Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites
Fascicule 16 - Témoignages
REGINA, le lundi 13 mai 2002
Le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 8 h 30 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogue canadiennes.
Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Au nom du comité, je tiens à remercier le maire de Regina d'avoir mis la salle du conseil à notre disposition pour la présente audience. Nous vous sommes reconnaissants, aux membres de votre personnel et à vous- même, des efforts déployés pour faire une réussite de notre séjour à Regina.
M. Pat Fiacco, maire, ville de Regina: C'est avec plaisir que je suis ici au nom de mes collègues du conseil municipal et de la Commission de prévention du crime de Regina. La question à l'étude aujourd'hui est très grave, et nous vous sommes reconnaissants de l'occasion qui nous est donnée de vous faire part de nos vues, de nos initiatives et des défis auxquels nous sommes confrontés. Je tiens personnellement à remercier chacun d'entre vous d'avoir pris le temps de venir ici, d'écouter, d'apprendre et, au bout du compte, d'attaquer le problème en examinant les politiques et les lois actuelles du gouvernement du Canada.
À titre de maire et de président de la Commission de prévention du crime de la ville, j'ai fini par prendre la mesure de l'importance du problème des toxicomanies dans toutes les villes. La Commission de prévention du crime de Regina a été établie en 1995. Le conseil municipal a désigné des représentants. Douze personnes siègent à la Commission, que préside le maire. On y retrouve le chef du service de police de Regina et dix membres de la collectivité bénéficiant de connaissances et de compétences fort diversifiées. La Commission a pour rôle de coordonner et d'articuler une stratégie exhaustive de prévention du crime pour notre ville.
La Commission a fait des toxicomanies l'une de ses cinq priorités pour la prochaine année. En raison de la complexité du problème, je crois que nous continuerons de nous y intéresser à l'avenir. La toxicomanie est un problème grave et complexe qui a une incidence sur de nombreux secteurs: la santé, la criminalité, la jeunesse, la famille, la société et le bien-être, pour n'en citer que quelques-uns. Le problème touche tous et chacun d'entre nous, directement ou indirectement. Voilà pourquoi la Commission et ses partenaires communautaires ont étudié la question en profondeur. Nous nous affairons à la mise au point d'une stratégie antidrogue qui s'attaque aux problèmes, répond aux besoins de tous les citoyens et, en particulier, à ceux de notre communauté autochtone.
Avant d'entrer dans les détails, je tiens à dire que la ville, à titre de personne morale, n'est absolument pas spécialiste de la question. Nous faisons office d'animateurs. Nous réunissons des particuliers et des organismes que nous invitons à aborder le problème de façon collective. Dans notre ville, il existe déjà des programmes efficaces de lutte contre la toxicomanie. Aujourd'hui, vous aurez l'occasion de parler à des personnes qui œuvrent directement dans ce domaine. Ce sont les spécialistes. Ce sont les champions qui s'évertuent à trouver des solutions et à insuffler des changements.
Plus tôt cette année, le district de santé de Regina, la Commission de prévention du crime de Regina et le Comité intersectoriel de Regina ont, avec l'aide d'autres organismes, organisé la Conférence régionale sur l'alcoolisme et d'autres formes de toxicomanie. Plus de 75 personnes intéressées par divers aspects de la prévention, de la réduction ou du traitement des toxicomanies y ont participé. À l'occasion de la conférence, nous avons pu étudier l'ampleur du problème à Regina, examiner les ressources dont nous disposons pour y remédier et établir comment nous pourrions intervenir en abordant la question de façon collégiale et en coordonnant nos efforts.
À cette occasion, les participants ont rempli un questionnaire conçu pour établir l'intérêt suscité par l'élaboration et la mise en œuvre d'une stratégie antidrogue concertée ici à Regina. Quatre-vingt-dix-huit pour cent des répondants se sont prononcés en faveur de l'élaboration d'une stratégie antidrogue axée sur une approche à quatre piliers. Cette approche comprend la prévention, le traitement, l'application de la loi et la réduction des préjudices, conformément à des stratégies antidrogue qui ont fait leurs preuves au Canada, aux États-Unis et en Europe. En outre, 80 p. 100 des répondants se sont dits disposés à examiner la documentation sur les toxicomanies et les stratégies antidrogue afin d'en évaluer la pertinence pour Regina. Les répondants se sont pour la plupart dits intéressés à faire partie d'un bureau de conférenciers.
Il est évident que le désir et la volonté d'aller de l'avant existent bel et bien. La prochaine étape consiste à élaborer une stratégie antidrogue locale. Ce faisant, on doit comprendre que la réussite d'une telle stratégie dépend de la coopération, des efforts concertés, de la participation locale et de l'engagement des intervenants à créer pour tous une communauté plus sûre et plus saine.
Pour y parvenir, nous devons miser sur le soutien et la coopération d'intervenants invités à mettre au point une stratégie, favoriser la participation la plus large possible de la collectivité, associer cette dernière au dialogue sur l'utilisation nuisible des drogues de même qu'à la résolution de problèmes et, enfin, favoriser l'engagement envers la prise de mesures dans le cadre de l'élaboration de la stratégie.
À la fin du mois de mars, on a pris les mesures qui suivent pour élaborer une stratégie antidrogue. Des intervenants clés, y compris le district de santé de Regina, la ville de Regina, la Commission de prévention du crime de Regina, le service de police de Regina, les Services sociaux et le Comité intersectoriel de Regina, s'inquiètent de l'importance de l'utilisation nuisible de drogues à Regina et ont accepté de participer à la mise au point d'une réponse concertée.
Pour assurer le leadership voulu et établir d'autres structures organisationnelles liées à la mise au point d'une réponse concertée à ce problème, on a désigné un comité. Les principaux intervenants ont identifié plus de 80 partenaires communautaires clés. Parmi ces derniers, citons les représentants d'organismes ayant pour mandat d'offrir des services aux toxicomanes, les organismes communautaires qui proposent des programmes sur l'utilisation et l'abus de drogues ou aiguillant les toxicomanes vers les services existants et, enfin, les hauts fonctionnaires fédéraux et provinciaux œuvrant dans le domaine des toxicomanies.
Au nombre des partenaires communautaires clés, on retrouve des représentants des quatre piliers associés aux toxicomanies, soit, comme je l'ai déjà indiqué, la prévention, le traitement, l'application de la loi et la réduction des préjudices, et nous avons rencontré des représentants de la collectivité.
On s'attend à ce que la stratégie antidrogue débouche sur un plan d'action, élaboré et soutenu par la collectivité, lequel permettra de lutter efficacement contre l'utilisation nuisible des drogues à Regina et dans les environs. Le projet devrait être mené à bien d'ici 2003.
L'initiative sera financée en partie par la Fédération canadienne des municipalités, en particulier la stratégie antidrogue municipale. Regina compte parmi les neuf municipalités qui, en vertu de cette stratégie, ont reçu une subvention de 13 500 $ pour l'élaboration et la mise en œuvre d'une stratégie antidrogue locale. On vous parlera peut- être de ces subventions dans d'autres collectivités où vous vous rendrez puisqu'elles auront elles aussi reçu une subvention de la FCM.
La ville assure également un soutien financier constant à de nombreux organismes qui offrent des programmes et des services aux personnes directement ou indirectement touchées par les toxicomanies. Pour ce faire, nous passons par le conseil des subventions au développement social, le programme de subventions communautaires des loteries de la Saskatchewan et le fonds artistique municipal de Regina. Au nombre des groupes qui ont reçu des subventions, mentionnons l'AMAN House, le Circle Project, l'Initiative de réduction des préjudices du sud de la Saskatchewan (South Saskatchewan Harm Reduction Initiative), le projet d'intervention des travailleurs de rue (Street Workers Advocacy Project), Jeunesse J'écoute, Common Weal, la Student Karma Independent Troupe (SKIT) et les unités d'intervention mobiles. Chacun de ces organismes et d'autres auxquels nous venons en aide travaillent à des niveaux différents pour venir à bout du problème des toxicomanies.
Comme nous le savons tous, le problème n'est pas propre à notre ville. Dans de nombreuses collectivités du Canada, l'abus de drogues représente une préoccupation majeure, à l'origine de nombreux problèmes sociaux. La clé du problème réside dans l'adoption d'une démarche communautaire. Nous devons unir nos forces pour intervenir de la façon la plus efficace et la plus efficiente possible.
Je félicite le district de santé de Regina, la Commission de prévention du crime de Regina, le Comité intersectoriel de Regina et tous les organismes de notre ville déterminés à nous aider à nous attaquer à ce grave problème. Tout au long du processus, nous savons que la collectivité elle-même nous aidera à mettre au point certaines solutions. L'élaboration d'une stratégie antidrogue n'est que la première étape.
Nous espérons que le gouvernement fédéral appuiera les recommandations et les stratégies élaborées par les collectivités en leur prêtant l'oreille et en y donnant suite grâce à la fourniture des ressources jugées importantes.
Le sénateur Wiebe: Les administrations locales et municipales tout comme les gouvernements provinciaux et fédéraux administrent des sommes colossales dans la sensibilisation aux drogues. Nous dépensons beaucoup d'argent dans l'espoir de circonscrire la consommation de drogues au moyen d'interventions policières. J'ai beau me creuser la tête, je ne vois pas de solution. Ma question est la suivante: y a-t-il des mesures que nous devrions prendre et que, à votre connaissance, nous ne prenons pas?
Aujourd'hui, on évoque la possibilité de légaliser certaines drogues. Dans le rapport, je constate que l'alcool représente le principal problème des toxicomanies en Saskatchewan, et l'alcool est une drogue que nous avons légalisée. Si nous agissions de la même façon relativement à d'autres drogues, nous retrouverions-nous avec les mêmes problèmes sur les bras? Comme tout le monde, nous sommes simplement à la recherche de réponses.
M. Fiacco: À titre de municipalité, nous n'avons pas de politique précise sur la légalisation de quelque drogue que ce soit. Nous avons demandé à la commission de prévention du crime de Regina de se pencher sur la question et de faire rapport à ce sujet.
Personnellement, je ne suis pas convaincu que la légalisation de certaines drogues soit la solution. Je songe au document de discussion sur le cannabis. Je ne peux parler que de la situation à Regina et dans une partie de la Saskatchewan. Pour nous, il s'agit davantage d'étudier les symptômes, c'est-à-dire d'évaluer pourquoi l'alcoolisme et la toxicomanie existent.
On a affaire à un cercle vicieux. Dans une infime partie de la collectivité, les pratiques de consommation abusives se transmettent de génération en génération. Tant et aussi longtemps que nous n'aurons pas brisé ce cycle, qui débouche sur la toxicomanie, nous allons connaître des difficultés. C'est dans ce secteur qu'on devrait concentrer l'argent et la recherche. Certaines familles vivent dans des conditions parfaitement abjectes. Logées dans des appartements insalubres, elles ne possèdent pas les connaissances de base nécessaires pour réussir. Par conséquent, elles se tournent vers l'alcool ou les drogues. La question va au-delà de la simple application de la loi.
Il y a deux ou trois semaines, on a, à Regina, procédé à une importante saisie de drogues auprès de fournisseurs importants. Les drogues en question étaient le Ritalin et le Talwin. Cette intervention aura peut-être pour effet d'atténuer certains de nos problèmes. Nous allons, en conséquence de ce coup de filet, noter une diminution du nombre d'entrées par effraction parce que bon nombre de consommateurs n'ont pas d'argent pour acheter des drogues: les revendeurs acceptaient des biens volés en échange.
Je l'ai dit, je ne suis pas un spécialiste, mais je me demande si nous devrions légaliser ces drogues. Je ne suis pas certain qu'il s'agisse de la solution. Je pense que nous devons plutôt mettre l'accent sur les raisons qui poussent des gens à se tourner vers l'alcool et les drogues.
Le sénateur Wiebe: On se réjouit toujours à l'annonce de saisies de drogues, mais elles entraînent des pénuries. Du même coup, les prix augmentent. Puis, on note une recrudescence des entrées par effraction et ainsi de suite. A-t-on, à Regina ou dans la province, effectué une étude pour déterminer les coûts exacts pour la société, y compris les ressources consacrées à l'application de la loi par la police, de même que les pertes imputables à ces entrées par effraction?
M. Fiacco: Cal Johnston, chef de police, sera ici un peu plus tard, et sera certainement en mesure de répondre à cette question.
Le sénateur Kenny: J'ai sous les yeux les chiffres qui nous ont été fournis par le service de police de Regina, notamment en ce qui concerne les infractions signalées pour possession de cannabis: en 1995, 60 personnes; en 1996, 106 personnes; en 1997, 87 personnes; en 1998, 93 personnes; et, en 1999, 113 personnes. Le nombre d'infractions pour possession de drogue en vue d'en faire le trafic correspond au tiers environ des chiffres que j'ai mentionnés, et celles pour trafic, à peu près aux deux tiers. Les infractions pour importation sont très peu nombreuses, presque inexistantes, et il en va de même pour celles qui ont trait à la culture. S'agit-il d'une priorité pour votre ville? Consacrez-vous beaucoup de temps à ces questions?
M. Fiacco: La commission de prévention du crime de Regina met l'accent sur cette question. Le conseil municipal y attache-t-il beaucoup d'importance? Nous en discutons au moment de l'examen des statistiques sur la criminalité, et nous recevons des rapports non seulement des commissaires du bureau de la police, mais aussi de la commission de prévention du crime de Regina. En ville, il y a eu d'importantes saisies de drogues auprès de personnes qui cultivaient des plants de marijuana. Cependant, je ne suis pas convaincu que ces chiffres rendent compte du nombre réel d'accusations. Cal Johnston, le chef de police, est la personne la mieux placée pour fournir des détails à ce sujet.
Le sénateur Kenny: À titre de responsable de l'administration locale, comment la toxicomanie est-elle portée à votre attention? La remarquez-vous à cause de la recrudescence des entrées par effraction et des vols simples? Comment la situation devient-elle problématique? Vos commettants vous disent-ils ne plus pouvoir utiliser tel ou tel parc parce que certaines personnes y consomment de la marijuana et qu'il s'agit d'une mauvaise influence pour leurs enfants? Comme ce problème s'impose-t-il à vous en tant que maire de la ville?
M. Fiacco: Il y a certains secteurs de la ville où, nous le savons, on s'adonne à de telles activités. Les habitants de ces quartiers m'interpellent sur deux plans, à titre non seulement de maire, mais aussi de président du bureau des commissaires de la police. Naturellement, nous communiquons ces renseignements au chef de police, et c'est à lui que revient la responsabilité de s'en occuper.
Nous tenons à nettoyer notre ville. Dans un monde idéal, nous réglerions d'abord le cas des fournisseurs de ces drogues illicites. Comme je l'ai indiqué plus tôt, on en revient à la question des raisons qui font que des personnes consomment.
À Regina, nous avons, je crois, un problème de drogue différent de celui qu'on retrouve à Vancouver, où les utilisateurs de drogues injectables sont nombreux. Je ne veux pas dire qu'aucun problème de cette nature ne se pose ici. Le problème existe, mais il n'est pas répandu. On l'observe plus fréquemment dans un certain secteur isolé de la ville.
Nous tentons d'y remédier. Il s'agit d'un problème important. J'espère que les spécialistes qui assisteront aux rencontres organisées dans le cadre de la stratégie antidrogue l'année prochaine seront en mesure de nous soumettre des recommandations. Ensuite, nous serons en mesure de discuter de solutions éventuelles avec le gouvernement fédéral. Nous tenons à ce que toutes les collectivités, et non seulement Regina, comprennent mieux l'étendue du problème.
Il y a eu quelques saisies importantes de marijuana dans notre ville, mais l'abus de Ritalin et de Talwin représente notre principal problème.
Le sénateur Kenny: Comment se compare-t-il à l'alcoolisme? Je me mets à votre place: au cours d'une journée ou d'une semaine, combien d'appels recevez-vous au sujet de personnes qui consomment trop d'alcool ou de marijuana? Combien d'appels recevez-vous de personnes qui se plaignent de la collecte des ordures ménagères ou des nids-de-poule dans les rues? Pouvez-vous me donner une idée de l'importance du problème que représente la toxicomanie par rapport à l'ensemble des problèmes auxquels vous êtes confronté?
M. Fiacco: Mon bureau ne reçoit pas beaucoup d'appels. La plupart des appels sont dirigés vers les Services sociaux. Nous en recevons quelques-uns, mais je crois que les citoyens comprennent qu'il ne s'agit pas d'une responsabilité de la municipalité et que les moyens d'action qui s'offrent à nous sont limités, au-delà du signalement des problèmes à la police. Il s'agit d'un problème qui relève des Services sociaux, et la situation s'explique par le délestage auquel on a procédé au cours des dernières années. Je reçois peut-être quatre appels par mois au sujet de troubles imputables à l'alcool.
Le sénateur Kenny: En temps que membre du bureau des commissaires de la police, pouvez-vous me dire si la police de Regina accorde une attention toute particulière à la possession de cannabis? Vaut-il la peine qu'une voiture de police se déplace pour un tel problème ou qu'un agent y consacre du temps?
M. Fiacco: Je crois savoir que le chef de police vous fournira plus de détails à ce sujet. La réalité, c'est que la possession de marijuana est illégale.
Le sénateur Kenny: J'en suis conscient.
M. Fiacco: Si on nous signale un problème de cette nature, nous allons devoir envoyer une voiture.
Le sénateur Kenny: Dans l'échelle de priorité des interventions policières, où un tel signalement se classerait-il?
M. Fiacco: Tout dépend de la situation en vigueur ce soir-là et des ressources disponibles. Le chef de police sera en mesure de vous fournir des détails à ce propos.
Le président: Je constate que vous avez accès à notre document de discussion. Je vais tenter d'établir un lien entre votre témoignage et certaines de nos conclusions afin de déterminer dans quelle mesure elles correspondent à votre réalité, à votre milieu.
J'aimerais avoir une idée claire de votre définition de certains mots. Vous utilisez les mots «toxicomanie» et «abus». Vous avez utilisé le mot «abus» dans la conférence que vous avez organisée l'année dernière. Pour être certains de bien nous comprendre, nous avons, dans le document de discussion, décidé de définir le mot «abus», pour que nous en ayons tous la même compréhension. Comme vous le voyez à la page 2, où figure notre lexique de base, «abus» est un terme vague. Nous avons donc décidé d'établir une distinction entre usage, conduites à risque, conduites addictives et abus.
Ai-je raison de penser que vos préoccupations touchant la drogue portent principalement sur l'abus et la toxicomanie?
M. Fiacco: C'est exact.
Le président: Vous vous inquiétez de l'abus et de la toxicomanie plutôt que de l'usage. Nous savons tous que l'usage est illégal. Vos préoccupations ont trait à l'abus et à la toxicomanie, ce que, dans notre document, nous appelons conduite à risque menant à l'abus.
M. Fiacco: Absolument.
Le président: Nous en sommes venus à la conclusion que, l'année dernière, l'année ayant précédé l'enquête, un Canadien sur dix avait consommé de la marijuana. Il s'agit de 10 p. 100 de la population. Chez les jeunes âgés de 14 à 24 ans, entre trois et cinq sur dix ont consommé de la marijuana au cours de l'année ayant précédé l'enquête.
Avez-vous accès à des chiffres locaux qui permettraient de confirmer ou d'infirmer les données nationales?
M. Fiacco: Non, nous ne disposons pas aujourd'hui de ces chiffres, mais il s'agit du genre d'information auquel nous aurons accès l'année prochaine, à la suite de nos rencontres sur la stratégie antidrogue.
Le président: Vous tenez à vous assurer de travailler avec des chiffres réels?
M. Fiacco: Oui.
Le président: Nous avons constaté qu'il n'est pas toujours très facile de mettre la main sur ces données. Dans les documents auxquels nous avons eu accès, on retrouve certains chiffres sur l'usage de drogues par les élèves de la 6e à la 12e années. Je vais aborder cette question plus en détail avec les représentants des ministères de la Santé.
Permettez-moi de vous présenter un scénario. Par la suite, je vous inviterai à me dire si vous êtes d'accord ou en désaccord avec lui. La FCM évoque la mise en œuvre d'une stratégie locale, et vous décidez de relever le défi. Cependant, d'entrée de jeu, vous constatez l'absence d'enquêtes solides ou valables ou encore d'évaluations longitudinales de l'attitude des jeunes vis-à-vis de la consommation. Par conséquent, vous devez impérativement établir, avant de mettre au point une stratégie digne de ce nom, s'il est vrai qu'environ 20 000 résidents de Regina consomment de la marijuana au moins une fois par année. Ensuite, vous devez déterminer la proportion de ces usagers qui présentent un risque, c'est-à-dire ceux qui sont au bas de l'échelle — votre principale préoccupation — et ont développé une accoutumance.
Ai-je bien décrit le scénario auquel vous faites face?
M. Fiacco: Oui. Cependant, je dois dire que nos discussions au niveau de la commission de prévention du crime portent principalement sur les drogues injectables plutôt que sur le cannabis.
Le président: Le mandat premier de notre comité portait sur toutes les drogues. Il s'agissait d'un mandat d'une durée de trois ans. À notre retour au lendemain de l'élection, nous avons, au terme de discussions entre nous, convenu de ramener à 18 mois la durée de l'étude et de nous concentrer sur le cannabis, qui est une substance très populaire, sachant que nous allions du même souffle recueillir des données sur d'autres drogues, lesquelles serviraient à une autre occasion.
Bien entendu, on a tendance à penser que la marijuana représente un problème moins grave que les drogues injectables, qui ont toutes les conséquences qu'on connaît. Ce sont celles qui sont le plus préoccupantes. Néanmoins, le cannabis est toujours une substance illicite, et c'est pourquoi nous posons certaines questions. Ne soyez pas timide. Les autres maires nous font à peu près les mêmes réponses que vous. Le maire Owen de Vancouver nous a dit à peu près la même chose. Je suis certain que vous êtes au courant du défi auquel le maire Owen fait face.
M. Fiacco: Nous en avons parlé à maintes reprises.
Le président: Pour établir une stratégie, on doit impérativement connaître sa population. À titre de maire ou de membre de tribunes et de comités divers, envisagez-vous de confier à un organisme indépendant le mandat de suivre la situation? Préférez-vous garder cette tâche pour vous-même ou la confier à une personne bénéficiant d'un statut comparable à celui du vérificateur général, qui serait entièrement indépendante et qui vous donnerait une idée juste de la situation?
M. Fiacco: Nous espérons que les études en cours et le fait de réunir les divers groupes nous donnera une idée juste de la situation. Je pense que des renseignements nous seront fournis au cours de la prochaine année. À ce moment, il appartiendra probablement au conseil de décider de ce qu'il entend faire, que ce soit créer un organisme indépendant ou passer par la commission de prévention du crime.
À ce stade-ci, aucune orientation n'a été arrêtée. Nous attendons les données municipales, et nous allons ensuite réagir en conséquence.
Le président: Le sénateur Wiebe a fait allusion à la question des coûts, et vous avez répondu en faisant allusion au coût de l'application de l'interdiction par la police. Votre stratégie antidrogue reposera sur quatre piliers, et chacun d'eux entraînera des coûts. Avez-vous une idée des chiffres ou de l'importance de ces coûts, étant donné qu'on a affaire à un problème non seulement municipal, mais aussi général?
M. Fiacco: Si nous entendons réunir des fournisseurs de services différents, c'est précisément pour nous faire une idée claire du nombre d'usagers que compte la collectivité et de l'étendue du problème. Nous voulons savoir s'il s'agit d'un problème isolé dans un quartier de la ville ou disséminé à gauche et à droite. Une fois que nous aurons toutes les données en main, je suis certain que nous arrêterons une ventilation des coûts associés à chacun des éléments des quatre piliers. Je ne dispose pas maintenant de cette information.
Le président: Parlons un moment de la relation entre les autres administrations qui ont leur mot à dire dans votre collectivité, c'est-à-dire les gouvernements fédéral et provincial. Comment transigent-ils entre eux? Percevez-vous un problème? Pensez-vous que la situation actuelle est acceptable ou que des modifications seraient souhaitables?
M. Fiacco: Les fournisseurs de services sont les personnes les mieux placées pour répondre à la question. Une fois les études menées à bien, tous les organismes se réuniront pour débattre de la complexité des problèmes.
Le président: Par ces quelques mots, vous avez probablement répondu à ma question.
M. Fiacco: Il arrive souvent que les partenariats entre les municipalités et les gouvernements provinciaux et fédéral débouchent sur des histoires de réussite. Dans la lutte à ce problème particulier, il est très important que les trois ordres de gouvernement coopèrent.
Le président: Il s'agit d'un aspect très important, voire fondamental, de votre témoignage.
Quel type d'intervention préconisez-vous auprès des jeunes et des écoliers?
M. Fiacco: Il s'agit d'un processus d'éducation. Des personnes-ressources de la police peuvent intervenir dans les écoles. Peut-on faire davantage? Absolument. On en revient une fois de plus à la question que vous avez soulevée un peu plus tôt, c'est-à-dire les sommes pouvant être affectées à de telles activités. À mes yeux, la prévention est une affaire d'éducation, et plus vite nous intervenons dans les écoles, plus vite nous pouvons amorcer le processus. J'ai moi-même trois jeunes enfants. On fait de son mieux pour s'assurer qu'ils comprennent les conséquences de leurs gestes. Certains diront que les conséquences, en la matière, sont une inculpation. Ce n'est pas une bonne chose.
Le président: Certains verront peut-être un défi à relever.
M. Fiacco: La conséquence majeure, ce sont les effets postérieurs, c'est-à-dire la toxicomanie possible. Nous devons mettre davantage l'accent sur les conséquences éventuelles plutôt que sur les accusations portées contre les usagers.
Le président: Dans le document de discussion que nous avons déposé il y a deux semaines, nous avons tenté de mettre la main sur ce genre d'information. Bien entendu, certaines conclusions ne font pas plaisir, mais ce sont celles que nous avons glanées à la lecture de documents et à l'écoute de nombreux spécialistes.
À votre avis, le niveau d'information du grand public est-il satisfaisant dans votre secteur? À la lecture du document de discussion, avez-vous eu l'impression que la population connaît déjà le contenu du document ou devrait le connaître?
M. Fiacco: Lorsqu'on a affaire à des discussions de cette nature, ce sont les intéressés qui sont directement touchés. La majorité des citoyens est convaincue que le problème ne la concerne pas. On adopte l'attitude du «pas de ça chez moi». Dans notre collectivité, la plupart des personnes touchées vivent dans un quartier de la ville. Le problème préoccupe un petit nombre d'habitants de la ville. Par conséquent, nous avons affaire à un quartier bien au fait de la situation, mais le reste de la ville vit dans l'ignorance la plus totale. De nombreuses personnes sont mal à l'aise à l'évocation de ce sujet.
Le président: Par «problème», j'entendais l'abus et la toxicomanie.
Vous êtes probablement impatient de connaître l'attitude de la population générale de Regina vis-à-vis de l'utilisation et de la consommation de drogues illicites. Vous êtes probablement impatient de savoir si les chiffres confirment les données nationales. Nous voulons savoir s'il est vrai qu'environ 20 000 résidents de notre collectivité utilisent une drogue illicite au moins une fois par année.
Nous aurons certaines questions à poser aux autres partenaires de la ville.
Le sénateur Wiebe: Le dernier témoin que nous entendrons ce matin serait peut-être mieux en mesure de répondre à ma question.
Monsieur le maire, vous avez fait allusion à certains secteurs de la ville où le problème est plus aigu. Nous avons tendance à penser que les personnes sans emploi, pauvres ou dont le niveau de scolarité est faible sont celles qui sont les plus enclines à consommer.
À votre connaissance, a-t-on réalisé des études pour creuser le problème, vérifier pourquoi les personnes pauvres se retrouvent dans cette situation? Il s'agit peut-être là d'un secteur où nous devrions affecter nos ressources.
M. Fiacco: C'est précisément le point que j'ai tenté de soulever un peu plus tôt. En ce qui concerne la prévention, je pense que les conditions socio-économiques dans lesquelles vivent certaines familles conduisent à la toxicomanie et à l'alcoolisme. Dans certains secteurs de la ville, on doit tenter de rompre le cercle vicieux, et c'est ce que nous cherchons à faire. Les personnes qui n'ont pas de travail ou qui n'ont pas confiance en elles-mêmes constituent des proies faciles pour les vendeurs de drogues illicites.
Nous savons également qu'il existe des personnes issues de familles bien nanties qui choisissent l'intoxication comme mode de vie.
Le sénateur Wiebe: Étudiera-t-on aussi ce phénomène?
M. Fiacco: Si on réunit tous les fournisseurs de services, c'est en partie pour recueillir des données concrètes, lesquelles brillent aujourd'hui par leur absence. Je pense que les personnes qui travaillent tous les jours dans ce domaine auront ces renseignements en main. Nous souhaitons donc qu'elles les partagent avec nous. La stratégie antidrogue a pour but de donner suite en toute connaissance de cause aux informations que nous aurons recueillies.
Le président: À la lecture des notes d'information, je me rends compte que vous avez surpris certaines personnes en vous déclarant personnellement favorable à la création de centres d'injection sûrs dans la ville. Pourriez-vous nous dire quelques mots à ce sujet?
M. Fiacco: J'ai eu l'occasion de discuter avec un certain nombre de personnes qui participent aujourd'hui à ce programme, et elles m'ont dit qu'il avait changé leur vie. Alors qu'elles vivaient dans l'abjection, elles apportent aujourd'hui une contribution à la société. S'il s'agit d'une étape grâce à laquelle elles renoncent aux comportements qui les conduisent tout droit à la destruction et à la mort, je pense que les résultats parlent d'eux-mêmes. Nous devons étudier la question plus à fond et établir s'il s'agit ou non d'une approche qu'il convient d'adopter. Il s'agit certainement d'une étape dans le processus de guérison. Les participants au programme ont admis qu'ils faisaient face à un grave problème, et ils ont résolu d'y remédier. Il s'agit d'un moyen de le faire.
Le président: Êtes-vous au courant de certains des programmes qui existent dans d'autres pays ou administrations?
M. Fiacco: J'ai entendu parler de certains d'entre eux, mais je ne connais pas tous les détails. Lorsqu'on m'a parlé de ces programmes, ici, on a fait allusion, il est vrai, au modèle européen.
Le président: Je vous remercie. Je n'ai pas d'autres questions. Si nos attachés de recherche ont d'autres questions — et ils en ont toujours —, je vous écrirai plus tard cette semaine.
M. Fiacco: Je vous remercie beaucoup d'être ici. Il s'agit d'une excellente occasion de formation pour nous tous, ici, en ville. Il ne fait aucun doute que votre étude aura des résultats positifs. Le président: Nous espérons que le document de discussion vous sera utile.
M. Fiacco: Nous nous ferons un plaisir de vous faire parvenir tous les renseignements recueillis.
Le président: Notre prochain témoin est le chef du service de police de Regina, M. Cal Johnston.
M. Cal Johnston, chef de police, Service de police de Regina: Bonjour, et merci de l'occasion qui m'est donnée de participer à votre étude de cette importante question.
Je préside actuellement l'Association des chefs de police de la Saskatchewan, elle-même affiliée à l'Association canadienne des chefs de police (ACCP). Par conséquent, je reprendrai dans mes remarques de ce matin certains éléments du témoignage présenté par l'ACCP devant votre comité le 11 mars 2002. L'ACCP est dotée d'un comité permanent axé sur la toxicomanie. Le comité ne se compose pas que de policiers; en fait, ses membres proviennent d'horizons divers.
Je ferai également référence à la Déclaration de principe conjointe concernant les drogues illégales publiée en mars 2002 par l'Association canadienne des policiers et l'Association canadienne des chefs de police. Il est très important de constater que ces deux associations policières nationales qui, ensemble, représentent la quasi-totalité des policiers du Canada, ont arrêté de concert une position réfléchie et cohérente sur la question des drogues illégales.
Je vais également tenter de vous donner une idée de la situation locale, et je dirai également quelques mots au sujet de drogues autres que le cannabis.
Pour l'essentiel, j'ai organisé mes propos autour des huit questions posées dans le document de discussion de votre comité. D'entrée de jeu, je tiens à dire que, relativement à certains aspects, le document de discussion semble reposer sur des présuppositions. J'ignore si on doit y voir l'exposé préliminaire de la position de votre comité ou d'un point de vue adopté de propos délibéré pour stimuler le débat.
Avant de répondre aux questions, cependant, je tiens à vous donner un bref aperçu du travail effectué récemment dans le sud de la Saskatchewan par l'Unité intégrée de lutte contre le trafic des drogues de Regina, qui compte des membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et du service de police de Regina. Au cours des 18 derniers mois, l'Unité intégrée de lutte contre le trafic des drogues a participé à neuf projets auxquels ont été mêlés des agents d'infiltration et six policiers.
L'Unité a aidé la patrouille routière de la Division F de la GRC à réaliser quelques importantes saisies de cocaïne, de marijuana et d'espèces sur la route, y compris une tonne de hachisch. Une enquête amorcée à Regina s'est soldée par l'arrestation de trois résidents de la Saskatchewan en possession de 17 kilogrammes de hachisch importés en Saskatchewan par l'intermédiaire de Winnipeg et d'Estevan.
En plus, l'équipe qui travaille dans la rue est intervenue auprès des petits revendeurs de Regina, ce qui a entraîné l'ouverture de plus de 240 dossiers d'enquête. L'unité a démantelé 26 cultures de marijuana, qui allaient de petits lopins à neuf importantes exploitations commerciales hydroponiques. On a saisi 2 300 plants ayant une valeur potentielle dans la rue et de 1 000 $ par plant, soit 2,3 millions de dollars. Le nombre de cultures augmente régulièrement. À Regina, un deuxième établissement vendant du matériel hydroponique destiné principalement à la culture de la marijuana a ouvert ses portes.
L'enquête réalisée à la suite de la saisie routière de deux kilogrammes de cocaïne a montré que la drogue, qui provenait des États-Unis, avait été échangée contre 28 livres de marijuana canadienne. Selon les dernières données dont on dispose, ce type d'échange contre de la marijuana d'origine canadienne est permanent et va croissant.
À l'heure actuelle, on met la dernière main à un projet, auquel participe également Winnipeg, portant sur le trafic du Talwin et du Ritalin à Regina. L'enquête se traduira par l'arrestation d'environ 35 personnes, et 200 accusations seront portées aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
En janvier de cette année, on a conclu un projet portant sur les revendeurs de cocaïne, de marijuana et d'ecstasy de Moose Jaw et de Regina. On a porté 98 accusations aux termes de la même loi.
Sans compter les accusations portées à la suite des projets déjà mentionnés touchant le Talwin et le Ritalin et la cocaïne, la marijuana et l'ecstasy à Regina et à Moose Jaw, l'Unité a porté les accusations suivantes aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et d'autres substances: 71 cas liés à la marijuana, y compris la possession en vue d'un trafic, le trafic et la production; 67 cas liés à la cocaïne, y compris la possession en vue d'un trafic et le trafic; 38 cas liés au Talwin et au Ritalin et à la morphine; 1 cas lié à l'héroïne et, enfin, deux cas liés à l'importation.
Chaque localité a, dans une certaine mesure, des problèmes uniques associés à la toxicomanie. À Vancouver, par exemple, l'utilisation d'héroïne demeure un grave problème.
À Regina, notre problème de toxicomanie le plus grave, après l'alcoolisme, est l'injection intraveineuse de deux médicaments d'ordonnance pris ensemble, le Talwin et le Ritalin. Ce cocktail, parfois appelé l'«héroïne du pauvre» est fortement toxicomanogène et a des effets qui se comparent à ceux de l'héroïne et de la morphine. Un «ensemble» formé d'un comprimé de Talwin, un analgésique puissant, et d'un comprimé de Ritalin, un stimulant du système nerveux, se vend 25 $. Souvent, les utilisateurs en partagent un ensemble, de même que la seringue nécessaire pour l'injection.
Récemment, le service des incendies de Regina a répondu à un appel dans un quartier du centre-ville. À l'intérieur de la maison incendiée, on a retrouvé 500 seringues usagées. L'habitation se trouve dans le quartier de la ville qui compte, en pourcentage, le plus grand nombre d'enfants et de jeunes de la ville. Ce n'est pas la seule maison du genre à Regina.
On n'a pas encore déterminé avec certitude si la méthadone assure un traitement médical efficace permettant d'atténuer les symptômes de sevrage et le contrôle de la toxicomanie pour les usagers du cocktail Talwin-Ritalin.
L'usage de ce mélange est surtout répandu auprès des résidents marginaux et défavorisés des quartiers du centre- ville, souvent d'ascendance autochtone. Dans ce segment de notre collectivité, on a montré qu'il arrive parfois que la consommation de drogues intraveineuses débute dès l'âge de 10 ans. Il n'est pas rare de tomber sur de jeunes filles de 13 ans qui s'injectent le cocktail et font la rue pour se payer la drogue dont elles ont besoin. Dans de nombreux cas, la toxicomanie se transmet de génération en génération. Invariablement, le problème est lié à une forme d'activité criminelle. C'est ainsi que les usagers se procurent les fonds nécessaires pour s'approvisionner.
Le Ritalin s'acquiert au niveau local et auprès d'autres provinces au moyen du vol, de l'utilisation frauduleuse d'ordonnances, de l'obtention d'ordonnances multiples et du détournement de médicaments à des fins illicites. Le Talwin vient d'autres provinces, le plus souvent du Québec, par les mêmes canaux que le Ritalin.
Je vais maintenant passer aux questions que vous soulevez dans votre document de discussion. Vous demandez: «Partagez-vous les conclusions issues de la recherche que nous avons présentées ici? Sinon, pourquoi et quelles sont vos sources d'information?»
À titre de réponse, je dirai d'abord que la question de savoir si le cannabis est une drogue d'escalade est complexe et que les données canadiennes sont faibles. À partir d'enquêtes menées auprès de la population, on a affirmé que, sur 100 adolescents qui consomment du cannabis, environ dix en viendront à consommer régulièrement, et cinq passeront à d'autres drogues. De telles données laissent entendre que seulement 5 p. 100 des consommateurs de cannabis en viendront à utiliser d'autres drogues. Il ne s'ensuit pas nécessairement, toutefois, que seul un petit nombre de personnes seront touchées. Dans le cadre d'une telle analyse, on devrait tenir compte du fait que les attitudes actuelles, qui tendent de plus en plus à présenter le cannabis comme une drogue douce, conjuguées à d'autres facteurs, se sont traduites par une nette recrudescence de la consommation de cette drogue par les jeunes.
La consommation de cannabis est à la hausse; en fait, on s'approche de niveaux de consommation inégalés depuis les années 70. Nous sommes d'avis que les efforts de prévention déployés aujourd'hui ne suffisent pas à contrer les facteurs qui poussent la consommation à la hausse depuis la fin des années 80. Un sondage mené en 1995 auprès d'élèves de l'Ontario par la Fondation de la recherche sur la toxicomanie, aujourd'hui connue sous le nom de Centre de toxicomanie et de santé mentale, a montré que 23 p. 100 des élèves disaient avoir consommé au cours de l'année précédente, par rapport au pourcentage de 13 p. 100 observé en 1993. En 1999, le centre a réalisé une autre étude: le pourcentage était passé à 29 p. 100.
Les taux d'utilisation peuvent varier selon les régions du pays. À titre d'exemple, les taux d'utilisation du cannabis se sont particulièrement élevés chez les jeunes de la rue, oscillant entre 66 p. 100 à Halifax et 92 p. 100 à Toronto.
Ces renseignements ont fait partie de l'exposé présenté par l'ACCP le 11 mars 2002.
Suivant la logique de cette étude, l'augmentation du nombre de personnes qui consomment du cannabis pour la première fois entraînera une augmentation du nombre d'utilisateurs qui passent à d'autres drogues.
Le cannabis est-il une drogue d'escalade conduisant à la consommation d'autres drogues? C'est possible. Le cas échéant, jusqu'à quel point? Nous n'avons pas de réponse définitive à cette question. Si même un faible pourcentage d'utilisateurs de cannabis en viennent à consommer d'autres drogues, comment entend-on faire face aux préjudices liés au grand nombre de citoyens qui risquent de se retrouver aux prises avec une dépendance à l'égard d'autres drogues? À l'heure actuelle, nous n'avons pas de stratégie antidrogue nationale, même si le gouvernement fédéral s'est engagé à en élaborer une.
L'adoption de politiques plus libérales à l'égard du cannabis entraînerait-elle une réduction du nombre d'utilisateurs et, par voie de conséquence, du nombre d'utilisateurs passant à d'autres drogues? À la lumière des documents présentés dans le document de discussion, il semble bien que non.
Il importe de remarquer que le Sondage sur la consommation de drogues parmi les élèves de l'Ontario réalisé en 1999 a également fait état d'une augmentation de la consommation accrue d'ecstasy, de 2,9 p. 100 en 1997 à 7,3 p. 100 en 1999. On a aussi constaté une augmentation de la consommation de cocaïne, qui est passée de 2,7 p. 100 en 1997 à 6,4 p. 100 en 1999. On observe le même phénomène en ce qui a trait à l'utilisation de la méthamphétamine, qui est passée de 2,1 p. 100 en 1997 à 7,2 p. 100 en 1999. Les conseillers en traitement disent observer chez leurs jeunes clients une prévalence plus grande de la consommation de cocaïne et d'héroïne.
La Fondation manitobaine sur les toxicomanies a publié les résultats d'une étude menée après des élèves de la province. Cette dernière a montré que 81 p. 100 des élèves buvaient de l'alcool et que 40 p. 100 d'entre eux avaient utilisé des drogues au cours de l'année précédente. Parmi les répondeurs ayant fait état d'une consommation de drogue, 58 p. 100 ont affirmé avoir consommé dans une voiture, et 48 p. 100 ont dit l'avoir fait pendant les heures de classe.
Dans le document de discussion, vous affirmez que la recherche permet de penser que les effets du cannabis ne justifient pas la criminalisation et la pénalisation. Vous demandez ensuite: «partagez-vous cet avis?»
Au Canada, la possession de cannabis constitue aujourd'hui une infraction pénale. En pratique, la possession simple se traduit rarement par une incarcération. Est-ce ce qu'on entend par «pénalisation»? La possession simple est une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité.
Dans leur Déclaration de principe conjointe, l'ACCP et l'ACP soulignent qu'on doit se doter de mesures de déjudiciarisation efficientes et efficaces pour s'attaquer au problème des infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité. L'ACCP et l'ACP plaident en faveur de l'adoption de mesures de déjudiciarisation prévoyant des conséquences conséquentes, appropriées et progressives mettant l'accent sur la prévention et la dissuasion de la consommation de drogues auprès de tous les Canadiens.
Les limites font partie intégrante de la vie en société. Le maintien de limites au moyen de méthodes d'application de la loi ou d'autres types constituera un volet essentiel de toute stratégie efficace de lutte contre la toxicomanie.
Aujourd'hui, au Canada, l'alcool et le tabac, deux psychotropes, sont en vente libre. La consommation de ces produits a eu et continue d'avoir de graves effets débilitants sur les Canadiens. Notre gouvernement se retrouve dans une position délicate: après avoir pendant des années cautionné tacitement la consommation de ces produits, il doit aujourd'hui investir massivement dans l'établissement de limites à leur utilisation et à l'atténuation de leurs effets négatifs.
Les limites, dont bon nombre visent expressément les jeunes, s'expriment et s'appliquent par l'entremise de lois et de réglementations diverses. À titre de société, la lutte que nous menons contre les effets négatifs de ces drogues licites et loin d'être terminée. Les coûts sont énormes, et pas seulement sur le plan financier.
La question suivante se pose donc: combien de personnes ont choisi de ne pas consommer de cannabis parce qu'il s'agit d'une drogue illicite? Dans quelle mesure le caractère illicite du cannabis a-t-il freiné sa consommation? La décriminalisation du produit entraînerait-elle des changements à cet égard?
Dans le document de discussion, on laisse entendre que les politiques publiques d'interdiction ont un effet limité sur les niveaux et les habitudes de consommation. Pourtant, si on excepte les États-Unis parmi les pays cités, on retrouve une prévalence plus élevée dans les pays dotés de politiques libérales.
On laisse entendre que les niveaux et les habitudes de consommation varient selon d'autres facteurs. Lesquels? Si ces facteurs ont été définis, qu'a-t-on fait au Canada pour réduire la prévalence de la consommation?
La décriminalisation aurait pour effet de régler le problème des casiers judiciaires. Aurait-elle d'autres effets positifs? Comment le gouvernement s'y prendra-t-il pour définir des limites significatives, sinon par l'application de la loi? Le gouvernement est-il disposé à appuyer tacitement ou autrement l'utilisation plus répandue des psychotropes? Sinon, l'adoption d'une position ambiguë a-t-elle pour effet de corriger les problèmes actuels entourant l'adoption de modes de vie sains, la surreprésentation des utilisateurs dans les milieux sociaux marginaux et défavorisés et les conduites à risque indirectes, par exemple la conduite avec des facultés affaiblies?
Dans le document de discussion, on souligne que le nombre total d'infractions pour trafic et importation a diminué pendant les années 90. Dans l'analyse sur laquelle repose cette affirmation, a-t-on tenu compte de la réduction considérable des ressources policières observée pendant la même décennie et de l'effet de ce phénomène sur la capacité des services de police de documenter une telle activité et de faire enquête à son sujet?
Les données sur les infractions liées aux drogues découlent presque entièrement de l'activité policière. Si les policiers ne sont pas en mesure d'affecter des ressources dans ce secteur ou choisissent de ne pas le faire, le nombre d'infractions signalées diminuera. On ne doit pas pour autant conclure que le nombre d'infractions diminue.
Dans votre document de discussion, vous affirmez que les études indiquent que le régime actuel de politique publique entraîne plus d'effets négatifs que positifs. Vous demandez ensuite: «Partagez-vous ce diagnostic?» Vous ajoutez: «Sinon, pourquoi?»
Je ne suis pas d'accord. Dans le document de discussion, on ne retrouve rien à l'appui de l'affirmation implicite dans la question. Dans certains cas, on semble faire ce postulat, mais on ne trouve dans le document de discussion aucune analyse qui montre que la politique publique actuelle ait plus d'effets négatifs que positifs. On pourrait y voir l'expression d'une opinion, comme le laisse entendre le libellé anglais de la question. Ce qu'elle donne à penser en réalité, c'est que, au Canada, nous ne savons pas vraiment si notre politique publique est ou non dans notre intérêt.
Dans les conclusions d'une étude entreprise en 2000 avec l'appui du Service correctionnel du Canada, du ministère du Solliciteur général, de la Gendarmerie royale du Canada, de Santé Canada, de l'Association canadienne des chefs de police, du Conseil national de prévention du crime, de Justice Canada, du Conseil de recherches en sciences humaines et du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues, on doit noter ce qui suit:
Une grande proportion de détenus et détenues, tant dans les prisons fédérales que provinciales, ont déclaré consommer des drogues illicites lorsqu'ils ne sont pas en prison. Un peu plus de la moitié des détenus sous responsabilité fédérale (53 p. 100 dans l'étude du SCC et 52 p. 100 dans l'étude des EDRF) ont déclaré avoir consommé des drogues illicites au cours des six mois précédant leur dernière arrestation. Plusieurs d'entre eux consommaient de façon régulière, et 30 p. 100 d'entre eux ont signalé qu'ils consommaient des drogues illicites au moins quelques fois par semaine. Le cannabis est la substance la plus consommée au cours des six derniers mois précédant l'arrestation (43 p. 100 des détenus dans l'échantillon du SCC), tandis que 28 p. 100 des détenus ont déclaré avoir consommé de la cocaïne et 7 p. 100 de l'héroïne.
Les auteurs du rapport poursuivent ainsi:
Les consommateurs d'alcool et de drogues, surtout ceux qui présentaient une dépendance, ont déclaré de plus grands nombres de crimes commis. Dans les entrevues plus détaillées avec les détenus sous responsabilité fédérale, nous avons obtenu, au moyen d'un calendrier mensuel, de l'information sur tous les crimes commis au cours des 36 mois précédant leur dernière arrestation. Plusieurs détenus ont signalé avoir commis des milliers de crimes pendant cette période. La plupart de ces crimes étaient de nature relativement mineure, comme la possession de drogues, le vol à l'étalage et les vols mineurs, ainsi que la prostitution chez les détenues. Les détenus fédéraux qui déclaraient n'avoir consommé ni drogues ni alcool au cours d'une période de six mois en liberté ont signalé en moyenne 1,7 crimes par semaine, pendant que ceux qui consommaient une ou plusieurs substances sans aucune dépendance avaient commis 3,3 crimes par semaine. Les détenus qui présentaient une dépendance aux drogues et/ou à l'alcool avaient commis le plus de crimes, soit 7,1 crimes en moyenne durant une période d'une semaine.
L'état d'ébriété se trouvait souvent présent parmi les personnes condamnées à une sentence fédérale pour divers crimes de violence. Parmi les contrevenants condamnés pour voies de fait, 39 p. 100 ont déclaré avoir été sous l'influence de l'alcool au moment du crime, 9 p. 100 sous l'influence des drogues illicites, et 24 p. 100 sous l'influence des deux. Les proportions correspondantes pour les homicides étaient de 34 p. 100 pour l'alcool seulement, 7 p. 100 pour les drogues illicites seulement, et 21 p. 100 pour l'alcool et les drogues illicites combinés. Parmi les individus reconnus coupables de tentative de meurtre, 30 p. 100 ont signalé un état d'ébriété, 9 p. 100 une intoxication aux drogues et 24 p. 100 se disaient intoxiqués à l'alcool et aux drogues au moment du crime. Par contre, l'intoxication aux drogues prédominait dans les vols (32 p. 100), les vols qualifiés (25 p. 100) et les introductions par effraction (24 p. 100). L''intoxication à l'alcool était tout de même relativement élevée pour ces mêmes crimes (entre 16 et 22 p. 100 selon le type de crime), comme l'était l'intoxication combinée aux drogues illicites et à l'alcool (entre 13 et 19 p. 100 de ces crimes).
Lorsque les drogues illicites étaient impliquées, la cocaïne et le cannabis [c'est moi qui souligne] se trouvaient les plus fréquemment mentionnés par les détenus masculins. Ainsi, 12 p. 100 des détenus sous responsabilité fédérale et 16 p. 100 des détenus sous responsabilité provinciale ont déclaré avoir été intoxiqués à la cocaïne lorsqu'ils ont commis leur infraction la plus grave, tandis que 7 p. 100 des détenus sous responsabilité fédérale et 21 p. 100 des détenus et détenues sous responsabilité provinciale ont déclaré avoir été intoxiqués au cannabis [c'est moi qui souligne].
Les extraits que j'ai cités proviennent d'une étude intitulée «Proportion des crimes associés à l'alcool et aux autres drogues au Canada».
Dans votre document de discussion, vous affirmez également: «Chacun sait qu'il est préférable que les jeunes ne fument pas de cannabis (ni de tabac d'ailleurs); mais on sait aussi que les jeunes le font et le feront ne serait-ce que parce que l'adolescence est une période d'affirmation d'identité, d'autonomie, de recherche, de contestation, et cetera.» Puis, vous demandez: «Pensez-vous que l'interdit pénal en matière de cannabis est essentiel pour marquer une frontière claire entre le permis et le non permis?»
Dans la réponse, je me permettrais de répéter qu'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire pour possession simple de cannabis débouche rarement sur une incarcération. La prohibition figure dans la loi actuelle, mais l'expression «interdit pénal» laisse entendre une réaction plus extrême que celle qui s'applique en réalité. Je vous invite à vous reporter à notre réponse à votre deuxième question.
Notre société dispose peut-être d'autres moyens pour délimiter l'usage, mais on ne les retrouve pas dans le document de discussion. On commettrait une erreur en supprimant les restrictions actuelles sans avoir arrêté au préalable un plan clair définissant comment notre pays s'y prendra pour réduire la consommation de cannabis chez les jeunes. Sinon, pensons-nous que nous pourrons remédier au problème après une modification de la politique actuelle? Un tel plan d'action ne semble pas avisé, d'autant qu'il ne donne pas aux Canadiens la possibilité de prendre connaissance des solutions de rechange ni d'en débattre, compte tenu de la politique et des pratiques actuelles.
Vous demandez également: une politique publique en matière de cannabis doit-elle viser prioritairement à en empêcher l'usage ou à minimiser les conséquences de l'usage?
En guise de réponse, je dirais qu'elle doit faire l'un et l'autre. On n'a pas affaire à des objectifs qui s'excluent mutuellement. Présenter l'argument de cette façon revient à limiter inutilement l'éventail de réponses possibles. L'ACCP juge important de cibler nos efforts sur quatre secteurs clés: la prévention, l'application de la loi, la réadaptation et la recherche. En effet, l'ACCP croit que:
La législation actuellement en place a un effet tant préventif que dissuasif. Cependant, parce que les stratégies, les ressources et les programmes sont insuffisants, la phase de prévention actuelle ne permet pas de faire face au nombre croissant de jeunes qui commencent à consommer des drogues illicites ou continuent à le faire. La Loi réglementant certaines drogues et autres substances est nécessaire sous sa forme actuelle pour appuyer les efforts de prévention et de dissuasion, comme on a pu le constater en ce qui concerne les lois et règlements utilisés pour soutenir les efforts de changement de comportements en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies et l'utilisation des ceintures de sécurité et des sièges spéciaux pour enfants dans les voitures.
Le nombre d'accusations portées pour possession de cannabis représente en moyenne moins d'une accusation par agent de police par année au Canada. Un grand nombre d'accusations sont portées à la suite de l'arrestation de la personne pour un autre délit criminel.
La législation doit faire comprendre clairement à la population que l'on ne fera preuve d'aucune tolérance à l'égard des drogues illicites, y compris le cannabis. Nous devons tenter de régler les problèmes dus aux perceptions sur les probabilités que les contrevenants soient pris en flagrant délit ou sur l'absence de conséquences lorsqu'ils le sont. Nous devons en outre axer principalement nos efforts sur l'efficacité que peut avoir la prévention, parce que c'est la méthode la plus efficace.
Nous devrons mettre davantage la population au courant des conséquences néfastes de la consommation de drogues illicites, y compris le cannabis. Il est important de sensibiliser les particuliers, les familles, les collectivités et la société en général.
Nous devons élaborer et communiquer des messages plus percutants, produisant le genre d'effets que produisent les campagnes contre la conduite avec facultés affaiblies et contre le tabagisme. Il faut en outre examiner les possibilités d'utiliser des outils de communication efficaces permettant d'atteindre les groupes visés. Nous devons mettre à profit les leçons apprises au cours des récentes études effectuées par le Centre de toxicomanie et de santé mentale et mettre les éducateurs au courant des méthodes qui sont efficaces et de celles qui ne le sont pas lorsqu'il s'agit de concevoir et de dispenser des programmes éducatifs sur les drogues. Nous devons éviter de gaspiller de précieuses ressources pour des programmes inefficaces.
Nous devons trouver des moyens d'encourager les personnes qui font une consommation abusive de drogues illicites à suivre un traitement, sans compter sur la répression policière pour appréhender les toxicomanes, et les orienter vers des programmes moins répressifs. Ces programmes doivent disposer de ressources suffisantes et la cure doit avoir lieu au moment adéquat.
Il faut mettre en oeuvre davantage de programmes semblables au tribunal de traitement de la toxicomanie de Toronto pour les contrevenants qui sont de bons candidats au traitement et à d'autres programmes de réadaptation. Nous devons obtenir de meilleurs résultats dans des programmes de déjudiciarisation et dans l'intégration et le soutien après le traitement.
Il est nécessaire de renforcer les programmes de traitement pour les contrevenants incarcérés et les compléter par une stratégie vigoureuse de réinsertion sociale. C'est nécessaire pour éviter qu'ils ne remettent le doigt dans l'engrenage de la criminalité, forçant le système judiciaire pénal à intervenir à nouveau. Des études supplémentaires doivent être effectuées dans des domaines qui n'ont pas encore été suffisamment examinés afin de déterminer quelles sont les pratiques exemplaires en matière de programmes de déjudiciarisation.
Nous devrons trouver des possibilités de dispenser une formation en application des lois et en réadaptation lorsqu'on découvre de nouvelles techniques comme l'expertise en matière de différenciation des drogues. Voilà quelques secteurs où nous pouvons accroître davantage notre efficacité.
Toutes ces suggestions faisaient partie de l'exposé présenté par l'ACCP le 11 mars 2002.
Dans votre document de discussion, vous affirmez également: «Les études laissent penser qu'une politique publique plus tolérante n'augmenterait pas nécessairement, à long terme, la consommation». Puis vous demandez: «partagez- vous cet avis? Sinon, pourquoi?»
Dans le document de discussion, on ne trouve pas d'analyse explicite à l'appui de l'affirmation contenue dans la question ci-dessus. Savons-nous dans quelle mesure la politique d'interdiction actuellement en vigueur au Canada a eu un impact, positif ou négatif, sur la consommation de cannabis?
Dans le document de discussion, vous affirmez: «[...] que la vaste majorité [c'est moi qui souligne] des usagers de cannabis ne progressent pas vers d'autres drogues.» On occulte ainsi la question du nombre réel de Canadiens qui, après avoir consommé du cannabis, s'orientent vers d'autres drogues. Dans le document, vous poursuivez:
Cette tendance est constante, quels que soient les régimes de politiques publiques. Certes, la majorité des usagers de drogues dures ont d'abord consommé du cannabis, mais ils sont aussi plus susceptibles d'avoir consommé du tabac et de l'alcool antérieurement [c'est moi qui souligne].
Faut-il comprendre, dans ce cas, que, malgré la corrélation possible entre la consommation de cannabis, d'alcool et de tabac et la consommation éventuelle d'autres drogues, nous devrions considérer le cannabis comme licite parce que l'alcool et le tabac le sont? Quelles fins servirait-on ainsi?
Dans le document de travail, vous affirmez que «d'autres facteurs, d'ordre psychosocial, expliqueraient mieux la progression vers d'autres drogues.» C'est possible, mais il serait utile de délimiter de façon explicite ces facteurs d'ordre psychosocial pour comprendre la validité d'une telle affirmation.
Dans leur déclaration de principes conjointe concernant les drogues illégales, l'ACCP et l'ACP soulignent ce qui suit:
[...] le Rapport de la vérificatrice générale de décembre 2001 énonce: «Le gouvernement devrait s'assurer que la Stratégie canadienne antidrogue se voie accorder l'importance et les ressources propres qui sont nécessaires pour lutter contre le problème des drogues illicites au Canada [...]»
Allons-nous répondre à cet appel lancé en faveur de l'exhaustivité et de la capacité en réduisant la portée du problème? Avons-nous vraiment fait des tentatives qui n'ont pas donné les résultats escomptés, ou n'avons-nous tout simplement jamais adopté une stratégie nationale antidrogue bien conçue et dotée de ressources suffisantes?
Dans votre document de discussion, vous demandez également: «Si le Canada tentait de se donner une politique publique différente en matière de cannabis, doit-il craindre la réaction des États-Unis? Quelle pourrait être cette réaction?»
Le gouvernement du Canada devrait faire ce que les Canadiens considèrent comme étant dans l'intérêt des Canadiens. L'impact sur les relations avec les États-Unis pourrait faire partie de cette réflexion. On devrait établir la mesure dans laquelle cette donnée devrait influer sur l'orientation choisie par le Canada à la lumière des répercussions possibles. Les Canadiens ne souhaitent pas vivre isolés par rapport au reste du monde, mais ils ne souhaitent pas non plus que nos politiques soient à la merci d'opinions de l'extérieur.
Il est intéressant de noter, comme je l'ai indiqué plus tôt, que les enquêtes locales font état d'une tendance nouvelle, c'est-à-dire l'échange de marijuana produite au Canada contre de la cocaïne provenant des États-Unis.
Vous demandez aussi: «[...]quelles que soient les conclusions de ce comité. Que devrait-on faire selon vous pour faire avancer le débat sur cette question? Quel est, selon vous, le rôle du Sénat dans un débat public comme celui-ci?»
Le discours devrait être éclairé par [...] les opinions de la société canadienne [...]. Le défi consistera à démêler la pensée consensuelle qui se dégage au Canada de la multitude de voix qui se font entendre sur cette question.
Le partage de données exhaustives portant sur toutes les facettes de cette question devrait également aider les Canadiens à s'engager sur la bonne voie. Des études scientifiques et autres élucidant des aspects de cette question se révéleront utiles dans le contexte du débat tout entier et des choix à faire pour circonscrire les psychotropes.
Avant de terminer, au nom du service de police de Regina et de l'association des chefs de police de la Saskatchewan, je tiens à vous remercier d'avoir entrepris la présente étude et de nous avoir donné l'occasion d'exprimer notre point de vue sur ce dossier important. Nous soutenons les efforts que vous déployez en ce sens.
En terminant, je vais répéter les trois recommandations formulées au comité par l'Association canadienne des chefs de police le 11 mars 2002:
Recommandation no 1: l'Association canadienne des chefs de police recommande que le gouvernement du Canada ne légalise pas le cannabis. Nous ne sommes pas en faveur de la légalisation d'une des drogues actuellement illicites.
Recommandation no 2: l'Association canadienne des chefs de police recommande vivement au Comité spécial sur les drogues illicites de former un partenariat avec le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments de la Chambre des communes pour établir les fondements d'une stratégie canadienne antidrogue renouvelée, grâce à l'intervention des divers paliers de gouvernement, fédéral, provincial, territorial et municipal, pour accroître la sécurité dans le pays et améliorer l'état de santé de sa population, sous l'égide du gouvernement fédéral.
Recommandation no 3: l'Association canadienne des chefs de police recommande vivement de donner à une nouvelle stratégie canadienne antidrogue la visibilité et les ressources spéciales nécessaires pour lutter efficacement contre le problème des drogues illicites au Canada en réduisant la demande et l'offre par le biais de la prévention, de l'application des lois, de la réadaptation et de la recherche qui constituent les quatre piliers de cette stratégie.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Johnston, et merci d'avoir lu notre document de discussion. Je suis convaincu que vous avez également lu tous les documents de référence qui se trouvent sur le site Web du comité. Bon nombre d'affirmations présentes dans le document de discussion ont trait à des affirmations faites par des témoins entendus ou encore à des documents auxquels nous avons eu accès. On trouvera les références à la fin du document de discussion. Certains des commentaires que vous avez formulés en réponse aux diverses questions exigent des renseignements additionnels, lesquels figurent dans les documents de référence.
M. Johnston: Permettez-moi, monsieur, d'apporter une précision. Je n'ai pas lu les documents de référence. J'ai appris il y a à peine six jours que j'étais appelé à témoigner. En raison de contraintes de temps, je n'ai pas eu le temps de lire les documents de référence. Je n'ai lu que le document de discussion.
Le président: Quoi qu'il en soit, je vous remercie beaucoup d'avoir pris le temps de lire ce document. Si un plus grand nombre de personnes se donne la peine de vous imiter, nous pourrons avoir des débats plus éclairés et, bien entendu, un rapport plus éclairé à la fin du mois d'août.
Le sénateur Wiebe: Au début de votre exposé, vous avez dressé une liste très impressionnante d'accusations et d'arrestations. Ces interventions ont-elles eu un effet dissuasif? Quel est le pourcentage des récidivistes? Peut-être pourriez-vous d'abord répondre à ces questions.
M. Johnston: Dans le commerce de drogues illicites, les trafiquants tendent à suivre une progression. À leurs débuts, ils travaillent souvent pour quelqu'un d'autre, et ils apprennent le métier. Il est possible qu'on les arrête, qu'on les accuse et qu'on les condamne un jour ou l'autre. À leur retour, souvent au terme d'une incarcération, certains monteront en grade au sein d'une organisation, et poursuivront ainsi leur petit bonhomme de chemin.
Il est possible que certains trafiquants de haut rang aient des antécédents criminels très limités et que leurs activités criminelles soient très limitées, et le fait d'être à l'abri de la police les aide jusqu'à un certain point dans leurs activités. Cependant, pour l'essentiel, les trafiquants suivent une évolution; souvent, ils n'ont été condamnés qu'une seule fois pour trafic.
Les enquêtes et le travail policiers n'ont probablement qu'un effet d'endiguement. Ils n'ont pas pour effet d'éradiquer le problème. En procédant à des arrestations et en effectuant des enquêtes, nous ne venons pas à bout du trafic. Ce que nous faisons, c'est l'endiguer et le maintenir à un certain niveau.
À certaines époques dans notre collectivité et dans d'autres, il est arrivé que la police ne soit pas en mesure de centrer son attention sur le trafic de drogue. Ce qui se produit, en particulier dans les centres-villes ou les activités des trafiquants sont surtout concentrées, c'est qu'on note une augmentation du trafic et d'autres activités criminelles, et la tendance à la hausse se maintient jusqu'à ce que l'on rétablisse les activités d'application de la loi. À partir de ce moment, pour peu que les activités en question soient relativement efficaces, on assistera à une diminution du taux de criminalité. On n'éradique pas le problème, mais on le ramène peut-être, aux yeux de certains, à un niveau plus acceptable et à coup sûr moins nuisible.
C'est particulièrement le cas en ce qui concerne le Talwin et le Ritalin. L'enquête d'une durée de un an que nous avons menée a porté sur un groupe d'individus parmi les plus actifs dans ce domaine à Regina. Ils ne sont toutefois pas les seuls. Selon les informations dont je dispose, certains ont été libérés sous caution et, au moment où nous nous parlons, ont repris leur trafic. Leur incarcération aura pour effet de freiner le phénomène. Le fait d'être incarcérés les empêchera de poursuivre leur négoce. Quant à savoir si, à leur libération, ils choisiront de poursuivre, c'est une tout autre histoire.
Le sénateur Wiebe: Quelle ponction — même si ce n'est pas le terme approprié — cette surveillance exerce-t-elle sur les ressources humaines et financières de votre service?
M. Johnston: Cette activité monopolise des ressources importantes, en raison de la nature même du travail. Il s'agit d'une activité complexe qui, comme vous l'avez indiqué, suppose de la surveillance. Parfois, on devra également recourir à l'écoute électronique. Pour ce faire, on doit miser sur un réseau de personnes qui travaillent de façon clandestine. La police met du temps à réunir des preuves convaincantes pour révéler l'existence du réseau, effectuer les liens qui s'imposent et établir les corrélations au profit du tribunal. Il s'agit d'un aspect du travail policier à fort coefficient de ressources. Pour le service de police, cette activité est donc très coûteuse.
Le sénateur Wiebe: Quel est le pourcentage des personnes contre qui vous portez des accusations qui sont dans le milieu pour leur profit et qui ne consomment pas par rapport à celui des utilisateurs?
M. Johnston: Faites-vous référence aux personnes accusées de trafic?
Le sénateur Kenny: Oui.
M. Johnston: Je ne suis pas en mesure de vous fournir des chiffres définitifs. Je peux simplement vous faire part de mes expériences à titre d'enquêteur dans le domaine des drogues à Calgary et de chef de police ici à Regina.
En ce qui concerne les drogues plus dures, le Talwin et le Ritalin, l'héroïne et, à un degré moindre, la cocaïne, les trafiquants de haut rang ne consomment probablement pas, conscients qu'ils sont des effets nuisibles des produits. C'est peut-être moins vrai pour le cannabis — les trafiquants de haut rang consomment peut-être davantage de façon occasionnelle. Au niveau de la rue ou des transactions immédiates, pour ce qui est des drogues dites plus douces, il est probable que bon nombre de trafiquants consomment. Au niveau de la rue, en ce qui concerne les drogues plus dures, l'héroïne, la morphine, le Talwin et le Ritalin — et vous ne devriez sans doute pas trop vous fier à ce chiffre — la proportion d'utilisateurs est probablement de 50 p. 100.
Le sénateur Kenny: J'aimerais attirer votre attention sur la fin de la page 5 et la page 6 de votre exposé. Vous citez une série de statistiques. J'ai peut-être perdu le fil, mais je ne suis pas certain d'avoir compris le point que vous soulevez à la page 6 et que, à la page 7, vous concluez au moyen de statistiques.
M. Johnston: Le point que je soulevais avait trait à la question no 3, dans laquelle vous demandiez si notre approche actuelle — traiter le cannabis comme une substance illicite — a plus d'effets négatifs que positifs. Dans le rapport, on présente le cannabis en relation avec les personnes incarcérées et les comportements délinquants. Je citais ces données en relation avec cette question.
Le sénateur Kenny: Je veux bien, mais vous auriez probablement pu citer les mêmes données si vous vous étiez demandé combien de personnes boivent du café.
M. Johnston: Je ne suis pas certain de comprendre la question, monsieur.
Le sénateur Kenny: Il me semble que vous énumérez des pourcentages de personnes qui consommaient des drogues illicites juste avant leur condamnation et leur incarcération.
M. Johnston: Exactement.
Le sénateur Kenny: Ces personnes boivent probablement aussi du café.
M. Johnston: Je comprends. Dans ce cas, on a affaire à une question de pertinence: le problème de la consommation de drogue avant l'incarcération est-il important ou non?
Le sénateur Kenny: Exactement. S'agit-il d'une cause qui incite les personnes à commettre de tels gestes? S'agit-il d'une habitude que les auteurs de tels gestes ont par inclination personnelle?
M. Johnston: Vous posez une très bonne question. Il est possible, me semble-t-il, qu'on ne connaisse pas aujourd'hui la réponse. Au moment même où nous débattons de la légalisation ou de la décriminalisation du cannabis et faisons des discours à ce sujet, cette question demeure sans réponse. Ce que je dis, c'est que nous devrions tenter d'y répondre au préalable.
Le président: À ce sujet, nous sommes tout à fait au courant de l'étude en question. Nous avons également lu l'analyse de cette étude et interrogé les auteurs. Je fais référence au rapport de M. Brochu. Je vous invite à lire son témoignage dans notre site Web. Vous pouvez probablement aussi accéder au rapport écrit sur l'étude qu'il a entreprise.
Parmi toutes les drogues, l'alcool est assurément la drogue de prédilection pour la perpétration de crimes. Tel a été le témoignage de M. Brochu. Tel est le résultat de toutes les études analysant ce rapport fondamental très important. Lorsque nous avons interrogé M. Brochu, nous avons tenté de déterminer quel était le déclencheur, quelle était la véritable raison, et l'alcool a été la substance mentionnée, mélangée à d'autres substances, naturellement, surtout à la cocaïne plutôt qu'à la marijuana. Ces drogues ont deux effets différents sur l'état d'esprit des usagers.
Le sénateur Kenny: Pourriez-vous expliquer au comité comment vous vous y prenez pour répartir les ressources dont vous disposez et la place qu'occupe, dans ce contexte, la consommation de marijuana et, au besoin, la question plus large de la consommation de drogue? Lorsque, au début d'une année, vous préparez votre budget, comment décidez- vous où les fonds seront affectés et quelles sommes serviront à la lutte antidrogue?
M. Johnston: Je vais m'en tenir à notre service de police. Nous sommes dotés d'un comité composé de gestionnaires opérationnels qui déterminent nos engagements envers la prestation de services, les modalités de nos interventions.
Notre service de police s'est fixé quatre priorités principales, la première étant les interventions d'urgence, c'est-à- dire les interventions à la suite d'appels du public: appels au numéro 911, les personnes blessées, les crimes en cours, ce genre de choses.
Viennent ensuite les demandes de service et les enquêtes non urgentes, les attentes traditionnelles à l'égard des forces de police, qui font enquête à la suite d'actes criminels et font de leur mieux pour établir des preuves et faire respecter la loi.
La sécurité routière vient au troisième rang, c'est-à-dire l'éducation des automobilistes, l'application du code de la route et les techniques de la circulation, en partenariat avec d'autres.
Au quatrième rang arrivent le développement de la conscience communautaire et la prévention du crime: dans ce secteur, nous nous efforçons de renforcer la collectivité pour lui permettre de résister aux effets de la criminalité.
La lutte antidrogue, parce qu'elle ne repose pas nécessairement sur des appels urgents, ne vient pas au premier rang. Elle arrive plutôt au deuxième rang, celui des enquêtes non urgentes. Les activités de lutte antidrogue interviennent également au quatrième niveau, celui où on s'emploie à accroître la résistance de la collectivité et à développer la conscience communautaire. Nous déterminons l'affectation des ressources humaines de ces deux secteurs.
La consommation de cannabis, sauf dans le cas de rencontre fortuite avec un agent de police, ne fait pas pour le moment l'objet d'enquêtes policières, du moins pas dans notre collectivité. Nous ne sommes pas à l'affût de simples utilisateurs de cannabis. Il nous arrive toutefois d'en rencontrer dans l'exercice de bon nombre de nos fonctions. Nous en rencontrons dans le cadre d'enquêtes portant sur des trafiquants, et certaines accusations sont portées contre les utilisateurs. On en rencontre parfois dans des cas de violence conjugale. On en rencontre aussi dans des enquêtes menées sur des débits de boisson et parfois dans des cas d'infraction au code de la route. Il s'agit d'éléments accessoires de l'enquête.
En ce qui concerne le trafic et la culture du cannabis, on les retrouve au cœur de bon nombre d'enquêtes menées dans le cadre de la lutte antidrogue. L'argent issu de la culture et du trafic du cannabis envahit d'autres secteurs de la criminalité. Dans certaines collectivités, on a assurément affaire au crime organisé officiel; dans d'autres, on a affaire à des associations de malfaiteurs uniquement intéressés par le profit. C'est sur ces secteurs que nous ciblons nos activités.
Comme j'ai déjà indiqué — et je ne parle pas que du cannabis —, lorsque nous ne faisons pas la lutte aux drogues et que nous ne ciblons pas nos activités sur ce secteur, nous constatons une augmentation du nombre de crimes commis dans les collectivités. Nous observerons une prévalence plus grande de la prostitution de rue, des vols, des vols dans les voitures et des entrées par effraction. En l'absence des policiers, le trafic fait des affaires florissantes, et l'activité criminelle associée à l'acquisition des fonds nécessaires pour participer au trafic augmente.
Le sénateur Kenny: Je ne suis pas votre raisonnement à ce sujet. Lorsqu'ils se livrent à des activités de lutte antidrogue, nos policiers se trouvent à réduire l'offre de drogue dans la rue, non?
M. Johnston: En partie, oui.
Le sénateur Kenny: Le prix des drogues augmente donc.
M. Johnston: Non, ce n'est pas forcément le cas. Dans le cas des enquêtes de ce genre-là, ce sont les gens qui en font le trafic qui sont éliminés. La quantité de drogue qui est éliminée peut être plus ou moins importante. Parfois, dans les localités portuaires, là où les grandes saisies sont effectuées, cela a une incidence importante. Ce qui importe davantage, c'est l'incidence de l'action que vous menez sur le réseau de revendeurs et de trafiquants, par opposition à la quantité de produits que vous éliminez.
Le sénateur Kenny: Ce ne sont pas les revendeurs et les trafiquants qui commettent les cambriolages; ce sont les usagers qui commettent les cambriolages.
M. Johnston: Vous dites vrai.
Le sénateur Kenny: Pourriez-vous faire le tour de la question, pour que je puisse mieux comprendre.
M. Johnston: C'est une question d'offre, d'accessibilité. Si je laisse traîner un billet de 10 $ sur le coin de cette table, celui qui est enclin à faire ce genre de chose le prendra. Si le billet en question se trouve dans mon portefeuille, dans ma poche arrière, et que je suis assis dessus, il a beau être enclin à faire ce genre de chose, l'argent ne lui est pas accessible. C'est la même chose avec la drogue. Si les réseaux et les gens qui s'adonnent au trafic de la drogue ne sont pas là ou qu'ils ne sont pas efficaces, alors il n'y a pas de drogue à avoir.
Le sénateur Kenny: Il y toujours de la drogue à avoir pour ceux qui en veulent. Il n'y a que le prix qui joue, non?
M. Johnston: Ce n'est pas seulement une question de prix, non; c'est aussi une question de prévalence. Si, pour aller s'acheter une bouteille de bière il faut faire 50 kilomètres, dans un cas, ou un kilomètre à pied dans l'autre, alors il y a une différence; l'impact n'est pas le même. C'est la même chose là où les gens vivent. Si, dans une petite zone du centre d'une ville il y a dix endroits où se procurer de la drogue plutôt que deux, cela fait toute une différence pour les gens de l'endroit. Ce n'est pas seulement une question de prix.
Le sénateur Kenny: Dans les cas où vous êtes actif dans la ville en question, constatez-vous une diminution des vols par effraction, par exemple?
M. Johnston: Oui, en règle générale, nous le constatons.
Le sénateur Kenny: Comment faites-vous pour le savoir quand un réseau de drogue ne fonctionne pas? Êtes-vous également actifs auprès des gens qui seraient enclins à commettre des vols par effraction dans le contexte?
M. Johnston: J'imagine que ne saurais l'affirmer de façon empirique. Je peux vous dire que, pendant toute ma carrière qui comprend de nombreuses années de travail à Calgary, où je comptais parmi mes fonctions l'analyse de la criminalité, j'ai été appelé notamment à analyser la criminalité dans un quartier, à déceler là où elle se produisait et ce qui advenait. Je ne pourrais vous dire le nombre de fois où j'ai eu recours à une illustration, à une carte du quartier, et où j'ai tracé un cercle. Je traçais un cercle autour des lieux où il y avait eu vol par effraction puis je repérais la maison du trafiquant. J'ai fait cela maintes et maintes fois.
Quand nous nous sommes attaqués à l'accessibilité, le nombre d'infractions créées dans le cercle en question a diminué, et le cercle a diminué lui aussi. C'est un schéma que j'ai vu se répéter et se répéter encore, et c'est un schéma que je vois se répéter à Regina. Du point de vue empirique, je ne saurais établir le lien de cause à effet. Je sais tout de même que les gens commettent des vols pour trouver l'argent nécessaire à l'achat de drogues illicites.
Le sénateur Kenny: Vous avez affirmé que la fréquence des troubles conjugaux augmentait du fait de la consommation de cannabis.
M. Johnston: Non, je n'ai pas affirmé cela.
Le sénateur Kenny: Je vous ai mal compris. Qu'est-ce que vous avez dit?
M. Johnston: Ce que j'ai dit, c'est nous ne nous appliquons pas à faire enquête sur les gens en cas de possession simple de cannabis. Nous tombons parfois sur le cannabis dans le cadre d'autres enquêtes. Les disputes conjugales figurent parmi les autres cas d'enquête dont j'ai parlé.
Le sénateur Kenny: Quand un agent intervient dans le cas d'une dispute conjugale, trouve-t-il souvent du cannabis sur les lieux?
M. Johnston: Je ne dirais pas «souvent».
Le sénateur Kenny: À l'occasion?
M. Johnston: Oui, à l'occasion.
Le sénateur Kenny: Qu'est-ce que vous voulez donc laisser entendre par là? Qu'il y a un lien?
M. Johnston: Je n'affirme pas qu'il y a un lien. Je vous dis que nous ne nous appliquons pas à faire enquête sur les cas de possession simple de cannabis. Nous n'attribuons pas à des agents de police la tâche qui consiste à aller chercher les gens qui sont en possession simple de cannabis, pour cette raison unique et aucune autre. J'essaie de décrire au profit du comité toute la série d'enquêtes policières dans lesquelles nous pourrons tomber sur du cannabis, ou celles où il se trouve à avoir du cannabis. J'espère ainsi faire la lumière sur la raison ou la provenance des accusations portées pour possession simple.
Le sénateur Kenny: La difficulté que me pose ce commentaire, c'est que — quand vous me dites que vous tombez sur du cannabis dans le cas de dispute conjugale, il y a là un peu de présomption, il me semble, car je suis sûr que vous tombez aussi sur de l'alcool et du café.
M. Johnston: Tout à fait, oui.
Le président: Ma question porte sur la consommation de cannabis et la conduite d'un véhicule. Les recherches ne sont pas concluantes — il faut voir — et c'est pourquoi je vous pose la question. Je suis sûr que vous et vos gens avez été les témoins de l'effet de la consommation de cannabis sur les capacités d'une personne qui conduit et avez eu à témoigner à ce sujet. Permettez-moi de faire la lecture d'un passage qui se trouve à la page 5 de notre document de travail sur le cannabis et sur la conduite d'un véhicule automobile:
Les données épidémiologiques disponibles ne permettent pas de tirer des conclusions définitives quant aux effets du cannabis sur la capacité à conduire.
Les études tendent cependant à indiquer qu'à hautes doses ou combiné avec l'alcool le cannabis augmente significativement les risques.
L'usage de cannabis diminue la coordination motrice, le maintien d'une trajectoire en ligne droite et l'attention continue.
Par contre, le cannabis diminue la vitesse et la prise de risques au volant.
Pouvez-vous confirmer cela ou nous donner de plus amples renseignements, d'après ce que vous ont permis de constater les activités de votre service? Est-ce que vous souhaitez, ou vous pouvez nous transmettre ces renseignements par messager ou par la poste, d'une façon quelconque. Il ne suffira probablement pas de trois minutes pour répondre à la question. Nous savons que c'est une question qui préoccupe les milieux policiers. Dans quelle mesure votre expertise peut-elle s'appliquer à cette question?
M. Johnston: Je peux formuler des observations, dont certaines confirmeront ce qui est avancé ici et d'autres, à mon avis, amèneront le comité à se pencher sur d'autres considérations encore.
Jusqu'en novembre, c'est-à-dire il y a de cela six à huit mois, la province de la Colombie-Britannique était la seule province canadienne, à ma connaissance, à adopter des mesures actives pour appliquer la formation et les techniques américaines en ce qui concerne les aptitudes à conduire un véhicule. Il s'agit de tests effectués sur le terrain par les agents de police; il s'agit non pas d'utiliser un équipement ou un appareil en bordure de la route, mais plutôt de mesurer les comportements et les habiletés des gens sur le plan moteur — les tests en question étant dirigés par un agent de police là où le véhicule automobile est employé.
À l'heure actuelle, c'est l'une des façons que nous avons au Canada de déterminer si un conducteur a les facultés affaiblies du fait d'avoir consommé une substance autre que l'alcool. Si c'est l'alcool qui est en jeu, nous pouvons employer un dispositif de dépistage en bordure de route. Si le conducteur a les facultés affaiblies par une substance autre que l'alcool, quelle que soit la substance en question, en ce moment, il est très difficile de le déterminer d'une façon qui peut être accueillie à titre d'élément de preuve de l'infraction commise.
Nous avons surveillé la situation en Colombie-Britannique et en avons tiré des leçons. Nous avons vu que les milieux juridiques et les tribunaux en Colombie-Britannique ont bien accepté ce genre de preuve, que ce genre de preuve était bien accueillie et que, dans la mesure où elle était établie et consignée avec rigueur, elle pouvait être très utile dans le cas des enquêtes du genre.
En novembre, nous avons tenté l'expérience en Saskatchewan, et nous avons répété l'exercice en février et en mars, je crois. Nous formons nos agents pour qu'ils puissent employer ce genre de technique. Cela prend du temps, mais il y a maintenant 80 policiers qui connaissent bien les techniques en question et qui vont s'en servir ici, en Saskatchewan. Cela nous donne la possibilité de procéder à des examens sur le terrain pour tester les personnes dont les facultés sont peut-être affaiblies du fait d'avoir consommé une substance autre que l'alcool, par exemple une quelconque drogue illicite.
Ce dont il s'agit, c'est l'effet combiné de la consommation d'alcool et de cannabis, ce genre de chose, dans la mesure où elle réduit la capacité qu'ont les gens de percevoir ce qui se passe autour d'eux et de réagir à temps.
Je ne suis pas prêt à parler en particulier de l'effet du cannabis sur l'agressivité. Tout de même, je peux parler des effets de l'alcool et de ce qui, de plus en plus, apparaît comme un des dangers de l'alcool au volant. Cela servira peut- être à confirmer l'affirmation qui se trouve au point quatre.
Parmi les conducteurs les plus dangereux, il y a ceux dont les facultés sont affaiblies du fait d'avoir consommé juste un peu d'alcool. Quand ils consomment juste un peu d'alcool, ils éprouvent la première levée des inhibitions sans pour autant ressentir que leurs facultés sont affaiblies; c'est dans ce groupe que les cas de vitesse excessive les plus fréquents ont été constatés. Les styles de conduite les plus agressifs sont non pas ceux des conducteurs dont les facultés sont sensiblement affaiblies par l'alcool — les gens complètement saouls — mais plutôt ceux qui ont bu juste assez pour que leurs inhibitions soient levées.
Si cela ne s'avère pas dans le cas du cannabis, si ce genre de levée des inhibitions ou un autre phénomène du genre ne se confirme pas, il se peut très bien que l'on constate que les conducteurs ayant consommé du cannabis n'aient pas de comportement agressif qui finit par provoquer des accidents où il y a des blessés graves.
Le président: Merci beaucoup, encore une fois, d'avoir lu notre documentation et d'avoir répondu à nos questions. C'est avec un grand plaisir que nous avons accueilli vos remarques.
Nous allons maintenant entendre M. Timothy Hampton de la section saskatchewanaise de NORML.
M. Timothy Hampton, président, Organisation nationale pour la réforme des lois sur la marijuana: Je tiens à signaler à quel point nous apprécions l'occasion qui nous est offerte de nous adresser au comité. Cela fait longtemps que le moment est attendu. Le comité directeur de NORML en particulier souhaite que je vous remercie en son nom.
Je prends la parole aujourd'hui au nom des millions de consommateurs canadiens de cannabis qui sont las d'être pourchassés, poursuivis et qualifiés de criminels parce qu'ils consomment pour le plaisir une herbe légèrement euphorisante. C'est non pas quelque composé ésotérique obtenu au moyen d'une alchimie proscrite, mais plutôt une plante qui pousse partout dans le monde. Le cannabis est consommé à des fins thérapeutiques et sociales depuis les temps immémoriaux; en lui-même, il n'est ni bon ni mauvais — on peut en dire autant d'autres articles qui se trouvent couramment dans notre société.
L'attribution de caractéristiques morales à un objet n'est ni logique ni acceptable. Les relations sexuelles, le magasinage, la consommation d'alcool et d'aliments — on peut s'y adonner de manière saine ou malsaine et, s'il faut parler de compulsion ou d'accoutumance, disons que tout peut être un problème médical ou social. Certaines personnes mangent du chocolat compulsivement.
La consommation irresponsable d'alcool est mortelle, parfois pour l'usager, parfois pour des innocents, mais personne ne réclame l'interdiction des boissons alcoolisées.
Des joueurs invétérés volent régulièrement des centaines de milliers de dollars pour assouvir leur besoin, mais personne ne lance de hauts cris pour qu'on mette fin aux loteries ou qu'on ferme les casinos.
Les adeptes du tabagisme sont les esclaves d'une drogue mortelle et puante qui créé une dépendance horrible. Or, bannissons-nous le tabac? Non, nous en réglementons la vente, nous prévoyons un contrôle de la qualité et nous taxons et retaxons à qui mieux-mieux. Pour avoir une plus grande part du gâteau, le Québec a majoré les taxes sur le tabac à tel point que les résidents de la réserve d'Akwesasne ont commencé à passer en contrebande des cigarettes canadiennes des États-Unis au Canada. Leur source de motivation était la marge de rentabilité que conférait la prohibition. La violence que cela a supposée pour cette collectivité et d'autres encore plongeait ses racines dans la recherche du profit et non pas dans les champs de tabac de Tillsonburg.
Les profits associés à la prohibition ou une taxation excessive sont des vecteurs pour le crime organisé et la violence, comme le commerce illicite d'alcool, de tabac et de drogues a permis de le voir. Peu importe la nature de la substance elle-même; les bandes criminelles organisées ont pour première motivation le profit.
C'est très simple, en fait; si les gens sont nombreux à vouloir un article, qui serait rare, des profiteurs ne tardent pas à se montrer le bout du nez. S'ils ne peuvent pas ou ne veulent pas répondre entièrement à la demande, le prix demeure artificiellement élevé. Comment faire baisser le prix et éliminer les contrebandiers? Il faut accroître l'offre. La taille du marché demeure statique.
Quand l'offre et la demande atteignent le niveau voulu, les conditions qui attirent les profiteurs ne valent plus. Une taxation équitable et une réglementation adéquate laissent d'autant moins de marge de manœuvre aux contrebandiers.
La consommation excessive d'alcool représente un problème énorme au Canada mais je n'entends personne dire que la mafia est en train de mettre la main sur l'industrie de la bière artisanale ou que le commerce illicite du vin de rhubarbe vieilli pendant douze ans est à l'origine de toutes sortes d'assassinats de la part de la pègre. Pourquoi pas? C'est qu'il n'y a pas un grand profit à faire en raison d'une prohibition ou d'une taxation excessive.
Les responsables de commission des alcools et du jeu de la Saskatchewan me disent qu'il n'y a pas de limite à la quantité de vin que je peux faire pour mon propre usage. Soit dit en passant, je crois qu'ils avaient tort. Je crois qu'il y a une limite de 500 gallons par année. De toute façon, qu'ils me disent que je peux en faire 100 000 litres pendant l'année, que je peux inviter tous mes amis à venir le boire jusqu'à en perdre conscience, si c'est ce que nous souhaitons faire. Sinon, je peux en fabriquer 10 litres et me servir un verre pendant le repas. Tout cela est légal, dans la mesure où je n'en fais pas un échange public. Si je souhaite en faire la distribution, alors je dois obtenir le permis voulu, me plier à des règles rigoureuses et ouvrir mes portes, sur demande, en prévision d'une inspection.
Ne nous leurrons pas: l'alcool, le tabac et le cannabis ne disparaîtront pas. Leur consommation peut être réglementée et réduite au moyen de mesures d'éducation, mais elle ne peut être éliminée au moyen de poursuites. Depuis 80 ans, la prohibition n'a rien fait pour diminuer la faveur dont jouit le cannabis — et là où il y a une demande, il y a l'offre.
Je ne veux pas faire perdre son temps au comité en répétant des éléments de témoignage qu'il a déjà entendus, mais permettez-moi de dire que les études sont nombreuses à montrer que les effets nuisibles sur le plan social et médical sont, au pire, d'ordre mineur. Certes, ce n'est pas ce qui justifie l'attribution d'une part énorme des ressources de l'appareil de justice comme le veulent les tenants actuels de la prohibition du cannabis. Utilisons nos tribunaux et nos services de police pour faire échec aux véritables criminels et aux problèmes bien réels.
Au Canada, les services de police n'hésitent pas à sortir le «problème de la drogue» pour justifier des demandes de fonds destinées à l'équipement et au personnel. En réalité, les lois prévoyant la prohibition du cannabis sont mises en application de manière erratique et arbitraire; seul un pourcentage de ceux qui sont pris en possession de cannabis se retrouvent devant les tribunaux. Un des facteurs déterminants, du point de vue des accusations pouvant être portées, est le comportement de l'inculpé. L'exécution des dispositions pénales au Canada ne saurait reposer sur une approche inconstante ou sur les caprices d'un agent particulier.
À midi, le 5 mai 2001, trois cents «criminels» se sont réunis dans la rue, devant le poste de police de Saskatoon. Ils demandaient qu'on les arrête pour les actes criminels qu'ils commettaient ouvertement et qu'ils avouaient commettre. La police de Saskatoon a refusé de les arrêter. Pourquoi? Selon la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le trafic de cannabis constitue un acte criminel à ce point grave que c'est l'emprisonnement à perpétuité qui est prévu.
Si les membres de l'Association canadienne des policiers mettaient réellement en application la position qu'ils défendent dans le mémoire qu'ils ont adressé au comité, ils n'auraient pas eu à sortir les excuses lamentables qu'ils ont offertes à l'enquêteur chargé des plaintes pour la police de la Saskatchewan quand ils ont été sommés d'expliquer pourquoi ils ont manqué au devoir pour lequel ils avaient prêté serment.
Permettez-moi de vous parler d'une des personnes qui étaient présentes ce jour-là. Elle s'appelle Lorie Johnson. Elle est mariée à un homme qui s'appelle Ernest Rogalsky. Les deux ont été arrêtés pour avoir violé les lois canadiennes prévoyant la prohibition du cannabis. Même s'il était d'avis que les actes posés par l'agent de la paix ne respectaient pas les préceptes fondamentaux de la primauté du droit, M. Rogalsky a plaidé coupable et a été incarcéré. Il l'a fait pour deux raisons: le prix d'une défense adéquate commence à 50 000 $, ce qui est supérieur à son avoir net, et il n'admettait pas la possibilité que sa femme puisse être aussi emprisonnée. Grâce à ce «marché», on a laissé tomber les accusations dirigées contre Mme Johnson.
Deux mois plus tard, sur les marches du poste du même service de police qui l'avait arrêtée, elle, et mis en prison son mari, elle a commis le même acte criminel pour lequel elle avait été traduite en justice. Dans les deux cas, elle n'a nullement été condamnée.
La primauté du droit est le socle sur lequel repose notre système de justice tout entier. C'était la référence d'Aristote, et c'est le tout début du texte de la Charte des droits et libertés. Un des préceptes fondamentaux associés à la primauté du droit c'est qu'il doit être appliqué également à tous. Cela ne veut pas dire que la jurisprudence canadienne n'autorise pas certaines disparités régionales. Cela dit, le Centre canadien de la statistique juridique signale que, en 1999, 17 p. 100 des infractions liées au cannabis en Colombie-Britannique se sont retrouvées devant les tribunaux; en Saskatchewan, c'était le cas de 76 p. 100 d'entre elles. L'écart entre les chiffres ne saurait être attribué à des différences régionales quant à la marge de manœuvre des procureurs de la Couronne, mais il peut être rattaché à une cause particulière.
L'application arbitraire du droit canadien ne concorde pas avec l'esprit de la Charte et les modalités particulières de l'article 15.
Comme il est question d'égalité ici, je souhaite souligner qu'il n'y en a pas dans les peines que prévoit le Code criminel pour diverses infractions. L'article 163.1 du Code criminel prévoit que quiconque fabrique et vend de la pornographie infantile peut recevoir une peine d'emprisonnement maximale de 10 ans. Transgressez les lois canadiennes qui interdisent le cannabis et vous vous retrouvez en prison à perpétuité. Le paragraphe 160(3) dit que si vous vous adonnez à la sexualité en présence d'un enfant ou que vous le forcez à participer à un tel acte, vous pouvez recevoir une peine d'emprisonnement maximale de 14 ans. Transgressez les lois canadiennes interdisant le cannabis et vous vous retrouverez en prison à perpétuité. L'article 151 prévoit que si vous avez des contacts sexuels avec un enfant, vous pouvez recevoir une peine d'emprisonnement maximale de 10 ans. Transgressez les lois canadiennes interdisant le cannabis et vous vous retrouverez en prison à perpétuité.
Une justice dont les paramètres de détermination de la peine font l'objet de divergences évidemment inacceptables comme celles-là a quelque chose de déficient. Affirmer, laisser entendre même que le fait de figurer parmi les adeptes du cannabis au Canada constitue un crime dont la sanction devrait être plus sévère que celle qui s'applique aux actes criminels que je viens de décrire est un affront au bon sens et aux consommateurs de cannabis de tout pays.
Visiblement, le moment est venu d'adopter une approche nouvelle de l'interaction entre les adeptes du cannabis au Canada et notre État. Sans nul doute, la prohibition n'est pas un outil efficace pour réglementer l'accès, et il faut en arriver à un contrat nouveau qui convient aux deux parties.
Ce faisant, nous devons prendre en considération quelques facteurs capitaux. La réglementation proposée doit prendre en compte la question du statut, l'accès, le mercantilisme, le contrôle de la qualité et la réaction américaine.
Faut-il décriminaliser? Substituer à une loi une autre qui prévoit l'équivalent d'une réduction générale des sanctions? S'il fallait adopter cette approche, les problèmes fondamentaux associés à l'influence des profiteurs et du crime organisé, avec la violence et l'absence de réglementation que cela suppose, demeureraient sans solution, sans compter la charge que cela continuerait de faire peser sur nos services de police, notre système de justice et nos établissements correctionnels.
Faut-il légaliser? Adopter pour le cannabis les lignes directrices qui régissent actuellement la production et la vente d'alcool et de tabac en remettant la responsabilité de la réglementation aux provinces? Faut-il se tourner vers la Loi sur l'accise pour s'éclairer? Quel que soit le contrat proposé, il faut prévoit la possibilité pour celui qui consomme du cannabis à des fins récréatives de le faire en toute légalité. Faut-il fusionner les deux approches et autoriser la consommation de cannabis à des fins récréatives dans le cadre d'un régime de permis?
En ce moment, seules les personnes dispensées en application de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances peuvent légalement posséder du cannabis. En réalité, tous les jours, des millions de Canadiens achètent, vendent et fument du cannabis. Certains le font pour des raisons médicales, la plupart le font pour le plaisir.
Les gens l'achètent dans la rue ou dans un bar. Parfois, ils composent un certain numéro et ils le font livrer. Ils peuvent s'arrêter chez un ami et pour partager un joint ou deux. S'ils sont braves et prêts à risquer la prison, ils peuvent en cultiver chez eux. Ce sont des plombiers, des travailleurs sociaux, des enseignants, des fermiers, des mères, des mineurs, des pères et des pêcheurs. Nous fumons de la marijuana et nous ne sommes pas prêts d'arrêter. En tant qu'êtres humains, nous avons ce droit inaliénable de jouir des fruits de la terre. Les citoyens canadiens vont continuer à consommer du cannabis, point.
À l'heure actuelle, les produits qui sont sur le marché canadien sont de production canadienne et il y a une faible quantité de «spécialité» provenant de l'étranger. La majeure partie du cannabis produit au pays est destiné au marché canadien lui-même, mais il y en a une part qui est cultivée uniquement en vue de l'exportation.
Soixante-quinze pour cent du cannabis qui se trouve sur le marché a été cultivé à l'intérieur par des particuliers ou des groupes organisés. Les vingt-cinq pour cent qui restent sont cultivés à l'extérieur, surtout en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec. La production est variable — des quelques livres par année qui se retrouvent sur le marché local aux centaines de livres qui passent par des réseaux de distribution établis depuis longtemps.
Le petit producteur de cannabis, de loin le plus courant — peut produire, en ayant une ou deux bonnes lumières, un kilogramme de cannabis tous les deux ou trois mois. Bien entendu, les méthodes plus intensives donneront une plus grande production. Ses recettes brutes tourneront autour de 6 000 $ alors que ses dépenses — pour la maison, l'électricité, les fournitures et ce qu'il fume — lui laisseront un petit profit net de tout au plus 2 000 $.
Il vendra son produit à un acheteur qui s'approvisionnera probablement auprès d'une demi-douzaine de petits producteurs dans la même situation que M. X. Ces gens ne sont pas motivés uniquement par le profit; plutôt, ils cherchent à promouvoir une substance qui, à leurs yeux, devrait être offerte légalement. Le cannabis canadien est de bonne qualité et permet aux producteurs d'avoir une quantité personnelle qu'ils auraient autrement à acheter. Essentiellement, il cultive le cannabis pour ses propres besoins, mais met son excédent sur le marché.
Une fois que l'intermédiaire a mis la main sur le cannabis, il le vend directement au consommateur moyennant 30 $ ou 40 $ le paquet de un huitième d'once. Parmi les jeunes ou dans la rue, il se vend parfois 10 $ ou 20 $ le gramme. L'once se vend entre 250 $ et 300 $; la livre, il faut compter 2 600 $ à 3 600 $. Les onces et les quarts de livre peuvent être revendus en plus petite quantité. La conscience du distributeur est le seul contrôle.
Si quelqu'un souhaite acheter du cannabis, la plupart des fumeurs sont heureux de lui venir en aide. Le trafic fait partie intégrante de la consommation de cannabis, et celui qui s'adonne à une transaction court chaque fois un risque juridique important, car la Loi réglementant certaines drogues et autres substances prévoit l'emprisonnement à perpétuité pour le trafic de cannabis. Cela aide d'avoir une bonne réputation au sein de la collectivité, mais, pour la plus grande part, les gens font tout à fait confiance.
C'est comme cela que les jeunes viennent à connaître le cannabis. Un jeune de 25 ans n'hésite pas du tout à vendre un sac de cannabis à un jeune de 20 ans, mais il n'en vendrait jamais un à un jeune de 16 ans. Le jeune de 20 ans ne vendrait jamais un sac à un jeune de 15 ans, mais il en vendrait un à un jeune de 17 ans, et ainsi de suite. La réglementation ne servirait pas à éliminer tout à fait le problème, mais c'est un bon point de départ.
Des entreprises de plus grande envergure, qui produisent à des fins commerciales, ont tendance à être l'affaire de groupes bien établis, qui font confiance à leurs complices et à leurs voies de distribution. Certains de ces groupes se ressemblent suivant des paramètres culturels ou sociaux, mais au moins 50 p. 100 du marché appartient à des confédérations plus ou moins rigoureuses de personnes animées d'un même esprit, qui ont tous besoin les uns des autres pour fonctionner de manière productive. Parfois, ce sont des amis, parfois non, mais leur sérieux doit être une chose éprouvée.
Ces groupes ne répondent pas à la définition classique que l'on donne du crime organisé, car ils sont vraiment non structurés, la participation étant laissée à chacun. Même s'il ne s'agit pas de crime organisé, ces gens sont tout à fait capables de produire de grandes quantités de cannabis de grande qualité, régulièrement, la production de 30 livres de cannabis en 10 à 12 semaines n'ayant rien de rare. Pour la plus grande part, le produit est destiné au marché canadien.
Cela donne 75 000 $ nets, qui seraient alors répartis entre les principaux intéressés. Étant donné les grandes sommes d'argent ainsi générées, et le sentiment général de paranoïa qui imprègne toute entreprise illégale, voilà où naissent les disputes contractuelles. La violence n'est pas prédominante dans ces groupes, mais elle existe. La forme la plus courante de sanction pour bris de contrat ou pour dénonciation est l'ostracisme.
Ces groupes font de l'argent en vendant de la marijuana, mais ils sont motivés en partie par une croyance: le cannabis devrait être offert à quiconque souhaite en avoir. Le groupe est divisé sur la question de la légalisation.
L'autre moitié des grands groupes de producteurs appartient carrément au crime organisé. Ce sont des hiérarchies puissantes et rigides qui recherchent strictement le profit et n'ont aucune allégeance, sauf envers elles-mêmes. C'est dans ces groupes que, d'après ce que nous avons observé, la violence quotidienne est une façon acceptable de procéder.
Une bonne part de ce marché concerne l'exportation, le cannabis étant parfois une monnaie d'échange utilisée pour obtenir de la cocaïne et de l'héroïne ou, tout au moins, des dollars américains. Il y a aux États-Unis une demande énorme à l'égard du cannabis canadien; on y est prêt à payer un excédent pour obtenir ce qu'il y a de mieux, pour que le cannabis soit livré de l'autre côté de la frontière.
L'accroissement des mesures de sécurité mises en place à la suite des attaques perpétrées le 11 septembre 2001 a conduit à une augmentation du coût du transport de l'ordre de 1 000 $ par livre, mais cela n'a pas réduit la circulation de la drogue de part et d'autre de la frontière. La légalisation du cannabis n'aurait pas pour effet d'empêcher ces groupes de fonctionner, car ils ont toutes sortes d'intérêts, mais cela éliminerait du marché un mode d'échange qui ne laisse pas de trace. Ces groupes ne souhaitent pas que le cannabis ou une quelconque drogue soit légalisé: il y a beaucoup trop d'argent à faire à exploiter la situation.
Il est bien évident que les États-Unis d'Amérique au niveau fédéral, préconisent la prohibition; qu'ils s'opposent à tout projet de légalisation pleine et entière du cannabis au Canada. Ne nous leurrons pas: la frontière est une passoire, et cela rend les Américains fous. Pour celui qui souhaite y arriver, il suffit d'une approche professionnelle pour traverser la frontière avec un risque minimum.
Pardonnez-moi si j'enfonce les portes ouvertes, mais la difficulté à laquelle on fait face aux États-Unis est la même qu'ici — la recherche excessive de profit motivée par la prohibition. Le gouvernement américain doit se défaire de l'emprise de la «moral minority» et faire face à la réalité. Il a perdu la guerre contre la drogue. Nous qualifier de terroristes parce que nous fumons de la marijuana ne fera pas renaître cette guerre. Réglementer la culture et la distribution du cannabis servira à démasquer rapidement les profiteurs et à canaliser les efforts des services policiers. Quelle que soit la solution que nous adoptons, les États-Unis vont toujours se plaindre de toute manière. N'oubliez pas que nous sommes les voisins d'une brute grosse et épaisse. Le Canada est un pays souverain, et nous devrions agir en conséquence, et non pas nous plier servilement aux diktats des États-Unis.
En ayant tout cela à l'esprit et quoique nous aimerions voir une légalisation pleine et entière du cannabis, nous savons que ce n'est pas réaliste pour l'instant; par conséquent, les membres de NORML m'ont donné pour mandat — du point de vue de l'examen des dispositions canadiennes prévoyant la prohibition du cannabis — de proposer ce qui suit:
La possession, la culture et le trafic de cannabis demeurent sous la coupe de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, c'est-à-dire que la loi existante demeure telle quelle, mais l'article 56 est interprété comme autorisant une exception qui permet au demandeur de cultiver, de posséder, de distribuer ou de consommer du cannabis à des fins récréatives ou médicales. Un tel programme et la supervision qui s'impose seraient financés grâce à une taxe tout à fait excessive appliquée au moment où le permis est accordé.
Un permis de culture et de consommation à des fins personnelles permettrait au détenteur d'avoir au plus six plantes en éclosion à un moment donné et d'au plus un kilo de bourgeons desséchés à des fins personnelles à la maison.
Des cafés s'apparentant aux bars et relevant des même règles auraient le droit d'acheter du cannabis de producteurs licenciés et de le vendre au gramme pour usage sur les lieux.
Le permis de producteur autoriserait la production d'un cannabis à des fins médicales ou récréatives qui serait distribué dans les points de service approuvés.
Les lois actuelles, par exemple les articles 249 et 253 du Code criminel, suffisent amplement à prendre en charge les cas où le consommateur évolue, les facultés affaiblies en raison du cannabis, en public.
Un manquement aux conditions rattachées au permis se traduirait par l'élimination temporaire du privilège.
Nous sommes tous d'accord pour dire que nous, en tant que détenteurs de permis, travaillerions pour que tous les membres du milieu respectent entièrement les règles tout en pratiquant l'auto-surveillance.
Nous demandons également que l'alcool et le tabac soient assujettis aux dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et aux mêmes conditions de fabrication, de consommation et de possession que le cannabis.
Les gens de mon milieu veulent que vous sachiez qu'ils ne sont pas des criminels, et qu'ils sont las d'être traités comme tel. Il y a toute une distinction à faire entre l'usage raisonnable et l'abus. Il faut adopter un contrat social qui nous convient, sinon la situation va perdurer.
Nous sommes prêts à faire des compromis et à coopérer avec les autorités policières, mais il faut que le dossier progresse de manière sérieuse et bien réelle. Adressez-vous avec fermeté au gouvernement et rappelez-lui que l'État n'a rien à faire dans les chambres à coucher du pays. Réglons cette question une fois pour toutes. Merci.
Le président: J'aimerais juste faire une correction. Quand M. Hampton affirme qu'une violation des lois canadiennes prévoyant la prohibition du cannabis peut déboucher sur l'emprisonnement à vie, je crois qu'il faut expliquer une chose: si vous êtes accusé de possession de moins de cinq grammes ou du trafic de moins de trois kilogrammes, la peine maximale est de cinq ans.
M. Hampton: Oui. Je pourrais aller chercher le Code criminel et faire une lecture exacte du passage en question, mais vous avez raison. L'emprisonnement à vie pour trafic de cannabis s'applique dans le cas où il y a eu trafic de plus de trois kilogrammes, ce qui ne représente que sept livres, donc pas une quantité excessive.
Le président: Je voulais simplement mettre cela en perspective. Un emprisonnement à vie ne s'applique pas toujours.
Monsieur Hampton, comme vous connaissez la chose plus que moi, pourriez-vous nous parler du niveau de THC? Je ne sais pas s'il y a débat sur la question ici, mais je sais qu'au Québec, il y a un débat sérieux sur le niveau de THC dans certaines substances.
M. Hampton: Quand le cannabis a commencé à faire des adeptes au Canada, il était importé le plus souvent du Mexique; le niveau de THC variait alors entre 4 p. 100 et 8 p. 100. Tout au long des années 70 et tout au long des années 80, nous avons vu l'arrivée de certaines «spécialités» cannabinoïdes importées d'Hawaï, d'Afghanistan et d'ailleurs dans le monde, et le niveau THC de ces substances était plus élevé. Il était possible de se procurer ces drogues. Le cannabis ayant des concentrations plus élevées de THC était offert durant les années 70, 80, 90 au Canada.
Quand nous avons vu que de plus en plus de gens cultivaient la marijuana à l'intérieur, au Canada, nous avons vu un accroissement des concentrations des ingrédients actifs.
Le président: Pouvez-vous nous donner de plus amples précisions sur les concentrations en question et sur les substances qui ont été ajoutées dans le cas de cette culture intérieure?
M. Hampton: Rien n'est ajouté. Ce sont des souches différentes. Une sorte particulière de pommier peut ne donner que quelques pommes, alors qu'une autre variété peut en donner tout un lot. C'est la sorte, la variété qui n'est pas la même. Une plante d'une variété particulière, si elle ne produit qu'un quart d'once, aura essentiellement les mêmes concentrations de THC que la plante qui produit une livre.
Le président: Quelles seraient les concentrations en question?
M. Hampton: En ce moment, je dirais que la marijuana cultivée à domicile présente des concentrations qui varient entre 15 et 25 p. 100. La limite extrême est d'environ 27 p. 100. On ne peut obtenir des concentrations plus élevées que cela. C'est très fort, et si vous fumez régulièrement le cannabis dont les concentrations ne sont que de 10 ou de 15 p. 100, puis vous allumez un joint qui en contient 25 ou 30 p. 100, ce n'est certainement pas la même chose.
Les fumeurs de cannabis en sont bien conscients. Ce ne sont pas des néophytes. Ils le savent. Quand ils allument un joint, pour la plus grande part, ils le savent si c'est très fort ou si ce n'est pas si fort.
Nous avons la même classification dans le cas de la bière. La concentration d'ingrédients actifs dans le whiskey est plus élevée que dans la bière, et les gens qui consomment de l'alcool le savent très bien.
Le président: Le consommateur souhaite-t-il avoir accès à des concentrations peu élevées, moyennes, élevées?
M. Hampton: Il y a différents consommateurs qui souhaitent obtenir chacune des concentrations. Il y a un marché pour les concentrations très faibles, de moins de 10 p. 100. Le plus grand marché — qui représente les deux tiers — concerne les concentrations faibles et moyennes.
Le président: Les chiffres que vous nous donnez ont tendance à montrer que la production de cannabis au Canada — du moins pour ce qui touche la teneur en THC — est différente de ce qu'elle est dans le reste du monde. Le cannabis cultivé au Canada est plus fort que celui qui est cultivé en Europe, voire aux États-Unis ou en Australie. La recherche qui nous est accessible révèle que le degré de puissance de la marijuana que l'on saisit en Europe, aux États-Unis et en Australie — il s'agit de la teneur en THC — se situe entre 7 p. 100 et 15 p. 100.
M. Hampton: Notre mari est meilleure, oui. Nous avons remporté la «coupe cannabis» à plusieurs reprises.
Le président: Est-ce là une exception — 25 p. 100 — ou est-ce la norme?
M. Hampton: Oui. On n'en voit pas à 25 p. 100.
Le président: Qu'est-ce qui est normal pour le cannabis au Canada?
M. Hampton: Si vous vous rendez dans un bar et que vous achetez un sachet de pot, le contenu en THC sera d'environ 15 à 18 p. 100.
Le président: C'est la moyenne?
M. Hampton: Oui. Il faut plus de temps pour cultiver les spécialités. La plante peut donner des fruits pendant un laps de temps très court, six semaines, ou plus long, quatre ou cinq mois. Si vous voulez une mari qui présente une concentration élevée de THC, il faut que cette période soit prolongée.
Le président: Les préoccupations qui ont été soulevées ce matin proviennent pour la plupart du maire et du directeur de la police, et nous allons probablement avoir droit aux mêmes propos de la part du responsable local de la santé, pour ce qui est de la consommation excessive de la substance; en tant qu'utilisateur et connaissant les attitudes des utilisateurs, pouvez-vous nous dire le nombre, la proportion de ceux qui consomment régulièrement, de ceux qui en consomment à l'occasion à des fins récréatives et de ceux qui en font un usage excessif? Pouvez-vous nous donner une estimation?
M. Hampton: Ces chiffres sont très controversés.
Le président: Ne donnez pas de chiffres, si vous n'en avez pas; parlez-nous des attitudes.
M. Hampton: D'abord, je vais parler du consommateur de cannabis moyen. Il a un travail et il fume deux ou trois fois par semaine. Il peut fumer six ou huit joints pendant la semaine. Il a un revenu annuel de moins de 60 000 $, mais de plus de 30 000 $. C'est un gars normal, un gars ordinaire. La plupart des consommateurs de cannabis au Canada sont tout simplement des gens ordinaires.
Il est difficile de faire un usage excessif du cannabis. On ne peut se geler qu'à un certain point. Le fait de continuer de fumer n'accroît pas le degré d'intoxication une fois atteint un certain point. Quand il est question de néophytes, je dirais «oui», cela peut avoir des effets tout à fait déconcertants. Toutefois, on peut faire un usage abusif de n'importe quoi, bien qu'il s'agisse ici d'une drogue qui ne se prête pas à l'abus. Une fois qu'on tripe, cela plafonne.
Le président: Si je comprends bien, les cas d'abus concernent non pas la quantité absorbée pendant une courte période de temps, mais plutôt l'utilisation répétée. Les chercheurs auxquels nous avons posé la question et les documents que nous avons lus — corrigez-moi si je me trompe — fixent la barre à 30 grammes par mois; si on en consomme plus, il y a abus ou risque d'abus.
M. Hampton: Je dirais que c'est tout à fait cela: 30 grammes par mois.
Le président: Vous qualifieriez celui qui en consomme moins d'usager normal; c'est bien cela?
M. Hampton: La plupart des usagers ne consomment pas 30 grammes par mois. La plupart, je dirais, en consomment 10 par mois. Ce serait la quantité moyenne. Certaines personnes en fument bel et bien plus. Certaines personnes fument beaucoup plus de 30 grammes par mois.
Le président: Le responsable de la santé, le maire et le directeur de la police ont-ils raison de s'inquiéter quand ils parlent de consommation excessive?
M. Hampton: On s'inquiète d'une telle consommation. Encore une fois, on peut abuser de tout, mais ce n'est pas parce qu'il s'agit de cannabis que la situation se prête à un abus particulier.
C'est comme un pont qui enjambe une rivière. Si 10 000 voitures traversent le pont tous les jours et qu'une personne saute en bas du pont, on ne peut dire que c'est le pont qui est en faute; c'est la personne qui était instable. On ne peut mettre la faute sur un objet parce qu'un objet n'a aucune notion de ce que peut représenter le bien ou le mal. Il faut regarder comment la personne consomme.
En Saskatchewan, dans les Prairies, il y a beaucoup de fermes où on trouve des armes à feu. La plupart des agriculteurs considèrent l'arme à feu comme un outil. Cela ne devient une «arme» que s'ils l'emploient de cette façon. Ce n'est qu'une «chose» avant qu'elle ne soit utilisée, et dans la mesure où elle est utilisée de manière responsable, la notion d'abus n'entre pas en ligne de compte.
Le nombre de ceux qui feraient ou qui font l'usage abusif de la marijuana représentent un pourcentage très faible. Que la marijuana soit considérée comme légale ou illégale, on en consomme, et cela ne va pas changer. Ce sont des questions sur lesquelles il faut se pencher. Il y aura toujours des cas d'abus.
Le président: Nos recherches laissent voir que 10 p. 100 des usagers ont une accoutumance. C'est là qu'il y aurait consommation de 30 grammes par mois?
M. Hampton: Ce serait près de là.
Le président: Par conséquent, il y en a 10 p. 100 qui franchissent ce cap?
M. Hampton: Oui.
Le président: Notre recherche laisse aussi voir que de 5 à 10 p. 100 de l'ensemble des usagers finiront par avoir une accoutumance au cannabis. Avez-vous une opinion là-dessus?
M. Hampton: Ce serait une dépendance psychologique. Je ne crois pas qu'il y ait de données qui montrent l'existence d'une dépendance physique.
Le président: Vous avez raison. Nous n'avons pas de données pour confirmer une telle idée.
M. Hampton: Toute chose peut créer une accoutumance psychologique. Cela existe certainement, et je dirais que je suis d'accord avec le chiffre avancé. Il y a probablement environ 5 p. 100 des usagers qui ont une dépendance. C'est une dépendance qui ne tient pas à une évolution de facteurs physiologiques; cela tient probablement davantage d'une maladie mentale que d'une dépendance physique.
Oui, cela existe, mais il y a beaucoup de gens qui sont dépendants du bingo aussi. Je soupçonne qu'il y a probablement plus de 5 p. 100 des gens qui fréquentent les bingos qui ont besoin d'y retourner.
Le président: Pouvez-vous confirmer les effets sur la santé de la consommation de cannabis? Je voudrais confirmer certaines constatations scientifiques dont nous avons été mis au courant, maintenant qu'il y a quelqu'un qui est apte à témoigner au sujet de la réalité.
Parmi les effets aigus — ceux-ci étant des effets à court terme —, il y a la réduction de l'attention et de la concentration, une réduction des capacités motrices, notamment les réflexes et la coordination, et une réduction de la mémoire à court terme. Pouvez-vous confirmer le fait qu'il s'agisse là des effets aigus; sinon, avez-vous une opinion là- dessus?
M. Hampton: Chez les néophytes, il y aura une certaine inattention à court terme.
Le président: Quand vous parlez de «néophyte», vous parlez d'un jeune usager, quelqu'un qui n'en a jamais consommé?
M. Hampton: Ma belle-sœur n'a pas fumé de joint avant l'âge de 35 ans, et quand elle l'a fait, elle a ricané comme une fille de 12 ans. C'est une néophyte. Elle n'est pas jeune, mais elle n'avait jamais fumé de cannabis auparavant. Sa réaction a été un manque d'attention temporaire.
L'usager inexpérimenté est ce que j'appelle un néophyte; ce sont des gens qui n'en ont consommé que quelques rares fois, soit moins de six fois. Ils ont une durée d'attention réduite, une perte de concentration et, dans une certaine mesure, une capacité motrice réduite.
L'usager fréquent, celui qui fume une ou deux fois par semaine, ne connaît pas cela. Si je ne m'abuse, l'étude la plus récente réalisée en Angleterre montre que la capacité motrice des gens qui fument un joint, de fait, augmente d'un cran.
Le président: Nous sommes au courant des études. Je vous demandais de faire part de votre expérience personnelle.
M. Hampton: Les néophytes peuvent connaître une certaine réduction de leurs capacités motrices, mais pas les usagers expérimentés. Si je fume de la marijuana, je ne me soucie pas de devoir utiliser du matériel lourd ou de conduire un tracteur, ou d'aller sur scène et de jouer de la guitare et bien faire cela, ou d'aller au studio et enregistrer de la musique. Je sais que ma capacité motrice est la même, d'une façon ou d'une autre.
Je n'irai pas fumer un gros joint d'un quart d'once; je vais fumer un joint qui pèse un demi-gramme, ou peut-être un peu plus. Cela existe, mais ce n'est pas le fléau que l'on décrit. Les effets ne sont pas aussi graves que ceux dont on parle, même s'il y a des effets.
Le président: Regardons les effets chroniques, les effets à long terme.
M. Hampton: Vous les avez devant les yeux.
Le président: On est plus susceptible de les constater chez ceux qui font une grande consommation de la drogue, c'est-à-dire ceux qui en prennent plus de 30 g par mois. Parmi les effets chroniques, il y a le risque accru de cancer du poumon et d'autres maladies respiratoires; la possibilité d'une psychose cannabinoïde chez les personnes prédisposées à la psychose, et la possibilité de syndromes amotivationnels, c'est-à-dire d'apathie, d'indifférence et de perte d'intérêt et d'ambition. Qu'en pensez-vous?
M. Hampton: Je commencerai par le cancer du poumon. Fumer quoi que ce soit est nuisible. Chaque fois que vous absorbez une substance dans vos poumons, cela cause des dommages.
Le président: Connaissez-vous des gens qui fument uniquement du cannabis et non pas du tabac?
M. Hampton: Oui, j'en connais.
Le président: Courent-ils le même risque en ce qui concerne le cancer du poumon?
M. Hampton: Non, le risque est bien moindre chez eux. Le risque de cancer du poumon chez celui qui fume uniquement du cannabis n'est qu'une fraction de ce qu'il est chez celui qui fume du tabac.
Le président: Avez-vous quelque chose dire à propos de la psychose?
M. Hampton: C'est difficile pour moi de commenter cela: j'ai peu d'expérience personnelle à cet égard. Mon fils aîné est épileptique et schizophrène, et il n'a jamais fumé de marijuana de sa vie. Ses médecins ont laissé entendre que cela pourrait être bon pour son épilepsie, affection très grave chez lui, mais il ne veut pas participer à cela.
La psychose et la maladie mentale existent dans notre société. Ce sont des maladies horribles, mais la marijuana n'en est pas la cause. La marijuana peut avoir un faible effet sur une condition préexistante, mais, en elle-même, elle ne cause pas la psychose. C'est uniquement un facteur.
Quant aux effets sur la santé globale d'un être humain, je fume depuis plus de trente ans, je suis chanteur et musicien. Je peux chanter pendant trois ou quatre heures, et je chante avec force. Au fur et à mesure que je vieillissais, mon médecin me faisait subir des tests de capacité pulmonaire et des tests sur le rythme cardiaque, et il me place dans la catégorie des personnes les moins à risque. Il affirme que ma santé physique — capacité pulmonaire et capacité cardiaque — ne saurait être meilleure. Je ne pourrais l'améliorer; et je fume depuis plus de trente ans.
Je ne suis pas psychotique. Je n'ai jamais consulté de psychiatre de ma vie. J'ai reçu, une fois, une contravention pour excès de vitesse. Je n'ai jamais été accusé de conduite avec facultés affaiblies. Je n'ai jamais été arrêté pour quoi que ce soit qui ait un lien avec l'alcool. Je bois, mais je bois de façon responsable. Je fume du cannabis, mais je fume de façon responsable.
Le président: Avez-vous déjà essayé d'autres drogues?
M. Hampton: Ah, oui, j'en ai essayé.
Le président: Pour quelle raison?
M. Hampton: Quand j'étais jeune, il y avait toute une campagne anti-drogue, à la fin des années 60. Les jeunes ont eu droit à tout un discours là-dessus. Dans les Prairies, quand on arrive dans une grande ville, si on se fait offrir un joint, on le prend bien et, voilà, c'est considéré comme étant assez cool. On se dit: «Bien, ils nous ont menti à propos de ceci; quel autre mensonge ont-ils raconté?» Alors, quelqu'un d'autre arrive avec une autre drogue, et vous l'essayez. Par curiosité, j'ai fait le tour complet. Pas régulièrement. Je ne suis pas allé acheter un échantillon de chaque drogue pour m'installer et l'essayer, mais sur une période de vingt ans, j'ai fini par tout essayer. Celui qui écrit doit vivre des expériences. On ne peut écrire sur ce qu'on n'a pas vécu.
La seule drogue que je n'ai jamais consommée, c'est l'héroïne. On m'a déjà administré de la morphine à l'hôpital; je me fais donc une assez bonne idée de l'effet de l'héroïne aussi. J'ai consommé de la cocaïne. Je ne le fais plus, mais je l'ai fait quelques fois pendant quelques années. J'ai ingéré du LSD assez souvent pendant les années 70, mais je n'en prends plus. Je n'ai jamais fréquenté de centre de réadaptation ni suivi de programme en douze étapes pour arrêter de consommer.
Certaines choses, à un certain moment de la vie sont acceptables; à d'autres moments, elles ne le sont pas. Je ne dis pas aux gens de ne pas essayer de drogue, mais je m'assure du fait qu'ils soient bien conscients des dangers que cela pose. Je n'ai jamais consommé d'ecstasy, et je n'ai pas l'intention de le faire. D'après ce que j'en sais, cette drogue endommagerait le foie. C'est ce que je dis aux gens. Les gens viennent me demander des conseils.
Le président: Comme centre d'information?
M. Hampton: Je penche toujours du côté de la sécurité. Je dis toujours: «Si tu ne connais pas cela, ne le fais pas.»
Je préconise la légalisation du cannabis au Canada. C'est le mandat que me confère le NORML. J'ai une opinion sur ce que nous devrions faire pour essayer de régler le problème de la drogue, dans l'ensemble, au Canada. C'est un problème grave qui se trouve à entrer dans mon champ d'expertise. C'est un problème difficile de tout point de vue. La qualité juridique de la marijuana ne fera pas que les gens vont arrêter d'en fumer.
Le président: En témoignant ici, vous semblez être bien conscient de ce que représente l'immunité parlementaire.
M. Hampton: Oui, je comprends ce que c'est.
Le président: Rien de ce que vous dites ne peut être employé contre vous.
M. Hampton: Je n'exerce plus mon métier. J'ai pris ma retraite il y a cinq ans. Je vais être franc et direct. J'ai été contrebandier professionnel pendant plus de vingt ans. Il n'y a pas un aspect du milieu du cannabis que je n'ai pas connu. J'ai pris ma retraite volontairement il y a cinq ans. Personne ne m'a sorti de force. Quand j'ai arrêté, j'étais fauché, mais c'est la vie. Je connais le domaine sous toutes ses coutures, et je sais où se trouvent les dangers. J'ai vécu l'expérience. D'abord, il y avait cette bande de gens qui voulait faire un pied de nez à l'establishment, puis la situation a évolué du tout au tout. J'ai tout observé. J'y ai pris part. J'ai une assez bonne idée de ce qui s'est passé.
Je n'aime pas la situation, et je voudrais qu'il y ait des changements. Il y a beaucoup de sombres aspects, beaucoup de violence dans la «culture» de la drogue. Je ne parle pas seulement du cannabis, mais cela fait partie intégrante de l'ensemble — l'alcool, la cocaïne, l'héroïne et ainsi de suite. J'ai été le témoin de choses horribles, et nous devons agir.
Le président: Quand vous dites «horribles», parlez-vous du trafic de la drogue, de la criminalité associée à la substance ou de la consommation excessive de la substance?
M. Hampton: Les cas d'abus, pour certaines substances, sont horribles, c'est-à-dire que la vie de familles et d'individus est détruite. Je pourrais vous raconter des histoires horribles. Une situation horrible qui mène à la mort et à la destruction. Il n'y a pas de doute là-dessus. Nous devons régler la question, mais en faisant en sorte que la drogue soit illégale et en choisissant au hasard des gens pour les mettre en prison, nous ne réglons pas le problème.
Le président: Je vais lire votre première recommandation:
[traduction] La possession, la culture et le trafic de cannabis demeurent sous la coupe de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, c'est-à-dire que la loi existante demeure telle quelle, mais l'article 56...
L'article 56 prévoit une exception. Soit dit en passant, la Cour d'appel de l'Ontario a rejeté cela. C'est pourquoi la nouvelle réglementation a été mise en place en juillet dernier.
M. Hampton: Je sais que cette disposition a été prorogée. Je sais de quoi vous parlez.
Le président: Dites-vous que vous voulez élargir la signification de cela?
M. Hampton: Oui, élargir la signification.
Le président: Le ministre serait alors habilité, présumément dans le contexte de réglementation semblable à celui qui est en place pour l'utilisation thérapeutique de la marijuana, après avoir pris en considération une série de lignes directrices, de raisons, de pouvoirs et de permissions, à agir. Pour permettre que l'on cultive et utilise la marijuana en question, vous auriez recours au régime déjà prévu à l'article 56. Essentiellement, c'est cela?
M. Hampton: Oui.
Le président: Quels critères seraient employés pour décider d'une telle exemption? J'aimerais que vous soyez un peu plus précis.
M. Hampton: C'est toute une question.
Le président: Donnez-vous au ministre le pouvoir exclusif de décider?
M. Hampton: Non, on ne peut donner le pouvoir exclusif au ministre.
Le président: C'est la difficulté qui avait été soulevée devant le tribunal.
M. Hampton: Je sais. Ce serait un compromis. Nous sommes prêts à faire un compromis. Nous sommes prêts à nous asseoir et à échafauder une série de règles qui seraient acceptables aux yeux des deux parties.
Je parle d'un nouveau contrat. Il faudrait une disposition prévoyant qu'on ne peut consommer à l'extérieur de la maison, à moins de se trouver dans un café prévu pour cela. Dans le café «cannabis», on pourrait acheter un gramme et le fumer à sa table. On n'aurait pas le droit de l'apporter chez soi.
Le café s'approvisionnerait soit en cultivant sa propre marijuana, soit en l'achetant auprès d'un producteur approuvé. Le producteur offrirait son produit par l'entremise de réseaux approuvés, comme c'est le cas pour le tabac ou l'alcool. Il serait assujetti aux même lignes directrices.
Quant à la délivrance des permis, je ne crois pas que nous puissions appliquer les vieilles lignes directrices. Le détenteur du permis pourrait cultiver six plants chez lui. Il pourrait fumer sa marijuana chez lui, et ses amis pourraient venir faire un tour et le fumer chez lui.
Mais s'il le vend, il perd son permis. Si on le prend en train de fumer sa mari dans une voiture en conduisant, il perd son permis. Si on le prend à fumer dans le parc ou à un concert de musique rock, il perd son permis.
Nous devons adopter des critères d'admissibilité très larges et permettre à quiconque souhaite le faire de demander un permis, à moins qu'il n'y ait une raison convaincante, par exemple s'il a une psychose, s'il fait l'objet de soins médicaux pour un trouble psychiatrique. Je ne crois pas que la file sera très longue.
Ce qu'il faut faire, c'est faire en sorte que le cannabis ne traverse plus la frontière. Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Il y a en Colombie-Britannique beaucoup de marijuana qui traverse la frontière, et cela cause beaucoup d'ennuis. Il y a là beaucoup d'armes à feu et beaucoup d'argent. Les Amerloques ne sont pas contents, et la situation est dangereuse. Les Américains arrivent au Canada avec de gros sous. Ils arrivent armés. Ils apportent de la cocaïne et de l'héroïne, et l'échangent pour notre marijuana. Il faut que cela cesse.
Il faut mettre de l'ordre dans tout cela. Il nous faut un contrat qui emporte notre adhésion à nous, les consommateurs de cannabis, parce que vous avez besoin de notre aide pour faire cesser ce trafic. Sans nous, vous n'allez jamais l'arrêter. Pour avoir notre aide, il faut un contrat acceptable aux deux parties.
Une fois que vous nous aurez de votre côté, je serai le premier à me lever et à enfiler le costume du «policier de la mari», et je resterai là pour surveiller les gens. Nous avons dit à nos gens qu'il faut être prêts à nous surveiller nous- mêmes.
Le président: Ma dernière question porte sur les enfants d'école.
M. Hampton: Ils obtiennent de la mari maintenant.
Le président: Déjà, dans certaines provinces, c'est presque la majorité des jeunes de 14 à 20 ans qui consomment de la mari. Qui leur vend la marijuana?
M. Hampton: Comme je le dis dans mon mémoire, cela commence quand, disons, un jeune de 17 ans achète de la drogue à un jeune de 25 ans. Il vend régulièrement des onces et des quarts d'once de pot.
Le président: De qui obtiennent-ils la marijuana?
M. Hampton: D'un gars qui en cultive chez lui à l'aide d'une ou peut-être deux lumières et il en produit peut-être quelques kilogrammes tous les mois. Le vendeur serait en relation avec une demi-douzaine de types du genre et il s'approvisionnerait en alternance auprès de chacun d'entre eux. Il vendrait ensuite son produit au détail. Il vendrait des onces et des quarts de livre.
Le président: Est-ce qu'il vend des onces à des enfants?
M. Hampton: Non, laissez-moi finir. Il a 25 ans. Il vend des onces et des quarts de livre. Il vend un quart de livre à un jeune de 20 ans. Cela ne lui pose pas problème, car ils sont environ du même âge. Il ne vendrait jamais à un jeune de 16 ans, en raison de la différence d'âge. Cela dépend de la conscience de chacun.
Le jeune de 20 ans n'a pas de scrupules à vendre à une personne de 17 ans, mais il refuserait de vendre à une personne de 14 ans. Celui qui a 17 ans vendrait à un jeune de 12 ans, mais refuserait de vendre à un enfant plus jeune que cela. La clientèle s'amincit à mesure qu'on descend. Jamais je ne m'installerai pour fumer un joint avec un jeune de 16 ans. Une personne de 20 ans ne se poserait peut-être pas la même question.
C'est une question de profit. Lorsque les gens s'attachent uniquement au profit, ils ne sont pas intéressés à savoir si ce sont des enfants qui l'achètent. Ils ne s'intéressent à rien d'autre qu'à l'argent dans leur poche. Les vrais problèmes de l'industrie du cannabis sont liés au profit. Ils s'articulent autour des profits. Lorsqu'il y a prohibition, le prix monte. Quand des sommes importantes sont en jeu, les gens deviennent mauvais et vendent aux enfants. Ils s'en moquent.
Le président: Dans votre mémoire, vous parlez du prix de la substance. Quel est le coût réel de la culture?
M. Hampton: Pour cultiver une marijuana de bonne qualité, il faut investir environ 100 $ l'once, tout compris.
Le président: Et quel est le prix actuel sur le marché noir?
M. Hampton: Entre 250 $ et 320 $.
Le président: Merci beaucoup de votre témoignage. Comme je vous l'ai déjà dit, votre témoignage d'aujourd'hui sera tenu confidentiel.
M. Hampton: Je ferai connaître mes opinions dans la rue. Cela ne m'inquiète pas. Je ne participe pas à ce que je considère comme une activité illégale. Je fume peut-être un peu de mari, mais je suis un bon grand-père, et je fais de bonnes tartes aux bleuets.
Le président: Accueillons maintenant les témoins des services aux alcooliques et aux toxicomanes, services du district de santé de Regina. Bonjour.
M. Jerry Fitzgerald, gestionnaire, Services aux alcooliques et aux toxicomanes, District de santé de Regina: Puisque le débat sur la consommation de drogues dans la Ville de Regina ne fait que commencer, nous sommes un peu embarrassés par la situation, car notre district n'a pas eu l'occasion de discuter, de débattre de la question et de participer à l'élaboration des politiques qui me seront probablement imposées après ce processus.
Nous estimons que les problèmes d'alcoolisme et de toxicomanie ont de graves répercussions, non seulement sur les personnes, mais aussi sur les familles et sur l'ensemble de la société. Nous considérons la chimiodépendance comme une maladie, et ses répercussions peuvent découler d'une multitude de sources.
Nous reconnaissons que la dépendance à l'alcool et aux drogues peut être causée par un certain nombre de facteurs individuels et sociaux, isolés ou combinés. Ces facteurs, et la gravité de la dépendance, varient d'une personne à l'autre.
La chimiodépendance est une maladie caractérisée par un changement du comportement, des sentiments et du fonctionnement physique. Certains des symptômes primaires sont le manque de contrôle de la consommation de la substance et la tolérance à cette substance. Ce ne sont pas toutes les personnes qui éprouvent des problèmes liés à la consommation de substances chimiques ou qui deviennent dépendantes.
Nous reconnaissons aussi qu'une personne qui ne consomme pas de substances psychotropes peut être affectée par la consommation d'une autre personne.
Nous nous attachons aux problèmes de la surconsommation et de la dépendance, et aux répercussions de ces problèmes sur d'autres personnes. Afin de prévenir ou de réduire les répercussions sociales, juridiques et économiques sur les personnes, les familles et la société, il faut offrir une gamme de programmes de traitement, de prévention, de sensibilisation et de protection des droits des personnes concernées.
Nous dispensons des services de traitement. Jusqu'en 1993, nous étions un organisme provincial comparable à la commission contre l'abus d'alcool et de drogues de l'Alberta ou à la Fondation manitobaine sur les toxicomanies. En 1995, les services cliniques relevant de la commission contre l'abus d'alcool et de drogues de la Saskatchewan ont été confiés aux districts de santé. De fait, nous avons fini avec 30 petits organismes distincts, chacun responsable des questions touchant l'alcoolisme et la toxicomanie dans sa région respective de la province. Nous avons perdu notre orientation provinciale. De plus, nous avons mis fin à nos activités de recherche, et nous avons perdu le volet du mandat de l'ancienne commission qui s'attachait aux programmes de prévention et à la formation.
Les services que nous offrons sont une combinaison de services dispensés directement par le district et de services offerts par l'entremise d'organismes communautaires. Pour les adultes, nous avons des services externes de counselling et de renvoi ainsi que des services de traitement de jour. Nous avons un volet counselling destiné aux jeunes. Nous offrons des services de counselling et d'aide aux membres de la famille, aux amis et aux parents de personnes aux prises avec un problème de toxicomanie.
Les services aux alcooliques et aux toxicomanes participent aux programmes de prudence au volant de Saskatchewan Government Insurance, qui visent à intervenir auprès d'automobilistes dangereux, dont la majorité ont été déclarés coupables de conduite en état d'ébriété ou d'une infraction similaire.
Une unité de désintoxication dotée de 25 lits et un centre d'hébergement à long terme pour hommes doté de 12 lits ont été confiés à des organismes contractuels. À Regina, le gouvernement provincial finance aussi la prestation de services externes et à domicile, par l'entremise du Metis Addiction Council of Saskatchewan. À Regina, le réseau de traitement accueille chaque année environ 3 900 clients. Approximativement 50 p. 100 de nos clients sont Autochtones ou issus des Premières nations; 45 p. 100 des clients sont âgés de 29 ans ou moins; et 16 p. 100 des clients sont âgés de moins de 15 ans.
Au moment de leur admission, nous demandons à nos clients quelles drogues ils consomment et si leur consommation pose problème. La plupart des clients considèrent l'alcool comme la drogue qui leur cause le plus de problèmes. Au deuxième rang des substances consommées le plus couramment, on retrouve le cannabis, et les trois quarts de nos clients estiment que leur consommation est problématique.
Notez qu'il s'agit non pas de l'opinion d'un thérapeute ou d'un autre professionnel, mais bien de l'auto-évaluation du client concernant sa consommation de drogue. Lorsqu'on leur pose la question «Comment percevez-vous votre consommation de cette drogue?», 75 p. 100 des clients qui consomment du cannabis estiment que leur consommation est problématique.
Il est aussi indiqué de souligner que, en raison des effets de la drogue et de la dépendance, ce sont souvent les proches du toxicomane qui constatent le problème en premier. Le consommateur de drogue ne comprend l'étendue du problème que plus tard, en général lorsqu'il se retrouve dans l'eau chaude.
En sa qualité d'organisme provincial, la SADAC a pour politique de s'opposer à toute mesure susceptible d'accroître la disponibilité ou la consommation de substances illicites. La politique favorise l'adoption de mesures de contrôle strictes pour limiter la disponibilité des substances illicites, promouvoir les efforts de prévention visant à réduire la demande, et dispenser des services de traitement aux personnes qui en ont besoin. La réduction de la demande en substances illicites, au moyen d'activités de sensibilisation, de prévention et de traitement, est essentielle au succès à long terme des efforts pour réduire les effets néfastes de la toxicomanie.
Les efforts pour prévenir, arrêter ou réduire la consommation au sein des populations à risque doivent se fonder sur les dangers inhérents aux substances et sur les avantages des substituts aux drogues.
Parmi les questions soulevées dans son document de discussion, le Comité spécial sur les drogues illicites s'interroge sur la possibilité que le cannabis soit une drogue d'escalade menant à la consommation de drogues plus dures, comme la cocaïne ou l'héroïne. En débattant de la possibilité que la marijuana soit une drogue d'escalade, on banalise le fait que la marijuana est une substance psychotrope qui peut créer une dépendance.
Dans le cadre des traitements dispensés à des jeunes personnes aux prises avec un trouble de consommation abusive, nous n'avons jamais trouvé de personnes dont la vie a été améliorée par la consommation de marijuana. Ils éprouvent aussi des difficultés à faire la distinction entre les drogues douces et les drogues dures. Pour la personne à risque, il n'y a pas vraiment de distinction.
Nous savons que la marijuana d'aujourd'hui est différente de celle qu'on vendait il y a 20, 30 ou 40 ans. Elle est plus concentrée, et plus facile à trouver. En préparant notre exposé, nous avons passé en revue certains articles selon lesquels la marijuana canadienne jouit d'une excellente réputation partout aux États-Unis. On la vend à prix fort. Apparemment, la marijuana cultivée au Manitoba n'a rien à envier à celle qu'on produit en Colombie et au Mexique. Il paraît même qu'un produit manitobain porte le surnom de «Winnipeg Wheelchair Weed» en raison de son effet débilitant sur le consommateur.
Toutes les substances psychotropes perturbent le fonctionnement du système nerveux central, ce qui occasionne des changements d'humeur, mine le jugement et la capacité de contrôler ses impulsions, déstabilise l'humeur, réduit la tolérance au stress et mine la coordination des mouvements. De plus, elles ont des répercussions sur les relations sociales, au sein tant de la famille que de la société. La marijuana ne fait pas exception à cette règle.
Nous savons que de 8 à 10 p. 100 des personnes qui consomment du cannabis deviennent dépendantes. Nous avons cerné chez nos clients une tendance à passer de l'usage expérimental à l'usage courant de la marijuana, et à passer à la surconsommation ou à la dépendance. Il est vrai que nous faisons référence aux personnes qui subissent un traitement, ce qui ne reflète pas nécessairement l'ensemble de la population.
Nous avons toujours reconnu l'existence d'un syndrome de dépendance psychologique et physique. L'usager peut en venir à ressentir un état de manque persistant à l'égard de la drogue, et la substance joue un rôle central dans l'existence de la personne. Les personnes qui acquièrent une accoutumance physique au cannabis doivent souvent composer avec un syndrome de sevrage qui peut durer jusqu'à une semaine, même si certains aspects, comme les troubles du sommeil, peuvent se manifester plus longtemps. Ce sont des symptômes typiques du syndrome de sevrage physique lié à l'accoutumance à d'autres drogues.
Les symptômes psychologiques durent généralement plus longtemps, et, bien souvent, ce sont ces symptômes (l'état de manque, les préoccupations touchant la consommation, les pensées irrationnelles et les sentiments incontrôlables) qui incitent la personne à retourner dans un cycle de consommation active.
C'est le point de vue classique, et de nouvelles preuves scientifiques nous pousseront peut-être à le revoir. Ces nouvelles preuves laissent croire que la dépendance serait une maladie du cerveau qui découlerait de la consommation volontaire à long terme de substances psychotropes. Les recherches continuent de décrire les mécanismes par lesquels les drogues modifient l'humeur, la mémoire, la perception et l'état émotif. Nous n'avons pas encore toutes les réponses, mais les recherches semblent indiquer que ces drogues, avec le temps, prennent en otage les structures naturelles de motivation du cerveau.
Nous savons que le cannabis contient un nombre important de composés chimiques. Le delta 9 THC est le principal composé actif et celui qui a fait l'objet d'un plus grand nombre de recherches, mais nous savons que le cannabis contient 400 autres composés. Le nombre de composés chimiques augmente lorsqu'on fume le cannabis.
Ce n'est qu'au cours des 10 à 15 dernières années que les scientifiques ont découvert le récepteur auquel se lie le THC dans le cerveau. Ils ont aussi isolé l'anandamide, substance d'origine naturelle qui se lie au même récepteur. Certains de ces récepteurs se trouvent dans l'hippocampe, zone du cerveau qui est essentielle à l'apprentissage, à la mémoire et aux émotions. On les trouve aussi dans les zones du cerveau qui régissent l'activité motrice, ainsi que dans la partie du cerveau que nous savons très touchée par d'autres drogues, comme l'héroïne et la cocaïne.
En 1998, un organisme américain, le National Institute of Drug Abuse, signalait que certaines recherches laissent croire que la marijuana peut changer le cerveau de façon à accroître la susceptibilité à d'autres drogues.
Nous savons aussi qu'il y a des effets similaires à ceux du tabac, et que les femmes enceintes courent certains risques. En effet, on constate un risque accru de faible poids du bébé à la naissance ou d'autres problèmes de santé. Nous savons que le THC peut passer du lait maternel au bébé, ce qui pourrait avoir des répercussions sur le développement moteur de l'enfant. Certaines études révèlent aussi que l'inhalation involontaire de fumée secondaire de marijuana peut avoir des effets sur les enfants.
Il faut voir la toxicomanie pour ce qu'elle est: une maladie bio-psychosociale. Il s'agit d'une maladie complexe, et les stratégies utilisées pour la traiter et en réduire les effets doivent en tenir compte. Si on utilise le modèle classique de santé publique pour empêcher la montée de cette maladie, il faut se pencher sur trois facteurs: la drogue, c'est-à-dire l'agent; le toxicomane/l'alcoolique, c'est-à-dire l'hôte; et le fournisseur de drogue, c'est-à-dire le vecteur.
La question de la décriminalisation du cannabis doit faire l'objet d'un débat approfondi. Je crois que le débat est loin d'être fini, et je crois que c'est une bonne chose.
Nous n'avons pas une idée claire du nombre de jeunes qui consomment du cannabis en Saskatchewan, mais certaines enquêtes révèlent que le pourcentage pourrait aller jusqu'à 30 p. 100, voire même 50 p. 100. J'ai parlé à des jeunes qui disent que tout le monde en consomme. Une proportion importante de jeunes en consomment, cela va sans dire.
La possibilité de criminaliser une si grande part de nos jeunes ne semble pas souhaitable. Par contre, les sanctions judiciaires actuelles peuvent dissuader certaines personnes de consommer du cannabis et procurent un moyen d'intervenir, c'est-à-dire d'inscrire des gens au traitement.
Le débat sur la décriminalisation doit envisager des moyens de réduire au minimum le risque d'accroître la consommation de drogues dans notre société. Nous devons prendre soin de ne pas faire croire aux jeunes qu'il s'agit d'une permission de consommer, qu'une telle consommation est sans conséquence et que, de fait, c'est une drogue sécuritaire, car ce n'est pas le cas. Nous ne croyons pas que les recherches prouvent cela.
Nous ne voulons pas ajouter le cannabis à la liste des substances autorisées, avec le tabac et l'alcool, car cela minerait certains de nos efforts au chapitre du tabagisme. Nous déployons des efforts énormes pour dissuader les enfants de commencer à fumer et pour encourager les fumeurs à arrêter de le faire. Nous avons établi une foule de mécanismes de prévention et d'exécution. Si nous envisageons de décriminaliser le cannabis, nous devons adopter des stratégies similaires.
Notre société ne devrait pas donner l'impression de tolérer la consommation de drogues à des fins non médicales ou récréatives. Nous devons faire tout notre possible pour optimiser le potentiel de chaque personne. Nous devrions aider les gens à relever les grands défis de la vie: les relations, le travail, la famille, et cetera. On jette les bases de ce succès lorsque nos enfants grandissent et interagissent avec le monde qui les entoure. La consommation de drogues, y compris le cannabis, est souvent un obstacle à ce développement.
Nous estimons que la prévention est essentielle à la réduction de la demande. Nous devons montrer à nos enfants, données scientifiques à l'appui, que le cannabis n'est pas une drogue consommée de façon sécuritaire. Ce message doit être soutenu au moyen d'activités et de programmes.
En somme, nous croyons que la recherche montre que le cannabis n'est pas une drogue sécuritaire. Il peut occasionner des dommages cérébraux, et l'usage continu peut mener à l'accoutumance. Le cannabis s'attaque au groupe le plus vulnérable dans notre société, soit les jeunes. Enfin, nous ne croyons pas que les jeunes qui consomment du cannabis doivent être affligés d'un dossier criminel pendant toute leur vie.
Le Dr Ross Findlater, médecin-hygiéniste adjoint, Ville de Regina: À titre de médecin œuvrant dans le domaine de la santé publique, je ne suis certainement pas un expert en toxicomanie.
Puisque notre district de santé n'est doté d'aucune politique précise concernant la marijuana, nous en avons beaucoup discuté au cours des dix derniers jours. Je crois qu'il est clair pour nous tous que l'augmentation de la consommation de marijuana par les jeunes au cours des 10 ou 15 dernières années est un aspect sur lequel il faut insister.
Le cadre juridique n'est qu'un des outils permettant de régler la question. Au cours de la période qui a vu cette augmentation, l'interdiction de la marijuana avait déjà été enchâssée dans le code criminel. Dans notre société, nous convenons tous que la consommation de la marijuana n'est pas souhaitable.
Pour élaborer une approche globale relative à la consommation de la marijuana, il faut tenir compte des facteurs mentionnés par M. Fitzgerald. Lancer des activités de prévention, faire quelque chose pour aider les gens à arrêter de consommer, et vraiment travailler avec les jeunes pour dénormaliser la consommation de la marijuana, comme nous le faisons avec le tabac, sont des aspects importants. Le cadre juridique n'est qu'un des outils disponibles.
Les discussions que nous avons tenues cette semaine montrent clairement que nous sommes préoccupés par les conséquences négatives qui pourraient être occasionnées par la criminalisation de 30 p. 100 de nos jeunes. Toute initiative en ce sens doit aussi chercher à établir l'équilibre et à ne pas inciter à la consommation.
Vous devez formuler une recommandation, et c'est une tâche très difficile. Du point de vue de la planification, le cadre juridique n'est qu'un enjeu — bien qu'il semble problématique —, mais la stratégie d'ensemble sur les mesures à prendre à l'égard de cette drogue est aussi très importante.
M. Donald Fitzsimmons, coordonnateur, Jeunesse et famille, Services aux alcooliques et aux toxicomanes, district de santé de Regina: Je suis ici aujourd'hui à titre d'expert du traitement des jeunes et des familles qui sont touchés par des problèmes de drogue et d'alcool. Je n'ai pas préparé un exposé officiel, mais je suis disposé à répondre aux questions du comité.
Le sénateur Kenny: J'aimerais connaître votre réaction à l'égard du document de discussion que nous avons distribué. Était-il utile? Était-il biaisé? Est-ce que le document vous serait utile dans votre collectivité?
M. Fitzgerald: Je crois que le document est utile. Toutefois, ce n'est qu'un document de discussion. Évidemment, nous ne sommes pas nécessairement d'accord avec certains aspects du document, mais c'est le propre d'un document de discussion, n'est-ce pas? Des gens aux points de vue différents se rencontrent et tentent de s'entendre.
Un certain nombre de questions ont attiré notre attention, dont celle de la drogue d'escalade. Nous savons que la majorité des gens qui consomment de la marijuana ne passent pas à d'autres drogues. Pourtant, les personnes qui consomment d'autres drogues commencent souvent par la marijuana. La marijuana n'est peut-être pas le tremplin menant aux autres drogues, mais il s'agit certainement d'un facteur dont il faut tenir compte lorsqu'une personne commence à consommer.
On diffuse beaucoup d'informations qui laissent croire que la marijuana est une drogue assez bénigne. Il est certain que, dans le cas des enfants que nous voyons, la marijuana n'est pas une drogue bénigne.
En Colombie-Britannique, j'ai entendu un militant pro-marijuana s'adresser à un groupe d'écoliers âgés de 8 ou 9 ans. Il a mentionné qu'à l'adolescence, ils subiraient beaucoup de pressions et qu'ils auraient besoin de quelque chose pour se détendre. Il leur a dit qu'ils pourraient consommer du cannabis biologique en toute sécurité.
Il est certain que nous adoptons le point de vue opposé. Selon nous, la consommation de cannabis interrompt le processus d'apprentissage des enfants, car ils n'apprennent pas à faire face aux obstacles de la vie lorsqu'ils atteignent l'adolescence. Don peut expliquer cela mieux que moi.
Le président: Connaissez-vous l'identité de cette personne? À quelle date a-t-il présenté cet exposé? A-t-on enregistré ou diffusé cet exposé? Je ne pose pas ces questions parce que je suis avocat, mais parce que j'ai horreur des ouï-dire, et vous faites de graves allégations.
M. Fitzgerald: Je comprends. L'exposé a été diffusé sur les ondes de Global, le 2 mai 2002.
Le président: Vous pourriez peut-être fournir cette information au greffier plus tard.
Le sénateur Kenny: J'aimerais revenir à la question de la drogue d'escalade: s'agit-il de déterminer si c'est un symptôme, ou est-ce que des caractéristiques comportementales mènent à l'usage de la marijuana? S'agit-il d'un symptôme que l'on constate chez un enfant qui passe à d'autres drogues, ou est-ce une cause de ce passage à d'autres drogues? Il y a une grosse différence entre les deux. Il existe peut-être un modèle comportemental, dont fait partie la consommation de marijuana, commun à un grand nombre de personnes qui passent à d'autres drogues.
M. Fitzgerald: Est-ce que vous demandez s'il y a quelque chose dans une personne qui la pousse à consommer des drogues?
Le sénateur Kenny: Non. Je crois qu'on pourrait isoler un groupe de caractéristiques communes aux personnes qui ont tendance à consommer des drogues, ou qui ont tendance à consommer des drogues d'une façon inappropriée, et, manifestement, la marijuana nous vient souvent à l'idée. La question est la suivante: la marijuana est-elle un tremplin vers d'autres drogues, ou est-elle seulement un signal? L'enfant peut montrer d'autres comportements qui pourraient influer sur sa façon d'entretenir des liens avec ses pairs. Il peut s'agir de l'activité sexuelle ou de la consommation de drogues. Ce n'est qu'un autre signal.
Dr Findlater: Les études montrent qu'il y a un lien.
Le sénateur Kenny: Un lien causal?
Dr Findlater: Il faudrait mener une étude assez inhabituelle pour faire la distinction: il faudrait sélectionner au hasard des personnes qui consomment de la marijuana. Lorsqu'on envisage la question en fonction de la santé publique, on ne peut établir de tels liens.
Le sénateur Kenny: Dans votre mémoire, vous déclarez ce qui suit:
Dans le cadre des traitements dispensés à des jeunes personnes aux prises avec un trouble de consommation abusive, nous n'avons jamais trouvé de personnes dont la vie a été améliorée par la consommation de marijuana.
Avez-vous déjà rencontré quelqu'un dont la vie a été améliorée par la consommation d'alcool?
M. Fitzsimmons: Honnêtement, non.
Le sénateur Kenny: Vous arrive-t-il de boire?
M. Fitzsimmons: Non.
Dr Findlater: Oui.
Le sénateur Kenny: Peut-être à l'occasion? Que pensez-vous des messages, qu'on entend de temps à autre, selon lesquels un verre de vin rouge au souper peut prolonger votre vie, réduire les chances de maladie du cœur, et ainsi de suite? Croyez-vous que l'abstinence dans tous les cas mène à un épanouissement accru? C'est ce que vous semblez dire.
M. Fitzsimmons: Avec le respect que je vous dois, il ne faut pas perdre de vue que notre clientèle est constituée de gens qui ont, d'une façon ou d'une autre, été touchés négativement par la consommation d'alcool et d'autres drogues.
Compte tenu de cela, mon commentaire est le suivant: dans le cas des jeunes — je suis intervenant en toxicomanie auprès des jeunes —, la consommation de substances a tendance à s'inscrire dans un ensemble de curiosités qui déclenchent, si vous voulez, un ensemble de comportements, lesquels, à la longue, occasionnent des problèmes de plus en plus complexes.
Le sénateur Kenny: Autrement dit, vous affirmez que la marijuana est clairement un problème pour les enfants ou les jeunes qui sont déjà aux prises avec un trouble quelconque. Vous n'appliquez pas nécessairement vos commentaires à l'ensemble de la population.
M. Fitzsimmons: Non, car je n'entre pas en contact avec l'ensemble de la population.
Le sénateur Kenny: Je comprends. Je me suis attaché à la deuxième partie de votre phase, et j'ai omis de tenir compte de la première partie, qui apporte des nuances. Maintenant, je comprends ce que vous dites.
M. Fitzsimmons: Je tiens seulement à signaler que la phrase que vous avez citée était de moi, car j'ai dit cela dans le cadre de discussions avec Jerry au sujet de l'exposé. Au cours de mes 25 ans d'interventions auprès de jeunes aux prises avec des problèmes de toxicomanie, je n'ai jamais rencontré une personne dont la vie a été améliorée par la drogue.
Le sénateur Kenny: Vous avez nuancé le propos en disant «aux prises avec des problèmes de toxicomanie». Merci.
Je trouve la comparaison avec le tabac intéressante. Monsieur Fitzgerald, vous avez utilisé l'expression «permission de consommer». Toutefois, il semble que certaines parties du mémoire aient été rédigées par d'autres personnes. La notion de«permission de consomme» est intéressante. C'est certainement l'un des quatre facteurs qui incitent les jeunes au tabagisme: les jeunes ne cherchent pas à obtenir la permission de vieux comme nous pour consommer quelque chose. De fait, s'il faut obtenir la permission de quelqu'un pour faire quelque chose, la réaction sera la suivante: «Eh bien, je te fais un bras d'honneur et je le ferai quand même.»
Est-il indiqué, lorsqu'on tente de motiver les gens, de comparer la marijuana au tabac? Je n'utiliserais jamais l'expression «permission de consommer» dans le contexte du tabagisme. Je suis préoccupé, par exemple, au sujet des annonces du gouvernement fédéral et qui portent la mention «Gouvernement du Canada» à la fin. Je crois que l'annonce est efficace jusqu'à ce qu'on arrive à cette mention. Je crois que l'approbation d'un grand gouvernement est probablement le pire moyen de motiver les jeunes.
M. Fitzsimmons: J'aimerais apporter des précisions sur la notion de permission. Je ne veux certainement pas laisser entendre que la consommation d'une substance donnée devrait être soumise à l'autorisation des parents.
Le sénateur Kenny: Vous suggérez donc de maintenir la prohibition. Ma question est la suivante: selon vous, la prohibition est-elle, de fait, un facteur de motivation?
M. Fitzsimmons: Je suppose que c'est sujet à discussion. Ce n'était pas l'intention de ma déclaration concernant la permission. Je faisais simplement référence à un ensemble de comportements façonnés par l'acceptabilité et un sentiment de normalité à l'égard de certains comportements de consommation de drogue au sein de la population. Les jeunes voient cette attitude comme permissive. Selon mon expérience, il arrive souvent que les parents d'enfants qui consomment de la drogue le font aussi, et c'est dans ce contexte que nous utilisons le terme «permission».
Le sénateur Kenny: Attaquons la question d'un autre angle. Sur le plan de la santé publique, quel problème est le plus grave, le tabagisme ou la consommation de marijuana?
Dr Findlater: Les répercussions du tabagisme sur la santé sont bien documentées. Les gens consomment du tabac de façon excessive depuis de nombreuses années. Chaque année, en Saskatchewan, 1 600 personnes succombent à des maladies liées au tabagisme. Nombre de ces maladies, notamment les problèmes cardiaques et respiratoires, seraient occasionnées par presque toute forme de fumée, y compris celle de la marijuana.
Ces maladies s'appliquent aussi à la consommation de marijuana. Toutefois, la consommation étendue de cette drogue n'existe pas depuis aussi longtemps. Du nombre de personnes qui meurent chaque année en Saskatchewan, très peu de décès seront attribuables à la consommation de marijuana. Néanmoins, nous nous retrouvons dans une situation peu enviable, car 30 p. 100 de nos jeunes fument de la marijuana. Ce n'est qu'un chiffre approximatif. Il y a 15 ans, la proportion était beaucoup plus modeste.
Même si, sur le plan de la santé publique, la marijuana ne tue pas un grand nombre de personnes, il n'en demeure pas moins que 30 p. 100 ou plus de nos jeunes consomment actuellement une substance psychotrope, ce qui n'est pas souhaitable.
J'aimerais ajouter une dernière chose. Vous avez mentionné la dénormalisation de consommation chez les jeunes, et vous avez décrit les moyens que vous prendriez pour y parvenir. C'est une bonne question. Je conviens que le recours à des annonces gouvernementales pour dire aux jeunes de ne pas consommer de la marijuana est un bien faible outil. La croissance de la consommation de marijuana chez les jeunes, qui dépasse actuellement les 30 p. 100, a eu lieu malgré l'existence de sanctions prévues au Code criminel. Pour une tranche importante de nos jeunes, la consommation de marijuana est devenue une pratique acceptée. Toute démarche pour dénormaliser la consommation de marijuana chez les jeunes devrait être très ciblée.
Le sénateur Kenny: La question qui s'impose est la suivante: cette hausse est-elle survenue malgré la prohibition prévue dans les lois canadiennes ou à cause d'elle?
En Alberta, un député a déposé un projet de loi privé qui rendrait illégales la possession et la consommation de tabac par un mineur. C'est un projet de loi bien troublant pour ceux qui sont préoccupés par la lutte contre le tabagisme. On a immédiatement perçu ce projet de loi comme un autre défi bidon lancé aux adolescents, qui les encouragerait peut-être à se dire: «Eh bien, je vais leur montrer que je n'ai pas peur, je vais me moquer de cette loi, et nous verrons s'ils m'arrêteront.»
On pourrait faire valoir que cela s'applique aussi à la consommation de marijuana. Les chiffres concernant la consommation montrent que de nombreuses personnes ne croient pas que c'est un problème trop grave, sinon elles ne consommeraient pas. Beaucoup de gens croient que c'est plutôt agréable, sinon ils n'en consommeraient pas. Vous dites qu'au sein de votre clientèle la vie des gens n'a pas été améliorée, mais il y a un nombre assez important de personnes qui croient que la consommation est acceptable, sans quoi ils ne consommeraient pas. Aux fins du compte rendu, précisons qu'il y a eu haussement de sourcils lorsque j'ai dit: «croient que la consommation est acceptable, sans quoi ils ne consommeraient pas.»
Cela nous amène à la question suivante: si on tente d'encourager les gens à ne pas consommer de la marijuana, est-il indiqué de recourir aux instruments peu efficaces que nous utilisons actuellement?
M. Fitzsimmons: Comme nous l'avons dit dans le cadre de notre exposé, nous percevons la consommation de drogues comme un élément d'une maladie en devenir qui mine la capacité d'une personne à reconnaître les effets néfastes de la consommation. Au début, il s'agit d'un comportement volontaire. Avec le temps, les jeunes sont de moins en moins conscients des conséquences de leur consommation, jusqu'à ce que, plus tard, une forme quelconque d'intervention ait lieu. Ils ne reconnaissent pas que leur consommation est un problème.
Le sénateur Kenny: Parlez-vous du tabagisme?
M. Fitzsimmons: Cela s'appliquerait aussi au tabagisme, mais je pensais à la consommation de marijuana.
Le sénateur Kenny: Il y a des parallèles intéressants, n'est-ce pas?
M. Fitzsimmons: Les parallèles sont là.
Le sénateur Kenny: Toutefois, la marijuana n'entraîne pas une dépendance aussi forte, et le niveau de morbidité n'est pas comparable non plus.
M. Fitzsimmons: Ma clientèle est constituée de jeunes gens, et il est intéressant de signaler qu'ils utilisent le tabac comme terrain d'essai avant de passer à d'autres substances psychotropes qui, dans l'ensemble, n'ont pas tendance à poser problème au début. Toutefois, on constate une progression claire et distincte de la nicotine vers le cannabis, vers l'alcool, dans cet ordre. Les conséquences ne surviennent que beaucoup plus tard, après un an de consommation continue.
Au début, la drogue est très séduisante. Elle procure du plaisir. Les jeunes n'ont pas tendance à se fixer des limites, et leur consommation tombe rapidement dans l'excès. On constate ensuite que leurs choix deviennent de plus en plus compliqués et c'est souvent à ce moment-là que des personnes comme moi-même interviennent.
Le sénateur Kenny: Est-ce que ce sont les symptômes d'un mode de vie qu'ils ont choisi ou s'agit-il d'un lien causal?
M. Fitzsimmons: Il s'agirait de symptômes découlant des choix qu'ils ont faits à l'égard de la consommation, et de ses effets sur leur vie.
Le sénateur Kenny: Vous avez mentionné une foule de comportements, et vous auriez pu décider d'en nommer plus. Une foule de ces comportements sont liés au fait que certains jeunes éprouvent de la difficulté à s'intégrer. Parlons- nous de symptômes ou de causes?
M. Fitzsimmons: Je crois que la question devient inutile, car nous nous retrouvons tout de même devant des enfants qui éprouvent des difficultés. Qu'il s'agisse d'une cause ou d'un effet, le problème qui nous occupe est celui qui touche la vie de ces jeunes et leur famille.
Le sénateur Kenny: Sauf le respect que je vous dois, si la consommation n'est pas une cause, nous perdons beaucoup de temps en nous y attardant. S'il s'agit uniquement d'un symptôme, alors le problème est ailleurs.
M. Fitzsimmons: À la lumière de mon expérience professionnelle, je suis d'avis que la consommation de drogue et le rôle qu'elle joue dans la vie d'un enfant ont des effets néfastes. Ces répercussions sont ensuite ressenties par la famille et la collectivité.
J'ignore quel élément est la cause et quel élément est l'effet; je sais uniquement qu'il y a certains problèmes et que la drogue ne contribue pas à les résoudre. Lorsqu'on tente d'aider une personne et une famille en vue de changer les choses, j'ai appris que l'interruption de la consommation de drogue fait partie intégrante de l'intervention.
Le président: Combien de jeunes d'âge scolaire sont sous la responsabilité de l'autorité de Regina en matière de santé? Sur une population de 190 000 habitants, combien y a-t-il d'enfants en âge d'aller à l'école?
Dr Findlater: Je vais tenter de deviner et dire 25 000.
Le président: Monsieur Fitzsimmons, est-ce que la tranche démographique à risque, c'est-à-dire votre groupe, votre clientèle, fait partie de cette population globale de 25 000 jeunes?
Dr Findlater: Je peux vous donner des chiffres plus précis.
Le président: Je tente de cerner le nombre de jeunes consommateurs.
Dr Findlater: Vous vous intéressez aux étudiants qui fréquentent l'école secondaire. Environ 13 000 ou 14 000 enfants naissent chaque année en Saskatchewan. Supposons qu'il y a 2 500 nouveau-nés par année, dans le district de santé de Regina. L'école secondaire dure quatre ou cinq ans, alors cela ne fait que 12 500 ou 10 000 jeunes en âge de fréquenter l'école secondaire.
Le président: Votre clientèle s'inscrit donc dans une tranche démographique de 10 000 personnes. Je tente de comprendre la discussion que vous avez eue avec mon collègue. Personne ne remet en question les effets néfastes de la toxicomanie, bien au contraire. Sur une population de 10 000 étudiants du secondaire, il semble que 30 p. 100 consomment de la marijuana. C'est une estimation modeste par comparaison à celle qu'on trouve en Ontario et au Québec, où les chiffres atteignent 47 p. 100, 48 p. 100 et 50 p. 100. Toutefois, nous ne connaissons pas les chiffres pour la Saskatchewan, car aucune enquête n'y a été effectuée. Avez-vous ces chiffres?
M. Fitzsimmons: Non.
Le président: Disons que le chiffre réel se situe entre les deux. Supposons que 40 p. 100 des jeunes, soit 4 000 consomment de la marijuana. Le nombre de toxicomanes qui vous est confié correspond à quoi, 3, 4, 5 p. 100?
M. Fitzsimmons: Chaque année, nous intervenons auprès de 400 à 600 personnes qui doivent composer avec les effets.
Le président: Faites-vous référence aux effets de la surconsommation de cannabis?
M. Fitzsimmons: Je fais référence à toutes les formes de toxicomanies, y compris la dépendance envers les autres drogues et l'alcool.
Le président: Pouvons-nous cerner le nombre de cas de dépendance au cannabis?
M. Fitzsimmons: Il est très difficile d'en déterminer le nombre dans la population visée, car on ne peut établir des distinctions précises. En général, je crois que les jeunes consomment rarement une drogue sans en consommer d'autres.
Le président: Dans le cadre du traitement que vous dispensez, vous devez prendre connaissance de leurs comportements ou de leurs attitudes. Je suis certain que vous pouvez définir le type d'accoutumance qu'ils développent: Est-ce à l'alcool? Est-ce une combinaison d'alcool et de marijuana? J'ai tendance à distinguer le tabac des autres drogues. Quel était le dernier chiffre, 30 p. 100?
Dr Findlater: Il est en baisse.
Le président: Il est en baisse? Je tente d'isoler la consommation de cannabis pour voir quels sont les effets à long terme de l'accoutumance à la marijuana dans ce groupe de jeunes. Je tente de voir si les résultats de recherche dont nous avons pris connaissance correspondent aux affirmations de votre mémoire.
M. Fitzsimmons: Je ne crois pas pouvoir faire cela, et je ne suis pas certain que ce soit possible, en raison de la consommation de substances multiples.
M. Fitzgerald: C'est une préoccupation importante dans notre province, car la recherche n'a pas été effectuée. On n'a pas mené d'études. Nous sommes désavantagés par cela. Nous devons tenter de concevoir des services, et nous avons besoin de recherches solides.
Je sais qu'il y a un certain nombre d'années la ville de Saskatoon a mené une vaste enquête auprès des étudiants du secondaire. La même occasion s'est présentée à Regina, mais l'enquête n'a pas eu lieu. Je crois que le coût a largement contribué à cette décision.
Nous faisons des pieds et des mains pour trouver des chiffres. Ross a trouvé une étude où l'on parle de 30 ou 33 p. 100. J'en ai trouvé une autre qui avance un chiffre d'environ 40 p. 100, mais aucune de ces statistiques ne concerne Regina. Il serait avantageux que vous convainquiez notre gouvernement provincial ou le gouvernement fédéral d'investir de l'argent dans ce type de recherche.
Le président: C'est une recommandation qui sera facile à formuler: assurer l'accès à des statistiques rigoureuses et valides.
Si j'ai bien compris, vous devez vous fier aux recherches et aux conclusions des autres?
M. Fitzgerald: Oui. Comme l'a signalé Don, au moment de leur admission, nous prenons connaissance des antécédents des jeunes et nous leur demandons quelles drogues ils consomment. Notre population âgée de moins de 19 ans ne diffère pas de la population adulte, car elle consomme de l'alcool, de la marijuana, une petite quantité de cocaïne, du LSD et d'autres drogues du genre. Ces jeunes consomment plusieurs drogues différentes. Il serait intéressant de mener des recherches en vue d'isoler les effets d'une drogue par rapport à une autre.
Le président: Oui, je vois ces chiffres. Vous dépendez des recherches et des conclusions des autres.
Dans votre mémoire, vous citez la recherche du NIDA sur les lésions cérébrales. Nous tentons de faire un travail rigoureux. Dans votre conclusion, vous dites que les recherches montrent que le cannabis cause des lésions cérébrales. Je tiens seulement à vous mettre en garde en ce qui concerne l'utilisation de termes alarmistes. Le terme «lésion cérébrale» ne devrait être utilisé que si vous êtes convaincu que le cannabis occasionne des lésions cérébrales. Vous devez vous fier à la recherche du NIDA.
Avez-vous consulté cette recherche vous-même ou avez-vous chargé quelqu'un d'examiner les résultats de cette recherche et de déterminer comment les données ont été recueillies? C'est ce que nous avons fait, alors je veux savoir si vous avez procédé de cette façon.
M. Fitzgerald: Non, nous n'avons pas procédé de cette façon.
Le président: Savez-vous si les recherches menées par le NIDA en 1998 ont été effectuées sur des êtres humains?
M. Fitzgerald: Je ne sais pas.
Le président: Les expériences ont été effectuées sur des rats. Savez-vous combien d'injections de ce que nous appelons «joint» ont été administrées par jour pour établir cette thèse? Ils administraient 580 injections par jour, et ils ont conclu que cela «peut occasionner des dommages au cerveau».
Voilà pourquoi je tiens à ce que tout le monde utilise la documentation disponible avec circonspection. C'est ce que nous avons fait, et notre travail nous a incités à faire fi de certaines recherches. C'est une des études dont nous n'avons pas tenu compte.
Le National Institute of Medicine américain a fait la même étude en 1999. Il cherchait à tirer des conclusions avant de commencer la recherche.
M. Fitzgerald: Je suis heureux d'entendre ça.
Le président: Je croyais que cela vous ferait plaisir, et c'est pourquoi je l'ai mentionné.
M. Fitzgerald: Le point sur lequel nous insistons le plus, c'est que nous savons que les drogues causent des problèmes à certains jeunes.
Le président: Nous sommes tous d'accord.
M. Fitzgerald: Quoi que nous décidions de faire au Canada, nous devons nous assurer d'établir l'équilibre, nous devons nous assurer de ne pas promouvoir des choses qui pourraient être nuisibles. On nous a avisé tardivement de la tenue de cette audience, de sorte que nous nous sommes bousculés pour assembler notre mémoire. J'ai l'impression que votre comité, de fait, prend le temps de bien comprendre les enjeux. Je suis heureux de voir cela.
Le président: Nous savons que vous amorcez des discussions en vue d'établir une stratégie. C'est l'un des motifs de notre venue à Regina. Nous voulons vous aider. C'était quasiment comme si on vous forçait à lire notre documentation.
Le sénateur Kenny: Je me sens tenu de vous mettre en garde lorsque vous entendez quelqu'un vous dire: «Je viens d'Ottawa et je suis là vous aider.»
M. Fitzgerald: Cela ne m'était même pas venu à l'idée.
Le président: Sur le sujet des effets chroniques de la marijuana, une recherche récemment menée à l'université Carleton d'Ottawa s'est penchée sur les effets de cette drogue sur le QI. Malheureusement, nous n'avons pas eu le temps de la passer en revue, mais vous avez peut-être lu des articles de journaux sur le sujet, il y a environ un mois et demi.
Vous serez peut-être intéressé de communiquer avec l'université Carleton et les trois auteurs de la recherche. La recherche a été jugée par des pairs, et les conclusions semblent être fondées sur des recherches bien documentées. Les conclusions de cette étude vont plutôt à l'encontre des conclusions touchant l'effet de la consommation de marijuana sur la mémoire.
Nos chercheurs auront peut-être quelques questions; je vous écrirai si c'est le cas. Je vous remercie beaucoup d'avoir pris le temps de comparaître devant notre comité.
La séance est levée.