion où il a été question de la sensibilisation aux dangers de la drogue. Nous avons discuté de l'éducation antidrogue dans les écoles, c'est-à-dire le programme DARE. La question se pose parfois. L'important, c'est de continuer à sensibiliser nos enfants aux dangers de la drogue, de les convaincre de ne pas y toucher, que nous le fassions à l'école ou par l'entremise d'une autre institution de la société. Nous avons un rôle à jouer. Oui, nous continuons à encourager nos enfants à ne pas prendre de drogue, mais nous devons leur expliquer pourquoi. Nous devons nous assurer de leur donner la meilleure éducation possible à ce sujet, les renseigner sur les effets du cannabis et de l'héroïne. Nous devons leur parler franchement de ce nouveau phénomène à Vancouver - le problème des stimulants de type amphétamine. Nous devons éduquer nos enfants pour qu'ils puissent prendre des décisions éclairées. Les adultes peuvent eux aussi prendre des décisions éclairées quant à ce qu'ils aimeraient qu'on enseigne à leurs enfants.
Le sénateur Kenny: Cela m'amène à une question dont je discutais ce matin avec le maire et qui avait à voir avec DARE et avec ce qui se fait dans les classes. C'est la question de savoir qui communique le message. Le message n'est pas nécessairement mauvais, mais le messager peut parfois avoir une grande importance pour le destinataire. Qu'on soit sénateur, policier ou enseignant, les enfants nous voient sous un certain éclairage et nous ne sommes peut-être pas les bons messagers. Avez-vous des vues là-dessus?
M. Heed: Les études que j'ai lues au sujet du programme DARE - et il s'agit de recherches américaines et non canadiennes - indiquent que le programme est efficace dans la mesure où il est offert par un policier, une personne en situation d'autorité.
Je ne suis pas de cet avis. Nous avons discuté de la question avec le service de police, avec notre commission scolaire. Nous avons demandé si le programme devrait faire partie du curriculum de l'arrondissement scolaire de Vancouver ou si nos policiers devraient l'offrir dans les écoles. D'après les recherches américaines, le programme devrait être offert par un policier.
À l'heure actuelle, étant donné les problèmes avec lesquels nous sommes aux prises dans les établissements scolaires du centre de la ville, je n'ai que trois agents DARE dans la ville de Vancouver qui peuvent donner ce cours à nos élèves.
Le sénateur Kenny: Des études empiriques ont fait ressortir qu'en Floride et au Minnesota, il y a eu une augmentation de la consommation chez les jeunes lorsque le message venait d'un symbole d'autorité. Lorsque ce sont des jeunes qui transmettent le message, on obtient de meilleurs résultats qu'avec les adultes.
Mon commentaire à propos de la cigarette, c'est simplement que le taux de mortalité qui y est relié est beaucoup plus élevé que dans le cas de la marijuana. Je pense qu'il y a une différence importante pour ce qui est des risques pour la santé entre les deux drogues, un point c'est tout. Merci, monsieur l'inspecteur. J'ai trouvé votre témoignage intéressant.
Le sénateur Jaffer: Ce matin, le maire a parlé des utilisateurs et des vendeurs de drogues. Vous avez dit, je crois, que la majorité des utilisateurs qui vont au club Compassion sont malades. J'aimerais avoir vos vues sur les utilisateurs et les vendeurs - parce que la différence entre les deux est mince. Qu'en pense votre service?
M. Heed: Les ressources de la section antidrogue que je déploie visent tous ceux qui tirent un profit de la vente de drogues, que ce soit des trafiquants ou des gens qui cultivent et produisent leur propre cannabis.
Pour ce qui est des drogues dangereuses, nous sommes d'avis que les toxicomanes, qu'ils prennent de l'héroïne, du crack, du rock, des dérivés de la cocaïne ou des amphétamines, devraient être examinés et traités en dehors du système d'application de la loi. Ces gens ont besoin d'aide; on devrait les diriger vers des organismes qui ont une expérience de la prestation de soins de santé et ainsi de suite. Ces gens ne devraient rien avoir à voir avec la police.
Je concentre mes ressources sur ceux qui font des profits, pas sur les toxicomanes. Nous aimerions que d'autres systèmes les prennent en charge dans notre société.
Le sénateur Jaffer: Je crois savoir - et vous pouvez me corriger si je me trompe - que la plus grande partie des fonds est consacrée à l'application de la loi et une certaine partie à la prévention, au traitement et à la réduction des méfaits. Est-ce qu'une partie du budget du Service de la police de Vancouver est consacrée à une de ces trois choses?
M. Heed: Une partie des sommes dont nous disposons pour l'application de la loi va à l'éducation et à la prévention, mais le pourcentage n'est pas élevé. Vous avez raison de dire que la plus grande partie de mon budget est affectée à l'application de nos lois sur les drogues au Canada.
Notre tâche consiste avant tout à appliquer la loi. Nous jouons un rôle important à cet égard et un rôle un peu moins important pour ce qui est des trois autres piliers. Nous ne nous attendons pas à ce que quelqu'un d'autre joue un rôle aussi important dans l'application de la loi.
Le sénateur Carney: Monsieur l'inspecteur, j'aurais une question supplémentaire à ajouter au résumé que le sénateur Kenny a fait de votre témoignage, parce que j'en ai manqué une partie. Lorsqu'il vous a demandé s'il fallait faire en sorte que les lois soient conformes au comportement de la société, vous avez répondu oui. Quelle distinction faites-vous?
Bien des jeunes ne boivent pas. Pour utiliser une analogie, il y a des jeunes de 12 et 13 ans qui boivent de la bière, mais il y a bien des jeunes qui ne boivent pas, parce qu'ils n'ont pas l'âge voulu. C'est la même chose pour la conduite en état d'ébriété. Il y a bien des gens qui prennent le volant quand ils sont ivres, mais il y a bien des gens aussi qui ne le font pas à cause des lois. Quand j'entends un agent de police dire que nous devons faire concorder les lois avec le comportement de la société, je me demande toujours jusqu'où il faut aller.
M. Heed: Il est difficile de savoir où, comme service de police, il faut s'arrêter. Notre conduite nous est dictée par les tribunaux. Le Parlement fait des lois et nous les appliquons. Il est donc difficile de dire, du point de vue de l'application de la loi, où il faut s'arrêter.
Je vous ai présenté quatre solutions de rechange et je vous ai indiqué les avantages et les inconvénients de chacune. Vous pouvez en conclure que c'est là que je m'arrêterais, mais il est difficile pour moi de dire où il faut s'arrêter même si nous jouissons d'une grande marge de manoeuvre pour ce qui est de l'application de nos lois.
Le sénateur Carney: Notre dilemme c'est que, dans bien des cas, la Cour suprême donne des lois une interprétation différente de celle que nous avions imaginée et il y a aussi des gens qui, pour de bonnes raisons évidemment, appliquent les lois d'une manière qui en fait en affaiblit certaines. Nous sommes élus au Parlement pour légiférer et il est difficile pour nous d'essayer d'adopter des lois qui soient respectées par la société. Si j'étais vous, je ferais très attention à ce que je considère comme un comportement dans le cas duquel la loi ne peut pas être appliquée.
M. Heed: Je vais vous laisser fixer des limites vous-mêmes.
Le président: Monsieur l'inspecteur, j'ai une question à laquelle il ne vous est pas nécessaire de répondre cet après-midi, parce qu'il faudrait un tableau quelconque. Nous voudrions savoir quelle est l'organisation de votre division au sein de la police de Vancouver - comment elle est structurée administrativement pour s'attaquer au problème des drogues. Pourriez-vous nous fournir cette information?
Mon autre question, plus précise, est la suivante: Quels sont vos rapports avec la GRC ici?
M. Heed: Comme vous le savez, la ville de Vancouver comme telle est sous la surveillance du Service de la police de Vancouver. Il nous arrive d'avoir des opérations policières conjointes avec comme principal partenaire la GRC et il peut arriver que d'autres services de police municipaux travaillent avec nous. La GRC compte des agents fédéraux des drogues qui sont affectés à ma section. Ils travaillent à un niveau plus élevé, ce que j'appelle les opérations de moyenne envergure en montant.
Le président: Ce serait le trafic?
M. Heed: Oui, mais nous allons du niveau de la rue à ce niveau plus élevé et c'est là qu'ils concentrent leurs efforts. Nous avons réorienté nos efforts au sein du Service de la police de Vancouver vers le commerce au grand jour de la drogue ici dans la ville de Vancouver pour pouvoir régler certains des problèmes qui se posent au niveau de la rue pour ensuite monter jusqu'au niveau le plus élevé possible.
Le président: Quels sont vos rapports avec les procureurs de la Couronne étant donné que vous avez indiqué tout à l'heure que vous ne faisiez pas respecter la loi pour possession de quelque drogue que ce soit en petite quantité?
M. Heed: Tout dépend des circonstances, mais, généralement parlant, nous ne portons pas d'accusations pour possession simple, peu importe la drogue, à moins qu'il y ait des circonstances atténuantes.
Le sénateur St. Germain: Dans le cas de l'héroïne et de n'importe quelle autre drogue?
M. Heed: Oui.
Le président: J'aimerais que nous parlions des «raves». Quelle est l'attitude de votre division? A-t-on besoin d'un permis pour organiser un «rave»?
M. Heed: Oui, il faut un permis de la ville pour organiser un «rave» légal à Vancouver.
Le président: Quelles sont les conditions d'un tel permis?
M. Heed: Nous avons des policiers qui siègent à comité qui étudie si quelqu'un pourra obtenir un permis pour organiser un «rave» à Vancouver. Tout dépendant de l'importance du «rave», nous avons aussi des policiers qui surveillent la foule.
Le président: Ces policiers connaissent-ils la drogue? Quand je dis connaître, je veux dire pas seulement l'aspect criminel, mais aussi l'aspect plus scientifique.
M. Heed: Il s'agit de patrouilleurs. Ce ne sont pas des spécialistes des drogues. Ils doivent leur expérience aux fonctions qu'ils ont pu avoir à exercer dans ce secteur. Ils n'ont pas reçu de formation sur ce que vous appelez l'aspect scientifique des drogues.
Le président: Ils n'ont aucune formation de conseillers?
M. Heed: Non.
Le président: Voulez-vous parler du travail de la police dans les écoles?
M. Heed: La plupart des écoles secondaires de Vancouver ont des agents de liaison avec l'école - des agents de police qui travaillent dans cette école secondaire et toutes les écoles qui l'alimentent. Nous avons deux autres policiers qui s'occupent exclusivement des écoles élémentaires du centre-ville, ce qui fait en tout 15 policiers pour le système scolaire.
Ils ont toutes sortes de fonctions qui vont de leur seule présence physique à l'application des lois. Leurs fonctions englobent tout ce qui a à voir avec les programmes d'éducation offerts par le service de police. Comme je l'ai dit, les trois agents DARE que nous avons formés sont des agents de liaison avec les écoles.
Le président: Y a-t-il beaucoup de trafic de stupéfiants dans les écoles secondaires de Vancouver?
M. Heed: Nous avons entendu dire qu'il se faisait de la contrebande. Je ne peux pas vous donner d'idée de l'ampleur du problème pour le moment, pour la bonne raison que je n'en sais rien. Nous avons de l'information selon laquelle il y aurait commerce de la drogue dans nos écoles, mais certainement pas à la même échelle que dans la rue ici à Vancouver. Le commerce au grand jour de la drogue se fait surtout dans le secteur est du centre-ville, le quartier qu'on appelle Downtown Eastside.
Le sénateur St. Germain: Monsieur l'inspecteur, comme vous le savez, nous avons un voisin au sud. S'il y avait légalisation, que se passerait-il selon vous si nos voisins américains maintenaient le statu quo?
Le président: Ce n'est probablement pas le bon témoin à qui poser cette question. Il pourrait peut-être nous parler des rapports qu'il entretient avec ses collègues au sud de la frontière.
Le sénateur St. Germain: Je pense qu'il est assez expérimenté et intelligent pour répondre. J'ai été dans la police moi aussi et je sais à quel point ces gars-là sont futés. Nous travaillons en collaboration assez étroite avec les Américains. Je vais donc vous demander quel impact la légalisation aurait sur ces rapports.
M. Heed: Le narcotourisme pose toujours un problème, que ce soit de l'autre côté d'une frontière internationale ou d'une frontière provinciale. C'est une chose qu'il faudra examiner. J'en ai discuté avec des agents de police américains et ils sont tout à fait contre. Je suis pris entre les deux. Ils mettent l'accent sur la réduction de l'offre. Je mets quant à moi l'accent sur la réduction de la demande et de l'offre.
Le sénateur St. Germain: Combien de temps avez-vous travaillé dans la rue?
M. Heed: Combien - avant quoi?
Le sénateur St. Germain: Avant de devenir inspecteur.
M. Heed: Vingt et un ans.
Le sénateur St. Germain: Vingt et un ans. Comme vous le savez, j'ai été patrouilleur moi aussi, dans le coin de Grant MacDonald, Spencer et ainsi de suite, à la hauteur des numéros 100. Dans le temps, bien des jeunes qui consommaient des drogues douces finissaient par prendre de l'héroïne et d'autres drogues dures. Est-ce que la société a changé au point où nous pouvons maintenant parler d'un comportement de société? Je sais que la société a changé et que tout change. Ce qui m'inquiète, c'est que nous prenions une décision en fonction d'économies d'échelle au lieu de tenir compte des risques pour la santé et des dangers que cela pourrait comporter. C'est inquiétant.
J'ai quitté la rue en 1966. Je ne sais pas à quel point les choses ont changé, mais je sais qu'à l'époque plusieurs jeunes de 15 ou 16 ans venaient faire un tour dans le quartier et, avant qu'on ait eu le temps de faire ouf, ils se piquaient à l'héroïne comme les autres. J'aimerais avoir vos commentaires, s'il vous plaît.
M. Heed: Je ne pense pas que ce soit une pratique répandue. Nous avons entendu l'argument selon lequel la marijuana est une drogue d'introduction à des drogues dangereuses. Pas d'après mon expérience. Quand on se promène à Vancouver, on s'aperçoit qu'il y a des endroits où les gens achètent et fument leur mari et il n'y a pas beaucoup de problèmes. On va quelques rues plus loin et il y a des gens qui fument de la cocaïne épurée, du rock ou du crack, s'injectent de l'héroïne. On peut voir les problèmes d'ordre social que cela cause.
Quant à savoir si la marijuana est une drogue d'introduction à des drogues dangereuses, il ne faut pas oublier que dans le monde clandestin, bien des gens qui vendent, produisent ou cultivent de la marijuana se livrent aussi à d'autres activités criminelles et feraient n'importe quoi pour faire des profits - quitte à en utiliser une partie pour acheter de la cocaïne ou de l'héroïne qu'ils vendront dans nos communautés.
Les membres du crime organisé qui vendent de la marijuana et qui représentent 85 p. 100 du marché ne vendent pas uniquement de la mari. Ils vendent tout ce qui peut être payant pour eux de sorte que si celui qui consomme de la mari est continuellement en contact avec eux il y a des chances qu'il finisse par être exposé à une drogue dangereuse, tout simplement parce que c'est ce que le trafiquant vendra à ce moment-là.
Le sénateur St. Germain: Je vois ce que vous voulez dire. Il y a un groupe au sein de la société qui fume de la marijuana et qui continuera à en fumer; puis, il y a les autres.
Parlons des enfants qui vont dans des «raves». Ne pensez-vous pas qu'il y a là un risque que la consommation de marijuana affaiblisse leur résistance et les amène à consommer d'autres drogues comme les amphétamines et l'ecstasy?
La société est composée de toutes sortes de groupes. Il y a des gens qui fument du «pot» assis chez eux et qui ne dérangent jamais personne; ils se contentent de fumer leur «pot». Il y a aussi le segment du centre-ville à l'est des numéros 100 et sur Granville. Puis, il y a les enfants d'école. Ils vont prendre de l'alcool, de la mari, essayer ceci ou cela. Nos inhibitions et notre résistance sont mises à l'épreuve quand nous sommes en état d'ivresse. Pouvez-vous répondre à cette question ou est-ce que je vous mets mal à l'aise?
M. Heed: Vous ne me mettez pas mal à l'aise. Nous ne devons pas oublier que, quoi qu'il arrive, oui, ces gens vont essayer. Je suis certain qu'il y a des gens ici qui ont fumé de la mari quand ils étaient jeunes. Je n'en ai jamais pris et je n'ai pas l'intention d'en prendre, mais j'ai bu avant d'être en âge de boire. Je voulais savoir ce que ça faisait et je bois encore aujourd'hui. J'ai l'intention de continuer à boire un verre de temps à autre.
Tout dépend des choix qu'on fait comme individu. On a parfois plus d'inhibitions et parfois moins quand on a bu quelques verres. Je ne pense pas qu'en fumant de la marijuana ou en prenant une autre drogue on soit nécessairement sur une mauvaise pente. J'espère avoir réussi à répondre à votre question.
Le président: Merci beaucoup, inspecteur Heed, de votre témoignage. Nous allons demeurer en contact. Vous allez nous envoyer la documentation que nous vous avons demandée?
M. Heed: Oui.
Mme Nichola Hall, présidente, From Grief to Action: Je suis présidente de From Grief to Action, une association de parents et amis d'usagers de drogues. J'ai deux fils, qui ont maintenant 24 et 21 ans - un d'eux est dans la salle ici - qui sont aux prises avec l'héroïne et la cocaïne depuis qu'ils sont adolescents. Ils suivent actuellement tous les deux un traitement d'entretien à la méthadone. C'est difficile, mais ils essaient de s'en sortir.
Je fais partie d'un groupe de parents et de familles qui ont des enfants qui sont actuellement aux prises avec un problème de dépendance aux drogues dures, à l'héroïne et à la cocaïne. Je pense que nous représentons la pointe d'un iceberg à Vancouver et dans tout le Canada probablement - des parents, des familles et des amis de personnes qui font usage de drogues illicites, mais qui viennent d'une bonne famille, qui ont été aimées et qui ont vécu confortablement. La plupart des familles dans cette situation ont tellement honte et se sentent tellement coupables qu'elles n'osent pas en parler. Il est difficile pour elles d'exprimer leur anxiété, leur peine et leur sentiment d'impuissance.
Cependant, lorsque certains d'entre nous ont eu l'idée de mettre sur pied un groupe de soutien et que nous nous sommes réunis à l'église pour parler de nos sentiments, nous avons décidé que nous devrions faire quelque chose. Nous avons tenu une réunion publique à brève échéance. Nous attendions alors 50 personnes; il en est venu 150. Depuis, nous avons reçu des centaines d'appels téléphoniques, de courriels et de lettres de gens qui disent qu'ils sont dans la même situation que nous.
Je suis certaine que vous connaissez tous le Downtown Eastside à Vancouver - l'infâme quartier de notre ville où un si grand nombre de toxicomanes finissent par se retrouver. Ce que vous ne savez peut-être pas, c'est à quel point le problème des drogues illicites dures est répandu dans notre ville. Il est épouvantable de voir à quel point il est facile de se procurer de l'héroïne, de la cocaïne et du crack dans cette ville et partout en banlieue aux portes de chaque école secondaire pour une bouchée de pain.
Nous voulons changer les stéréotypes, que les gens arrêtent de penser que tous les toxicomanes ont été victimes d'abus et ont été rejetés par leurs familles. Nous voulons que les gens sachent que n'importe qui peut devenir toxicomane.
Comme parents et amis des usagers de drogues, nous sommes sur la ligne de front. Nous sommes très heureux que vous nous ayez invités à prendre la parole devant le comité. Nous espérons que vous examinerez toute la gamme des drogues illicites. Comme groupe, nous ne sommes pas préoccupés par la marijuana. Ce sont les drogues dures - l'héroïne et la cocaïne - qui reçoivent toute notre attention.
Cela dit, un grand nombre de nos enfants ont fini par prendre des drogues dures en commençant par fumer de la marijuana. Ils ont aussi fait usage d'alcool et de tabac, et le fait que cela soit légal ou non semble n'avoir rien changé.
À notre avis, la solution au problème est de ne pas considérer les toxicomanes comme des criminels. Nous estimons que personne ne devrait avoir à envisager la perspective de sanctions pénales pour possession de drogue de consommation personnelle. Les sanctions pénales n'ont jamais dissuadé les jeunes de faire l'expérience des drogues. De telles sanctions ne veulent rien dire quand des enfants qui sont trop jeunes pour être assujettis à la Loi sur les jeunes contrevenants font connaissance avec la drogue.
On pourrait et on devrait faire beaucoup plus sous la forme de programmes de prévention et de traitement efficaces. Tous les changements apportés au régime juridique actuel doivent être accompagnés d'un engagement à financer l'éducation préventive. Et je pense qu'Art Steinmann va vous en parler. L'autre chose que nous trouvons tellement importante, c'est le traitement. Il y a un manque effrayant de programmes de traitement.
Nous reconnaissons que les jeunes font partie d'une catégorie spéciale. Si la possession de marijuana ou d'autres drogues par les adultes est décriminalisée ou légalisée, il faudra quand même essayer de restreindre l'accès des jeunes aux drogues. La consommation d'alcool par des mineurs est une infraction qui devrait le demeurer, mais ce n'est pas un crime et la possession de marijuana ne devrait pas en être un non plus.
Ce sont les trafiquants, surtout les trafiquants non toxicomanes qui s'en prennent à des enfants vulnérables, qui devraient soutenir tout le poids du système de justice pénale. Nous nous demandons pourquoi n'importe quel trafiquant devrait se voir imposer une peine inférieure à la peine de quatre ans prévue pour ceux qui commettent des infractions avec des armes à feu quand on sait que les drogues sont tout aussi mortelles.
J'ai un exposé de principe de mon groupe que j'aimerais vous présenter brièvement. Mon fils aurait quelque chose à vous dire lui aussi, après quoi nous pourrions répondre à vos questions.
Le but premier de notre organisation est de promouvoir la reconnaissance de l'usage des drogues comme une question de santé. Nous considérons que l'usage des drogues est avant tout une question de santé et qu'il ne devrait pas être considéré comme une question criminelle, et cela inclut toutes les drogues, de la marijuana jusqu'au crack.
Nous voulons sensibiliser le public aux besoins et aux préoccupations des usagers de drogues et de leurs familles et essayer de mettre fin aux stéréotypes et à la marginalisation. Nous croyons que ce n'est pas seulement l'usage de drogues qui pose un problème; c'est la façon dont nous traitons celui qui en fait usage qui continue à faire régner un climat de discrimination.
Notre groupe offre un soutien aux familles et aux amis des usagers de drogues. Nous trouvons que cet aspect de la situation est assez souvent laissé de côté, qu'on se concentre sur les jeunes usagers de drogues eux-mêmes et pas sur toute la structure familiale, qui est touchée elle aussi.
Nous sommes en faveur de programmes éducatifs conçus pour prévenir l'abus des drogues et promouvoir l'abstinence comme idéal, mais nous pensons que les mots ne suffisent pas. Nous faisons la promotion d'activités qui permettent d'offrir toute une gamme de programmes adaptés aux différents âges qui abordent la question des drogues d'une manière réaliste et efficace sans qu'aucun jugement ne soit porté.
Notre groupe se bat pour que soient établis à l'intention des usagers de drogues des programmes complets de soins qui répondent à leurs besoins en matière de réduction des méfaits, de désintoxication, de traitement et de réadaptation pour qu'ils puissent vivre des vies saines et productives.
Nous déplorons le terrible manque d'installations de désintoxication et de traitement dans notre province. Vancouver est aux prises avec un des pires problèmes de drogues au Canada et nous sommes à peu près les plus mal nantis pour ce qui est du traitement et de la désintoxication.
Le nombre de morts par overdose dans le Downtown Eastside est effarant. Nous sommes en faveur de toutes les mesures de réduction des méfaits. Nous ne voulons pas que nos enfants meurent quelque part dans une allée sombre de sorte que nous sommes en faveur de tout ce qui peut les aider, de l'échange d'aiguilles à des locaux sûrs pour l'injection. Nous sommes en faveur des modèles européens qui ont été couronnés de succès en Suisse et en Hollande.
Nous voudrions que des changements soient apportés aux lois et aux politiques pour améliorer la vie des usagers de drogues et de leurs familles et mettre un frein aux poursuites criminelles pour possession de drogues de consommation personnelle. Les sanctions pénales traditionnelles n'ont pas réussi à prévenir l'usage des drogues. Elles ne contribuent pas à guérir la toxicomanie et risquent, en marginalisant encore davantage les usagers de drogues, de nuire à leurs tentatives de réadaptation.
Nous sommes à Vancouver et je suis certaine que vous connaissez l'approche à quatre piliers et l'Accord de Vancouver. Nous reconnaissons aussi qu'il faudrait aborder les problèmes qui se posent à l'échelle de la province. Nous exhortons les trois paliers de gouvernement à investir les ressources nécessaires pour pouvoir respecter les engagements pris le plus rapidement possible.
Je ne sais pas si vous voulez me poser vos questions d'abord ou si vous aimeriez entendre ce que mon fils a à dire.
Le président: Nous aimerions entendre le témoignage de votre fils.
M. Ross Hall: J'aimerais vous dire quelques mots au sujet de mon expérience personnelle. J'ai commencé à fumer de la marijuana lorsque j'avais 16 ans et j'ai commencé à prendre de l'héroïne quand j'en avais 19. J'ai fréquenté quelques centres de traitement, mais j'ai fini par commencer à suivre un traitement d'entretien à la méthadone. Je suis ce programme depuis un an et demi. Je lutte toujours contre ma dépendance à la cocaïne.
J'aimerais revenir sur certaines des choses que ma mère a dites à propos de la prévention et à propos aussi de la réadaptation et du traitement des toxicomanes. Il faudrait arriver à mieux sensibiliser les enfants dans les écoles, leur parler des dangers de l'usage des drogues et avoir une meilleure communication entre les enseignants et les parents.
Pour ce qui est de la légalisation de la marijuana, les autorités chargées de l'application des lois devraient concentrer leurs efforts sur le trafic des drogues dures plutôt que sur la marijuana. Il y aurait aussi moins de stigmates autour de l'usage de la marijuana si elle était considérée comme une drogue licite; les usagers se sentiraient moins isolés et moins ostracisés.
Le président: Merci.
Le sénateur St. Germain: Vous avez dit, madame Hall, qu'il faut protéger les enfants et Ross vient de dire qu'il a commencé à consommer de la marijuana à l'âge de 16 ans.
Étiez-vous ici quand j'ai interrogé l'inspecteur Heed?
Mme Hall: Oui.
Le sénateur St. Germain: J'ai vécu dans ce quartier quand j'étais policier - où j'ai travaillé en partie en civil et en partie en uniforme. Je peux comprendre les problèmes que la police éprouve, les économies d'échelle et l'incapacité d'appliquer la loi. Ce qui me préoccupe, cependant, c'est la protection de nos enfants. Comment protégeons-nous ces enfants si nous permettons la légalisation d'une chose qui semble être un point de départ?
Mme Hall: Avez-vous des enfants?
Le sénateur St. Germain: Oui. Je n'ai peut-être pas vécu des moments aussi difficiles que vous, mais j'ai quand même traversé des périodes difficiles.
Mme Hall: Alors vous savez, comme parent, à quel point il est difficile d'empêcher des adolescents de faire quelque chose qu'ils veulent faire. Vous savez, si un adolescent décide de s'adonner à une activité illégale, à part l'attacher dans son lit, il n'y a pas grand-chose qu'on puisse faire. La réponse a peut-être davantage à voir avec l'éducation, mais je dirais que mon mari et moi, comme la plupart des membres de notre groupe, croyons que nous avons donné à nos enfants la meilleure éducation possible. Nous avons essayé de leur inculquer des valeurs, nous avons essayé de leur donner des mécanismes d'adaptation, mais ça n'a pas fonctionné.
Je pense que tous les jeunes qui sont aux prises avec ce problème ont commencé par consommer du tabac, de l'alcool et de la marijuana. Le tabac et l'alcool ne sont pas illégaux. Ils le sont quand on n'a pas l'âge d'en consommer, mais cela n'empêche pas les enfants d'y avoir accès. Le fait que la marijuana soit illicite ne changera absolument rien. Je pense que mon fils vous dira probablement qu'il était plus facile pour lui de se procurer de la mari que de l'alcool quand il n'était pas en âge de boire, parce que l'alcool est réglementé et contrôlé tandis qu'on peut acheter de la marijuana à tous les coins de rue.
Le policier qui m'a précédée a dit que bien sûr le crime organisé est mêlé au trafic de la marijuana. C'est le même crime organisé qui fait le trafic de l'héroïne et de la cocaïne. Il y a donc un lien direct entre ces drogues. Si la marijuana demeure une drogue illicite vendue illégalement dans la clandestinité, un lien direct continuera à exister avec les gens qui font le commerce des drogues dures.
Le sénateur St. Germain: Ross, avez-vous des commentaires à faire? Je n'ai jamais fumé de marijuana et je ne me considère pas pour autant comme supérieur à qui que ce soit, mais ça ne m'est jamais arrivé. J'ai bu et je continue à boire un verre de temps à autre et, comme l'inspecteur l'a dit, nos inhibitions ne sont pas les mêmes quand on a bu. Ne pensez-vous pas que si vous n'aviez jamais consommé de marijuana, vous n'auriez peut-être jamais consommé d'héroïne?
M. Hall: Oui, c'est ce que je pense. Je pense que la marijuana a abaissé mes défenses mentales, m'a aidé à surmonter certains des obstacles psychologiques rattachés à l'héroïne. La marijuana m'a aussi rendu apathique et m'a démotivé. Je ne pouvais pas penser rationnellement aux dangers et aux conséquences de l'héroïne et c'est pourquoi je dirais qu'il y a un lien direct. Il est beaucoup plus facile pour les enfants de se procurer de la mari que d'attendre en face d'une régie que quelqu'un arrive et veuille bien acheter de l'alcool pour vous. La marijuana est courante dans toutes les écoles.
Je connais un trafiquant qui vend de la marijuana, de l'héroïne et de la cocaïne. Je ne sais pas si c'est la même chose pour tous les trafiquants, probablement que non, mais il y en a quelques-uns qui commencent par vendre de la mari et une fois que l'usager en est fatigué, ils lui offrent de l'héroïne.
Le sénateur St. Germain: Madame Hall, vous avez un fils courageux. Il lui a fallu beaucoup de courage pour venir ici et nous dire tout cela.
Mme Hall: Je suis d'accord.
Le sénateur St. Germain: Vous n'avez rien à vous reprocher comme mère.
Mme Hall: Merci.
Le sénateur St. Germain: Je vous remercie du fond du coeur d'être venus nous rencontrer.
Mme Hall: Vous êtes très gentil de me dire cela. Merci. Je suis très fière de lui moi aussi.
Le sénateur Lawson: Il parle en notre nom à tous.
Le sénateur Kenny: Oui. J'ai été un peu surpris de vous voir arriver parce que vous pourriez être mon fils. J'ai un fils de 21 ans qui est blond et qui ressemble à un joueur de football. Faites-vous du sport?
M. Hall: Pas depuis un bout de temps. J'avais l'habitude de jouer au soccer et au hockey en salle. Je skiais aussi.
Le sénateur Kenny: Quand avez-vous arrêté?
M. Hall: Je continue à skier, mais j'ai arrêté de jouer au soccer il y a environ trois ans. J'ai arrêté de jouer au hockey il y a maintenant deux ans et demi.
Le sénateur Kenny: Pouvez-vous nous dire comment c'était? Pouvez-vous nous dire ce qui est arrivé, ce qui vous a intéressé en premier, qui vous a persuadé?
M. Hall: Oui. Je me sentais isolé à l'école, un peu rejeté. La marijuana est devenue mon amie. On avait diagnostiqué chez moi un trouble déficitaire de l'attention et j'éprouvais donc déjà des problèmes d'apprentissage et des problèmes de mémoire. Je pense que j'ai utilisé la marijuana comme médicament et ça m'a soulagé. Cette drogue a eu un effet chimique psychologique chez moi; je me sentais mieux et j'en arrivais à oublier l'ostracisme de mes copains.
Toutes les drogues arrêtent de fonctionner à un moment donné. Elles cessent d'être une solution et habituellement des changements biochimiques se sont déjà produits. L'activité mentale a déjà été perturbée. On croit dans son subconscient que la drogue peut nous apporter un soulagement et c'est l'escalade vers l'héroïne et la cocaïne. Plus je consommais, plus le rituel prenait de l'importance dans mon subconscient. Je me racontais des mensonges et les idées, les sentiments, qui m'envahissaient dominaient ma pensée et m'empêchaient d'écouter ma logique qui me disait que c'était insensé.
Le sénateur Kenny: Vous avez dit que vous vous sentiez ostracisé. Quand vous avez commencé à consommer des drogues, vous êtes-vous fait de nouveaux amis?
M. Hall: Non, en fait, je consommais souvent seul. J'avais un ami qui en prenait parfois avec moi. Je sais que certains jeunes peuvent entrer dans des groupes quand ils consomment et qu'ils ont l'impression de faire partie de cette sous-culture.
Le sénateur Kenny: Avez-vous commencé à chercher d'autres drogues après la marijuana ou d'autres personnes vous ont-elles encouragé à essayer d'autres drogues?
M. Hall: C'est mon frère plus âgé qui m'a fait connaître l'héroïne. Je pense que je suis toxicomane aujourd'hui parce que je vivais dans cet environnement. Après que des substances ont eu un effet psychologique et quand on sait qu'il est possible de s'en procurer, il devient très facile d'essayer des drogues dures.
Le sénateur Kenny: Que diriez-vous aujourd'hui à d'autres jeunes?
M. Hall: Je leur dirais qu'ils ne sont pas invincibles. Ils ne peuvent pas jouer avec ces drogues et croire qu'elles ne leur voleront pas leur vie comme elles m'ont volé la mienne. Je leur dirais d'utiliser leur bon sens, plus que n'importe quoi d'autre, d'essayer de réaliser leurs ambitions et de croire davantage en eux-mêmes.
Le sénateur Kenny: Vous essayez d'arrêter de consommer des drogues?
M. Hall: Oui.
Le sénateur Kenny: Parlez-nous un peu des défis que vous avez à relever.
M. Hall: Eh bien, chaque jour - ça ne fait que deux semaines que je n'ai pas pris de cocaïne. Chaque jour, je me sens tendu au point où je sens que je vais éclater. Mon cerveau me renvoie constamment des images des drogues, j'ai dans la bouche le goût de la cocaïne et je me mets à transpirer. Mon cerveau me dit que je me sentirais mieux si j'en prenais. Ce n'est qu'à force de détermination et en écrivant tout ce que mon cerveau me dit et en invoquant toute sorte d'arguments jusqu'à ce que j'arrive à une décision rationnelle que je peux continuer à m'abstenir. Tant que j'ai ça dans la tête, c'est plus puissant que mon propre cerveau et mon pouvoir de raisonnement. Il suffit parfois que j'entre dans une salle de bain. Parce que j'étais un utilisateur de drogue intraveineuse, la seule vue d'une ceinture ou d'un autre objet du même genre me rappelle d'intenses souvenirs et me donne envie de recommencer.
Je dois me battre tous les jours, mais je dois vous dire que je me sens bien. Je me sens bien parce que je me rends compte que je suis en train de reprendre ma vie en main, que je ne vais pas laisser les substances me ravager. J'ai beaucoup de potentiel, j'ai du talent et je sais que je vais m'en sortir. Chaque jour, je vais à des réunions d'entraide, mais je crois que le gouvernement doit mettre plus de programmes en place - pas seulement des programmes pour AA, mais aussi des programmes d'encouragement. Nous avons besoin de programmes pour occuper les adolescents et les enfants, parce que l'ennui est souvent un déclencheur important.
Le sénateur Lawson: Je suis certain que je n'ai pas besoin de vous dire cela, mais si vous regardez à votre gauche, vous verrez que votre mère vous aime beaucoup et qu'elle est très fière de vous. Le comité est très impressionné que vous soyez ici aujourd'hui.
M. Hall: Merci.
Mme Hall: J'aimerais ajouter qu'il dit des choses très positives pour le moment, mais cette lutte dure depuis quatre ou cinq ans. Même s'il prend de la méthadone, il continue à consommer de la cocaïne et il veut désespérément rompre cette habitude. Je ne pense pas que qui que ce soit puisse arriver à comprendre à quel point c'est difficile. Même si on paraît parfois rationnel, intelligent et sain, la toxicomanie prend le dessus et tout est foutu.
Le sénateur St. Germain: Votre fils vit-il chez vous à l'heure actuelle?
Mme Hall: Oui, il vit chez nous pour le moment.
Le sénateur St. Germain: Y a-t-il un endroit ici en Colombie-Britannique où vous pourriez le placer pendant la difficile période qu'il vit actuellement?
Mme Hall: La réponse à cette question est non. Il y a dans toute la Colombie-Britannique deux centres de traitement du gouvernement où est offert un programme d'un mois à l'intention des alcooliques. Ce programme est tout à fait inutile pour les héroïnomanes et les cocaïnomanes.
Tous ceux qui ont une dépendance à l'héroïne ou à la cocaïne ont besoin d'un an dans un centre de traitement puis d'un traitement de réadaptation par la suite. Il y a un centre de traitement privé, Edgewood, qui est très coûteux. Le programme ne dure que six semaines et on n'accepte que ceux dont on est convaincu qu'ils réussiront. Ils le savent quand ils entrent. On met les gens à la porte au milieu du traitement s'ils n'ont pas l'air d'aller très bien, parce que ce n'est pas très bon pour les statistiques.
Le sénateur Carney: Jusqu'à ce que je vous entende parler, Ross, de votre expérience du passage du «pot» à des drogues plus dures, je dois dire que j'avais plus ou moins tendance à penser que la décriminalisation du «pot» était peut-être la meilleure solution. Je pensais qu'il fallait séparer les deux. Cependant, votre témoignage fait clairement ressortir - et je l'ai entendu dire ailleurs - qu'une drogue mène à une autre, plus forte. Est-ce que cela contredit la position que vous-même et votre mère avez défendue lorsque vous avez dit que la décriminalisation de la marijuana ne changerait rien?
Laissez-moi poser à Ross une question très simple. À en juger par votre expérience, décriminaliseriez-vous la marijuana?
M. Hall: Oui.
Le sénateur Carney: Pourquoi?
M. Hall: Je sais que cela peut paraître contradictoire. Je pense que si la marijuana était légalisée, on pourrait la réglementer beaucoup plus facilement. Parce que c'est une drogue illicite à l'heure actuelle, il est en fait beaucoup plus facile pour les enfants de s'en procurer en cachette de leurs parents, ce qui peut les amener à consommer des drogues plus dures. Je parle par expérience. Je pense que j'étais probablement prédisposé dès le départ à devenir héroïnomane et cocaïnomane.
Certaines personnes peuvent consommer de la marijuana parce qu'elles souffrent du cancer ou d'une autre maladie et ne pas finir par consommer des drogues plus dures. Je pense qu'il est beaucoup plus facile pour un enfant, parce que son cerveau n'a pas fini de se développer, de faire une consommation abusive de drogues.
Je continue à croire en la décriminalisation de la marijuana parce que cela permettrait non seulement de concentrer les efforts en matière d'application de la loi sur les trafiquants de drogues dures et de réduire l'offre, mais aussi de la faire sortir de l'ombre et de veiller à ce que seules les personnes qui en ont besoin pour des raisons médicales en consomment.
Le sénateur Carney: Vous faites donc une distinction claire entre un accès tout à fait libre à la marijuana et un accès légal restrictif à la marijuana. Vous auriez des restrictions quant à l'utilisation légale de la marijuana?
M. Hall: Oui, je pense qu'il devrait y avoir une limite d'âge.
Le sénateur Carney: Oui.
M. Hall: Je n'y ai pas vraiment réfléchi, mais je dirais que, oui, il serait bon d'avoir certaines restrictions.
Le sénateur Carney: D'accord.
M. Hall: Il faudrait que l'usage soit légalisé, mais aussi restreint.
Le sénateur Carney: Oui.
Madame Hall, ce sujet m'intéresse, parce que les adolescents consomment de l'alcool, même si cela leur est interdit. Ce sujet me concerne personnellement, puisque j'avais un petit-fils qui a consommé de l'alcool depuis qu'il était tout jeune. Il a commencé à boire à l'âge de 12 ou 13 ans et il est mort à 17 ans, à la suite d'un accident incroyablement idiot et relié à l'alcool. Un de ces accidents que vous connaissez sans doute assez bien et qui ne serait pas arrivé s'il n'avait pas bu avec ses copains autour d'un feu de joie. Je ne pense pas que les interdictions vont empêcher les adolescents de boire ou de fumer de la marijuana, mais l'argument présenté par Ross m'intéresse. D'après votre expérience, est-il possible de mettre totalement un enfant à l'abri de la drogue?
Mme Hall: D'après mon expérience, il est clair que c'est impossible. Rétrospectivement, cependant, il y a des choses que je ferais différemment. J'ai toujours dit très clairement à mes enfants que c'était abominable de consommer de la drogue. Dans un sens, mon intransigeance vis-à-vis de la drogue a probablement rendu les choses plus difficiles; la drogue était une des choses que je ne pouvais tout simplement pas tolérer. C'est ainsi que lorsque mes deux fils ont commencé à consommer de la drogue, ils ne pouvaient absolument pas m'en parler.
Le sénateur Carney: En effet.
Mme Hall: Ils ne pouvaient pas m'en parler, parce qu'ils savaient que cela m'aurait bouleversée.
Le sénateur Carney: C'est dur en effet. Bon. Passons à la prochaine question sur les centres de désintoxication. J'aimerais avoir le point de vue de Ross à ce sujet, parce que, lorsque nous avons découvert que mon petit-fils avait un problème d'alcool, il n'existait aucun centre de désintoxication. Je pense qu'il y en avait un en Alberta, mais il n'existait aucun endroit où nous aurions pu lui faire suivre un traitement qui l'aurait sauvé.
Mme Hall: C'est exact.
Le sénateur Carney: Alors Ross, est-ce qu'un centre de désintoxication vous aurait aidé s'il y en avait eu un?
M. Hall: Oui.
Le sénateur Carney: Dans la mesure où la consommation de drogue est considérée comme un problème de santé?
M. Hall: Oui, je pense qu'une intervention au départ m'aurait empêcher de continuer à consommer de la drogue. Cependant, étant donné que je consommais de la drogue en secret et que je n'ai pas trouvé de centre de désintoxication au moment où j'étais prêt à accepter un traitement - j'ai dû attendre un mois et demi ou deux mois - et au bout du compte, j'avais pratiquement décidé de ne plus y aller.
Les consommateurs de drogue passent par des hauts et des bas, mais il y a des moments où ils sont vraiment décidés à rejeter leurs vieilles habitudes. À d'autres moments, par contre, ils sont désespérés et ils n'ont plus aucune volonté. Je crois que le bon moment pour entreprendre une désintoxication, c'est lorsqu'on se sent prêt à tout faire pour que le traitement donne de bons résultats.
Le sénateur Carney: Bien. En tant que parlementaires et législateurs, nous devons présenter des recommandations concernant la loi existante. Vos arguments en faveur de la décriminalisation de la marijuana, moyennant l'imposition de certaines restrictions, et consistant à considérer la consommation de drogue comme une question de santé, ainsi que la création de centres de traitement, sont très utiles pour nous.
Je ne veux pas prolonger votre témoignage, mais j'ai une dernière question. Vous êtes venu témoigner et vous avez bien fait cela, vous nous avez aidés. Je pense que nous devrions nous intéresser aux lois plus qu'aux expériences personnelles, car c'est difficile pour les témoins. Ma dernière question est la suivante: quand vous aurez réglé votre problème - car je pense que nous sommes tous convaincus que vous y parviendrez - qu'avez-vous l'intention de faire de votre vie?
M. Hall: Comme je joue du piano, je pense que la première chose que je vais faire c'est de m'inscrire au CDIS, le Centre for Digital Imaging and Sound. J'aimerais produire de la musique électronique et éventuellement devenir animateur. Je suis très intéressé par l'urbanisme - la conception des réseaux routiers - et j'aimerais peut-être faire un diplôme de génie afin de me diriger dans ce secteur.
Le sénateur Carney: Étant donné que je suis moi-même spécialiste de la planification régionale, je pense que votre choix de carrière est excellent. Merci beaucoup. Nous vous appuyons dans vos efforts. Merci beaucoup madame Hall d'être venue pour nous dire que ce n'était là que la pointe de l'iceberg, car je crois que tous ceux d'entre nous qui sommes de Vancouver peuvent citer des problèmes familiaux semblables aux vôtres.
M. Hall: Merci.
Le sénateur Lawson: Oui. Merci à tous les deux. Vous avez présenté un exposé impressionnant. On aurait bien besoin de faire appel à un urbaniste quand on voit combien il est difficile d'entrer et de sortir de Vancouver.
Madame Hall, vous avez dit dans votre exposé:
À long terme, nous estimons qu'il faudrait modifier nos lois et nos politiques en profondeur de manière à ôter le contrôle et la distribution des drogues au marché noir dominé par le crime organisé.Avez-vous des propositions ou des suggestions quant à la manière dont on devrait s'y prendre?
Ce matin, nous avons entendu des exposés sur la consommation de drogue. Le maire a présenté un exposé sur le traitement à l'aide d'héroïne. Il semble que l'on met de l'héroïne à la disposition des consommateurs de drogue - pas tant pour les amener à cesser d'en consommer que pour leur fournir un produit de qualité qui ne va pas causer d'autres dégâts ou des problèmes de santé plus graves. Ce programme semble connaître un succès considérable. D'autres témoins nous ont dit que des programmes analogues ont eu beaucoup de succès dans d'autres régions et d'autres pays, non seulement à ce chapitre, mais permettant en plus aux gens de cesser de consommer de la drogue.
Plus on en parle, plus je pense que nous perdons la guerre contre la drogue. L'abus de drogue s'est généralisé. On nous dit que les gens en consomment dans tous les coins de la province et du pays. Ce matin, j'ai demandé au Dr Tyndall s'il ne serait pas préférable, puisqu'il semble que nous sommes en train de perdre la guerre contre la drogue, de mettre en place des programmes de distribution de drogue de bonne qualité. Au moins une personne nous a dit ce matin que nous avions le taux le plus élevé de mortalité résultant d'une surdose en Amérique du Nord. Ce n'est pas une statistique dont nous avons lieu d'être fiers.
Est-ce que ce serait une bonne idée d'associer le programme à un organisme gouvernemental - comme la Régie des alcools - qui serait chargé de distribuer les produits et d'en contrôler la qualité? Ce serait une façon de réduire le taux de mortalité des consommateurs de drogue qui s'approvisionnent dans la rue auprès de vendeurs qui veulent uniquement vendre leur camelote sans se soucier du nombre de personnes qu'ils tuent de cette manière.
Pensez-vous que la réglementation serait une bonne chose? La réglementation s'appliquerait également à la marijuana même si, d'après les témoignages que nous avons entendus ce matin, je suis convaincu que cette drogue devrait être gardée à part. Nous pourrions taxer ces produits et consacrer les recettes aux centres de traitement, aux centres de désintoxication, aux soins de santé.
Mme Hall: Il y a des gens qui préconisent cette formule. Notre association a un point de vue que je dois faire passer avant le mien. Cependant, je pense personnellement que la lutte contre les drogues est un échec total et que les mêmes arguments qui s'appliquaient à l'interdiction de l'alcool valent pour les substances illégales. La logique est exactement la même.
Notre association dénonce le fait que notre pays dépense des millions de dollars à poursuivre des gens qui ont de petites quantités de drogue en leur possession - c'est-à-dire des gens qui se droguent. Il serait beaucoup plus efficace de cesser de criminaliser les drogués et d'utiliser les fonds ainsi dépensés dans la prestation de traitements et pour arrêter l'approvisionnement. Comme vous le savez, la police reconnaît elle-même qu'elle ne peut tout simplement pas arrêter l'approvisionnement. Vous noterez que même l'Institut Fraser - groupe de réflexion très conservateur - a reconnu l'échec de la lutte antidrogue.
Cela nous permet de constater que nous serions beaucoup plus efficaces dans notre lutte contre des substances comme la marijuana, l'héroïne ou la cocaïne, si elles étaient légales et si on pouvait les contrôler et les réglementer. Tant qu'elles demeureront illégales, tant que leur consommation sera criminalisée, nos efforts pour contrôler ces problèmes seront beaucoup moins efficaces.
Le sénateur Lawson: J'ai parlé des régies des alcools, parce que ce sont en fait des organismes gouvernementaux vendant de la drogue.
Mme Hall: C'est exact.
Le sénateur Lawson: J'ai parlé des régies des alcools, mais il faudrait peut-être confier ce rôle à des cliniques privées. Il est question de modifier le régime de soins de santé et il y a beaucoup de résistance à l'égard des cliniques privées. Il faudrait peut-être demander à des cliniques privées de superviser l'usage cliniquement et médicalement approuvé de certaines drogues.
Ce serait peut-être la réponse. Je reconnais que le marché noir continuera d'exister tant que la vente de drogue sera aux mains des caïds ou des bandes de trafiquants. On n'a jamais entendu aucun trafiquant demander à payer des impôts sur les 7 milliards de dollars que lui a rapportés la vente de drogue. Aucun de ces caïds ne s'est proposé de payer son dû au Trésor public. Cela nous permettrait à tout le moins d'exercer un certain contrôle sur les ressources qui sont actuellement gaspillées. On pourrait ensuite utiliser cet argent à d'autres fins, par exemple pour offrir des traitements et des installations de soins, comme votre fils l'a mentionné.
Mme Hall: En effet. À mon avis, les ressources sont actuellement mal utilisées. Des montants énormes sont investis aux mauvais endroits.
Le sénateur Lawson: Merci. Merci à tous deux d'être venus.
M. Hall: J'aimerais ajouter une précision. Lorsque je consommais de l'héroïne, je passais la plus grande partie de mes journées à trouver des moyens d'obtenir de l'argent pour me payer une dose. Si l'on fournissait de la drogue aux héroïnomanes, ils pourraient utiliser leur temps à autre chose qu'à trouver de l'argent pour satisfaire leurs besoins. Ils pourraient consacrer ce temps à améliorer leur existence et à devenir plus productifs. C'est sans doute une des raisons qui les amèneraient à se libérer de la drogue.
Le sénateur Lawson: Cela permettrait également sans doute de diminuer le taux de criminalité.
Mme Hall: Exactement.
Le président: Ross, merci d'être venu témoigner - vous avez fait preuve de beaucoup de courage.
M. Hall: Merci.
Le président: Je vous félicite pour votre courage. Et soyez certains que nous allons tenir compte de votre témoignage lorsque nous rédigerons notre rapport.
Madame Hall, merci beaucoup.
Mme Hall: Merci de nous avoir donné la possibilité de témoigner. Nous vous en sommes très reconnaissants.
M. Art Steinmann, directeur général, Alcohol - Drug Education Service: Merci à tous de nous donner l'occasion de comparaître aujourd'hui. C'est un plaisir pour moi de prendre la parole après Ross et Nichola. J'apprécie le fait qu'ils aient insisté sur la nécessité des programmes d'éducation et de prévention. Je sais que c'est un de leurs chevaux de bataille et qu'ils sont convaincus de l'efficacité d'une plus grande prévention et de plus grands efforts d'éducation.
Nous estimons que le Canada doit prendre des initiatives fondées sur l'expérience pratique en matière de drogues et nous félicitons le Sénat pour les recherches qu'il a entreprises en la matière.
Les idées que je vais présenter aujourd'hui s'appuient sur mon expérience d'une vingtaine d'années dans l'élaboration et la présentation de stratégies de prévention. Depuis 17 ans, je suis directeur exécutif du Alcohol - Drug Education Service à Vancouver. Nous avons des programmes dans toute la province. Nous présentons un programme de prise de décisions destiné aux élèves de la sixième et de la septième année dans environ 1 070 classes et nous proposons d'autres types de matériel ciblant d'autres tranches d'âge et d'autres personnes.
J'ai lu beaucoup de documents sur la toxicomanie et j'ai travaillé dans de nombreux groupes et organisations oeuvrant dans ce domaine. J'ai récemment été nommé au groupe de travail provincial sur la toxicomanie. Je suis membre honoraire du Comité médical sur la toxicomanie de la B.C. Medical Association et de la coalition du maire pour la prévention du crime et la désintoxication.
J'ai une formation de professeur du secondaire, mais j'ai consacré toute ma carrière à la recherche, l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation des stratégies et programmes de prévention. Je m'exprime également en tant que parent et en tant qu'intervenant actif des milieux communautaires qui vit et travaille dans le secteur est de Vancouver.
Nous avons constitué un petit dossier composé de documents pertinents que je vous encourage à lire.
Je vais me contenter d'aborder certains aspects. Nous estimons qu'il est urgent d'exercer une prévention globale - en particulier au moment où l'on annonce de nouvelles initiatives dont certaines sont plus controversées. Il est évident qu'il est indispensable de multiplier les programmes de traitement en réponse à toute une gamme de besoins et de proposer des approches à seuil bas, mises en oeuvre de manière attentive. Comme on vient tout juste de le dire, nous aurons toujours besoin de mesures de réglementation, de contrôle et d'application de la loi. Cependant, malgré l'application des programmes de traitement et de contrôle les plus universels que l'on puisse imaginer, nous ne pourrons pas nous attendre à une réduction des incidents et du taux de prévalence de la consommation des drogues si nous n'appliquons aucune mesure de prévention. La prévention vise expressément à réduire la progression des abus de drogues et les incidents qui en découlent.
La prévention globale a de nombreuses facettes. Elle vise la drogue, la toxicomanie et l'environnement. Elle fait appel à l'éducation et à l'influence, au développement des compétences ou des aptitudes, au contrôle et à de vastes activités dans le milieu qui proposent des solutions autres que l'usage de drogues et tiennent compte des déterminants de la santé.
C'est parce qu'elle s'en prend aux causes profondes que la prévention offre le meilleur potentiel de réduction de la consommation des substances dangereuses en s'attaquant aux facteurs qui ont tendance à encourager la consommation de drogues au départ.
Les enfants, les parents et les enseignants sont plutôt mal informés. Imaginez quelle serait la différence si les enfants, les parents et les enseignants de Colombie-Britannique savaient tout ce que vous savez maintenant après avoir entendu tous les témoignages. Le but est de provoquer une plus grande prise de conscience et une meilleure compréhension de la situation.
Les mêmes mesures de prévention ne peuvent pas s'appliquer à tous. Il faut des approches destinées à la population en général, mais également des activités plus ciblées s'adressant à un groupe à risque particulier. Bien entendu, la prévention est proactive. Elle encourage la responsabilité personnelle. Elle est extrêmement rentable: avec le coût d'un centre de traitement, on peut financer des initiatives de prévention qui toucheront des centaines et peut-être même des milliers de jeunes.
Aujourd'hui, la prévention ne porte pas de jugement; elle est positive. Elle n'est pas coercitive; elle est persuasive. Il faut l'appliquer à diverses périodes et étapes de la vie.
La prévention donne-t-elle de bons résultats? Vous trouverez plus d'information à ce sujet dans la documentation que nous vous avons préparée, mais je peux vous répondre tout de suite par l'affirmative. De nos jours, les preuves ne manquent pas quant à l'efficacité de la prévention.
Dans les années 70 et 80, les efforts de prévention permanents dans la collectivité recevaient beaucoup de soutien. Malheureusement, les gouvernements fédéral et provinciaux ont supprimé une grande partie de leur financement dans les années 90, ce qui a entraîné une augmentation correspondante de la consommation de drogue. Au cours de la même période, des efforts de prévention visant plusieurs éléments tels que le tabac, les ceintures de sécurité, les mesures de protection contre l'incendie, la condition physique et la santé dentaire, pour n'en nommer que quelques-uns, ont permis de faire d'énormes progrès.
Le degré de connaissance et d'information du public pour la prise de décisions dans ces domaines est encourageant. Aujourd'hui, les enfants sont mieux informés sur la quantité de sucre dans leur alimentation et sur l'utilisation du fil de soie dentaire que sur des drogues comme l'ecstasy, la marijuana et l'alcool. Pourtant, si certains jeunes n'atteignent jamais l'âge de 20 ans, c'est sans doute à cause de suicides ou d'accidents qui sont très souvent reliés à la consommation d'alcool et de drogue.
De nos jours, les meilleures mesures de prévention sont hautement interactives. Elles encouragent le dialogue et la discussion. La prévention table sur les compétences des personnes visées et cherche à former des enfants et des jeunes renseignés, confiants et aptes à prendre des décisions, qui sont déterminés et qui sont convaincus d'avoir des choix et des options dans la vie. Ce type d'éducation poursuivi pendant plusieurs années, peut retarder les premiers essais de drogue et aider de nombreux jeunes à éviter la consommation régulière de drogue. Je pourrais vous citer le cas de nombreux jeunes qui ont suivi nos programmes de prise de décisions qui, même plusieurs années plus tard, nous rapportent que ces programmes les ont aidés.
J'aimerais commenter brièvement les programmes d'éducation antidrogue présentés par la police. Personnellement, nous avons quelques réserves au sujet des programmes d'éducation présentés pendant de longues heures dans les écoles par des agents de police. Nous ne pensons pas qu'il soit financièrement viable de demander à des agents de police de présenter des programmes d'éducation antidrogue pendant des heures et des heures à tous les niveaux d'une école. Les enseignants ont reçu une formation d'éducateur. On leur a appris notamment comment augmenter l'estime de soi et comment donner aux élèves une plus grande confiance en leurs compétences. Nous savons que la plupart des agents de police sont sérieux et bien intentionnés, mais nous craignons que certains d'entre eux n'aient pas, à notre avis, la formation suffisante pour donner le type d'éducation requise.
J'ai également certaines réticences vis-à-vis d'une toute nouvelle initiative mise en oeuvre par le programme DARE aux États-Unis. Ce programme ne dispose pas des fonds nécessaires pour vérifier si cette initiative devrait être présentée par un agent de police. Je reconnais qu'ils ont une assez bonne documentation, mais ils devraient se poser la question fondamentale suivante: «Qui est la personne la mieux qualifiée pour présenter ce programme?»
Des élèves et des professeurs nous ont dit qu'une éducation antidrogue présentée par un agent de police est parfois plus autoritaire et qu'elle contribue moins à aider les jeunes à faire eux-mêmes des choix mûrement réfléchis, mais tend plutôt à leur imposer un choix précis.
La prévention doit être soutenue et commencer tôt. Beaucoup de gens estiment que la solution au problème se trouve dans un dialogue sur l'alcool et les drogues avec les adolescents. Nous savons maintenant que c'est au cours des 12 premières années de la vie que les attitudes, les valeurs et les impressions forment la base sur laquelle les jeunes s'appuient lorsqu'ils sont en septième, huitième ou neuvième année et lorsqu'ils ont pour la première fois l'occasion de commencer à boire ou à fumer de la marijuana ou du tabac.
L'impact que peut avoir la marijuana sur les jeunes adolescents est une de nos principales préoccupations. La consommation de marijuana a bien entendu augmenté en Colombie-Britannique ainsi que dans d'autres régions du Canada. La marijuana peut gravement nuire au processus de développement et ainsi ralentir ou stopper le développement émotionnel, social, physique et même scolaire. On s'en aperçoit souvent au moment du traitement de toxicomanes dans la vingtaine et la trentaine qui cherchent désespérément à acquérir les aptitudes et les connaissances qu'ils auraient dû assimiler au cours de leur adolescence.
Les choses commencent à changer, mais trop souvent les parents, les enseignants et d'autres intervenants pensent encore que l'éducation antidrogue ne devrait commencer qu'à un âge plus avancé. Nous sommes convaincus que ce type d'intervention est utile à tous les âges.
Au moment de l'adolescence, il faut mettre l'accent sur la façon pour les jeunes d'obtenir de l'aide, de réduire leur consommation de drogue s'ils le décident et sur la manière d'aider un ami qui se drogue. Il faut également constamment mettre l'accent sur les avantages de l'abstinence pour ceux qui continuent à ne pas prendre de drogue. Il ne faut pas tenir pour acquis que tous les jeunes prennent ou prendront de la drogue ou qu'ils veulent le faire.
Il y a une autre extraordinaire occasion de prévention chez les personnes d'âge moyen. En effet, il arrive que des problèmes d'alcool et de drogue commencent à se manifester chez des personnes d'âge moyen, même si elles n'en ont jamais consommé auparavant. Il y a des mesures très précises que l'on peut prendre de manière systématique afin de remédier à ce problème, juste avant que les gens n'atteignent la cinquantaine. C'est la même chose chez les personnes âgées. Je n'ai pas le temps d'en parler maintenant, mais les cours de préparation à la retraite pourraient aborder l'éducation à la santé et la prévention de la toxicomanie. Ainsi, au moment où leur tolérance à l'alcool change et qu'elles sont soumises à d'autres changements également, cela sert d'avertissement aux personnes d'âge moyen qui savent ainsi qu'elles doivent ajuster leur consommation.
J'ai déjà dit que nous réclamons de multiplier les traitements. Nous entendons par là la gamme complète des traitements, de la diffusion à l'intervention d'urgence, en passant par la consultation à long terme et le traitement de jour, le suivi médical, le post-traitement et même les programmes de réinsertion en milieu de travail.
On note en particulier des lacunes en matière de services de traitement destinés à la jeunesse. Or, c'est ce type de service qui offre le meilleur potentiel de réduction des préjudices. Nous avons vu qu'il est nécessaire d'agir rapidement lorsque le toxicomane est décidé à obtenir de l'aide. Dans ce cas, les listes d'attente ne font rien pour l'encourager.
Je partage les inquiétudes des autres témoins. Je suis horrifié par l'état des services de traitement offerts en Colombie-Britannique et au Canada. Je suis horrifié également par l'état des services de prévention. Je pense que ces deux stratégies offrent un potentiel incroyable qui n'est pas exploité. Ces stratégies doivent aller de pair. La prévention et le traitement, y compris les méthodes de réduction des préjudices et les mesures de contrôle doivent être interdépendants.
Je vais vous lire un passage du rapport «Weaving Threads Together»: Les stratégies de prévention ne peuvent pas remplacer le traitement ni les interventions de la justice mais elles peuvent, à long terme, réduire la nécessité d'intervenir. La prévention est le système d'intervention le plus rentable.Notre organisation estime qu'il faut favoriser la communication et la collaboration entre les divers niveaux de fournisseurs de services et les paliers de traitement et de prévention, de réduction des préjudices et d'application de la loi.
Mais surtout, tous les éléments du système doivent transmettre un message cohérent. Ce message devrait selon nous être que la consommation de drogue est potentiellement dangereuse et que même un usage modéré peut poser de graves risques médicaux et sociaux, en particulier pour les jeunes, et que la vie d'un toxicomane est malsaine et sans attrait, une vie que l'on devrait vigoureusement chercher à éviter. Nous devons dénoncer le message mensonger qui accompagne souvent la consommation de drogue et qui laisse entendre que la drogue permettra à son utilisateur d'assouvir des besoins auxquels il ne peut pas répondre d'une autre manière. Ross nous a expliqué tout à l'heure que tel est l'attrait de la drogue, mais que celle-ci ne tient pas ses promesses. C'est cela que nous devons expliquer aux jeunes.
Et la réduction des préjudices? Nous estimons que si la réduction des préjudices n'est pas bien faite, elle risque d'accroître la consommation de drogue. Si elle est bien faite, elle peut contribuer à aider les toxicomanes à obtenir les services dont ils ont désespérément besoin. Nous ne pensons pas que la réduction des préjudices devrait viser une seule cible. La réduction des préjudices existe depuis de nombreuses années. Nous appuyons les stratégies qui visent à aider les toxicomanes, à stabiliser leur santé, à offrir un traitement à ceux qui ne peuvent pas abandonner la drogue avant d'obtenir de l'aide, et les stratégies qui continuent à explorer de nouvelles façons de traiter la toxicomanie.
Le but ultime devrait être d'aider les toxicomanes à se stabiliser et à recouvrer la santé, de les inciter à réduire leur consommation ou même à arrêter complètement. Le but ne devrait pas être d'entretenir indéfiniment la consommation de drogue.
Nous devons tous être très prudents dans la façon dont nous présentons la réduction des préjudices. Dans nos interventions auprès des jeunes et dans nos efforts de prévention, il est indispensable de prendre toutes les mesures possibles pour sauver des vies et offrir aux toxicomanes les services dont ils ont besoin.
Nous devons également veiller à ne pas transmettre par inadvertance aux jeunes qui n'ont pas encore essayé la drogue, le message qu'ils pourront consommer de la drogue quand ils seront plus grands, étant donné qu'il y a beaucoup de traitements disponibles, qu'on leur proposera même des seringues et des drogues et qu'ils seront bien soignés. Évidemment, personne ne dit des choses pareilles, mais nous avons l'impression que parfois la communication n'est pas très claire et que les jeunes perçoivent mal le message.
Nous estimons également qu'un montant égal aux fonds consacrés à la réduction des préjudices et aux traitements soit investi dans la prévention. Les mesures de prévention entreprises de nos jours sont loin d'être proportionnelles à la taille et à l'ampleur du problème.
Est-il souhaitable de légaliser la marijuana ou les autres drogues? De nos jours, beaucoup de gens pensent que la légalisation des drogues résoudrait bien des problèmes. D'après nos connaissances et notre expérience, cela nous paraît être une simplification extrême de la situation. Le changement radical de la loi comporte de nombreux risques. De plus, nous estimons que les avantages envisagés ne se concrétiseront peut-être jamais.
Aujourd'hui, les drogues sont déjà si peu coûteuses que la diminution des prix entraînée par la légalisation des drogues, ne contribuerait peut-être pas à réduire la criminalité. En légalisant aujourd'hui certaines drogues, les trafiquants qui s'enrichissent en vendant des drogues illégales continueraient probablement à fabriquer de nouvelles drogues affublées de nouveaux noms. Ainsi, les drogues illégales conserveraient leur attrait.
Malheureusement, les drogues légales ne donnent pas d'exemples positifs. L'alcool et le tabac sont à l'origine de plus de 50 000 morts au Canada chaque année et de milliers de blessures dont beaucoup sont permanentes. La vente de ces deux produits sur le marché noir se poursuit dans une certaine mesure. D'autres drogues légales - à savoir les médicaments d'ordonnance et les médicaments en vente libre - sont régulièrement mal utilisées et sont responsables également de nombreux décès et maladies. Il faut ajouter à cela le difficile problème d'assouplir les lois sur la consommation de drogue sans transmettre aux jeunes en particulier l'impression que la marijuana est moins dangereuse qu'on le pensait.
La modification de la législation sur les drogues amènerait sans aucun doute les Canadiens à penser que l'usage régulier de la marijuana ne présente aucun problème médical ou social grave. En fait, plus nos connaissances augmentent dans ce domaine et plus le contraire s'impose.
Pour ces raisons, nous préconisons de mettre en place, avant d'apporter des changements importants à la législation sur les drogues, une approche globale de prévention et de traitement offrant de nombreuses initiatives de prévention et options de traitement nouvelles, soutenues et fondées sur l'expérience. Voilà ce que nous devons mettre en place pour préparer les gens et éduquer le public, au cas où l'on déciderait un jour de changer la loi.
Avec ce que nous savons actuellement sur la marijuana et sur les graves lacunes des initiatives en matière de prévention et de traitement, nous estimons qu'il est déplacé de faire les changements d'envergure nécessaires en assouplissant la législation sur la drogue et en mettant l'accent uniquement sur la réduction des préjudices.
Nous ne pensons pas que la simple possession de petites quantités de marijuana devrait donner lieu à l'ouverture d'un casier judiciaire, mais nous sommes en faveur d'une législation raisonnable reflétant les normes de notre société. D'après notre expérience, même les défenseurs les plus ardents de la légalisation ne sont pas en faveur de l'accès des jeunes aux drogues. Ce n'est absolument pas le moment de transmettre aux jeunes un autre message qu'ils interpréteraient à coup sûr comme une incitation à consommer de la drogue.
La consommation de cocaïne et d'héroïne est à la hausse. Quand on fume de la marijuana, on est plus facilement incité à consommer de la cocaïne et de l'héroïne. Cependant, cela ne veut pas dire qu'il y a un lien de cause à effet entre la consommation de marijuana et celle de drogues dures. Pourtant, il est clair que les personnes qui consomment de la cocaïne et de l'héroïne ont commencé dans de nombreux cas par de l'alcool, du tabac et de la marijuana. Nous nous inquiétons de la perception de la société. Nous devons faire preuve de prudence au moment de modifier les lois.
Nous pensons qu'il y a de nombreuses années que le gouvernement fédéral aurait dû faire ce qu'il fait actuellement. Si la marijuana présente des vertus curatives, il faut les étudier sérieusement et les utiliser de la manière appropriée. Ce qui nous inquiète, c'est la façon dont cela se fait actuellement: il y a beaucoup de confusion et, encore une fois, le risque de transmettre des messages erronés aux jeunes.
Enfin, nos années d'intervention et de prévention nous ont fait comprendre que le véritable problème n'est pas un problème de drogue, mais un problème personnel. En effet, toutes les personnes - en particulier les jeunes qui ont souffert de mauvais traitements, de négligence, de traumatisme et de la toxicomanie dans leur foyer - cherchent à trouver un soulagement à leur sentiment de colère, de désespoir ou d'impuissance. Certains peuvent éprouver des sentiments d'ennui, de curiosité, ou un désir d'appartenance. La marijuana et les autres drogues peuvent donner l'impression d'éliminer ou tout au moins d'apaiser ces émotions. Les drogues semblent apporter ces soulagements sans effort, sans douleur et rapidement. Or, les toxicomanes qui courent les risques les plus graves sont justement ceux qui cherchent à régler de tels déséquilibres profonds par la consommation de drogue.
En revanche, la prévention offre un énorme potentiel pour encourager les jeunes informés, confiants et compétents qui apprennent dès le plus jeune âge à faire appel à un raisonnement sain pour répondre à ces sentiments humains, pressants et compréhensibles sans être incités à avoir recours à la drogue.
Une politique en matière de drogue qui concentre tous ses efforts sur une même cible et qui n'encourage que la légalisation avant de mettre en place des stratégies minimales de prévention et d'éducation pendant un certain temps est une approche qui ne ferait qu'aggraver nos problèmes. Nous devons mettre un frein aux attitudes désinvoltes vis-à-vis de la consommation de drogues qui ont vu le jour en grande partie à cause des lacunes de l'éducation en matière de santé. Nous devons revenir aux causes profondes de la consommation de drogues; nous devons mettre en place de nouvelles stratégies de réduction des préjudices en veillant aux résultats imprévus, et seulement de concert avec une prévention et un traitement élargis. Nous devons faire preuve d'une détermination renouvelée d'offrir aux jeunes, aux familles et aux collectivités, des services soutenus et intenses de prévention et de traitement capables de réduire les problèmes de consommation de drogues et de toxicomanie.
Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président: Merci, monsieur Steinmann. Je vais limiter les questions à deux et je vous ferai parvenir les miennes par écrit afin de ne pas pénaliser tous les témoins qui viennent après vous.
Le sénateur St. Germain: Vous avez fait des commentaires au sujet du programme DARE. Je ne pense pas que c'était véritablement des critiques, mais vous avez remis en question la pertinence de faire appel à des agents de police pour s'adresser aux enfants. Est-ce qu'il y a déjà eu au Canada des programmes analogues à ce que DARE se propose d'accomplir?
M. Steinmann: Eh bien, notre organisation propose un programme intitulé «Making Decisions», qui présente une série de leçons interactives, assez semblables à DARE sous certains aspects. Nous donnons une formation aux enseignants pour qu'ils puissent présenter ces programmes qui, comme je l'ai mentionné, sont offerts dans plus de 1 000 classes en Colombie-Britannique. Nous travaillons actuellement activement sur du matériel pour les élèves de quatrième année et de huitième et neuvième année. Donc, pour répondre à votre question, nous avons des programmes qui sont très semblables dans le sens qu'ils sont complets et destinés à être présentés en salle de classe à ces différents niveaux.
La philosophie et l'approche sont un peu différentes et les professeurs présentent le contenu, mais nous invitons un agent de police à prendre part à la leçon à titre de spécialiste.
Par ailleurs, nous estimons que le programme DARE n'est pas un modèle financièrement viable. Une représentante de Santé Canada nous a dit qu'elle souhaitait que notre programme soit présenté dans tout le pays. Si ce programme existe, c'est grâce au travail d'un petit organisme à but non lucratif qui a frappé à la porte d'un grand nombre de fondations pour recueillir les fonds nécessaires.
Le sénateur St. Germain: D'où vient votre financement, monsieur?
M. Steinmann: Nos fonds proviennent de campagnes de financement, de la vente de programmes, de services payants et de divers contrats avec le gouvernement. Nous avons conçu des programmes. Vous savez, nous avons obtenu une subvention de Santé Canada pour concevoir un programme sur les femmes et l'alcool à l'université et plus de 70 établissements postsecondaires ont acheté ce programme et l'appliquent dans diverses régions du Canada.
Nous avons préparé du matériel en collaboration avec les communautés ethniques et ce matériel a été réalisé en panjabi, en chinois et en espagnol. Nous avons mis au point un calendrier de grossesse pour les femmes enceintes, peu alphabétisées et à haut risque, dans le but de réduire l'incidence du syndrome d'alcoolisme foetal. Nous avons mis au point du matériel pour les jeunes à haut risque à l'intention des écoles parallèles, et cetera.
Tous ces programmes ne sont pas appliqués, mais ils ont tous été évalués. Ils ont été bien accueillis et les consommateurs en redemandent, mais nous ne pouvons pas en créer d'autres, faute de moyens. J'ai pourtant fait des demandes au gouvernement. Il devrait y avoir plus d'argent, puisque la stratégie canadienne antidrogue dont j'entends parler depuis deux ans, sera mise en oeuvre. J'ai entendu dire la semaine dernière qu'à la suite du 11 septembre, une partie finira par être mise en oeuvre, mais qu'elle sera réduite. Pendant ce temps, génération après génération, nous laissons filer des occasions extraordinaires.
Le sénateur St. Germain: Vous avez dit qu'il s'agissait d'un problème personnel. Le changement dynamique qui touche la cellule familiale dans laquelle les deux parents doivent travailler a une incidence sur le défi qui se pose aux jeunes.
M. Steinmann: Puis-je ajouter rapidement un commentaire? Les parents représentent de loin l'influence la plus forte dont un enfant peut bénéficier au sujet de l'alcool et des drogues, car les parents sont des modèles que l'enfant imite. Les jeunes, les enfants d'âge préscolaire ont déjà acquis des impressions et des attitudes relativement à l'alcool et aux drogues. Par conséquent, vous avez tout à fait raison, l'influence des parents est énorme.
Nous avons un programme destiné aux parents. Nous avons mis au point ce que nous appelons le «modèle Tupperware», un programme d'éducation des parents qui est présenté à l'aide de vidéos et d'autres ressources, chez les parents par d'autres parents. Mais, là encore, nous n'avons pas les moyens de continuer à offrir ce genre de programme.
Le sénateur Carney: Vous avez présenté un exposé très complet sur la prévention qui est une dimension importante. Nous aurions pu creuser un peu plus cet aspect. Pouvez-vous nous fournir des copies de toute la documentation dont vous avez parlé?
M. Steinmann: Mais certainement.
Le sénateur Carney: Pourriez-vous la fournir au greffier?
M. Steinmann: Absolument.
Le sénateur Carney: Je pense que cela nous sera utile.
Vous avez soulevé la question très importante des personnes âgées. Aujourd'hui, vous nous avez parlé beaucoup des jeunes et bien entendu du Dowtown Eastside, le secteur est du centre-ville, mais lorsque j'étais députée de cette circonscription, qui comprend aussi le secteur ouest, j'avais été horrifiée de constater que l'alcoolisme et l'abus de drogues était le problème le plus grave que l'on rencontrait dans ces tours pour personnes âgées. À leur âge, c'est un peu trop tard pour la prévention. Proposez-vous une stratégie spéciale pour les personnes âgées à laquelle nous devrions nous intéresser et si c'est le cas, pourriez-vous nous faire parvenir de la documentation à ce sujet, parce que nous nous sommes beaucoup intéressés aux jeunes mais pas aux personnes âgées.
M. Steinmann: Oui. Je peux vous dire brièvement que nous nous sommes intéressés aux cours préparatoires à la retraite et aux séances d'information sur la consommation de médicaments qui sont donnés en parallèle, mais d'autres interventions sont également possibles. Pharmacare fait un assez bon travail d'information sur les médicaments auprès des personnes âgées. Cependant, je suis bien d'accord avec vous, sénateur Carney, que nous manquons le bateau au chapitre de l'éducation à la consommation d'alcool et d'autres drogues.
Le sénateur Carney: En effet, tout se tient et c'est là le chaînon manquant.
M. Steinmann: Oui.
Le sénateur Lawson: On parle beaucoup des lacunes du système. Les résultats positifs ne sont pas très nombreux et nous avons l'impression de reculer plutôt que de progresser. Je suis surpris et un peu déçu que vous terminiez en parlant de maintenir le statu quo.
M. Steinmann: Je ne pense pas avoir dit cela. J'ai dit que nous devrions poursuivre les expériences de prévention et de traitement dont les résultats positifs sont confirmés. J'aurais aimé qu'aucune drogue ne soit légale, mais ce n'est pas la réalité du contexte dans lequel nous vivons aujourd'hui. Dans le contexte actuel, tout changement radical m'inquiète beaucoup.
Je préconise de faire des améliorations et des efforts concertés en matière de traitement et de prévention, sur une période de cinq ou dix ans, afin de bâtir une vision commune. Ensuite, nous pourrions commencer à assouplir les lois dans un contexte qui permettrait, à mon avis, une plus grande compréhension et une diminution des problèmes.
Je ne prétends pas que le statu quo serait la réponse - bien au contraire. Depuis quelques années, j'ai beaucoup travaillé sur de nouvelles initiatives, mais j'observe les enfants, je travaille avec eux et je vois les signaux qu'ils relèvent toujours et ce qu'ils recherchent. Ce serait aller à l'encontre du but recherché que de leur dire que la consommation de marijuana est sans danger et que celle des autres drogues n'est pas aussi dangereuse qu'on le croyait autrefois.
Le président: Monsieur Steinmann, j'ai quelques questions à vous poser au sujet de vos états financiers, mais ce sont des questions plus techniques que je vais vous faire parvenir par écrit.
M. Steinmann: Très bien.
Le président: Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
M. Steinmann: Merci.
Le président: Nous allons maintenant entendre le témoignage de M. Mason Loh et de Mme Lillian To. Vous disposez de cinq minutes et je vais appliquer la règle de manière stricte. Je ferai une seule exception pour laquelle je me suis déjà entendu avec le sénateur Carney qui va nous présenter un témoin de Saturna. Ce sera le quatrième. Mais pour l'instant, cinq minutes et pas de questions.
Mme Lillian To, chef de la direction, SUCCESS: C'est un honneur pour nous d'être ici aujourd'hui. Je suis chef de la direction de SUCCESS, un organisme de service communautaire à but non lucratif.
Permettez-moi de vous présenter Mason Loh, conseil de la reine et important dirigeant de la communauté chinoise. Mason est l'ancien président de SUCCESS. Il a dirigé et servi cette organisation ainsi que la communauté, pendant plus de 20 ans.
SUCCESS est un des plus grands organismes de services aux immigrants au Canada. L'an dernier, nous avons offert des prestations à plus de 316 clients dans 12 succursales du Lower Mainland, grâce à 250 employés et 8 000 bénévoles. Nous offrons toute une gamme de services de santé, de services sociaux, ainsi que des programmes de formation. La toxicomanie est une menace pour la santé et nous sommes heureux d'être ici aujourd'hui pour en parler.
M. Loh va vous parler plus en détail des préoccupations de la communauté chinoise.
M. Mason Loh: C'est un honneur pour nous de contribuer à vos importants travaux. Nous avons cru comprendre que vous avez réparti votre travail en deux phases et que vous vous penchez actuellement sur la première phase consacrée au cannabis, mais que vous vous intéresserez aux drogues illégales en général dans la seconde phase. La communauté sino-canadienne a des opinions très tranchées sur le cannabis et les drogues illégales. Compte tenu du laps de temps très bref dont nous disposons, je vais tenter de vous parler des opinions de notre communauté sur le cannabis et Lillian vous parlera des drogues illégales en général.
Selon le recensement de 1996, on comptait en Colombie-Britannique plus de 310 000 personnes d'origine chinoise. Ce chiffre devrait tourner actuellement autour de 360 000. Cette communauté représente environ un tiers de la population de la ville de Vancouver, mais la communauté chinoise n'est pas homogène. Elle est composée d'immigrants des diverses régions et de personnes de la deuxième ou troisième génération nées au Canada, qui partagent néanmoins un patrimoine commun.
Depuis un siècle et demi, ce patrimoine était intimement lié à une drogue illégale que l'on appelle l'opium. La société chinoise corrompue par la drogue a ébranlé les fondations d'un valeureux empire, a provoqué la guerre qui s'est soldée par la colonisation de Hong Kong, a mis fin à une longue dynastie, a provoqué une guerre civile pendant plus de 30 ans, a encouragé l'invasion de la Chine par des puissances étrangères, a entraîné des immigrations massives de la population vers des pays comme le Canada. C'est pourquoi la communauté chinoise appuie naturellement la politique actuelle du gouvernement canadien visant à réduire la demande et freiner l'offre en matière de drogues illégales.
Nous appuyons les mesures de prévention et d'éducation visant la jeunesse et les mesures de traitement destinées aux toxicomanes. Nous appuyons également les efforts visant à stopper le trafic de drogue. Pour nous, l'idéal serait une société sans drogue. Nous ne devrions pas nous laisser décourager par la difficulté que présente un tel but. Nous ne devons surtout pas baisser les bras et accepter que la consommation de drogue devienne tout simplement un choix comme un autre.
Le débat relatif aux effets à long terme du cannabis sur la santé n'est pas terminé, mais nous savons que le cannabis provoque des conséquences physiques et mentales négatives telles que des déficiences psychomotrices et intellectuelles, la bronchite chronique et d'autres troubles respiratoires, des pertes de mémoire, des symptômes aigus de sevrage, et cetera. Nous ne sommes pas contre l'usage médical du cannabis pour soulager la douleur des patients en traitement palliatif, mais nous sommes tout à fait opposés à la consommation de cette drogue à des fins récréatives.
La drogue attire surtout les individus les plus vulnérables émotionnellement et socialement, tels que les jeunes. La décriminalisation fera paraître plus acceptable cette substance dangereuse et la rendra plus disponible, encourageant ainsi sa consommation et transmettant le mauvais message aux générations futures.
J'ai trois fils de six, huit et onze ans. Je les ai toujours mis en garde contre les dangers de la cigarette. Les publicités télévisées présentées par le gouvernement et la Société canadienne du cancer, ainsi que les nouvelles relatant les poursuites intentées en rapport avec le tabac ont renforcé mes efforts d'éducation au point que mes fils estiment que les fumeurs menacent leur propre santé et celle des autres. Pourtant, l'autre soir, nous regardions ensemble un film de James Bond datant des années 60. Lorsque l'écran nous a montré l'élégant et prestigieux M. Bond fumant une cigarette, mes fils qui sont en admiration devant le super espion m'ont demandé pourquoi il fumait. J'ai été incapable de leur donner une réponse satisfaisante. Mais savez-vous que j'ai surpris mes fils à faire semblant de fumer une cigarette pour imiter James Bond?
Le président: Monsieur Loh, je dois vous interrompre car vos cinq minutes sont écoulées. La règle est stricte.
M. Loh: Très bien.
Le président: Je crois que vous avez quelque chose à ajouter également, madame To?
Mme To: Oui, j'ai quelques petites choses à ajouter.
Le président: Voici ce que nous allons faire. Vous allez nous écrire ce que vous voulez nous dire, sans aucune restriction sur la longueur, et nous l'expédier par courriel à mon bureau à Ottawa. Je vais vous donner mon adresse électronique. Ce sera beaucoup plus efficace de cette manière. Je veillerai à ce que tous les membres du comité reçoivent votre exposé.
Je dois être strict, parce qu'il y 13 autres témoins qui attendent de s'adresser au comité. Si nous n'appliquons pas strictement la règle, nous serons encore ici demain matin.
M. Loh: Monsieur le président?
Le président: Oui.
M. Loh: C'est de ma faute; j'ai dépassé le temps qui m'était imparti. Pouvez-vous accorder 30 secondes à Mme Lo pour lui permettre de présenter son argument?
Le président: Nous devons appliquer strictement la règle. Si vous m'écrivez, je me ferai un plaisir d'accepter toute la documentation que vous me ferez parvenir et de la distribuer aux membres du comité.
Le sénateur Carney: Permettez-mois d'ajouter, Mason, que vous avez très bien exposé votre argument.
M. Loh: Merci, madame.
Mme To: Merci.
M. Ted Smith: Mesdames et messieurs, le moment est venu de changer. Le moment est venu pour le Canada de mettre fin à la guerre contre les drogues - le conflit international le plus long, le plus coûteux, le plus meurtrier et le plus inhumain de toute l'histoire. Ce combat sans merci a retourné les enfants contre leurs parents, les parents contre leurs enfants; les voisins et les employés s'espionnent; les toxicomanes meurent de surdose, oubliés de tous, des suites du SIDA et de l'hépatite C, tandis que les trafiquants s'entre-tuent dans nos rues. Des millions de personnes sont abruties par les médicaments ou l'alcool, tandis que l'on refuse à des malades et des mourants l'autorisation de consommer une herbe qui pousse si facilement. De jeunes hommes gâchent leur vie en prison pour avoir tenté de se livrer à des activités qui rapportent plus qu'un travail au salaire minimum, alors que des généraux en retraite et des banquiers échangent des armes contre de la drogue avec les habitants désespérés de certaines régions du globe.
Pour remédier à tout cela, le Canada devrait commencer par radier sa signature de la Convention unique sur les stupéfiants des Nations Unies conclue en 1961. À l'instar des États-Unis qui réexaminent leur adhésion à d'anciens traités internationaux, nous devrions donner l'exemple au monde au sujet de l'usage non médicinal des drogues en commençant par dénoncer l'échec de la lutte antidrogue et en retirant l'appui du Canada à cette convention irrationnelle.
Le Canada n'est pas le seul pays à remettre en question ces lois draconiennes. La Jamaïque, le Portugal, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse et récemment la Grande-Bretagne elle-même, ont tous légalisé ou décriminalisé l'usage du cannabis à des fins médicinales. Au Royaume-Uni, en Allemagne, au Pays-Bas et au Canada, les programmes de réduction des préjudices permettent de sauver des vies, de réduire les coûts médicaux, de diminuer la criminalité et d'aider avec compassion les toxicomanes à abandonner ou réduire leur consommation de drogue.
Le Canada étant voisin des États-Unis - et nous savons tous très bien que le monde des affaires américain est la force agissante derrière la lutte antidrogue - il a un certain avantage par rapport à d'autres pays du monde en ce qui a trait aux discussions internationales sur ces questions. Le Canada devrait faire profiter le monde de son influence aux États-Unis et offrir d'accueillir un congrès international chargé d'étudier toute la gamme des questions sociales et économiques qui entourent le processus de production et de consommation des substances psychodysleptiques non médicinales.
Précisons d'entrée de jeu que si nous constatons l'échec de la lutte antidrogue, nous n'approuvons pas nécessairement la consommation de toutes les substances actuellement illégales. Nous devons mettre en place un système particulier de réglementation et de licence et réglementer la production et la consommation de chaque produit. Ces systèmes de réglementation devraient respecter le droit de chacun de pratiquer l'automédication sous surveillance médicale tout en définissant des lignes directrices pratiques pour la production, la distribution et la taxation des substances vendues pour des raisons non médicinales.
Toutes les substances actuellement interdites en raison de la lutte antidrogue ayant un effet particulier sur la conscience et l'organisme, chacune devra faire l'objet d'un examen particulier au moment où nous nous retirerons du modèle actuel. Il ne faudrait jamais perdre de vue la santé du grand public.
Ce n'est pas le rôle du gouvernement de produire et de distribuer ces produits, mais en revanche c'est de sa responsabilité d'en régir la production, la vente et la distribution. En cas d'acquisition de ces substances à des fins récréatives, les produits devraient être taxés. Dans les cas d'usage légitime pour des raisons médicales, les produits ne seraient soumis à aucune taxe.
Santé Canada devrait mettre sur pied un organisme chargé d'examiner l'utilisation non médicinale de substances psychodysleptiques, y compris l'alcool et d'autres produits actuellement légaux. Les médecins spécialistes chargés de conseiller les patients dans leur consommation personnelle devraient avoir suivi une formation rigoureuse exigeant une expérimentation de plusieurs de ces substances.
Certains produits tels que le cannabis et les champignons magiques pourraient être taxés, produisant ainsi des recettes considérables pour le gouvernement, tandis que d'autres drogues comme l'héroïne et la cocaïne pourraient être distribuées gratuitement sous surveillance dans des cliniques. Ces systèmes et ces réglementations permettraient de contrôler la qualité des drogues utilisées tout en donnant la possibilité de venir en aide aux personnes qui ont un grave problème de dépendance.
Nous devons pour deux raisons nous retirer de la Convention unique sur les stupéfiants des Nations Unies signée en 1961. Il ne faut pas oublier que l'usage non médicinal des drogues est un problème international alors que l'offre de substances illégales est généralement localisée dans quelques pays. La demande de substances psychodysleptiques est mondiale et particulièrement marquée aux États-Unis où les toxicomanes consomment de grandes quantités de drogues de ce type malgré plus de 30 ans de lutte antidrogue.
La deuxième raison pour laquelle nous devons adopter une position aussi claire face au monde, c'est pour montrer aux Canadiens que le gouvernement tient compte des souhaits exprimés par ses citoyens. Les sondages d'opinions révèlent clairement qu'une majorité de citoyens sont en faveur de la décriminalisation de la simple possession de cannabis et qu'un pourcentage croissant des répondants est en faveur de la légalisation complète de la plante et des autres méthodes de réduction des préjudices. Les tribunaux canadiens reconnaissent que les lois sur les stupéfiants violent la Charte des droits et libertés. La demande de cannabis a créé d'énormes marchés dans des régions comme la Colombie-Britannique où une industrie évaluée à 6 millions de dollars par an alimente l'économie plus que tout autre produit. La lutte antidrogue a échoué et il est temps de se réveiller.
En attendant, beaucoup d'entre nous refusons de prendre la plume et d'écrire aux politiciens en espérant que le changement viendra de la source même du problème. Nous avons décidé de poursuivre la résistance passive, mettant en danger notre propre vie, notre propriété et notre réputation face aux autorités et aux criminels qui profitent du modèle actuel.
Personnellement, je consacre ma vie à lutter contre l'interdiction depuis six ans, c'est-à-dire lorsque je me suis installé à Victoria, en septembre 1995, pour présenter les premières rencontres de Hempology 101. J'ai compris que la communauté agricole où j'avais grandi s'était fait rouler par les industries américaines et leurs cohortes d'avocats qui prétendaient que les fumeurs de marijuana allaient dans leur folie détruire des existences et polluer l'environnement.
Je voulais cultiver du chanvre avec ma famille; j'ai été arrêté deux fois l'an dernier. La première fois il y a précisément un an aujourd'hui, en fait, à l'Université de Victoria où l'on m'a accusé de trafic de drogue pour avoir distribué des joints.
Le président: Monsieur Smith, pourquoi ne m'écrivez-vous pas?
M. Smith: Vous trouverez toute ma documentation sur Internet à l'adresse Hempology.yi.org.
Le président: Très bien.
M. Smith: Je peux vous assurer, monsieur, que moi-même et beaucoup d'autres personnes devons malheureusement nous battre contre le gouvernement au prix de notre vie et que nous ne baisserons les bras que lorsque cette guerre sera finie.
Le président: Merci pour votre témoignage.
M. David Malmo-Levine: Mon exposé se trouve à la première page. Je crois que j'en ai 15 exemplaires. Je vais passer l'introduction, puisque je pensais disposer de dix minutes et que je n'en ai que cinq, mais je vais quand même préciser que je vais présenter ma cause devant la Cour suprême du Canada, avec deux autres personnes. Si j'obtiens gain de cause, n'importe qui pourra vendre du cannabis au Canada. Mon argumentation consistera à dire que si tous les usages du cannabis ne sont pas sans danger, une utilisation appropriée ne présente aucun risque et devrait par conséquent être protégée en vertu des articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. En effet, cet article protège explicitement et implicitement toutes les personnes et tous les groupes au comportement inoffensif.
Le cannabis n'est pas un narcotique. Ce n'est pas un hallucinogène, sauf à très fortes doses. On ne peut pas véritablement le qualifier de substance intoxicante, étant donné qu'aucune ingestion fatale du produit n'a été relatée. Une consommation excessive entraîne le sommeil plutôt que la surdose. Le cannabis est une substance stimulante, relaxante et euphorisante qui a un effet de ralentissement. Cet effet est bien documenté et bien connu de tous les musiciens de jazz, comme le sénateur Banks le sait, et est peut-être l'origine de la réputation de substance aphrodisiaque, propice à la méditation et à l'augmentation du rendement que le cannabis a acquis au fil des années.
Toutes les déclarations que je fais ici s'appuient sur des sources que j'ai indiquées. Il est intéressant de noter que la médecine occidentale est la seule tradition médicale du monde à ne pas reconnaître les effets antidépresseurs, antistress et stimulants du cannabis dans son usage médicinal. La tradition occidentale classe plutôt le cannabis dans la catégorie des produits non médicinaux et lui attribue toutes sortes d'effets nocifs.
Il y a deux jours, le Edmonton Sun a publié un article qui perpétue quelques-uns des nombreux mythes modernes qui entourent le cannabis et qui fournit à nos représentants des raisons pour continuer de le considérer comme un produit illégal. On pouvait lire dans cet article: a) qu'il y aurait beaucoup plus d'accidents d'automobile après la légalisation; b) que les Américains viendraient en grand nombre au Canada pour acheter de la marijuana; c) que la marijuana contient plus de substances cancérigènes que les cigarettes, et d) qu'il faudrait faire payer des amendes aux personnes trouvées en possession de drogues, plutôt que de les incarcérer.
Brièvement, c'est faux de dire que l'usage du cannabis augmenterait le nombre des accidents de la route. Je vous ai fourni de la documentation à ce sujet. Toutes les études révèlent que les utilisateurs de cannabis sont plus prudents et qu'ils ne sèment pas la pagaille sur les routes.
Deuxièmement, il serait bien possible que nous soyons envahis par des touristes consommateurs de drogues douces en provenance des États-Unis, mais ce ne serait pas une mauvaise chose. Beaucoup d'entre nous auraient ainsi l'occasion de cesser d'être tributaires des prestations de bien-être social et d'envisager un avenir pour leur famille grâce à l'argent qu'ils pourraient gagner comme le font actuellement les Hollandais grâce à l'afflux de touristes à la recherche de drogues douces, sans que cela ait augmenté les problèmes dans leur pays.
Troisièmement, l'argument voulant que le cannabis soit plus cancérigène que les cigarettes est réfuté dans la documentation que je vous ai fournie. Les véritables coupables dans le tabac et le cannabis sont les engrais chimiques qui sont radioactifs. Les scientifiques ne sont pas parvenus jusqu'à présent à provoquer le cancer chez les rats à partir des autres substances cancérigènes en suspension dans le tabac et le cannabis. On remarquera également que les taux de cancer n'ont commencé à augmenter qu'après l'utilisation d'engrais chimiques dans l'agriculture. Le tabac est utilisé depuis des centaines, voire des milliers d'années et le cancer du fumeur s'est répandu, non pas après l'introduction du tabac mais après l'introduction d'engrais chimiques. Rien ne prouve que le cannabis de culture organique et riche en éléments actifs cause des troubles aux poumons, mis à part les bronchites dues à une consommation excessive qui sont en fait des inconvénients que je peux supporter.
Quant à la dernière proposition consistant à remplacer la sanction criminelle par une amende, elle est tout simplement ridicule. On n'impose pas des amendes aux gens qui boivent du café, ni en raison de leur préférence religieuse ou sexuelle. Pourquoi devrions-nous être stigmatisés?
Je remarque que vous servez du café là-bas et que tous ces gens viennent nous prêcher l'abstinence de drogues. Quoi de plus hypocrite quand on sait que la caféine est beaucoup plus toxique, qu'elle entraîne une plus grande accoutumance et qu'elle est plus dangereuse que le cannabis dans tous les aspects saufs un, à savoir le degré d'incapacité que le cannabis entraîne chez les fumeurs novices. C'est un problème que l'on pourrait éviter avec un minimum d'éducation et de réglementation.
Il faut bien savoir que les décisions que vous allez prendre feront que le monde adoptera un régime comme la Chine ou les États-Unis, c'est-à-dire un État prison où les gens ne sont pas autonomes et ne savent rien des drogues et où les trafiquants comme moi-même sont placés contre un mur et fusillés, après quoi leurs organes sont vendus au marché noir à des alcooliques et des fumeurs invétérés. Ou au contraire, on peut choisir une option décente comme l'ont fait les Hollandais qui encouragent la tolérance, l'information sur les drogues, toutes les drogues, et la responsabilisation en vue de leur utilisation appropriée.
Voilà, j'ai fait mon travail. Vous avez toute l'information devant vous. Si vous voulez mettre fin à cette guerre de la drogue et mettre en place un meilleur système, vous avez devant vous toute l'information nécessaire et vous savez où me rejoindre si vous voulez en savoir plus long.
Le président: Merci.
M. Rick Tipple: Je ne sais pas si je pourrais parler aussi vite.
Le président: Monsieur Tipple, étant donné que vous accompagnez le sénateur Carney, vous disposez de 15 minutes, y compris pour les questions du sénateur Carney.
M. Tipple: Le sénateur Carney, qui habite aussi à Saturna, m'a demandé de vous présenter cet exposé intergénérationnel en mon nom et au nom de Jesse Guy, une femme jeune et intelligente qui vient tout juste de terminer ses études secondaires chez nous l'an dernier.
Pour diverses raisons, Jesse et moi-même ne consommons pas de marijuana et nous n'avons donc aucun intérêt personnel dans cette affaire. Jesse serait venue elle-même présenter son exposé si elle ne se trouvait pas à Cuba en ce moment où elle passe sans doute des vacances enivrantes.
Depuis le début des années 70, je suis propriétaire à Saturna, une petite île située à environ 55 kilomètres au sud de l'hôtel où nous nous trouvons actuellement et j'y habite depuis cinq ans. Bien qu'elle soit proche de Vancouver, Saturna ressemble plutôt à une petite localité rurale isolée. L'aller-retour porte à porte pour venir ici prend nettement plus de quatre heures et il faut sept heures aller-retour pour se rendre au centre urbain le plus proche, soit Sydney, dans l'île de Vancouver. Peu de localités de Colombie-Britannique se trouvent à trois ou quatre heures de route du dentiste, du pharmacien, du magasin de vêtements ou du quincaillier le plus proche. Dans ce sens, tout au moins, je pense que nous représentons la population rurale de Colombie-Britannique.
Les îles du sud du golfe, y compris Saturna, sont d'importants producteurs de marijuana et représentent prétendument la plus grande industrie de Colombie-Britannique. Comme Jesse le dit dans son exposé, les insulaires sont très tolérants à l'égard des neuf utilisateurs et producteurs. La libéralisation des lois sur les stupéfiants n'aura pratiquement aucun effet sur la vie quotidienne de la plupart des insulaires.
Je me propose de lire l'exposé de Jesse pour commencer, et ensuite de présenter le mien.
16 octobre 2001
Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de prendre le temps d'entendre les opinions d'une multitude de personnes. J'aimerais vous dire pour commencer que je n'ai pas la prétention d'avoir toutes les bonnes réponses; je peux seulement vous offrir mes observations et mon interprétation du monde qui m'entoure. J'ai grandi dans les îles du golfe, où j'ai vu des gens exprimer des points de vue et des sentiments modérés au sujet du traitement réservé à la marijuana par le gouvernement du Canada et ailleurs dans le monde. En parcourant mon exposé, j'espère que vous garderez à l'esprit que, même si je suis jeune, j'ai beaucoup voyagé et j'essaie de formuler des opinions et des suggestions réfléchies et ouvertes à toute l'information disponible.
1) La conception conservatrice de la marijuana, et la solution qui en a découlé pour répondre aux problèmes de la société, c'est la «guerre aux drogues». Cette guerre a coûté très cher aux consommateurs et créé un marché criminel clandestin qui subsiste en bonne partie grâce à la vente de drogues. Donc, l'expérience a démontré que cette méthode était inefficace et coûteuse. Le vieil adage selon lequel, s'il y a des acheteurs, il y aura des vendeurs s'est avéré dans ce cas-ci. Je comprends que la marijuana n'est pas la seule drogue vendue sur le marché noir, mais elle y occupe une place importante. Donc, ce serait déjà une grande améliora tion si l'argent et le temps consacrés à l'application de la loi pouvaient être mieux utilisés pour combattre les drogues plus «dures», qui ont un effet beaucoup plus dévastateur sur la société. Le monde interlope perdrait d'énormes profits si la marijuana était en vente légale, puisque les prix et le marché diminueraient considérablement.
2) Le fait que la marijuana soit actuellement illégale attire les jeunes. Plutôt que d'avoir des conversations ouvertes et objectives avec leurs enfants, les parents cherchent à leur faire peur, ce qui érige un mur entre eux et leurs adolescents. Comme la peur fait partie de la tactique utilisée dans la guerre contre les drogues, l'information plus libérale passe inaperçue. Les gens des îles du golfe sont libéraux, en ce sens que nous grandissons ici aux côtés de nos professeurs et des amis de notre famille, dont beaucoup sont instruits et occupent des postes honorables bien qu'ils consomment eux-mêmes de la marijuana en quantité modérée.
3) Le message qu'il faut transmettre aux jeunes, c'est qu'ils doivent se servir de leur bon sens et comprendre que la plupart des choses sont acceptables en quantité modérée. J'ai grandi avec des gens qui consommaient de la marijuana et j'ai pu prendre ma propre décision à ce sujet, et voir qu'on pouvait en abuser tout comme de l'alcool ou de la nourriture. La marijuana est considérée avec le même respect que l'alcool, et beaucoup de jeunes des îles du golfe affirment qu'ils préfèrent la compagnie des «fumeurs de pot», plus détendus et moins portés à discuter, que celle des buveurs.
4) Quand j'ai parlé de ma lettre à beaucoup de gens de la région, le consensus général était qu'il se vend de la marijuana de toute façon et que le gouvernement devrait chercher à en tirer profit, en la taxant, plutôt que de gaspiller son argent à lutter contre un «crime» généralement accepté. Je crois que la marijuana devrait être un produit réglementé comme l'alcool. Elle devrait être fortement taxée à cause des risques qu'elle présente pour la santé. Et les autres formes d'ingestion pourraient également être réglementées.
5) Il faut également faire une distinction entre les gens qui font pousser de la marijuana pour leur propre consommation et ceux qui en cultivent pour la vendre illégalement. Il y a toute une différence entre ces gens-là et ceux qui en ont quelques plants dans un champ - tout comme il est légal de faire son vin et sa bière pour sa propre consommation, mais illégal d'en vendre. Ici, dans les îles du golfe, les gens acceptent cette distinction et n'ont généralement rien à dire contre ceux qui cultivent leur propre marijuana, mais ils n'aiment pas les gens qui en vendent, surtout à des enfants, pour faire des profits.
6) Il y a aussi le problème du contrôle de la qualité et de la teneur en THC. Ce problème serait réglé si le gouvernement adoptait une réglementation sur la marijuana, parce que les gens qui en achèteraient - en particulier les jeunes, qui ne font généralement pas pousser leurs propres plants - sau raient alors qu'ils obtiennent un produit pur. Cela réduirait les risques pour les gens des régions urbaines. Le problème ne se pose généralement pas dans les îles du golfe, où la marijuana est souvent cultivée en trop grande quantité, ce qui fait que l'excédent est envoyé ailleurs.Je pourrais vous dire encore bien des choses. Pour régler le problème de la surconsommation de drogues, je ne pense pas que l'interdiction ait jamais été la solution. Les gens sont naturellement curieux, et il y a une saine évolution que nous souhaitons encourager. Je pense que la solution, c'est de sensibiliser les jeunes aux dangers et aux avantages pour qu'ils puissent prendre leurs propres décisions, en espérant qu'ils auront la conscience et la confiance nécessaires pour prendre celles qui seront bonnes pour leur santé. Il y aura toujours des drogues, et vous ne serez pas toujours là pour protéger les enfants qui vous sont confiés pendant quelque temps afin que vous les éleviez; la meilleure chose que vous puissiez leur donner, par conséquent, c'est la confiance en eux et la capacité de réfléchir. En outre, en privant le monde interlope d'une partie de ses profits, vous pourrez faire du monde un endroit plus sûr à explorer et à habiter. Merci de vous préoccuper de ce problème et de comprendre que les solutions adoptées jusqu'ici pour le régler ne sont pas efficaces à bien des égards. Nous avons souvent tendance à oublier dans quel pays magnifique nous vivons et tout ce qui se fait de bien ici.
Cette lettre est signée Jesse Guy.
Pour ma part, j'aimerais vous expliquer comment la guerre contre les drogues a, premièrement, augmenté l'utilisation des drogues de la rue - en particulier les plus dangereuses, celles qui créent le plus d'accoutumance; deuxièmement, créé un créneau pour le crime organisé; troisièmement, considérablement ralenti le travail des policiers et des tribunaux; et enfin, quatrièmement, introduit des conditions qui pourraient éroder la capacité de gouverner du gouvernement.
La plupart des discussions sur les drogues illicites sont ancrées dans une argumentation quasi morale qui n'a aucune pertinence, à savoir le droit, pour les individus, d'ingérer une substance de leur choix par opposition à l'obligation, pour l'État, de protéger ses citoyens de ce qui peut leur faire du tort. L'État, pour diverses raisons qui ont également perdu leur pertinence, a choisi la prohibition comme outil de protection. Comme la plupart des adolescents et beaucoup de pré-adolescents pourraient nous le dire, la prohibition est un échec total. Et tous les arguments moraux selon lesquels la légalisation ou la décriminalisation des drogues de rue accroîtrait leur utilisation sont contraires à toutes les théories économiques.
La grande majorité des drogues - légales ou non - peuvent être cultivées ou fabriquées pour quelques sous la dose. Dans sa sagesse, le gouvernement fédéral a accordé une protection prolongée aux détenteurs de brevets pour hausser artificiellement le prix de nombreux médicaments d'ordonnance parfaitement légaux, parce qu'il croyait que ces prix nettement gonflés inciteraient les fabricants de produits pharmaceutiques à faire des tests et à distribuer de nouveaux produits. De la même façon, le gouvernement fédéral a adopté des lois de prohibition pour gonfler artificiellement le prix des drogues illicites, avec un résultat très similaire.
Les notions d'économie les plus élémentaires nous montrent que la diminution de l'offre d'un produit recherché en augmente la demande et, par conséquent, le prix. La prohibition des drogues de la rue a eu pour effet d'en gonfler les prix à un point tel que leur trafic est devenu extrêmement lucratif. Les saisies de drogues ont limité l'offre encore davantage, avec des conséquences similaires prévisibles. Les profits pharamineux ont attiré le crime organisé - le mot clé étant «organisé». La perspective d'énormes profits futurs a amené des vendeurs bien organisés à créer une demande par des moyens de marketing pas très orthodoxes. Plus le produit crée d'accoutumance, plus la demande est constante, et c'est pourquoi les vendeurs ont cherché à orienter la demande des drogues douces, qui créent peu d'accoutumance, vers les drogues dures qui entraînent plus facilement une dépendance.
La demande de drogues douces, associée à un besoin de drogues plus dures - à des prix gonflés dans les deux cas - a entraîné une autre conséquence de la guerre contre les drogues: le vol de biens personnels comme source de revenus. Les drogues illicites sont vendues dans les endroits publics, comme de la barbe à papa dans les foires de village. Tout ce que peuvent faire les policiers surmenés, c'est avertir le public quand des drogues dangereusement trafiquées ou, ironiquement, complètement pures se retrouvent dans la rue. La police, déjà trop occupée pour pouvoir réduire sensiblement les ventes de drogues dans la rue, est incapable de faire face au nombre croissant de cambriolages. Les policiers disent ouvertement qu'ils n'ont pas les ressources nécessaires pour faire enquête sur les crimes mineurs comme les vols, à moins qu'ils soient accompagnés de violence physique. Leur réponse habituelle, c'est: «Signez votre plainte au poste et appelez votre compagnie d'assurances.»
On dit souvent de nos jours que si quelque chose va bien, il vaut mieux ne pas le réparer. C'est bien beau, mais il serait beaucoup plus sage de dire que, si quelque chose ne va pas bien, il ne faut pas s'attendre à pouvoir régler le problème en reprenant toujours les mêmes solutions. Nos lois sur les drogues ne sont vraiment pas efficaces parce que la stratégie de la prohibition n'a jamais fonctionné et qu'elle ne fonctionnera jamais à mon avis.
Le directeur du service de santé publique des États-Unis a déclaré publiquement que, si le tabac était interdit, les gangsters de l'époque de la prohibition auraient l'air d'enfants de choeur par comparaison. Ne pouvons-nous pas appliquer la même logique à l'interdiction de tous les produits similaires? Est-il trop tard?
Le crime organisé et les barons de la drogue sont-ils devenus trop riches et puissants pour que nous puissions les arrêter? Comme le montrait un documentaire diffusé récemment à la télévision de la CBC, la centaine de Hell's Angels du Québec font des profits évalués à plus de 5 millions de dollars par semaine, pendant que les procureurs publics se tordent les mains de désespoir. La légalisation ou la décriminalisation des drogues de la rue serait nettement avantageuse pour les Canadiens en général, mais elle priverait les organisations criminelles de leurs profits. Vont-elles se laisser faire ou ont-elles déjà acheté les faveurs nécessaires? S'il n'est pas déjà trop tard, combien de temps nous reste-t-il? Ce qui est en jeu, c'est bien plus qu'une stratégie permettant de lutter efficacement contre des drogues potentiellement dangereuses. C'est la création d'un environnement propice à un quasi-gouvernement illégal.
Le sénateur Carney: Je tenais à signaler à mes collègues qu'il y a des gens qui ont un avis sur la question en dehors des centres urbains comme Vancouver et des quartiers comme le Downtown Eastside, dans la partie est du centre-ville. Ici, en Colombie-Britannique, il faut tenir compte de l'opinion des gens de l'extérieur des grandes villes, et c'est pourquoi je suis très reconnaissante à M. Tipple et à sa femme d'avoir fait 18 heures de trajet depuis Saturna pour nous présenter un point de vue non urbain - d'autant plus que je sais que vous êtes allergique au «pot» et que vous ne pouvez pas en consommer de toute façon.
J'ai deux questions à vous poser. Jesse Guy, en particulier, a présenté un point de vue courant dans la communauté de Saturna, où l'opinion générale penche en faveur de la modération, de la décriminalisation et du bon sens. Comme beaucoup de nos voisins cultivent de la marijuana, et que beaucoup en consomment, pensez-vous que ce soit le point de vue de toute la communauté?
M. Tipple: Je pense que les gens de Saturna et de toutes les îles du golfe sont très ouverts et que, même si certains peuvent être contre, ils sont extrêmement tolérants envers ceux qui sont pour - même si ça peut sembler contradictoire.
Le sénateur Carney: En tant qu'enseignante au secondaire, est-ce que c'était un problème pour vous à l'école? Vous enseigniez à North Vancouver?
M. Tipple: Oui. Non, j'enseignais à North Delta.
Le sénateur Carney: Au sud d'ici.
M. Tipple: Oui. J'ai eu longtemps une excellente administration qui s'occupait très bien des problèmes de ce genre. Cela nous causait souvent des problèmes en retour; pendant un certain temps, nous avons eu la réputation d'être une école de «drogués» parce que nous semblions être la seule à retirer les élèves de leur classe et à faire quelque chose. C'est un problème dans toutes les écoles, c'est certain.
Le sénateur Carney: Je ne sais pas si quelqu'un veut poser la question. Est-ce qu'il nous reste du temps?
Le président: Non. Vous voulez absolument poser une question?
Le sénateur Lawson: J'allais poser au témoin une petite question sur les gens de l'île qui font pousser leur marijuana et qui en fument. Est-ce qu'ils en font pousser seulement pour leur propre consommation ou s'ils en vendent à d'autres gens de l'île? Ou alors, est-ce qu'ils en exportent vers le continent?
M. Tipple: Je ne sais pas.
Le sénateur Lawson: D'accord.
M. Tipple: Personne n'a l'air de faire beaucoup d'argent.
Le sénateur Lawson: Ce n'est pas le crime organisé.
M. Tipple: Ce n'est pas organisé du tout.
Le sénateur Carney: Il y a trois personnes qui ont perdu leur emploi après la dernière descente policière. Tout le monde le sait dans l'île.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Tipple.
Le sénateur Carney: Merci.
M. James Leslie: Je vais utiliser le mieux possible le peu de temps qui m'est alloué. J'ai 26 ans et j'ai commencé à m'intéresser à la réforme de la politique canadienne sur les drogues à l'époque où je faisais mon baccalauréat en justice pénale et en criminologie.
Je voudrais insister brièvement sur quelques points. Premièrement, il n'y a rien d'intrinsèquement répréhensible dans l'usage des drogues en général. C'est une prédisposition humaine. Il s'en consomme depuis que les humains sont apparus sur la Terre, de tous les temps et dans toutes les cultures du monde.
C'est seulement depuis un siècle que nous avons décidé de criminaliser la consommation de drogues pour des raisons qui ne sont pas très claires, et qui n'ont pas beaucoup de sens. Les lois à ce sujet semblent souvent fondées sur des préjugés raciaux et d'autres motifs de ce genre qui remontent au début du siècle.
Pendant des milliers d'années, les gens de différentes cultures ont trouvé des moyens de consommer des drogues en toute sécurité. Il ne faut pas l'oublier. Et il faut reconnaître de quoi nous sommes capables. Les adultes canadiens sont tout à fait capables de prendre des décisions éclairées sur les substances dont ils veulent faire usage et ils devraient pouvoir en acheter dans un centre de distribution réglementé, comme un magasin d'alcools. C'est la seule solution logique.
Si nous ne le faisons pas, si nous ne tenons pas compte de cette suggestion, nous augmentons la puissance des groupes comme celui des motards des Hell's Angels, dont le long bras tatoué s'étend malheureusement sur tout le pays, avec de nouvelles sections qui s'ouvrent en Ontario. En tant que résident de la Colombie-Britannique, je constate que leur puissance augmente ici depuis un certain temps, généralement sans que personne ne fasse rien pour s'y opposer. C'est inquiétant.
Le régime de prohibition est un autre sujet de préoccupation. À l'heure actuelle, il favorise le crime organisé en lui fournissant les budgets nécessaires pour transporter des drogues et pour embaucher des avocats afin de se défendre en cas de poursuites. Notre gouvernement et nos services policiers n'ont pas l'argent nécessaire en ce moment pour lutter contre les organisations criminelles. Nous devons leur couper l'herbe sous le pied, si on peut dire, et les priver de l'argent qu'elles font. Nous devons les rendre vulnérables et les éliminer. Elles représentent une menace pour notre société et pour notre bien-être à tous.
Il est également inquiétant de voir que l'application des lois étrangères empiète sur notre souveraineté nationale. L'ouverture récente du bureau américain des narcotiques, la DEA, à Vancouver n'est pas une orientation souhaitable. Je trouve ironique que ce bureau ait choisi de s'établir à Vancouver parce que l'industrie de la marijuana y est florissante, alors qu'elle l'est également aux États-Unis. En 1988, même un de leurs propres juges en droit administratif, Francis Young, a affirmé que la marijuana était probablement une des substances thérapeutiques les plus sûres que connaisse l'humanité. La DEA a une position étonnante, compte tenu de ce qu'a admis un des juges américains les plus haut placés.
En ce qui concerne l'application de la loi, les policiers n'ont rien à faire dans les écoles. Ce n'est pas à eux de fournir de l'information sur les drogues; il faut laisser cela aux professionnels de la santé - infirmières, infirmières hygiénistes et médecins. Les policiers ne sont pas des médecins. Ils ne connaissent pas les véritables effets biologiques des drogues et, souvent, ils exagèrent, ils mentent et ils répandent des mythes sur les effets négatifs de ces substances. C'est plutôt inquiétant, tout comme la déclaration récente de l'Association canadienne des policiers selon laquelle la marijuana demeure une substance dangereuse, qui crée une dépendance et qu'il faut empêcher les gens de se procurer.
Enfin, si les drogues étaient réglementées, elles seraient moins facilement accessibles aux enfants et aux jeunes. En fait, à l'heure actuelle, il est beaucoup plus difficile de se procurer de l'alcool que de la marijuana, tout simplement parce que l'alcool est réglementé par le gouvernement et fait l'objet d'une limite d'âge. Bien que certains jeunes réussissent à se procurer de l'alcool, c'est beaucoup moins fréquent que si l'alcool était illégal. Il est facile de faire le rapprochement avec le cas de la marijuana.
Il faut un changement radical de politique. Il faut une légalisation complète. La décriminalisation n'est qu'un tout petit pas dans la bonne direction. Nous devons passer tout de suite à la légalisation, nous attaquer au crime organisé et utiliser les gros budgets alloués à l'application de la loi pour autre chose, par exemple les meurtres, les viols, les crimes violents, et ainsi de suite.
Dans le cas des autres drogues, comme l'héroïne, nous devons regarder ce qui se passe dans certains pays européens, par exemple en Suisse. La ville de Zurich, en particulier, a mené à bien à la fin des années 90 une expérience très réussie qui consistait, avec la bénédiction des Nations Unies, à donner aux héroïnomanes un traitement d'entretien.
Le président: Merci, monsieur Leslie.
Mme Cynthia Low: Je suis membre de l'Asian Society for the Intervention of AIDS; je ne suis cependant pas ici à titre de membre d'une organisation, mais en mon nom personnel, en tant que membre d'une communauté. Je voudrais vous dire que je ne partage pas le point de vue de M. Loh et de Mme To sur l'usage du cannabis, et les gens de ma communauté non plus. Je suis une immigrante. Mes amis sont des Asiatiques - Chinois et Japonais - de première, deuxième ou troisième génération, et ils viennent de milieux très divers. Je tiens à rappeler au Sénat que l'opinion de ces témoins n'est pas représentative de celle de la communauté sino-canadienne sur la réglementation de l'usage du cannabis. Je vous demande d'envisager une approche réfléchie et tolérante à cet égard.
Parce que je travaille avec des gens atteints du VIH, je sais que l'usage médical du cannabis a été extrêmement bénéfique pour nos clients. J'invite donc le Sénat à envisager de permettre l'usage du cannabis à des fins médicales et aussi pour le simple plaisir des nombreuses personnes qui sont atteintes de maladies mortelles.
Le cannabis n'est probablement pas plus dangereux que l'alcool et le tabac, et il l'est sans doute moins. S'il a une aussi mauvaise image, c'est peut-être davantage à cause de sa criminalisation qu'à cause de ses véritables effets, d'après les données scientifiques existantes.
Il y a des gens, comme moi, qui appuient une réglementation gouvernementale prudente de l'usage du cannabis. Le resserrement des efforts policiers pour lutter contre les drogues illicites a surtout ciblé les marginaux. Le système de justice pénale et l'appareil policier ont englouti des sommes astronomiques. Il faut toujours plus d'argent pour la police, pour les incarcérations, pour les tribunaux, et ainsi de suite.
Il y a des gens qui disent que la réglementation du cannabis va accroître la consommation de drogues; mais, dans l'organisation pour laquelle je travaille, nous voyons des toxicomanes tous les jours. Ce n'est pas parce que les drogues sont disponibles ou licites, c'est parce que c'est une entreprise et que, comme dans toute bonne entreprise, la prohibition ne fait que rendre le produit plus précieux et augmenter les profits des négociants. Je pense que le gouvernement devrait réfléchir très sérieusement à cet aspect de la question - à l'aspect commercial.
D'un autre côté, les jeunes - et en particulier les jeunes de couleur - sont recrutés pour la vente et la consommation de substances interdites, avec tout ce que cela comporte de racisme, de marginalisation et d'exclusion, par des membres actifs de notre environnement social. Quand j'étais jeune, en tant qu'immigrante, il m'était très difficile de me faire accepter par la culture dominante parce que je ne parlais pas anglais; je n'avais pas d'amis, et la vente de drogues était une option qui s'offrait à moi. C'était la seule option qui me permettait de me bâtir une image. Je pense que cela se produit souvent dans ma communauté, où des jeunes sont recrutés pour la vente de drogues pour des raisons liées aux difficultés d'intégration, au racisme et à la façon dont nous sommes perçus dans la société.
En guise de conclusion, je voudrais vous demander d'entendre le point de vue de nombreuses communautés différentes dans une perspective multiculturelle et pluraliste sur la réglementation du cannabis.
Le président: Merci beaucoup.
M. Perry Bulwer: Je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser à votre comité. Il y a une foule de choses que j'aimerais commenter après avoir entendu les présentations d'aujourd'hui, mais évidemment, ce n'est pas possible.
Le président: Vous pouvez toujours m'écrire ou m'envoyer un courriel. C'est libre à vous.
M. Bulwer: D'accord. Je veux mentionner une chose brièvement. Il y a eu une discussion sur la théorie de la drogue d'introduction. Quelques sénateurs ont dit croire à cette théorie selon laquelle la consommation de marijuana débouche sur l'usage de drogues plus dures.
Je ne me lancerai pas dans ce débat-là. Je veux seulement vous signaler que vous devriez peut-être examiner la question plus à fond. Je ne pense pas que nous comprenions très bien les causes de la toxicomanie. C'est un peu controversé. Ross Hall lui-même a laissé entendre qu'il avait peut-être une prédisposition à consommer des drogues dures. Et je pense que l'inspecteur Heed a déclaré lui aussi qu'il n'était pas convaincu, après des années dans la rue, que la marijuana était une drogue d'introduction. Je vous demande simplement d'examiner cette question un peu plus à fond si vous avez tendance à croire que cette théorie est vraie.
Je suis en troisième année de droit à l'Université de la Colombie-Britannique. Je siège au conseil d'administration du club Compassion de Colombie-Britannique. Hilary Black vous a bien expliqué notre perspective, ainsi que toutes les questions que soulève notre club. J'ai pensé que je pourrais vous être utile de mon côté en vous racontant mon histoire personnelle, qui aidera peut-être à dissiper certains mythes et certains stéréotypes auxquels certains d'entre vous pourraient croire au sujet de l'usage de la marijuana.
Entre 1969 et 1992, j'ai fumé de la marijuana à l'occasion, parfois tous les jours, parfois seulement les fins de semaine. J'ai vécu à l'extérieur du pays pendant de longues périodes, par exemple en Chine, où j'enseignais l'anglais. J'aurais été bien téméraire, dans ces pays-là, de m'amuser avec des substances illégales de ce genre.
Le président: Vous ne seriez pas ici.
M. Bulwer: En effet. Donc, j'entretenais en quelque sorte une relation sporadique avec la marijuana à cette époque-là. En 1992, je me suis inscrit à l'Université de Victoria à titre d'étudiant adulte. À peu près à la même époque, j'ai commencé à avoir de sérieuses migraines presque chaque semaine; je suis donc allé consulter une série de médecins, qui m'ont prescrit chacun un médicament différent pour soulager mes migraines. Mais aucun de ces médicaments ne fonctionnait vraiment; certains empiraient même le problème, ils me donnaient des nausées, et ainsi de suite. J'ai dû voir quatre médecins différents. Je me sentais comme un cobaye et j'avais l'impression qu'ils ne savaient pas quoi faire.
Malgré cette bataille contre la migraine, j'ai réussi à conserver une moyenne de A la première année. Je fumais de la marijuana les fins de semaine, et après la fin de l'année, j'ai fini par laisser tomber les médicaments. J'ai essayé des remèdes à base de plantes médicinales, comme le millepertuis et quelques autres, parce que je cherchais désespérément une solution. J'ai passé beaucoup de temps à étudier mes migraines et à essayer d'en déterminer les causes.
J'ai découvert que le stress était un des déclencheurs dans mon cas. Sachant qu'il est à peu près impossible d'être stressé quand on fume du «pot», j'ai décidé de commencer à en fumer régulièrement, tous les jours, même si j'étudiais très fort à l'université. Je dois préciser que, quand je dis «tous les jours», je ne veux pas dire toute la journée. Je ne fumais pas quand j'allais à mes cours, quand je faisais mes travaux ou quand je travaillais à temps partiel. J'en prenais à la fin de la journée pour me détendre.
Je vais vous envoyer mon témoignage par courriel parce qu'il y d'autres choses importantes que j'aimerais vous dire.
Le président: Le greffier vous donnera mon adresse.
M. Dana Larsen: Je suis rédacteur en chef du magazine Cannabis Culture. J'en ai deux exemplaires ici. Je pense que c'est un des magazines les plus populaires au Canada, surtout si on tient compte du fait qu'il est interdit au Canada en vertu du Code criminel. Je vais vous en distribuer des exemplaires à tous un peu plus tard, ce qui est en fait un acte illégal de ma part, mais j'espère que vous les accepterez de toute façon.
Je suis aussi le chef du parti Marijuana de Colombie-Britannique, qui a présenté des candidats aux dernières élections provinciales et qui a recueilli environ 3,5 p. 100 des voix, ce qui représente 53 000 personnes convaincues que la question de la marijuana était l'enjeu le plus important en Colombie-Britannique à ce moment-là.
Je voudrais vous expliquer un peu comment je me sens aujourd'hui, après avoir comparu devant un comité sénatorial qui examinait la question des drogues illégales il y a environ cinq ans, dans le contexte de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. J'ai lu tous les témoignages sur ce projet de loi, quand il a été présenté au Parlement et au Sénat. La plupart ressemblaient beaucoup à ceux que j'ai entendus ici; il y avait beaucoup de témoignages éclairés, beaucoup de groupes qui prônaient la décriminalisation, qui dénonçaient la situation actuelle et qui voulaient que les choses changent.
J'étais très optimiste quand j'ai témoigné devant ce comité sénatorial; j'ai trouvé que les sénateurs étaient très conscients de la situation et qu'ils posaient des questions très intelligentes - tout comme ici. Pourtant, le Parlement et le Sénat ont adopté le projet de loi sans changements majeurs, et la plupart des témoignages, à mon avis, ont été complètement laissés de côté. Cinq ans plus tard, presque toutes vos prédictions au sujet du projet de loi se sont réalisées et certaines choses sont bien pires que jamais.
Depuis l'adoption de ce projet de loi, il y a eu au Canada des centaines de décès par surdose au Canada. Il y a eu des dizaines de milliers de personnes accusées de possession simple de marijuana. Il y a eu un énorme gaspillage de l'argent des contribuables. Et je pense que beaucoup d'autres crimes sont restés impunis parce que la police a concentré ses efforts sur cette guerre futile contre la marijuana et les autres drogues.
La Loi réglementant certaines drogues et autres substances continue à empiéter sur nos libertés au Canada. Il y a certains aspects du projet de loi qui se sont concrétisés, notamment le fait que les policiers munis d'un simple mandat peuvent maintenant fouiller tout le monde dans un endroit donné.
L'an dernier, à Halifax, la police a fait une descente dans un rave après avoir reçu un tuyau anonyme selon lequel il y avait des drogues dans l'immeuble. Les policiers ont fouillé les lieux et ils n'ont rien trouvé; alors ils ont procédé à la fouille à nu de toutes les personnes qui se trouvaient là.
Compte tenu du nombre de défenseurs de la marijuana présents dans la salle, il ne serait pas étonnant que la police reçoive un tuyau anonyme selon lequel quelqu'un ici a de la marijuana en sa possession. Mais je me demande comment les sénateurs réagiraient si les policiers nous fouillaient tous à nu, chacun notre tour, parce qu'un d'entre nous pourrait avoir un joint dans sa poche. C'est quelque chose qui ne se voyait jamais avant l'adoption du projet de loi il y a cinq ans.
Il y a eu aussi depuis cinq ans un nombre croissant d'arrestations pour possession de marijuana au Canada. Même si les parlementaires ont dit et répété, quand le projet de loi a été déposé devant le Parlement, que la possession de marijuana ferait l'objet de mesures moins sévères, qu'il n'y aurait pas de casiers judiciaires, et ainsi de suite, rien de tout cela ne s'est réalisé. Les statistiques montrent que la GRC a effectué chaque année, depuis cinq ans, plus d'arrestations liées à la marijuana.
Enfin, certaines personnes se sont fait saisir leur maison au Canada. Vous pouvez commettre bien des crimes dans votre maison sans qu'elle soit saisie. Mais si vous faites pousser des plants de mari dans votre sous-sol, il y a de bonnes chances que votre maison soit saisie.
J'ai lu tous les témoignages qui ont été présentés devant le Parlement, et toutes les transcriptions des séances du comité; je n'ai vu absolument nulle part qu'il était possible de saisir une maison si quelqu'un y cultivait de la marijuana. Il a été question de quatre ou cinq maisons où de la cocaïne était livrée dans la boîte aux lettres, par exemple. Il y a une vingtaine de maisons qui ont été saisies au cours des cinq dernières années. Dans tous les cas, on y avait cultivé de la marijuana. Vous pouvez garder des cadavres dans votre sous-sol sans qu'on vous enlève votre maison. Mais si vous y faites pousser des plants, elle sera saisie - et ça n'a rien à voir avec les produits de la criminalité. Il n'est pas question ici de maisons achetées avec de l'argent provenant de la vente de drogues, mais bien de maisons utilisées pour commettre le crime qu'est la culture de la marijuana. Il n'y a pas d'autres crimes traités de cette façon-là au Canada.
Il m'est difficile d'être ici et d'écouter les témoignages. Je suis tout content de penser que les sénateurs ici présents vont faire quelque chose, qu'ils vont forcer le Parlement à apporter des changements. Mais il m'est également difficile de ne pas être cynique parce que nous avons déjà entendu tout ça il y a cinq ans. En fait, nous avions déjà entendu tout ça dans les années 70, devant la Commission Le Dain. Il y a eu d'innombrables études réalisées au Canada et dans le monde entier, et toutes disent essentiellement la même chose: la marijuana est soit sans danger, soit si peu dommageable que rien ne justifie que nous en fassions tout un plat au détriment du reste de notre politique en matière de drogues.
Je ne sais pas s'il y aura de véritables changements quand le comité rédigera son rapport à l'automne ou si nous verrons traîner les choses encore cinq ans, pendant lesquels il y aura d'autres élections et d'autres modifications à répétition tandis que des gens vont en prison, voient leur vie détruite et meurent dans la rue à cause des problèmes reliés à l'usage de drogues.
Pour finir, j'ai entendu toutes sortes de commentaires ici au sujet de la dépendance et de l'utilisation de la marijuana à des fins thérapeutiques. Les gens ont toutes sortes de problèmes dans leur vie, et pourtant la plupart des fumeurs de marijuana que je connais en prennent pour célébrer. Pour nous, c'est une expérience positive. Je n'ai aucune raison médicale de prendre de la marijuana, à part le fait que ça m'aide à me détendre et à me sentir heureux. Les gens consomment de la marijuana pour célébrer, pour jouir de la vie, pour améliorer leur vie.
Il y a un excellent article, que je vous recommande à tous, écrit par un dénommé Carl Sagan, qui est un des scientifiques les plus lus et les plus influents de notre époque. C'était un utilisateur chronique de marijuana. Il n'en parlait pas en public parce qu'il ne voulait pas que les gens le sachent ou que sa réputation en souffre, mais il a écrit un excellent article sur la question, sous le nom de M. X, dans le livre intitulé Marihuana Reconsidered, de Lester Grinspoon. Carl Sagan y explique que la consommation de marijuana l'a aidé à trouver des idées scientifiques intéressantes, que ses ouvrages étaient fondés sur des idées qu'il avait trouvées quand il était «gelé» et que ces ouvrages ont été chaudement recommandés et présentés dans les écoles.
Il est évident que les gens qui fument de la mari ne deviendront pas tous des génies scientifiques, loin de là, mais ils le font souvent pour améliorer leurs propres capacités, parce que ça les aide à composer de la musique, à écrire des poèmes, à créer des chansons ou à faire de la recherche scientifique. Je pense qu'il est important de se rappeler que la marijuana permet aux gens d'améliorer leur vie. Elle ne les aide pas toujours à surmonter une maladie ou à régler un problème, et c'est la même chose pour les autres drogues. Les gens en consomment parce qu'ils trouvent ça agréable, parce qu'ils aiment ça et que c'est pour eux une expérience positive.
Le président: Merci, monsieur Larsen. En passant, quand le Sénat ou un de ses comités se trouve dans une pièce comme celle-ci, cette pièce devient une annexe de l'enceinte parlementaire; il n'y a donc personne qui va y faire irruption, qui va se ruer à la porte pour fouiller qui que ce soit.
M. Malmo-Levine: Ce serait agréable si tout le monde était aussi bien protégé que vous.
Le président: Oh, vous l'êtes.
M. Malmo-Levine: Pas quand nous allons sortir d'ici.
Le président: C'est encore moi qui préside la séance. Tous les témoins qui viennent ici sont protégés; vous n'avez pas à vous inquiéter.
Mme Thia Walter: J'admire votre énergie. La journée a été longue. Je suis une mère de famille. J'habite le Downtown Eastside. J'ai deux fils merveilleux qui sont tous les deux adultes. Le premier a travaillé très fort pour faire ses études et a obtenu deux diplômes; l'autre a travaillé très fort et s'est retrouvé héroïnomane à 25 ans.
Je n'ai pas l'intention de vous raconter une longue histoire sur ce que j'ai vu au fil des années. Mais je vous assure que je suis une experte. Je connais la toxicomanie et je connais les horreurs de la toxicomanie non traitée. J'ai un petit bureau dans le quartier, juste à côté des gens difficiles à loger qui occupent l'hôtel Sunrise.
Le 17 octobre, mon fil Steve, celui qui est toxicomane, a été amené du centre de détention provisoire de Port Coquitlam pour subir un procès à Vancouver. Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas, Port Coquitlam est une localité plutôt isolée où se trouve un tout nouveau centre appelé l'Unité Nord, qui a coûté 40 millions à construire. C'est une petite ville très agréable. Mon fils a donc été amené ici pour subir son procès. Il a été acquitté d'une accusation d'introduction par effraction, mais il a été reconnu coupable de méfait. La juge - bien intentionnée - voulait trouver un moyen de briser le cercle vicieux de la criminalité et de la toxicomanie dans lequel Steve était enfermé. Elle a rendu une ordonnance précisant expressément que Steve devait aller vivre là où son travailleur social et son agent de probation l'enverraient. Elle a insisté tout particulièrement sur le fait qu'il devait subir le traitement qu'ils lui choisiraient.
Steven a été libéré à 7 heures du soir; il portait toujours son uniforme de la prison, un léger pantalon de coton et un chemisier à manches courtes rouge vif, que les gens de la rue appelle les «scarlets», avec les mots «B.C. Correction» imprimés en gros. Même si le registraire de la cour avait mon numéro de téléphone et avait eu pour instruction de communiquer avec moi ou avec l'avocat de mon fils quand celui-ci serait relâché, pour que nous puissions lui apporter des vêtements, il ne l'a pas fait.
Alors, ce garçon qui n'avait pas consommé depuis deux mois, pendant qu'il était en prison, a dû se rendre au centre d'échange de seringues pour me téléphoner et me demander d'aller le rencontrer. J'ai dû lui trouver un lit d'urgence parce que le travailleur social était rentré à la maison à 16 heures et que l'agent de probation ne pouvait pas le voir avant le lundi suivant. Je lui ai donné de l'argent pour l'autobus. Je lui ai donné des cigarettes. Le garçon qui a été libéré avec lui, et qui portait lui aussi l'uniforme de la prison, n'a pas eu autant de chance. Je lui ai offert à dîner, mais il ne me restait pas beaucoup d'argent; alors, il est parti vers Main et Hastings dans l'espoir de trouver sa copine pour pouvoir se changer.
Je pourrais continuer longtemps. Je dois vous dire que, depuis le 17 octobre, Steve a été en contact avec plus de 20 organismes gouvernementaux, représentants, services communautaires et professionnels de la santé différents parce qu'il souffre d'une grave infection à la main. Il a passé au moins la moitié de son temps dans la rue, soit parce qu'il avait dépassé la durée de séjour permise dans certains refuges, soit parce qu'il n'avait pas pu entrer dans d'autres parce qu'il n'avait pas les papiers d'identité requis. Il n'a pas pu retourner au centre de détention temporaire pour récupérer ses papiers parce que l'aller-retour en autobus lui aurait coûté six dollars.
Je suis extrêmement fâchée parce que j'ai travaillé 60 heures par semaine pendant cinq ans pour promouvoir le principe de la réduction des préjudices, pour essayer d'améliorer la qualité de vie des usagers, de leurs familles et de nos communautés. Et on me dit que, même si mon fils est en plus mauvaise posture qu'il y a cinq ans - et s'il est encore, soit dit en passant, sale, affamé, sans abri, malade et retombé dans l'héroïne -, il n'y aura pas un sou pour l'aider à sortir de la rue malgré tout l'argent dépensé pour cette histoire de réduction des préjudices liés à la consommation de drogues. Il finira par retourner en prison, et il sera content d'y être. On a alloué 5 millions de dollars pour des tribunaux chargés des infractions relatives aux stupéfiants alors que nous n'avons même pas de centres de traitement. Il va y avoir des contrats pour des centres de traitement spéciaux. Le Dr Schechter, du B.C. Centre for Excellence for HIV and AIDS, a reçu 4 millions de dollars. Mais ce n'est pas assez pour lui; il garde cette somme en otage, en quelque sorte, dans l'espoir de recevoir 4 millions de plus. Et pour faire quoi?
C'était presque un rêve devenu réalité. Il y a deux choses pour lesquelles je me suis battue très fort: d'abord des sites d'injection sécuritaires, ce qui va peut-être se concrétiser et qui permettra de sauver des vies, en espérant que ces gens-là vivent assez longtemps pour recevoir un traitement approprié; et ensuite la possibilité que cette personne, qui consomme des drogues dures depuis longtemps et qui pratique ce qu'on appelle «l'automédication», puisse bénéficier d'un traitement d'entretien. Mais ça n'arrivera pas.
Même si la recherche - en passant, elle ne porte pas sur le traitement d'entretien. C'est seulement de la recherche, des tests à l'aveugle qui ont déjà été faits ailleurs dans le monde.
Santé Canada a reçu une trousse contenant un projet pilote très détaillé pour le traitement d'entretien des héroïnomanes. Ce serait excellent. Mais l'argent va plutôt aller encore à la recherche.
Mon fils est encore dans la rue. Il va mourir d'ici un an. Il n'a pas d'espoir. Des milliers d'autres comme lui vont mourir aussi. Et l'argent va encore être gaspillé pour des programmes inutiles.
Je dis qu'il faut arrêter, révoquer l'autorisation de ce projet de recherche et envisager un projet pilote pour l'évaluation des héroïnomanes. Je vous demande aussi de réévaluer la situation et de demander pourquoi il n'y a pas de données sur le suivi effectué auprès des tribunaux de Toronto chargés des stupéfiants, et pourquoi on va consacrer encore 5 millions de dollars à ces tribunaux alors que nous ne pouvons même pas sortir de la rue des gens qui ne consomment plus de drogues.
Je voudrais également que vous vérifiiez le processus d'évaluation pour les services qui sont financés dans la région, censément pour des services reliés aux drogues. Il y a 44 nouveaux travailleurs de rue qui se partagent 3 millions de dollars. Mais mon fils ne peut toujours pas avoir une tasse de café à Carnegie parce qu'il se fait mettre à la porte s'il ose tomber endormi sur une chaise, du moins s'il réussit à passer sous le nez des gardes de sécurité quand il n'a pas consommé.
Je pourrais continuer longtemps, mais je suis très en colère et je me sens comme une mère qui a pris une décision au sujet d'un enfant en phase terminale. Je dis: «Enlevez le bouchon.» Si mon fils va plus mal qu'avant malgré tout le temps et l'effort qu'une foule de personnes lui ont consacrés, il y a vraiment quelque chose qui ne va pas. Plutôt que de gaspiller encore de l'argent pour faire la même chose, il faut évaluer ce que nous faisons. Les réponses étaient là; elles sont encore là. Mais nous choisissons plutôt de récompenser certaines personnes en disant: «Tenez, faites-vous un nom. Le nombre de personnes qui meurent n'a aucune importance, tant que nous faisons bonne figure.»
Le président: Merci.
M. David MacFarnam: Vous ne pouvez pas garder ceci, mais vous pouvez le faire circuler et y jeter un coup d'oeil. C'est ma teinture de cannabis et un article scientifique sur ce traitement.
Le président: Ne parlez pas quand vous n'êtes pas devant le micro. Personne ne va se souvenir de tout cela. Qu'est-ce que c'est?
M. MacFarnam: C'est de la teinture de cannabis, produite par le club Compassion. Je ne fume pas. Je pense que ce n'est pas une bonne idée, alors je prends de la teinture de cannabis parce que j'ai une tumeur au cerveau.
Je suis ici uniquement en mon nom personnel, mais je suis également membre du club Compassion. Mon travail, c'est d'essayer de guérir ma tumeur au cerveau. J'étais étudiant en droit. J'ai terminé ma première année, après quoi j'ai fait une pause.
Je suis ici parce que j'ai quelque chose que vous devez offrir à la profession médicale. J'essaie de traiter ma tumeur, qui est cancéreuse, par des moyens parallèles comme la teinture de cannabis. J'ai aussi un point de vue bien particulier sur la politique relative aux drogues, qui n'est probablement pas celui de la majorité des gens qui sont ici, des deux côtés de la salle.
Je m'adresse à vous parce que vous avez le pouvoir de rédiger des rapports et de faire des recommandations, et non en raison de vos fonctions de législateurs puisque vous n'êtes pas élus; je suppose par conséquent que votre existence fait du Canada une dictature, du moins sur papier. Si jamais vous exercez vos pouvoirs, ça fera du Canada une véritable dictature. Voilà donc ce que je pense de vous.
Je veux vous parler tout d'abord de l'automédication. Je soigne une tumeur au cerveau par des moyens parallèles. Les médecins m'ont dit qu'ils voulaient m'opérer et me faire subir de la radiothérapie et de la chimiothérapie, mais ils ne m'ont pas dit comment prendre soin de ma santé. Je suis parti de là et j'ai fait mes propres recherches. Deux ans plus tard, j'ai arrêté la progression de ma tumeur. Elle n'a pas grossi. Je prends toutes sortes de médicaments parallèles. Si vous voulez les connaître, je peux vous en parler, mais le cannabis en est un.
J'ai entendu parler du club Compassion, j'ai fait des recherches, je suis allé à la bibliothèque et j'ai lu tous les articles scientifiques que j'ai pu trouver. Vous pouvez en trouver quelques-uns sur le site du club Compassion, au sujet du traitement du cancer. Vous ne trouverez pas celui-ci parce que le club est contre les tests sur les animaux, mais on dit ici que des chercheurs ont provoqué des tumeurs mortelles au cerveau chez des rats et qu'ils ont branché les rats sur le cannabis. Chez certains d'entre eux, la tumeur s'est dissoute; je transporte donc cet article avec moi, avec la teinture.
Je suis entièrement d'accord avec Hilary Black en tant que membre, en tant qu'usager à des fins thérapeutiques, en tant que citoyen et, éventuellement, en tant que personne susceptible de subir la répression de l'État et probablement même d'avoir à me battre en cour. Vous pouvez vous mettre vos règlements où je pense, parce que je n'ai pas l'intention de subir un traitement conventionnel simplement pour prouver que ça ne fonctionne pas, et pour passer votre test. Et je ne chercherai pas non plus de médecins qui n'ont aucune connaissance des herbes médicinales, qui ne connaissent que les produits pharmaceutiques et qui savent seulement distribuer des médicaments.
Si vous m'arrêtez parce que je n'ai pas rempli de formulaire, que je possède du cannabis et que je ne respecte pas vos règlements - ma position, en gros, n'est pas sans rappeler celle de Morgenthaler. L'État m'empêche d'avoir accès à une plante, alors que c'est un droit fondamental à mon avis. Ma position, c'est que c'est un droit fondamental d'avoir accès à une substance végétale non transformée, à des fins médicinales. C'est à vous de prouver que cette substance est plus nuisible pour la société qu'elle n'est bénéfique pour moi, puisqu'elle pourrait me sauver la vie comme le montrent les données scientifiques.
Il y a eu récemment un cas où on a soutenu que la criminalisation était une menace pour l'individu parce que celui-ci possède quelque chose qui n'est pas nocif. Il y a plus que ça. Le gouvernement m'empêche d'y avoir accès. Je ne respecte pas vos règlements. Vous avez des catégories, et le cancer - le traitement du cancer et des tumeurs au cerveau - n'en est pas une.
Le président: Merci, monsieur MacFarnam. Si vous avez d'autres documents que vous aimeriez nous faire lire, vous pouvez me les envoyer par courriel.
M. John P. Gordon: J'ai fait le choix intelligent de me soigner avec de la marijuana. J'ai découvert que j'étais séropositif en 1986 ou 1987, et je pense que c'est un miracle que je me porte toujours aussi bien. Il y a environ trois ans, j'ai fait la connaissance du club Compassion de la Colombie-Britannique et de Hilary Black. Si je suis allé là, c'est notamment parce qu'avant, je devais me procurer ma marijuana dans la rue, ce qui veut dire que je me faisais offrir du crack et toutes sortes d'autres produits. Quand on ne peut pas trouver de marijuana dans la rue, ces autres substances commencent à paraître intéressantes, et c'est assez terrifiant de devoir aller voir des vendeurs de crack pour avoir de la mari. Le club m'a offert de la marijuana de bonne qualité, habituellement organique, et j'ai le choix entre l'indica et le sativa, selon que j'ai besoin de détente, d'énergie créatrice, d'énergie tout court ou d'autre chose. J'ai meilleur appétit et je n'ai pas besoin de prendre autant d'antiviraux. Je prends un cocktail de médicaments qui me donnent beaucoup de nausées, ce qui fait que j'ai de la difficulté à manger, mais le dilemme, comme l'a dit Hilary, c'est qu'il faut de l'argent pour manger et de l'argent pour acheter de la marijuana. Et même à 7 ou 10 $ le gramme, pour la marijuana de meilleure qualité qu'on peut se procurer au club Compassion, ça coûte quelque chose et ça gruge mon budget. Ce serait bien si je pouvais obtenir ma marijuana avec un permis du médecin, mais je ne peux pas. J'en ai parlé à mon médecin. Si je me soigne par moi-même à la marijuana, c'est parce que je n'ai pas l'approbation pleine et entière de mon médecin. Il reconnaît, du bout des lèvres, que la marijuana m'aide; ça ne fait aucun doute à ses yeux. C'est un spécialiste bien connu du VIH, mais il dit qu'il ne veut pas se mêler de politique et c'est pourquoi il refuse de signer des papiers pour le club Compassion. Malgré la réglementation, c'est quand même mieux pour moi d'aller au club Compassion sans papiers.
Le sénateur Lawson a dit que ce serait bien si on pouvait aller au magasin d'alcools. Je ne veux pas aller au magasin d'alcools pour acheter ma marijuana. Je voudrais pouvoir aller au club Compassion ou dans un magasin d'herbes médicinales parce que c'est là que la marijuana devrait se trouver, à côté du millepertuis, de l'échinacée et des autres produits de ce genre.
Je pourrais demander l'autorisation de cultiver ma propre marijuana en vertu des règlements. Je pense que les gens pauvres, en particulier, devraient avoir le droit de faire pousser leurs propres herbes médicinales. Je sais que ça se passe actuellement entre entreprises et entre monopoles, mais je pense que les gens pauvres devraient pouvoir cultiver leurs propres plants. J'aimerais bien le faire, mais j'habite dans un logement gouvernemental administré par le conseil de santé publique de Vancouver/Richmond, alors je ne peux pas. Premièrement, je mettrais en danger la sécurité des autres personnes de la maison parce que la prohibition a fait tellement monter les prix qu'il y a des gens qui voudraient entrer chez moi par effraction pour me voler mes plants.
Je me suis présenté pour le parti Marijuana de Colombie-Britannique et j'ai été cambriolé; je me suis fait voler mes pipes et certaines autres choses. C'est inquiétant. Je pense que la meilleure chose, ce serait que tout le monde puisse cultiver sa propre marijuana, tout comme on cultive des tomates. Le problème, c'est ce que ce n'est pas facile; tout le monde peut faire pousser une tomate, mais c'est difficile d'en faire de vraiment bonnes. Même si les règlements du gouvernement m'autorisaient à cultiver de la marijuana, je ne suis pas sûr que je pourrais le faire aussi bien que le club Compassion ou les autres organisations du même genre. J'aimerais pouvoir aller chez l'herboriste pour acheter ma marijuana; je ne vois pas pourquoi j'irais au magasin d'alcools. À mon avis, ce devrait être une petite industrie artisanale, où les gens pourraient s'aider en faisant du troc ou d'autres choses du genre. Ils pourraient avoir un meilleur niveau de vie s'ils faisaient pousser leurs propres produits médicinaux. Il ne devrait pas être nécessaire d'aller voir un médecin ou une compagnie pharmaceutique pour obtenir un produit qui vient de la terre et qui est bon pour nous.
Le président: Merci.
M. Chris Bennett: Eh bien, pour commencer, je dois vous dire que je suis un peu déçu que le sénateur St. Germain ne soit pas ici, parce qu'il semble être une des personnes opposées à ce que la prohibition prenne fin. Il devrait être ici pour recevoir toute cette information. Nous le payons assez cher. J'apprécierais qu'il revienne.
Je milite en faveur du cannabis depuis 12 ans. J'ai dirigé le groupe Patriotic Canadians for Hemp de 1989 à 1994. J'ai eu les premiers produits alimentaires industriels provenant de graines de chanvre en Amérique du Nord. Je collabore au magazine Cannabis Culture depuis environ huit ans. Je dirige actuellement pot-tv.net, un répertoire vidéo sur Internet portant sur les questions reliées au cannabis. J'ai écrit deux livres sur l'histoire de la culture du cannabis et la religion; je connais donc très bien la question. Je suis né en Colombie-Britannique et je fume de la marijuana depuis 27 ans; je suis donc ce que le sénateur St. Germain a appelé avec beaucoup d'éloquence un «fumeur de pot heureux».
L'usage du «pot» est aussi ancien que les collines sur lesquelles il pousse. Il est probable que les premiers humains sont tombés sur le cannabis en cherchant de la nourriture parce que la graine du chanvre est la source de protéines la plus digestible connue de l'homme. Dans leur quête de nourriture, ils se sont collé les doigts avec la résine provenant de ces plantes, qu'ils ont ensuite jetées au feu; et la douce fumée odorante du cannabis s'est élevée. Il n'est pas étonnant que le cannabis ait été utilisé de façon sacramentelle dans bon nombre des plus anciennes religions du monde. D'ailleurs, Carl Sagan croyait que le cannabis pourrait bien être la première plante cultivée par les humains. En Afrique, par exemple, c'est la première plante cultivée par les pygmées, qui ont commencé à en faire pousser parce qu'ils s'en servaient au cours de leurs cérémonies et qu'ils ne pouvaient jamais être certains d'en trouver à l'état sauvage.
Cette idée que le cannabis était peut-être le premier produit de l'agriculture est fondée sur des découvertes archéologiques; des tissus, des médicaments et toutes sortes d'autres objets très anciens peuvent y être associés. La culture est elle-même née de l'agriculture. Il n'est pas étonnant que l'usage du cannabis à des fins médicinales et euphorisantes ait existé dans la religion syrienne, dans la religion chinoise, dans la Pharmacopée, dans les textes de médecine des Indiens et des Musulmans. Partout, le cannabis servait à traiter les mêmes maux qu'aujourd'hui; il n'est donc pas nécessaire de faire des tests plus poussés. Il suffit de remonter le cours de l'histoire, et de parcourir les livres d'histoire et d'histoire de la médecine. Et il sert toujours pour des sacrements spirituels dans le culte de Siva, en Inde, le plus ancien culte sur Terre honorant une divinité. En Chine, des sages ont écrit il y a 2 000 ans: «D'abord un yin et ensuite un yang, personne ne sait ce que je fais. Des boutons de jade du chanvre sacré pour celui qui vit isolé.» Par ailleurs, dès le XIe siècle, le cannabis n'étant pas interdit par le Coran... Il y a une longue histoire d'utilisation du cannabis dans les pays musulmans, et il est écrit: «Dieu vous a accordé le privilège de connaître les secrets de ces feuilles, pour que vos denses inquiétudes disparaissent et que vos esprits exaltés soient polis.» Partout, tout au long de l'histoire, on trouve des exemples comme celui-là et des applications médicales dans de nombreuses cultures.
Aujourd'hui, grâce à notre influence sur l'Amérique, nous avons l'occasion au Canada de donner l'exemple au monde quant à la façon de traiter cette substance. Nous avons deux options: nous pouvons choisir le modèle d'Amsterdam, où il y a des cafés et une certaine réglementation, et où l'industrie des drogues douces est beaucoup plus facile à contrôler que celle de l'alcool. La consommation de cannabis n'a pas augmenté dans la population, et il y a des traitements pour les toxicomanes qui décident d'eux-mêmes de ne plus consommer et de passer à autre chose. Ou alors, nous pouvons choisir le modèle américain, qui fait que plus de 50 p. 100 des gens qui se retrouvent en prison sont là pour des infractions liées aux drogues. Et une de ces personnes sur six est là pour des infractions qui se rapportent à la marijuana, souvent pour possession simple. Un Noir sur trois, aux États-Unis, n'a pas le droit de voter en ce moment à cause de ces lois. Des étudiants des collèges et des universités sont expulsés de leur école et voient leur avenir gâché à cause de simples tests qui portent uniquement sur la marijuana. On ne trouve pas d'héroïne, ni de cocaïne dans leur urine, on y trouve du cannabis, et c'est sur cette substance que la DEA insiste aux États-Unis. En Californie, les électeurs ont approuvé la proposition 215 par un plus grand nombre de voix qu'aucun élu n'en a jamais récolté. Et malgré cela, le gouvernement fédéral envoie la DEA. Récemment, 30 agents de la DEA ont fait une descente au Los Angeles Buyers Club, un club de distribution de cannabis qui avait été approuvé par le maire et par d'autres membres du conseil municipal - 30 agents en même temps, alors que nous faisons face à la fameuse «menace terroriste». Il y a aussi des gens comme Asa Hutchison, qui mettent les consommateurs de drogues dans le même sac que les terroristes. Et il y a l'organisation D.A.R.E., qui émet des communiqués de presse pour dire que les vendeurs de cannabis devraient être considérés comme aussi dangereux que les terroristes.
Nous pouvons choisir le modèle des États-Unis. Nous pouvons mettre nos citoyens en prison. Nous pouvons, comme eux, incarcérer plus de gens que dans n'importe quel autre pays du monde, y compris la Chine, la Russie, l'Afrique du Sud, l'Afghanistan et l'Irak. Nous pouvons faire comme eux et envoyer une personne sur six en prison pour des infractions liées à la marijuana. Vous savez combien ça coûte? Malgré ce qu'a dit monsieur, même si j'ai trouvé que c'était un orateur très éloquent et si je reconnais ses bonnes intentions, nous dépensons des sommes énormes pour toutes ces choses qui se rattachent à la marijuana. Pourquoi ne pas nous concentrer sur le viol? Sur la violence familiale? Sur le crime? Une des choses que le Sénat pourrait faire pour récupérer les citoyens de notre pays qui ont été privés de leurs droits, pour les ramener parmi les électeurs et les consommateurs canadiens, c'est de légaliser le cannabis. Nous pouvons le faire.
Le président: Merci.
M. Richard Cowan: Permettez-moi de vous dire pour commencer que je suis seulement au quart Canadien. Mon grand-père maternel est né au Québec. Pour les trois quarts qui restent, je suis malheureusement texan. C'est à ce titre-là que je suis ici. Je suis aussi l'ancien directeur national de l'organisation nationale qui cherche à réformer les lois sur la marijuana aux États-Unis et je siège au conseil d'administration de la fondation NORML. J'ai également un site Web, MarijuanaNews.com, et je m'occupe des nouvelles sur la marijuana pour Pot-TV.
Pour moi, les Canadiens sont des amis, des membres de la famille. J'ai beaucoup apprécié leur appui après les attentats du 11 septembre. Il y a des liens très étroits entre nos deux pays. Pourtant, j'ai entendu des gens ici, et ailleurs dans le passé, demander ce que les États-Unis feraient si le Canada légalisait la marijuana. Eh bien, ils pourraient imposer des droits tarifaires sur le bois d'oeuvre ou adopter des politiques qui causeraient des retards à la frontière, mais sérieusement, qu'est-ce qu'ils pourraient faire? À peu près rien. Et de toute façon, le Canada ne doit pas sacrifier sa population pour satisfaire les appétits sanguinaires d'un gouvernement qui persécute les gens malades ou mourants dans son propre pays. J'ai honte de ce que fait le gouvernement de mon pays. C'est profondément immoral.
Mais, honnêtement, en tant que bon ami, je suis un peu embarrassé aussi par ce que fait le Canada. Les Canadiens font des blagues sur leur gentillesse. Ce sont vraiment des gens charmants. J'aime le Canada, et j'aime les Canadiens. Pourtant, je me pose des questions sur ce qui se fait ici. Par exemple, vous arrêtez encore les gens qui prennent de la marijuana à des fins thérapeutiques. Ce n'est pas bien, et le Canada arrête presque autant de gens que les États-Unis, per capita, pour des accusations de possession de marijuana. Les conséquences sont généralement beaucoup moins graves pour certaines personnes et à certains endroits, tout comme aux États-Unis. Si vous vous faites arrêter à certains endroits, aux États-Unis, c'est tout simplement embarrassant. Ça vous coûte quelques dollars, et c'est tout. Mais à d'autres endroits, votre vie peut être complètement gâchée. Vous pouvez perdre la garde de vos enfants, votre emploi, votre permis de conduire et vos prêts étudiants. C'est parfaitement injuste. C'est la même chose dans les deux pays, parce que le comité du Sénat a entendu des témoignages - plus tôt cette année, si je ne me trompe pas - selon lesquels il y a encore des gens qui vont en prison pour possession de marijuana au Canada.
Pour ce qui est de l'application efficace de la loi et de la justice humaine fondamentale, je pense que le Canada devrait vraiment regarder ce qui se passe aux États-Unis pour apprendre ce qu'il ne faut pas faire. Je m'envole après-demain pour les Pays-Bas. Il y a 25 ans, le 1er novembre, les Pays-Bas ont cessé d'arrêter leurs citoyens pour des infractions liées à la marijuana. C'était donc une décriminalisation dans les faits. Quelles ont été les conséquences? Le taux de consommation de marijuana est moins élevé aux Pays-Bas qu'au Canada, beaucoup moins qu'aux États-Unis, et considérablement moins qu'au Royaume-Uni. Et c'est la même chose pour l'utilisation des drogues dures. Dans les années 80, les Néerlandais ont décidé que c'était assez, que c'était une bonne chose de ne plus arrêter les gens. Mais pendant la même période, les États-Unis ont arrêté plus de 10 millions de personnes. Les Néerlandais n'ont arrêté personne pour possession, mais ils se sont rendu compte qu'ils devaient briser le lien entre les drogues douces et les drogues dures. Cette séparation des marchés est le fondement de toute la politique néerlandaise sur les drogues, et aussi du système de cafés. Comme l'ont dit Chris et certains autres, vous pouvez suivre le modèle de vos voisins du sud, où la situation est catastrophique et où notre liberté est menacée - au pays de la liberté, pourtant -, ce que je trouve absolument déplorable, ou alors vous pouvez adopter le modèle des Pays-Bas, fondé sur la tolérance et sur une politique efficace en matière de drogues. C'est vraiment le choix que vous avez, et j'espère que le Sénat du Canada défendra les droits de la population canadienne et prônera la bonne solution. Je pense que mon pays, celui auquel appartiennent les trois quarts de ma personne, en bénéficiera aussi. Le Canada ne se voit pas souvent comme étant en avance sur les États-Unis, mais croyez-moi, les États-Unis ont désespérément besoin du leadership du Canada dans ce domaine, et j'espère que le Sénat du Canada assumera ce leadership.
Le président: Merci de vos commentaires, monsieur Cowan. Votre témoignage me rappelle celui du gouverneur Gary Johnson, que nous avons entendu lundi dernier à Ottawa. Il a dit à peu près mot pour mot la même chose que vous.
M. Cowan: Il est au Nouveau-Mexique.
Le président: Chers collègues, c'est tout pour aujourd'hui. Je remercie tous les participants.
La séance est levée.