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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)


Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 21 - Témoignages


WINDSOR, le vendredi 7 juin 2002

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 8 heures pour réexaminer les lois et les politiques antidrogue canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous entendrons d'abord ce matin le sergent d'état-major de la GRC, Wally Dowhayko. Monsieur, vous avez la parole.

Le sergent d'état-major Wally Dowhayko, agent de la GRC responsable de la Section des drogues de Windsor: Au nom du commandant de la Division «O» de la GRC, je remercie les membres du comité d'avoir sollicité notre participation.

Je compte environ 32 ans d'expérience dans la police et je participe à des installations antidrogues depuis une vingtaine d'années. J'ai occupé diverses fonctions, allant de saisies de quelques grammes de marijuana lors de patrouilles dans les rues de Windsor, en Ontario, au milieu des années 80, jusqu'à la lutte contre la contrebande internationale d'héroïne dans le triangle d'or, pendant mon affectation à la section antihéroïne, à Toronto. Les enquêtes sur les drogues m'ont amené dans plusieurs pays, dont la Thaïlande, l'Allemagne, Chypre, Hong Kong et les États-Unis.

Je suis actuellement responsable de la Section antidrogue de Windsor, une section qui comprend 13 enquêteurs qui ont pour mandat de traquer les organisations criminelles de haut niveau et les personnes qui se livrent à l'importation et au trafic à grande échelle de drogues; ils cherchent également à récupérer les profits de la criminalité et à prévenir la toxicomanie. Un des 13 enquêteurs est affecté à plein temps à des fonctions de sensibilisation aux méfaits des drogues.

Je voudrais d'abord présenter au comité un bref aperçu du trafic de drogues dans la localité, trafic «confirmé» par des services de renseignement et par les saisies qu'ont effectuées les services de police locaux, notamment le Service de police de Windsor, la Police provinciale de l'Ontario et les sections antidrogue de la GRC. Je traiterai ensuite des problèmes liés au cannabis.

La plupart des drogues saisies à Windsor proviennent de Toronto, de Montréal et de Détroit. Il est facile de se procurer la majeure partie des drogues. Le cannabis est abondant et demeure toujours la drogue illicite la plus populaire. La demande accrue de cannabis de meilleure qualité a entraîné une augmentation marquée du nombre d'installations de culture du cannabis. Le crack en provenance de Toronto et de Détroit est plus accessible dans le centre-ville de Windsor. La poudre de cocaïne est fournie par des trafiquants de niveau intermédiaire qui se procurent de nombreuses onces de poudre à Détroit ou à Toronto, au besoin. Les drogues chimiques, surtout la MDMA, appelée communément Ecstacy, gagnent en popularité. En outre, avec la hausse de la production de méthamphétamine au Michigan, en Ohio et en Californie, l'importation des précurseurs canadiens, surtout d'éphédrine, augmente également et préoccupe de plus en plus la Section antidrogue.

En ce qui concerne le cannabis, je peux dire sans hésitation qu'elle demeure la drogue la plus populaire et la plus utilisée parmi tous les groupes d'âge. Comme je l'ai fait remarquer, tous les organismes antidrogue locaux ont noté une hausse marquée du nombre d'installations de culture intérieure. Cette culture, qui était habituellement pratiquée à l'extérieur, se fait désormais à l'intérieur, à l'aide de systèmes hydroponiques sophistiqués et plus difficiles à déceler. Ces deux dernières années, la section antidrogue de la GRC a saisi et démantelé une dizaine de réseaux de production, saisissant entre 50 et 600 plants. Ces chiffres sont considérablement plus élevés chez mes collègues de la Police provinciale de l'Ontario et du Service de police de Windsor. Dans nos saisies, le contenu qualitatif de THC varie entre 5,2 et 8,2 p. 100. Ce pourcentage de THC semble correspondre aux échantillons analysés dans la province.

À mesure que cette industrie extrêmement lucrative prend de l'expansion, elle attire et continuera d'attirer des organisations criminelles, ou des citoyens ordinaires attirés par l'argent. Les installations de culture du cannabis servent principalement à approvisionner les marchés locaux et régionaux. Cependant, comme la demande dépasse toujours l'offre locale, les trafiquants doivent trouver de nouvelles sources d'approvisionnement. La Colombie- Britannique est toujours un fournisseur de la région. La section antidrogue a mené trois livraisons contrôlées de marijuana cultivée en Colombie-Britannique au cours des 18 derniers mois, les saisies variant entre une livre et cinq livres. Jusqu'à récemment, des Mennonites faisant la navette entre le Mexique et Leamington, petite localité située à une cinquantaine de kilomètres de Windsor, étaient chargés de fournir de grandes quantités de cannabis. Une opération conjointe des forces de l'ordre a permis de démanteler ce groupe et de saisir plus de 100 livres de marijuana, qui faisaient partie d'un chargement. En outre, comme Détroit compte une forte population de Mexicains, il ne fait aucun doute que d'autres fournisseurs se livrent au trafic à la frontière avec la collaboration de trafiquants installés au Canada. Bien que, à mon avis, la frontière décourage bon nombre de petits trafiquants indépendants, les gros trafiquants continuent d'importer et d'exporter de vastes quantités de drogues par la frontière, comme l'a montré la saisie, l'année dernière, d'environ 500 kilos de cannabis caché dans un chargement commercial de haricots. Environ 80 000 camions de haricots traversent la frontière tous les mois, ce qui facilite l'accès aux marchés canadien et américain. Étant donné la quantité de trafic, tenter d'identifier les chargements de drogues sans service de renseignement précis, au moyen d'une inspection secondaire, c'est comme tirer un coup de feu dans l'obscurité. Bien que l'interdiction du trafic de drogues à la frontière incombe à Douanes Canada, la section antidrogue de la GRC surveille la frontière sur appel 24 heures par jour, 7 jours par semaine, s'occupe des drogues saisies, porte des accusations au criminel et mène des enquêtes à la suite des infractions.

Aux termes d'une entente conclue avec Douanes Canada, certains seuils ont été établis avant que la section antidrogue ne soit prévenue. Pour le cannabis, ce seuil se situe à 50 grammes. Au cours des 18 derniers mois, les membres de la section antidrogue ont répondu à neuf appels des Douanes et des accusations d'importation ou de possession de cannabis ont été portées. Les saisies variaient entre 1 000 et 50 grammes. La plupart des contrevenants sont des citoyens américains. Les saisies effectuées par les Douanes qui n'atteignent pas ce seuil font l'objet d'une sanction civile. Ces petites saisies, dont le nombre peut varier entre 30 et 50 par mois, ne font pas l'objet d'accusations au criminel et la drogue est entièrement détruite. La section antidrogue consacre environ 5 p. 100 de ses ressources aux enquêtes sur le cannabis, dont les livraisons contrôlées, l'éradication de la culture de la marijuana à l'extérieur, la surveillance des installations de culture à l'intérieur et l'aide à des organismes de l'étranger. Au cours des 18 derniers mois, aucune accusation n'a été portée pour simple possession de cannabis. Dans la région, trois personnes ont été accusées de trafic de marijuana.

Le cannabis n'est pas considéré comme une priorité pour les forces de l'ordre, de sorte que peu de ressources sont consacrées à la lutte contre cette drogue. Cependant, je n'hésiterais pas à lancer une vaste opération contre un groupe criminel organisé qui se livrerait à la culture ou au trafic du cannabis. En terminant, on m'a également demandé de commenter les saisies de cannabis après les attentats du 11 septembre. Je crois que mes collègues des Douanes seraient en meilleure position que moi pour présenter des statistiques. Je crois savoir que, bien que le nombre de saisies ait augmenté, les quantités saisies ont diminué. Les saisies de drogues pour usage personnel ont augmenté. Dans l'ensemble, la présence de la GRC à la frontière pour intenter des poursuites au criminel est demeurée constante la plupart du temps. Comme on m'a demandé de ne commenter que les problèmes liés au cannabis, je n'aborderai pas d'autres sujets, comme la réduction de la demande ou la sensibilisation aux méfaits des drogues. Je crois savoir que le comité a reçu de nombreux mémoires consacrés à ces questions importantes. Je serais maintenant heureux de tenter de répondre à toute question que le comité voudrait poser.

Le sénateur Kenny: Vous avez soulevé plusieurs questions qui m'intéressent. Vous avez dit que vous exercez une surveillance à la frontière 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Est-ce à la fois dans le tunnel et sur le pont?

Sgt é.-m. Dowhayko: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Ce sont vos 13 agents qui s'en chargent?

Sgt é.-m. Dowhayko: Oui.

Le sénateur Kenny: Avez-vous des agents sur les lieux?

Sgt é.-m. Dowhayko: Non. Ils travaillent sur appel.

Le sénateur Kenny: Cela signifie qu'un agent peut devoir se lever à trois heures du matin pour se rendre là-bas?

Sgt é.-m. Dowhayko: Oui, à l'occasion. Le nombre d'appels a considérablement été réduit depuis que nous avons établi le seuil. Au cours de mes premières années à Windsor, nous intervenions pour toute quantité dépassant trois ou quatre grammes. Le nombre d'appels, les coûts engagés et les ressources matérielles nécessaires étaient trop lourds pour la section. Nous avons alors rencontré les autorités des Douanes et avons décidé d'élever le seuil. Nous nous sommes réunis à deux reprises et nous avons augmenté le seuil. Nous l'avons fait passer à 15 grammes, puis à 30 grammes et, maintenant, à 50 grammes, quantité qui nous amène à intervenir. Cela a permis de réduire considérablement le nombre d'appels.

Le sénateur Kenny: Le service de police de Windsor intervient dans toutes sortes d'autres cas, et des policiers sont postés aux deux postes frontières, sans s'occuper des trafiquants de drogues?

Sgt é.-m. Dowhayko: C'est exact. La police de Windsor s'occupe de toutes les affaires criminelles. La GRC se charge des affaires de drogues.

Le sénateur Kenny: Vous m'aideriez beaucoup si vous pouviez expliquer un peu plus une observation que vous avez faite. Elle concerne l'interdiction. Pourriez-vous y revenir? Vous avez dit, si j'ai bien entendu, que vous ne comptiez pas sur un service de renseignement; vous comptiez plutôt sur les inspections pour vous aider à appréhender des narcotrafiquants à la frontière.

Sgt d'é.-m. Dowhayko: Je disais que, étant donné la quantité de trafic de drogues, tenter d'identifier les chargements de drogues uniquement au moyen d'une inspection secondaire, c'était comme tirer un coup de feu dans l'obscurité. Avec 80 000 camions qui traversent la frontière, essayer de découvrir un camion qui transporte peut-être des drogues est un exploit impossible. C'est par pure chance qu'on en découvre.

Le sénateur Kenny: Clarifions les choses au profit du comité. Si je comprends bien, entre 1 et 3 p. 100 des véhicules à la frontière sont déchargés et sont fouillés grâce à des services de renseignement. Je tente de faire la quadrature du cercle. Si les douaniers nous disent qu'ils procèdent à une inspection secondaire de véhicules grâce à des services de renseignement, en quoi ces services sont-ils utiles?

Sgt é.-m. Dowhayko: Étant donné le nombre de saisies à Windsor, je me demande en quoi ils sont utiles. Si je comprends bien, les douaniers utilisent certains indicateurs pour déterminer si un camion doit faire l'objet d'une inspection secondaire ou non. Lorsque j'ai parlé de services de renseignement, je songeais surtout aux services de renseignement d'organismes de l'étranger, soit les États-Unis ou d'autres pays, qui identifient certains véhicules qui pourraient transporter des drogues, de sorte que des surveillants pourraient être postés à tous les postes frontières du pays pour interdire le trafic.

Le sénateur Kenny: Un autre comité auquel je siège a exprimé une vive inquiétude au sujet du faible niveau d'inspection. Comme vous n'inspectez que trois véhicules sur 100, et que vous n'ouvrez la porte arrière que de la moitié d'entre eux pour voir si tout est en règle, et comme un seul véhicule sur 100 est fouillé et inspecté de fond en comble, nous pensions avec soulagement qu'un taux de 3 p. 100 n'était pas faible, en raison de la qualité des services de renseignement fournis. Les 3 p. 100 en question étaient très bien choisis. Je soupçonne que vous laissez entendre que vous ratez la cible plus souvent qu'autrement.

Sgt é.-m. Dowhayko: Là encore, je ne suis pas posté à la frontière. Je ne travaille pas pour Douanes Canada. Je me fie seulement à l'information que je reçois, et je crois que Douanes Canada serait probablement en meilleure position que moi pour expliquer exactement comment elles choisissent les véhicules qui doivent faire l'objet d'une inspection secondaire. Sauf erreur, un représentant de Douanes Canada comparaîtra plus tard aujourd'hui. Si je comprends bien, elles utilisent certains critères pour choisir les véhicules qui seront vérifiés. Si elles comptent sur des services de renseignement, elles seraient probablement mieux en mesure que moi d'expliquer comment les choses se passent.

Le sénateur Kenny: Vingt ans d'expérience dans ce domaine, c'est beaucoup. Vous disposez de 13 années-personnes.

Sgt é.-m. Dowhayko: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Que pensez-vous de la quantité de ressources dont vous disposez?

Sgt é.-m. Dowhayko: Eh bien, j'en ai 13 en principe. En réalité, j'en ai actuellement sept ou huit. Depuis les attentats du 11 septembre, des agents ont été affectés à d'autres sections antiterrorisme à la frontière. La GRC essaie de composer avec ces ressources. Cela rend la tâche difficile, mais je travaille étroitement avec les autres organismes pour veiller à l'intégration de nos fonctions d'application de la loi, et cela nous aide.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous donner au comité une idée de la taille de l'ensemble du groupe, non seulement le nombre de policiers qui font des arrestations, mais également ceux qui s'occupent de la sensibilisation et du traitement? À votre avis, combien d'agents dans la région de Windsor s'occupent des narcotrafiquants?

Sgt é.-m. Dowhayko: Je ne comprends pas très bien votre question.

Le sénateur Kenny: Vous nous avez dit combien de membres de la GRC s'occupent de la lutte antidrogue dans la région de Windsor, qui, soit dit en passant, s'étend de Point Pelee à Sarnia.

Sgt é.-m. Dowhayko: Nous surveillons la majeure partie du comté d'Essex. Nous allons jusqu'à Chatham et en partie jusqu'à Sarnia.

Le sénateur Kenny: Est-ce une grande région?

Sgt é.-m. Dowhayko: Je crois qu'elle compte environ 500 000 habitants.

Le sénateur Kenny: Et 150 kilomètres de frontière?

Sgt é.-m. Dowhayko: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Il s'agit là de la composante fédérale. La composante de la Police provinciale de l'Ontario et du service de police de Windsor est-elle semblable? C'est la première partie de la question. Combien de policiers participent activement à la lutte antidrogue?

Sgt é.-m. Dowhayko: Je crois que la section de la Police provinciale de l'Ontario compte pratiquement le même nombre d'agents que la nôtre. Sa section antidrogue est organisée un peu différemment, mais je crois que, en ce qui concerne ses ressources, elle compte près de 13 agents. Cependant, sa région est beaucoup plus vaste et la section agit un peu différemment.

Le sénateur Kenny: Elle va de London jusqu'à Sarnia et jusqu'à Leamington?

Sgt é.-m. Dowhayko: C'est exact, et je crois que le service de police de Windsor, qui surveille essentiellement la Ville de Windsor et, occasionnellement, l'extérieur des limites de la ville, compte une dizaine d'agents dans sa section. Sauf erreur, le sergent d'état-major Woods comparaîtra ici, plus tard ce matin.

Le sénateur Kenny: D'accord. La région compte donc 36 agents?

Sgt é.-m. Dowhayko: Je dirais que c'est assez exact.

Le sénateur Kenny: Cela mis à part, combien d'agents s'occupent de la sensibilisation et tentent de convaincre les gens de ne pas consommer de drogues? Je ne parle pas seulement de policiers, mais également d'autres personnes. Le médecin conseil en santé publique a-t-il des personnes qui s'en chargent? Des groupes vont-ils dans les écoles? Des groupes du secteur privé?

Sgt é.-m. Dowhayko: Nous avons une personne à plein temps, et la section de police communautaire du service de police de Windsor effectue des visites dans la plupart des écoles. Je crois que trois ou quatre personnes sont affectées à cette section. La plupart des détachements de la Police provinciale de l'Ontario ont des agents affectés dans la communauté qui visitent les écoles et présentent les programmes VIP et d'autres conférences antidrogue. En dehors des services de police, je ne connais personne qui se rend dans les écoles pour sensibiliser les élèves.

Le sénateur Kenny: Quelle est votre estimation au sujet du traitement et de la santé publique? J'admets que vous n'êtes pas un expert dans ce domaine, mais, si vous êtes dans la région depuis 20 ans, vous devez sûrement avoir une idée de ce qui se passe.

Sgt é.-m. Dowhayko: Je ne suis pas à Windsor depuis 20 ans et je ne peux pas répondre à cette question avec précision.

Le sénateur Kenny: D'accord. Vous me dites que la GRC a pour politique de ne pas faire d'arrestations pour simple possession, à moins de tomber sur des narcotrafiquants.

Sgt é.-m. Dowhayko: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Est-ce que le procureur de la Couronne de la localité est en faveur de cela?

Sgt é.-m. Dowhayko: Oui, dans une grande mesure. Là encore, je n'ai pas vraiment discuté de la question avec lui. Nous n'intervenons pas habituellement dans les cas de simple possession, à moins que nous n'enquêtions sur une autre affaire et que nous tombions par hasard sur ces cas. À mon avis, le procureur de la Couronne, et je le connais fort bien, pour l'avoir côtoyé pendant des années, n'y verrait pas de problème.

Le sénateur Kenny: Lorsque vous dites que vous n'intervenez pas dans les cas de simple possession, comment composez-vous avec des groupes comme celui que nous avons entendu hier soir, le Compassion Club, qui doit manifestement accumuler des quantités considérables de marijuana?

Sgt é.-m. Dowhayko: Comment composons-nous avec des groupes comme celui-là?

Le sénateur Kenny: Oui.

Sgt é.-m. Dowhayko: S'ils en accumulaient des quantités qui répondent aux critères de possession aux fins de trafic et si nous apprenions qu'ils étaient en possession de telles quantités, nous ferions probablement enquête.

Le sénateur Kenny: Aucune entente ne dit que, pourvu qu'ils respectent une certaine limite, vous ne devez pas intervenir?

Sgt é.-m. Dowhayko: Absolument aucune.

Le président: Connaissez-vous le règlement sur l'usage de la marijuana à des fins médicales?

Sgt é.-m. Dowhayko: Oui, dans une certaine mesure. Je ne suis pas un expert en la matière, mais je suis un peu au courant du règlement.

Le président: Savez-vous combien de personnes dans votre région bénéficient d'une exemption, et comment en êtes- vous informés?

Sgt é.-m. Dowhayho: À vrai dire, sénateur, aucun mécanisme n'est en place pour aviser les services de police locaux du nombre de personnes de la région qui bénéficient d'une exemption. La seule façon de savoir combien d'habitants de Windsor et d'Essex bénéficient d'une exemption, c'est de lire le journal local et de prendre connaissance des rapports publiés par d'autres groupes.

Le président: Dans vos observations, vous avez parlé du niveau de THC. Je présume, et corrigez-moi si je me trompe, que ces analyses sont faites à partir de causes portées devant les tribunaux parce que l'accusé a plaidé non coupable?

Sgt é.-m. Dowhayko: C'est exact. Il est très inhabituel qu'on demande une analyse quantitative. Cela ne fait pas partie de la cause. Dans certains cas, lorsque nous intervenons dans des installations de culture hydroponiques très sophistiquées et que nous pouvons constater que le cannabis est de qualité supérieure, nous pouvons, tout simplement pour savoir quel type de marijuana on cultive dans la région, l'envoyer pour le faire analyser.

Le président: Et 8,2 p. 100 est le taux maximal que vous avez constaté?

Sgt é.-m. Dowhayko: C'est le taux maximal que nous avons constaté ici. Comme je l'ai dit, je crois qu'il correspond beaucoup aux autres échantillons qui ont été présentés, non seulement dans la région, mais également un peu partout dans la province.

Le président: Ma dernière question ne porte pas sur le cannabis, mais plutôt sur l'éphédrine. Vous avez mentionné que la section antidrogue s'intéresse à l'éphédrine comme précurseur de la méthamphétamine. Corrigez-moi si je fais erreur, mais Santé Canada va réglementer l'éphédrine ou l'a déjà fait. Êtes-vous au courant de cela?

Sgt é.-m. Dowhayko: Je sais que Santé Canada envisageait cela, mais, sauf erreur, un règlement est censé être adopté plus tard cette année. Il n'est pas encore en place.

Le président: Cette question n'entre pas dans le mandat du comité pour l'instant, mais, en m'entretenant avec des collègues des États-Unis, j'ai appris qu'ils s'inquiètent vivement de l'éphédrine en provenance du Canada.

Sgt é.-m. Dowhayko: Oui, et Santé Canada examine le problème. Comme je l'a dit, je crois que le ministère envisage d'adopter un règlement d'ici la fin de l'année.

Le président: Vous travaillez donc étroitement avec vos collègues des États-Unis pour tenter d'élaborer un règlement efficace?

Sgt é.-m. Dowhayko: Effectivement.

Le président: Vous vous entretenez au moins avec vos collègues de Santé Canada pour élaborer ce règlement?

Sgt é.-m. Dowhayko: Oui, nous sommes en contact avec Santé Canada. Comme je l'ai mentionné, les Américains s'inquiètent vivement de cela et ont fait connaître leurs préoccupations sur la scène politique, ce qui a incité Santé Canada à examiner sérieusement le problème que pose l'éphédrine. Le problème est grave dans le centre des États- Unis.

Le président: Pourriez-vous commenter le type d'activités de culture, leur ampleur, le nombre de personnes appartenant à ces organisations criminelles et la technique qu'elles utilisent?

Sgt é.-m. Dowhayko: Il existe deux types différents d'installations de culture intérieure, la culture dans des pots et la culture hydroponique. Nous constatons que la plupart des gens de la région utilisent encore des pots remplis de terre, et cela peut expliquer pourquoi le contenu de THC ne dépasse pas 10 p. 100, comparativement à certains autres groupes. Ici, à Windsor, il y a une communauté asiatique, notamment vietnamienne, dont des membres se livrent activement à la culture hydroponique. Le sergent d'état-major Woods s'intéresse beaucoup à ce groupe. Un certain nombre de cultures ont été détruites ces derniers mois. La plupart d'entre elles se pratiquent dans des maisons louées. Personne n'habite dans ces maisons, qui sont modifiées en conséquence. Les gens avec qui ces groupes sont en contact fournissent l'électricité. Ils lancent leurs installations et cultivent entre 50 et 500 plants. Ce sont des installations très sophistiquées, qui produisent de la marijuana d'excellente qualité et qui rapportent beaucoup d'argent.

Le président: Vous vous intéressez surtout à ces installations de culture?

Sgt é.-m. Dowhayko: Je le répète, pas moi comme tel. Je travaille avec mes partenaires de la police et je fournis les ressources au besoin. Étant donné nos ressources limitées, nous tentons de nous concentrer sur certains autres groupes qui se livrent au trafic de la cocaïne et de drogues chimiques.

Le sénateur Kenny: Si vous aviez un diagramme à secteurs indiquant la répartition de l'ensemble de vos efforts, quelle serait la taille du secteur consacré à la marijuana par rapport aux autres drogues?

Sgt é.-m. Dowhayko: En Ontario?

Le sénateur Kenny: Si vous avez ces chiffres, très bien, mais plus précisément pour les 14 années-personnes dont vous disposez.

Sgt é.-m. Dowhayko: J'ai examiné le nombre d'heures consacrées à cela. Au cours de l'année, environ 5 p. 100 des ressources sont consacrées à la marijuana, qu'il s'agisse de son éradication à l'extérieur et à l'intérieur, ou des appels reçus pour intervenir à la frontière.

Le sénateur Kenny: Serait-il juste de dire qu'il s'agit d'une activité en diagonale que vous n'exercez que lorsque vous prenez connaissance de ces infractions dans le cadre de vos autres activités antidrogue?

Sgt é.-m. Dowhayko: En partie. Comme j'ai tenté de l'expliquer, si j'apprenais aujourd'hui qu'un groupe de motards hors-la-loi se livrait à des activités de culture de la marijuana, je n'hésiterais pas à concentrer mes ressources sur ce groupe en particulier.

Le sénateur Kenny: Si cela vous tombe en pleine figure, vous devez intervenir, sinon, vous ne le feriez pas habituellement?

Sgt é.-m. Dowhayko: Notre section, qui lutte contre les drogues, se concentre maintenant surtout sur les groupes criminels. Si nous enquêtons sur un groupe criminel, par exemple, un club de motards, et que nous nous apercevons au cours de notre enquête qu'il se livre au trafic, à l'importation ou à la culture de la marijuana, nous allons concentrer nos ressources sur ce groupe, peu importe le problème.

Le sénateur Kenny: S'il se trouve qu'il se livre à tout cela, vous allez saisir la marijuana; s'il s'agit de spécialistes, vous ne le ferez pas?

Sgt é.-m. Dowhayko: C'est exact.

Le président: Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, notre prochain témoin est Gwendolyn Landolt.

Mme Gwendolyn Landolt, vice-présidente nationale, REAL Women of Canada: Je suis très reconnaissante de pouvoir traiter de la question. Je dois avouer qu'une des difficultés que nous voyons dans le rapport provisoire du comité, c'est que vous dites que 30 p. 100 de nos jeunes consomment de la marijuana, même si la loi est en vigueur.

Je crois que l'intervenant précédent expliquera que c'est tout simplement parce que la loi n'est pas appliquée, surtout dans les cas de simple possession. Comme je l'ai souligné hier soir, Statistique Canada 2000 nous a présenté des statistiques qui montrent que, chaque jour, 68 personnes sont accusées de simple possession dans tout le Canada. Selon la vérificatrice générale, nous n'avons absolument aucun dossier sur le nombre de personnes qui sont condamnées pour cette infraction. Vous avez probablement eu l'impression, tout comme moi, qu'un de nos problèmes est que ceux qui cultivent de la marijuana en Colombie-Britannique, au Manitoba et en Ontario expédient 60 p. 100 de leur produit aux États-Unis, selon l'Organe national de contrôle des stupéfiants. Il est extrêmement difficile pour la National Drug Association des États-Unis d'intervenir, parce que nous ne luttons pas contre les installations de culture, nous n'avons aucune maîtrise de la situation. La marijuana est de qualité supérieure, elle contient entre 20 et 30 p. 100 de THC, alors que celle de l'Afghanistan ou de la Jamaïque n'en contient que 6 p. 100. D'après les témoignages que vous avez entendus, nous savons, par exemple, ce qui s'est passé dans la région de York, au nord du Toronto. On y trouve des groupes vietnamiens. Des meurtres ont été commis. Il y a eu des installations de culture illégales, qui sont extrêmement lucratives, car, selon l'Organe international de contrôle des stupéfiants, le Canada ne punit pas sévèrement les délinquants. Lorsqu'ils sont arrêtés, ils reçoivent une amende de 2 000 $ ou tout simplement une condamnation avec sursis.

Nous avons du mal à accepter l'idée que, si nous décriminalisons la marijuana, tout ira pour le mieux. Il est tout à fait naïf de présumer cela. Une fois qu'elle sera décriminalisée, les criminels se livreront encore davantage au trafic, car ils ne craindront pas l'intervention, déjà mineure, de la police. Il n'est pas très logique de dire que décriminaliser la marijuana est la solution raisonnable à adopter. Des gens polluent l'environnement malgré les lois interdisant la pollution. Des gens commettent de viols même si nous affirmons que c'est mal et interdit. Des gens sont racistes, même si nous disons que c'est répréhensible. Le simple fait que certaines personnes enfreignent la loi ne signifie pas que nous devrions abandonner la loi. Nous n'adoptons jamais cette position dans aucune autre politique sociale, et cela nous préoccupe vivement.

Vous éludez votre responsabilité lorsque vous dites que, avec la décriminalisation, les installations de culture disparaîtront et des jeunes ne seront pas l'objet d'accusations. Vous savez maintenant qu'ils ne sont pas accusés pour simple possession. Vous avez entendu des témoignages de bien d'autres personnes, comme celui du policier qui a pris la parole avant moi. Cela ne règle rien. Cela ne fait qu'exacerber un problème fondamental.

Je dois également dire que nous ne saurions feindre d'ignorer que le Canada a ratifié les traités de l'ONU, le plus récent en 2000. Dans la déclaration de Palermo, nous avons convenu de maintenir des sanctions pénales à l'égard de toutes les drogues illicites et, comme vous le savez, le cannabis est une des drogues prohibées en vertu des traités internationaux. Comment le Canada peut-il aller à l'encontre de ses obligations internationales et créer de graves problèmes pour d'autres pays, particulièrement pour nos voisins, les États-Unis? Des gens que je connais m'ont dit que les Américains voulaient inscrire le Canada sur la liste noire, avec l'Afghanistan, parce qu'il n'applique pas les lois interdisant l'usage de la marijuana. Ce n'est que grâce à d'intenses efforts diplomatiques déployés à Ottawa que cela a pu être évité.

Quelle ampleur le problème prendra-t-il si nous décriminalisons la marijuana? Il suffit de regarder dans d'autres pays, notamment les Pays-Bas, où elle a été décriminalisée. La consommation des drogues a augmenté, non seulement la consommation de la marijuana, qui a augmenté de 250 p. 100, mais également celle d'autres drogues comme la cocaïne et l'héroïne. Nous avons mentionné des études et des références à cet égard dans notre mémoire.

Il s'est produit la même chose en Suisse. Elle a connu énormément de problèmes. Non seulement vous allez décriminaliser la marijuana, mais vous allez également vous heurter à d'autres problèmes.

Je sais que, dans votre rapport provisoire, vous avez également mentionné que cette drogue ne mène pas à d'autres drogues. En bien, nous savons une chose. Nous savons que tous ceux qui consomment des drogues dures, comme la cocaïne, ont déjà fumé de la marijuana. Bien sûr, tous ceux qui fument de la marijuana ne consommeront pas nécessairement des drogues dures, mais nous savons que tous ceux qui consomment des drogues dures ont déjà fumé de la marijuana.

Nous n'examinons pas les méfaits intrinsèques des drogues. Nous avons documenté maintes fois les méfaits intrinsèques de la marijuana. À mon avis, quiconque affirme qu'il n'y a rien de mal à fumer de la marijuana n'a pas pris le temps de lire les documents qui portent sur la question. Ils sont légion. En fait, plus de 10 000 études montrent les difficultés et les problèmes qu'entraîne l'usage de la marijuana à long terme. Je crois que nous ferions preuve de négligence si nous n'examinions pas ces complications.

Notre position est la même que celle qui figure dans la stratégie antidrogue du Canada énoncée en 1992, à savoir, qu'il faut viser la prévention, l'application de la loi et la réadaptation. Nous sommes vivement préoccupés du fait qu'il n'existe aucun programme de sensibilisation aux méfaits des drogues dans les écoles. C'est vraiment une anomalie si on compare cela à la campagne antitabac. Les études indiquent que la marijuana est bien pire que le tabac, car elle demeure dans les poumons plus longtemps et entraîne toutes sortes de complications. D'une part, nous affirmons qu'il faut lutter contre le tabagisme et, d'autre part, nous entendons dire qu'il faut décriminaliser l'usage de la marijuana. Cette position est illogique.

Je sais que votre mandat — j'en ai pris connaissance — était de réduire les méfaits. Si vous l'entendez dans le sens général d'éviter de faire des victimes, c'est une chose, mais cela devient une façon très créative de parler de la décriminalisation des drogues dans le monde. Nous savons que trois organismes puissants des États-Unis financent le projet de décriminalisation. Je sais que certains groupes qu'ils financent au Canada ont comparu devant le comité. Je ne veux pas les nommer, mais vous savez sans doute que George Soros, le milliardaire de New York, et son Lindesmith Center, financent une grande partie du mouvement en faveur de la décriminalisation au Canada. Ce sont les deux organismes. Cependant, comme J. Dennis Hastert, membre du Congrès américain et président du Sous-comité de la sécurité nationale, des affaires internationales et de la justice pénale, l'a déclaré:

[...] Les partisans de la légalisation des drogues sont, en mettant les choses au mieux, une bande dangereuse et malavisée. Pour bien des gens, c'est un jeu d'adresse, une façon de se venger contre ceux qui condamnent l'usage de drogues. Pour d'autres, la légalisation est un moyen de parvenir à d'autres fins: miner les valeurs morales et les institutions démocratiques, s'enrichir en augmentant le nombre d'usagers, ou créer de nouvelles industries axées sur la dépendance envers les drogues.

Quelle que soit la motivation, la légalisation des drogues est malavisée et destinée à nuire aux sociétés qui se laissent aller à leur instinct de faire des expériences sur les éléments les plus vulnérables de leur population, y compris sur leurs enfants.

Nous pourrions certes appuyer cela. Nous appuierions entièrement son expérience de la situation aux États-Unis. Nous devons dire que les études ne confirment pas les bienfaits de l'usage de la marijuana à des fins médicales. Il s'agit d'un moyen de parvenir à l'étape de la décriminalisation. Nous savons que l'Association médicale canadienne s'y oppose. Nous savons qu'elle s'y oppose farouchement; elle affirme que, si on veut prendre du THC, on peut se procurer la drogue en question sur ordonnance, soit le Drananol ou le Maninol. On peut prendre cette drogue, mais pas la fumer. Il n'existe aucune autre soi-disant drogue qu'on fume. Il n'en a jamais existé. Ce n'est qu'un autre moyen d'ouvrir la porte à la décriminalisation de la marijuana.

Le sénateur Kenny: Pourquoi les lois fonctionnent-elles dans notre pays? Est-ce parce que nous les élaborons, que nous les adoptons et que nous les appliquons, ou parce que la majorité des Canadiens y croient et les appuient?

Mme Landolt: Je ne saurais le dire, car la loi est un guide de la conscience et la majorité des gens respectent la loi. Vous avez entendu les témoins, hier soir, réclamer le droit de fumer de la marijuana, mais d'autres personnes réclament le droit d'enfreindre d'autres lois. C'est ainsi. La prostitution existe, même si des lois l'interdisent. Un élément de la population essaiera toujours de les enfreindre.

Le sénateur Kenny: Mais la prostitution n'est pas illégale.

Mme Landolt: La communication l'est.

Le sénateur Kenny: La sollicitation est illégale.

Mme Landolt: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Lorsque votre organisme constate que beaucoup de gens s'opposent à ces lois, commence-t-il à s'inquiéter? Si 1 ou 2 p. 100 des gens s'y opposent, ce n'est pas trop inquiétant, mais, lorsque 15 ou 20 p. 100 de la population dit s'opposer à la loi, au point d'être prête à risquer des arrestations, cela ne vous amène-t-il pas à mettre la loi en doute?

Mme Landolt: Absolument pas. Cela signifie que la loi n'est pas appliquée et que les gens...

Le sénateur Kenny: Eh bien, non. Je vous ai entendu dire cela six fois, madame.

Mme Landolt: C'est ce que j'en pense. Cela ne m'amène pas à mettre la loi en doute. Cela me révèle deux choses. Premièrement, il n'y a eu aucune sensibilisation. Cela me révèle qu'il n'y a eu aucune application de la loi et aucun traitement. Cela amènerait...

Le sénateur Kenny: Alors, qu'est-ce qui vous amènerait à mettre une loi en doute?

Mme Landolt: Absolument pas.

Le sénateur Kenny: Non, non. J'ai dit: qu'est-ce qui vous amènerait à mettre une loi en doute? Quel indicateur de l'acceptation publique vous amènerait à dire que vous devriez peut-être réexaminer la question parce que beaucoup de gens ne sont pas d'accord avec vous? Est-ce que ce serait 50 p. 100? 100 p. 100? Quel pourcentage vous amènerait à vous demander si la loi est efficace?

Mme Landolt: Je n'examinerais pas le nombre de gens qui enfreignent la loi. Je me demanderais pourquoi ils l'enfreignent. Vous avez présumé que c'est parce que les gens s'y opposent, mais il est fort possible que ce soit parce qu'ils savent qu'ils peuvent s'en tirer à bon compte. Je pense que vous posez la mauvaise question. Vous dites que les gens n'aiment pas la loi et que c'est la raison pour laquelle ils l'enfreignent. Ils se disent: pourquoi pas? Ils ne s'exposent pas à des sanctions.

Le sénateur Kenny: Pourquoi ne pas répondre à la question? J'ai été très patient avec vous, madame, mais je perds patience. La question est simple. Quel pourcentage de gens devraient violer la loi pour vous amener à vous demander si la loi est appropriée? Choisissez un chiffre.

Mme Landolt: Je ne choisirai pas de chiffre pour la raison même que j'ai donnée.

Le sénateur Kenny: C'est inacceptable.

À quelle vitesse le respect pour toutes les lois va-t-il se détériorer si certaines des lois existantes ne sont pas respectées et appliquées? Vous préoccupez-vous du fait que la Couronne et la police n'appliquent pas certaines lois? Quelles seront les répercussions de cela sur les autres lois?

Mme Landolt: Je peux voir où vous voulez en venir, et j'hésite à dire cela, mais je pense que cela reflète un préjugé et que vous n'examinez pas cette question de façon analytique.

Le sénateur Kenny: En effet, j'ai un préjugé, qui découle du fait que je suis au gouvernement depuis 36 ans et que je comprends que si la population n'appuie pas une certaine chose, elle ne fonctionnera pas. Ainsi, maintenant que nous avons établi ce préjugé, madame, collaborez avec moi et répondez à ma question, je vous en prie.

Mme Landolt: Je collabore avec vous en demandant pourquoi cela ne fonctionne pas. Pourquoi n'écoutez-vous pas ce que je dis?

Le sénateur Kenny: Je suis désolé, madame, mais je vous ai écoutée. J'ai du mal à vous entendre répéter sans cesse la même chose. Je vous ai écoutée très attentivement et je ne suis pas d'accord avec vous.

Mme Landolt: Eh bien, je ne suis pas d'accord avec vous non plus. Vous dites simplement...

Le sénateur Kenny: Non, non. Ne me dites pas ce que je dis, madame.

Mme Landolt: ... que toutes les lois sont violées. La prostitution, que vous appelez la sollicitation...

Le sénateur Kenny: Je n'ai jamais dit cela.

Mme Landolt: Nous avons encore ces lois. Pourquoi choisissez-vous la marijuana? Oh, ces gens ne respectent pas la loi. Trente milles personnes violent la loi. Oh, mon Dieu, nous devons décriminaliser la marijuana.

Le sénateur Kenny: Merci, madame.

Mme Landolt: Pourquoi choisissez-vous arbitrairement certaines lois?

Le président: Dans notre document de discussion, à la dernière page, nous énumérons une série de questions que nous posons aux Canadiens. La question no 5 dit ceci: «Une politique publique en matière de cannabis doit-elle viser prioritairement à en empêcher l'usage ou à minimiser les conséquences de l'usage?»

Mme Landolt: Là encore, en toute déférence, vous ne limitez pas les conséquences lorsque vous décriminalisez cette drogue. Le fait est que vous allez les accroître, car la loi est un moyen de dissuasion. Vous ne limiterez pas les conséquences. Vous parlez de réduire les torts causés, mais il n'est pas possible de limiter les conséquences en décriminalisant le cannabis. De plus en plus de gens deviendront dépendants de cette drogue. Ce n'est pas tout le monde qui devient un toxicomane. Vous mettez de l'avant des questions qui ne sont pas vraiment pertinentes.

Le président: Comme vous le savez, la Cour suprême devra décider de l'utilisation à des fins récréatives de la marijuana dans un avenir rapproché. Imaginez un instant que la Cour suprême décide que du fait de l'article 7 et même de l'article 1 de la charte, la loi est inconstitutionnelle, comme la cour l'a fait avec l'avortement en 1988. Qu'allons-nous faire, même si nous avons signé et ratifié ces traités internationaux?

Mme Landolt: Tout d'abord, vous posez une question hypothétique. Nous ignorons ce que la cour va décider et nous ne parlerons donc pas de cela maintenant. Ensuite, si la cour — et je ne l'aime pas particulièrement — devait faire cela, nous savons qu'il s'agira d'une décision politique et non d'une décision légale ou morale. Il est regrettable que le libellé de la charte soit si vague. Je pense qu'il y aura un manque de respect pour notre cour. Nous l'avons vu avec deux ou trois décisions qui ont été rendues. La population en général semble avoir le sentiment que la cour fait de la politique. C'est une assemblée législative à un autre niveau. Si la cour fait cela, je dois dire que ce sera là la réponse.

Le président: Merci beaucoup.

Chers collègues, notre prochain témoin est Darlene Simpson.

Mme Darlene Simpson, directrice des programmes, House of Sophrosyne: Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée ici aujourd'hui. C'est une merveilleuse occasion et je peux vous garantir que cela a suscité beaucoup de discussions au sein de mon organisation et dans ma collectivité. Je suis également la présidente de l'association Providers of Addiction Treatment pour Windsor-Essex. Je voudrais tout d'abord vous parler un petit peu de moi- même.

House of Sophrosyne est un centre de traitement des femmes pharmacodépendantes. Le centre offre des traitements de courte durée en établissement et ce, depuis 22 ans. J'ai travaillé là comme thérapeute et, depuis 1998, à titre de directrice des programmes. Nous n'avons pas de directeurs administratifs à House of Sophrosyne. Je fais partie d'une équipe de gestion.

Je représente, bien entendu, des gens qui souffrent d'un grave problème de toxicomanie. Je ne représente pas les services de thérapie externe ou les gens en éducation préventive. Je représente simplement un pourcentage de la population dont la vie a été bouleversée à cause d'un grave problème de toxicomanie. Je voudrais prendre un instant pour vous parler de ce que j'appelle la «réalité» des traitements en établissement en Ontario. Je veux dire par là, quels types de drogues sont disponibles et quels pourcentages de gens entrent dans les centres de traitement en Ontario et pour quels types de toxicomanie. J'ai deux statistiques là-dessus. J'ai les résultats de House of Sophrosyne à partir d'évaluations de l'issue du traitement et à la page A9 de ce rapport, on énumère les drogues préférées de nos clientes. J'ai également une feuille intitulée «Presenting Problem Substances — Residential Clients» sur laquelle figure un graphique en bandes pour établir un rapport de situation. Notre organisation est représentée par une bande blanche et les statistiques provinciales par une bande noire.

Comme vous pouvez le voir, la drogue qui pose le plus de problèmes en matière de traitement en établissement est l'alcool, qui est une drogue licite. À l'heure actuelle, en ce qui concerne l'usage, c'est la cocaïne qui vient au deuxième rang suivie du cannabis. On peut voir que le cannabis et la cocaïne sont presque à égalité. D'une année à l'autre, parfois c'est le cannabis qui est au deuxième rang et parfois, c'est la cocaïne. Avec ces statistiques, on peut voir la drogue préférée des gens. C'est la question que nous posons au centre House of Sophrosyne. Cela ne veut pas dire que les intéressées ne font pas usage d'autres drogues — en fait, 49 p. 100 des gens consomment plusieurs drogues.

Le sénateur Kenny: Vous voulez dire les gens traités chez vous?

Mme Simpson: Soixante pour cent de nos clientes viennent de tout l'Ontario.

Le sénateur Kenny: Vous dites que c'est le seul centre régional en Ontario?

Mme Simpson: Non. Nous sommes considérés comme un centre de traitement régional, ce qui signifie que nous recevons des clientes de toute la province.

Le sénateur Kenny: Ce n'est pas une question géographique. Ce n'est pas de Sarnia à London, à...

Mme Simpson: Exactement.

Le sénateur Kenny: C'est de Sarnia à London également?

Mme Simpson: Non. Je suis désolée. Nous recevons des clientes de tout l'Ontario et ainsi, de 50 à 60 p. 100 d'entre elles durant une année donnée viennent d'en dehors de la ville. Elles peuvent venir de partout en Ontario — le Nord de l'Ontario, Toronto ou Ottawa. C'est parce qu'il s'agit d'un centre de traitement spécialisé pour les femmes. Les personnes qui viennent se faire traiter ont un grave problème de dépendance à la marijuana.

Je voudrais simplement attirer votre attention sur la page D9 de ce rapport sur les mesures de l'issue du traitement. J'ai trouvé intéressant de constater que lorsque nos clientes nous quittaient, elles étaient plus susceptibles, si elles faisaient une rechute, de consommer de la marijuana. Elles sont plus susceptibles de faire usage de la marijuana au cours des trois premiers mois et des six premiers mois suivant la fin de leur traitement qu'elles ne l'étaient avant d'entrer chez nous. Ensuite, une année après la fin du traitement et deux années après, les chiffres sur l'usage commencent à être comparables à ce qu'ils étaient au début du traitement.

Je crois donc que la marijuana est nocive. Le fait que le rapport utilise le mot «mineurs» pour parler des effets nous inquiète un petit peu, car nous considérons que la marijuana est une drogue nocive. Sans être trop ennuyante, je voudrais vous faire part de certains faits sur la marijuana. Mes données proviennent d'un certain docteur David Ohlms. L'usage de la marijuana chez les adolescents augmente, comme votre rapport l'a également dit, et un tiers des étudiants du secondaire l'ont essayée et un cinquième des étudiants du secondaire en consomment régulièrement.

La marijuana est une drogue dangereuse qui peut causer de graves problèmes. Je crois que nous pensons souvent qu'elle n'est pas dangereuse, car elle n'a pas un taux de dépendance rapide, comme par exemple, l'héroïne, le crack, voire la nicotine. On peut très bien en prendre puis cesser d'en utiliser pendant de longues périodes sans devenir dépendants. On ne verra pas des gens arriver dans une salle d'urgence après avoir fait une surdose de marijuana. Les gens ne vont pas attraper le VIH après avoir fait usage de marijuana, et ce genre de choses.

Il y a encore des préoccupations à court terme au sujet de la marijuana à cause de ses effets physiologiques. La marijuana a des effets sur la santé car il y a de 3 à 10 fois plus de goudron dans un joint de marijuana que dans une cigarette et la marijuana va donc avoir, c'est évident, un effet sur la santé de vos poumons. L'usage de ce produit peut conduire à de l'emphysème, de la bronchite et à des cancers.

Bien entendu, le THC ne se dissout pas facilement dans l'organisme. Il est emmagasiné dans les cellules graisseuses. Cela diffère de l'alcool qui peut ne plus être présent dans l'organisme dans les 30 minutes qui suivent l'absorption d'un verre d'alcool moyen. L'organisme peut éliminer l'alcool en une heure alors que la marijuana a une demi-vie d'environ 48 à 72 heures. Cela conduit à toutes sortes de problèmes, car le joint consommé la soirée d'avant peut encore affecter votre fonctionnement ou votre rendement le lendemain. Selon cette étude, le fait de consommer juste deux ou trois joints par semaine pendant deux ou trois mois peut faire en sorte qu'une grande quantité de THC soit emmagasinée dans le cerveau. L'American Medical Association, et je suis désolée, mais j'ignore ce que l'Association médicale canadienne en pense, dit que plus d'un joint plus de trois fois par semaine constitue une consommation excessive, et cela est attribuable à la longue demi-vie du THC.

Le président: Lorsque vous parlez d'usage régulier chez les étudiants, appliquez-vous la même formule, soit trois joints par semaine? C'est ainsi que vous définissez ceux qui consomment régulièrement?

Mme Simpson: Les gens que nous traitons consomment généralement beaucoup plus que cela, mais le fait est que si une personne consomme trois joints par semaine ou plus, elle consomme alors plus que son organisme peut éliminer.

Le président: Lorsque vous dites que 20 p. 100 des étudiants du secondaire se droguent régulièrement, correspondent-ils à cette description?

Mme Simpson: Oui, cela ou plus. Sans vouloir être trop ennuyeuse, je voudrais préciser que cela affecte des actes moteur complexes et pas simplement les actes moteur simples comme appuyer sur un bouton ou utiliser un marteau.

Je pense que le pire pour les étudiants, c'est que cela cause une dégradation immédiate et profonde de la mémoire à court terme et il est alors difficile d'apprendre. Si une personne ne peut retenir une chose dans sa mémoire à court terme, bien entendu, elle ne peut le faire dans sa mémoire à long terme. Nous constatons chez les utilisateurs chroniques, et j'ai trois exemples de cas, le syndrome amotivationnel. J'ai simplement pris un échantillon aléatoire de clientes qui ont indiqué la marijuana comme leur drogue préférée et il est intéressant de noter qu'elles ont été diagnostiquées par leurs médecins de famille comme souffrant de dépression clinique. En ce sens, il est difficile de travailler avec des personnes dont la drogue préférée est la marijuana et qui y sont dépendantes, car le syndrome amotivationnel fait qu'il est difficile pour elles de vivre pleinement.

On a effectué une étude, que j'ai essayé d'obtenir pour vous, mais que je n'ai pu trouver — et si vous le souhaitez, je chercherai davantage — sur les pilotes de ligne professionnels qui utilisaient des simulateurs de vol après avoir fumé un joint. Ils ont commencé à se tester eux-mêmes 20 minutes après avoir fumé un joint et ont poursuivi ainsi pendant 24 heures. Ils n'étaient pas en mesure de faire atterrir l'avion là où ils devaient même jusqu'à 24 heures plus tard, ce qui résume tout en quelque sorte. Il s'agissait de pilotes en formation. Or, ils avaient le sentiment de s'en être tous mieux tirés. C'est ce qui est intéressant au sujet de la marijuana; elle donne à votre cerveau la perception que vous vous en sortez très bien.

Ainsi, nous recommandons, et je ne vais pas répéter cela, que la marijuana demeure une substance illicite et fortement contrôlée, avec des usages à des fins médicales très limités et extrêmement réglementés. Si nous choisissons à l'avenir de décriminaliser la possession simple, cette mesure doit s'accompagner d'une campagne de sensibilisation aux risques de la marijuana, afin de ne pas en encourager la consommation. La perception voulant que la marijuana soit sans danger remonte aux années 60 lorsqu'elle ne renfermait que de 1 à 5 p. 100 de THC, alors que de nos jours, elle en renferme en moyenne 10 p. 100. Prendre une aspirine ou une Tylenol est bien différent d'en prendre dix. Parfois, la marijuana peut contenir jusqu'à 17 ou 18 p. 100 de THC, ce qui accroît les risques. Je pense également que certaines de nos recherches sur les liens entre la marijuana et la dépression, les taux de décrochage et les accidents, sont prématurées. Étant donné sa durée de vie dans l'organisme, il est très difficile de l'associer à des accidents et des choses de ce genre.

J'ai ici trois études de clientes très intéressantes. La première est Julie G. Elle a 16 ans et elle a commencé à utiliser la marijuana qu'elle dit être sa drogue préférée lorsqu'elle avait 14 ans. Elle a mélangé parfois la marijuana avec un peu d'alcool et elle a commencé au cours des trois derniers mois à prendre cela avec de l'ecstasy, du speed, du Tylenol et du Serax. Elle a pris récemment du GHB et elle s'est retrouvée dans le coma à l'hôpital, ce qui n'est pas nécessairement lié à sa consommation de marijuana. La marijuana est sa drogue préférée et là encore, il est intéressant de noter que son médecin de famille a diagnostiqué chez elle une dépression à l'âge de 14 ans et lui a prescrit du Wellbutrin. On a diagnostiqué chez elle une dépression de six à huit mois après une consommation excessive de marijuana. Aucun autre membre de sa famille ne consomme. Elle attendait d'être jugée pour vol. Le coût de la marijuana est assez élevé.

Ma deuxième cliente a dit que le coût était d'environ 80 $ par jour pour elle et d'environ 560 $ par semaine pour huit joints. La première cliente a continué de souffrir d'une dépression grave et elle en est même arrivée au point d'essayer de se suicider. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'autres questions complexes dans la vie de cette personne, mais on avait diagnostiqué chez elle une dépression au moment où elle est entrée en traitement. Elle ne pouvait bien réussir à l'école.

La deuxième cliente est un exemple d'usage transgénérationnel. Sa propre mère lui a fait connaître la marijuana avant l'âge de dix ans. Il est question d'un usage chronique de marijuana dans ce cas-là. Elle était incapable de même fonctionner à l'école publique et on a diagnostiqué chez elle une dépression et de graves troubles d'apprentissage, y compris l'incapacité de se concentrer, une mauvaise mémoire et une certaine confusion.

À l'heure actuelle, elle crache du sang et souffre de changements d'humeur très graves. Elle a récemment commencé à prendre des drogues plus dures, y compris le Percocet, la mescaline, le crystal meth et la cocaïne. Même si on ne pense pas qu'il s'agit d'une drogue d'introduction, et je sais qu'il n'y a aucune preuve de cela, dans certains cas, nous voyons que la consommation à long terme de marijuana fait que les patients entrent en contact avec des gens qui utilisent des drogues plus dures et finissent par faire de même.

Le dernier cas est celui d'une personne qui est plus âgée et qui n'a consommé que de la marijuana, mais à raison de 6 à 10 joints par jour pendant 16 ans. Là encore, on a diagnostiqué chez elle de la dépression, des problèmes de mémoire et des changements d'humeur. Elle est infertile et on se demande si la marijuana a des effets sur les organes reproducteurs. Elle est incapable de travailler et bien entendu, son mari consomme également et il y a donc des problèmes dans leur mariage. Quand nous commençons à traiter en établissement des personnes dont la drogue préférée est la marijuana, elles sont incapables de fonctionner à l'école ou au travail. Elles ne peuvent avoir de bonnes relations et on diagnostique souvent chez elles de la dépression. Elles sont tout à fait incapables de se concentrer et de mener à bien des tâches.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous nous préciser comment vous avez choisi le nom de votre groupe?

Mme Simpson: «Sophrosyne» est un mot grec qui veut dire une vie fondée sur la sagesse et l'équilibre, et c'est notre objectif.

Le sénateur Kenny: De combien de personnes est-il question et quelles sont vos compétences professionnelles?

Mme Simpson: Je suis une travailleuse sociale avec un certificat dans le domaine de la toxicomanie de l'Université de Toronto. Pour ce qui est du nombre de personnes, nous avons environ 250 clientes par année.

Le sénateur Kenny: Et les employés?

Mme Simpson: Il y a 23 employés mais ils ne sont pas tous à temps plein.

Le sénateur Kenny: Et le financement?

Mme Simpson: Il provient du ministère provincial de la Santé et de Centraide pour nos programmes locaux.

Le sénateur Kenny: Vous avez parlé du taux de rechute et vous avez dit qu'après six mois, les gens étaient de retour à la case départ.

Mme Simpson: Oui. Dans l'année qui suit.

Le sénateur Kenny: Cela m'a amené à penser aux petites brochures qu'on retrouve dans les écoles qui montrent aux enfants comment étudier et dans lesquelles on leur dit que s'ils repassent le soir même tout ce qu'ils ont appris en classe, ils conserveront ces connaissances pendant une semaine, s'ils les repassent une fois par semaine, ils les conserveront pendant un mois et s'ils les repassent une fois par mois, ils n'auront pas à étudier pour les examens car ils auront tout compris. Dites-vous la même chose, c'est-à-dire que si vous clientes étaient traitées plus fréquemment, mais avec des périodes plus longues entre les traitements, leur taux de rechute serait moindre?

Mme Simpson: Je ne suis pas certaine de bien vous comprendre.

Le sénateur Kenny: Si vous examinez la question à la lumière du principe de l'apprentissage, si vous essayez d'expliquer à une jeune personne comment se fait l'apprentissage, il consiste en bonne partie à revoir à intervalles réguliers ce qu'on a déjà étudié. Des études ont révélé qu'à la fin d'une journée en classe, les jeunes ont oublié 50 p. 100 de ce qu'ils ont appris. S'ils revoient leurs notes le soir, ils se souviendront de tout ce qu'ils ont appris et pourront le mémoriser pendant sept jours, en moyenne. Après sept jours, ils auront oublié 50 p. 100 de ce qu'ils ont appris. S'ils passent de nouveau leurs notes en revue au bout de sept jours, ils seront probablement en mesure d'en retenir le contenu pendant un mois. Je me demandais s'il ne serait pas possible d'appliquer ce principe, dans le cas de la marijuana, aux personnes à qui vous avez affaire.

Mme Simpson: L'éducation permanente constitue certainement un facteur de prévention important de la rechute. L'une des choses les plus importantes à faire pour éviter la rechute, c'est d'avoir accès aux services après-soins et au soutien. Les personnes qui ont des rechutes vont probablement recommencer à consommer de la marijuana avant de revenir au crack et à l'héroïne.

Le sénateur Kenny: La partie de votre déposition que j'ai trouvée la plus intéressante concerne ce que vous disiez au sujet des pilotes d'avion, à savoir que les gens croient qu'ils se tirent bien d'affaire, même si la mesure du rendement ne le confirme pas.

Mme Simpson: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Dans ce cas, considéreriez-vous comme non valables la plupart des témoignages provenant de personnes qui consomment la drogue?

Mme Simpson: Je verrais sans doute les choses d'un point de vue différent du leur.

Le sénateur Kenny: Parlez-nous de votre point de vue.

Mme Simpson: Je prendrai l'exemple du rôle parental. La plupart des femmes qui viennent à la maison de Sophrosyne ont des enfants. Elles sont âgées entre 30 et 40 ans. Les personnes qui ont développé une dépendance grave à une drogue comme la marijuana sont habituellement plus âgées. Ces personnes ont l'impression de bien s'acquitter de leurs responsabilités parentales. Elles ont l'impression de bien s'occuper de leurs enfants et d'être bien conscientes de ce qui se passe dans leur environnement. Les enfants, eux, n'ont pas la même perception.

Le sénateur Kenny: Je ne saurais vous dire combien de personnes qui ont comparu devant ce comité nous ont dit: «Je consomme de façon occasionnelle et je me porte bien. Regardez-moi. Je réponds à vos questions avec cohérence. Je suis venu ici aujourd'hui sans que personne n'ait à me tenir par la main et je m'en retournerai chez moi seul ce soir. Si cette drogue ne me fait pas de tort, c'est qu'elle est sans danger pour le reste de la population.» Vous me dites que ces gens croient qu'ils se portent bien.

Si nous soumettions leur rendement dans divers domaines à une évaluation scientifique, ces personnes n'obtiendraient pas un résultat aussi bon qu'elles le croient?

Mme Simpson: En effet. Physiologiquement, nous sommes tous les mêmes et le corps n'élimine pas le goudron immédiatement, mais le conserve pendant 48 à 72 heures. Je me suis même intéressée au récepteur, à son emplacement dans le cerveau. La drogue affecte inévitablement certaines parties du cerveau. Dans quelle mesure est-elle nuisible? Je l'ignore. Dans le cas de l'alcool, on peut utiliser des ivressomètres sur la scène d'un accident. À partir de quel niveau de consommation une personne est-elle incapable de conduire un véhicule? Je l'ignore, mais il y a des effets.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous nous communiquer l'étude sur les pilotes?

Mme Simpson: J'essaierai de vous l'obtenir.

Le sénateur Kenny: Y a-t-il d'autres études semblables qui indiquent, par exemple, les mêmes résultats en ce qui concerne la conduite?

Mme Simpson: C'est ce que j'essaie d'établir.

Le sénateur Kenny: Vous oeuvrez dans cette direction?

Mme Simpson: Je n'ai aucune autre étude sur la conduite. Elle se trouve peut-être quelque part.

Le sénateur Kenny: Connaissez-vous quelqu'un qui étudie cette question?

Mme Simpson: Pas à ma connaissance, mais j'essaierai de vous obtenir cette étude. Certains de mes collaborateurs s'y sont employés plus tôt aujourd'hui. Les premières facultés touchées sont celles de la motricité fine complexe, où plusieurs choses se passent en même temps. Les perceptions de la vitesse et du temps interviennent dans la conduite automobile; l'automobiliste fait plusieurs choses.

Le sénateur Kenny: Le dernier aspect que vous avez abordé et dont j'aimerais parler ce matin concerne la question plus subjective des relations. Vous nous avez parlé de deux consommateurs, au sein d'une même famille, qui avaient beaucoup de difficulté dans leurs relations. Comment mesurez-vous cela? Comment savez-vous qu'une relation est en difficulté ou qu'elle n'est pas très bonne?

Mme Simpson: La plupart des gens fument entre 5 et 12 joints par jour avant de commencer un traitement. Je ne vois pas comment il est possible d'entretenir de véritables rapports humains si on est constamment «parti» à cause de la marijuana. Cette drogue a un effet inhibiteur qui fait en sorte que la personne n'est plus en mesure de traiter l'information provenant de son entourage.

Le sénateur Kenny: Si je puis me permettre de vous interrompre, voici un exemple caractéristique de ce qu'on nous dit: «Je fumais et notre relation a pris une tournure formidable. Ce fut une expérience merveilleuse. Tout le monde était ``cool''. Il n'y avait aucune hostilité.» Les témoins ont souvent dit au comité qu'ils avaient vécu l'une de leurs meilleures relations, l'une des plus belles périodes de leur vie. Or, vous nous dites que, comme les pilotes, ces gens ont peut-être eu l'impression que les choses étaient meilleures, alors que vous avez des indices qui indiquent le contraire. Pouvez-vous nous donner des exemples de ces indices qui, contrairement aux témoignages des consommateurs de drogue, vous ont amenée à conclure que les choses n'allaient pas pour le mieux? Par exemple, des cas où une personne n'a pas payé son loyer, ou n'est pas rentrée le soir. Vous nous dites certaines choses, alors que d'autres témoins nous ont dit qu'ils ont vécu une expérience formidable. Selon vous, ces gens se trompent et commettent la même erreur que les pilotes d'avion qui ont raté la piste d'atterrissage.

Mme Simpson: Le THC ralentit le fonctionnement du cerveau. Après un certain temps, comme chez tous les toxicomanes, et je crois que le Centre de toxicomanie et de santé mentale le confirmera, les gens cherchent à atteindre un état high et à y rester. Les personnes qui sont atteintes du syndrome amotivationnel, ce qui est en quelque sorte un état émotif plat qu'on éprouve lorsqu'on est dans un état high, n'éprouvent pas la gamme normale des émotions humaines. Elles cherchent à atteindre l'état high pour se sentir normales. Lorsque la priorité d'une personne est de se trouver de la drogue, elle n'est plus au diapason de son environnement et ne saisit plus les nuances de l'expérience vécue par les autres personnes, qu'il s'agisse de son conjoint ou de ses enfants. N'oubliez pas qu'il s'agit ici de personnes dépendantes de la marijuana. Certaines ont perdu leurs enfants, parfois à cause d'une situation financière désastreuse. Je persiste à croire qu'il est difficile pour une personne dépendante de la marijuana d'être vraiment consciente de ce qui se passe autour d'elle.

Le sénateur Kenny: Hier soir, une personne assise à la place que vous occupez actuellement nous disait, en substance: «Je fais de bonnes journées de travail. Je ne m'absente pas. Mon employeur me considère comme un bon travailleur. Lorsque je suis de retour à la maison, j'aime bien fumer. Vous-même, de retour à la maison, consommez quelques verres de scotch. On me considère comme un criminel, vous pas. Pourtant, ce que vous consommez vous rend agressif, désagréable et mesquin, alors que ce que je consomme me rend plaisant et sympathique.»

Mme Simpson: Au début. Il a été établi que la consommation de marijuana sur une longue période cause des problèmes de mémoire et des symptômes amotivationnels; dans les exemples qui nous intéressent, ces symptômes ont conduit à un diagnostic de dépression clinique. Je pense qu'il y a probablement un certain niveau de consommation qui n'est pas nuisible. Le centre de toxicomanie et de santé mentale estime qu'une personne qui consomme plus de deux à trois verres, plus de cinq jours par semaine, a un problème d'alcoolisme. Je ne crois pas que nous ayons établi de norme semblable dans le cas de la marijuana, parce qu'il s'agit d'une substance illégale, mais nous devrions le faire.

Le président: Vous vous reportez à la vingtième page d'un rapport qui en compte davantage. Combien de personnes avez-vous traitées au cours d'une année avant de produire ce document?

Mme Simpson: Je crois que nous avons traité 135 cas, mais cet échantillonnage est très représentatif du genre de cas que nous traitons habituellement.

Le président: Serait-il possible d'avoir le rapport intégral?

Mme Simpson: Il s'agit de données. Absolument.

Une des choses qui sont ressorties, et là encore je crois que la recherche sur la marijuana n'est pas concluante, est la difficulté d'étudier les effets de la marijuana pendant la grossesse. Nous avons un autre programme pour les femmes enceintes qui abusent des drogues et qui ont des enfants. Nous commençons à peine à nous intéresser à certaines études, et j'ai inclus cet article qui indique qu'il pourrait y avoir des effets négatifs subtils sur les facultés neuro- comportementales, notamment des troubles du sommeil, des problèmes de vision, de la difficulté à résoudre des problèmes, de l'hyperactivité, des troubles de l'attention et d'autres troubles du genre. Sans m'appuyer sur des faits, je puis cependant affirmer que les enfants de consommateurs de drogue avec qui nous travaillons semblent être hyperactifs et avoir des troubles d'apprentissage. Le lien entre la drogue et ces symptômes devrait cependant faire l'objet d'une recherche plus poussée.

Le président: Merci.

Nos prochains témoins sont le sergent d'état-major Danny Woods et l'inspecteur Dave Roberts, du service de police de Windsor, et le surintendant Ron Taverner, du service de police de Toronto.

Le surintendant Ron Taverner, Service de police de Toronto: Monsieur le président et membres du comité spécial, je vous remercie beaucoup de nous avoir invités aujourd'hui. Je suis également président du Comité sur l'abus des substances psychoactives de l'Association des chefs de police de l'Ontario. C'est à ce titre que je comparais aujourd'hui. Ce que je vous dirai aujourd'hui est probablement semblable à ce que vous a déjà dit l'Association canadienne des chefs de police.

Le président: Nous avons entendu diverses organisations de police, et vous avez raison. Les mémoires sont très semblables. Ils ne se contredisent pas.

Sdt Taverner: Il est important que nous n'ayons pas des opinions diamétralement opposées. Ces sujets sont très importants pour les Canadiens, et en particulier pour les organisations policières. Nos positions respectives sont le résultat d'une collaboration, et il m'apparaît important de faire montre d'unité, ce que vous avez d'ailleurs vous-même constaté. Certaines des observations que je vais faire sont très semblables à ce que vous avez déjà entendu. Je tâcherai de faire un exposé aussi bref que possible avant de vous soumettre nos recommandations, car je sais que mes collègues veulent se réserver la majeure partie du temps dont nous disposons.

La police s'occupe de tous les aspects de l'offre et de la demande des diverses drogues illicites. Au plan de l'offre, nous faisons enquête et cherchons à comprendre les divers aspects de la culture et de la production. Nous en faisons autant au sujet de l'importation ou, comme on peut le constater actuellement au Canada, de l'exportation des drogues illicites. Nous faisons enquête et nous nous efforçons de comprendre le trafic de grande et moyenne envergures et le trafic de revente au détail. Nous comprenons la violence associée au trafic des drogues illicites à tous les niveaux. Nous faisons enquête au sujet des liens qui existent entre les drogues illicites, la criminalité organisée et le terrorisme, et nous cherchons à comprendre tout cela.

Au plan de la demande, l'Association des chefs de police de l'Ontario suit l'expérimentation qui a cours et enquête au sujet de la consommation de drogues illicites chez les jeunes. Nous sommes les témoins directs de la menace accrue qui pèse sur les jeunes à risque. Nous pouvons constater les conséquences et l'influence des drogues illicites sur l'éducation et le développement des jeunes, et les pressions exercées par leurs pairs pour les amener à consommer des drogues. Nous voyons les effets de la toxicomanie et le besoin qu'ont les gens de soutenir leurs habitudes. Nous faisons enquête au sujet de la violence et de la victimisation. Nous faisons également enquête au sujet de la criminalité et des désordres dans les quartiers, et nous répondons aux appels à l'aide des membres de nos communautés.

Tout en reconnaissant que d'autres groupes, au sein de la société, s'intéressent aux divers aspects de l'éventail, je crois que nous sommes le seul groupe à s'occuper de façon constante de tous les aspects. Nous sommes les témoins directs de chacun de ces aspects, et c'est pourquoi nous voyons clairement les répercussions de chacun d'entre eux. Toutefois, faute des connaissances que notre expérience nous a permis d'acquérir, l'Association des chefs de police de l'Ontario a la possibilité, unique, de pouvoir prendre du recul et de voir la situation d'ensemble. L'exposé que nous vous présentons respectueusement est fondé sur cette perspective et cette expérience. Le message que nous voulons vous transmettre est que les drogues, y compris le cannabis, sont nuisibles.

Le cannabis est dangereux pour la santé. Sa teneur en THC est 500 p. 100 plus élevée qu'elle ne l'était dans les années 60 et 70. Les gens sont très mal informés au sujet des répercussions physiologiques de la consommation du cannabis. Il est indubitable que la consommation intensive de cannabis est nuisible pour la santé. Ses effets les plus néfastes sont, notamment, les troubles respiratoires, les problèmes de coordination, les conséquences sur le foetus et son développement postnatal.

On connaît les dommages causés par le tabagisme. Ne peut-on pas conclure que la consommation de cannabis cause les mêmes problèmes de santé que le tabagisme, en plus des autres effets néfastes déjà mentionnés? Les autres drogues illicites, comme la cocaïne, le crack cocaïne, l'héroïne et l'ecstasy, pour ne nommer qu'elles, comportent beaucoup d'effets très nuisibles pour la santé. La consommation de cannabis est à la hausse et se rapproche de niveaux qu'on n'avait pas vus depuis les années 70. Les efforts de prévention actuels ne suffisent pas à neutraliser les facteurs d'augmentation de la consommation. Un sondage effectué auprès d'étudiants, en 1995, par la Fondation de la recherche sur la toxicomanie de l'Ontario, a révélé que 23 p. 100 des étudiants ont déclaré avoir consommé des drogues au cours de la dernière année, comparativement à 13 p. 100 en 1993. Une étude plus récente effectuée par le centre, en 1999, révèle que le pourcentage atteint maintenant 29 p. 100. Les taux de consommation peuvent varier selon les régions du pays. Par exemple, la consommation de cannabis par des jeunes est très élevée dans les lieux publics; les pourcentages vont de 66 p. 100 à Halifax à 92 p. 100 à Toronto.

Je vais laisser de côté une bonne partie de l'information que j'ai ici, car je crois comprendre que vous en savez déjà beaucoup à ce sujet.

Le président: Au sujet des effets et du danger, faisiez-vous référence aux personnes qui consomment beaucoup de drogue?

Sdt Taverner: Oui. Je ne parlais pas des consommateurs occasionnels.

Le président: C'est une distinction importante pour nous.

Sdt Taverner: Tout à fait.

Le président: Pour vous, un gros consommateur, et je connais déjà la réponse parce que j'ai posé la question à vos collègues dans diverses régions du pays, est une personne qui consomme au moins un gramme par jour, n'est-ce pas?

Sdt Taverner: Oui. La légalisation n'est pas la solution. Nous ne devons pas envisager de légaliser les drogues illicites parce que certains soutiennent que les sanctions sont trop lourdes ou parce que cela nous coûte trop cher. Le moment est venu de mobiliser nos efforts collectifs et d'accentuer notre action commune afin d'agir efficacement.

Selon une étude effectuée par l'Université du Michigan en 1996, intitulée Monitoring The Future, les adolescents d'aujourd'hui sont moins portés à considérer la consommation de drogue comme nuisible et risquée. Ils ont davantage tendance à croire que la consommation de drogue est généralisée et tolérée, et ils subissent aujourd'hui plus qu'à tout autre moment au cours de la dernière décennie des pressions en faveur de la consommation de drogues illicites. La consommation des drogues illicites ne ferait que renforcer ces tendances et suggérerait aux jeunes que les adultes croient qu'il est possible de consommer des drogues de façon responsable, que les drogues présentent moins de risques et que leur consommation est acceptable aux yeux de la société.

Cette perception est fondée sur la sévérité des sanctions dont fait l'objet la consommation d'une drogue. Si la consommation d'une drogue est considérée comme légale et qu'elle ne fait l'objet d'aucune sanction, la perception du risque en sera amoindrie. Les médias et leur puissance de communication, notamment les reportages qu'ils font sur des personnes qui fument de la marijuana dans des clubs de cannabis, représentent une autre force influente qui suggère aux jeunes qu'il est possible de consommer des drogues et que cela peut être amusant. Dans ce conteste, il devient très difficile, voire impossible, de rejoindre les jeunes et de les convaincre qu'il est dangereux de consommer des drogues. La plus grande accessibilité des drogues contribuera à aggraver le problème de la criminalité et à accroître la consommation, ce qui aura des conséquences terribles pour nos concitoyens. Aucun groupe social ne peut résoudre seul les problèmes liés à la consommation de drogues illicites et aux abus de substances psychoactives. Des solutions efficaces ne seront possibles que si les divers groupes au sein de la société travaillent ensemble et adoptent une approche qui nous permette de résoudre les problèmes.

Nous n'avons obtenu que des succès mitigés dans les quatre grands domaines où nous avons fait porter notre action, à savoir la prévention, la lutte antidrogue, la réadaptation et la recherche. Le Canada prend beaucoup de bonnes mesures. De nombreux groupes au sein de la société ont fait et continuent de faire les bonnes choses. Nous devons maintenant apporter des ajustements aux mesures qui se sont révélées efficaces, afin de les rendre encore meilleures. La législation en vigueur a à la fois un effet préventif et dissuasif. Toutefois, en raison de l'insuffisance des stratégies, ressources et programmes, les mesures actuelles de prévention ne réussissent pas à infléchir le nombre croissant de jeunes qui commencent ou qui continuent de consommer des drogues illicites.

L'actuelle Loi réglementant certaines drogues et autres substances est nécessaire, dans sa forme actuelle, pour faciliter la prévention et la dissuasion, comme ce fut le cas des lois visant à amener des changements de comportement relativement à la conduite avec facultés affaiblies, à l'utilisation de la ceinture de sécurité et des sièges d'auto pour enfant, et cetera. Le nombre d'accusations de possession de cannabis portées chaque année au Canada est en moyenne d'une accusation par agent de la paix, et un bon nombre de ces accusations sont déposées à l'occasion d'arrestations pour d'autres infractions au Code criminel.

La loi doit envoyer le bon message à la population, et c'est celui de la tolérance zéro à l'égard des drogues illicites, y compris le cannabis. Nous devons nous arrêter aux problèmes engendrés par la perception qu'ont les gens des probabilités que les contrevenants soient pris et, le cas échéant, que ce soit sans conséquences.

L'Association des chefs de police de l'Ontario fait trois recommandations: premièrement, le gouvernement du Canada devrait garder le cannabis sur la liste des substances illicites. Nous n'appuyons la légalisation d'aucune drogue actuellement illicite. Deuxièmement, l'Association des chefs de police de l'Ontario recommande vivement que le Comité sénatorial permanent sur les drogues illicites s'associe au Comité spécial de la Chambre des communes sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments afin de jeter les bases d'une stratégie antidrogue canadienne revitalisée, dans le cadre de laquelle les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux oeuvreraient ensemble pour un Canada plus sûr et plus sain, sous l'égide du gouvernement fédéral. Troisièmement, l'Association des chefs de police de l'Ontario recommande vivement qu'une stratégie antidrogue canadienne reçoive l'attention et soit dotée des ressources nécessaires pour lutter contre le problème des drogues illicites au Canada, en vue de réduire la demande et l'approvisionnement de drogues, et conformément aux quatre piliers de la prévention, à savoir la lutte antodrogue, le traitement, la réadaptation et la recherche.

L'inspecteur Dave Roberts, Division des enquêtes, Service de police de Windsor: Au nom du chef de police, Glenn Stannard, du Service de police de Windsor, permettez-moi de me présenter. Je travaille au sein de la Division des enquêtes criminelles et, dans le cadre de mes fonctions, je supervise la section de lutte antidrogue. Le Service de police de Windsor souscrit à la position et aux recommandations de l'Association des chefs de police de l'Ontario, et nous estimons que la question est sérieuse.

Neuf agents de la paix du Service de police de Windsor sont affectés à la lutte antidrogue sur le territoire de la ville de Windsor. Nous disposons d'un budget annuel d'environ un million de dollars, que nous affectons au personnel et autres ressources matérielles. Permettez-moi maintenant de vous présenter le sergent d'état-major Dan Woods, responsable de notre section de lutte antidrogue. Il va vous faire un exposé.

Le sergent d'état-major Dan Woods, Sous-direction de la lutte antidrogue, Service de police de Windsor: Lorsque le chef de police m'a demandé de faire un exposé, j'ai communiqué avec plusieurs personnes qui travaillent auprès du comité, et elles m'ont dit que les membres du comité voulaient savoir quelle était la situation générale, dans la ville de Windsor, en ce qui concerne les drogues, et en particulier le cannabis. Comme on vous le disait, je suis responsable de la section de lutte antidrogue dans la ville de Windsor. Nous avons pour mandat de lutter contre la revente au détail de la drogue. Notre travail consiste à repérer les petits trafiquants et à remonter la filière jusqu'à leurs fournisseurs. Nous ne nous occupons pas de projets majeurs comme tels, sauf à titre ponctuel et, le cas échéant, nous travaillons dans le cadre d'un accord conjoint avec le détachement de la GRC sur notre territoire municipal, ou avec la Police provinciale de l'Ontario.

Comme vous le disait plus tôt le sergent d'état-major Dowhayko, son unité est responsable de la région frontalière. Notre propre service y intervient si le cas dont il est chargé l'exige.

L'un des problèmes les plus sérieux que nous éprouvons actuellement dans notre ville, et vous en avez certainement entendu lorsque vous êtes allé dans les régions, est la culture de la marijuana. Nous avons démantelé 14 cultures en 2000. L'an dernier, nous en avons démantelé 36. Cette année, nous en avions déjà repéré 12 à la fin de mai. Leur nombre va en croissant. La valeur de revente de la marijuana saisie en 2001 était estimée à 4,37 millions de dollars. Jusqu'ici, cette année, la valeur de revente atteint 3,9 millions. Nous prévoyons éclipser les saisies totales effectuées l'an dernier.

Ces plantations engendrent d'autres problèmes. Les individus qui pratiquent cette culture sont très bien organisés. La découverte d'une plantation conduit à la découverte d'une autre, et la situation est la même dans chaque cas. On peut en trouver une troisième aménagée exactement de la même façon. De toute évidence, les personnes impliquées savent comment s'y prendre. Ces plantations engendrent de la violence. Des activités liées à la culture de la marijuana ont été à l'origine de meurtres dans la province. Les plantations font courir des risques à nos agents.

Nous recevons constamment de l'information qui nous indique que ces plantations sont piégées. L'autre jour, nous avons trouvé un piège derrière l'entrée principale d'une plantation, à Hamilton. On y a trouvé un panneau de contrôle équipé de tous les dispositifs hydroélectriques, minuterie et câblage. L'agent qui aurait franchi la porte aurait été exposé à une décharge électrique.

Il nous a fallu protéger nos agents. Nous avons dû acheter des gants, des bottes, des combinaisons et des masques. Des produits chimiques et des particules sont libérés dans ces plantations. Nous ne voulons pas que nos agents respirent cet air et s'exposent à des problèmes pulmonaires. Dans certaines plantations que nous avons mises au jour, nous avons trouvé de la fausse monnaie. Nous y avons même trouvé récemment un appareil de détection de faux billets.

On m'a demandé de faire des recherches sur les niveaux de THC pour vous. La meilleure information que j'ai pu trouver est contenue dans un rapport produit par Mark Pearson, l'expert en culture de marijuana de la GRC. Selon lui, de 1997 à 1999 les niveaux de THC se situaient entre 5 et 6 p. 100. J'ai contacté le laboratoire de Santé Canada, à Scarborough, et je me suis entretenu avec un analyste du nom de Rob Armstrong. Il m'a dit que selon les résultats d'analyse les plus récents, qui remontent à l'an dernier, le niveau moyen de THC dans la marijuana se situe à 8 p. 100. Le niveau maximum constaté atteignait 25 p. 100. Il m'a dit que le niveau de concentration pouvait même être plus élevé en Colombie-Britannique, et que le niveau le moins élevé est de 1 p. 100. Le taux varie évidemment selon le type de culture, à savoir culture hydroponique, culture forcée ou culture pratiquée par quelqu'un dans son jardin.

Ces cultures nous préoccupent beaucoup. Elles prennent beaucoup de notre temps et de nos ressources humaines. Les personnes impliquées dans les 36 saisies que nous avons effectuées l'an dernier commencent à peine à comparaître en cour. Les sentences vont de l'amende à la condamnation avec sursis et, de temps à autre, une peine d'emprisonnement. On m'a demandé si nous devions également lutter contre d'autres types de drogues sur le territoire de notre ville. Je ne sais pas si on vous en a parlé pendant vos déplacements, mais une nouvelle drogue, la kétamine, a fait son apparition. Il s'agit d'un anesthésiant utilisé par les vétérinaires. Ce produit n'est pas régi par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, mais par la Loi sur les aliments et drogues. Nous avons demandé à notre substitut du procureur général fédéral s'il serait possible de placer ce produit sous le régime de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. D'après ce que nous avons constaté, cette drogue est surtout consommée par des personnes dont l'âge se situe autour de la vingtaine. La kétamine, qui se présente d'abord sous forme liquide, est bouillie jusqu'à l'obtention d'une poudre blanche. Les personnes qui en consomment respirent cette poudre comme on le fait avec la cocaïne. Certaines personnes se l'injectent à l'état liquide et, d'après ce que nous savons, certains individus vivent ce qu'on appelle une expérience de mort imminente. Ils voient une lumière blanche qui les attire. Des personnes nous ont dit avoir quitté leur corps et l'avoir regardé d'en haut. Quelqu'un nous a dit qu'il s'injecte le liquide dans la cuisse et qu'avant même que la seringue soit vide il est déjà parti. Lorsqu'il s'éveille, l'aiguille est encore plantée dans sa jambe. C'est une pratique répandue chez nous. Malheureusement, nous ne pouvons pas porter d'accusations, car il est difficile de le faire en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. Nous aimerions que vous vous arrêtiez à cette question.

Le sénateur Kenny: Vous prenez des décisions au moins une fois par année au sujet de l'affectation des ressources; lorsque vous le faites, où situez-vous la marijuana sur votre liste de priorité?

Sdt Taverner: Nous luttons contre la revente au détail et nous n'affectons pas expressément d'agents au secteur de la marijuana. Nous luttons contre toute la gamme des drogues, qu'il s'agisse de la kétamine, de l'ecstasy, de la cocaïne ou de l'héroïne.

Le sénateur Kenny: Vous effectuez les arrestations liées à la marijuana à l'occasion d'arrestations relatives à d'autres infractions?

Sdt Taverner: Nous le faisons dans le cadre de notre stratégie de lutte antidrogue, à laquelle nous consacrons beaucoup de ressources. Dans la région de Toronto, où je travaille, je crois que 80 p. 100 de la criminalité, à savoir cambriolages, violence, entrées par effraction, est directement reliée à la consommation ou au trafic de drogues. Nous consacrons énormément de ressources à tout ce qui touche le problème de la drogue.

Le sénateur Kenny: Si je ne me trompe, vous parlez d'un panier de produits chimiques contre lesquels vous luttez globalement, sans distinction. Certains groupes de personnes, dans la société, ont tendance à consommer certains types de produits chimiques, notamment la marijuana, et lorsque vous trouvez quelqu'un qui en consomme, cela cache peut- être d'autres activités qui pourraient vous intéresser. Malheureusement, ou peut-être heureusement, cette partie de l'étude du comité porte sur la marijuana. Sans doute est-ce parce que le gouvernement estime qu'il s'agit du sujet d'étude le plus aisé pour l'instant. Certains membres du comité sont peut-être d'un autre avis et préféreraient peut-être que l'étude ait une portée plus générale. Quoi qu'il en soit, puisque nous nous intéressons à la marijuana, si vous aviez la possibilité d'accroître votre budget, affecteriez-vous davantage d'argent à ce problème?

Sdt Taverner: C'est une très bonne question, mais il n'est pas facile d'y répondre. Dans le secteur policier comme ailleurs, les ressources et les fonds sont limités. Nous nous intéressons en particulier à la consommation de marijuana dans les écoles secondaires. La consommation de cette drogue dans ces établissements est passablement élevée, et c'est pourquoi nous y avons affecté des agents, qui s'occupent du problème de la marijuana entre autres choses. Ils ne luttent pas exclusivement contre la consommation de marijuana mais contre toute une gamme de produits. La marijuana est l'une des drogues les plus consommées dans les écoles secondaires du centre-ville de Toronto.

Le sénateur Kenny: Dans toutes les organisations, et pas seulement dans la police, les gens qui élaborent les budgets n'allouent pas souvent les ressources de façon ascendante. Ils tiennent plutôt compte des besoins de chaque organisation et s'ils doivent faire des compressions, tout le monde est soumis aux mêmes restrictions. Il est très difficile de faire table rase lorsque les gens travaillent dans un domaine. Ils s'y attachent et font valoir qu'ils n'y travailleraient pas si ce n'était pas important; ils exigent par conséquent leur part des nouvelles ressources ou des ressources disponibles. Si vous disposiez d'un fonds global devant servir à gérer et réduire le risque et à rejoindre les jeunes à l'école, croyez-vous que l'argent serait mieux dépensé s'il provenant du budget de la police, du budget de l'école ou du budget d'une organisation non gouvernementale? Il s'agit peut-être d'une question très théorique, car les choses ne se passeront jamais de cette façon, mais lorsqu'on est appelé à rédiger des rapports sénatoriaux on a tendance à prendre un certain recul et à se demander comment, si on devait recommencer à zéro, réorganiser les choses pour rendre le processus plus efficace. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Sdt Taverner: Je crois que c'est une question très importante et si on prend du recul, qu'on voit la police comme un élément de solution et qu'on examine la situation dans son ensemble, je crois qu'il faut davantage mettre l'accent sur une stratégie canadienne de lutte antidrogue. Nous devons consacrer davantage d'efforts à la prévention. Je crois sincèrement que c'est à cela que nous devrions affecter une bonne partie de nos ressources, et notamment les ressources policières. La police n'est qu'un élément de l'ensemble, mais nous devons assurément mettre l'accent sur la prévention, comme nous l'avons fait au sujet de la conduite avec facultés affaiblies chez les jeunes. L'attitude des jeunes face à la conduite avec facultés affaiblies a beaucoup évolué, et cela grâce aux efforts concertés de nombreux organismes, dont la police. Le gouvernement, les organismes sociaux et les groupes communautaires se sont occupés ensemble de ce problème et je crois que nous récoltons aujourd'hui les fruits de cet effort collectif. Nous devrions appliquer la même stratégie à l'égard du cannabis.

Le sénateur Key: Les agents de la paix sont généralement perçus comme des figures d'autorité. On peut présumer que les policiers font partie des gens plus conservateurs de la société et notre expérience des jeunes et du tabagisme nous a appris que l'un des facteurs qui incitent les jeunes à adopter ce comportement à risque, sans doute beaucoup plus dangereux que la consommation de marijuana, est la volonté de contrarier les représentants de l'autorité. Les jeunes se disent que si les vieux ne veulent pas qu'ils aient tel ou tel comportement, c'est précisément ce qu'ils vont faire, simplement pour leur montrer qu'ils sont «cool». Avez-vous réfléchi à cela? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous dire qui, selon vous, est le mieux placé pour faire passer ce message aux adolescents rebelles? Vous-même et vos deux collègues vous êtes sûrement rebellés lorsque vous étiez adolescents, comme nous d'ailleurs. Je vous taquine, mais j'aborde néanmoins un sujet sérieux. Les policiers sont-ils les mieux placés pour faire passer le message dans les écoles et, dans l'affirmative, pourquoi?

Insp. Roberts: Nous avons, à Windsor, ce qu'on appelle le programme VIP, dans le cadre duquel des agents de la paix vont dans les écoles et font la classe à des élèves de sixième année. Ce programme traite des valeurs, des influences et des pairs. Dans chaque école de la ville, un agent est responsable du programme VIP. Les agents mettent en garde les enfants contre les dangers de la consommation de drogue, notamment la marijuana. D'après l'information que nous avons reçue, les agents ont beaucoup d'influence sur les jeunes, et ils écoutent. Ils écoutent les jeunes. Devenus plus grands, ces derniers se souviennent des agents et de leur message. Le programme semble donner des résultats, du moins dans notre ville. Je pense qu'il faut éduquer les gens lorsqu'ils sont très jeunes.

Le sénateur Kenny: Inspecteur, j'ai grandi dans une petite localité et je me souviens d'y avoir visité le poste de police. L'agent Clark était mon préféré, et sa promotion au rang de caporal nous a réjouis. Notre communauté était suffisamment petite pour permettre l'établissement de relations entre les agents de la paix et les enfants. Mon agent ne s'occupait pas de problèmes de drogue, mais il a probablement beaucoup fait pour le recrutement et l'image générale de la police. Nous le connaissions non seulement comme un policier mais comme un être humain et nous avions par conséquent de lui une image très différente de celle qu'on a d'un agent de la paix qui se promène en voiture et à qui on n'adresse jamais la parole. Au Minnesota, on a effectué une étude sur les jeunes et le tabagisme. Pendant deux ans, les enseignants et d'autres représentants de l'autorité ont appliqué un programme intensif d'éducation dans 14 arrondissements scolaires. Le programme n'a cependant pas été appliqué dans les 14 autres arrondissements. Au bout de deux ans, on a constaté que le tabagisme avait augmenté dans les 14 arrondissements où les enseignants étaient intervenus, et qu'il avait diminué là où il n'y avait eu aucune intervention. Avez-vous déjà évalué les résultats selon qu'il y avait ou non des programmes dans certaines écoles? Vous nous parlez de résultats fondés sur les témoignages des présentateurs, par opposition aux résultats réels qui peuvent être obtenus. Vous nous transmettez les impressions des présentateurs après leur retour de rencontres, et on peut présumer qu'elles se passent habituellement assez bien. Je ne puis imaginer un agent de la paix hué par des élèves de sixième année. Qu'en pensez-vous?

Insp. Roberts: Nous n'avons pas effectué d'étude, comme celles que vous mentionnez, qui permettent de savoir si tel ou tel programme influence les gens.

Le sénateur Kenny: Est-ce une idée stupide?

Insp. Roberts: Non, je ne pense pas. Nous ne l'avons tout simplement pas fait. Nous livrons tous essentiellement le même message aux jeunes, à qui nous parlons des conséquences que peut avoir la consommation de drogue sur leur vie; nous leur donnons des exemples et les mettons en garde contre les risques de la drogue.

Le sénateur Kenny: Vous affectez beaucoup de ressources à ce programme. Comment en mesurez-vous l'efficacité, autrement qu'en vous fiant aux comptes rendus des personnes qui en assurent l'application?

Insp. Roberts: Nous n'avons pas de mesures statistiques, mais en parlant aux enseignants et aux personnes qui participent au programme nous avons constaté que celui-ci avait eu un impact très positif. Comme votre agent Clark, l'agent Dave ou l'agent Ron se rend à l'école et les jeunes ont de l'estime pour lui et lui parlent d'autres questions. Les réactions sont très positives.

Le sénateur Kenny: Je ne conteste pas que le programme soit positif dans un certain nombre d'autres secteurs, et le fait de créer un lien ou une relation de confiance entre des policiers et de jeunes enfants me semble une très bonne chose. J'essaie de voir si cela a une incidence sur la consommation ultérieure de marijuana ou d'autres drogues, et je me demande si vous seriez prêts à envisager une forme d'évaluation autre que la méthode anecdotique relativement au programme.

Insp. Roberts: Vous soulevez un très bon point et je vais certainement en faire part aux intéressés. C'est une démarche différente, mais je pense qu'on pourrait en faire l'essai à Windsor.

Sdt Taverner: Je pense que chaque collectivité est un peu différente. À titre d'exemple, on compte plus de 700 écoles à Toronto; par conséquent, ce genre de comparaison peut être difficile à faire et peut aussi ne pas être pertinent. Les effets des programmes de prévention, qu'il s'agisse des drogues illicites ou d'un autre domaine, sont très difficiles à mesurer, et je pense que nous sommes tous d'accord là-dessus. Par exemple, si nous avions un programme visant à empêcher les introductions par effraction, il serait difficile de déterminer combien d'introductions par effraction auraient été évitées grâce à ce programme. Je pense que c'est la même chose avec la consommation de drogues illicites. Il est très difficile de mesurer ces choses, mais je pense que ces initiatives s'inscrivent dans une démarche collective globale. Comme vous le savez, ce n'est pas une question qui touche uniquement la police. Cela touche la société dans son ensemble et nous devons tous faire notre part. C'est la raison pour laquelle il nous faut une stratégie antidrogue nationale et le financement nécessaire pour l'appliquer.

Le sénateur Kenny: Surintendant Taverner, vous êtes d'accord que demander à la commission de police d'assurer le financement d'un programme scolaire de sensibilisation aux drogues est bien plus simple que de demander un nouvel hélicoptère?

Sdt Taverner: Oui.

Le sénateur Kenny: Ma question s'adresse à l'inspecteur et au sergent d'état-major de Windsor. Quelles sont vos relations avec vos vis-à-vis de l'autre côté de la rivière? Avez-vous des contacts avec les organismes de lutte antidrogue du côté américain? Dans l'affirmative, comment qualifieriez-vous ces relations?

Sgt é.-m. Woods: J'ai des contacts avec plusieurs organismes aux États-Unis, notamment le FBI, la DEA et la police de Détroit.

Le sénateur Kenny: Viennent-ils chez nous? Allez-vous chez eux?

Sgt é.-m. Woods: Nous communiquons habituellement par téléphone lorsque nous avons des renseignements. Nous avons beaucoup de contacts ponctuels avec les services de douane et d'immigration des États-Unis, c'est-à-dire avec les personnes qui s'occupent des bureaux frontière. Il en est ainsi parce qu'il s'agit d'une unité d'exécution qui travaille dans le grand public. À chaque fois qu'ils veulent que nous examinions quelque chose, ils communiquent avec nous. Il n'y a jamais eu de problème.

Insp. Roberts: Nous avons une relation très axée sur la collaboration, et ce depuis des années.

Le président: Je remercie nos témoins de leurs témoignages.

Sénateurs, nous allons maintenant entendre le Dr Paul Garfinkel et le Dr Patrick Smith.

Le Dr Paul E. Garfinkel, Centre de toxicomanie et de santé mentale: Le Dr Smith et moi-même sommes très heureux d'avoir l'occasion de collaborer avec vous dans l'exécution de votre important mandat. Nous vous avons fourni un mémoire écrit et un peu de documentation. Ce matin, nous allons souligner certains des points saillants renfermés dans ces documents.

Le Centre de toxicomanie et de santé mentale, le CTSM, est la plus grande institution s'occupant de santé mentale et de toxicomanie au Canada. L'Organisation mondiale de la santé nous a désignés comme étant un centre d'excellence en recherche et en formation. Nous sommes un hôpital d'enseignement affilié à l'Université de Toronto. Nous exploitons de très grandes installations de recherche clinique à Toronto. Nous avons aussi un certain nombre de bureaux satellites un peu partout en Ontario, ce qui nous permet de travailler avec les collectivités locales afin d'identifier les besoins liés à la toxicomanie et à la santé mentale, et d'y donner suite.

Nous voulons traiter de deux questions: premièrement, notre position sur la décriminalisation de la possession de cannabis et, deuxièmement, la philosophie qui sous-tend l'approche fondée sur la réduction des préjudices, ainsi que les façons dont notre organisme l'applique.

Il y a deux ans, le centre a adopté une position en vertu de laquelle il appuie l'élimination des sanctions pénales pour la possession de petites quantités de cannabis destiné à la consommation personnelle. Nous avons adopté cette position en nous fondant sur des recherches et des analyses effectuées par nos scientifiques. Certains d'entre eux ont déjà comparu devant votre comité.

Nous pensons que les sanctions actuelles, en plus d'être inefficaces en tant qu'outils de dissuasion, imposent une peine disproportionnée aux consommateurs individuels et à la société, compte tenu des dangers posés par la drogue elle-même. Le CTSM n'appuie et n'encourage d'aucune façon la consommation de cannabis. Ce que nous recommandons c'est que l'on décriminalise la possession de cette drogue et qu'on en fasse plutôt une infraction civile en vertu de la loi fédérale, soit la Loi sur les contraventions.

Nous recommandons aussi une surveillance étroite afin d'évaluer l'impact d'un tel changement et d'informer les décideurs, ainsi qu'un niveau de financement approprié pour les programmes de prévention et de traitement, de façon à limiter le plus possible la consommation de cannabis et ses effets nocifs. Nous reconnaissons que le cannabis n'est pas une drogue inoffensive. Sa consommation entraîne des coûts à long terme, des répercussions négatives sur la santé et des conséquences au niveau du comportement. Cela dit, nous constatons aussi que la plupart du temps le cannabis est consommé de façon sporadique ou expérimentale et qu'il est peu probable que sa consommation ait des conséquences négatives graves.

Comme je viens de le mentionner, le cannabis n'est pas une drogue inoffensive. Elle pose un risque particulier à ceux qui ont aussi des problèmes de santé mentale. Une partie importante de nos travaux en clinique se fait avec des personnes qui ont à la fois une toxicomanie et un problème de santé mentale. Une maladie mentale peut aussi être aggravée par la consommation de cannabis.

Nous sommes d'avis que le remède actuel face à la consommation de cannabis, qui est axé sur les mesures d'exécution, s'est révélé inefficace et coûteux. La consommation de cannabis est en hausse. Depuis 1977, le centre et son partenaire fondateur, la Fondation de la recherche sur la toxicomanie, effectuent des études à tous les deux ans auprès d'étudiants ontariens. Nous suivons donc la consommation de drogue depuis très longtemps. L'étude la plus récente a révélé que, l'an passé, environ 7 p. 100 des Ontariens ont consommé du cannabis. Toutefois, chez les étudiants, la consommation de cannabis a oscillé entre 23 p. 100 et 44 p. 100, selon les collectivités. Cette étude a aussi révélé que la consommation de cannabis chez les étudiants est supérieure à celle du tabac. Vingt-neuf pour cent des étudiants de la septième à la douzième année ont dit avoir consommé du cannabis, tandis que 23 p. 100 ont déclaré avoir consommé du tabac. Ces chiffres montrent bien que les facteurs qui devraient influer sur la décision des étudiants de consommer — c'est-à-dire les lois et les autres formes de désapprobation morale — ont peu d'effet sur leur comportement.

Étant donné que la plus grande partie des 400 millions de dollars dépensés annuellement par le système de justice pénale est consacrée aux infractions liées au cannabis et que ces infractions sont en très grande partie commises par des jeunes hommes pour qui la menace de se voir imposer des sanctions pénales n'a pas eu d'effet dissuasif, nous pensons qu'il faut réaffecter nos ressources là où elles peuvent avoir un impact plus grand. En ce qui a trait à notre approche au niveau du traitement, nous pensons qu'un certain niveau d'abus de substances est inévitable dans notre société et qu'il est plus efficace de faire face aux dangers posés par cet abus en adoptant une approche axée sur la santé publique.

L'approche que nous prônons dans nos traitements, quelle que soit la substance en cause, est fondée sur la réduction des préjudices. Cette philosophie s'inspire d'un plan d'ensemble axé sur la santé publique et elle est conforme aux bonnes pratiques cliniques actuelles. En vertu de cette approche, on se concentre sur la réduction des conséquences négatives de l'abus de substances sur la santé et la société, sans nécessairement exiger que la personne cesse complètement de consommer la drogue en cause.

Nos programmes de toxicomanie offrent toute une gamme de soins: gestion des symptômes de sevrage; évaluation et gestion de cas; consultations externes, traitement de jour et programmes axés sur les foyers de groupe pour divers problèmes de toxicomanie. Ce qui importe c'est que les programmes soient adaptés aux besoins des clients. Il n'y a pas un modèle unique de programme pour tous. Le traitement des personnes qui souffrent de toxicomanie doit être adapté à chaque cas, en commençant par la forme de soins la moins chère et la moins importune qui, de façon empirique, s'est révélée efficace. Selon notre expérience, le traitement est efficace. Il entraîne une diminution importante de la consommation de drogue et de la dépendance à celle-ci.

J'en arrive maintenant à nos recommandations.

Nous recommandons la décriminalisation de la possession de cannabis et nous recommandons que l'on accorde davantage d'importance aux autres volets — réduction des préjudices, traitement et prévention. Notre approche, comme celle de Vancouver, se fonde sur la conviction que la réduction des préjudices doit être le fondement de toute stratégie antidrogue, dans le cadre d'une réponse équilibrée aux problèmes de toxicomanie.

Nous recommandons que l'on insiste beaucoup sur la sensibilisation du public et la prévention, et nous appuyons sans réserve la GRC relativement à sa demande de création d'un programme national de prévention, avec les ressources nécessaires pour soutenir et étendre ces efforts. Le CTSM élabore beaucoup de documents et de programmes de sensibilisation, tant pour le public que pour des auditoires ciblés, notamment les éducateurs et les étudiants. Certains de ces documents ont été transmis à votre comité. Par exemple, nous avons participé à l'élaboration du document intitulé «Prévention des problèmes attribuables à la consommation d'alcool et d'autres drogues chez les jeunes: Un compendium des meilleures pratiques». Ce document a été publié l'an dernier par Santé Canada. Nous fournissons aussi une gamme de services de soutien aux collectivités de l'Ontario afin que celles-ci élaborent leurs propres approches, fondées sur des mesures qui ont fait leurs preuves, pour appuyer la santé et prévenir la maladie.

Nous croyons fermement que les investissements faits dans les services de traitement de la toxicomanie ne sont pas suffisants. Cette situation est le reflet d'un problème systémique plus étendu qui nécessite un investissement fédéral par l'entremise d'une stratégie antidrogue nationale qui soit coordonnée et qui insiste notamment sur le traitement et sur les autres piliers fondamentaux que sont la réduction des préjudices, la prévention et l'exécution.

Nous avons besoin de mécanismes d'exécution tels que les amendes afin de montrer qu'en tant que société nous voulons avoir un certain contrôle sur la consommation de substances qui peuvent parfois poser une menace à la personne et(ou) au bien commun. Cette attitude face au cannabis s'inscrit dans notre approche globale axée sur la réduction des préjudices.

En ce qui a trait à notre activité en milieu hospitalier, il importe de comprendre que le cannabis n'est pas la raison la plus importante ou la plus fréquente pour laquelle les gens viennent nous voir afin qu'on leur dispense des soins. Environ 10 p. 100 de nos clients toxicomanes disent que le cannabis est la drogue qui leur pose le plus grave problème, comparativement à 46 p. 100 pour qui c'est l'alcool et à 20 p. 100 pour qui c'est la cocaïne. Je vous rappelle qu'il s'agit de personnes qui viennent chez nous pour y recevoir des soins.

Il convient aussi de signaler que le nombre de ceux qui viennent pour obtenir des soins et qui consomment du cannabis a augmenté de façon spectaculaire au cours des quatre dernières années. La consommation de toutes ces drogues continue de faire payer un prix élevé aux consommateurs et à la société, et il faut faire face à ce problème au moyen d'une stratégie globale fondée sur la réduction des préjudices.

Le principe de la réduction des préjudices est de plus en plus accepté partout au pays, mais il suscite encore un débat. Nous avons défini cette approche de la façon suivante: «La réduction des préjudices désigne tout programme ou toute politique conçu pour réduire les préjudices liés aux drogues, sans nécessiter l'interruption de la consommation de drogues. Les interventions peuvent viser la personne, la famille, la collectivité ou la société».

Les principes directeurs de la réduction des préjudices englobent un certain nombre de choses. Il y a d'abord le pragmatisme. En d'autres mots, nous acceptons qu'un certain niveau de consommation est inévitable dans notre société, mais ce point de vue varie selon la culture et les valeurs culturelles. La consommation de marijuana par des étudiants du niveau secondaire n'a rien à voir avec la consommation d'héroïne dans les banlieues.

Le deuxième principe est l'accent mis sur les préjudices. La réduction des préjudices est axée sur la réduction des conséquences nocives de la consommation de substances sans nécessairement nécessiter une diminution de cette consommation.

Le troisième principe est la priorisation des buts. Les stratégies de réduction des préjudices donnent la priorité aux buts de chaque consommateur, en insistant sur les préjudices immédiats et possibles. Le but à long terme peut être l'abstinence, mais il n'est pas nécessaire que ce soit immédiatement le cas.

Le chemin qui mène à l'abstinence peut être très tortueux, selon la personne. Une certaine souplesse et une optimisation des options d'intervention sont donc nécessaires, et c'est là le quatrième principe directeur. Nous sommes conscients des différences individuelles, ce qui signifie que le traitement doit être adapté aux besoins de chaque personne. Il ne peut être appliqué indistinctement à tous.

L'autonomie est un autre principe. La décision prise par le consommateur de consommer des drogues est considérée comme un choix personnel dont il doit assumer la responsabilité. Il est établi que les gens vivent différentes périodes et que, par conséquent, la motivation peut varier d'une période à l'autre.

Nous sommes convaincus qu'il faut évaluer l'efficacité de tout traitement ou de tout programme de prévention. Bien que les données de recherche tendent de plus en plus à appuyer une vaste gamme d'approches en matière de réduction des préjudices, il continue d'y avoir des trous dans l'évaluation scientifique de programmes controversés, comme par exemple les trousses sécuritaires de crack. Un engagement impartial et pragmatique à réduire les préjudices en optant pour la manière la plus efficace est nécessaire.

Pour les clients, la réduction des préjudices est une option parmi d'autres dans une vaste gamme d'approches qui incluent des programmes fondés sur l'abstinence. La réduction des préjudices n'exclut pas l'abstinence en tant que but, à un moment donné, d'un traitement. Contrairement à la croyance populaire, la majorité des consommateurs de drogues ne choisiraient pas de nouveau une voie qui mène à la toxicomanie, mais l'abstinence peut être un but irréaliste pour un consommateur à un moment précis, en raison de circonstances particulières d'ordre personnel, physiologique et social.

Dans notre mémoire, nous mentionnons des initiatives de réduction des préjudices liées à la toxicomanie. J'aimerais dire un mot sur certaines de ces initiatives.

L'une de ces initiatives a trait à l'attitude des gens face aux consommateurs d'opiacés. D'une façon générale, la consommation de drogues dans notre société engendre des stigmates importants. Nous sommes d'avis que les consommateurs d'opiacés font souvent l'objet des formes les plus extrêmes de stigmates et de discrimination — et cela est vrai non seulement au niveau du public, mais aussi des médecins et des dispensateurs de soins. Nous avons effectué une étude auprès des médecins de famille en Ontario, qui sont normalement le premier point de contact dans le système de soins de santé. Nous avons constaté l'existence de préjugés, d'une discrimination et d'un manque de connaissances importants chez les médecins de premier recours. L'étude a montré qu'il existe un besoin réel de former les médecins de premier recours dans l'établissement de diagnostics, la compréhension et les soins à dispenser aux personnes qui abusent de certaines substances.

La deuxième approche a trait à l'utilisation de la méthadone dans le traitement des héroïnomanes. Un grand nombre des cliniciens que nous avons interrogés voient l'héroïnomanie comme une toxicomanie à l'égard de laquelle les traitements ne donnent aucun résultat. Ce n'est pas le cas. La méthadone est une solution de rechange acceptable dans les programmes de substitution de l'héroïne. Ce produit n'entraîne ni intoxication, ni euphorie. Il ne provoque pas de léthargie ou de déficience, il diminue l'état de besoin et le syndrome de sevrage, et il a très peu d'effets secondaires. Dans environ 97 p. 100 des cas, les personnes qui participent à notre programme de méthadone sont des consommateurs actifs d'héroïne. Après quatre ans et demi, seulement 8 p. 100 de ceux qui participaient au programme consommaient encore de l'héroïne. Lorsque la méthadone est efficace chez les consommateurs d'héroïne, elle les aide à stabiliser leur fonctionnement physiologique au point où ils peuvent mettre de l'ordre dans le reste de leur vie. Le coût annuel de la méthadone est d'environ 5 000 $ par année, comparativement à 50 000 $ pour l'incarcération. En dépit de ces bienfaits remarquables, des ressources sont nécessaires pour mettre sur pied un plus grand nombre de programmes, de façon à répondre aux besoins des héroïnomanes et des toxicomanes qui ont recours aux opiacés.

Les investissements dans l'évaluation de programmes de réduction des préjudices tels que celui-ci peuvent être entravés par les craintes continues selon lesquelles cette approche tolère et en fait appuie la consommation ininterrompue de drogues par des personnes marginales. En réalité, ces programmes offrent un premier point de contact crucial avec des dispensateurs de soins empathiques qui sont capables de gagner la confiance de ces consommateurs pour ensuite les encourager à accepter un plus grand soutien de la part d'un système de santé qu'ils avaient auparavant rejeté.

La dernière approche axée sur la réduction des préjudices dont je veux parler est liée à certaines initiatives auprès des jeunes. Une grande partie du débat actuel est alimenté par des préoccupations à l'égard des jeunes et par l'impact de nos politiques gouvernementales. Nous avons vu qu'une approche répressive n'est pas efficace auprès des adolescents qui ont besoin de courir des risques et d'affirmer leur autonomie, comme vous l'avez laisser entendre dans vos remarques aux intervenants qui m'ont précédé.

La réduction des préjudices est axée sur l'obtention de renseignements précis et objectifs sur le préjudice causé aux consommateurs potentiels, afin de les aider à prendre des décisions éclairées quant à la consommation et quant à la façon de minimiser les risques.

Il importe tout particulièrement de s'occuper des problèmes de consommation de drogues chez les jeunes, parce que nous savons que les jeunes peuvent se tourner vers le cannabis lorsqu'ils ont des préoccupations liées à la santé mentale, à la dépression, à l'estime de soi, à l'identité et à leur avenir. Il est donc nécessaire d'identifier les jeunes qui sont particulièrement vulnérables aux problèmes de santé mentale et qui, en conséquence, se tournent vers le cannabis. En d'autres mots, ceux qui se tournent vers les drogues et qui ont un problème potentiel de santé mentale sont particulièrement à risque.

Nous avons participé très activement à la production de documents et de programmes qui visent les jeunes. Plus tôt, j'ai mentionné le compendium des meilleures pratiques. Nous avons aussi participé à la production d'un document intitulé «The Student Alcohol and Drug Use Policy and School Curriculum Resources». Ce document traite des façons de prévenir la consommation de drogues chez les élèves de la première à la dixième année. Les élèves eux-mêmes ont participé très activement à l'élaboration de ces méthodes. Certains principes de promotion de la santé et de prévention exigent un effort concerté et se fondent sur les besoins décrits par les consommateurs eux-mêmes, ou par les consommateurs potentiels.

L'initiative «Opening Doors» s'adresse aux jeunes de neuvième année, qui est une année de transition critique. Toutes nos études montrent que c'est vers l'âge de 14 ans que les jeunes consomment de la marijuana pour la première fois. Dans le cadre du projet «Harm Reduction for Rural Youth», des jeunes faisant partie d'une équipe de projet ont reçu une formation sur la façon de faire une évaluation des besoins et une étude dans leurs propres écoles secondaires. La publication «Let 'Em Go» est une autre ressource pour les dispensateurs de services aux jeunes ou pour les responsables de pairs. Ce document fournit des renseignements sur la coordination de projets dirigés par des jeunes. «First Contact» est un bref protocole de traitement qui s'adresse aux jeunes de 14 à 24 ans qui consomment des substances. Ces outils sont tous décrits dans le compendium et dans certains de nos documents.

En conclusion, nous insistons sur le fait que le Centre de toxicomanie et de santé mentale est d'avis, compte tenu des recherches effectuées, que les sanctions actuelles imposées pour la possession de cannabis constituent une peine disproportionnée pour les consommateurs individuels et pour la société, eu égard aux dangers posés par la drogue elle- même et au fait que ces sanctions sont inefficaces quant à leur effet dissuasif. Nous sommes conscients que le cannabis n'est pas une drogue inoffensive et que la consommation fréquente et à long terme de cannabis a des conséquences négatives sur la santé et le comportement. Toutefois, cette consommation est le plus souvent sporadique ou expérimentale et elle n'est pas susceptible d'entraîner des conséquences graves.

Nous recommandons qu'un cadre de contrôle juridique plus approprié pour traiter de la consommation de cannabis soit mis en place afin d'avoir un système de contrôle plus efficace, d'entraîner moins de conséquences négatives au niveau social et individuel, et d'assurer la santé et la sécurité publiques. Nous recommandons aussi un contrôle très étroit, afin d'évaluer l'impact d'un tel changement et d'informer les décideurs, ainsi qu'un niveau approprié de financement pour les programmes de prévention et de traitement de façon à limiter la consommation de cannabis et les préjudices qu'elle cause.

Par conséquent, nous sommes en faveur de décriminaliser la possession de cannabis. Compte tenu des résultats obtenus par d'autres autorités qui ont adopté des contrôles semblables, nous ne pensons pas que cette mesure entraînerait une consommation accrue.

Notre centre est d'accord pour que l'on insiste davantage sur les autres piliers d'une stratégie antidrogue globale, notamment la réduction des préjudices, le traitement et la prévention. Nous voulons surtout insister sur l'importance de la réduction des préjudices et sur des investissements accrus dans les initiatives connexes et dans leur évaluation. Nous recommandons que l'on insiste beaucoup sur la sensibilisation du public et les activités de prévention, et nous appuyons sans réserve la demande de la GRC afin d'avoir un programme national de prévention doté de ressources adéquates pour soutenir et étendre ces efforts. Nous prônons aussi des investissements accrus dans les centres de traitement des toxicomanies.

Comme on l'a déjà mentionné, ce ne sont là que des points saillants de la position du CTSM relativement à la décriminalisation du cannabis et à la réduction des préjudices. À cet égard, je vous prie de vous reporter à notre mémoire présenté au Sénat.

Le Dr Smith et moi-même serons très heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Kenny: Vous n'êtes peut-être pas qualifié pour répondre à cette question, mais je vous laisse le soin d'en juger. La décriminalisation est-elle utile aux fins de la réduction des préjudices, ou est-ce que c'est la façon de la société d'exprimer un jugement moral?

Dr Garfinkel: On nous a tous transmis certaines attitudes lorsque nous étions jeunes, y compris des attitudes face à la maladie mentale et aux gens qui consomment des substances et qui sont perçus comme ayant une faiblesse morale. Traditionnellement, nous avons jugé qu'une punition devait être imposée à ces personnes. Je ne pense pas que cette façon de faire ait quelque influence sur la réduction des préjudices.

Le Dr Patrick Smith, Centre de toxicomanie et de santé mentale: Pour ajouter à ces propos, selon les données disponibles, il semblerait qu'un préjudice puisse être causé par le caractère disproportionné des sanctions et que celui-ci s'ajoute aux préjudices qu'un consommateur de substances peut subir. En d'autres mots, non seulement nos méthodes actuelles ne réduisent-elles pas les préjudices, mais il est possible qu'elles en créent d'autres en embarquant le consommateur dans le système pénal.

Le sénateur Kenny: Je comprends votre point de vue et je suis conscient des coûts en cause. Nous avons entendu un témoin ici à Windsor qui a laissé entendre que la loi renfermait certains paramètres liés au comportement. Ce témoin a dit que le fait d'enlever ces paramètres donnerait à penser que, par exemple, l'abstinence, dont vous avez parlé, n'est pas nécessairement un résultat souhaitable.

J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

Dr Smith: Notre compréhension de la décriminalisation est que la possession de cannabis continuerait d'être punissable en vertu de la loi, mais que les réformes proposées établiraient un meilleur équilibre quant à la sévérité de la peine. Aux Pays-Bas, par exemple, où la consommation de cannabis n'est pas une infraction pénale, la consommation est beaucoup plus faible qu'aux États-Unis, qui a l'une des approches les plus sévères face à la consommation de cannabis.

Ainsi, selon les données disponibles, le fait d'exclure le cannabis du code pénal et d'en faire une infraction d'ordre civil n'aurait aucune incidence sur la décision prise par la personne de consommer ou non cette drogue.

Dr Garfinkel: Votre question est très intéressante parce qu'elle a trait, dans une certaine mesure, à vos remarques antérieures. Je suis d'accord avec vous que la loi prévoit certains paramètres et que ceux-ci sont très importants pour nous en tant que personnes et collectivité. Il faut s'interroger sur l'impact de ces paramètres. Les paramètres qui s'appliquent à vous ou à moi peuvent ne pas être les mêmes que ceux qui s'appliquent à un jeune de 14 ans. Ainsi, les conséquences des paramètres s'appliquant à un jeune de 14 ans peuvent en fait être encourageantes.

Le sénateur Kenny: Comme nous le constatons avec la consommation de tabac?

Dr Garfinkel: Précisément.

Le président: Une infraction d'ordre civil entraîne une amende. Que se passe-t-il si le contrevenant ne paie pas? Je pose la question parce que nos vis-à-vis britanniques sont en train d'étudier la même question. Ils en arrivent à la conclusion que ce n'est pas la bonne façon de faire, mais je suis prêt à en discuter. N'allons-nous pas nous retrouver dans une situation identique, sinon pire? Comme vous le savez, même si la possession de cannabis est actuellement une infraction pénale, les mesures d'exécution ne sont pas la priorité des organismes d'exécution de la loi. Un pour cent des consommateurs font l'objet d'accusations. N'allons-nous pas nous retrouver avec un environnement plus dur?

Dr Smith: Le dernier groupe d'intervenants a dit que ceux qui cultivent de la drogue s'en tirent plus souvent qu'autrement sans se voir imposer une peine d'emprisonnement ou d'autres mesures. À bien y songer, si les écoles appliquaient des programmes de prévention — qui seraient ciblés afin d'être le plus efficace possible — cela libérerait des agents d'exécution de la loi qui pourraient alors s'attaquer aux organisations qui cultivent de la drogue et faire en sorte que les coupables se voient imposer de lourdes peines.

Je comprends ce que vous dites, à savoir que le fait de décriminaliser la possession de cannabis peut sembler affaiblir la position des organismes d'exécution de la loi, mais cela pourrait en fait permettre à ceux-ci de réorienter leurs efforts sur un aspect plus important du problème posé par le cannabis.

Les accusations de possession individuelle exigent beaucoup de temps des agents et des tribunaux. Il serait plus profitable de consacrer ce temps à d'autres activités d'exécution.

Le sénateur Kenny: Oui, mais vous vous retrouvez avec des situations du genre «la prostitution est légale, mais non la sollicitation».

Il y aura des problèmes s'il est légal d'être en possession de cannabis mais qu'il n'est pas légal d'en cultiver, de le vendre en gros ou de le transporter d'un endroit à l'autre. Il y aura des personnes comme celles que nous avons entendues hier soir, qui disaient «Je connais des personnes qui, théoriquement, peuvent en consommer, mais il faut aller dans la rue pour essayer de trouver la bonne semence à cultiver. Et nous n'obtenons pas les volumes dont nous avons besoin».

Dr Smith: Le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies et les quatre stratégies de décriminalisation proposent que la possession demeure illégale et qu'il y ait encore des sanctions liées à la possession. Ce n'est pas si éloigné de la situation qui existe à l'heure actuelle.

Le sénateur Kenny: Ce que vous dites en fait c'est: «Allez-y». Vous dites simplement: «Nous n'allons pas vous jeter en prison».

Dr Smith: Toutefois, ce ne serait pas aussi légal que d'être en possession d'alcool. Si une personne était trouvée en possession de cannabis, elle ferait face à d'autres sanctions — une amende uniquement, une infraction d'ordre civil, la déjudiciarisation.

Le président: Votre préoccupation porte sur les abus liés à cette substance.

Dr Smith: C'est exact.

Le président: Est-il exact de dire que la majorité des consommateurs n'ont pas de problèmes d'abus?

Dr Smith: C'est exact.

Dr Garfinkel: C'est juste.

Le président: Voyez-vous le problème que nous avons avec ce que vous dites au sujet de la décriminalisation? Nous comprenons ce que vous proposez, mais vous ne voulez pas aller jusqu'au bout: Nous sommes Canadiens et nous ne voulons pas avoir trop mal.

Dr Garfinkel: Je pense qu'il y a du vrai dans ce que vous dites. Je crois que notre société n'est pas prête à aller plus loin.

Compte tenu de ce que nous avons proposé, je pense que vous avez raison de dire que nous échangeons une série de problèmes pour une autre.

Ce que le Dr Smith dit c'est que les problèmes que vous éliminez sont certaines des pires conséquences du volet criminel, et cela représente un avantage énorme à nos yeux.

Le sénateur Kenny: Nous pensons que vous nettoyez un quartier et que vous déplacez...

Dr Garfinkel: Je comprends cela.

Le sénateur Kenny: Mon dernier point a trait à vos remarques portant que les vues de la GRC sont pertinentes. Ces gens ont-ils quelque chose à voir avec cette question? Nous savons tous qu'ils sont ici parce qu'ils s'occupent de ce problème sur une base quotidienne. Toutefois, ils le font d'une perspective particulière. Nous nous tournons vers eux parce qu'ils ont des données, parce qu'ils vont venir, parce qu'ils ont élaboré des vues sur la question, par l'entremise de leurs associations.

Quel poids devrions-nous accorder à ce qu'ils ont à dire? Deuxièmement, quel rôle devraient-ils jouer, à mesure que nous irons de l'avant relativement à ces questions?

Dr Garfinkel: Je pense qu'ils sont extrêmement importants au niveau de l'exécution. Pour ce qui est de la promotion de la prévention dans le domaine de la santé, la documentation montre bien que la façon de faire cette prévention est aussi importante que le contenu livré. Une approche à volets multiples est nécessaire. Il faut éduquer les enseignants, les étudiants et les familles. Il faut s'attaquer à ce problème de tous les angles possibles et ce genre d'initiative est plus efficace lorsqu'elle est adaptée aux besoins des gens et, souvent, lorsqu'elle est appliquée par les gens.

Lorsque je parle à mes enfants, leurs yeux s'embuent. Lorsqu'ils parlent à leurs amis leur parlent, ils leur donnent l'heure juste.

Le sénateur Kenny: Comment donnons-nous l'heure juste aux amis? C'est un peu comme la façon dont les jeunes découvrent la sexualité. Ce sont leurs amis qui leur donnent l'heure juste, que ce soit au terrain de jeu, au café ou dans les bars.

Dr Smith: Comme l'a mentionné le Dr Garfinkel, un grand nombre de nos initiatives visant les jeunes font appel à des consommateurs et à des non-consommateurs dans l'élaboration et l'exécution de ces programmes de prévention. Ce sont des participants actifs dans l'élaboration de nos programmes. Nous passons ensuite à l'étape suivante et nous évaluons l'efficacité de ces initiatives.

Le sénateur Kenny: Si cela peut vous réconforter — et peut-être le savez-vous déjà — le Atlanta Center for Disease Control dit, relativement à ses programmes antitabac, qu'un programme qui n'est pas élaboré et exécuté par des jeunes ne connaîtra pas de succès auprès de ces derniers. C'est aussi simple que cela.

Dr Garfinkel: Je suis d'accord avec cette observation.

Songez à la conduite avec les facultés affaiblies et au fait que notre génération a grandi en s'adonnant à cette pratique. Mes enfants n'imagineraient jamais de boire et de conduire. Pourquoi? Parce qu'ils sont convaincus du mal causé par une telle pratique. La conduite en état d'ébriété a fait l'objet d'une approche axée sur la réduction des préjudices. Les jeunes d'aujourd'hui ne croient pas que la consommation occasionnelle de marijuana peut leur nuire de quelque façon que ce soit. Par conséquent, les programmes qui exagèrent les méfaits de cette drogue n'ont aucune prise sur eux.

Le sénateur Kenny: Le témoin qui vous a précédé s'est servi de l'exemple d'un pilote qui avait fumé quelques joints et qui croyait être au centre d'une piste, alors qu'en fait il se trouvait sur une piste tout à fait différente. Pourriez-vous formuler des observations sur ce cas?

Je ne peux compter le nombre de témoins qui sont des consommateurs habituels de marijuana et qui nous ont essentiellement dit: «Je suis la preuve que le fait de consommer n'est pas un problème. Je fonctionne bien». Le témoin qui vous a précédé a dit que cette attitude est courante chez les consommateurs et que l'un des effets secondaires de la marijuana est que le consommateur pense que tout va bien.

Comment nous attaquons-nous à ce problème, particulièrement dans le contexte de la sensibilisation des jeunes, qui se méfient beaucoup des gens comme nous? Leur propre expérience leur donne à penser qu'ils sont bien et qu'ils fonctionnent bien. Comment leur envoyons-nous le message que ce n'est peut-être pas le cas? Comment pouvons-nous les aider à comprendre les effets secondaires négatifs, les conséquences négatives?

Il n'y a pas de preuves que la consommation occasionnelle de cannabis a des conséquences négatives. Si nous leur communiquons cette donnée, peut-être vont-ils nous écouter lorsque nous leur parlerons des autres effets secondaires. Nous sommes honnêtes avec eux; nous leur donnons l'heure juste.

Un gain à court terme est toujours plus attirant qu'une douleur à long terme. La nature humaine est ainsi faite. Les jeunes préfèrent avoir du bon temps maintenant et si on leur dit que leur vie sera misérable dans 20 ans, ils vont répondre: «Oui, sans doute, mais nous allons tous mourir un jour».

Dr Garfinkel: Il faut qu'il y ait des conséquences claires liées au fait de consommer toutes sortes de substances lorsque vous mettez votre personne ou d'autres personnes en danger. Cela dit, il n'y a pas seulement la consommation de substances. Les gens qui se servent de leur téléphone cellulaire lorsqu'ils conduisent posent un problème au moins aussi grave.

Le sénateur Kenny: Je suis d'accord. Les jeunes veulent des retombées immédiates, dans les 24 heures, sinon dans les 4 heures. Si les choses se passent bien une journée donnée c'est fantastique. Si nous disons aux jeunes: «Faites-nous confiance, ouvrez un compte d'épargne maintenant et déposez 10 p. 100 de votre avoir à chaque année, vous jouirez ainsi d'une belle retraite lorsque vous atteindrez l'âge de 65 ans«, leur regard va devenir vitreux.

Dr Garfinkel: Comment expliquez-vous que, de nos jours, les jeunes ont une attitude très différente face à la conduite avec les facultés affaiblies?

Le sénateur Kenny: Ils ont vu les conséquences immédiates de ce geste. Ils ont des amis qui se sont fait prendre.

Dr Garfinkel: Précisément.

Le sénateur Kenny: En outre, l'organisme Mothers Against Drunk Driving a mis un visage humain sur ce problème. Le fait de voir une demi-douzaine de mères parler d'un jeune qui était encore en vie il y a deux semaines a fait passer le message.

Nous avons eu beaucoup de difficultés à mettre un visage dans le cas de la lutte antitabac.

Dr Smith: C'est là un exemple parmi d'autres d'investissements importants dans des campagnes de sensibilisation et d'éducation du public. Il y a aussi eu un impact positif sur la promotion de la santé et sur la prévention.

À titre de scientifique, je pense que, s'ils devaient choisir entre la drogue, l'alcool ou le tabac la substance qui devrait être illégale, compte tenu des préjudices qu'elle cause au niveau individuel et à la société, la plupart des spécialistes ne choisirait pas le cannabis. Si on se fie à ce que les données nous disent, aucun spécialiste ne choisirait de rendre le cannabis illégal, plutôt que l'alcool ou le tabac, compte tenu de ce que nous savons sur ces substances.

Le président: Comme vous le savez, il y a beaucoup de données disponibles et un grand nombre d'entre elles sont contradictoires. Toutefois, nous allons devoir recommander au gouvernement non seulement une façon de faire un tri dans ces données, mais aussi de se tenir au courant des connaissances et de s'assurer que nous ayons accès à des données objectives et conjointes. Seriez-vous en faveur de la création d'un organisme indépendant?

Dr Garfinkel: Les Canadiens ont certainement besoin de données de grande qualité. Il y a toutes sortes de données non traitées, non présentées d'une façon utile pour les citoyens ordinaires. Il existe un besoin réel.

Le président: Lorsque nous étions à Moncton, certains témoins à cet endroit se servaient de la publication de Santé Canada intitulée «Les meilleures pratiques». Si vous aviez entendu ces personnes, vous auriez été étonné de voir ce qu'elles font avec ce que vous dites. Par conséquent, les données sont importantes.

Notre préoccupation première est la prévention, qui doit aussi être adéquatement formulée et enseignée à ceux qui vont exécuter les programmes de prévention.

Tout le monde est de bonne foi, mais en agissant de la sorte, ces gens influencent souvent la matière première, les données valables, avec leurs propres convictions et leurs intentions, et c'est un tort.

Dr Smith: C'est ce que l'on observe chez nous — du moins chez les cliniciens qui, de manière anecdotique, se soucient des gens qu'ils aident. Nous savons également que, en qualité de scientifiques, nous devons prendre du recul et nous assurer de bien évaluer la chose, les raisons qui nous incitent croire qu'un programme est efficace, et les raisons réelles qui font qu'il donne des résultats véritablement efficaces. Les programmes de prévention sont complexes et difficiles à évaluer. Quoi qu'il en soit, nous devons les évaluer avec plus de rigueur. Au lieu de croire qu'un programme est efficace du seul fait qu'on nous dit l'apprécier, nous devons combiner toutes les données; nous devons assujettir nos actions de prévention à un examen aussi minutieux que l'évaluation propre.

Dr Garfinkel: Je voudrais donner mon point de vue d'après ce que j'en ai vu dans ma propre pratique. Je reçois beaucoup d'individus manifestant des troubles alimentaires, de l'anorexie mentale et de la boulimie. Depuis cinq ans, on nous réclame des programmes de prévention de ces troubles. Vingt études ont été menées dans le monde, dont cinq prouvent de manière très définitive qu'un programme de prévention peut aggraver le problème. Il fait reconnaître que les programmes de prévention sont des outils puissants, pour le meilleur et pour le pire. À moins de mettre en place un mécanisme d'évaluation efficace, il est impossible de savoir si l'action est bénéfique ou néfaste.

Le président: Je vous remercie tous les deux d'être venus aujourd'hui.

Sénateurs, M. Randy Cormier est notre prochain témoin.

M. Randy Cormier, conseiller/chef d'équipe, Brentwood Recovery Home: Je vous remercie de nous donner la possibilité de vous entretenir de cette question qui nous tient beaucoup à coeur. Je commencerai par vous expliquer un peu qui nous sommes et ce que nous faisons.

Je suis un intervenant en toxicomanie agréé par la Canadian Society of Counsellors and Therapists. Le centre de Brentwood est un centre de réadaptation pour toxicomanes qui offre des soins et des traitements prodigués avec compassion en résidence aux individus dont le problème principal est l'alcoolisme et la toxicomanie. Le centre de Brentwood offre en outre un soutien hors résidence, destiné aux familles. Nous acceptons les personnes référées par les hôpitaux, les médecins, les organisations communautaires, les entreprises et les familles; nous avons également beaucoup d'individus qui viennent chez nous de leur propre chef.

Tous les intervenants du centre de Brentwood ainsi que les chefs d'équipe ont une formation professionnelle et sont agréés. Le Brentwood Recovery Home a vu le jour en 1964; il s'appelait alors Charity House; il a été fondé par le père Paul Charbonneau qui en est le directeur administratif. Nous avons démarré avec 10 lits et, au fil des ans, le centre a pris de l'expansion. Nous avons en tout temps 30 lits de court séjour et 20 lits de long séjour qui sont occupés. À différentes époques de l'année, toutefois, nous offrons des lits supplémentaires pour recevoir un nombre accru de pensionnaires. Parfois, nous avons jusqu'à 70 hommes et 24 femmes qui sont inscrits au programme et qui viennent tous les jours. Depuis 1964, nous avons reçu 18 500 hommes; depuis que le programme destiné aux femmes a commencé en 1984, nous avons reçu 2 700 femmes. Nous avons également des groupes de soutien pour les femmes, les enfants et les jeunes; nous organisons des séances hebdomadaires de soutien pour les anciens, des réunions de suivi après traitement, au centre et dans les localités voisines, dans les environs de Chatham et de London. Nous offrons aussi des services d'aide aux couples, des consultations individuelles, un service de soutien quotidien pour les anciens et encore des réunions de suivi. Nous comptons entre 700 et 800 admissions par année.

D'après notre expérience de l'alcoolisme et de la toxicomanie, il ne fait aucun doute que non seulement le cannabis entraîne une dépendance psychologique pour un grand nombre d'individus, mais qu'il est aussi une drogue d'introduction menant à l'expérimentation de drogues dures et à l'accoutumance.

En 1981, l'âge moyen de nos pensionnaires se situait entre 35 et 50 ans. Ils étaient admis essentiellement pour des dépendances à l'alcool et à différentes drogues. Entre 65 et 70 p. 100 étaient admis uniquement pour cause d'alcoolisme. En 1991, soit 10 ans après, l'âge moyen de nos pensionnaires, hommes et femmes confondus, se situait entre 18 et 40 ans. Soixante-deux pour cent de ces pensionnaires sont admis pour dépendance croisée, c'est-à-dire qu'ils sont à la fois alcooliques et toxicomanes.

Près de 97 p. 100 des toxicomanes atteints de pharmacodépendance grave ont commencé avec la marijuana. Nous le savons d'après l'information que nous donnent les participants et de l'analyse des effets néfastes, deux outils sur lesquels s'appuie le ministère de la Santé pour déterminer les critères d'admission et de congé. Les individus souffrant de pharmacodépendances diverses ou de dépendance croisée ont généralement commencé à consommer de la marijuana à l'âge précoce de 13 à 15 ans.

Compte tenu de ces observations et de notre expérience au fil des ans, il ne fait aucun doute que la marijuana mène effectivement l'individu à expérimenter de nouvelles drogues qui sont addictives et dangereuses non seulement sur le plan affectif, mais aussi sur le plan physiologique. Nous avons vu la marijuana détruire des familles et démolir des vies. Dans bien des cas, des individus accoutumés au cannabis commettent des crimes divers pour obtenir leur «high». Peu importe que la dépendance de ces individus soit psychologique ou chimique. Un toxicomane dépendant de l'alcool ou de drogues, dont la marijuana, cherche à fuir les angoisses, les épreuves et les émotions auxquelles il est confronté au quotidien. Un individu fera pratiquement n'importe quoi pour obtenir son «high» ou l'euphorie associée à la consommation de la marijuana. Ce produit est extrêmement coûteux et incite à commettre des vols de voitures, des cambriolages de domiciles, et autres vols avec effraction, à se prostituer, à faire du trafic de drogues, ainsi de suite. Nous savons tout de même que ce ne sont pas tous les consommateurs qui ont recours à de telles mesures.

Coup sur coup, nous observons que les personnes accoutumées au cannabis ne manquent pas de se désintéresser de la vie et des possibilités qu'elle offre. La consommation de marijuana prend le dessus sur leurs hobbies, leurs intérêts, leurs buts et leurs ambitions. Ces personnes évoluent dans un univers fantasmagorique, et non pas dans la réalité. Elles cessent de voir leur prochain et les situations comme autant de défis et de possibilités d'épanouissement, pour les considérer plutôt comme des obstacles et des sources de persécution. Leurs facultés décisionnelles sont considérablement amoindries et bon nombre des décisions qu'elles prennent alors qu'elles sont sous l'influence de la marijuana sont néfastes et, dans bien des cas, même catastrophiques, entraînant souvent des conséquences pour la vie.

À titre d'exemple, les rapports avec la famille et les amis sont non seulement rendus difficiles, mais, dans bien des cas, ils sont également rompus à jamais, ce qui débouche sur des divorces, des agressions, des séparations et la disharmonie. Il est courant que l'individu se désintéresse de ses études ou qu'il ne soit plus capable d'y faire face. Il est également courant qu'il ait des difficultés financières mineures à graves. Le rendement au travail s'en trouve affecté du fait du manque d'intérêt et de la consommation sur les lieux du travail. Dans bien des cas, cela peut déboucher sur des blâmes ou des renvois, ce qui augmente le chômage et alourdit les difficultés affectives et financières des familles.

Nous sommes absolument convaincus que la conduite sous l'influence de la marijuana peut s'avérer aussi mortelle que la conduite en état d'ébriété. Dans certains cas, il est même parfois plus dangereux de conduire sous l'influence de la marijuana que de l'alcool, car beaucoup de consommateurs de marijuana s'imaginent que leurs compétences en tant que conducteurs de véhicule n'en sont pas le moindrement affectées. Beaucoup pensent qu'ils sont meilleurs conducteurs quand ils ont leur «high». Ils s'imaginent que leur perception, leurs réflexes, leur attention et leurs capacités, loin d'être considérablement amoindris, sont au contraire plutôt aiguisés. Beaucoup d'individus ayant suivi le programme de désintoxication reconnaissent avec grands regrets qu'ils ont conduit leur véhicule alors qu'ils avaient consommé de la marijuana et qu'ils avaient à bord enfants, conjoint, amis et étrangers, et qu'ils avaient ainsi mis en danger la vie de tant de gens. Beaucoup ont reconnu avoir causé des accidents mineurs, graves et, dans certains cas, mortels alors qu'ils conduisaient sous la seule influence de la marijuana. Ils reconnaissent que ces accidents ont été causés par un défaut de perception et des réflexes amoindris du fait de la consommation de marijuana.

En conclusion, d'un point de vue moral, nous sommes contre la légalisation du cannabis. Nous traitons tous les jours des alcooliques et des toxicomanes. Bien que cette maladie, qui affecte un si grand nombre dans notre communauté, concerne l'individu, elle se répercute aussi sur les familles qu'elle peut détruire. La maladie en soi, ce n'est pas l'alcool, la marijuana, les drogues licites ou illicites dont nous abusons ou bien auxquelles nous sommes accros. Ces produits ne sont que les antidouleurs de la maladie, et pas la maladie comme telle. Quoi qu'il en soit, ces produits sont dangereux. La légalisation du cannabis le rendra plus accessible à tous; elle contribuera à déstabiliser la structure familiale. Les enfants se révolteront contre leurs parents.

D'un point de vue spirituel, la croissance et le développement de l'individu sont favorisés par la famille et les amis qui l'encadrent et l'entourent de leur affection. La légalisation du cannabis créerait de très nombreux problèmes, pour les parents comme pour les enfants. Nous n'enverrions pas le bon message aux jeunes.

Le cannabis est dangereux. Il détruit les familles et les liens que l'on a tissés. Il mène très certainement à la consommation de drogues encore plus dangereuses. Il peut donne lieu à des crimes, des accidents, des agressions verbales et physiques, des difficultés d'argent, au divorce, à de la promiscuité sexuelle chez les jeunes, et à des séparations affectives et spirituelles. Nous demandons au Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites de bien vouloir prendre en compte nos conclusions dans le rapport qu'il déposera en août 2002.

Le président: Ce vous vous dites n'est pas du tout en contradiction avec nos propres conclusions. Dans le document de travail — dont vous avez pris connaissance, je présume —, nous affirmons que seule une petite minorité de consommateurs de cannabis se transformeront en consommateurs de drogues dures. C'est précisément ce que vous dites dans votre mémoire.

M. Cormier: D'après notre expérience, vu que peu de gens admettront avoir un problème avec la marijuana, la grande majorité des personnes que nous traitons ont commencé avec le cannabis.

Le président: Êtes-vous en train de nous dire que la grande majorité des consommateurs de drogues dures ont commencé avec la marijuana?

M. Cormier: C'est exact.

Le président: Vous pouvez aisément imaginer le problème avec lequel nous risquons de nous retrouver. Dix pour cent des Canadiens consomment régulièrement de la marijuana. Vous soignez beaucoup de personnes, mais vous en soigneriez encore davantage si la consommation de marijuana menait effectivement à la consommation d'autres drogues.

Je vous remercie, monsieur Cormier.

Le dernier témoin que nous entendrons aujourd'hui sera Bill Elliott.

M. Bill Elliott, directeur régional intérimaire, Service des douanes, Division de Windsor-St.Clair, Agence des douanes et du revenu du Canada: Puisque le comité a déjà entendu un exposé national, nous limiterons nos observations à la Division de Windsor-St.Clair, pour vous donner un aperçu de la situation dans ce coin du pays.

La Division de Windsor-St.Clair couvre tous les modes de transport entrant au Canada, voyageurs et marchandises confondus. Les principaux ports d'entrée à Windsor sont le pont Ambassador et le tunnel Detroit-Canada; pour la région de Sarnia, c'est le pont Blue Water. Par ces trois ports, transitent annuellement 23 millions de voyageurs — soit plus de 21 p. 100 du volume national de voyageurs — et 2,6 millions de véhicules commerciaux, ce qui représente 45 p. 100 du total national.

Le pont Ambassador est non seulement le plus fréquenté par les camions, mais il est le plus fréquenté de tous les points d'entrée au Canada. Le tunnel Detroit-Canada vient au deuxième rang des points d'entrée les plus fréquentés au Canada. Le pont Blue Water, à Sarnia, vient lui aussi au deuxième rang, mais pour les camions, et il vient au cinquième rang des principaux points d'entrée au Canada. Les points d'entrée au Canada établis dans cette région sont donc très fréquentés.

Notre division compte également trois points de passage par ferry: à l'île Pelée, sur le lac Érié, et à Walpole Island et à Sombra sur la rivière St. Clair. Ces lieux voient passer un complément de 320 000 voyageurs par an.

Nous avons aussi deux grandes compagnies ferroviaires, l'une à Sarnia et l'autre à Windsor. Elles font entrer au Canada plus de 350 000 wagons par an. Elles comptent pour plus de 70 p. 100 des rames de chemins de fer qui entrent au Canada chaque année. Plus de 28 000 voyageurs par chemins de fer sont passés par là l'an dernier à bord du train d'Amtrak entre Chicago et Toronto. En outre, les deux aéroports dont les effectifs sont fournis par l'ADRC, à London et Windsor, reçoivent plus de 2 600 vols nolisés et vols réguliers par an.

La division dirige également un centre de déclaration par téléphone, le CDT, à partir duquel les avions et les bateaux privés entrant au Canada se rapportent à l'ADRC à l'un ou l'autre des centres douaniers canadiens situés le long des 500 kilomètres des cours d'eau internationaux. Ce centre s'occupe également de huit aéroports municipaux. L'an dernier, il a reçu plus de 32 000 rapports indiquant l'admission au Canada de plus de 124 000 passagers et membres d'équipages.

Ces données témoignent de l'importance de la Division de Windsor-St. Clair pour ce qui concerne la libre circulation dans les deux sens des voyageurs et des biens le long de ce principal corridor commercial du Canada. L'ADRC doit trouver le juste équilibre entre la circulation libre et efficace des voyageurs et des biens, tout en restant vigilante pour parer à la contrebande et à la criminalité transfrontalières. Pour atteindre cet objectif, nous avons pris un certain nombre d'initiatives, dans le cadre du plan d'action des douanes, visant à accélérer le traitement des personnes et des marchandises comportant un risque peu élevé préapprouvées. Ce plan comporte une série de mesures destinées à intensifier nos activités de surveillance et de suivi de l'application de la loi dans le cas des personnes et des entreprises qui présentent un risque élevé ou indéterminé.

Régulièrement, l'ADRC procède à une analyse approfondie visant à lui permettre de cerner les priorités en matière de surveillance des activités de contrebande et le niveau des risques qui leur sont associés dans tous les points d'entrée du Canada. Cette analyse s'appuie sur les résultats de la surveillance de l'application de la loi, le renseignement de sécurité, le débit de la circulation, et de toute une série de facteurs différents. Le pont Ambassador, le tunnel Detroit- Canada et le pont Blue Water de Sarnia sont tous trois considérés comme des points d'entrée à risque élevé, d'après le rapport d'évaluation des risques des points d'entrée au Canada pour l'année 2002.

Les ressources affectées à la surveillance des activités de contrebande sont réparties en fonction des évaluations des risques aux points d'entrée et en matière de contrebande. Ces ressources comprennent des effectifs douaniers, notamment des inspecteurs, des équipes cynophiles, des agents et des analystes du renseignement de sécurité, et des agents des douanes participant au ciblage. Nous disposons également d'un matériel spécialisé pour la détection de marchandises de contrebande, notamment des appareils de détection Ionscan et des appareils mobiles de détection à rayons X.

La Division de Windsor-St. Clair compte sur place plus de 520 inspecteurs des douanes en uniforme: 360 sont chargés du traitement des voyageurs et des transporteurs commerciaux aux trois grands points d'entrée; 120 sont chargés de l'inspection et de la vérification des marchandises d'importation à quatre sites commerciaux dans la division; et les 40 autres sont chargés des services de vérification des transporteurs aériens, maritimes et ferroviaires. La division compte 80 agents chargés de la surveillance des activités de contrebande et du renseignement de sécurité, dont 35 agents membres des équipes d'intervention mobile, 4 agents chargés des opérations de ciblage menées dans le cadre de la lutte contre la contrebande, 12 agents régionaux du renseignement, 6 analystes régionaux du renseignement, 10 enquêteurs des douanes, et 3 brigades cynophiles.

En 2001, la Division de Windsor-St. Clair a saisi plus de la drogue pour plus de 24 millions de dollars: 65 kilos de cocaïne, 87 kilos de résine ou d'huile de cannabis, et 520 kilos de marijuana. En outre, grâce au réseau CAN, l'ADRC a saisi ou confisqué pour 2,6 millions de dollars de produits de la criminalité.

La division a lancé, au Canada, le Plan de mise en oeuvre des pouvoirs conférés aux agents, en vertu duquel des pouvoirs supplémentaires ont été accordés aux inspecteurs des douanes, leur permettant de procéder à des arrestations en présence de certaines infractions criminelles, par exemple la conduite avec facultés affaiblies, les mandats d'amener, et la possession de biens volés. À l'issue d'un programme de formation intensive, les agents de cette division ont été confrontés à 776 incidents nécessitant le recours à ces pouvoirs nouveaux. Ils ont ainsi arrêté ou interpellé plus de 398 conducteurs avec facultés affaiblies et 122 personnes faisant l'objet de mandats d'amener.

La division travaille en collaboration étroite avec des organismes chargés de l'exécution de la loi, notamment des opérations policières conjuguées avec la GRC, l'Unité mixte des produits de la criminalité, le service américain de collecte et d'analyse du renseignement et l'Équipe intégrée de la police des frontières, de création récente. Régulièrement, le service du renseignement et de surveillance des activités de contrebande de la Division de Windsor- St. Clair prend part aux opérations de ciblage des gangs et des criminels pratiquant de la contrebande au Canada.

La Division de Windsor-St. Clair est unique en son genre en ce qu'elle constitue le seul point d'entrée au Canada, le long de la frontière canado-américaine, où deux grandes villes coexistent côte à côte. Le taux de criminalité violente à Detroit est des plus élevés en Amérique du Nord. L'aéroport de Detroit vient au sixième rang dans le monde pour le volume de son trafic aérien international. En outre, trois grandes autoroutes interétatiques convergent à Detroit, reliant les grands centres, et l'une d'elles est la route la plus directe entre le Mexique et le Canada.

En une journée normale, 7 000 camions entrent au Canada par le pont Ambassador et 3 000 camions y entrent par le pont de Blue Water, à Sarnia. Je vous fais part de ces chiffres pour vous donner une idée des défis que nous sommes appelés à relever tous les jours dans cette région.

Le sénateur Kenny: Nous savons que vous nous avez fourni une version très abrégée de ce que vous pourriez nous dire en réalité. Vous avez oublié le grand point d'entrée de Stanstead et Derby Line, où se trouvent face à face deux autres grands centres métropolitains.

J'ai eu, à l'occasion, la possibilité de visiter différents points d'entrée et les appareils de détection Ionscan et les appareils mobiles de détection à rayons X nous ont été présentés comme étant des instruments de travail importants. J'ai cependant l'impression que ce sont plutôt des instruments de relations publiques. Au vu de la capacité de l'appareil Ionscan, ou encore des appareils mobiles de détection à rayons X, et du temps qu'il faut pour les démarrer ou les déplacer d'un lieu à un autre, il vous en faudra beaucoup avant de dire que vous pouvez compter sur eux. En convenez- vous?

M. Elliott: Effectivement, le Ionscan est un instrument de travail. Il incombe aux inspecteurs des douanes de faire ce travail, accompagnés des chiens. Je sais qu'ils utilisent régulièrement le Ionscan. Il s'agit simplement de passer le détecteur sur un volant ou une autre partie d'un véhicule et ensuite d'entrer l'information dans le Ionscan qui ensuite vous donne le résultat de son analyse.

Le sénateur Kenny: Combien de résultats faux positifs obtenez-vous?

M. Elliott: Je ne suis pas en mesure de vous donner un pourcentage exact. Je sais que l'appareil nous donne régulièrement de bons indicateurs.

Le sénateur Kenny: On nous a dit 20 p. 100.

M. Elliott: Oui, et c'est pourquoi je vois ai dit que ce n'était qu'un instrument. D'autres éléments peuvent guider les inspecteurs des douanes. Le Ionscan en est un. En ce qui concerne les appareils mobiles de détection à rayons X, nous sommes sur le point d'échanger les appareils plus petits pour des Vasis devant nous permettre de contrôler aux rayons X un container entier qui passera au travers.

Le sénateur Kenny: Combien de camions contrôlerez-vous par heure?

M. Elliott: Le camion doit avancer à la vitesse de 5 milles à l'heure.

Le sénateur Kenny: En une journée normale, combien de véhicules pouvez-vous inspecter avec cet appareil?

M. Elliott: Il faut jusqu'à quatre heures pour dépoter un camion-remorque.

Le sénateur Kenny: Bien sûr. Donc c'est plus rapide que le dépotage?

M. Elliott: Oui, beaucoup plus rapide que le dépotage.

Le sénateur Kenny: Vous traitez de très gros volumes à ces points d'entrée. Cette région est l'une des plus fréquentées au Canada. J'ai l'impression que vous êtes à court d'effectifs, de matériel et de locaux pour mener à bien votre mission. Vous avez un défi considérable à relever. Vous méritez d'être félicité pour ce que vous accomplissez, car vous n'avez pas la tâche facile. Il me semble cependant qu'on ne vous a pas fourni les ressources et le matériel nécessaires pour faire ce travail.

M. Elliott: Nous sommes obligés de faire des évaluations des risques. Nous ne croyons qu'il soit jamais possible pour nous d'inspecter 7 000 camions par jours. Quel que soit le système ou le matériel que l'on retiendra, jamais nous ne pourrons inspecter 7 000 camions par jour.

Le sénateur Kenny: Vous avec dit que vous dispositions de quatre agents pour les opérations de ciblage. Comment cela fonctionne-t-il si les points d'entrée sont accessibles 24 heures par jour, sept jours sur sept?

M. Elliott: L'agent n'a pas à être là quand le camion passe au travers de l'appareil. Il accomplit son travail avant que le camion n'arrive à ce poste, et c'est ainsi que l'on doit procéder. L'agent cible les cargaisons d'après les informations qui lui sont communiquées avant l'arrivée de ces cargaisons au Canada.

Le sénateur Kenny: Compte tenu du trafic incessant à ces points d'entrée, du volume dont vous parlez, vos quatre agents chargés des opérations de ciblage ont-ils matériellement le temps d'effectuer les analyses requises pour obtenir une évaluation de tous les véhicules?

M. Elliott: Nous avons constaté que quatre agents suffisaient à la tâche. Autrement, nous y affecterions d'autres agents.

Le sénateur Kenny: Comment avez-vous fait pour arriver à 3 p. 100 pour le dépotage?

M. Elliott: Vous avez dit 3 p. 100?

Le sénateur Kenny: Oui. Pourquoi avez-vous retenu ce pourcentage?

M. Elliott: Je n'ai pas choisi 3 p. 100.

Le sénateur Kenny: Pas vous, mais l'ADRC, oui. Ce pourcentage est-il approprié, d'après vous?

M. Elliott: Nous avons procédé à un échantillonnage aléatoire. Généralement parlant, 96 ou 97 p. 100 des individus observent la loi. Dans le plan d'action des douanes, nous inscrivons non seulement les importateurs, mais aussi les transporteurs et les camionneurs. Beaucoup de personnes seront prises dans les filets de ce plan. Nous nous concentrons sur les personnes qui ne sont pas admissibles aux programmes de préautorisation ou qui présentent des risques indéterminés.

Le sénateur Kenny: On nous a dit que les 3 p. 100 n'avaient pas été déterminés par suite d'une étude scientifique, mais que l'on s'était basé sur des impératifs budgétaires. En d'autres mots, il ne reste assez d'argent que pour ces 3 p. 100 et c'est ce qui a permis que l'on procède à ces inspections.

M. Elliott: En temps normal, les agents inspectent les cargaisons toute la journée. Quand ils ont fini d'inspecter une cargaison donnée, ils passent à la suivante. Ils n'ont pas en tête ce pourcentage.

Le sénateur Kenny: Non, bien sûr que non, mais les gens à votre niveau, ou le commissaire, nous disent qu'il reste suffisamment de fonds pour ces inspections. Nous avons voulu savoir si des études complémentaires avaient été menées pour déterminer s'il ne serait pas plus efficace d'opter pour 6 p. 100, ou 1 p. 100. Je crois savoir que vous ne détenez pas cette information.

M. Elliott: Non, mais je crois qu'on en sait déjà beaucoup là-dessus.

Le sénateur Kenny: On ne peut pas le savoir tant qu'on n'a pas procédé à l'étude.

M. Elliott: Nous nous employons à faire tout ce que nous pouvons tous les jours. Nous ne nous limitons pas à 3 p. 100, et nous ne faisons pas non plus d'efforts supplémentaires pour atteindre cet objectif. Nous travaillons avec les ressources à notre disposition.

Le sénateur Kenny: Justement. Croyez-moi; je ne vous reproche rien, monsieur Elliott; je constate simplement qu'on a décidé de ces 3 p. 100 sans s'être appuyé sur des données précises.

M. Elliott: Nous avons des objectifs très précis. Ces 3 p. 100 ne sont pas les seuls. Nous avons d'autres objectifs à atteindre et nous avons réussi à tous les atteindre depuis deux ans. Nous croyons avoir été aussi efficaces que possible.

Le sénateur Kenny: S'il vous était possible d'améliorer vos opérations, que ce soit sur le plan des locaux, des effectifs, ou du matériel, que feriez-vous?

M. Elliott: Le volume des opérations ne semble pas vouloir diminuer dans notre région, surtout pour le trafic commercial. Bien que le nombre des véhicules ne soit pas aussi important qu'avant les événements du 11 septembre 2001, le nombre des camions est déjà supérieur aux chiffres d'avant le 11 septembre. Je m'occuperais des opérations d'inspection du trafic commercial.

L'infrastructure nous préoccupe. Nous avons des problèmes d'infrastructure, non seulement pour ce qui concerne les ponts, mais aussi des deux côtés de la frontière.

Depuis un ou deux ans, nous avons modernisé nos installations d'inspection aux trois principaux points d'entrée. Nous les avons bien améliorées par rapport à ce qu'elles étaient il y a 10 ans. Nous en sommes fiers. J'ai toujours été partisan de la rationalisation.

Le sénateur Kenny: Avez-vous des centres d'appel?

M. Elliott: Oui, les centres de déclaration par téléphone.

Le sénateur Kenny: Comment les surveillez-vous? Supposons qu'un individu arrive du côté de Grosse Pointe et qu'il cherche à débarquer en un lieu entre ici et Sarnia. Je présume qu'il y a des téléphones aux ports de plaisance, avec des panneaux invitant les voyageurs qui débarquent à prendre contact avec les autorités canadiennes. Ces gens seraient-ils mis en contact avec l'un de vos agents? Votre agent peut-il décider s'il y a lieu ou non de demander à la personne à l'autre bout du fil de rester sur place jusqu'à plus ample enquête, ou lui dira-t-elle «Très bien; merci d'avoir appelé; poursuivez votre chemin.»?

Comment faites-vous pour vous assurer que ces gens vous appelleront?

M. Elliott: Nous disposons d'équipes d'intervention mobile qui parcourent la région en tout temps. J'ai bien dit «mobile». Ces équipes ne sont pas postées aux ponts. Elles passent beaucoup de temps, surtout à cette époque de l'année, aux 108 centres de déclaration par téléphone qui sont situés le long de ce rivage frontalier de 500 kilomètres. Nous avons en fait doublé le nombre de nos équipes d'intervention mobile pour cette saison estivale, car nous augmentons le nombre des inspections.

Nous avons deux catégories de plaisanciers: ceux qui se sont inscrits préalablement au programme CANPASS, et ceux qui ne l'ont pas fait. Cette année, nous passerons à l'inspection deux fois plus de plaisanciers non inscrits au CANPASS que de plaisanciers inscrits.

Le sénateur Kenny: Quelles sont les informations biométriques qui figurent sur le laisser-passer CANPASS?

M. Elliott: Le système CANPASS est en voie de modernisation. Je connais le système Nexus à Sarnia. Il s'agit d'un système commun au Canada et aux États-Unis. C'est le seul système qui fonctionne encore à ce jour — en fait, son exploitation a été suspendue jusqu'en décembre, mais elle a été reprise par la suite. Il sera appliqué même dans le cas des habitants de Sarnia qui sont habitués à l'ancien système, avec des améliorations nouvelles, notamment la prise des empreintes digitales. On ne le faisait pas avec l'ancien Nexus. C'est d'ailleurs ce même système qui sera mis en place en Colombie-Britannique, à la frontière, ce mois-ci.

Le sénateur Kenny: De quel effectif disposez-vous?

M. Elliott: Nous avons un effectif de 520 agents en uniforme pour Windsor, St. Clair et l'aéroport de London.

Le sénateur Kenny: Un agent par kilomètre, en moyenne?

M. Elliott: Oui. Nous avons 108 centres de déclaration par téléphone.

Le sénateur Kenny: Qui fonctionnent 24 heures par jour, sept jours sur sept, si je ne m'abuse. Je suis préoccupé par l'insuffisance des effectifs et des ressources dont vous disposez. Je m'attends à poursuivre mes entretiens avec vous dans un autre contexte.

Le président: Je vous remercie, monsieur Elliott.

La séance est levée.


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