Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites
Fascicule 17 - Témoignages
RICHMOND, le mardi 14 mai 2002
Le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 13 h 02 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogue canadiennes.
Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Je déclare ouverte la séance du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites. Je souhaite la bienvenue à mes collègues et à ceux d'entre vous qui avez accepté notre invitation à comparaître devant le comité.
Le comité entreprend maintenant la deuxième étape de ses travaux. Au cours des 18 derniers mois, nous avons entendu et lu de nombreux mémoires et écouté de nombreux témoins experts. Il y a deux semaines, à Ottawa, nous avons rendu public un document de discussion ayant pour but de lancer un dialogue valable et éclairé avec les Canadiens. Le comité fera rapport au Sénat au plus tard le 13 septembre de cette année.
Nous sommes ici pour entendre les représentants d'organismes locaux qui ont des éléments à ajouter au document de discussion. Ce dernier ne constitue ni notre dernier mot ni notre rapport final. Il s'agit simplement d'un volet qui aura à coup sûr une incidence sur le produit final. Ce qui est sûr, c'est que les organismes locaux et les Canadiens feront eux aussi partie intégrante du rapport.
Cet après-midi, notre premier témoin représente la Civil Liberties Association de la Colombie-Britannique.
M. John McIntyre, membre du conseil d'administration, Civil Liberties Association de la Colombie-Britannique: Au nom de la Civil Liberties Association de la Colombie-Britannique, je tiens à remercier le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui.
L'association que je représente est l'organisme de défense des droits civils le plus ancien et le plus actif. À titre d'organisme sans but lucratif, il est en activité depuis 1963. Il compte environ 1 100 membres issus d'horizons divers.
Dans le domaine de la défense des droits constitutionnels et civils des résidents de la Colombie-Britannique, l'association jouit d'une vaste expérience. Elle joue un rôle dans le domaine de l'éducation du public, participe aux débats entourant les politiques et les législations gouvernementales et s'intéresse à la défense des droits juridiques.
Depuis longtemps, l'association se préoccupe des problèmes liés à la consommation de drogues et au droit pénal. De façon plus précise, sa participation au débat public dans le domaine remonte aux mémoires qu'elle a soumis en 1969 à la Commission d'enquête sur l'usage des drogues à des fins non médicales, aussi connue sous le nom de commission Le Dain. En 1995, elle a présenté un mémoire au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur le projet de loi C-7, Loi réglementant certaines drogues et autres substances; en décembre dernier, elle a fait de même devant le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou aux médicaments de la Chambre des communes. Les membres du comité ont à leur disposition des copies de ces deux mémoires ainsi que de notre document de 1979, intitulé «Notes towards a BCCLA position on Cannabis Law Reform», qui rend compte de la démarche préalable à l'établissement de notre position sur la réforme de la législation relative au cannabis. Mes remarques d'aujourd'hui suivront de près celles que l'Association a présentées au Comité spécial de la Chambre des communes en décembre dernier.
Depuis 1969, l'Association soutient que la criminalisation de la possession et de l'utilisation de drogues est injustifiée et devrait être supprimée. Les fondements de notre proposition à l'interdiction pénale de la possession et de l'utilisation de drogues est double: premièrement, l'association est d'avis que le respect de l'autonomie personnelle commande à l'État de ne pas s'ingérer dans les choix personnels de particuliers au nom d'une morale donnée; deuxièmement, l'imposition d'interdictions aux termes du droit pénal ne se justifie que lorsque la conduite mise en cause fait courir des risques de préjudice grave à autrui ou à la société dans son ensemble. Or, les preuves dont nous disposons ne nous permettent pas de conclure que l'utilisation ou la possession de drogue présente des risques de préjudice grave à autrui. Au contraire, nous sommes d'avis que les préjudices associés à la criminalisation des drogues sont nettement supérieurs à ceux que la consommation de drogues pourrait faire courir à la société.
L'essence même d'une société véritablement libre et démocratique réside dans la possibilité qu'ont les citoyens de décider pour eux-mêmes de ce qu'est une vie de bien. Nos tribunaux ont établi que ce principe est l'un de ceux qui sous- tendent la Charte des droits et libertés. Comme l'affirme la juge Wilson dans l'arrêt R. c. Morgentaler:
[...] l'État respectera les choix de chacun et, dans toute la mesure du possible, évitera de subordonner ces choix à toute conception particulière d'une vie de bien.
Nous avons droit à une sphère d'intimité dans laquelle nous pouvons décider de ce que nous voulons croire et des comportements que nous souhaitons adopter. Au sein de cette sphère d'intimité, nous avons le droit d'effectuer des choix réprouvés par d'autres et pouvant même avoir des effets néfastes pour nous. Il y a près de 150 ans, John Mill a écrit, dans De la liberté, que:
[...] la seule justification de l'exercice légitime du pouvoir sur un membre d'une collectivité civilisée, contre son gré, est de prévenir les torts causés aux autres. Son propre bien, physique ou moral, n'est pas une raison suffisante.
Pour l'État, imposer des sanctions pénales à l'utilisation de drogues constitue la forme d'ingérence la plus profonde qui soit dans une décision personnelle qui ne relève tout simplement pas de lui. L'exercice des pouvoirs coercitifs du droit pénal comme moyen d'infléchir les décisions personnelles concernant la consommation ou la non-consommation de drogues est incompatible avec le respect de la dignité et de l'autonomie humaines.
Suivant le principe du respect de l'autonomie humaine, on retrouve le principe tout aussi important selon lequel les citoyens ne devraient être assujettis au droit pénal que lorsque leur conduite présente des risques de préjudice grave pour autrui. Les opinions de la majorité sur la moralité ou l'immoralité d'un acte donné ne constituent pas une base suffisante sur laquelle asseoir l'interdiction pénale de l'acte en question. Si la genèse de ce principe remonte jusqu'à Jeremy Bentham, on en trouve une illustration plus moderne dans le rapport publié en 1969 par le Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle, aussi connu sous le nom de comité Ouimet, intitulé «Justice pénale et correction: un lien à forger», dans lequel on a défini les caractères suivants pour l'établissement de la juste portée du droit pénal:
1. Aucun acte ne devrait être proscrit par le droit criminel à moins que son incidence réelle ou éventuelle ne soit notablement nuisible à la société.
2. Aucun acte ne devrait être prohibé par le droit criminel lorsque des impératifs sociaux, autres que le processus de la justice criminelle, peuvent en limiter suffisamment l'incidence. L'opinion publique peut suffire à comprimer certains modes de comportement. D'autres peuvent être traités plus efficacement grâce à des moyens légaux autres que ceux de la justice criminelle, notamment par la législation afférente à l'hygiène mentale ou aux conditions sociales et économiques.
3. Aucune loi ne devrait engendrer des maux sociaux ou personnels supérieurs à ceux qu'elle a fonction de prévenir.
L'application de ces critères à la possession et à l'utilisation de drogues conduit inévitablement à la conclusion selon laquelle on ne peut cautionner leur criminalisation. Il faut plutôt recourir à d'autres mécanismes, par exemple des programmes et des règlements sur l'éducation, la prévention, le traitement et la réduction des préjudices.
En ce qui concerne le premier critère, rien ne permet d'affirmer que la possession ou l'utilisation de drogues représente en soi un préjudice grave pour la société. En fait, il est probable que les démons parfois associés à la consommation de drogues, par exemple la criminalité et d'autres comportements antisociaux, résultent de la criminalisation des drogues et de la sous-culture criminelle qui en résulte. Tout comme à l'époque de la prohibition de l'alcool, l'industrie du commerce souterrain s'organise de manière à fournir à la société le produit illicite qu'un pourcentage non négligeable de citoyens souhaite. Au même titre que l'alcool, la consommation de drogues aujourd'hui illicites fait partie de l'apprentissage de la vie et constitue une sorte de rite de passage. Lorsqu'ils consomment, les jeunes sont contraints d'entrer dans l'illégalité et de s'associer à des fournisseurs illicites. Ils en viennent parfois à mépriser le droit à cause d'interdictions juridiques qu'ils interprètent comme une ingérence injustifiée dans leur vie personnelle — leurs libertés et leurs choix personnels.
En l'absence de preuves irréfutables montrant que la drogue porte en soi préjudice à la société, on ne peut cautionner l'imposition de sanctions pénales. Dans ce contexte, il importe de se rappeler que la vaste majorité des personnes qui utilisent des drogues en consomment à des fins récréatives et sont en mesure de contrôler leur consommation: elles évitent ainsi que leur habitude ne nuise à leurs activités de tous les jours. Imposer des sanctions pénales généralisées à tous ceux qui consomment des drogues en raison des préoccupations liées aux effets nuisibles de cette activité sur une petite minorité d'utilisateurs constitue en soi un recours impropre au droit pénal. Si des données convaincantes laissent croire qu'une activité donnée liée aux drogues porte un préjudice grave à la société, le droit devrait cibler cette activité et cette activité seulement. Ainsi, par exemple, le droit peut et devrait criminaliser l'acte de conduire un véhicule avec des facultés affaiblies par la drogue, tout comme elle le fait pour une autre drogue plus répandue et mieux acceptée en société, c'est-à-dire l'alcool.
Le deuxième critère a un rôle manifeste à jouer dans tout débat entourant l'adoption d'une réponse appropriée de la société à la consommation de drogues. La société peut et devrait instituer des programmes conçus pour sensibiliser le public à l'utilisation de drogues, aux programmes de traitement et de réadaptation destinés aux particuliers souhaitant y participer et, enfin, aux programmes de réduction des préjudices, qui visent à atténuer les effets personnels nuisibles éventuels de certaines formes de consommation de drogues, y compris, par exemple, les programmes d'échange de seringues et les centres d'injection sûrs. Dans ce contexte, on doit également tenir compte de programmes sociaux conçus pour cibler les causes sociales et économiques sous-jacentes de l'abus de drogue.
Enfin, le troisième critère revêt une importance toute particulière dans le contexte de la criminalisation de la consommation de drogues. Le comité est déjà au courant de certains des effets délétères de la criminalisation de la possession et de la consommation de drogues, notamment les casiers judiciaires qui peuvent nuire à de nombreux aspects de la vie d'une personne, par exemple en ce qui concerne l'obtention d'un emploi et les voyages à l'étranger, la création d'une sous-culture criminelle dans laquelle les utilisateurs sont contraints de s'associer à des criminels pour obtenir la drogue de leur choix, le maintien d'une industrie criminelle de la distribution de drogues fort lucrative avec tous les problèmes qui s'y rattachent, la création d'une catégorie de marginaux qui éprouvent peut-être de la difficulté à accéder aux services de soins de santé nécessaires et à d'autres services publics, les dépenses considérables en ressources financières, structurelles et humaines associées à ce qu'on appelle «la guerre contre les drogues», qu'on utiliserait à meilleur escient en s'attaquant aux causes sociales et économiques sous-jacentes de l'abus de drogues et en aidant les toxicomanes qui souhaitent à se faire traiter, l'autorisation d'ingérence policière considérable dans la vie privée de citoyens dans le cadre d'enquêtes et de procès liés à des infractions en matière de drogues, les risques accrus pour la santé que courent les utilisateurs, faute d'un contrôle de la qualité ou de surveillance des drogues illicites par le gouvernement, l'incapacité du régime d'imposition d'imposer les revenus du commerce des drogues, les risques d'application et d'exécution de la loi arbitraires et discriminatoires et, enfin, là où on fait appel à ces pouvoirs discrétionnaires pour ne pas donner suite à des infractions en matière de drogue, une aggravation du manque généralisé de respect à l'égard de la loi et des personnes qui ont charge de la faire respecter.
Outre les éléments mentionnés ci-dessus, on devrait prendre conscience de l'impact économique plus considérable qu'a la criminalisation de la possession et de l'utilisation des drogues sur l'ensemble de la société. Combien coûte à la société les soins à une seule personne ayant fait l'objet d'un diagnostic de VIH-sida en raison de pratiques de consommation dangereuses? Combien coûte à la société l'assurance de biens meubles rendue nécessaire par les vols simples commis par des personnes qui ont besoin d'argent pour s'approvisionner? Combien coûte à la société, en particulier dans les milieux urbains, les cultures clandestines aménagées et exploitées dans des maisons, souvent louées? La décriminalisation des drogues ne constituerait-elle pas une option plus sûre et plus avantageuse sur le plan économique?
Les coûts personnels et sociaux de la criminalisation continue de la consommation et de la possession de drogues dépassent de loin les avantages hypothétiques qu'on y associe. L'interdiction pénale de la consommation de drogues ne fonctionne tout simplement pas. Elle n'a jamais fonctionné. Il est grand temps de faire l'essai d'une autre méthode.
En conclusion, l'association se réjouit de voir que de plus en plus de politiciens de toutes les tendances et de tous les niveaux au même titre que la population en général comprennent que le modèle traditionnel de prohibition de la consommation de drogues est un échec. On doit féliciter le comité de sa volonté d'examiner tous les problèmes sous- jacents à la consommation de drogues à des fins non médicales au Canada et d'examiner des politiques novatrices pour y remédier.
Pour se rendre compte de l'inefficacité de la criminalisation de la consommation de drogues, on n'a qu'à consulter le témoignage récent que l'inspecteur Kash Heed, commandant de l'escouade des mœurs et de la lutte antidrogue du service de police de Vancouver, a fait devant le comité l'année dernière. À cette occasion, il a affirmé que son service avait plaidé en faveur du retrait des sanctions criminelles pour la consommation de marijuana en particulier.
Tous les jours, nous lisons dans les médias des articles faisant état du besoin de centres d'injection sûrs ou des ressources inadéquates allouées à la prévention de l'abus de drogues et au traitement des toxicomanes. Il s'agit de problèmes importants auxquels nous devons nous attaquer. L'association espère sincèrement que le comité profitera de l'occasion pour formuler des recommandations en vue d'une réforme raisonnée et systématique des lois canadiennes qui régissent la consommation de drogues, laquelle se traduira par le retrait de toutes les sanctions pénales prévues pour l'utilisation et la possession de drogues dans le cadre d'une stratégie plus large visant à remédier au problème soulevé par la consommation de drogues dans notre société. La décriminalisation de la consommation de marijuana constituerait un bon point de départ. On servirait mieux les intérêts de la société en réglementant cette substance de la même façon que l'alcool et le tabac.
Le sénateur Kenny: Je vous remercie, monsieur McIntyre, de votre exposé des plus intéressants. Si je comprends bien votre argumentation, vous n'établissez aucune distinction entre les diverses drogues. Votre mémoire s'applique à toutes les drogues existantes?
M. McIntyre: En effet. Cependant, toute autre forme de criminalisation de la marijuana en particulier se justifie encore moins bien.
Le sénateur Kenny: Toute autre forme de criminalisation?
M. McIntyre: En fait, je voulais parler de la criminalisation continue du produit.
Le sénateur Kenny: Pouvez-vous dire au comité ce que vous entendez par la notion de préjudice grave pour la société?
M. McIntyre: À quelle partie faites-vous référence?
Le sénateur Kenny: Je fais référence au principe des préjudices.
M. McIntyre: Je ne crois pas être en mesure d'établir au profit du comité ce que l'association entend par la notion de préjudice grave pour la société. De toute évidence, on doit pondérer les conséquences de diverses conduites en fonction de leurs effets sur la société. Selon l'association, la criminalisation des drogues a créé un contexte ayant permis à des éléments criminels de combler un vide et de s'enrichir de l'argent que nous dépensons pour nous approvisionner en produits illicites. On aura beau adopter les lois les plus draconiennes qui soient, on ne viendra jamais à bout de la consommation de drogues. Il se trouvera toujours un certain nombre de citoyens pour exercer leur liberté de choix afin de faire tout au moins l'expérience de ces produits.
Le sénateur Kenny: Si je comprends bien votre argumentation, vous dites que le gouvernement a le droit de s'ingérer dans la vie des particuliers uniquement s'il est en mesure de prouver que la société subit des préjudices graves.
M. McIntyre: Exactement.
Le sénateur Kenny: J'essayais de comprendre ce que ce seuil représente pour votre organisme.
M. McIntyre: Selon nous, il est certain que ce seuil n'est pas atteint puisque, en ce qui concerne la consommation de drogues, nous défendons depuis longtemps la même position. À nos yeux, il s'agit d'un choix personnel.
Le sénateur Kenny: Quel est donc ce seuil?
M. McIntyre: Je ne suis pas en mesure de le définir. Tout ce que je pourrais faire, c'est vous dire ce que ce seuil représente pour nous. À notre avis, la consommation de drogues, quelle qu'elle soit, ne répond pas au critère axé sur les torts à la société.
Le sénateur Kenny: Si vous n'avez pas de définition à nous fournir, je n'insisterai pas, mais rappelez-vous que j'ai la question présente à l'esprit.
M. McIntyre: Je comprends.
Le sénateur Kenny: Dans vos propos concernant l'imposition de sanctions criminelles pour la consommation de drogues, vous avez affirmé que la question ne relève tout simplement pas de l'État. À partir de quel âge le principe s'applique-t-il? Parlez-vous des personnes ayant l'âge de la majorité, de celles qui ont plus de 15 ans ou des enfants de six ans?
M. McIntyre: En ce qui concerne l'âge à partir duquel la société estime que des choix peuvent être faits, je ne vois pas de différence avec l'alcool ou le tabac. Je crois avoir lu dans le document publié par le comité spécial que certaines données laissent croire que jusqu'à 50 p. 100 des élèves des écoles secondaires consomment de la marijuana pendant leurs études.
Le sénateur Kenny: Dans le contexte de votre exposé, à quel âge faites-vous référence?
M. McIntyre: Nous ne faisons pas référence à un âge particulier. Ce que nous disons, c'est que le gouvernement est fondé à établir un âge comme il le fait pour l'alcool et, probablement, le tabac, mais il est réaliste de penser que les jeunes vont faire l'essai du produit.
Le sénateur Kenny: Dans cette province, l'âge est fixé à 19 ans?
M. McIntyre: Oui.
Le sénateur Kenny: Pour le tabac et l'alcool?
M. McIntyre: Pour ce qui est du tabac, je ne suis pas en mesure de faire de commentaires puisque moi-même je ne fume pas. J'ignore quel genre d'avertissements s'appliquent en ce qui a trait à l'âge des personnes autorisées à faire l'achat du produit. Pour l'alcool, la limite est fixée à 19 ans.
Le sénateur Kenny: Quelles sont les obligations de l'État en matière d'éducation et de protection?
M. McIntyre: À mon avis, les obligations de l'État sont comparables à celles qui lui incombent relativement aux préjudices associés au tabagisme. Parce qu'on n'a pas étudié la marijuana de façon si poussée que le tabac, on ignore encore les effets à long terme associés à sa consommation. Si j'ai bien compris les documents sur la consommation de marijuana, les gens consomment ce qu'il faut pour se «geler», et ils arrêtent. Ce n'est pas comme les fumeurs qui allument une cigarette après l'autre à cause de leur accoutumance. Ni la manière, ni la méthode n'est la même. Mais j'ai bien peur d'avoir perdu le fil de votre question.
Le sénateur Kenny: Ma question est la suivante: quelles sont les obligations de l'État en matière d'éducation et de protection?
M. McIntyre: Comme pour toute autre drogue, et j'inclus l'alcool et la nicotine, l'État a l'obligation de sensibiliser les citoyens aux effets nuisibles. Il s'agit au premier chef d'une préoccupation pour la santé.
Le sénateur Kenny: L'État est-il l'agent compétent dans ce domaine?
M. McIntyre: À un certain niveau, oui. Tout comme nous nous occupons maintenant des personnes victimes de leur propre consommation de drogues, il existe des ONG et d'autres organismes qui, parfois avec l'aide du gouvernement, aident des personnes à vaincre leur toxicomanie.
Le sénateur Kenny: Voici où je veux en venir: les études sur le tabac montrent que les figures d'autorité comme les gouvernements provincial et fédéral ne sont peut-être pas les mieux placés pour véhiculer un tel message auprès des adolescents.
M. McIntyre: Les parents non plus, jusqu'à un certain point. Pourtant, l'État ne peut élever les enfants à la place des parents.
Le sénateur Kenny: Dans ce cas, qui a l'obligation de faire l'éducation des gens?
M. McIntyre: Eh bien, cela fait tout simplement partie de l'éducation sociale générale ou du programme d'études. Si on me demandait de faire le partage des responsabilités dans ce domaine entre les gouvernements fédéral et provincial, je dirais que ce sont les écoles qui devraient véhiculer le message.
Le sénateur Kenny: Les écoles seraient donc un bon endroit où sensibiliser les jeunes aux drogues?
M. McIntyre: Oui.
Le sénateur Kenny: On aurait autant de succès que dans la sensibilisation des enfants au tabagisme?
M. McIntyre: On serait en droit de s'attendre au même degré de réussite.
Le sénateur Kenny: Cela me fait penser à une expérience qui s'est déroulée dans le Dakota du Nord, je crois: dans les écoles de 22 districts scolaires, on offrait des programmes de sensibilisation au tabagisme; dans 22 autres, on ne le faisait pas.
M. McIntyre: Avec les mêmes résultats?
Le sénateur Kenny: Non. On a obtenu de meilleurs résultats là où des programmes étaient offerts, mais pas dans les districts où il n'y en avait pas.
Êtes-vous d'avis que c'est au gouvernement qu'incombe la responsabilité d'assurer le contrôle de la qualité des drogues?
M. McIntyre: Le gouvernement a un rôle à jouer à ce sujet à supposer qu'il choisisse d'intervenir dans ce domaine. De la même façon, il a pour rôle de veiller à ce qu'on n'empoisonne pas les produits non frelatés au risque de porter préjudice à la santé des citoyens.
Le sénateur Kenny: En vertu du régime que vous défendez dans votre mémoire, le gouvernement aurait donc pour rôle d'établir les mesures ou les qualités des drogues avant qu'elles ne soient mises en marché?
M. McIntyre: Je pense que le gouvernement pourrait facilement légiférer dans ce domaine, comme il le fait pour l'alcool.
Le sénateur Carney: Je m'intéresse à l'utilisation de la marijuana à des fins médicales. Dans vos recherches sur cette question, avez-vous mis la main sur des renseignements concernant la prévalence de la pratique en Colombie- Britannique et les difficultés d'approvisionnement? Pouvez-vous nous en parler? Santé Canada a décidé d'autoriser la consommation de marijuana à des fins médicales. Notre politique n'est pas très efficace. Mais, comme vous le savez, le gouvernement a annoncé qu'il allait détruire la première récolte, qui a été un échec. Je fais référence à celle qui a été produite dans la mine souterraine.
M. McIntyre: Je suis au courant.
Le sénateur Carney: Vous savez probablement que j'ai fait la promotion de la Colombie-Britannique à titre de province à l'origine de tout ce qui est parfait, y compris l'utilisation de la marijuana à des fins médicales. Selon votre expérience ou vos connaissances, fait-on ici un usage abondant de la marijuana à des fins médicales? Est-il difficile de s'approvisionner? Quel est l'effet de la politique aujourd'hui en cours de mise en œuvre? Je sais que nous avons parmi nous des représentants de la Vancouver Island Compassion Society et d'autres personnes, mais je serais intéressée à vous entendre parler de votre expérience.
M. McIntyre: Je ne suis pas en mesure de répondre. Je n'ai pas d'information à transmettre à ce sujet.
Le sénateur Carney: J'espère que nous aurons d'autres témoins qui seront, eux, en mesure de répondre.
Le président: À la page 3 de votre mémoire, vous faites allusion aux casiers judiciaires. Divers organismes policiers nous ont dit que, depuis l'adoption du projet de loi C-8 en 1996, on n'établit plus de casier judiciaire pour les personnes accusées et reconnues coupables de possession simple d'une petite quantité. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
M. McIntyre: Je suis en partie criminaliste. J'intente des poursuites. Je défends les accusés. Je me suis occupé d'infractions à des lois provinciales tout autant qu'à des lois fédérales. J'exerce ma profession depuis plus de 20 ans. Ce que je sais, c'est que, lorsqu'on a affaire à une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité, la police n'est pas autorisée à prendre des empreintes digitales. En cas d'infraction hybride — punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité ou par voie de mise en accusation —, elle a ce droit. En règle générale, la police prend des empreintes digitales d'abord et pose des questions ensuite. Une fois vos empreintes digitales prises, votre nom est entré dans l'ordinateur de la police, le système du CIPC. Les autorités américaines ont accès à ce système, en particulier les autorités frontalières, au moment où vous tentez de traverser la frontière. Vous n'avez peut-être pas de casier judiciaire, mais il y a un dossier.
Le président: Une trace.
M. McIntyre: Une trace qui permet de vous associer à la consommation de marijuana, ce qui peut se traduire par des demandes de renseignements additionnelles, à la frontière par exemple, ou à des fouilles plus poussées. Si vous tentez de vous rendre aux États-Unis, il est même possible qu'on vous refoule à la frontière.
Le président: Ce que vous nous dites, c'est que, indépendamment de l'importance ou du type de poursuite, il restera une trace. Il est donc possible qu'on trouve dans le système le nom ou des traces permettant d'établir l'identité d'une personne dont la culpabilité n'a pas été établie. Le système transcende la frontière.
M. McIntyre: Dans l'état actuel des choses, c'est ainsi que fonctionne le système.
Le président: Vous avez déjà répondu à la question de la réglementation. Nous allons donc interroger d'autres témoins à ce sujet.
À la dernière page de votre mémoire, vous invoquez la décriminalisation de la consommation de marijuana, et vous ajoutez ce qui suit: «On servirait mieux les intérêts de la société en réglementant cette substance de la même façon que l'alcool et le tabac.» Qu'entendez-vous par «décriminalisation»?
M. McIntyre: Ce que je veux dire par là, c'est qu'il faudrait entièrement soustraire la marijuana de l'application de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et laisser le marché fournir des sources qui pourraient être réglementées par le gouvernement — probablement le gouvernement provincial —, du point de vue des modalités et des points de vente, tout comme on le fait pour l'alcool et le tabac.
Le président: Je tiens pour acquis que vous avez lu notre mémoire, notre document de discussion. On y retrouve un tableau dans lequel nous avons défini chacune des politiques. Nous avons clairement établi deux possibilités en matière de criminalisation: décriminalisation de facto, comme on l'applique aux Pays-Bas, et la décriminalisation de droit, en vertu de laquelle on indique dans un texte de loi qu'il s'agit toujours d'une infraction, mais pas au sens pénal.
Nous définissons également le terme «légalisation» — ce qui correspond probablement mieux à vos propos. En vertu de ce principe, le gouvernement exercerait un contrôle de la substance de même que de sa distribution et sa production.
Il me semble que l'utilisation que vous faites du terme «décriminalisation» dans votre mémoire correspond davantage à l'utilisation que nous faisons du mot «légalisation» dans notre document de discussion. On entend le mot «décriminalisation» partout au Canada, et bon nombre de personnes ne savent pas vraiment de quoi elles parlent. Si nous avons inclus ce petit tableau dans notre document de discussion, c'est pour faire en sorte que les citoyens aient en main une sorte de guide qui leur permette de se faire une idée fondée.
M. McIntyre: La position définie dans le document correspondrait à votre définition.
Le président: De la légalisation?
M. McIntyre: De la légalisation.
Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur McIntyre.
Nous allons maintenant entendre M. Jim Kelly, directeur de la Richmond Alcohol and Drug Addiction Team (RADAT).
M. Jim Kelly, directeur, Richmond Alcohol and Drug Action Team (RADAT): Honorables sénateurs, la Richmond Alcohol and Drug Action Team, RADAT, qui a été fondée en 1975, est un organisme sans but lucratif. Nous venons en aide aux adultes et aux adolescents aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou de jeu compulsif. Nous sommes principalement financés par le gouvernement. Outre, nos propres campagnes de financement, nous recevons des fonds de la ville de Richmond.
Au cours de la dernière année, nous avons élargi nos activités, qui comportent désormais un volet axé sur le sevrage, c'est-à-dire un programme de désintoxication à domicile. Nous effectuons des travaux d'approche auprès des jeunes. Nous avons un agent de prévention à un poste dans une de nos écoles secondaires locales. Récemment, nous avons retenu une coordonnatrice de la prévention à l'aide de fonds reçus de la ville de Richmond. Cette dernière travaillera auprès des jeunes des écoles secondaires et primaires.
Nous offrons un programme d'éducation d'une durée de huit semaines. Nous intervenons auprès de particuliers ou de groupes et aidons les toxicomanes à vaincre leur accoutumance. Nous nous intéressons à des substances comme l'alcool, la marijuana, la cocaïne, l'héroïne et les barbituriques. Dans le cadre de notre programme de gestion du sevrage, nous intervenons aujourd'hui auprès de nombreux clients qui cherchent à se défaire d'une dépendance à l'endroit des barbituriques et de la marijuana. Nous avons constaté que la marijuana demeure présente dans le système pendant longtemps. Elle a un effet plus durable que l'alcool ou le tabac même. Nous en avons la preuve médicale, et les statistiques le confirment. Ce sont des particuliers, des familles, des employeurs, des médecins, des agents de probation et d'autres organismes gouvernementaux, en particulier le ministère de l'Enfance et de la Famille de la Colombie- Britannique, qui nous envoient nos clients.
Dans le cadre du traitement, nous orientons nos clients vers des centres de réadaptation et des centres de traitement à demeure. Habituellement, nos clients en réadaptation assistent à notre programme d'éducation et bénéficient de services de counselling personnels. Au terme du traitement en établissement, ils effectuent habituellement un suivi auprès de nous. Nous sommes d'ardents partisans du programme en douze étapes, et nous croyons également à la capacité de ce mouvement, qui mise sur la fraternité comme moyen de favoriser le soutien et la réadaptation, de venir en aide à des personnes.
Je crois que je vais en rester là.
Le président: Avez-vous lu notre document de discussion?
M. Kelly: Je l'ai parcouru brièvement.
Le sénateur Carney: Faites-vous partie du conseil de santé de Vancouver-Richmond?
M. Kelly: Oui.
Le sénateur Carney: Vous faites donc partie de la même autorité sanitaire.
M. Kelly: La Vancouver Coastal Health Authority.
Le sénateur Carney: L'organisme a changé de nom.
M. Kelly: Les services de santé de Richmond sont associés à la Vancouver Coastal Health Authority.
Le sénateur Carney: Dans le document de discussion, on soulève certains problèmes à propos desquels le comité a posé des questions partout au pays. Vous dites que, selon votre expérience, la marijuana demeure présente dans le système plus longtemps que l'alcool ou le tabac. Quelles sont les conséquences?
M. Kelly: La marijuana demeure présente dans les tissus adipeux. Lorsque l'intéressé éprouve de l'anxiété ou commence à faire un exercice physique, la substance, même s'il ne consomme plus, se libérera dans son système, et il va éprouver le même effet que s'il avait recommencé à consommer. En fait, certaines personnes disent continuer d'éprouver des effets et se demandent pourquoi il en est ainsi puisqu'elles ont cessé de consommer.
Le sénateur Carney: Pouvez-vous me dire pendant combien de temps le phénomène persiste?
M. Kelly: La substance peut demeurer présente dans le système pour une période de trois à six mois.
Le sénateur Carney: Après une utilisation de quel ordre?
M. Kelly: Une utilisation substantielle s'étendant sur quelques années.
Le président: Vous dites «substantielle», mais nous tenons à être plus précis. Nous avons utilisé 30 grammes par mois comme point de référence; une consommation moindre est considérée comme supérieure à la moyenne, tandis qu'une consommation supérieure est considérée comme chronique.
M. Kelly: Je suppose que tout dépend de la personne et de l'effet de la drogue sur son système, mais, en même temps, la substance restera présente dans le système. Nous voyons des personnes qui ont consommé de façon chronique et d'autres qui ont consommé trois à quatre joints par jour pendant des années, 10, 15 ans par exemple — il s'agit d'une consommation chronique, et la substance restera présente dans le système.
Le président: C'est pourquoi nous avons adopté la mesure pondérale de préférence au nombre de joints.
Le sénateur Carney: Il importe cependant que vous nous fassiez part de vos vues à ce sujet parce que vous travaillez dans le domaine de l'alcoolisme et de la toxicomanie. Vous intervenez sur tous les tableaux.
M. Kelly: C'est vrai.
Le sénateur Carney: Vous êtes en mesure de nous fournir certains données anecdotiques ou opinions découlant de votre travail: la comparaison entre la toxicomanie et l'alcoolisme, et les effets sur le corps, la productivité, la société ou je ne sais quoi.
Êtes-vous en train de nous dire que la substance, parce qu'elle reste présente dans le système plus longtemps, a des effets plus négatifs que l'alcool ou le tabac? Ou nous dites-vous plutôt qu'il s'agit d'un aspect physiologique?
M. Kelly: Il s'agit davantage d'un phénomène physiologique.
Le sénateur Carney: De l'aspect physiologique.
M. Kelly: On doit s'intéresser aux modalités de consommation de la personne. Je ne crois pas qu'on dispose aujourd'hui de données sur la consommation de marijuana et les accidents de voiture. Pour détecter la présence de marijuana dans le système, on doit demander aux personnes de fournir un échantillon sanguin. C'est le seul test de dépistage qui existe. En ce qui concerne l'alcool, l'ivressomètre fournit une réponse immédiate. C'est un autre enjeu qui demeure un support. On n'a aucune garantie en ce qui concerne la situation des accidents de voiture et de la circulation.
Le sénateur Carney: S'il y avait des instruments de dépistage, pensez-vous que les renseignements fournis seraient utiles?
M. Kelly: Oui. Je pense que ces renseignements seraient utiles pour les gouvernements, les compagnies d'assurance, et cetera, dans la mesure où on pourrait déterminer si la consommation de marijuana est en cause ou non dans un accident de la circulation. Une fois de plus, il y a des coûts pour la santé, des coûts reliés à la réadaptation. Vous voyez le genre.
Le sénateur Carney: Selon votre expérience, y a-t-il des données qui montrent que la marijuana est une drogue d'escalade menant à la consommation de drogues dures? Nous avons entendu des témoignages contradictoires à ce sujet.
M. Kelly: Non. Je pense que toute substance peut constituer une drogue d'escalade. C'est le phénomène que nous observons auprès de nos jeunes. Certains commencent à fumer, et ils finiront peut-être par consommer de la marijuana. Le même phénomène peut se produire aussi chez les adultes. Certaines personnes peuvent se livrer à des expérimentations afin de voir les effets de diverses drogues sur le système. À l'adolescence, la plupart des gens font l'essai de différentes substances et constatent les effets sur eux. Ça fait partie de l'apprentissage. Certaines ne ressentent aucun effet et cessent de consommer. Pour d'autres, il y a escalade vers d'autres substances. À mes yeux, toute substance est une substance d'escalade. Je ne pense pas qu'on puisse qualifier une seule drogue de substance d'escalade.
Le président: Une fois de plus, nous devons nous montrer précis. Nous avons lu de nombreux documents à ce sujet parce qu'il s'agit de l'une des plus importantes questions auxquelles les Canadiens nous demandent de répondre, et vous le faites. Vous dites que toute substance est une substance d'escalade. Je vous demande de définir ce que vous entendez par là, d'être beaucoup plus explicite.
La documentation scientifique que nous avons consultée et les spécialistes que nous avons interrogés en viennent tous à la conclusion que l'hypothèse selon laquelle le cannabis conduit à la consommation d'autres drogues ne se vérifie pas. Vous nous dites maintenant que le phénomène s'observe chez tous les sujets, indépendamment des quantités consommées. Parce qu'une petite quantité d'utilisateurs sont touchés, on doit en conclure que la consommation entraîne l'escalade ou déclenche l'utilisation de quelque chose de plus.
Vous allez devoir nous citer des preuves scientifiques à l'appui de vos dires, faute de quoi nous allons devoir faire fi de ce volet de votre témoignage parce qu'il n'a pas du tout pour effet d'annuler ce que nous avons entendu par ailleurs. Nous savons que vous avez de l'expérience dans ce domaine. Cependant, vous devez comprendre que, sur ce plan, nous disposons de données scientifiques qui affirment le contraire de ce que vous dites.
M. Kelly: Je n'ai pas lu toutes les recherches que vous avez consultées à ce sujet et — je ne sais donc pas si on y considère la marijuana comme la seule drogue d'escalade — je pense que d'autres substances peuvent conduire vers la consommation de drogues plus dures. Le tabagisme peut conduire à la consommation de marijuana. L'alcool peut conduire à la consommation d'autres substances. Parmi nos clients, nous avons ce que nous appelons des «polytoxicomanes», c'est-à-dire qu'ils consomment de l'alcool et d'autres drogues. La consommation de l'une entraîne la consommation de l'autre. On peut donc considérer qu'il s'agit en ce sens de drogues d'escalade. Peu importe qu'on ait affaire à l'alcool, à la cocaïne, la marijuana ou l'héroïne.
Le président: Vous dites que la consommation d'une substance déclenche la consommation d'une autre. Avez-vous étudié la cause de la consommation de drogues?
M. Kelly: La cause?
Le président: Oui, pour quelle raison commence-t-on à consommer?
M. Kelly: Je vous demande pardon?
Le président: Pour quelle raison commence-t-on à consommer — par opposition à la consommation d'une substance débouchant sur la consommation d'une autre?
Le président: Hier, nous avons eu un long débat sur les causes et les conséquences.
M. Kelly: Je peux vous faire part de données anecdotiques. La cause remonte peut-être à des problèmes familiaux. Peut-être la personne a-t-elle été victime d'agression sexuelle; peut-être a-t-elle commencé à consommer pour engourdir la douleur. Dans d'autres cas, elle utilise d'abord une substance puis passe à une autre. Par exemple, il est possible que la consommation d'alcool l'incite à vouloir utiliser une autre substance, habituellement la marijuana ou la cocaïne.
Dans tous les cas, je pense que la consommation s'explique par des raisons psychologiques et physiologiques. Les effets physiologiques sont une cause possible. Il y a quelque chose de physique: s'il existe une constante, c'est que le corps réclame la substance. Au stade de la réadaptation, l'intéressé cherche habituellement à apprendre à composer avec les réactions de son corps lorsqu'il est privé de la substance qu'il réclame.
Le sénateur Carney: Ici, nous nageons à peu près dans les mêmes eaux. J'aimerais maintenant poser quelques questions, dont deux sont connexes. Puis, je veux vous interroger au sujet de l'utilisation à des fins médicales puisque vous travaillez de concert avec des médecins et des infirmières.
Lorsque vous prodiguez des conseils à des personnes, établissez-vous une distinction entre les consommateurs de marijuana et les consommateurs de drogues dures?
M. Kelly: Non.
Le sénateur Carney: Vraiment?
M. Kelly: Les personnes qui s'adressent à nous — quelle que soit la drogue qu'elles consomment — ont besoin d'aide. Nous n'établissons pas de distinctions du genre «nous ne vous accueillons pas parce que...». Non, sur ce plan, tous sont bienvenus.
Le sénateur Carney: Vous n'avez pas d'approches distinctes pour les consommateurs de drogues dures et les consommateurs de marijuana?
M. Kelly: Non.
Le sénateur Carney: Voici ma deuxième question: pourquoi les consommateurs de marijuana s'adressent-ils à vous? Pourquoi des clients viennent-ils frapper à la porte de vos bureaux? Quelles sont leurs motivations?
M. Kelly: Puis-je vous demander pourquoi vous établissez une distinction entre la marijuana et les autres drogues? Si certaines personnes s'adressent à nous pour obtenir de l'aide relativement à la consommation du produit de leur choix — il peut s'agir d'une seule substance ou de plusieurs —, c'est parce qu'elles en sont venues à la conclusion qu'elles devaient changer leur mode de vie. Elles font peut-être face à des problèmes de comportement. Habituellement, on fait référence à des difficultés au travail, à des démêlés avec la loi, à des difficultés familiales. Ce que nous savons aussi, c'est que le programme est généralement inefficace auprès des personnes qui demandent de l'aide pour faire plaisir à quelqu'un d'autre. Elles doivent agir de leur propre initiative.
Le sénateur Carney: Votre question me paraît légitime. Ce que je demande, je suppose, c'est si, dans votre pratique, vous rencontrez ce qu'on appelle des propensions à la dépendance? Lorsque vous intervenez auprès de consommateurs d'alcool ou de drogues, les traitez-vous comme des personnes ayant une propension à la dépendance? D'après votre expérience, existe-t-il une propension à la dépendance? Si de telles personnes ne consommaient pas de drogues, elles consommeraient de l'alcool. Si elles ne consommaient pas d'alcool, elles consommeraient des drogues.
M. Kelly: Oui, il existe chez certains individus une propension à la dépendance. Une fois de plus, c'est un gène, présent dans le cerveau, qui déclenche le phénomène. C'est possible.
Le sénateur Carney: Ma dernière question porte sur le travail que vous effectuez dans le système de soins de santé de concert avec des médecins. Quelle place la consommation de marijuana à des fins médicales occupe-t-elle dans le système tel que vous le connaissez? Est-il difficile de s'en procurer ici, en Colombie-Britannique? En fournit-on régulièrement?
M. Kelly: Franchement, sénateur Carney, nous n'avons jamais encore rencontré un client qui consomme à des fins médicales. Je ne suis pas en mesure de vous faire une réponse honnête à ce sujet. Quant à la facilité d'accès, les intéressés doivent obtenir une ordonnance de leur médecin.
Le sénateur Carney: Ces personnes ne comptent pas parmi vos clients?
M. Kelly: Non.
Le président: Je veux revenir à la question de l'élimination des effets. Vous avez dit qu'il faut parfois jusqu'à six mois après la consommation pour que disparaissent les effets physiologiques. À ce propos, nous avons nous aussi beaucoup de données.
Quelle est la substance libérée dans le corps de votre client après six mois? Est-ce le THC, c'est-à-dire l'ingrédient actif, ou une autre substance?
M. Kelly: Le THC. À ma connaissance, c'est le THC, parce qu'il demeure présent dans les tissus adipeux.
Le président: Vous avez eu des clients chez qui de tels effets étaient présents après une période de six mois?
M. Kelly: Oui.
Le président: S'agit-il d'un phénomène rare? L'avez-vous observé seulement une fois ou se produit-il régulièrement?
M. Kelly: Des clients nous en ont fait la remarque à divers moments. Une fois de plus, tout dépend du client.
Le président: De quels effets s'agit-il?
M. Kelly: Ils s'apparentent à ceux que ressentirait la personne si elle avait consommé même si elle n'a pas consommé. Elle éprouve un sentiment d'euphorie, et elle ressent dans son corps des effets qui s'apparentent à ceux qu'elle aurait sentis si elle avait consommé. Habituellement, c'est l'activité physique qui déclenche la libération de la substance dans l'organisme.
Le président: Avez-vous été intrigué par cette information la première fois que vous en avez entendu parler? Avez- vous effectué des recherches pour tenter de comprendre le phénomène? Avez-vous plutôt tenu pour acquis que ce que vous ont rapporté vos clients était normal?
M. Kelly: Eh bien, c'est normal dans la mesure où des médecins nous ont dit la même chose. Les renseignements ne proviennent pas uniquement des clients. Nous avons admis ces données, qui semblent relativement exactes.
Le président: Les recherches nous apprennent que chez les consommateurs invétérés, la période maximale de rejet de la substance est d'un mois, 27 jours pour être précis. Pourtant, des ingrédients inactifs comme les métabolites qui font également partie de la substance, peuvent demeurer présents dans le corps, mais ils seront rejetés sur une période plus longue.
M. Kelly: Oui.
Le président: Voilà pourquoi je vous pose ces questions. Vous avez mis en doute les affirmations de spécialistes en affirmant que vos clients, après six mois d'abstinence ou six mois après avoir cessé de consommer, ressentaient toujours des effets.
M. Kelly: Oui.
Le président: Avez-vous consulté des spécialistes ou des médecins à ce propos?
M. Kelly: Nous avons posé des questions à des médecins, mais pas nécessairement à des spécialistes. Nous avons posé des questions à des personnes de la profession médicale.
Le président: Nous allons vous faire parvenir certains renseignements dont nous disposons. Je pense qu'il est important que quiconque a pour mandat d'informer le grand public soit renseigné comme il faut. Avec votre permission, nous allons demander au directeur de la recherche de vous remettre cette information.
M. Kelly: Bien sûr.
Le sénateur Carney: Vous travaillez dans le domaine du counselling, n'est-ce pas?
M. Kelly: Oui.
Le sénateur Carney: Vous êtes financés par le ministère de la Santé. À la lumière de votre expérience, avez-vous une position personnelle sur la consommation de marijuana? Normalement, les conseillers n'ont pas de vues personnelles, négatives ou positives. Ils interviennent auprès des personnes qui font appel à eux. Ils font face aux situations qui se présentent.
M. Kelly: Oui.
Le sénateur Carney: À la lumière de votre expérience avez-vous une opinion sur la consommation de marijuana, en particulier chez les jeunes?
M. Kelly: Bien sûr que j'ai des vues personnelles à ce sujet. Ce que je veux dire, c'est que je considère la marijuana comme une drogue susceptible de porter préjudice à l'organisme et de conduire à la consommation d'autres substances. C'est pourquoi, cela va de soi, je pense qu'il vaut mieux s'abstenir d'en consommer.
Le sénateur Carney: Au bout du compte, pensez-vous qu'il vaut mieux ne pas en consommer? C'est la question que je me pose.
M. Kelly: Oui.
Le sénateur Carney: Avons-nous votre curriculum vitae dans nos dossiers? J'aimerais connaître vos qualifications.
M. Kelly: Non, vous n'avez pas mon C.V.
Le sénateur Carney: Pourriez-vous nous le faire parvenir?
M. Kelly: Je vous le ferai porter.
Le sénateur Carney: Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup. Nous allons vous faire parvenir les renseignements dont j'ai parlé et peut-être allons- nous vous faire parvenir des questions écrites.
M. Kelly: Pour ma part, je vous enverrai les renseignements promis.
Le président: Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre M. Philippe Lucas de la Vancouver Island Compassion Society, M. Philippe Lucas.
M. Philippe Lucas, directeur, Vancouver Island Compassion Society: Merci de l'occasion qui m'est donnée. Je tiens à remercier toutes les personnes associées à la présente démarche. J'espère qu'elle aura en fin de compte certains résultats importants.
Honorables sénateurs, je suis un enseignant, un travailleur des services à l'enfance de même que le fondateur et le directeur de la Vancouver Island Compassion Society (VICS). La société est un organisme sans but lucratif voué à l'utilisation du cannabis à des fins médicales qui aide aujourd'hui 235 Canadiens atteints d'une maladie chronique à se procurer des médicaments sûrs. Nous avons participé à un certain nombre d'autres projets, y compris un protocole de recherche établi par le Dr Mark Ware, de l'université McGill, et un sondage mené par la Fondation canadienne pour une politique sur les drogues. Nos efforts ont fait l'objet d'un documentaire récent intitulé «Crimes of Compassion», qui a été diffusé à l'échelle nationale il y a quelques mois. Malheureusement, ce travail acharné s'est soldé par mon arrestation pour trafic de marijuana. Ironiquement, je suis l'un du millier de Canadiens environ autorisés à consommer du cannabis à des fins médicales: en effet, je suis atteint d'hépatite C des suites d'une transfusion sanguine subie en 1982.
Permettez-moi d'abord de remercier le comité spécial du Sénat de ses valeureux efforts. Nombre d'entre nous avons pris plaisir à vous voir vous former des opinions de plus en plus éclairées et informées. Le document de discussion impartial et fondé sur des données scientifiques que vous avez produit grâce à votre travail acharné a également été pour nous une grande source de satisfaction.
On accuse souvent les partisans de la consommation de cannabis à des fins médicales d'être en quelque sorte le cheval de Troie qu'on entend utiliser pour imposer la légalisation tous azimuts de la marijuana. Au moment de la fondation de la société, il y a près de trois ans, il m'est donc apparu important de dissocier la question de la légalisation, liberté personnelle à laquelle je crois avec ferveur, de celle de l'utilisation à des fins médicales, qui pose pour moi un problème de nécessité et d'accès immédiat. Lorsque Santé Canada s'est engagé sur la voie longue et tortueuse menant vers la distribution de marijuana à des fins médicales, les partisans de l'utilisation du cannabis à des fins médicales ont été à bon droit emballés, mais quelque peu prudents. Certains activistes comme Hilary Black de la BCCCS — je crois comprendre que le comité a rendu visite à l'organisme à l'occasion de sa dernière tournée en Colombie-Britannique — et moi avons communiqué avec Santé Canada pour donner des conseils et offrir la vaste expérience que nous possédons des vertus thérapeutiques du cannabis. De façon générale, nous avons été bien accueillis. Nous avons rencontré en privé le ministre de la Santé, M. Rock, pour discuter de problèmes tels que la sélection des souches, la distribution et les techniques de culture.
C'est donc avec une grande tristesse que j'annonce qu'après trois années d'efforts et des dépenses se chiffrant à je ne sais combien de millions de dollars, Santé Canada n'a toujours pas fourni un gramme de marijuana, ni même une seule graine, à des Canadiens malades. Même si nous continuons d'aider les membres de notre société à devenir des utilisateurs à des fins médicales autorisés par la loi en les guidant dans les méandres de la procédure de demande mise au point par Santé Canada, tout indique que nous avons travaillé en vain. L'Association médicale canadienne semble déterminée à saboter la procédure actuelle de demande. La semaine dernière, la ministre de la Santé, Mme McLellan a annoncé son intention de retarder indéfiniment la distribution de la célèbre récolte de marijuana des Prairie Plant Systems.
Honorables sénateurs, le programme d'accès à la marijuana à des fins médicales est à coup sûr l'initiative du gouvernement du Canada la plus mal nommée. À ce propos, la ministre de la Santé, Mme McLellan, a déclaré, et je cite: «Personne ne s'inquiète plus que moi de cette situation, mais nous allons devoir procéder par tâtonnements, et je pense que les intéressés vont devoir faire preuve de patience.»
Eh bien, j'oserais dire que, à titre d'utilisateur à des fins médicales, je suis plus préoccupé que la ministre McLellan par cette question. Récemment, une jeune femme à la fin de la vingtaine atteinte d'un cancer est arrivée à nos bureaux après avoir subi des interventions majeures et des traitements de chimiothérapie intensifs. Elle avait une note de son médecin qui ne lui donnait que quelques semaines à vivre. La ministre de la Santé lui propose-t-elle d'attendre pendant que Santé Canada continue de se dérober à ses obligations? Honorables sénateurs, cette procédure insultante, inefficace et inhumaine est venue à bout de notre patience. Pour dire les choses simplement, les prétextes invoqués par la ministre McLellan ne vont pas au cœur du problème. Elle dit devoir élaborer un mode d'approvisionnement uniformisé pour faciliter la recherche. À ce sujet, je suis d'accord avec elle. Pourtant, pour les personnes qui ont besoin de cannabis à des fins médicales aujourd'hui, comme c'est le cas de si nombreux Canadiens qui souffrent, la sécurité devrait être la seule préoccupation, et la compassion, la seule considération.
La ministre McLellan affirme que les personnes bénéficiant d'une exemption peuvent tout simplement faire pousser leur propre marijuana jusqu'à ce que la production gouvernementale soit enfin prête à être distribuée. Si c'est si simple, pourquoi les Prairie Plant Systems, qui disposent des installations les plus perfectionnées, de l'avis d'innombrables experts et de l'accès à des fonds quasi illimités, n'ont-ils pas été en mesure de fournir un produit utile?
Le moment n'est-il pas venu pour Santé Canada de commencer à s'acquitter du mandat que lui a imputé la cour et de cesser d'obliger des Canadiens à risquer leur sécurité et leur liberté pour améliorer leur état de santé?
La situation est franchement inacceptable. Je prie donc instamment le Sénat de recommander une décriminalisation ou une légalisation généralisée du cannabis. Du même souffle, on créerait un climat propice à la recherche, sans ingérence inutile de la bureaucratie, tout en permettant aux personnes ayant un besoin désespéré — les personnes malades, les personnes qui souffrent et les personnes âgées — d'avoir accès à un approvisionnement immédiat en cannabis médicinal, sans crainte d'être arrêtées.
À la question 7 de votre document de discussion, vous demandez si le Canada devrait tenir compte de la réaction des Américains à notre politique en matière de drogue. Franchement, la politique américaine dans ce domaine ne devrait pas servir d'exemple ni exercer une influence sur d'autres pays du monde. À l'heure actuelle, les États-Unis ont le douteux honneur de posséder le taux d'incarcération le plus élevé et le taux de consommation de drogues le plus élevé du monde. En fait, après avoir été témoins des descentes effectuées par la DEA dans quatre sociétés de compassion, autorisées par les lois de l'État de la Californie, le conseil municipal de Berkeley s'est senti contraint d'adopter une résolution unanime enjoignant à sa propre police de ne pas coopérer avec la DEA dans les enquêtes soutenues qu'elle mène auprès des clubs de compassion qui offrent de la marijuana à des fins médicales. Dans l'immeuble où nous nous trouvons aujourd'hui, on trouve des Américains qui ont été contraints de fuir leur pays et leur foyer dans l'espoir de trouver la paix, la justice et la compassion au Canada. Ces hommes, ces femmes et ces enfants sont de réfugiés d'une guerre civile américaine — d'une guerre entre les droits concédés par les États et les pouvoirs fédéraux, d'une guerre entre la peur et la futilité de la prohibition, d'une part, et le sens commun et la tolérance de la compassion, d'autre part. Est-ce bien là le système que nous souhaitons continuer à imiter?
Je me vois dans la triste obligation d'affirmer que, en ce qui concerne notre politique actuelle en matière de drogues, nous ne sommes pas loin de nos voisins américains: en vertu de cette politique, en effet, on légitime la consommation à des fins médicales pendant que la police harcèle systématiquement les fournisseurs. Il y a quelques semaines, après des descentes récentes dans des organismes de Victoria qui fournissent de la marijuana à des fins médicales, le conseil municipal de Victoria s'est senti obligé d'adopter une résolution unanime en faveur de la libéralisation des lois qui régissent la consommation de la marijuana à des fins médicales pour mettre un terme aux poursuites intentées contre les malades. Honorables sénateurs, pourquoi poursuivre cette prohibition à l'américaine dont l'inefficacité est manifeste? Tenons-nous vraiment à remplir nos prisons de contrevenants non violents? Voulons-nous vraiment criminaliser et incarcérer des citoyens dont l'activité n'est ni plus nuisible, ni plus toxicomanogène que le fait de boire une tasse de thé?
Honorables sénateurs, est-ce vraiment là la vision que nous avons de l'avenir du Canada?
Nous aurions plutôt intérêt à nous demander si d'autres avenues s'offrent au Canada. Pourquoi adopter une politique à si courte vue dans ce domaine? Au lieu de chercher des solutions au Sud, nous devrions peut-être plutôt nous tourner vers l'autre côté de l'Atlantique.
Il y a environ un an, le gouvernement britannique était plus ou moins dans la position où le Canada se trouve aujourd'hui. Il a lui aussi commandé des recherches sur la consommation de marijuana et la criminalisation et demandé des propositions à des groupes d'experts et aux citoyens en général. Au cours des derniers mois, à la recommandation de ses principaux organismes et domaines de la médecine et de la recherche, l'Angleterre a choisi de remanier en profondeur sa stratégie en matière de drogues. Au lieu de l'interdiction totale, dont l'inefficacité est démontrée, le Royaume-Uni adoptera des politiques fondées sur le principe de la réduction des préjudices. En fait, dès le début de l'été, le Royaume-Uni fera du cannabis une drogue de catégorie C: du même souffle, la possession et la consommation par des adultes deviendront une infraction ne pouvant donner lieu à une arrestation. Devrions-nous conclure que le gouvernement britannique se montre simplement irrationnel ou impulsif? A-t-il consulté d'autres études que nous? Non, bien entendu. Il n'est pas non plus le seul à agir en ce sens.
Les Suisses, dont la prudence est légendaire, s'apprêtent à légaliser la possession, la production et la vente au détail de marijuana à des fins personnelles. Le gouvernement suisse est-il la proie d'un délire psychotrope? Bien sûr que non.
Ces deux nations, de même que l'Espagne, le Portugal, le Luxembourg et les Pays-Bas, ont fait preuve de courage politique en prêtant l'oreille aux avis de leurs spécialistes et de leurs citoyens. Fait plus important encore, ils ont fait preuve de courage en mettant en œuvre une réforme approfondie et significative. Au nom de tous les Canadiens, honorables sénateurs, vous devez demander au gouvernement fédéral de faire de même.
À la question 8 de votre document de discussion, vous demandez quel rôle le Sénat peut jouer dans le présent débat. Je crois que le Sénat peut jouer un rôle de premier plan en utilisant et en diffusant les connaissances glanées tout au long du processus. Vous pouvez et vous devez faire pression sur le ministère de la Justice pour qu'il fasse en sorte que plus un Canadien ne passe une nuit en prison pour avoir contrevenu à des dispositions législatives injustifiables non fondées sur des données scientifiques. Vous pouvez et vous devez faire pression sur Santé Canada pour que le ministère assure dès maintenant un approvisionnement sûr en cannabis et pour que le système actuel soit réformé de manière à faciliter, et non à freiner, l'accès à ce médicament bénin.
En d'autres termes, vous devez faire en sorte qu'aucun Canadien gravement malade n'ait à choisir une fois de plus entre la santé et la liberté parce que, honorables sénateurs, ce n'est pas un choix digne de ce nom. Les Canadiens, qui constituent un peuple moderne, éduqué et humain, méritent des lois qui reposent sur la logique et la raison plutôt que sur la peur et les préjugés.
Le Sénat a-t-il le pouvoir de mettre un terme à cette politique sociale déficiente et inefficace? Je l'espère de tout cœur parce qu'il est évident que le gouvernement actuel fait preuve de peu de motivation ou de conviction relativement à ces questions d'importance. Santé Canada a à maintes reprises fait fi des obligations que lui ont faites les tribunaux. L'Association médicale canadienne s'est montrée aveugle et indifférente à la souffrance des Canadiens, tout en faisant la sourde oreille aux données scientifiques et aux avis de ses propres médecins. Honorables sénateurs, nous devons cesser de légiférer la moralité. Nous devons cesser de persécuter la liberté personnelle.
Aurez-vous le courage de mettre un terme à la guerre non scientifique menée contre les adultes responsables qui consomment du cannabis? Aurez-vous le bon sens d'offrir à nos enfants de l'information, de la compréhension et de la compassion plutôt que des poursuites et des incarcérations? Aurez-vous la force de parler au nom des Canadiens les plus malades et les plus faibles?
En août, vous publierez un rapport fondé sur ce que vous aurez appris au cours de cette longue procédure d'enquête, et nous espérons que vous formulerez des recommandations fondées sur les principes de la réduction des préjudices et de la tolérance.
Honorables sénateurs, ne permettez pas que ces recommandations restent lettre morte. Évitez que votre rapport final devienne l'équivalent de la prochaine Commission Le Dain, qu'on examinera d'un œil nostalgique dans 30 ans pendant que des Canadiens continuent de souffrir. Je vous prie humblement et simplement d'avoir le courage de mettre un terme à la guerre livrée aux libertés et aux droits personnels. Je vous demande, honorables sénateurs, d'avoir le courage de déclarer la paix à la drogue.
Le sénateur Carney: Monsieur Lucas, vous avez été inculpé plus tôt cette année pour avoir distribué de la marijuana, n'est-ce pas?
M. Lucas: Pour possession en vue de diffusion, oui.
Le sénateur Carney: Dans l'article du Victoria Times, on affirme qu'une décision concernant l'établissement de la peine sera prise à une date ultérieure. J'aimerais savoir ce qui est arrivé. Qu'est-il arrivé dans cette affaire?
M. Lucas: Nous avons eu une audience de détermination de la peine qui a duré un jour et demi. À l'époque, le juge Higginbotham a semblé très sensible aux informations qui lui ont été fournies. Il a demandé un délai additionnel pour préparer une décision écrite et, avec un peu de chance, établir un précédent. Nous le saurons le 5 juillet. C'est à cette date que nous devons comparaître pour connaître sa décision finale.
Le sénateur Carney: Vous n'êtes donc pas encore au courant?
M. Lucas: Non.
Le sénateur Carney: Le jury délibère.
M. Lucas: Le jury délibère, pour ainsi dire.
Le président: Peut-être ne devrions-nous pas faire de commentaires à ce sujet. Si vous souhaitez que le juge exerce toute sa compétence, je pense que nous devrions en rester là.
M. Lucas: Sénateur Carney, je prends ces accusations très au sérieux. Je suis un travailleur des services à l'enfance et un enseignant. Si les accusations sont maintenues, je ne serai plus en mesure de faire mon travail.
Le sénateur Carney: Nous savons, vous l'avez dit, que la question n'a pas encore été tranchée.
Je voulais vous interroger au sujet de votre expérience de la politique de Santé Canada. Je me rends compte qu'il s'agit d'une politique établie par Santé Canada, et la question qui se pose ici est donc de déterminer si elle est efficace. Tout semble indiquer qu'elle ne l'est pas. La question qui s'impose par la suite est donc la suivante: comment la rendre plus efficace? À partir du moment où l'organisme gouvernemental décide de s'engager dans cette voie — que fait-il de mal et que devrait-on faire pour qu'il se révèle plus efficace?
M. Lucas: Je ne vois pas une seule bonne raison qui justifie qu'un bureaucrate d'Ottawa s'interpose entre un patient et son médecin. Si le médecin recommande au patient de consommer du cannabis, la personne qui en a besoin devrait pouvoir en consommer, un point c'est tout. À l'heure actuelle, à titre de personne atteinte de l'hépatite C, je dois, pour que le gouvernement reconnaisse mon droit de consommer de la marijuana à des fins médicales, obtenir la recommandation non seulement d'un médecin, mais aussi de deux spécialistes.
Le sénateur Carney: Quel genre de spécialistes?
M. Lucas: Je dois voir un spécialiste et un gastroentérologue. Il faut huit mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste. En voir deux pourrait prendre jusqu'à 16 mois. Le système est beaucoup trop lourd et beaucoup trop arbitraire.
La Vancouver Island Compassion Society compte 235 membres. Parmi ceux-ci, 15 sont autorisés à consommer à des fins médicales. Ces personnes ne sont pas les plus malades ni les plus brillantes, tant s'en faut. Seulement, elles ont la chance d'avoir des médecins favorables à cette pratique. Puis, elles ont patiemment cheminé dans le système.
Le sénateur Carney: Pouvez-vous me donner davantage de renseignements sur la marche à suivre pour obtenir une autorisation aux termes de la loi et ce qu'on entend par «consommation». L'autorisation se limite-t-elle à la culture ou quoi? Expliquez-nous la politique.
M. Lucas: Je dois obtenir la permission d'un médecin, puis celle de deux spécialistes. C'est pour quelqu'un atteint d'hépatite C. Comme vous le savez tous, cette maladie est en train de devenir un véritable fléau au Canada.
Le sénateur Carney: Il existe donc des scénarios différents selon les maladies?
M. Lucas: Oui, absolument. Il existe trois catégories différentes: la première concerne les maladies terminales et, dans ces cas, la recommandation d'un seul médecin suffit. Par «terminale», on entend que la personne mourra dans un délai de douze mois. Si — par malheur — la personne est toujours vivante après douze mois, elle passe à la catégorie deux. Dans ce cas, elle a besoin de la recommandation d'un médecin et d'un spécialiste. On songe en particulier à des maladies comme le sida, l'épilepsie et l'arthrite chronique. Dans la catégorie trois, on retrouve l'hépatite C, les douleurs consécutives à des blessures et ainsi de suite. Dans de tels cas, on doit obtenir l'approbation d'un médecin et de deux spécialistes.
Il apparaît très clairement qu'un grand nombre de personnes qui avaient obtenu une exemption en vertu du système initial — l'exemption prévue par l'article 66 qui, soit dit en passant, était beaucoup plus facile — ne peuvent obtenir une autorisation en vertu du nouveau système. Je bénéficie toujours de mon ancienne exemption, et j'éprouve beaucoup de difficultés à en obtenir une en vertu du nouveau système.
Le sénateur Carney: Vous avez reçu le document voulu de la part de votre médecin.
M. Lucas: Le document est publié par Santé Canada.
Le sénateur Carney: Santé Canada? Non, vous avez en main une recommandation de votre médecin. Que faites-vous ensuite? Vous avez attendu pendant des mois pour le voir. Vous obtenez un document. Que faites-vous après?
M. Lucas: Je le fais parvenir à Santé Canada, où on le soumet à une évaluation pour déterminer si tout a été fait selon les normes. Comme je l'ai indiqué, il s'agit dans mon cas d'un médecin et de deux spécialistes. Selon notre expérience, la durée de l'évaluation est de trois à six mois. Après, on communique avec vous pour vous dire que l'exemption a été approuvée ou rejetée, ou je ne sais trop quoi.
Le sénateur Carney: De quoi tient-on compte dans l'évaluation?
M. Lucas: Les évaluateurs se demandent si la personne a fait l'essai d'autres médicaments et si ces derniers se sont révélés efficaces ou non.
Le sénateur Carney: Imaginons que je souhaite prendre un médicament contre l'arthrite non assuré par mon régime de soins. Je dois alors montrer que j'ai fait l'essai de quelques autres médicaments avant que le régime n'accepte d'en assumer les coûts. A-t-on affaire au même genre de situation? Devez-vous faire la preuve que vous avez fait l'essai d'autres traitements?
M. Lucas: On doit montrer qu'on a fait d'autres tentatives. Je peux vous en citer un exemple plus spectaculaire.
Il existe un cas célèbre, celui de Terry Parker. Il est atteint d'épilepsie et subit des crises épileptiques. Avant de faire l'essai de la marijuana à des fins médicales, on lui a recommandé une lobotomie.
Le sénateur Carney: Au bout de trois à six mois, l'évaluation revient. Vous avez dû attendre l'avis de vos spécialistes.
M. Lucas: C'est là que le bât blesse, sénateur Carney. Vous avez attendu pendant six mois, et vous avez obtenu la permission du gouvernement. Vous avez dès lors en mains un document qui ne vous mène à rien. Il ne vous assure l'accès à rien parce que, pour le moment, le gouvernement n'a rien à proposer. Vous vous retrouvez malheureusement au même coin de rue, celui-là où vous vous approvisionniez probablement au préalable. Si vous avez la chance de vivre dans l'une des rares villes où se trouve une société de compassion, vous pourrez peut-être vous approvisionner.
Le sénateur Carney: Les titulaires d'une autorisation n'ont donc nulle part où aller?
M. Lucas: Non. Jusqu'ici, Santé Canada a délivré 1 000 documents dans le cadre du programme d'une durée de trois ans. C'est tout ce qu'on offre.
Le sénateur Carney: À Santé Canada, on nous dira peut-être que la ministre a affirmé qu'il existe un problème de qualité et d'uniformité. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. Lucas: À la lumière des besoins médicaux que nous constatons aujourd'hui, notre seule préoccupation devrait porter sur la sûreté du produit, son innocuité. On nous dit maintenant que les responsables ont abouti avec 78 souches au lieu d'une ou deux comme ils le souhaitaient. Naturellement, nous avons proposé nos services et nos connaissances en génétique pour tenter de prévenir le problème. Nous nous rendons aujourd'hui compte que le gouvernement doit consacrer temps et argent pour remédier au problème. Le pire, c'est que des gens comme moi, qui comptent sur un approvisionnement sûr, continuent d'attendre.
Nous pensons que Santé Canada devrait récolter des plantes et des produits et à tout le moins les distribuer aux personnes malades pour des motifs humanitaires. La recherche suivra. Comme vous le savez tous, on a effectué d'amples recherches sur l'innocuité de la marijuana consommée à des fins médicales.
Le sénateur Carney: Maintenant, à Santé Canada, on nous dit qu'on se procure des graines, ou qu'on souhaitait le faire, je ne sais plus, aux États-Unis. Vous avez des commentaires à ce sujet? Pourquoi Santé Canada se tournerait-il vers les États-Unis plutôt que d'acheter au Canada?
M. Lucas: Eh bien, nous sommes très frustrés par l'influence énorme que les États-Unis exercent dans le débat. Le fait qu'ils se considèrent comme les seuls distributeurs légitimes de graines en Amérique du Nord témoigne d'une certaine arrogance lorsqu'on considère que le Canada est en mesure de produire ses propres graines, du moins en Colombie-Britannique.
Le programme du NIDA a réussi à distribuer du cannabis. Le Canada n'est pas le premier pays à agir ainsi. À Santé Canada, on l'affirme souvent. Les États-Unis le font maintenant depuis près de 30 ans. Ils l'ont fait sans qu'on puisse faire état de préjudices majeurs aux personnes qui en ont consommé au cours des 20 dernières années, même si le produit a été jugé inférieur aux normes par toutes les personnes qui en ont consommé ou l'ont examiné. À ce propos, je vous invite à consulter l'étude du Dr Ethan Russo sur les effets à long terme du cannabis, publiée récemment dans le Journal of Cannabis Therapeutic.
Le sénateur Carney: Savez-vous pourquoi on a passé ce marché avec le Manitoba plutôt qu'avec la Colombie- Britannique?
M. Lucas: Ce que nous pensons, c'est que pour des motifs liés à la sécurité, c'est probablement le fait que l'exploitation soit établie au fond d'une mine qui a plu à Santé Canada. Je crois comprendre qu'il s'agit d'un secteur à sécurité supérieure, véritable installation militaire modèle. Ce que je ne sais pas, c'est si on craint que les plans ne s'échappent.
Le sénateur Carney: Les producteurs de la Colombie-Britannique ont soumissionné. Savez-vous ce qui est arrivé à la soumission de la Colombie-Britannique?
M. Lucas: Il semble que les responsables ont jugé que les mines allaient répondre aux préoccupations persistantes en matière de sécurité. Si Santé Canada a agi de la sorte, je me plais à penser qu'elle s'est adressée à deux ou trois organismes différents pour assurer un processus concurrentiel.
Le sénateur Carney: Oui, il serait censé de recourir à une diversité de fournisseurs plutôt qu'à un seul.
Vous dites que, parmi les quelque 200 clients que compte votre organisme, 15 sont autorisés à consommer.
M. Lucas: Oui, 15 ou 20.
Le sénateur Carney: Quel est donc le statut des autres, s'ils ne sont pas autorisés à consommer?
M. Lucas: Ils consomment sans y être autorisés par la loi, mais ils ont tous obtenu la permission d'un médecin pour consommer du cannabis. C'est la même chose que pour toute personne qui doit se procurer un médicament. Pour pouvoir s'inscrire à notre organisme, ils doivent avoir en main une recommandation écrite de leur médecin.
Le sénateur Carney: Pour faire appel aux services de votre organisme sans but lucratif, on doit donc obtenir au préalable une recommandation de son médecin?
M. Lucas: Absolument. Nous téléphonons ensuite au cabinet du médecin ou nous demandons une confirmation par télécopieur. À ma connaissance, nous exerçons des contrôles de sécurité plus stricts que les pharmacies du Canada.
Le sénateur Carney: Oui. Où vous approvisionnez-vous?
M. Lucas: Environ 70 p. 100 du cannabis est cultivé par quelques fournisseurs contractuels. Nous sommes ainsi en mesure de vérifier les conditions de sécurité dans lesquelles les plants sont cultivés et de tenter d'obtenir les caractéristiques génétiques qui, selon notre expérience, conviennent à telle ou telle maladie. Le reste, soit environ 30 p. 100, provient d'une poignée de fournisseurs plus petits. Nous accordons la priorité aux produits biologiques. La sécurité vient toujours au premier rang de nos préoccupations.
Le sénateur Carney: Comment ces vérifications se font-elles?
M. Lucas: On ne peut effectuer des tests pour déterminer un contenu en THC sûr — ou alors on peut le faire, mais c'est très coûteux.
Le sénateur Carney: Effectuez-vous un contrôle de la qualité auprès de vos fournisseurs?
M. Lucas: Absolument. Les conditions de culture jouent un rôle important. La première préoccupation a trait à l'utilisation d'un espace de culture non contaminé et à l'utilisation de produits sûrs. Les méthodes de culture sûres s'apparentent de très près à celles qu'on utilise pour faire pousser des tomates hydroponiques dans une serre. Il existe des engrais et des pesticides répondant aux normes alimentaires. De même, on met l'accent sur les produits biologiques.
Le sénateur Carney: Quelles sont les relations entre votre société et la police de Victoria? J'ai remarqué que le conseil municipal de Victoria était le deuxième de la Colombie-Britannique à se prononcer officiellement en faveur de la décriminalisation de la prescription par les médecins de la consommation de marijuana à des fins médicales. Soit dit en passant, quelle était la première municipalité?
M. Lucas: North Vancouver en 1998.
Le sénateur Carney: Quels sont donc vos rapports avec la police? À la lumière de votre expérience personnelle, il apparaît clairement qu'elle ne fait pas comme si vous n'étiez pas là?
M. Lucas: C'est la police d'Oak Bay qui a procédé à la première descente. Au départ, nos problèmes ont débuté avec la police d'Oak Bay.
Le sénateur Carney: Oak Bay est une municipalité distincte.
M. Lucas: Oui, il s'agit d'une municipalité voisine. Nous sommes aujourd'hui à Victoria, et nous n'avons eu aucun démêlé avec la police locale. Malheureusement, nos rapports doivent demeurer sous le sceau du secret. Dans un monde idéal, nous adorerions établir un lien avec la police, ce qui nous permettrait de régler plus rapidement des problèmes que nous rencontrons périodiquement avec la police, par exemple le harcèlement dont nos membres sont victimes ou la confiscation de leur cannabis.
Le sénateur Carney: La police nous a dit qu'elle n'intentait pas de poursuites dans les cas de possession pour fins de consommation individuelle. N'était-ce pas à Vancouver? Est-ce que vous en avez fait le constat à Oak Bay et à Victoria?
M. Lucas: C'est une très bonne question. En fait, la dernière fois que le sous-comité du Sénat est venu en ville, je me trouvais à New York. J'ai donc présenté un mémoire écrit. Je vous ai alors fourni certaines données sur les arrestations provenant des forces policières elles-mêmes. Je sais que vous obtenez de l'information auprès de nombreuses sources différentes, et j'ai pensé que le site Web de la police constituerait une bonne façon de remédier à ce problème.
Dans son site Web, la police de Vancouver signale que, entre 1999 et 2000 — années pour lesquelles on dispose des statistiques les plus récentes —, le nombre d'arrestations pour consommation personnelle a triplé. On aura beau vous dire qu'on n'appréhende plus ou qu'on n'arrête plus personne pour possession aux fins de la consommation personnelle, les statistiques de la police ne mentent pas. On peut facilement faire les vérifications voulues auprès de la police locale. Ces chiffres se vérifient partout au Canada. En fait, les statistiques de la GRC concernant les arrestations pour consommation personnelle ont également augmenté au cours des dernières années.
[Français]
Tout ce que vous dites ici, M. Lucas, est protégé par l'immunité parlementaire. Vous bénéficiez de l'immunité, et donc, j'ai demandé à ma collègue de ne pas poursuivre sur le sujet. C'est simplement dans votre intérêt, parce qu'un juge va se prononcer sur le sujet.
[Traduction]
Monsieur Lucas, il s'agit ici d'un comité parlementaire. Comme il s'agit d'un comité parlementaire, les membres du comité et les témoins jouissent de l'immunité parlementaire, c'est-à-dire qu'on ne peut intenter des poursuites contre eux pour des propos tenus ici.
En ce qui concerne l'établissement des dossiers et la documentation de tous les membres, votre organisme obéit-il aux mêmes règles et aux mêmes principes que le club de compassion de Vancouver? Votre fonctionnement est-il similaire à celui qu'assure Mme Black au club de compassion de Vancouver?
M. Lucas: Avant de créer l'organisme, j'ai eu la chance de rencontrer Hilary Black, que j'ai l'honneur de considérer comme une amie. Sans son travail acharné et les efforts de son organisme, le dossier de la consommation de marijuana à des fins médicales au Canada ne serait pas là où il est aujourd'hui. Il est certain que nous obéissons aux mêmes principes. Par exemple, nos membres doivent avoir en mains une recommandation de leur médecin. Je songe aussi à la documentation mutuelle de tous les achats effectués. Nous imposons également quelques conditions additionnelles. Depuis, je crois que le club de Vancouver les a lui aussi adoptées. Nous obligeons tous nos membres à signer un contrat dans lequel ils s'engagent à ne pas revendre les produits achetés auprès de notre organisme et à utiliser les produits dans l'intimité de leur foyer. Une fois de plus ce n'est pas à moi qu'il revient de dire à des personnes malades où elles doivent s'administrer leurs médicaments, mais, compte tenu du climat actuel, nous sommes convaincus que tout comportement qui fait courir des risques à nos membres, par exemple consommer dans la région, fait courir des risques à notre organisme. Je suis heureux de dire que le club de Vancouver n'a pas à imposer de telles restrictions à ses membres.
Le président: Êtes-vous favorable au maintien de bonnes relations entre vos membres et un médecin?
M. Lucas: Absolument.
Le président: Le médecin, en effet, joue un rôle clé dans le suivi de l'utilisation de la marijuana à des fins thérapeutiques.
M. Lucas: En ce qui concerne la consommation à des fins médicales, les médecins sont très importants. Pour ce qui est de la consommation à des fins personnelles, c'est, me semble-t-il, une tout autre affaire. J'attire votre attention sur le fait que, à l'heure actuelle, 80 p. 100 de nos membres nous sont directement envoyés par des médecins. Nous sommes en relation avec environ 70 médecins à Victoria, et ils nous envoient directement leurs patients.
Le président: Je sais que vous avez été confrontés à de gros problèmes. J'ai entendu Mme Black à Vancouver. Vous reprochez de grandes choses au règlement actuel. Nous tentons, comme on le dit en politique, de faire au mieux avec presque rien.
Nous devrons commenter le règlement actuel. Nous comprenons votre argument sur le libre accès et l'absence de réglementation, de contrôle gouvernemental à l'égard de la relation entre le médecin et le client. Nous comprenons cela.
M. Lucas: Sénateur Nolin, si ce système fonctionnait, si le système de soins de santé fonctionnait, alors je n'aurais pas à militer pour une décriminalisation complète. À mon avis, le débat serait tout à fait différent. Mais le système, le système de soins de santé, ne fonctionne pas. La seule solution que je vois, c'est la décriminalisation ou la légalisation. J'aimerais aborder ce sujet, si vous avez des questions.
Le président: Nous déposerons notre rapport en août. Nous utiliserons le chapitre qui porte spécifiquement sur l'exécution du nouveau règlement, et nous tiendrons pour acquis que la ministre de la Santé ne regarde que ce chapitre et se dit «Je devrais peut-être apporter des changements au règlement». Elle ne changera pas la loi. Elle tentera seulement de faire quelques manœuvres dans le règlement. Que devrait-elle changer pour l'améliorer?
M. Lucas: Le premier élément qui devrait être changé, c'est que la recommandation d'un seul médecin devrait suffire pour que Santé Canada autorise le traitement d'une personne.
Le président: Un médecin?
M. Lucas: Un médecin.
Le président: Pourrait-il s'agir d'un médecin familial?
M. Lucas: Absolument, un médecin de famille. Si on parle d'un délai d'attente de plus de dix jours pour une demande, nous devrions tenir compte du fait que des gens souffrent.
Le président: Alléger la paperasserie.
Comme vous le savez — je crois qu'il est important de le souligner à quiconque ne connaît pas bien le règlement —, la structure fondamentale du règlement est fondée sur la notion de culture personnelle. C'est l'hypothèse adoptée par le gouvernement pour son règlement. Bien sûr, certains patients ne peuvent, pour des raisons de santé, cultiver leur propre cannabis, alors ils peuvent l'obtenir d'une tierce parce. Cette tierce partie ne peut fournir du cannabis à plus de trois personnes.
M. Lucas: Ils ne peuvent se charger que d'un seul, mais ils peuvent s'occuper de trois sites à un endroit donné.
Le président: Avez-vous quelque chose à dire là-dessus? Lançons le processus de distribution et d'accès à la substance.
M. Lucas: Supposons que je sois très malade: je suis victime de l'hépatite C et je suis incapable de cultiver du cannabis moi-même, car je suis alité. Il est présomptueux pour le gouvernement de supposer que je connais quelqu'un qui voudra le faire pour moi, ou qui sera en mesure de le faire pour moi.
Le président: Cela soulève la question d'un accès sécuritaire et valide à une substance cultivée convenablement.
M. Lucas: Il est important de signaler clairement qu'il n'existe aucune source légale de graines, de sorte qu'il faut enfreindre la loi même si on cultive son propre cannabis. Il faut que quelqu'un vous vende les graines dont vous avez besoin. À l'heure actuelle, aucun consommateur canadien n'a pu faire cette démarche sans au moins enfreindre la loi au moment de l'achat des graines. Quelqu'un doit leur vendre des graines. C'est un système tout à fait déficient.
Le président: Je ne dis pas que la réglementation permettra de résoudre tous les problèmes. Toutefois, je suggère que nous tentions de recommander des changements qui peuvent être apportés rapidement. Bien sûr, nous pouvons recommander que la loi soit changée, mais c'est toute une entreprise. Essayons de penser aux patients: espérons que des changements seront apportés avant Noël.
M. Lucas: Parlons d'une culture à plus grande échelle, alors. En éliminant la règle selon laquelle une personne ne peut cultiver du cannabis que pour une seule autre personne, et en prévoyant qu'une personne peut cultiver pour, disons, 20 personnes, nous pouvons obtenir un modèle financièrement fiable.
À l'heure actuelle, 1 000 Canadiens ont la permission de consommer de la marijuana à des fins médicales. Si une personne ne peut cultiver du cannabis que pour une autre personne, ou si on a trois sites par emplacement — autrement dit, tout le monde a quelqu'un qui cultive pour lui —, nous venons d'autoriser la création de 330 lieux de culture partout au Canada. Cela ne m'a pas l'air d'être la meilleure solution.
Si nous pouvons avoir des organismes, comme des clubs de compassion, et jumeler des cultivateurs d'expérience avec ceux qui en ont le plus besoin, à des fins non lucratives, avec un mandat très clair, nous pouvons établir des sociétés de compassion dont les activités sont essentiellement soumises à un plafond de verre. Nous aimons que tout soit très transparent, de façon que les gens puissent voir nos dossiers financiers et prendre connaissance de nos activités. Je crois que ce serait le meilleur moyen de résoudre le problème immédiatement.
Le président: Compte tenu de la dure réalité du contrôle des drogues illicites et de l'existence du règlement, accepteriez-vous un contrôle gouvernemental de vos activités?
M. Lucas: Je ne crois pas que le gouvernement comprenne nos activités.
Le président: Supposons qu'il les comprenne. Disons que le gouvernement est convaincu qu'il serait avantageux de confier la distribution de la substance aux divers clubs de compassion de partout au pays, mais qu'en échange, ces organismes doivent céder beaucoup de leur autonomie, quelle serait votre réaction?
M. Lucas: Honorables sénateurs, si Santé Canada peut immédiatement aider tous nos 235 membres avec autant de gentillesse, d'efficience et de considération que nous le faisons à l'heure actuelle, alors je serais heureux de céder ma place et de laisser Santé Canada s'en charger. Je ne suis pas convaincu que Santé Canada soit capable de faire cela. Ce ne serait pas un problème.
Le sénateur Carney: Nous avons en notre possession le règlement sur l'accès à la marijuana à des fins médicales de Santé Canada. Outre ce que vous nous avez dit cet après-midi, seriez-vous disposé à nous fournir par écrit des solutions de rechange ou des suggestions d'amélioration du règlement? Cela serait très utile pour le comité. D'ailleurs, vous ne pourriez jamais faire cela en 30 minutes.
M. Lucas: Je suis membre de la Canadian Cannabis Coalition, qui a déjà présenté à Santé Canada un document qui porte spécifiquement sur ce règlement et qui explique comment il peut orienter ses recherches et distribuer le cannabis avec compassion. Je suis heureux de proposer ce document. Notre organisme a aussi rédigé une critique du nouveau règlement, et je remettrai ce document au comité.
Le président: Ne perdez pas de vue que nous tentons non seulement d'apporter des changements à long terme, mais aussi de trouver des changements qui peuvent être apportés à court terme.
Le sénateur Carney: On dit qu'il faut un an ou dix ans pour changer la loi, mais qu'on peut modifier un règlement sur le terrain de golf, à condition de trouver trois personnes pour signer.
M. Lucas: Eh bien, j'espère que les sénateurs sont prêts à rappeler à Santé Canada que cela ne découle pas d'une initiative spontanée de leur part. Les tribunaux leur ordonnent de le faire, et, à mon avis, il ne tient pas compte du mandat que les tribunaux lui ont confié.
Le président: Cela ne constituera qu'un seul chapitre du rapport. Nous avons ce nouveau règlement. Nous aurions commenté l'article 56, mais il ne figure plus dans le nouveau règlement. Nous commenterons le nouveau règlement.
M. Lucas: Je vous incite aussi à examiner l'article 53. Cet article porte sur le pouvoir du médecin de prescrire toute substance qui, selon lui, aura des effets bénéfiques sur le patient. Merci beaucoup.
Le président: Merci.
Accueillons maintenant Mme Linda Barnes conseillère municipale de la Ville de Richmond.
Mme Linda Barnes, conseillère municipale, Ville de Richmond: À titre de représentante de la ville et de sa stratégie relative aux drogues, je vous remercie de votre accueil. Je suis présidente du comité pour la sécurité communautaire, qui se penche sur toutes les questions touchant l'application de la loi à Richmond. Je suis aussi présidente du projet de stratégie relative aux drogues à Richmond. Je suis ici pour vous donner un bref compte rendu de la situation dans notre ville, et des mesures liées à notre stratégie relative aux drogues.
L'histoire de notre stratégie remonte à 1999, époque à laquelle Richmond était confrontée à une montée de la criminalité liée aux drogues. Nous avons examiné le nombre imposant de lieux de culture de la marijuana à Richmond. En plus d'alimenter le commerce de drogues illicites, ces lieux de culture présentent un grave danger pour la sécurité, en raison du risque d'incendie et de destruction, favorisent la dévaluation des propriétés, menacent la sécurité et le sentiment d'ordre public, et occasionnent de violentes entrées par effraction et d'autres crimes connexes.
Nous sommes confrontés à un nombre élevé d'infractions et de délits connexes. En outre, la ville connaissait une hausse du nombre de crimes contre les biens. La police considère que jusqu'à 80 p. 100 des crimes contre les biens sont liés au commerce de la drogue ou sont perpétrés par des toxicomanes qui cherchent à s'approvisionner. En mars 2000, à la lumière de ces préoccupations, l'ancien maire a recommandé que la ville établisse un groupe de travail, constitué de piliers communautaires et d'intervenants, afin d'examiner les enjeux liés aux drogues et à la criminalité. La création du groupe de travail s'inspire du succès connu par la coalition communautaire établie par la Ville de Vancouver pour examiner des enjeux similaires.
En 2000, le groupe de travail a mené des recherches et tenu des discussions en vue de rédiger une stratégie globale et un plan de travail. On a élaboré un plan étendu fondé sur cinq piliers, soit les quatre piliers classiques que seront l'éducation, la prévention, le traitement et la réduction des méfaits et l'exécution, et un cinquième pilier, soit la coopération interorganismes, considéré comme faisant partie intégrante de cette stratégie. Le plan de travail préliminaire, qui s'assortissait de nombreuses recommandations liées aux cinq piliers, a été présenté à la collectivité, à l'occasion de consultations, en vue d'obtenir une rétroaction. Le conseil a affecté des fonds pour la mise en œuvre de ces recommandations.
Au début de 2001, on a procédé à un remaniement majeur de la structure municipale, ce qui a mené à l'établissement de la nouvelle division de la sécurité communautaire, que je viens de mentionner. Cette division innovatrice regroupe sous une seule unité administrative, une combinaison de services — la GRC, la prévention des incendies et les services d'urgence — et l'exécution des règlements administratifs. Elle a été conçue de façon à assurer une intégration et une coordination accrues des services municipaux chargés des questions de sécurité publique. La responsabilité à l'égard du groupe de travail sur les drogues et la criminalité a été attribuée à la nouvelle division de la sécurité communautaire, et on a remis à plus tard la prise de mesures, jusqu'à ce qu'on adopte une vision et une stratégie pour la nouvelle division.
Vers la fin de 2001, la ville a obtenu du financement, dans le cadre du programme pilote de la FCM, pour l'élaboration d'une stratégie municipale relative aux drogues. Cet argent a permis à la ville de commencer et de terminer le travail entrepris par le groupe de travail précédent. On m'a chargée d'agir à titre de personne-ressource du conseil pour le programme.
Mon personnel et moi-même avons créé un groupe de travail qui, à la lumière des directives du conseil, élabore un plan pour la mise en œuvre de cette stratégie. On s'affaire actuellement à établir un comité consultatif constitué d'intervenants de la collectivité, dont le mandat consistera à formuler des commentaires concernant l'élaboration de la stratégie. On effectuera une évaluation des besoins au cours de l'été. On prévoit tenir des consultations supplémentaires auprès de l'ensemble de la collectivité avant de procéder à la rédaction de la stratégie.
Le travail de l'ancien groupe de travail a fourni une bonne base pour l'élaboration d'une stratégie municipale relative aux drogues. Le groupe a recueilli beaucoup d'informations et a fait du travail préliminaire auprès de la collectivité, en vue de connaître les problèmes et les préoccupations de la population. Nous allons nous inspirer de tout cela pour élaborer un plan d'action à l'égard des préoccupations soulevées. À l'heure actuelle, nous nous attachons à peaufiner ces recommandations et à concevoir un plan d'action qui est réalisable et qui donne des résultats mesurables à l'échelon local, grâce à une coopération avec les organismes communautaires. La coopération interorganismes est essentielle au succès de toute stratégie relative aux drogues. L'isolement ne permet pas d'apporter des solutions durables.
Les solutions doivent transcender les frontières organisationnelles et gouvernementales afin qu'on puisse s'attaquer aux causes profondes des problèmes liés aux drogues et mobiliser toutes les ressources nécessaires pour trouver des solutions. Il y a des limites à ce que nous pouvons faire à l'échelon local. Nous tentons de regrouper les efforts des organismes locaux, de les rassembler en vue de fournir une tribune qui leur permettra d'accéder aux organisations qui peuvent réellement offrir les services et le financement nécessaires pour y parvenir.
L'administration municipale a peu d'influence directe sur les lois relatives aux drogues ou les services connexes de traitement, d'éducation, de prévention et de réduction des méfaits — c'est votre travail. Toutefois, la ville croit avoir un rôle important à jouer, et, à cette fin, elle prend l'initiative et coordonne les efforts des divers organismes locaux et des intervenants à l'égard de questions touchant la drogue. Nous nous attendons à ce que notre nouvelle stratégie soit prête au début de 2002.
Nous n'avons pas prêté une attention particulière aux enjeux liés à la marijuana et (ou) à la décriminalisation. Je crois qu'il serait inapproprié pour la ville ou le conseil municipal d'émettre des commentaires sur cette question avant d'avoir eu vraiment l'occasion de consulter pleinement nos intervenants et la collectivité, de jauger les opinions et d'élaborer une stratégie relative aux drogues qui refléterait le consensus communautaire. Nous n'en sommes pas encore là. Nous sommes en quelque sorte au milieu de notre démarche. En attendant, nous continuons de nous pencher sur des questions liées aux drogues, comme les cultures clandestines et d'autres crimes connexes.
Le surintendant Clapham, officier responsable à Richmond, témoignera devant votre comité plus tard. Il parlera de certaines initiatives que nous avons prises. L'une de ces initiatives est Operation Green Clean. Brièvement, ce programme suppose un effort concerté de la GRC, des services d'incendie, des services d'exécution des règlements administratifs et d'autres organismes dans le cadre d'une initiative coordonnée d'éducation et d'exécution pour sensibiliser le public aux problèmes liés aux cultures clandestines, et à prévenir la multiplication des lieux de culture dans la collectivité.
L'initiative s'est révélée un franc succès, comme le décrira plus en détail le surintendant Clapham. Le programme est efficace et montre ce qu'on peut accomplir lorsqu'on assure une coopération efficace entre les organismes. Nous croyons pouvoir répéter ce succès dans d'autres domaines, y compris la prévention, l'éducation et le traitement, en collaborant avec les autres intervenants de la collectivité en vue d'élaborer notre stratégie municipale globale relative aux drogues.
Voilà donc où en est la Ville de Richmond dans sa démarche pour élaborer une stratégie relative aux drogues. Comme je l'ai déjà dit, nous n'estimons pas avoir accumulé suffisamment d'informations pour prendre position au nom de la collectivité.
Toutefois, j'aimerais vous parler un peu de mes sentiments personnels et des questions auxquelles j'ai été confronté, à titre tant de citoyenne que d'intervenante auprès des jeunes d'une école secondaire. Je ne tiens pas à commenter la politique de l'école en la matière.
J'ai fait remarquer que nos jeunes reçoivent des messages contradictoires. Ils ne savent pas si la marijuana est légale ou illégale. Je le constate lorsque je parle aux jeunes, lorsque je dois parler aux jeunes qui viennent d'être suspendus. D'une part, ils croient qu'il est socialement acceptable de consommer de la marijuana. Mais d'autre part, si on les prend, on les suspend et (ou) on les arrête. On leur transmet vraiment un message contradictoire.
Voici une anecdote intéressante: à l'occasion de la visite d'un agent local de la GRC, un groupe de jeunes récemment suspendus a déclaré ce qui suit: «Si nous avions su que c'était si grave, nous ne l'aurions jamais fait.» Le message que nous transmettons aux jeunes est, selon moi, très, très difficile à comprendre. Ils ne savent pas quoi penser. La ligne est floue. Les jeunes disent aussi: «Vous auriez dû nous le dire que cela se produirait.» Maintenant, ils sont avertis. Ils ont tous été avisés des règles dès le début de l'année. Mais ensuite, les jeunes reçoivent un message contraire de leurs pairs, de la société, de tout le monde, et ils oublient ce que nous leur avons dit, ou du moins c'est ce qu'ils prétendent. Ils ne semblent pas comprendre qu'ils contribuent à la prolifération des cultures clandestines, ainsi qu'aux dangers et aux problèmes de criminalité qui sont liés à cette culture. Ils ne voient pas qu'il y a un lien avec les autres drogues.
On entend souvent que les gens qui étaient adolescents pendant les années soixante et soixante-dix l'ont fait, et qu'ils ne s'en portent pas plus mal aujourd'hui. Les jeunes ne voient pas le lien. Je sais que de nombreuses études disent le contraire, mais ils ne voient pas que leur consommation ou leur vente de marijuana contribue au crime organisé.
Ce sont là quelques commentaires que je voulais partager avec vous. Ils proviennent des jeunes. Les jeunes éprouvent de la difficulté à comprendre le message contradictoire qu'on leur transmet.
Le président: Professionnellement, vous participez à l'éducation des jeunes. Quel type d'information leur transmet- on actuellement, et qui la leur transmet? Qui leur parle non pas de l'illégalité de la substance et des sanctions sévères liées à la consommation, mais bien des drogues en général? Je parle ici de l'alcool, du tabac et des diverses substances psychotropes, y compris les substances illégales.
Quel type de renseignements donne-t-on aux jeunes? Je fais référence aux trois premiers des quatre piliers que nous connaissons.
Mme Barnes: Les jeunes reçoivent beaucoup d'informations, tant à l'école que dans la collectivité. On leur lit le règlement de la commission scolaire, on leur présente le point de vue de l'administration, et on explique les conséquences. Autrement dit: «Si vous faites ceci, vous pouvez vous attendre à cela.» Nous nous assurons que tout le monde entende ce message au début de l'année scolaire.
Toutefois, tout au long de l'année, ce message peut s'estomper dans l'esprit d'un jeune de 14 ou 15 ans. Si l'enfant, le parent ou l'école veut de l'information, les sources sont nombreuses. Toutefois, il faut faire l'effort de trouver l'information, et ce n'est pas exactement l'effort des jeunes. Je ne suis pas certaine que cela répond à votre question.
Le président: Oui, la situation est comparable dans le reste du pays. Nous éprouvons de la difficulté à comprendre quels renseignements il faut transmettre pour obtenir des résultats. Je sais que le sénateur Kenny a beaucoup étudié cette question dans le domaine du tabagisme. Pourquoi le message est-il si clair pour un grand nombre de Canadiens, mais qu'il ne rejoint pas ceux qui sont vraiment concernés?
Cela me trouble. Tout le monde parle d'éducation et d'information, mais ce n'est pas nécessairement ce que nous faisons ici. Prévoir une foule de sanctions et établir une liste de choses à faire et à ne pas faire. Bien sûr, certains diront: «Vas-y, fais-le. Ce sera «cool» de le faire, car tout le monde sera contre toi.» Et c'est le genre de dilemme auquel nous sommes confrontés.
Le sénateur Kenny: La description de votre démarche d'éducation me donne un peu l'impression qu'il s'agit d'une description des règles à suivre. C'est bien cela?
Mme Barnes: Oui.
Le sénateur Kenny: Essentiellement, vous dites: «Si vous faites ceci, alors les conséquences seront les suivantes.» Est- ce que, dans votre école, l'éducation sur les drogues se résume à cela?
Mme Barnes: Cela n'est qu'un volet de la démarche.
Le sénateur Kenny: Pouvez-vous décrire l'autre volet de la démarche d'éducation dans les écoles?
Mme Barnes: Cela varie d'une école à l'autre. Nous offrons des cours de planification professionnelle et personnelle qui s'assortissent d'un volet sur la prise de décisions éclairées. Nous faisons aussi appel à certains groupes, comme le RADAT, le Richmond Action Drug and Alcohol Team, groupe qui travaille avec les personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie. Ce type d'activité est offert, sous diverses formes, à tous les étudiants de Richmond. De plus, on dispense des services de counselling aux étudiants qui éprouvent des difficultés.
Le sénateur Kenny: Qu'entendez-vous par «difficultés»?
Mme Barnes: Si un étudiant s'absente pour un certain temps, si on craint qu'un étudiant ne soit en difficulté et ne coure le risque d'abuser des drogues ou de l'alcool, ce genre de choses.
Le sénateur Kenny: Qu'entendez-vous par «abus»?
Mme Barnes: Toute consommation dont l'école peut avoir connaissance, surtout sur ses terrains. C'est en quelque sorte là que nous jouons notre rôle limité. Par contre, si un étudiant dit «non, je ne consomme pas dans la cour d'école, mais je consomme à l'extérieur», nous recommanderons que ce jeune voie un intervenant et nous veillerons à ce qu'il ait accès à des services externes d'éducation ou de counselling.
Le sénateur Kenny: Quel âge ont les intervenants?
Mme Barnes: L'âge des intervenants varie d'une école à l'autre.
Le sénateur Kenny: Y a-t-il des services d'intervention par les pairs? Est-ce que des jeunes parlent à d'autres jeunes?
Mme Barnes: Puisque les méthodes de chaque école diffèrent un peu, j'hésite à émettre un commentaire pour toutes les écoles. Je sais que certaines écoles sont dotées de programmes d'entraide des jeunes, et de programmes d'enseignement par les pairs. Mais j'hésiterais à commenter cette question. Je crois qu'il y en a, mais je ne peux l'affirmer avec certitude.
Le sénateur Kenny: J'ai l'impression que la question fait partie de ces sujets où la communication entre les générations est difficile. C'est comme parler de sexualité avec un membre d'une autre génération: les parents ont de la difficulté à en parler avec leurs enfants, et vice versa. La majeure partie de l'information provient des pairs. Si cela est le cas, êtes-vous en mesure de déterminer si le counselling par les pairs est efficace, ou si les adultes ou les jeunes conseillers arrivent à communiquer efficacement?
Mme Barnes: Je ne peux que vous relater des anecdotes. Je ne possède pas les compétences professionnelles pour répondre à ces questions. Les groupes de pairs sont importants pour les enfants. Par contre, une relation avec une personne de mon âge peut se révéler tout aussi efficace qu'une relation avec un membre du même groupe d'âge. Il est, certes, plus facile pour les jeunes de communiquer avec d'autres jeunes, formés à titre de conseillers ou de relations d'aide, car, bien souvent, ils se retrouvent au bon endroit au bon moment; les adultes n'ont pas nécessairement tendance à se tenir dans la cour d'école. Toutefois, je crois que lorsqu'on noue une relation avec une jeune personne, l'âge est beaucoup moins important.
Le sénateur Kenny: Quelles sont les valeurs inhérentes aux services de counselling dispensés par l'école?
Mme Barnes: Il s'agit de services personnalisés, très individuels. Je ne voudrais pas formuler de commentaires sur ce sujet, car, selon moi, l'approche varie d'une personne à l'autre.
Le sénateur Kenny: Y a-t-il un programme ou un syllabus? Les conseillers en orientation sont sûrement soumis à certaines directives. A-t-on analysé ces directives afin de déterminer si elles sont neutres?
Mme Barnes: C'est une très bonne question. Je ne le sais pas.
Le sénateur Kenny: Je vous pose la question, car hier soir, à Saskatoon, nous avons entendu le témoignage d'étudiants qui avaient accepté, si vous voulez, le message des conseillers, jusqu'à ce qu'ils apprennent que leurs parents consommaient. L'hypocrisie de la chose les a offensés.
Mme Barnes: Oui.
Le sénateur Kenny: J'essaie de déterminer comment on peut orienter les jeunes au chapitre du tabagisme. Je sus très conscient des quatre principaux facteurs de motivation, soit la perte de poids, l'influence des pairs, le désir d'émuler son idole et la rébellion. Ce dernier facteur s'applique autant à la consommation de marijuana qu'au tabagisme.
Mme Barnes: Je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point.
Le sénateur Kenny: L'influence des pairs a le même impact. Si tes camarades pensent d'une certaine façon, tu as tendance à te rallier pour te sentir accepté.
Mme Barnes: Je suis, évidemment, une enfant des années soixante et soixante-dix, et c'est certainement l'une des questions que me posent les étudiants. Dans mon cœur, la réponse est non. Je leur réponds ce qui suit: «Ce n'est pas quelque chose que j'ai fait étant jeune, mais tu dois faire tes propres choix. Nous parlons de tes choix, des dilemmes qui se présentent à toi, et de ta façon de prendre des décisions.»
Nous les réorientons afin qu'ils réfléchissent. Il est certainement hypocrite pour un parent de dire «Je fume» ou «Je bois» ou «Voici les problèmes que tu dois éviter, et voici pourquoi». L'enfant répondra toujours: «Oui, mais si tu le fais, c'est sûrement acceptable.» Tout adulte, qu'il soit conseiller, parent ou voisin, sera confronté à ce type de questions. Toutefois, est-ce que cela signifie que nous ne voulons pas que nos enfants ou nos jeunes soient mieux que nous ou apprennent de nos erreurs?
Le sénateur Kenny: La question qui, selon moi, s'impose est la suivante: «Est-ce une erreur?»
Mme Barnes: Je crois que l'enfant doit décider lui-même d'enfreindre la loi ou de ne pas l'enfreindre. Je préfère qu'un jeune prenne une décision éclairée, en toute connaissance des conséquences juridiques et sociales et des effets sur la santé, de sorte qu'il comprenne la portée de son geste, au lieu de se contenter de dire «Je me rebelle, car j'ai 15 ans.»
Le sénateur Carney: Mes questions touchent deux aspects: premièrement, j'estime que votre déclaration selon laquelle nos jeunes reçoivent un message contradictoire est très utile. Toutefois, j'ajouterais que le fait de dire aux jeunes qu'ils ont le choix d'enfreindre la loi ou pas contribue aussi, selon moi, à brouiller les cartes. C'est du moins ce que me dit mon expérience de parent.
Au moins le tiers de la population de Richmond est asiatique.
Mme Barnes: Plus.
Le sénateur Carney: Quel est le chiffre, environ 40 p. 100 maintenant?
Mme Barnes: Oui.
Le sénateur Carney: Y a-t-il des différences culturelles en ce qui concerne la consommation de marijuana par les jeunes dans les écoles? A-t-on observé une différence culturelle entre les jeunes Asiatiques et les autres?
Mme Barnes: Nous comptons recueillir ces données pendant l'été. Je ne possède pas les chiffres nécessaires pour répondre à cette question, mais c'est certainement l'une des questions que je poserais.
Le sénateur Carney: Ce serait intéressant, compte tenu des aspects que vous avez soulevés à l'égard du milieu familial.
Comment la consommation de marijuana chez les étudiants se compare-t-elle à la consommation d'alcool et de tabac, substances qui leur sont également interdites: est-elle supérieure, inférieure ou à peu près la même?
Mme Barnes: Encore une fois, je ne dispose pas de statistiques précises. Si cela vous est utile, je peux vous donner mon point de vue.
Le sénateur Carney: Oui.
Mme Barnes: Je dirais que la consommation de cigarettes chez les étudiants est supérieure, suivie de l'alcool et de la marijuana.
Le président: Dans cet ordre?
Mme Barnes: Oui. Toutefois, je tiens à souligner que cela correspond uniquement à ce que j'ai observé.
Le sénateur Carney: Oui, mais cela nous aide à cerner le problème.
Le président: Allez-vous recueillir de l'information sur ce sujet cet été?
Mme Barnes: Oui, je crois que cette question sera visée par notre enquête.
Le président: Disposez-vous d'un gros budget?
Mme Barnes: Non.
Le président: Faites du bon travail. Prenez plus de deux mois et faites du bon travail. À l'heure actuelle, seulement deux provinces disposent de telles données. À l'échelon fédéral, les données les plus récentes remontent à 1994.
Mme Barnes: Je sais que c'est très difficile.
Le président: C'est très difficile et très coûteux. Toutefois, si vous disposez des ressources nécessaires, vous devriez le faire. Nous vous encourageons à le faire, mais aussi à le faire convenablement.
Le sénateur Carney: C'est aussi une question de déclaration volontaire. On est réticent à se décrire comme consommateur.
Le président: Deux provinces ont confié cette recherche à des chercheurs et à des scientifiques, et, dans la province de Québec, on a mis un an et demi pour obtenir des données solides. Lorsqu'on établit la liste des substances psychotropes, la première est l'alcool.
Le sénateur Carney: J'aimerais revenir aux initiatives communautaires que vous avez lancées en vue d'élaborer votre politique relative aux drogues. D'après les renseignements dont nous disposons, le service de police de Vancouver estime que de nombreux problèmes à Vancouver découlent de la périphérie. On pense notamment à Surrey, qui est une source de problèmes et qui est liée au commerce de la drogue et à la criminalité à Vancouver. Si on me demande de faire un rapport, j'aurais tendance à parler de Surrey et Vancouver. Je ne penserais pas nécessairement à Richmond.
Vous affirmez que le groupe de travail de Richmond examine le contexte local afin de cerner l'étendue du problème et de trouver des solutions pertinentes dans la collectivité. Pourquoi avez-vous entrepris une telle initiative? Disposez- vous de statistiques montrant un lien entre la consommation de drogues et la criminalité, ou tentiez-vous seulement de découvrir si un tel lien existe?
Mme Barnes: La majeure partie de l'information dont nous disposons est anecdotique, car il est difficile d'obtenir des chiffres précis. Nous examinons certaines statistiques de la GRC. De plus, nous étudions les manifestations de la criminalité afin de trouver un exemple, de cerner les endroits criminalisés, de déterminer où les arrestations ont lieu, où se trouvent les gens liés à l'activité criminelle. Il y a certaines sources d'information.
Incidemment, les jeunes affirment plutôt candidement qu'il est beaucoup plus facile de trouver ce que l'on cherche dans les rues de Vancouver. À leur avis, il suffit d'arpenter certaines rues connues et d'attendre qu'on nous offre toutes sortes de drogues. Le phénomène est beaucoup plus caché à Richmond. Je ne dis pas avec certitude que nous avons un problème. Mais la situation m'a l'air différente. Par conséquent, nos besoins sont différents. Et les mesures que nous prenons sont différentes.
Le sénateur Carney: J'ai une dernière question: la stratégie que vous élaborez actuellement s'inscrit-elle dans le contexte judiciaire actuel en matière de drogues, ou examinez-vous aussi les possibilités en matière de décriminalisation ou de changements?
Mme Barnes: Non. Nous nous attachons uniquement au cadre actuel.
Le sénateur Carney: À la situation telle qu'elle est?
Mme Barnes: C'est cela.
Le président: J'ai une question à vous poser au sujet de la prévention. Elle est peut-être tendancieuse, mais je la pose quand même: de quel type de prévention parlez-vous?
Mme Barnes: Prévention de?
Le président: Prévention du crime ou prévention de l'abus de drogue ou d'alcool? Lorsque je lis votre documentation, je conclus qu'il est question de prévention de la criminalité.
Mme Barnes: Effectivement. Personnellement, j'irai un peu plus loin. Il s'agit de prévention de la consommation.
M. Ward Clapham, surintendant, GRC: Honorables sénateurs, j'aimerais vous présenter un bref exposé et ensuite entendre vos questions.
Je suis l'agent responsable du détachement de la GRC à Richmond. J'aimerais commencer par remercier les membres du comité au nom du détachement de Richmond. Au cours de mes 22 ans à titre d'agent de la paix, j'ai été agent d'infiltration pendant cinq ans, surtout dans le domaine de la lutte antidrogue. Je parle au nom des 210 agents de la GRC du détachement de Richmond, le troisième en importance au Canada. Le détachement de Richmond est considéré comme l'un des services de police les plus progressistes au Canada. Nous saluons votre initiative consistant à examiner les enjeux de la politique relative aux drogues.
J'aimerais vous présenter quelques statistiques générales. Dans notre province, la production de marijuana est généralement désignée au moyen de l'expression «site de culture». En 1998, à Richmond, 49 sites de culture ont été signalés; en 2001, le nombre de sites signalés passait à 366; et nous estimons à 392 le nombre de sites de culture dans notre ville pour 2002.
Une question s'impose: combien de sites n'ont pas été signalés? Combien de sites n'ont pas été repérés? Je ne peux vous donner une réponse exacte, car j'ignore si nous repérons 25 p. 100, 50 p. 100 ou 10 p. 100 des sites. Cependant, les membres de l'équipe, les agents de police du détachement, étaient débordés par le nombre de plaintes liées aux sites de culture.
En octobre dernier, nous avons établi Operation Green Clean, démarche globale et holistique pour lutter contre les sites de culture. L'initiative est le fruit d'un partenariat entre l'administration municipale, les équipes des services intégrés de Richmond, les propriétaires de maison, les entreprises de gestion immobilière, les voisins, les médias, la direction de la location résidentielle, des volontaires de la police communautaire et British Columbia Hydro.
Nos buts à court terme étaient de sensibiliser les locateurs, de réduire le nombre de sites connus de culture de la marijuana, de veiller à ce que les bâtiments déjà utilisés pour la culture soient sécuritaires, et de réduire le risque d'incendie et de blessure pour les citoyens de Richmond.
Notre première mesure a consisté à tenir un certain nombre de rencontres avec divers représentants et partenaires, y compris le service de la construction, les services de santé et le procureur de la ville. Richmond est doté d'une division de la sécurité communautaire — la seule, je crois, au Canada —, constituée du service de prévention des incendies de Richmond et de la GRC. Operation Green Clean s'assortit d'un volet sensibilisation, soit le dépliant que nous vous avons remis, qui explique le fonctionnement de l'initiative Green Clean.
Nous cherchons aussi à sensibiliser les locateurs. Nous offrons une séance d'information de 90 minutes à l'intention des propriétaires de logements unifamiliaux. Nous abordons certains aspects de la prévention de la criminalité: ce qu'est un site de culture de la marijuana; les dommages et les pertes financières liés aux sites de culture; les problèmes liés aux déclarations de sinistre; les méthodes d'évaluation préliminaires des locataires éventuels; une brève explication de la Landlord and Tenancy Act de la Colombie-Britannique, et du Crime-free Addendum; et les méthodes pour évaluer continuellement sa propriété. Nous avons aussi lancé une vaste campagne médiatique pour annoncer la séance d'information, ainsi qu'une stratégie de communication visant à sensibiliser l'ensemble de la collectivité.
L'initiative prévoit aussi un volet exécution. Il s'agit d'un groupe spécial d'agents de police qui s'attaquent aux sites de culture dans la ville, en vue de les démanteler et de mettre fin à leurs activités. Nous travaillons actuellement avec la Ville de Richmond en vue d'élaborer un règlement administratif relatif aux inspections de sécurité. Nous nous affairons à rédiger des énoncés d'incidences communautaires pour montrer aux tribunaux tout le mal qu'un site de culture et que la marijuana peuvent apporter à la collectivité. De plus, des agents de liaison se rendent dans les écoles pour parler de la marijuana et des sites de culture de marijuana.
L'un des aspects criants liés aux sites de culture de la marijuana, c'est que la majorité des dossiers occasionnent des infractions supplémentaires, comme des inondations, les feux électriques, les introductions par effraction, le vol, l'invasion de domiciles, l'agression sexuelle. Il y a eu un homicide au cours des deux dernières années, à l'occasion d'une tentative d'introduction par effraction et de vol qui a mal tourné dans un site de culture de marijuana.
En 1998, sur 405 cas signalés de possession de moins de 30 grammes de marijuana, 55 personnes ont été inculpées; en 2000, sur 700 cas signalés, 40 ont été inculpées, et en 2001, 30 des 605 cas signalés ont mené à une inculpation. En raison de l'accent marqué que nous plaçons sur le problème de la marijuana — qui est en croissance —, les statistiques relatives à nos activités touchant l'héroïne ont baissé considérablement. En 1998, 86 infractions liées à l'héroïne ont été signalées; et en 2001, seulement 38 cas ont été signalés, ce qui a mené à huit inculpations. C'est un domaine axé sur le signalement spontané. Les enquêtes relatives à l'héroïne sont les plus difficiles. Les activités liées à ce type d'enquête ont baissé, en raison de nos efforts touchant la marijuana.
Le sénateur Carney: Vous n'avez pas précisé combien des 86 cas signalés ont mené à une inculpation.
M. Clapham: Je n'ai pas les chiffres ici, désolé. Je n'ai pas cette information dans mes notes.
En ce qui concerne la légalisation de la marijuana, nous nous opposons à la légalisation de toute substance actuellement illicite. En ce qui concerne la décriminalisation de la marijuana, nous nous opposons à la décriminalisation de toute substance actuellement illicite. Nous ne soutenons aucune initiative qui encourage et accroît l'usage d'une substance illicite.
Ceux qui font le trafic de drogues illicites détruisent des vies, des ménages et des collectivités. Les collectivités doivent être protégées, et ces contrevenants doivent être poursuivis, et pour cela il faut utiliser toutes les ressources de la loi. La décriminalisation et la légalisation ne sont pas des solutions viables.
Depuis sept ans, partout au Canada et aux États-Unis, je donne des conférences, j'enseigne et je participe activement à des initiatives de police communautaire. La police communautaire consiste à résoudre les causes profondes en établissant un partenariat avec la collectivité. Si vous me demandiez quel est l'avenir de la police communautaire, je vous répondrais que son avenir réside dans l'intégration: l'intégration des services et l'intégration des efforts en vue de s'attaquer aux causes profondes grâce à l'établissement de partenariats, pour que notre collectivité reste saine, accueillante et sécuritaire.
La division de la sécurité communautaire de la Ville de Richmond regroupe les services de police et de prévention des incendies, le service d'exécution des règlements administratifs, le programme de mesures d'urgence, les services de gestion d'urgence et les services environnementaux sous un seul gestionnaire, en vue de travailler ensemble et d'adopter une approche plus intégrée, car nous reconnaissons qu'il n'y a qu'un seul contribuable. Nous commençons à travailler d'une façon plus intelligente. À titre d'exemple de cette intégration des activités municipales, la ville s'est jointe à l'initiative Green Clean afin de participer aux activités de prévention, de sensibilisation et d'éducation.
Je crois que nous devons nous attaquer à la question des drogues de la même façon. L'intégration a permis à la collectivité de reconnaître que le problème des drogues est l'affaire non pas de la police, mais de l'ensemble de la collectivité. Nous devons donc adopter une approche intégrée pour résoudre le problème de la drogue. L'exécution des lois relatives aux drogues n'est qu'une partie de la solution. Nous devons intégrer notre approche afin qu'elle comprenne le traitement, la réadaptation, la prévention, l'éducation, la sensibilisation et l'exécution de la loi.
Nous craignons que la limite en ce qui concerne les drogues ne soit déjà floue. Elle est floue, car les premières drogues d'escalade sont la nicotine et l'alcool. En décriminalisant ou en légalisant la marijuana, on brouillerait les cartes davantage. Autrement dit, tout déplacement vers la décriminalisation ou la légalisation de la marijuana affaiblira nos objections morales à l'égard de la consommation de drogues. Un tel déplacement affaiblira aussi la perception des risques liés à la consommation.
J'aimerais soulever deux exemples où la perception des risques s'est déjà affaiblie. Mon premier exemple concerne le jeu. Dans notre localité, il y a un casino sans machine à sous. Il y a actuellement un débat dans la collectivité sur la possibilité d'étendre les activités de jeu et de permettre l'installation de machines à sous dans le casino. Je ne commenterai pas les enjeux moraux liés à ces limites floues.
Le président: La Cour suprême tranchera cet automne.
M. Clapham: Le problème, c'est que la ligne est déjà floue dans le domaine du jeu. Un autre exemple de l'affaiblissement de la perception du risque dans notre province est lié à la volonté des marchands de bière et de vin d'offrir des spiritueux. Encore une fois, on se pose la question: quelle est la différence? Maintenant que la ligne est floue, beaucoup de gens disent: «Eh bien, on peut y acheter de la bière et du vin. Pourquoi ne pourrions-nous pas acheter du fort dans les magasins offrant déjà de la bière et du vin?»
Appliquons maintenant notre question à la marijuana. Si nous la décriminalisons ou si nous la légalisons, où s'arrêtera-t-on? Que dira-t-on à nos enfants? Il est acceptable de fumer de la marijuana, mais pas du haschich? Ne prends pas d'ecstasy, mais peut-être un peu de cocaïne? Nous sommes préoccupés par cette ligne floue.
Quel message transmettrait-on à nos jeunes? À titre d'agents de police, nous estimons que le résultat serait désastreux. Est-ce que nous voulons dire à nos enfants qu'il est acceptable de consommer de la drogue? À la lumière de mon expérience, le cannabis est le tremplin qu'utilisent la plupart des jeunes pour plonger dans le monde des drogues illicites. Ils ne se réveillent pas un matin avec l'idée soudaine de consommer de l'héroïne.
C'est un problème à Richmond, comme dans toute autre ville. Il est donc essentiel d'envisager le cannabis non pas de façon isolée, mais dans le contexte du continuum de la consommation de drogues.
La plupart de nos jeunes respectent les lois relatives aux drogues et sont conscients des risques des drogues. Pourquoi renoncer à cela? La sécurité des jeunes est l'une des priorités de la GRC. C'est aussi une priorité pour la GRC de Richmond. Nos enfants, nos jeunes à risque, sont particulièrement vulnérables.
La teneur en THC du cannabis, normalement de 5 p. 100, est maintenant jusqu'à cinq fois plus élevée, jusqu'à 31 p. 100, que le cannabis que la plupart des adultes ont consommé pendant les années 60 et 70. Au fil des années, j'ai vu comment le cannabis mine la sécurité et le mieux-être communautaire, accroît la criminalité et cause des problèmes à nos jeunes.
Tout le monde a une opinion. À titre de service de police national, nous avançons que notre opinion est très éclairée. Nous affirmons que ni la décriminalisation ni la légalisation ne sont des solutions viables. Notre collectivité a déjà suffisamment de problèmes. Au bout du compte, cela ne ferait que compliquer les choses et causer plus de problèmes.
Enfin, j'aimerais terminer avec une petite anecdote personnelle. Ma petite fille de six ans commence à lire. Il y a deux jours, nous sommes allés au supermarché pour acheter de la crème glacée. Les comptoirs et les vitrines étaient placardés de messages: «Le tabagisme tue», «Fumer tue» et «Un fumeur sur deux mourra d'avoir fumé». Elle m'a demandé: «Papa, pourquoi les gens fument?» Je n'ai pas vraiment réussi à trouver rapidement une bonne réponse. J'ai seulement tenté de lui expliquer: «Eh bien, mon ange, ils ne sont pas capables d'arrêter. Ils sont dépendants. Ce n'est pas qu'ils veulent mourir. Ils ne sont simplement pas capables d'arrêter.»
Pour terminer, j'aimerais poser la question suivante: pourquoi légaliser le cannabis et encourager la consommation? Ne peut-on pas conclure que la consommation de cannabis causera autant de dommages que le tabagisme? Quel message voulons-nous transmettre à nos enfants: «Le tabagisme tue, mais il est acceptable de fumer de la marijuana?»
Nous croyons que la solution consiste à intégrer un certain nombre de stratégies: réduire la demande, réduire l'offre, adopter une démarche fondée sur quatre ou six piliers, y compris la sensibilisation, la prévention, l'éducation, le traitement, la réadaptation et l'exécution de la loi.
Le sénateur Kenny: Dans votre discussion avec votre fille, avez-vous mentionné le nombre de Canadiens qui meurent chaque année de maladies liées au tabagisme?
M. Clapham: Non.
Le sénateur Kenny: Connaissez-vous le nombre?
M. Clapham: Non.
Le sénateur Kenny: Quarante cinq mille personnes. Est-ce que les gens meurent de maladies liées à la consommation de cannabis?
M. Clapham: Avons-nous des statistiques là-dessus?
Le président: Oui.
M. Clapham: D'accord, je vous écoute.
Le président: Zéro. Nous n'avançons pas que cette substance est sans danger. Ce n'est pas du tout notre intention. Nous parlons de la surconsommation de cette substance. C'est à cette question que nous nous attachons. Mais personne n'en meurt.
M. Clapham: Vous dites que 45 000 personnes meurent de maladies liées au tabagisme.
Le président: Chaque année.
M. Clapham: Combien de ces personnes fumaient aussi du cannabis? Est-ce que certaines de ces personnes fumaient du cannabis? Est-ce que cela a contribué à leur maladie?
Le président: Nous n'avons pas de recherche là-dessus. L'information disponible est floue. La plupart des consommateurs de cannabis sont aussi des fumeurs, et à quantité égale, le cannabis cause plus de problèmes pulmonaires que le tabac. Toutefois, aucune recherche ne permet de conclure que l'on consomme le cannabis à une fréquence aussi élevée que l'on consomme du tabac, au cours d'une journée, d'une semaine ou d'une année donnée.
M. Clapham: Au cours de mes années d'agent d'infiltration, je n'ai jamais vu quelqu'un utiliser un système de filtration en consommant de la marijuana. Je ne suis certainement pas un expert en matière de santé, mais j'avancerais qu'aucun filtre n'est utilisé. Je ne sais pas à quel point cela contribuerait à des décès.
Le sénateur Kenny: Les filtres sont une supercherie des fabricants de produits du tabac. Les filtres sont inutiles. Ils stimulent peut-être les ventes, mais, de fait, ils n'améliorent aucunement vos chances de survie. Je soulève la question, monsieur, parce que la comparaison me semble inhabituelle. C'est comme comparer du fromage et de la craie.
J'aimerais savoir pourquoi vous n'appuyez pas une démarche plus souple à l'égard de la marijuana, compte tenu de tous les problèmes qui semblent en découler: les sites de culture, les problèmes liés aux revendeurs, vos préoccupations à l'égard de la valeur des propriétés et d'autres questions du genre. S'il s'agissait d'un produit réglementé dont la vente est contrôlée par le gouvernement, ces problèmes ne seraient-ils pas moindres? Nous aurions peut-être à composer avec d'autres problèmes, mais ceux que vous soulevez maintenant ne vont-ils pas s'amoindrir et changer?
M. Clapham: Non. Si vous demandez à un agent de police ce qui se produirait dans la plupart des cas, si les drogues et l'alcool n'existaient plus, ils vous répondraient que «Nous ne serions pas très occupés». J'estime qu'on aggravera les problèmes si on brouille les cartes en affirmant qu'il est désormais acceptable de consommer de la drogue. On transmettrait un message selon lequel il est acceptable de commencer à consommer une substance nocive, une substance qui ne contribue pas au mieux-être d'une collectivité. Cela causera tout simplement d'autres problèmes pour la société. J'avancerais qu'une part importante du problème lié aux drogues a toujours été confiée aux policiers. On nous a dit que c'était notre problème, qu'il fallait s'en charger.
La collectivité doit reconnaître qu'il s'agit d'un problème collectif. Nous commençons enfin à faire des progrès au moyen d'une approche globale intégrée. Je ne crois pas que nous ayons vraiment donné toutes ses chances à cette approche. J'aimerais qu'on la mette à l'essai d'une façon approfondie, qu'on la remanie et qu'on la mette au point avant d'assouplir les lois relatives aux drogues, qui sont déjà réduites au point où la possession de moins de 30 grammes occasionne une déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Comme vous l'avez constaté dans les statistiques que j'ai fournies, il y a eu 30 inculpations pour 700 signalements. Le message est clair, il n'y a pas beaucoup d'inculpations, et je me demande pourquoi.
Le président: Vous n'avez pas la réponse?
M. Clapham: Je sais pourquoi. Je crois que cela tient à une combinaison de choses. Mais il est indéniable que le message a déjà été transmis. Les tribunaux et la société traitent cette question comme un problème mineur. Nous savons que, dans notre province, ainsi qu'en Alberta, où j'ai aussi servi, on donne une amende plus importante pour une bouteille de bière ouverte que pour la possession de marijuana.
Le sénateur Kenny: À mon avis, cela va de soi: toute personne qui évite les substances psychotropes part avec une longueur d'avance. Je n'ai aucune difficulté à comprendre la personne qui adopte cette attitude et qui l'applique de façon cohérente à la cigarette, au tabac et à l'alcool.
Cela dit, une part importante de la population — trop importante pour que nous n'en tenions pas compte — ne sont pas de cet avis. Ils fument, boivent ou consomment du pot. Croyez-vous vraiment que la limite doit être fixée par des gens comme vous? Croyez-vous vraiment qu'il devrait s'agir d'une question judiciaire? Ne serait-il pas préférable d'aborder la question d'une autre façon?
Seriez-vous prêt à criminaliser la cigarette et l'alcool? Ainsi, la ligne serait plus claire.
M. Clapham: Il est trop tard pour revenir en arrière, alors je ne veux pas m'engager dans ce débat. Cependant, j'avance que si nous allons de l'avant et ouvrons une autre porte, si nous commettons une autre erreur et affirmons que cela est désormais acceptable, vos services de police et les autres services d'urgence et de première intervention seront plus occupés et devront s'attaquer à un plus grand nombre de problèmes.
Le sénateur Kenny: Les services de police, par exemple, n'ont pas à combattre des trafiquants qui introduisent de l'alcool de contrebande au pays. Nous ne sommes pas confrontés à la situation qui existait en l'Amérique du Nord à l'époque de la prohibition, qui a occasionné beaucoup de crimes, de violence et de problèmes. Je ne dis pas que l'alcool n'est pas un problème. C'est un problème énorme. Toutefois, il n'y a aucun aspect criminel lié à l'alcool, contrairement à la marijuana.
M. Clapham: Autrefois, l'alcool au volant était un problème criminel énorme. Enfin, la collectivité et la police se sont unies pour dire aux jeunes que «l'alcool au volant est le problème non seulement de la police, mais bien de toute la collectivité», et une nouvelle génération a commencé à comprendre et à accepter que boire et conduire, ce n'est pas «cool». Même s'il est maintenant légal de consommer de l'alcool à 18 ou à 19 ans, selon la province, nous avons toujours dit qu'il est illégal de boire et conduire. Nous continuons de travailler très dur dans notre effort de prévention et de sensibilisation relatif à l'alcool au volant. Néanmoins, nous commençons à modifier les attitudes de cette génération.
C'est là un effet connexe de la légalité de l'alcool. Je pose donc la question suivante: comment contrôlerons-nous la consommation de marijuana et d'autres drogues douces en ce qui concerne la conduite automobile et d'autres activités?
Le président: Je le concède. L'organisme MADD, Mothers Against Drunk Driving, a fait un travail remarquable, et je crois que nous avons obtenu un changement important en une génération. Cela dit, la démarche consistait non pas à se contenter d'enfermer les fautifs, mais bien à donner un caractère personnel à la question et à trouver un moyen d'en parler avec les gens. Les jeunes respectent davantage la loi, parce qu'elle leur semble plus sensée. Ils respectent la loi non pas par peur d'aller en prison, mais bien par désir de survivre. Êtes-vous d'accord avec moi, ou croyez-vous que c'est la menace d'emprisonnement qui les motive?
M. Clapham: Je crois que les jeunes reçoivent une foule de messages différents. Il y a une conséquence et un facteur dissuasif, et ce n'est pas seulement quelque chose qu'ils veulent faire. Nous sommes actuellement confrontés à un problème du genre dans notre ville, soit les courses automobiles dans les rues. Nous savons qu'il faudra mettre une génération pour changer cette attitude et ce comportement. Il est inacceptable de prendre son auto pour faire des courses dans la rue. Cela ne se produira pas du jour au lendemain. Encore une fois, nous abordons la question non pas comme un problème de police, mais bien comme un problème communautaire. Et cette démarche fonctionne bien.
Le sénateur Kenny: Vous avez mentionné qu'on brouillait les cartes, et que les magasins qui vendent du vin et de la bière ne devraient pas vendre de spiritueux. Quelle est la différence?
M. Clapham: C'était une analogie. Si on légalise la marijuana, allons-nous dire ensuite qu'il est acceptable de prendre de la cocaïne? Allons-nous nous arrêter là? Au hachisch? Ou à l'ecstasy? Quel message lançons-nous à nos enfants si nous disons: «Présentement, cette drogue est acceptable, mais celle-là ne l'est pas»?
Nous nous retrouvons devant le même dilemme que lorsque nous avons examiné ce règlement qui interdisait de vendre des spiritueux dans un magasin offrant de la bière et du vin. Maintenant, après toutes ces années où les spiritueux étaient vendus légalement à certains endroits, ils ont commencé à dire: «Alors, laissez-nous vendre des spiritueux» ou «Laissez-nous en vendre dans les supermarchés». L'opinion publique est «Pourquoi pas?» car, au point où nous en sommes, qu'est-ce que cela va changer? On pourrait appliquer cette question aux drogues: «Alors, est-il acceptable, maintenant, de consommer de l'héroïne et de la cocaïne?»
Le sénateur Kenny: Selon vous, la marijuana est-elle un tremplin vers d'autres drogues?
M. Clapham: Absolument.
Le sénateur Kenny: Tenez-vous cette opinion d'études qui le démontrent, ou est-ce que vous vous fondez sur le fait que vous avez remarqué que les gens qui consomment d'autres drogues ont, à un moment donné, consommé de la marijuana?
M. Clapham: Mon opinion découle surtout de mon expérience personnelle, de l'expérience d'autres agents de police et des activités policières auxquelles j'ai participé. J'ai constaté, de façon directe ou indirecte, qu'il s'agit d'une drogue d'escalade. Mais cela ne commence pas là. D'après mon expérience, cela commence avec le tabac et l'alcool, passe au cannabis et mène ensuite à la cocaïne ou à d'autres drogues de confection.
Le sénateur Kenny: S'agit-il d'une cause, ou tout simplement d'un symptôme parmi une foule de choses que traverse un jeune et qui reflète le comportement sexuel, le rendement scolaire et d'autres aspects de la vie d'une jeune personne? La consommation est-elle une cause de ces problèmes, ou est-elle un symptôme qui naît lorsqu'un jeune est perturbé?
M. Clapham: Eh bien, les facteurs sont si nombreux et les pressions si fortes. Il n'y a aucun doute que la consommation pourrait s'inscrire dans la théorie du panier dont vous parliez. J'ai vu une foule de raisons. Je ne connais personne qui, un beau jour a décidé: «Je vais devenir héroïnomane» ou «aujourd'hui, je me lance dans l'héroïne». Il y a un point de départ avant d'atteindre l'accoutumance aux drogues lourdes. J'ai rencontré des gens alcooliques qui m'ont dit qu'ils ne se sont pas réveillés un jour avec le désir d'acquérir une accoutumance à l'alcool. Il y a eu une progression.
Nous estimons qu'il est possible d'arrêter cette progression — pas complètement, pas de façon absolue, mais au moins partiellement — si on fixe une limite, si on prend position. Je suis payé par la Ville de Richmond, par le gouvernement provincial et par le gouvernement fédéral pour protéger les gens, pour sauver des vies, pour veiller à ce que la collectivité soit en sécurité. Je suis ouvert à d'autres options.
Mais, à titre de policiers, nous ne considérons pas la légalisation comme une option. Je crois vraiment — et vous le constaterez si vous prenez le temps d'examiner Operation Green Clean — que l'adoption d'une approche intégrée pourrait fonctionner. Nous travaillons d'arrache-pied pour trouver des solutions de rechange, car nous voulons faire partie non pas du problème, mais bien de la solution.
J'ai déclaré, au début de mon exposé, que le détachement de Richmond est très progressiste. Nous reconnaissons l'apparition d'un nouveau paradigme dans le domaine de la drogue. C'est pour cette raison que nous étions disposés à prendre le risque et à adopter une approche Green Clean pour tenter d'examiner le problème et de mettre à l'essai un volet de prévention et d'éducation, pour utiliser des énoncés d'incidences communautaires, pour mobiliser la collectivité et dire: «Écoutez, il s'agit d'un problème communautaire. Pouvons-nous changer les choses si nous assumons collectivement la responsabilité?» C'est l'une des démarches que nous mettons à l'essai.
Le sénateur Carney: J'aimerais qu'on mentionne dans le compte rendu que je suis extrêmement impressionnée par le travail de la Ville de Richmond. Je crois que votre démarche coordonnée, votre approche interorganismes est plutôt spéciale. Je suis enthousiasmée à l'idée qu'une telle initiative ait lieu dans un secteur que je connais bien.
Je peux aussi voir que c'est très frustrant, car vous avez deux approches: vous utilisez actuellement une approche préventive, qui consiste à criminaliser la marijuana. Ensuite, on constate qu'il y a des répercussions, comme l'augmentation du nombre de sites de culture et l'accroissement de la criminalité. Par contre, si on décriminalise la marijuana, nous avons adopté une démarche de gestion des risques. S'ils ont tort, le prix sera très élevé. Il a fallu plusieurs générations — probablement un siècle — pour passer de l'idée selon laquelle le tabagisme est une activité admirée, élégante, dans le vent, au fait que cette activité est mortelle. Ce sont des enjeux très importants, car les défenseurs des deux côtés peuvent se tromper, et la collectivité paie un prix très élevé. Nous devons prendre cette question au sérieux.
Je crois que 40 p. 100 de la population de Richmond est d'origine asiatique. Y a-t-il un volet d'adaptation culturelle dans vos activités d'exécution de la loi à titre d'agent de la GRC? En Colombie-Britannique, nous attribuons tous nos accidents aux «chauffards de Hong Kong», qu'ils proviennent de Hong Kong, de Victoria ou d'ailleurs. Disposez-vous de renseignements spécifiques au sujet des diverses attitudes culturelles à l'égard de la consommation de drogues, y compris la marijuana?
M. Clapham: Nous ne disposons d'aucune statistique sur le sujet, et rien ne nous laisse croire à des différences culturelles frappantes. Par contre, en ce qui concerne les sites de culture de la marijuana, il n'y a absolument aucun doute quant au fait que nombre d'entre eux sont dirigés par le monde interlope. On trouve des bandes de motards et d'autres groupes criminalisés aux cultures diverses.
Le sénateur Carney: Est-il question davantage d'activités criminelles ou non criminelles que de questions culturelles?
M. Clapham: Nous n'avons pas vraiment de statistiques culturelles. Je n'ai rien vu sur le sujet à l'occasion de nos séances d'information quotidiennes ou dans les observations fournies.
Le sénateur Carney: J'aimerais vous poser une question au sujet de l'approche fondée sur des piliers. À titre d'agent de police, vous dites que la solution consiste à faire baisser la demande, à faire baisser l'offre et à recourir à l'approche fondée sur les piliers que sont la sensibilisation, la prévention, l'éducation, le traitement et l'exécution de la loi.
Selon vous, serait-il préférable d'affecter la totalité du budget pour l'approche fondée sur les piliers à l'exécution de la loi, ou de le répartir parmi ces divers piliers? Au bout du compte, croyez-vous que le financement d'activités de sensibilisation, de prévention, d'éducation ou de traitement contribuera à une baisse des activités d'exécution de la loi?
M. Clapham: Je ne peux parler qu'au nom du détachement de Richmond. Il serait plus sensé de financer une approche fondée sur les piliers à même les impôts. Par exemple, si, à titre de collectivité, on décidait d'inviter des agents de police à aller dans les écoles primaires pour parler des choix sensés et pour aborder ces questions avant même que les jeunes puissent légalement consommer du tabac, je crois que ce serait une solution plus intelligente. Cela nous éviterait peut-être d'avoir à composer avec ces problèmes ou à ramasser les pots cassés.
Le sénateur Carney: À l'occasion des audiences tenues à Vancouver, nous avons entendu des opinions divergentes. Dans certains cas, on appuyait l'adoption d'une approche fondée sur les piliers, alors que d'autres étaient contre. Je tiens à ce que le compte rendu mentionne que vous êtes en faveur d'une telle approche.
M. Clapham: Nous avons évité d'aborder la question de la `réduction des méfaits» car nous nous opposons à la création de piqueries sécuritaires. Dans le cadre d'une approche fondée sur les piliers, nous utilisons les termes «réadaptation» et «traitement» à titre de moyen de réduction des méfaits. Nous évitons de promouvoir des activités illégales au nom de la réduction des méfaits.
Le sénateur Carney: C'est une importante distinction.
Le président: Plus tôt, au cours de l'après-midi, nous avons entendu parler du principe des préjudices. Je ne sais pas si vous êtes ici depuis assez longtemps. Dans votre mémoire ainsi que dans certaines de vos réponses, vous avez mentionné que les préjudices sont causés par une attitude, et que cela devrait être le principe sur lequel se fonde notre démarche de lutte contre la criminalité. La BC Civil Liberties Association a parlé du principe des préjudices. Je crois qu'il est plutôt approprié que la Cour suprême se penche sur la question; le principe sera la pierre angulaire de sa décision. La BCCLA a déclaré: «Aucun acte ne devrait être criminalisé, à moins que son incidence, réelle ou potentielle, n'occasionne des dommages considérables dans la société.» Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Clapham: Pourriez-vous répéter la citation s'il vous plaît?
Le président: «Aucun acte ne devrait être criminalisé», autrement dit, il ne faut pas recourir au droit criminel, «à moins que son incidence, réelle ou potentielle, n'occasionne des dommages considérables dans la société.»
M. Clapham: Il est difficile pour moi de répondre, en raison de l'expression «des dommages considérables dans la société».
Le président: Et si nous remplaçons «considérables» par «importants»
M. Clapham: Ma définition des préjudices est peut-être différente de celle des autres. Je vois les préjudices à partir d'angles différents, que la plupart des membres de la collectivité n'ont jamais vus, ne verront jamais et que je ne veux jamais leur laisser voir. Nous couvons notre collectivité parce que nous ne voulons pas lui montrer le côté obscur. Ma réponse à votre question serait très biaisée.
Le président: À titre d'agent de police, vous connaissez la notion de preuve, n'es-ce pas? Cela fait partie de votre vie d'agent de police?
M. Clapham: Absolument.
Le président: Nous parlons de dommages, étayés au moyen de preuves, qui occasionnent des torts considérables dans la société.
M. Clapham: C'est une déclaration intéressante. Je ne suis pas disposé à répondre officiellement «Oui» ou «Non», car je crois que, sans obtenir de précisions — Je ne tiens tout simplement pas à ce qu'on rapporte que j'ai répondu «Oui» ou «Non» à cette question.
Le président: J'ai une dernière question. Un rapport préparé par la GRC en 1999 dit que la teneur moyenne en THC est de 7 p. 100.
M. Clapham: 1999?
Le président: Oui.
M. Clapham: Oui.
Le président: D'où vient cette augmentation de 31 p. 100?
M. Clapham: C'est ce que nous constatons en ce moment en regardant nos exploitations.
Le président: Je sais que nous allons accueillir certains de vos experts plus tard, durant la semaine. Je présume qu'ils vont nous fournir les données voulues là-dessus, n'est-ce pas?
M. Clapham: Oui, vous aurez ces données. Ce soir, il y aura un expert présent.
Le président: Merci beaucoup. Je vais vous écrire.
Nous accueillons maintenant M. Alan Randell, qui comparaît à titre individuel.
M. Alan Randell, témoignage à titre personnel: Je m'appelle Alan Randell, et voici ma femme, Eleanor. Bonjour. Je vous remercie de nous permettre de nous adresser à vous.
Aujourd'hui, je souhaite vous parler de notre cadet, Peter. Tout juste avant 6 h 30, le matin du 3 février 1993, deux policiers sont venus cogner à notre porte pour nous révéler que Peter est mort, à Burnaby, du fait d'avoir ingéré de l'héroïne. Il est tombé dans un sommeil dont il ne s'est jamais relevé. Une demi-douzaine des personnes présentes dans l'appartement en question avaient pris de l'héroïne, mais peut-être parce que son corps n'était pas encore habitué à la drogue, Peter est le seul qui soit mort. Il n'avait que 19 ans.
J'aimerais vous parler un peu de Peter, car sa vie ne reflète pas l'image que se font les médias des toxicomanes. Sa mère et son père l'aimaient beaucoup, tout comme ses quatre frères et sœurs aînés. Il a été élevé dans un milieu normal avec deux parents qui l'aimaient, et il avait de bons résultats scolaires.
Depuis l'âge de 15 ans, Peter croyait énormément aux droits de la personne, et particulièrement aux libertés individuelles. Il a déjà été décrit comme suit dans un livre de finissants: «Peter Randell espère aller en tournée avec son groupe de musique et mettre fin au racisme, à l'intolérance et à l'autorité.» La deuxième phrase laisse voir le sens de l'humour qu'avait Peter: «Peter nourrit une vendetta contre Bill Keane et ajoute: il faut que Family Circus cesse.»
Peter aimait beaucoup rire, et il nous faisait rire avec lui. Parmi ses préférences, il y avait The Barney Miller Show, Sam Kennison et The Simpsons. Il pouvait réciter textuellement toute scène particulière d'une émission de télévision ou d'un film qu'il avait vu. Nous n'avions pas besoin de louer de films comiques, puisque Peter pouvait jouer à lui seul toutes les scènes drôles. Bien sûr, il adorait sa musique. Il jouait de la basse dans un groupe local, à Victoria, appelé «Moral Decay». C'était un être merveilleux, et je voudrais le dire, un garçon normal.
Pourquoi a-t-il essayé l'héroïne? Il savait que l'héroïne pouvait être mortelle, mais il savait aussi que bien d'autres gens l'avaient essayée, appréciée et avaient survécu. C'était un lecteur vorace. Durant les années précédentes, peu de temps avant sa mort, il a lu l'œuvre de nombre d'écrivains qui non seulement avaient consommé de l'héroïne régulièrement, mais aussi survécu pour relater leur expérience; des écrivains comme William Burroughs, Jack Kerouac, Henry Miller et Charles Bukowski. Peter était lui-même un écrivain doué, et il se demandait si le fait de consommer de l'héroïne pouvait rehausser son esprit créateur comme cela a peut-être le cas des écrivains en question. Il savait aussi que l'héroïne avait été la drogue de choix de nombre de musiciens de jazz pendant 50 ans. Il en a essayé et il est mort. Essayons de tirer une leçon utile de sa mort.
Mon intention, aujourd'hui, c'est de vous convaincre que pour réduire le nombre de familles qui vivent l'horreur que suppose la perte d'un enfant mort à cause de la drogue, il faut abolir la prohibition.
Pourquoi les pouvoirs publics interdisent-ils certaines drogues? Pour protéger les utilisateurs contre les dommages qu'elle causerait? Eh bien, non, cela ne peut en être la raison, car les consommateurs en souffrent davantage — du fait que les drogues soient altérées et du fait de devoir passer du temps en prison — dans les cas où la drogue est bannie plutôt que dans ceux où elle est offerte légalement. Bien entendu, nous nous sommes beaucoup familiarisés avec cet aspect de la politique gouvernementale quand nous avons perdu Peter. De toute façon, deux de nos drogues les plus dangereuses — l'alcool et le tabac — sont légales.
Est-ce pour réduire la criminalité associée aux drogues illégales? Eh bien, encore une fois, cela ne peut être la raison, puisque l'interdiction d'une drogue donne toujours lieu à un accroissement de la criminalité — cartels de la drogue, petits larcins commis par les usagers, du fait que la prohibition fait augmenter le prix de la drogue — et disputes violentes entre revendeurs — par rapport aux situations où la drogue est offerte légalement.
Est-ce pour détourner le regard de questions plus importantes en procédant à un programme brutal de style hitlérien qui vise à détruire la vie de quelques innocents qui ingèrent ou vendent certaines drogues? Voilà! C'est bien là la réponse, à mon avis. Les armées de Hitler ont peut-être perdu la guerre, mais, tristement, ses idées sont acceptées sans difficulté dans l'ensemble du monde dit «civilisé».
J'aimerais maintenant traiter de la drogue en tant que questions relevant des droits de la personne. Nous avons le droit d'ingérer toute drogue. D'abord, je citerai l'éminent psychiatre, Thomas Szasz. L'extrait provient de Reason Magazine, en 1978:
Il est admis que nous, Américains, avons le droit de lire un livre — n'importe lequel — non pas parce que nous sommes sots et que nous souhaitons en tirer quelques renseignements, ni parce qu'une figure d'autorité dans le domaine de l'enseignement, ayant l'appui des pouvoirs publics, affirme que cela est bon pour nous, mais simplement parce que nous voulons le lire; car l'État — notre serviteur et non pas notre maître — n'a pas le droit de s'ingérer dans notre vie privée de lecteur.
De même, je crois que nous avons le droit de manger, de boire ou d'ingérer une substance — n'importe laquelle — non pas parce que nous sommes malades et que celle-ci nous guérirait, ni parce qu'une figure d'autorité médicale, ayant l'appui des pouvoirs publics, affirme que ce serait bon pour nous, mais simplement parce que nous voulons le faire; car l'État — qui est notre serviteur plutôt que notre maître — n'a pas le droit de s'ingérer dans notre vie privée pour ce qui touche l'alimentation et la drogue.
Le raisonnement m'a semblé assez solide.
L'État a-t-il le droit d'appliquer quelque loi ici? Est-il conscient des limites? Le gouvernement du Canada, par exemple, a-t-il le droit de mettre en vigueur une loi exigeant que l'on mette en prison de vieux Juifs ou, comme il l'a fait après l'attaque sur Pearl Harbour, une loi exigeant que l'on mette en prison des Canadiens d'origine japonaise? La plupart des gens répondraient: «Non.» Même si, comme je l'ai dit, c'est justement ce qu'il a fait.
La Charte des droits et libertés est censée nous protéger contre les lois injustes, mais malheureusement, les tribunaux ont déterminé que la Charte ne protège pas contre les cas insignifiants ou «banals» de limitation des droits, et ils ont — jusqu'à maintenant, dans les instances inférieures — désigné comme tel le droit d'ingérer de la marijuana. La décision en question a été portée en appel jusque devant la Cour suprême, mais si les défenseurs de cette thèse l'emportent, il me semble que l'État aura alors le droit de régir jusqu'aux aspects les plus anodins de la vie quotidienne des gens, ce qu'on fait quand on se lève le matin, quels vêtements on porte, avec quelle fréquence on fait notre lessive. Ces choses ne sont- elles pas insignifiantes?
Il n'y a pas de droits insignifiants.
Je proposerais une meilleure façon de limiter le pouvoir qu'ont les autorités gouvernementales, autrement que d'affirmer que chacun a le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, comme l'énonce l'article 7 de la Charte, puisque les juges futés semblent trouver dans cette formulation toutes les échappatoires dont ils ont besoin.
Je proposerais que personne ne puisse être accusé d'avoir commis un acte criminel à moins qu'il n'ait causé un tort direct à une autre personne, ou qu'il l'ait volé. Par tort, j'entends non pas le fait de causer chez autrui angoisse et malheur, sinon, nous mettrions en prison tous les parents qui divorcent, avec tous les enfants qui ne font pas leurs devoirs, et quiconque omet d'appeler sa mère le jour de la Fête des mères.
Choisir d'ingérer telle ou telle drogue ne constitue pas, selon cette définition, un acte criminel; cela ne saurait l'être. Bien entendu, les partisans de l'interdiction des drogues affirment que la drogue cause bel et bien un tort physique à autrui. Par contre, si vous examinez les données à notre disposition, vous constatez que, clairement, les crimes qu'ils imputent à la drogue sont, en réalité, la conséquence de la prohibition elle-même — les meurtres entre revendeurs, les larcins commis pour financer une dépendance et ainsi de suite.
À mon avis, aucun État n'a le droit de punir quiconque pour avoir ingéré quoi que ce soit, si dommageable que puisse être la substance ingérée. L'État n'incarne pas l'autorité morale. Il n'y a pas plus de raison de punir aujourd'hui les consommateurs de drogues et revendeurs qu'il y en avait, par le passé, de pendre les sorcières, de lyncher les Noirs ou d'envoyer les Juifs aux chambres à gaz.
J'imagine que nos aïeux étaient beaucoup plus intelligents que nous. Il y a de cela quelque 70 ans, quand ils ont vu à quel point l'interdiction de l'alcool était une catastrophe monumentale, ils y ont mis fin. Maintenant, il semble que, même devant des données qui laissent voir sans l'ombre d'un doute les conséquences désastreuses de l'interdiction des drogues, nous hésitions à achever ce travail et à mettre fin à l'interdiction de toute drogue. La meilleure façon de réduire le tort et la détresse associés aux drogues illégales est de mettre fin à la prohibition.
Le président: Voulez-vous ajouter quelque chose à cela?
Mme Eleanor Randell: J'ai certaines idées à propos de la prohibition des drogues. La guerre contre les drogues, en fait, c'est la guerre contre les gens. Si nous craignons que certaines personnes ne puissent être responsables d'elles- mêmes, alors c'est le système d'éducation parrainé par l'État qui est un échec.
Les pressions venant des États-Unis d'Amérique ne constituent pas une raison suffisante pour garder des lois injustes. Être signataire d'une convention des Nations Unies ne constitue pas une raison suffisante pour garder des lois injustes. Le conservatisme bureaucratique ne constitue pas une raison suffisante pour garder des lois injustes.
Le Canada est un pays qui a été fondé par des gens qui fuyaient l'oppression. N'oublions pas les peines de nos aïeux. Peter avait sur le mur de sa chambre une affiche où il était dit: «Justice pour tous». Faisons un pas dans le bon sens. Si l'idée de mettre fin à la prohibition des drogues semble radicale, c'est seulement parce que nous avons subi un lavage de cerveau tout ce qu'il y a de plus vigoureux.
Le sénateur Carney: Vous être très courageuse de vous présenter ici, à une audience du Sénat, avec la douleur familiale et la douleur personnelle que vous ressentez. Je tiens à vous dire à quel point nous apprécions ce geste.
Mme Randell: Nous croyons qu'il est très important que Peter ne soit pas mort pour rien. Nous devons adopter une approche plus réaliste et plus libérale de cette question dans son ensemble, pour que la mort de Peter ait un sens.
Le sénateur Carney: Vous dites qu'une des raisons pour lesquelles il a essayé l'héroïne, c'est qu'il était musicien et que cela faisait partie de la «culture» des musiciens jazz dans le passé. Croyez-vous qu'il serait vivant aujourd'hui si l'héroïne avait été décriminalisée?
M. Randell: Pas seulement décriminalisée, légalisée.
Mme Randell: Tout à fait. Si vous allez à l'épicerie et achetez de l'héroïne de la même façon que vous achetez une bouteille d'aspirine, vous n'allez pas vous rendre dans le Downtown Eastside pour vous procurer votre drogue. Vous n'allez pas dans l'appartement délabré d'un quidam, à Burnaby, pour l'ingérer. Quand les gens autour de lui se sont aperçus qu'il ne bougeait plus, ils ont dû faire le ménage dans l'appartement pour ne pas s'incriminer eux-mêmes, au moment où les policiers arrivaient.
Il ne savait pas qu'il ne faut pas prendre aussi d'alcool. En allant au centre-ville, on se retrouve dans un pub, on prend une bière. Puis, on prend l'héroïne. Il y a cet effet. Il ne le savait pas. Son compagnon était environ deux fois plus gros que lui. Il est musicien aussi et il consommait de l'héroïne depuis plusieurs mois. Nous avons découvert tout cela par la suite, bien sûr. Il avait fait des lectures sur le sujet, mais il n'était pas suffisamment renseigné. Il m'avait posé la question six mois avant, et j'avais sorti mes livres de médecine. Je ne croyais jamais qu'il allait l'essayer; je pensais seulement qu'il était curieux.
L'autre facteur qu'il faut prendre en considération, c'est que, à l'école, il y a la police qui est toujours là pour dire à quel point les drogues sont néfastes. Je crois que cela ne fait que rendre les jeunes plus curieux. On leur dit que la marijuana est vraiment, vraiment nuisible, alors qu'elle ne cause pas de tort. Quelqu'un peut consommer de la marijuana, l'essayer et ne pas ressentir d'effets. À ce moment-là, pourquoi croire les autres mensonges?
Pourquoi croiraient-ils que l'héroïne peut être mortelle? Ils n'en savent rien. On les prive simplement d'information. L'éducation qui leur est donnée n'est pas convenable. On leur lave le cerveau.
Le sénateur Carney: J'ai posé la question parce que, à la lecture de votre mémoire, on n'est pas sûr que vous estimez que la légalisation lui aurait sauvé la vie.
Mme Randell: Oui, absolument.
M. Randell: Il serait avec nous aujourd'hui.
Le président: Nous accueillons maintenant la dre Anne Vogel, directrice de la clinique Gilwest.
La dre Anne Vogel, directrice, clinique Gilwest: Merci beaucoup de venir à Richmond pour y tenir votre assemblée. Les gens de Richmond, tout comme les gens de nombreuses localités en Colombie-Britannique, ont eu de la difficulté à comprendre les questions touchant la consommation de drogues illicites. Votre présence ici est très importante.
Je suis médecin-hygiéniste adjointe à la Ville de Richmond, ainsi que clinicienne. J'ai été médecin de famille dans une petite ville de la Colombie-Britannique et, pendant de nombreuses années, j'ai été médecin-hygiéniste adjointe à la Ville de Vancouver. Je travaillais à Vancouver, notamment dans le Downtown Eastside, au moment où nous avons signalé à l'administration de la santé et à la ville qu'il y avait là une épidémie majeure.
J'ai commencé à exercer les fonctions de médecin-hygiéniste à Richmond il y a cinq ans. Mon point de vue sur la question de la consommation des drogues illicites se situe dans la perspective de la promotion de la santé et de la prévention: c'est le travail que j'effectue depuis de nombreuses années auprès des enfants, dans les écoles et ainsi de suite. À mon avis, là où il est question d'un état chronique — d'une maladie chronique, si nous décidons de l'appeler cela —, il faut en rechercher les causes premières et s'y attaquer pendant que nous essayons de régler les problèmes relevés. Il nous faut prêter une très grande attention à la petite enfance: pour la plus grande part, le contexte ou le développement qui permet aux jeunes de devenir des adultes en santé commence par des encouragements prodigués durant les premières années de la vie. C'est une idée qui est avancée depuis longtemps. Si nous pouvions avoir des jeunes qui se développent en ayant une bonne estime de soi, en ayant la capacité de faire des choix sains, nous en contribuerions beaucoup à réduire les effets néfastes de la consommation de drogues illicites.
J'ai fait partie du groupe de travail du maire à Richmond, et je suis en faveur de l'approche des quatre piliers. J'ai eu aussi à m'occuper de fournir le service voulu aux personnes héroïnomanes. Ce n'est pas ce que j'avais l'intention de faire en venant à Richmond. Par contre, en tant que médecin-hygiéniste, j'ai été sollicitée par des membres de la localité, qui m'ont demandé de prévoir quelques traitements globaux pour les personnes ayant le VIH à Richmond, pour qu'elles n'aient pas à quitter Richmond pour aller au St. Paul's Hospital. Le directeur général que nous avions à l'époque a appuyé l'idée et travaillé de concert avec des gens de l'endroit pour mettre cela en place.
Un expert-conseil a produit un rapport sur la mise en place de ce service; il recommandait notamment d'élargir les mesures de façon à inclure le traitement dans le cas du VIH, mais aussi d'adopter des mesures de prévention et de réduction des méfaits entourant l'infection à VIH — et que cela comprenne le traitement des toxicomanies, et notamment le traitement à la méthadone. En 1998, nous avons ouvert le centre de traitement de l'infection à VIH. Le centre comptait un groupe communautaire consultatif et bénéficiait d'appuis très certains à Richmond. Les gens de l'endroit ont baptisé le centre clinique Gilwest, car il se trouve à l'angle de la route Westminster et du chemin Gilbert, à Richmond. Le nom n'est pas très imaginatif, mais il dit ce qu'il dit.
Pour prendre en charge l'aspect Traitement des toxicomanies, j'ai recherché des cliniciens à Richmond qui seraient chargés de ce service: car pour avoir un programme de traitement à la méthadone, il faut un permis spécial, et il y a une marche à suivre à cet égard. Souvent, l'idée de traiter avec des personnes ayant une dépendance rend les gens — les professionnels — mal à l'aise. Après tout un effort, j'ai vu que je n'arrivais à trouver personne; j'ai donc décidé de le faire moi-même.
J'ai obtenu mon permis de prescription de méthadone et j'ai fréquenté un programme de traitement des toxicomanies à l'Université de l'Utah; me voilà recrue parmi les spécialistes en toxicomanie. Je ne cesse d'apprendre depuis. J'ai beaucoup aimé cela parce qu'il y a beaucoup de choses à apprendre, beaucoup de choses à faire. J'aime bien les gens avec qui je traite. Ils ne me mettent pas mal à l'aise. Ils ont tous eu une vie chargée, et j'aime bien les écouter en faire le récit et les aider à s'attaquer à leurs problèmes.
Le printemps dernier, nous avons mis en marche le programme de traitement à la méthadone. À l'automne, nous nous sommes rendu compte que 70 p. 100 environ des patients traités à la méthadone avaient aussi l'hépatite C; nous avons donc élargi le champ d'action de notre clinique de manière à traiter l'hépatite C. Nous avons reçu quelques subventions, et nous avons un travailleur d'approche qui se charge d'activités de prévention au sein de la collectivité en ce qui concerne le VIH et l'hépatite C.
À l'heure actuelle, nous traitons quelque 200 patients. Ce que je sais de la question de la drogue à Richmond, je l'ai appris en voyant régulièrement 70 héroïnomanes. J'ai appris que si tous les patients que nous traitons à la méthadone sont héroïnomanes — et certains sont assez jeunes —, ce n'est pas depuis longtemps qu'ils ont une dépendance. Bon nombre d'entre eux ne sont pas devenus héroïnomanes tout de suite. J'ai appris que la plupart d'entre eux ont eu une jeunesse difficile; nombre d'entre eux ont été élevés dans un milieu pauvre, dans un contexte difficile. La plupart ont eu à composer avec de la violence à un moment donné; souvent, il s'est agi de mauvais traitements infligés aux enfants et, dans le cas des femmes, de relations avec un partenaire violent. La plupart n'ont pas terminé leurs études secondaires et ont éprouvé des difficultés à l'école. La plupart ont eu des démêlés avec la justice à un moment donné; environ 70 p. 100, ou plus, ont reçu, outre la toxicomanie, un diagnostic de trouble mental.
J'ai assisté à une réunion à Victoria, en fin de semaine. Il y a eu une communication spéciale sur les troubles concomitants de santé mentale et de toxicomanie. Je crois que les gens prennent conscience du fait que les professionnels chargés des deux formes de traitement dont il est question doivent collaborer davantage. C'est ce à quoi je m'applique en ce moment. À Richmond, nous avons confié ces programmes à une seule administration, et nous devons maintenant faire en sorte que les travailleurs se concertent et ainsi de suite. C'est ce sur quoi je me concentre en ce moment.
Une des raisons pour lesquelles nous avons un centre de traitement à la méthadone — nous aimerions avoir des services supplémentaires pour les toxicomanies à Richmond —, c'est que la plupart de mes clients — ils l'ont dit, étaient d'abord dans le Downtown Eastside, mais ils sont venus à Richmond, et ils souhaitent ne plus jamais retourner là-bas. S'il n'y avait pas le traitement à Richmond, ils y retourneraient et reprendraient leurs mauvaises habitudes. Il est vraiment important que, dans les régions excentriques, la gamme de services aux toxicomanes soit complète.
Pour ce qui est de la marijuana, ce n'est pas un problème chez les personnes qui viennent me consulter. La plupart d'entre elles n'y ont pas décelé un problème durant les premiers stades. L'alcool est plus susceptible d'être mis en cause. De nombreux jeunes affirment qu'ils ont eu des problèmes d'alcool et que c'est ce qui les a «lancés» au moment où ils étaient à l'école. Ce sont là des données anecdotiques. Je ne peux faire reposer ces affirmations sur des faits. La marijuana ne semble pas causer d'ennuis à l'un quelconque de nos clients, en ce moment. Je sais que nous avons plusieurs patients héroïnomanes qui cultivent de la marijuana pour la vendre en vue de se procurer de l'héroïne avec l'argent ainsi fait.
Le président: Nous avons lu des études là-dessus.
La dre Vogel: Oui, et ce n'est qu'anecdotique.
Le président: Dans certaines études, cela va de pair avec d'autres processus de détournement.
La dre Vogel: Quant à moi, je me soucie des jeunes qui consomment de la marijuana pour expérimenter. L'adolescence est une époque de rébellion et d'expérimentation. Les jeunes sont nombreux à m'avoir dit qu'ils expérimentent simplement. Tout de même, le lien de cela avec l'élément criminel est de nature à inquiéter. Pour obtenir leurs substances illégales, ils doivent se lier à une forme quelconque d'activité illégale. Cela pourrait être leur premier lien avec l'activité criminelle, et je ne crois pas que ce soit une si bonne idée.
L'an dernier, nous avons organisé une tribune faisant appel aux étudiants du secondaire de toutes les écoles de ce niveau à Richmond. Cela a pris la forme d'un atelier. Les jeunes ont signalé que les drogues constituent leur principale préoccupation au chapitre de la santé. Qu'est-ce que cela veut dire? Je ne le sais pas.
À la suite de cette tribune, un groupe de jeunes s'est réuni et a décidé de former une équipe permanente chargée d'étudier, à l'école, les problèmes d'alcool des jeunes. Ils préparent en ce moment une autre enquête auprès des étudiants qu'ils vont appliquer dans les écoles et ainsi de suite. Au moment où je discutais avec eux l'autre jour, j'ai laissé entendre qu'il nous fallait aller plus loin encore. Quand ils disent que les drogues représentent un problème de santé, qu'est-ce qu'ils veulent dire? À quoi pensent-ils? Observent-ils ce qui arrive à certains de leurs amis? Est-ce comme un problème abstrait qui existe et dont ils se soucient sans savoir très bien de quoi il s'agit? Je ne sais pas, nous allons donc devoir approfondir la question un peu.
Le président: Si vous avez des résultats de recherche ou des renseignements là-dessus, n'hésitez pas à communiquer avec nous. Nous avons de nombreuses sources d'information que nous pouvons fournir nous-mêmes.
La dre Vogel: Oui.
Le président: Il y a peut-être là une comparaison avec l'Ontario et le Québec, et les résultats qu'on obtiendra là. Le résultat, bien sûr, c'est que les questions liées aux drogues peuvent faire naître chez les élèves nombre d'attitudes qui font peur, puisque la moitié du groupe consomment des substances illicites et que 90 p. 100 consomment de l'alcool.
La dre Vogel: Les élèves sont inquiets.
Le président: Ils sont certainement inquiets.
La dre Vogel: Comme je savais que je venais ici, j'ai fait des sondages au hasard pour savoir ce que pensent les gens. J'ai sondé différents groupes: des jeunes, des gens de plus de 50 ans, des gens dans la trentaine. Il semble y avoir beaucoup d'ambivalence quant à ce qu'il faut faire, selon les gens, de la marijuana.
Je me suis entretenue avec quelques personnes qui sont résolument contre la décriminalisation de la marijuana. Toutefois, elles affirment que si cela se fait, il faudra le soutien, l'éducation et tous les éléments en place voulus pour nous assurer de bien mener la chose et d'insister sur la prévention et la promotion de la santé, comme nous le faisons dans le cas de l'alcool et du tabac. Il nous faut prévoir ces mesures pour soutenir les jeunes qui s'engagent là-dedans et les empêcher de tomber dans la consommation abusive.
Le président: Vous participez à la discussion ici à Richmond: voyez-vous une contradiction entre la prévention de la criminalité et la prévention des cas d'abus?
Nous voyons une distinction à faire entre la prévention des abus et la prévention de la criminalité. Ayant entendu divers témoins de Regina et de la région, ici, j'ai l'impression qu'il y a une certaine confusion. Certains demandent qu'un mandat clair soit établi pour que l'on prévienne les actes criminels. Nous payons des gens pour cela. Néanmoins, compte tenu des problèmes de santé et des tentatives faites pour que certains effets sur la santé ne se manifestent pas, il faut une approche différente qui exige des compétences et des gens différents. La prévention est un bien gros mot. Voyez-vous une espèce de contradiction pour ce qui est de la stratégie ou de la discussion que vous avez au moment de mettre en œuvre la stratégie antidrogue?
La dre Vogel: Je n'ai jamais travaillé avec le policier qui a pris la parole aujourd'hui. Tout de même, j'ai travaillé avec son prédécesseur, et nous avons eu nombre de bonnes discussions. Il a assisté à de nombreux ateliers sur la réduction des méfaits. J'avais l'impression que nous avions fait évoluer sa conception de ce qu'il faut faire pour régler la question des drogues.
J'ai eu de nombreuses conversations avec divers membres du service de police. Les policiers ont toujours prêté un très bon appui à toutes les mesures que nous avons adoptées à Richmond pour la prévention et la réduction des méfaits — l'échange de seringues et le traitement que nous faisons.
Le président: Nous avons vu cela à Vancouver, en novembre dernier. Nous essayons de jauger la situation pour savoir s'il y a une différence d'approche ici, à Richmond, par rapport à Vancouver. Le discours n'est pas le même. Le discours sur ce sujet diffère selon qu'on est à Vancouver ou à Richmond.
La dre Vogel: Il me semble — et c'est un peu malheureux — que les centres aménagés pour l'injection dans des conditions sanitaires sont une sorte de paratonnerre; ils font ressortir le pire de ce que peuvent ressentir les gens à propos de ceux qui s'injectent des drogues. Je n'assimile pas la toxicomanie à un problème moral. J'aime l'envisager comme problème de santé qu'il faut régler comme tel. Mais c'est là mon opinion personnelle, et je sais que les gens ont divers points de vue sur la question. Il est malheureux que les centres d'injection sûrs aient fait l'objet de tant d'attention, à côté des autres choses que nous essayons de faire.
J'ai siégé au groupe de travail du maire. Quand il était question de réduction des méfaits, on avait l'impression que Richmond n'accepterait jamais l'aménagement des centres d'injection sûrs. Mon impression, à ce moment-là, c'est que, à Richmond, la drogue n'est pas vendue et consommée ouvertement comme elle l'est dans le Downtown Eastside. La plupart des gens qui consomment de la drogue à Richmond le font derrière des portes closes. La plupart ont un toit au- dessus de la tête. Il n'y a pas de gens étendus dans la rue comme on en trouve au centre-ville de Vancouver. De ce point de vue, le centre d'injection sûr n'est pas si nécessaire. De même, nous n'avons pas à Richmond le nombre de décès à la suite d'une surdose qu'il y a à Vancouver. À mon avis, il ne valait pas vraiment la peine d'insister à Richmond. Cela n'a pas vraiment été un problème.
Le président: Mais cela nous mène à la question de l'ouverture. Si on souhaite discuter ouvertement d'une stratégie relative aux drogues et que certaines personnes autour de la table ont peur des mots, alors ce n'est peut-être pas vraiment une discussion.
Le comité est ici pour faire valoir des faits confirmés et proposer une discussion et un dialogue ouverts. Bien entendu, la question morale entre en ligne de compte ici, comme partout ailleurs au pays. C'est pourquoi j'ai parlé de la Cour suprême. Celle-ci devra régler la question, songer aux valeurs sur lesquelles le Canada a édifié sa Charte des droits. Nous allons connaître la réponse bientôt. Nous voulons un débat — non seulement notre débat et notre dialogue, mais aussi toute une discussion touchant une stratégie relative aux drogues — qui soit ouvert, et que les gens n'aient pas peur d'utiliser les bons termes et de regarder le problème en face. Il y a des problèmes, de gros problèmes.
Nous avons fait tout ce bout de chemin, et nous nous concentrons de plus en plus sur le fait que l'abus constitue le véritable problème. Pour l'instant, notre étude ne porte que sur le cannabis. Ensuite, nous traiterons d'autres substances.
La dre Vogel: Oui. Le groupe de travail initial du maire a effectué des travaux majeurs. Puis, notre maire nous a quittés pour devenir ministre, à Victoria. Puis, nous avons eu droit à un changement. D'une certaine façon, toute l'éducation et toute la discussion qu'il y a eu avec le premier maire ont été perdues. Nous avons commencé avec un nouveau maire et un nouveau comité, auquel je me suis jointe encore une fois, avec de nouveaux membres. J'ai beaucoup discuté de la question avec le policier qui siégeait à ce comité. J'ai eu une très bonne impression un jour en particulier, après que nous nous sommes réunis pendant un certain temps; à ce moment-là, il m'a dit: «Vous avez complètement bouleversé mon point de vue sur la façon dont nous devrions...» Mon impression, c'est que le chemin à parcourir est long. L'évolution des attitudes se fait peut-être une personne à la fois, pour ainsi dire. Les gens commencent à comprendre qu'il ne s'agit pas d'un problème moral; il ne s'agit pas d'un problème criminel. Il s'agit de gens qui ont un problème de santé qu'il faut régler, comme tel. C'est l'approche que nous devons adopter à mon avis, mais je pourrais me tromper.
Le sénateur Carney: Je voulais vous interroger sur le travail que vous faites à la clinique. Comment mesurez-vous les résultats?
La dre Vogel: Quand nous demandons aux gens pourquoi ils viennent consulter, la plupart répondent qu'ils sont écœurés d'être malades et fatigués et accrochés à la drogue. Ils en sont au point où ils souhaitent réparer les choses. Nous commençons par une évaluation, et nous posons beaucoup de questions, et nous procédons à une évaluation de la qualité de vie, et nous réalisons une évaluation de la santé mentale et nous étudions leur situation d'emploi, leurs démêlés avec la justice et ainsi de suite.
Une fois ces renseignements réunis, nous devons dresser un plan de traitement et exposer ce que nous espérons accomplir. Nous souhaitons atténuer chez les gens le problème d'héroine; nous souhaitons stabiliser leur vie; nous voulons les aider à se prendre en main au point où ils peuvent trouver du travail et ainsi de suite.
Tous les quelques mois, nous révisons le plan dressé pour voir comment évoluent les choses. Nous utilisons une sorte de «bilan équilibré». Nous avons des indicateurs et nous devons mesurer certaines choses, et nous devons montrer que notre démarche porte fruit pour continuer à obtenir des fonds.
Le sénateur Carney: Y a-t-il une augmentation du nombre de clients que vous traitez et de votre charge de travail?
La dre Vogel: Oui. Nous traitons certaines personnes qui ne viennent pas de Richmond, là où il n'y a pas de services, ou très peu de services, à Surrey, et aucun, à Delta, notre voisin; et à White Rock. Comme nous sommes submergés de travail avec les ressources dont nous disposons, nous devons maintenant dire que nous n'acceptons que les gens qui proviennent de Richmond.
Le sénateur Carney: Vous dites qu'il y a quelque 200 clients?
La dre Vogel: Oui. Certains d'entre eux souffrent d'une infection à VIH et d'hépatite C; 70 environ sont traités à la méthadone. Pour notre programme de traitement à la méthadone, nous prévoyons un soir et un matin par semaine. C'est tout le temps que nous avons.
Le sénateur Carney: Votre travail vous permet-il de dire si ces 70 personnes s'adonnent à moins d'actes criminels pour se procurer leur héroïne?
La dre Vogel: Oui. Elles en commettent moins. La moitié environ travaille. Il y en a bon nombre qui ne consomment pas du tout, puisqu'elles sont traitées à la méthadone — 80 p. 100 environ, probablement, ne consomment pas d'héroïne.
Le sénateur Carney: Les gens parlent beaucoup de ce que coûtent les héroïnomanes — les coûts pour la collectivité, les coûts sur le plan de la santé et les coûts liés à la criminalité pour la collectivité. Savez-vous ce que cela coûte de faire suivre un traitement à la méthadone à quelqu'un?
La dre Vogel: Cela ne coûte vraiment pas grand chose. Le coût de la méthadone elle-même est minime. Il y a un coût qui se rapporte à la prescription de la drogue et au programme. Je crois que cela représente peut-être 100 $ par mois, et cela va à la pharmacie qui dispense la méthadone.
Le sénateur Carney: C'est le coût de pharmacie.
La dre Vogel: Le coût de pharmacie, oui.
Le sénateur Carney: Ce n'est donc pas un programme très coûteux.
La dre Vogel: Non. S'il s'agit d'un assisté social, une personne qui bénéficie de l'aide sociale, le coût est prévu. Sinon, la personne doit payer la pharmacie elle-même. Les coûts de notre programme comprennent le travail du médecin, de l'infirmière, du travailleur social et ainsi de suite, pour tant d'heures par semaine. Ce n'est pas grand chose.
Le sénateur Carney: Vous dites que, d'après ce que les gens vous ont dit, la marijuana n'est pas vraiment un grand facteur déclencheur.
La dre Vogel: Ils n'ont pas signalé cela. Ils diront qu'ils en ont fumé à l'occasion.
Le sénateur Carney: Je tiens simplement à vérifier encore une fois: vous dites que la consommation excessive d'alcool est plus susceptible d'être un facteur de déclenchement.
La dre Vogel: C'est plus probable, oui.
Le sénateur Carney: Vous avez été médecin-hygiéniste à deux endroits. Quelle est la différence entre la façon d'aborder la question à Richmond et la façon de l'aborder à Vancouver? Selon votre expérience, est-on plus progressiste à Richmond qu'à Vancouver?
La dre Vogel: Non, je ne crois pas.
Le sénateur Carney: Si vous cherchez à présenter une collectivité comme étant un modèle à suivre, diriez-vous que Richmond est un bon choix?
La dre Vogel: Oui. Je crois qu'on observe notre façon de faire parce que nous avons une forme d'intégration et que nous avons une équipe multidisciplinaire. Nous sommes perçus comme mettant à l'œuvre une sorte de projet pilote. Les gens viennent de diverses villes dans la province pour observer ce que nous faisons, et nous en sommes très fiers. Nous avons eu la visite de gens de Prince George aujourd'hui. Je crois que nous attendons des représentants de Campbell River et Powell River. Nous en sommes très heureux.
Le président: Merci.
Nous allons maintenant accueillir Anna Marie White, analyste des politiques pour Focus on the Family.
Mme Anna Marie White, analyste des politiques, Focus on the Family: Sénateurs, notre organisation répond aux préoccupations des familles canadiennes: la lutte que mènent les parents pour élever leurs enfants et les difficultés que doivent surmonter les jeunes en grandissant. À cette fin, nous publions un magazine mensuel qui parvient à plus de 100 000 familles canadiennes, nous distribuons des centaines de livres et de publications, nous diffusons une émission radio quotidienne sur 140 chaînes au Canada, nous organisons des conférences parents-adolescents et nous dirigeons un centre national d'intervention, où nous recevons tous les jours, littéralement, des centaines d'appels de familles canadiennes à la recherche d'informations et de conseils sur de nombreuses questions liées à la famille.
De même, nous coordonnons un programme d'éducation et d'intervention en matière de drogue, appelé «How To Drug Proof Your Kids» (ou Comment mettre vos enfants à l'abri de la drogue). Le but du programme consiste à faire en sorte que les parents puissent mieux habiliter leurs enfants à résister à la tentation de consommer des substances psychoactives. Nous croyons que l'existence de relations saines et l'intervention de parents sont des éléments clés pour aider les enfants et les adolescents à faire les choix judicieux en ce qui concerne la consommation de drogues.
Les préoccupations que nous nourrissons à l'égard du document de discussion du comité concernent d'abord et avant tout les politiques touchant le cannabis et les effets résultants sur les jeunes et les familles. Notre exposé nous permettra de présenter plusieurs recommandations qui, nous en sommes confiants, se révéleront utiles au comité au moment où celui-ci devra produire son rapport final à l'intention du gouvernement.
Comme il en est question dans le document de discussion, les éléments de preuve médicale concernant les effets sur la santé du cannabis — effets nuisibles et salutaires — ne sont pas concluants; au mieux, ils sont contradictoires. Je suis sûre que vous avez entendu beaucoup de témoignages des deux parties dans le débat sur la marijuana. Néanmoins, nous souhaitons attirer brièvement votre attention sur les recherches concernant les effets néfastes sur la santé du fait de fumer de la marijuana.
Quant aux effets médicaux de la marijuana, ce n'est pas là notre champ d'expertise; nous allons donc vous recommander les excellents travaux de Physicians for a Smoke Free Canada, qui ont exprimé leurs réserves quant à l'usage de la marijuana à des fins médicales, en janvier de cette année, en disant ce qui suit: «Au point où nous en sommes, nous en savons plus sur les torts que cause la fumée de la marijuana que sur les bienfaits.» Leur document de principe, intitulé «Marijuana as Medicine», recense dans le détail les recherches portant sur les effets nuisibles de la consommation de marijuana sous forme de cigarettes et signale une pratique supérieure qui consiste à administrer un traitement à la dronabinol et à la nabilone à des fins médicales. Je crois que ce document devrait être annexé à vos notes aussi; cela vous permettrait de le consulter à l'avenir.
Quant au document de discussion, nous souhaitons traiter de plusieurs des conclusions auxquelles en est venu le comité. Le document de discussion mentionne le fait que la politique gouvernementale semble avoir peu d'effets sur les habitudes de consommation. L'effet que peut avoir une politique gouvernementale, comme nous le savons tous, concerne l'attribution des ressources. C'est l'attribution des ressources financières, en ce qui concerne les stratégies relevant de la politique relative aux drogues, qui déterminera le comportement issu de tout cela.
Notre première recommandation consisterait à faire de la non-consommation le tout premier but à atteindre. Une des principales constatations que l'on trouve dans le document de discussion est la suivante: le cannabis est une substance psychotrope; par conséquent, il vaut mieux ne pas en consommer. Nous appuyons sans aucune réserve cette affirmation et proposons qu'elle serve d'assise à une stratégie visant à réduire la consommation de cannabis au Canada. De même, à partir de cet énoncé, nous préconiserions une approche qui privilégie non seulement la réduction du comportement dépendant ou de l'abus du cannabis, mais également des stratégies visant à réduire les taux de fréquence globaux de consommation du cannabis au Canada. Comme vous avez déjà déterminé qu'il vaut mieux ne pas consommer de cannabis du tout, alors faisons de cela notre but et travaillons en vue de le réaliser.
Notre deuxième recommandation concerne la prévention. Au comité, nous proposons d'insister non pas sur la réforme de nos lois en matière de drogues, mais plutôt sur l'examen de stratégies axées sur la prévention. La stratégie antidrogue du Canada signale que, d'abord et avant tout, c'est la prévention qui constitue l'intervention la plus fructueuse et la plus rentable. Comme nous savons que cela est vrai, ne devrions-nous pas nous concentrer sur les tactiques qui garantissent d'obtenir les meilleurs résultats possibles et le meilleur rendement possible sur notre investissement?
Les efforts de prévention doivent viser à déterminer pourquoi la marijuana gagne en popularité chez les jeunes. Elle est offerte à un prix abordable. Elle est accessible. De plus en plus, elle est jugée socialement acceptable. On peut acheter de la marijuana à peu près n'importe où au Canada, et le prix reste dans les limites du revenu disponible de l'adolescent moyen. La culture populaire et les médias font voir aux jeunes que «se geler» est ce que font ceux qui ont du plaisir et qui font la fête.
Les jeunes se droguent pour de multiples raisons: pour se rendre populaires auprès de leurs amis, pour le plaisir, pour l'excitation ressentie à l'idée de se livrer à une activité considérée comme répréhensible et, parfois, pour échapper à la réalité de tous les jours. Si on ne peut supprimer l'influence négative des pairs, nous pouvons atténuer ses effets en donnant aux jeunes les moyens de dire non aux drogues et de faire des choix respectueux de leur santé et de leur corps — décisions responsables qui se traduiront par une réussite plus grande dans la vie.
Dans ce message de prévention, on doit notamment tenir compte du fait que les causes primordiales de la consommation de drogues viennent d'un manque d'information à l'égard des effets nuisibles des drogues, non seulement la marijuana et d'autres stupéfiants illicites, mais aussi des drogues licites comme l'alcool et le tabac. Les médias et le gouvernement devraient faire la promotion d'un mode de vie sain, sans consommation de drogues: ce faisant, on donnera aux jeunes les meilleures chances de réussite possibles dans les domaines de l'éducation, de l'emploi et des relations de même que la possibilité d'atteindre leurs buts personnels.
La consommation de cannabis et d'autres psychotropes est souvent symptomatique du sentiment que de nombreux jeunes ont d'être «déconnectés», en particulier pendant les tumultueuses années de l'adolescence. Comme je l'ai indiqué, «How To Drug Proof Your Kids», vise à prévenir la consommation de drogues au moyen de relations parents-enfants étroites. Essentiellement, il s'agit d'un cours sur l'art d'être parent emballé dans un programme de prévention de la consommation de drogues. Des familles fonctionnelles dirigées par des parents présents qui s'investissent dans la vie de leurs enfants constituent l'une des meilleures défenses contre la consommation de drogues.
Les auteurs d'un compendium des meilleures pratiques préparé par le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et la toxicomanie attirent l'attention sur l'importance que revêt l'influence des parents pour l'adoption de comportements à risque élevé chez les jeunes:
[...] ils ont un rôle crucial à jouer en tant que parents dans la prévention des problèmes attribuables à la consommation d'alcool et d'autres drogues. La surveillance du comportement de leurs enfants, et de bonnes relations avec eux, sont directement reliées à la diminution de la consommation de drogues chez les élèves.
Les auteurs de nombreuses études menées au Center on Addictions and Substance Abuse de l'Université Columbia, notamment des recherches poussées sur les programmes de prévention, en sont venues à la même conclusion. Si vous souhaitez creuser la question, je me ferai un plaisir de vous fournir certaines de ces études.
Notre troisième recommandation a trait au leadership dont la nation doit bénéficier. Nous prions instamment le comité de songer à l'importance que revêt la conclusion des ententes entre les divers ordres de gouvernement et leurs citoyens. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons, au meilleur de nos capacités, créer un pays d'où les drogues sont absentes. Dans son rapport de 2001, le vérificateur général confirme ce qui, au Canada, a fait défaut et continue de faire défaut:
Le Canada a besoin d'un leadership plus fort et d'une coordination plus uniforme pour établir une stratégie, des objectifs communs et des attentes sur le plan du rendement collectif. [...] Il faut revoir et améliorer la structure actuelle de leadership et de coordination du gouvernement fédéral. Les mécanismes de coordination avec les provinces et les municipalités doivent également être examinés puisque le problème touche les trois ordres de gouvernement.
À cela nous ajouterions qu'il faut créer des réseaux et coopérer avec les organisations non gouvernementales, comme Focus on the Family, qui ont des objectifs communs en ce qui a trait à la réduction de la consommation de cannabis. Étant donné les défis non seulement idéologiques, mais aussi géographiques, que doit relever un pays vaste comme le Canada, l'appel en faveur d'un leadership plus fort revêt encore davantage d'importance.
Voici notre quatrième recommandation: respecter la règle de droit par l'imposition de son respect. Une autre conclusion clé du document de discussion fait état d'une préoccupation relative à la règle de droit. Je cite: «Plus d'un Canadien sur dix et plus de 30 p. 100 à 50 p. 100 des jeunes de 15 à 24 ans font usage du cannabis malgré son illégalité; cette situation entraîne un mépris pour la règle de droit.» Il est certain que notre organisme reconnaît que le respect de la règle de droit a un rôle primordial à jouer dans le maintien de l'ordre dans une société libre et démocratique. Cependant, nous en venons à une conclusion différente en ce qui concerne le moyen de préserver la règle de droit. Abolir une loi sous prétexte qu'un Canadien sur dix ne la respecte pas aura assurément pour effet de favoriser le démantèlement d'un système judiciaire structuré et ordonné. La meilleure façon de promouvoir le respect de la règle de droit consiste à inciter les citoyens à y obéir.
En tant que membres d'une société, nous ne devons pas oublier que le gouvernement a pour mandat de l'organiser et de l'ordonner pour le bien des citoyens. Dans ce contexte, certaines restrictions des libertés personnelles se justifient. Lorsque, dans les années 70, les premières dispositions législatives relatives aux ceintures de sécurité ont fait leur apparition dans la politique publique canadienne, les 10 p. 100 d'entre nous qui étaient déjà favorables aux mécanismes de contention pour les passagers les ont accueillis avec enthousiasme; quant aux autres, c'est-à-dire 90 p. 100 de la population, ils y ont opposé un mélange de dédain et de mépris.
Aujourd'hui, 20 ans plus tard, rares sont ceux qui nieraient l'apport que les ceintures de sécurité ont joué en sauvant des vies. Même si les voitures sont deux fois plus nombreuses sur les routes, le nombre de blessures a diminué de plus de moitié, en raison surtout des dispositions législatives et des mesures d'application de la loi dans deux domaines principaux: l'utilisation de la ceinture de sécurité et, ce qui tombe à pic dans le débat actuel, la conduite avec des facultés affaiblies. Des campagnes de sensibilisation rigoureuses ont informé les automobilistes du bien-fondé des mécanismes de contention pour les passagers. Aujourd'hui, soit deux décennies plus tard, le taux d'utilisation des ceintures de sécurité s'élève à plus de 90 p. 100 dans presque toutes les provinces.
Les citoyens comptent sur le gouvernement pour faire preuve d'un leadership profitable non seulement aux citoyens pris individuellement, mais aussi à la société dans son ensemble. On peut exercer une influence considérable sur l'opinion publique au moyen de stratégies d'information et d'éducation ayant pour but de clarifier les avantages prévus de politiques législatives. Dans le cas qui nous occupe, la législation sur la marijuana a pour but de protéger les Canadiens contre des effets que nous savons désavantageux.
Comme l'efficacité des stratégies actuelles d'application de la loi fait aujourd'hui l'objet d'un débat houleux, nous allons nous en remettre à l'Association canadienne des policiers, à la GRC, à l'Association des chefs de police du Canada et à d'autres organismes pertinents oeuvrant dans le domaine. Nous tenons à manifester notre appui aux efforts visant à préserver et à renforcer les lois canadiennes en matière de drogues. Nous invitons également le comité à faire l'analyse critique de la capacité des organismes chargés de l'application de la loi et du système de justice de faire respecter la règle de droit aux termes des lois actuelles.
Notre cinquième recommandation concerne la préservation des messages destinés aux jeunes. Nous invitons les partisans de la décriminalisation de la marijuana à faire preuve de prudence. Atténuer la gravité des conséquences de la possession de marijuana affaiblit les effets dissuasifs exercés sur les jeunes, qui voient dans ce changement de politique une forme d'approbation, voire d'encouragement, de la consommation de marijuana. Or, les recherches montrent que les jeunes, à l'instar des adultes, sont sensibles aux préjudices perçus de la consommation de stupéfiants. Si on indique clairement que la marijuana cause des préjudices physiques directs — nous sommes au courant des lésions pulmonaires et d'autres effets nuisibles pour la santé —, les jeunes pourront faire des choix éclairés en ce qui concerne la consommation de la marijuana.
Certains partisans de la marijuana ont proposé de réglementer et de taxer la marijuana, ce qui assurerait des recettes aux gouvernements. La réglementation, bien qu'elle soit attrayante dans la mesure où elle suppose une certaine forme d'uniformité ou de garantie de qualité, présente des défis insurmontables. En Colombie-Britannique seulement, on estime à de 15 000 à 20 000 le nombre de sites de culture dans des habitations privées, et le nombre oscille entre 10 000 et 25 000 selon les interlocuteurs. Cependant, nous savons que le nombre de sites de culture est déjà trop grand pour les moyens dont nous disposons. Les ressources policières actuelles se sont révélées impuissantes à les éliminer.
Étant donné le mal qu'on éprouve à empêcher ces entrepreneurs de se livrer à une activité aujourd'hui totalement illégale, imaginez la difficulté qu'on aura à mettre en œuvre une politique réglementaire qui non seulement permettra aux intéressés de continuer de produire de la marijuana, mais aussi de verser au gouvernement des redevances en contrepartie. S'il est vrai que l'Agence des douanes et du revenu du Canada réussit mieux que nos forces de police à faire appliquer la loi, peut-être devrions-nous étudier les moyens de mieux habiliter nos agents d'application de la loi à effectuer cette tâche dans le cadre de nos lois actuelles sur les drogues.
Voici notre sixième recommandation: investir dans les approches à long terme. Nous prions instamment le comité d'adopter une vision à long terme concernant les effets de la réforme de la politique canadienne sur les drogues. Tirons les enseignements de l'histoire: au moment de l'adoption des premières lois canadiennes sur les drogues, la Loi sur l'opium de 1909 aussi bien que la Loi sur l'opium et autres drogues en 1991, on a inconsidérément fait fi du tabac, considéré comme non toxicomanogène. Aujourd'hui, près d'un siècle plus tard, malgré la pénurie d'informations mises à notre disposition par les recherches sur le tabac, nous comprenons clairement que nous faisons de toute évidence les frais du manque de clairvoyance dont ont fait preuve les décideurs de l'époque.
Aujourd'hui, les gouvernements fédéral et provinciaux font activement campagne contre le tabagisme au moyen de taux d'imposition élevés, de campagnes faisant appel à des photos explicites et de programmes dynamiques de lutte contre le tabac. Le tabac, qui tue un Canadien sur cinq, est la principale cause de maladies évitables au pays. Les gouvernements provinciaux poursuivent les compagnies de tabac pour recouvrer les coûts des soins de santé requis par les personnes que le tabagisme a rendues malades. Dans les provinces des Prairies, des médecins refusent de traiter des patients qui n'acceptent pas de renoncer au tabac. En raison des dépenses liées à la santé, de la perte de productivité et des décès prématurés, le tabagisme coûte au pays plus de dix milliards de dollars par année.
Voici notre septième recommandation: il faut se prémunir contre les incidences négatives de la politique sur les drogues. Nous nous inquiétons de l'orientation prise par la réforme de la politique sur les drogues. Dans un article publié l'été dernier dans le magazine The Economist, on formule la recommandation suivante:
La meilleure solution consiste à s'orienter lentement mais sûrement vers le démantèlement de l'édifice de l'application de la loi. Il faut commencer par la possession de cannabis et d'amphétamines, puis faire l'essai de différentes stratégies ... après, on pourra passer aux drogues dures, mises en marché par l'intermédiaire de points de vente autorisés.
C'est la position adoptée par quelques-uns des organismes canadiens que le comité a déjà entendus. Ces derniers font activement la promotion de la décriminalisation et de la légalisation éventuelle non seulement de la marijuana, mais aussi d'autres stupéfiants aujourd'hui illicites, comme l'héroïne et la cocaïne.
Toute une rhétorique entoure la prétendue «guerre aux drogues». Avons-nous perdu la guerre? Que faire maintenant? S'agissait-il même d'une guerre? Le comité est confronté à un défi de taille: recommander des politiques réalistes et applicables concernant la consommation de cannabis. En ce sens, nous comptons que le comité fera preuve de prudence dans ses décisions et d'innovation dans ses recommandations stratégiques. Nous espérons aussi qu'il saura résister à la tentation de simplement céder à l'engouement actuel pour le chanvre. Nous le devons bien à nos enfants.
En conclusion, j'aimerais faire un survol de nos recommandations. Premièrement, faisons de la non-consommation de cannabis notre principal objectif. Deuxièmement, nous devons mettre l'accent sur les mesures de prévention qui se sont révélées les moyens les plus sains et les plus efficients de décourager la consommation de drogues. Troisièmement, nous invitons le gouvernement fédéral à coordonner des campagnes intergouvernementales multisectorielles visant à réduire la consommation de drogues au Canada. Quatrièmement, nous voulons faire la promotion du respect de la règle de droit grâce à l'observation de la loi. N'oubliez pas que la vaste majorité des Canadiens n'a pas contrevenu aux lois sur le cannabis. Cinquièmement, nous devons veiller à ce que les messages véhiculés auprès des jeunes soient clairs: la consommation de drogues est néfaste, et l'abstention constitue le meilleur choix de vie qui soit. Sixièmement, nous recommandons que le comité et le gouvernement investissent dans des mesures qui permettent d'aborder le problème de la consommation de cannabis dans un cadre favorisant la réussite à long terme. Enfin, nous devons éviter de capituler devant les pressions qui s'exercent en faveur de l'acceptation de politiques sur les drogues qui auront pour effet d'éroder davantage notre cadre stratégique en matière de drogues.
Une fois de plus, je remercie le comité de l'occasion qui m'a été donnée de faire connaître le point de vue de notre organisme et des milliers de familles canadiennes que nous représentons. Nous attendons avec impatience le rapport final sur la consommation de cannabis que le comité publiera cet été.
Le président: En ce qui concerne les effets négatifs pour la santé, vous avez choisi le rapport de l'organisme Médecins pour un Canada sans fumée. Pourquoi ne pas avoir opté pour le rapport de Lancet?
Mme White: Il y a de nombreux rapports. J'en ai simplement retenu un petit échantillon.
Le président: Vous connaissez le rapport de Lancet?
Mme White: Lequel? En quelle année a-t-il été publié?
Le président: En 1998. On y examine les effets négatifs ou physiologiques du cannabis, et on en vient à la conséquence que le produit est relativement inoffensif.
Mme White: J'ai tenté de m'en tenir aux recherches issues du Canada. Je me rends compte qu'on effectue beaucoup de travaux dans ce domaine au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde. Toutefois, comme il s'agit d'un comité canadien et que nous nous intéressons à une question politique canadienne, je préfère utiliser ce qui a été fait par des médecins canadiens. Je suis consciente du fait qu'il existe de fortes dissensions, dirais-je, entre les divers chercheurs.
Le président: En ce qui concerne les effets sur la santé, les dissensions ne sont pas bien grandes. À la lecture de notre document, vous vous rendrez compte que nous avons étudié tous les documents, issus du Canada, mais aussi de l'étranger. Pour ce qui est de l'état des connaissances dans le domaine, notre document de discussion fait plutôt bien le travail.
Vous avez fait référence à la prévention précoce et à l'éducation dans le domaine des drogues. Avez-vous des programmes qui ont fait l'objet d'une évaluation?
Mme White: Oui. Nous avons adapté notre programme à partir d'un programme australien qui a aujourd'hui été proposé à 20 000 parents. Nous avons entrepris une étude longitudinale de cinq ans qui assurera le suivi de la réussite du programme. Il est organisé de manière que les parents aient les connaissances et les moyens voulus pour parler avec leurs enfants des pressions exercées par les pairs ainsi que de l'offre de drogues dans les rues et dans les gares d'autobus. Notre but, comme vous le constaterez à la lecture de notre mémoire, est d'atteindre le niveau le plus élevé possible de santé et de potentiel.
Rares sont ceux d'entre nous qui n'admettrions pas que la consommation de drogues — qu'il s'agisse d'alcool, de tabac ou de drogues illicites — nuit à notre rendement. Rares sont ceux d'entre nous qui ont les moyens de fonctionner à moins de 100 p. 100 de leur capacité et d'atteindre les buts qu'ils pourraient autrement atteindre. C'est l'objectif ultime.
Le président: S'il s'agit de fournir des services de prévention et d'éducation et de faire état des meilleures connaissances qui soient pour informer la population des choix les plus avisés qui s'offrent à elle, n'est-ce pas aux particuliers que revient, en dernière analyse, la responsabilité de faire des choix?
Mme White: Oui, absolument. À mon avis, la capacité d'effectuer de bons choix est fonction d'une information de bonne qualité. Nous voulons donc faire en sorte que les parents — au même titre que les enfants, les jeunes et les adolescents — soient bien informés des effets ou des effets potentiels, quelle que soit la drogue dont il s'agit: tabac, alcool, marijuana, cocaïne, LSD, ecstasy. La liste se poursuit à l'infini. On ne peut en rester à un seul stupéfiant.
Le sénateur Carney: Avez-vous déposé auprès du comité de l'information sur votre organisme? Êtes-vous une ONG? Combien comptez-vous de membres? Avez-vous une envergure nationale? Votre organisme est-il constitué en personnes morales en Colombie-Britannique? Y a-t-il des renseignements au sujet de votre groupe?
Mme White: C'est avec plaisir que je vous fournirai ces renseignements. Nous sommes une ONG nationale. Environ 130 000 familles sont abonnées à notre bulletin. Nous existons au Canada depuis, je crois, dix-huit ans. Nos activités s'étendent d'un océan à l'autre. Nous sommes présents dans 140 chaînes de radio. Nous intervenons un peu partout. Nous avons des représentants et des personnes qui, de la côte Est à la côte Ouest, s'emploient en notre nom à la mise en œuvre de programmes. Nous sommes à tous points de vue un organisme national.
Le sénateur Carney: Très bien. Le comité a besoin de ce genre d'information. Sinon, vous pourriez simplement représenter une organisation qui se résume à un casier postal.
Mme White: Je comprends. Entendu. Je me ferai un plaisir de vous faire parvenir ce genre de renseignements.
Le sénateur Carney: Comment obtenez-vous votre financement? Recevez-vous des fonds gouvernementaux?
Mme White: Non, nous ne recevons pas de fonds gouvernementaux. Nous sommes financés par les personnes qui nous soutiennent. Nous sommes un organisme sans but lucratif.
Le sénateur Carney: Vous ne faites donc pas partie d'un système de santé?
Mme White: Non, pas du tout. En fait, la santé n'est qu'un des aspects qui, selon nous, contribue au bien-être des familles.
Le sénateur Carney: Je pense qu'il est important que vous soumettiez certains renseignements sur votre association à l'appui de votre mémoire. J'ignore si vous êtes médecin ou directrice générale de l'organisme, mais tout ce que vous pourrez nous dire au sujet de vos antécédents nous sera utile.
Mme White: Entendu. Je vous ferai parvenir ces renseignements par écrit.
Le président: Je vous remercie beaucoup.
La séance est levée.