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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 22 - Témoignages pour la séance de l'après-midi


OTTAWA, lundi le 10 juin 2002

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 13 h 04 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogues canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Nous reprenons les travaux du comité spécial du Sénat sur les drogues illicites. Nous recevons cet après-midi le directeur exécutif du Centre canadien de lutte à l'alcoolisme et à la toxicomanie, M. Michel Perron. Merci d'avoir accepté notre invitation.

Nous avons une heure trente à notre disposition. Vous pourrez commencer par une présentation qui sera suivie d'une période de questions. À en croire les témoignages de vos collègues des ministères qui vous ont précédé ce matin, il n'y a pas de doute que vous avez une responsabilité énorme qui tend vers un équilibrisme remarquable pour être capable de réussir à atteindre tous ces objectifs avec un budget aussi minime. Nous avons bien hâte d'entendre votre témoignage. Vous avez la parole, M. Perron.

[Traduction]

M. Michel Perron, directeur exécutif, Centre canadien de lutte à l'alcoolisme et à la toxicomanie: Honorables sénateurs, c'est pour moi un plaisir et un honneur de comparaître aujourd'hui alors que vous vous apprêtez à conclure vos audiences publiques.

En me préparant pour cette séance, j'ai réfléchi à ce qui pourrait vous être le plus utile à ce stade de vos recherches. Je sais que vous avez entendu beaucoup de mes collègues à travers le Canada, que vous avez beaucoup voyagé à travers le pays et que vous avez entendu toutes sortes de commentaires, des plus viscéraux aux plus philosophiques.

Néanmoins, je pense que mon exposé et le point de vue du Centre canadien de lutte à l'alcoolisme et à la toxicomanie, le CCLAT, vous donnera un point de vue original qui ne vous a pas encore été présenté, j'en suis convaincu. Ceci vient en grande partie du rôle original du CCLAT. Le Dr Sansfacon m'a aussi demandé de me concentrer sur les besoins du Canada en matière d'information et de recherche.

Enfin, je conclurai en vous expliquant comment cette information s'inscrit dans le contexte global d'une stratégie canadienne antidrogue.

[Français]

Le président: Je vous demandais de parler moins vite car tout ce que vous direz est inscrit pour la postérité. Si vous voulez que ce le soit adéquatement, il faut le faire avec une célérité raisonnable.

M. Perron: Je m'excuse auprès des interprètes.

[Traduction]

M. Perron: Tout d'abord, je dirais que mon exposé part du principe que le mandat et les intérêts de votre comité, qui portent essentiellement sur le cannabis et sur son éventuelle légalisation ou décriminalisation, portent sur des questions importantes à discuter. Toutefois, s'engager sur une stratégie particulière sans avoir élaboré un cadre ou une stratégie nationale antidrogue, c'est un peu comme se demander s'il faut mettre de l'essence sans plomb ou au plomb dans un véhicule qui n'a pas de moteur.

Permettez-moi de vous donner tout d'abord un aperçu du CCLAT. Le CCLAT a été créé par une loi fédérale du Parlement en 1998 en tant qu'organisation non gouvernementale canadienne sur la toxicomanie. La loi nous attribue diverses responsabilités qui sont énumérées dans le texte qui vous a été soumis, notamment: encouragement et appui à la consultation et à la coopération entre les pouvoirs publics, les entreprises et les organisations syndicales et professionnelles, contributions à l'échange fructueux d'information, contribution à la mise au point d'un corpus de connaissances et à son utilisation, information accrue des Canadiens et élaboration d'une politique réaliste et de programmes efficaces visant à réduire les dommages causés par l'alcoolisme et la toxicomanie.

[Français]

En résumé, notre mission consiste à regrouper à l'échelle nationale les efforts destinés à atténuer les effets néfastes de l'alcoolisme et des toxicomanies sur la santé, la société et l'économie. La création d'un organisme non gouvernemental national comme le CCLAT a été une mesure avant-gardiste.

Depuis lors, plusieurs autres gouvernements étrangers ont constitué des organismes indépendants analogues au CCLAT. Aujourd'hui, plus d'un sont connus comme étant des observatoires.

Comptant sur une telle organisation, le gouvernement fédéral savait alors que le CCLAT peut faciliter les relations avec les organismes sans but lucratif, le secteur privé et les provinces et jouer un rôle complémentaire déterminant à l'extérieur de l'administration publique.

Au moment de sa création en 1988, le CCLAT relevait du ministère de la Santé, situation qui n'a pas changé. Le CCLAT avait reçu une subvention annuelle de deux millions de dollars en 1988 qui était reconnu comme étant le montant minimum pour cette organisation.

Cependant, durant la période des compressions budgétaires découlant de l'examen des ressources, notre budget a été réduit à 500 000 dollars par année. Il a fallu dès lors procéder à des mises à pied et certains de nos employés sont devenus des contractuels, situation qui se poursuit aujourd'hui.

Depuis 1997, le CCLAT a subsisté essentiellement en travaillant pour plusieurs ministères dans un cadre de marchés de services. Ces marchés ont assuré notre survie, mais ils nous ont empêché considérablement de nous acquitter d'une façon proactive de notre mandat établi par la loi.

J'ai cependant le plaisir de votre informer que tout récemment, la ministre McLellan à porté notre financement de base à 1,5 million de dollars — mesure provisoire — jusqu'à la mise en oeuvre d'une nouvelle stratégie antidrogue. Grâce à cette augmentation, le CCLAT pourra stabiliser ses activités et le Canada risquera moins de perdre la seule mémoire collective et les seules compétences spécialisées qui existent au gouvernement national en matière de toxicomanie.

Il est important de remarquer que le CCLAT n'est pas un organisme de pression; le Canada en compte déjà beaucoup. Le CCLAT agit plutôt comme un chef de file et joue un rôle consultatif en recommandant des plans d'action pertinents élaborés en fonction de ses recherches probantes.

[Traduction]

Le CCLAT propose toute une gamme de services, comme l'a fait remarquer le président dans son introduction, et nous en faisons beaucoup avec très peu de moyens. C'est grâce à des partenariats avec les ministères et d'autres collaborateurs que nous y parvenons. Toutefois, ce n'est qu'une infime partie de ce que nous pourrions faire.

En matière d'information et de référence, nous sommes le seul centre d'échange d'information sur la toxicomanie. Nous avons aussi un service d'information national sur le syndrome d'alcoolisme foetal et les effets de l'alcoolisme foetal. Nous travaillons beaucoup à la mise au point d'information. Nous avons eu le seul dossier complet de ressources statistiques sur la toxicomanie au Canada. Nous avons fait des études de coût dont je vous parlerai un peu plus tard. Nous avons créé une base de données sur les chercheurs pour savoir qui faisait quoi au Canada et comment ces efforts pourraient mieux se renforcer mutuellement.

Nous travaillons aussi dans le domaine des jeux de hasard. Nous avons établi des normes exemplaires et une sorte de ligne d'affaires de formation. Nous faisons cela pour les programmes de prévention à l'intention des jeunes, pour les protocoles de traitement et pour le syndrome d'alcoolisme foetal et les effets d'alcoolisme foetal. Enfin, nous formulons des politiques, ce qui est pour le moins délicat, puisque nous nous attaquons à des questions qui donnent du fil à retordre aux ministères et organismes. Nous avons un groupe multisectoriel qui examine des questions comme la réduction des méfaits, le cannabis, les tribunaux de traitement de la toxicomanie, etc.

Enfin, honorables sénateurs, l'une de nos forces vient du fait que nous collaborons avec de multiples partenaires. Nous avons des réseaux actifs pour essayer d'atteindre des objectifs précis au sein du monde universitaire et du secteur de la recherche ainsi qu'auprès des municipalités, par le biais de la Fédération canadienne des municipalités. Nous avons un réseau intitulé Réseau communautaire canadien d'épidémiologie des toxicomanies, ou RCCET, un autre sur l'éducation sur la santé et l'application en partenariat, et encore un autre, le Réseau canadien d'information sur la toxicomanie.

Je ne vous dirais peut-être pas toute la vérité si je ne précisais pas que ces réseaux sont souvent fragiles dans leur état actuel, mais qu'ils pourraient très bien rentabiliser de façon extraordinaire les investissements à condition que ceux-ci soient appropriés. Nous travaillons beaucoup dans le domaine des communications, et nous publions notamment notre rapport annuel qui est déposé dans les parlements national et provinciaux. Je vous ai aussi apporté quelques exemplaires de nos bulletins d'information.

Je vais maintenant aborder quatre autres domaines: Un aperçu de nos stratégies antidrogues nationales passées; ce que nous savons sur la toxicomanie au Canada aujourd'hui; certains des problèmes liés à l'utilisation des statistiques; et les domaines dans lesquels nous pensons qu'il faudrait investir pour l'avenir.

Notre première initiative d'élaboration d'une stratégie nationale remonte à 1987, quand le premier ministre Mulroney a déclaré qu'il y avait une épidémie de drogues au Canada. À la même époque, M. Reagan lançait une autre guerre contre la drogue aux États-Unis. Pour cette première stratégie canadienne, le gouvernement a débloqué progressivement 210 millions de dollars pour élaborer une démarche équilibrée en matière de drogues — pas nécessairement un partage 50-50, mais plutôt un équilibrage philosophique des efforts pour réduire à la fois la demande et l'offre de drogues. La stratégie relevait du ministre de la Santé, et c'est toujours le cas aujourd'hui.

En 1992, le gouvernement a lancé une deuxième stratégie sur cinq ans, avec un montant de 270 millions, en recommandant encore une fois une démarche équilibrée. Nous n'avons jamais lancé de guerre contre la drogue. C'est un phénomène typiquement américain, même si les médias canadiens semblent adorer ce terme.

[Français]

En 1997, le gouvernement a mis en oeuvre l'examen des programmes ou des ressources qui a entraîné plusieurs compressions budgétaires dans tous les ministères, y compris Santé Canada. La stratégie antidrogue n'a pas échappé à ces compressions et elle n'a pas été renouvelée en 1997. Depuis, le gouvernement fédéral a consacré très peu de nouveaux fonds dans ce domaine.

Aujourd'hui, le Canada se retrouve dépourvu de sa stratégie nationale. Par conséquent, nous manquons simplement de données de recherche pour nous guider. En fait, nous ignorons l'ampleur actuelle de la consommation de drogues ou la prévalence au Canada parce qu'aucune enquête nationale n'a été exécutée sur cette question depuis 1994. Il ne nous reste donc qu'à développer des hypothèses et à recourir à d'autres instruments pour obtenir un tableau de la situation actuelle au Canada.

En 1996 — on renvoie à une étude de six ans — le CCLAT a publié sa première étude personnelle sur l'estimation des coûts socio-économiques et des problèmes de la santé causés par l'abus de l'alcool et des drogues. Nous avons alors estimé que l'abus d'alcool, de tabac et de drogues illicites a coûté au-delà de 18 milliards de dollars au Canada. Ces coûts sont ventilés à 9,5 milliards pour le tabac, 5,7 milliards pour l'alcool et 1,4 milliard pour les drogues illicites. Nous avons aussi déterminé que l'abus d'alcool et d'autres drogues était à l'origine d'un décès sur cinq et de presque 10 p. 100 des admissions dans les hôpitaux au Canada en 1995 et 1996. Notamment, 6 500 Canadiens sont décédés et 80 000 ont été admis dans les hôpitaux. Nous savons aussi qu'aujourd'hui, l'usage de drogues par injection est responsable de 50 p. 100 de nouveaux cas de VIH et 80 p. 100 de nouveaux cas d'hépatite C. Le Canada compte environ 125 000 utilisateurs de drogues par injection. Environ le cinquième contractera soit le VIH, l'hépatite C ou les deux.

Il ne fait donc aucun doute que l'abus d'alcool et de drogues coûte cher à la société canadienne. Le prix à payer ne se calcule pas entièrement ou uniquement en dollars, mais également — et je dirais que c'est tout aussi important — en douleurs physiques et psychologiques.

Lorsque le CCLAT a entrepris sa première étude des coûts en 1996, il n'a pas tardé à se rendre compte qu'il n'avait pas de données suffisantes pour lui permettre d'estimer précisément les coûts des drogues et de la criminalité. Par conséquent, nous avons entamé, de concert avec plusieurs de nos partenaires, une étude visant à déterminer la mesure dans laquelle la criminalité est en fait imputable aux substances psychoactives et à établir lesquelles de ces substances sont les plus susceptibles d'entraîner des actes criminels. Cette étude a été menée à terme et publiée récemment. Il faudrait remarquer qu'il est extrêmement difficile de déterminer le rôle des drogues et de l'alcool dans la criminalité.

[Traduction]

Les principales conclusions du rapport, qui se fondent sur des entrevues auprès de détenus et de policiers et sur une analyse secondaire des données, ont confirmé le lien étroit entre la consommation d'alcool et d'autres drogues et le comportement criminel. Cette association est en grande partie de nature causale. Autrement dit, sans cette consommation de drogues, le crime n'aurait pas été commis.

En outre, les détenus des prisons fédérales et provinciales ont plus généralement tendance à consommer de l'alcool et des drogues que le reste de la population canadienne. Au total, 38 p. 100 des hommes détenus dans des institutions fédérales se droguaient avec au moins l'une de ces substances. L'un des grands constats de cette étude a été que les détenus ayant une dépendance alcoolique risquaient deux fois plus d'avoir commis un crime violent que ceux qui étaient dépendants d'autres drogues.

Les auteurs, le Dr Serge Brochu et le Dr Kai Pernanen — et le Dr Brochu a déjà comparu devant votre comité — estimaient que de 40 à 50 p. 100 des crimes mentionnés dans leur étude étaient probablement dus à au moins une substance psychotrope, que ce soit l'alcool ou une drogue. Toutefois, de 10 à 15 p. 100 des crimes étudiés par ces auteurs, peuvent être attribués à des drogues illicites uniquement, de 15 à 20 p. 100 à l'alcool uniquement, et de 10 à 20 p. 100 à une combinaison d'alcool et de drogues illicites.

Voilà un aperçu des coûts. Voyons maintenant qui consomme quoi. Je vais vous citer des chiffres de l'enquête de 2001 sur la consommation de drogues par les étudiants en Ontario. Toutefois, pour bien comprendre la signification de ces chiffres, je vous invite à imaginer pendant un instant qu'il s'agit d'élèves de la 7e à la 13e années, car nous sommes pour beaucoup d'entre nous des parents, des oncles et des tantes.

Soixante-six pour cent d'entre nous dans cette salle, puisque nous sommes des élèves de la 7e à la 13e années, ont consommé de l'alcool au cours de l'année écoulée. Vingt-huit pour cent d'entre nous, c'est-à-dire nos filles et nos fils, ont consommé par moments des quantités importantes d'alcool. Trente pour cent ont consommé du cannabis au cours de l'année passée. C'est une personne sur trois ici. Quatorze pour cent ont pris des hallucinogènes et sept pour cent ont consommé de l'ecstasy.

N'oubliez pas que ce sont des statistiques sur les jeunes de la 7e à la 13e années en Ontario. Nous n'avons pas de données complètes pour les autres provinces, mais il n'y a pas de raisons pour que les chiffres soient très différents.

En ce qui concerne les adultes — et là encore nous avons pris les données pour l'Ontario — 35 p. 100 des Ontariens déclarent avoir consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie, alors que 11 p. 100 disent qu'ils en ont consommé au cours des 12 derniers mois. Soixante pour cent déclarent qu'il leur est arrivé de prendre de la cocaïne et 1 p. 100 en ont consommé dans le mois passé. Nous appelons cela les «chiffres stupéfiants».

Qu'est-ce que cela signifie pour nous ici aujourd'hui? Je ne vous présente pas ces chiffres pour diaboliser la consommation de drogues mais plutôt pour vous montrer qu'il existe une réalité de la toxicomanie et que cette réalité ne disparaîtra probablement pas. Il s'agit donc simplement de gérer les risques associés à ce comportement. Cela ne veut pas dire qu'on n'essaie pas de les atténuer. Il faut simplement se demander ce que l'on peut faire raisonnablement et quels sont nos objectifs.

[Français]

Avant d'aborder ce sujet, j'aimerais vous parler des défis inhérents à l'utilisation des statistiques. M. Sansfaçon, en tant que chercheur, pourrait vous le dire mieux que moi. Si vous manipulez les données assez longtemps, vous finirez par leur faire dire n'importe quoi. Les chercheurs sont en quête de comparabilité, de validité, de fiabilité. Pour ce qui est de la comparabilité, les sondages provinciaux et municipaux afin de connaître la provenance et la fréquence des consommations sont utiles, mais elles rendent difficiles les comparaisons valables et fiables. De plus, les autres gouvernements possèdent des données différentes difficiles à analyser parce que les modalités diffèrent en matière de collecte de données et d'application de résultats. La validité désigne la confiance que nous mesurons, ce que nous souhaitons examiner. Ce n'est pas aussi évident que cela puisse paraître d'emblée, particulièrement lorsque nous abordons les questions liées à la politique sociale.

La fiabilité désigne la capacité de répéter une étude plusieurs fois. Au Canada, nous nous devons d'avoir une mesure de fiabilité pour nous assurer que nous reproduisons un modèle uniforme d'enquêtes, ce qui nous amène à poser les mêmes questions pendant une certaine période.

[Traduction]

Nous voudrions vous suggérer des façons d'investir notre temps et nos ressources. Il faut se demander où nous devons concentrer nos efforts en matière de recueil de données et d'information. À mon avis, il faut établir un cycle de collecte de données. Il faut établir un ensemble d'outils dans lesquels nous pourrons investir régulièrement pour pouvoir obtenir des résultats à long terme.

Nous estimons, par exemple, qu'il faudrait faire tous les ans dans les écoles des études normalisées élaborées au plan national et appliquées au niveau provincial, sur la prévalence et les retombées de la consommation de drogues. Rares sont les provinces qui ont des rapports réguliers. Nous prenons souvent les informations de l'Ontario parce que cette province le fait. Nous avons de grandes lacunes dans nos connaissances sur cette importante population. Il faudrait essayer de recueillir un ensemble de données comparables non seulement pour les diverses provinces du Canada, mais aussi pour l'étranger.

Vous remarquerez que j'ai parlé non seulement de la prévalence, mais aussi des données sur les retombées. Il est vital d'en apprendre plus sur les retombées de la consommation ou de l'abus, quel que soit le terme utilisé, sur l'existence quotidienne des Canadiens. Il faut faire tous les ans des enquêtes spéciales sur les populations à haut risque, comme les femmes, les utilisateurs de drogues injectables, les jeunes à haut risque et les détenus. Il faut apporter une attention particulière à ces populations qui ont tendance à être marginales dans les statistiques d'ordre général ou qui nécessitent, de par leur nature, un examen plus approfondi. Il faut aussi examiner les données épidémiologiques publiées chaque année par le Réseau communautaire canadien d'épidémiologie des toxicomanies, le RCCET. Comme je vous l'ai dit, ce réseau est magnifiquement organisé, mais son financement le rend très fragile.

Il faudrait aussi que les ministères rédigent chaque année des rapports faisant le point sur les objectifs et les indicateurs de rendement. Conformément aux rapports et aux commentaires de la vérificatrice générale, tous les paliers de gouvernement devraient mieux préciser leurs objectifs et faire le point chaque année sur leurs progrès.

Il faut examiner les résultats et le rendement de notre action pour mieux comprendre son efficacité. Il faudrait faire des enquêtes nationales triennales sur la prévalence et les retombées dans la population générale.

Cela risque de coûter cher, mais c'est une goutte d'eau dans l'océan des dépenses qu'on continue à consacrer à des projets et des programmes sans localiser le problème et sans en comprendre l'importance.

Nous vous suggérons aussi de reprendre les études de coûts triennales, comme nous l'avions fait en 1996 pour avoir des estimations régulières des coûts. La quantification des coûts ne sert pas simplement à déterminer le coût du problème, mais aussi à localiser les coûts, à voir s'il y en a qu'on peut éviter et à déterminer comment les réduire. En faisant régulièrement des estimations de coûts, nous pourrons progresser vers plus d'efficience et de rentabilité.

Il faut aussi envisager des rapports triennaux de macroévaluation. Je sais bien que ce sera difficile. Les rapports d'évaluation devraient être fondés sur un cadre d'évaluation solide et soigneusement réfléchi et axé sur le rendement et des objectifs mesurables. Idéalement, ce serait un rapport portant sur l'ensemble de la stratégie, c'est-à-dire plurigouvernemental. Je comprends bien les défis que cela présente. Toutefois, il faut faire cette évaluation pour influencer, façonner et administrer nos efforts. Sans évaluation régulière, nous ne pouvons pas avoir une idée complète de nos besoins.

Nous devons aussi nous engager à communiquer ces informations au public et à rendre des comptes sur les résultats. N'oubliez pas qu'en 2001, la vérificatrice générale a souligné dans son rapport que le gouvernement fédéral n'avait pas d'idée des ressources consacrées à la lutte contre les drogues illicites, qu'il n'y avait pas de données nationales sur les condamnations liées aux drogues illicites et que le gouvernement fédéral n'avait pas énoncé d'objectifs clairs. Quand on pointe les choses du doigt avec autant de précision, on pourrait s'attendre à ce que cela déclenche une réaction immédiatement, mais malheureusement, il y a eu jusqu'à présent très peu d'efforts pour redresser la situation.

En nous inspirant d'autres pays qui ont investi beaucoup plus dans ce domaine, il serait bon de rendre aussi transparent et neutre que possible le processus de collecte et de dissémination des informations. Ce rôle est souvent confié aux observatoires. Il faudrait voir comment cela pourrait s'appliquer ici et je suggère respectueusement qu'on envisage pour cela de recourir à un organisme comme le CCLAT, qui n'a pas de lien de dépendance avec le gouvernement.

Quand nous recueillons toutes ces informations et que nous essayons d'y trouver des signes et des orientations, il faut s'assurer que ces informations cadrent bien avec les objectifs de la politique antidrogue du Canada. Autrement dit, quel préjudice essayons-nous d'atténuer en appliquant une stratégie ou un remède donné? On parle généralement de préjudice économique, social ou dans le domaine de la santé. Si nous commençons à remanier notre politique, il faut sans cesse nous poser cette question: quel préjudice voulons-nous rectifier?

Par exemple, est-ce que nous voulons réduire le préjudice économique que constitue la baisse de productivité due à l'alcoolisme? Est-ce que nous essayons de réduire les retombées sur la santé d'un système surchargé ou de réduire l'engorgement des tribunaux? Est-ce que nous voulons réduire le préjudice social du casier judiciaire dû à la drogue? Voulons-nous éviter une criminalité sans victime? Voulons-nous supprimer le marché noir? Quels effets sur la santé voulons-nous atténuer par nos interventions? Sommes-nous prêts à faire la part des risques des drogues illicites par opposition aux drogues légales? Estimons-nous que la réaction à la consommation de drogues est disproportionnée par rapport aux effets sur la santé?

Comment peut-on classer toutes ces priorités et de quelles informations avons-nous besoin pour le faire correctement? Puisque votre comité s'intéresse plus particulièrement à la question du cannabis, je vous pose cette question: à quel préjudice essayons-nous de remédier en décriminalisant la simple possession? Je crois que le débat apparemment sans fin — et vous avez déblayé une bonne partie des questions — sur la décriminalisation et la légalisation, et les utilisations erronées de ces termes nous détournent des questions plus importantes qui doivent aussi être posées, notamment la nécessité de programmes nationaux de prévention, l'accès à des programmes de traitements connus et efficaces et un contrôle nous permettant de bien guider nos investissements.

Je crois que, quelles que soient les divergences d'opinions sur la question, peut-être même dans cette salle, nous sommes tous d'accord pour construire un Canada plus sûr et plus sain. Nous devons donc nous demander où s'inscrit une politique de décriminalisation de la possession de cannabis dans le cadre d'ensemble de notre politique antidrogue. Comme je le disais au début, si l'on se concentre uniquement là-dessus sans avoir de stratégie nationale, c'est comme si l'on se demandait s'il faut mettre de l'essence au plomb ou de l'essence sans plomb dans une voiture sans moteur. Il faut commencer par avoir un moteur.

[Français]

Par conséquent, le CCLAT souscrit d'emblée au principe qu'il faut élaborer une approche solide, intégrée et coordonnée. Actuellement, le Canada n'a pas encore adopté une solution, mais espère que vos travaux accéléreront le tout. Nous devons élaborer une stratégie qui porte sur la prévention primaire, secondaire et tertiaire. Nous devons envisager de rejoindre les Canadiens et les Canadiennes durant toute leur vie, c'est-à-dire de la grossesse jusqu'à la mort.

Nous devons élaborer une stratégie nationale pertinente qui ne sera pas uniquement fédérale. Il faut une stratégie où les fonds investis respectivement par différents gouvernement rapportent le plus possible à tous. La bonne nouvelle, c'est que le gouvernement libéral actuel, dans le tome III du Livre rouge, s'est engagé à définir une nouvelle stratégie nationale antidrogue en y affectant 420 millions de dollars de crédit pour les quatre prochaines années. Nous avons hâte que le gouvernement respecte sa promesse.

Il faut quand même une solide coordination à l'intérieur et entre les ministères ainsi qu'une coopération entre les gouvernements. Tous les ordres de gouvernement doivent jouer un rôle prépondérant. Nous devons également déterminer comment une stratégie nationale antidrogue peut mieux favoriser et appuyer d'autres priorités gouvernementales importantes comme l'initiative nationale sur les sans-abris, la stratégie canadienne sur le VIH, le sida, la stratégie d'innovation et la stratégie relative aux Autochtones.

[Traduction]

On pose souvent la question de savoir quel montant on doit consacrer aux programmes antidrogues? Si votre directeur des finances venait vous dire: «Nous avons un problème de 18,4 milliards de dollars», combien seriez-vous prêt à investir?

En conclusion, je vous laisserai quelques points à examiner en vue de la mise en place d'une nouvelle stratégie antidrogue. Il faut vraiment mettre sur pied une stratégie antidrogue complète qui porte sur la population et sur les drogues. Il faut profiter de la possibilité de passer d'une démarche équilibrée à une démarche intégrée. Une pièce a deux faces, mais elles ne se voient jamais l'une l'autre. Il faut donc bien savoir se servir de cette pièce.

Nous devons élaborer un cadre de leadership et de coordination clair pour le gouvernement fédéral, aussi bien au sein des ministères qu'entre les ministères. Il nous faut une stratégie guidée par le gouvernement fédéral, mais qui englobe les pouvoirs publics provinciaux et municipaux. Le gouvernement fédéral n'est pas le seul à devoir s'occuper de ce problème. Il nous faut une stratégie qui nous permette de rentabiliser au maximum les investissements fédéraux. Il faut optimiser le rôle de gestion des risques que peuvent jouer les organisations non gouvernementales et d'autres partenaires. Parfois, il est préférable que le gouvernement ne prenne pas les devants sur certaines questions. Les ONG peuvent jouer un rôle de premier plan et sont prêtes à le faire. Il faut élaborer une stratégie qui servira aussi de modèle à d'autres pays.

Ce serait bien que les Australiens citent notre stratégie pour une fois, au lieu du contraire. Nous devons construire une vision qui aille au-delà des crises immédiates comme la consommation de drogues injectables et le cannabis.

[Français]

Le sénateur Nolin: Monsieur Perron, vous êtes notre dernier témoin. Vous avez très bien résumé le défi qui nous attend dans la rédaction dans notre rapport. En lisant votre texte, j'ai l'impression de lire le plan de travail que nous nous étions donné à l'origine de nos travaux. Vous avez su en quelques minutes bien résumer l'ampleur de cette tâche.

[Traduction]

Le sénateur Maheu: Je suis heureuse que vous soyez le dernier témoin. Nous n'allons pas l'oublier, et je ne dis pas cela parce que je suis fatiguée de ces audiences. Tout votre exposé m'a paru très intéressant.

À votre avis, combien de temps faudra-t-il pour mettre sur pied une stratégie qui ferait comprendre aux Canadiens que nous voulons sérieusement nous attaquer à ce problème et ce que nous sommes prêts à faire? Je sais que les montants que cela représente sont considérables. Toutefois, comme vous l'avez dit dans votre exposé, on a déjà fait beaucoup de promesses et il serait temps de concrétiser celle-ci.

M. Perron: Je ne saurais être plus d'accord. Une autre question que je poserais aussi, c'est de savoir combien de temps on est prêt à investir dans cette stratégie. C'est une autre façon de voir les choses. Il y a un ouvrage sur la politique antidrogue du Canada qui s'intitule Panic and Indifference. Il parle de nos cycles d'investissement, où nous dépensons des sommes folles quand il y a une panique, et ensuite nous oublions tout. Ce n'est pas que nous sommes indifférents, mais d'autres priorités viennent s'imposer.

Ce qu'il nous faut à long terme, c'est une stratégie antidrogue durable. Combien de temps faudra-t-il pour la créer? Nous sommes en train d'en élaborer une. Il est important de s'interroger sur les priorités. À mon avis, on pourrait commencer tout de suite à recueillir des données pour avoir une idée de l'ampleur du problème au Canada. Qu'il s'agisse des données dont j'ai parlé, par exemple, une enquête nationale sur la prévalence ou une enquête sur les retombées, pour savoir qui utilise quoi et où, cela pourrait être réalisé rapidement.

Votre démarche et votre débat avec nos concitoyens sont essentiels pour la mise en place de notre stratégie antidrogue. Évidemment, certains diront: «En quoi cela relève-t-il des comités parlementaires et où les deux se rejoignent-ils? Qu'est-ce que tout cela va donner?» À mon avis, au cours des prochains mois, et en réponse à votre rapport, espérons-le, le gouvernement sera prêt à lancer une nouvelle stratégie antidrogue. Nous avons tenu une conférence nationale avec plusieurs intervenants il y a plus d'un an et ils nous ont dit qu'il faudrait demander au gouvernement de réfléchir et ensuite de passer à l'action. C'est important.

Votre comité en est actuellement à la phase de la réflexion, il réfléchit à une stratégie à long terme qui nous permettra de bien voir nos investissements sur plus de quatre ans, sur plus d'un cycle politique, et de mettre en place une structure qui multipliera le produit de vos investissements à long terme. Les honorables sénateurs ont pu faire beaucoup de choses en peu de temps, mais il ne faut pas oublier les investissements à plus long terme qui sont aussi nécessaires.

Le sénateur Maheu: Pourquoi pensez-vous que les gouvernements ont dépensé de l'argent sur des choses comme les drogues dans le passé en connaissant parfaitement les risques d'hospitalisation, les coûts médicaux, les coûts d'incarcération des détenus qui se font emprisonner parce qu'ils ont commis des crimes liés à la drogue? Pourquoi pensez-vous que nous continuons à débloquer des crédits pour ce genre de choses et à les supprimer ensuite quand la situation devient difficile? Si nous voulons vraiment nous attaquer aux problèmes de santé, aux coûts d'incarcération et si nous ne voulons pas continuer à construire encore plus de prisons, comme d'autres pays le font, pourquoi le gouvernement passe-t-il son temps à supprimer les crédits pour les rétablir et les supprimer encore?

M. Perron: C'est un problème financier. Si vous devez choisir entre des investissements dans la lutte antidrogue, dans la santé ou dans les garderies, ou je ne sais quoi, ce n'est pas facile. Cela dit, le problème de la drogue n'est pas aussi simple que celui du cancer par exemple. Tout le monde sait que le cancer est quelque chose de mauvais, c'est incontestable. C'est quelque chose de négatif sur toute la ligne. Tout dans le cancer est mauvais. Dans le cas de la drogue, le débat est beaucoup plus complexe. Dans quelle mesure l'alcool est-il bon ou mauvais? À partir de quand y a- t-il abus? Quel sénateur, politicien ou autre personnalité publique souhaite être tenu comme la figure emblématique des toxicomanies? Ce n'est pas pour rien qu'on a l'expression «Narcotiques anonymes». C'est tout un public anonyme. Il y a un énorme problème de stigmate.

Rares sont les gens qui osent prendre la parole pour dire qu'il faut s'attaquer à la toxicomanie, car c'est quelque chose de très personnel. Beaucoup d'entre nous boivent et fument. Fumer n'est pas très recommandé, mais il est acceptable de boire à l'occasion. La question est de savoir ce que nous voulons faire de notre politique antidrogue. Dans le passé, on a eu tendance à diaboliser ou à polariser le débat: il fallait ou légaliser, ou interdire. Or, on peut avoir beaucoup d'autres options intermédiaires.

C'est parce qu'on ne précise pas ainsi les retombées de notre politique antidrogue aujourd'hui qu'on ne réussit pas à convaincre les détenteurs des cordons de la bourse d'investir là où il le faut. Nous n'avons pas assez de données. Les coûts devraient parler d'eux-mêmes, mais ce n'est pas le cas. C'est un problème social, moral et économique. Il faut regrouper toutes ces questions sans parti pris et dire: «C'est ici qu'il faut investir.»C'est peut-être pour cela qu'on ne fait pas d'investissements à long terme.

Le sénateur Banks: Je tiens à ajouter mes compliments à ceux de mes collègues. Le moins que je puisse dire, c'est que vous ne faites que confirmer nos frustrations. Est-ce qu'on entrevoit ces 420 millions de dollars? Vous en avez reçu jusqu'ici?

M. Perron: Non.

Le sénateur Banks: Une partie de cet argent devrait aller à votre organisation, logiquement, non?

M. Perron: Je l'espère.

Le sénateur Banks: Que se passe-t-il?

M. Perron: À vrai dire, il y a des problèmes d'échéancier. Je crois que le travail de ces comités a freiné la mise en oeuvre d'une stratégie nationale.

Le président: Vous voulez dire que c'est de notre faute?

M. Perron: Je vous dis ce que disent mes collègues, que ce ne serait pas très normal que le gouvernement lance une toute nouvelle stratégie antidrogue alors que deux comités sont en train de faire un travail de fond sur la question. Je pense que c'est une des explications.

Le sénateur Banks: Pensez-vous que l'argent va suivre?

M. Perron: Nous arrivons à la fin du mandat de quatre ans. Je l'espère. Si cela vient des deux chambres, s'il y a une vision et un objectif communs et que les messages sont cohérents, nous avons de bien meilleures chances.

Le sénateur Banks: Vous avez dit qu'il faudrait une stratégie globale en matière de drogue, ce qui veut probablement dire que vous incluez l'alcool, l'héroïne, la marijuana et tout le reste. Est-ce trop demander? Vous êtes à la place du conducteur et êtes responsable de cela. Je ne peux trouver une analogie aussi appropriée dans le domaine automobile que la vôtre mais cela me semble être un camion assez énorme. Ne serait-il pas préférable d'essayer de trouver cinq VLT plutôt qu'un 16 roues?

M. Perron: Je vais voir si je peux essayer de faire aussi bien que vous dans les analogies automobiles. Je reconnais que ce que je propose est tout un défi; à savoir, une stratégie globale. Néanmoins, si nous ne considérons pas tout l'ensemble, nous aurons énormément de mal à démarrer. Ne serait-ce que pour le cannabis, si je vise une politique générale, c'est parce qu'il nous faut savoir la relation entre le cannabis, l'alcool, le tabac, la cocaïne et d'autres substances. Considérer cela individuellement permet d'obtenir beaucoup d'information mais il y a peu de soirées au Canada où l'on ne fait face qu'au cannabis. Il y a des tas de soirées et d'occasions où les jeunes font face à tout un éventail de drogues. En fait, il faut savoir ce que nous voulons faire avec une politique sur les drogues si nous voulons considérer la chose drogue par drogue. Nous voulons que le Canada soit un endroit où il soit plus sain et plus sûr de vivre et c'est pourquoi je crois qu'il ne faut pas s'arrêter à des mesures particulières aux différentes drogues. Une stratégie globale est la façon d'envisager les choses.

Le sénateur Banks: En définitive, je suis d'accord, parce que toutes ces choses sont finalement liées. Étant donné que pour le moment notre comité s'intéresse en particulier au cannabis, ce qui nous frustre, et qui semble vous frustrer vous aussi, c'est qu'il semble y avoir un cercle vicieux dont on ne peut sortir. On peut parler dans ce sens parce qu'on n'a pas fait assez de recherche. On ne peut pas faire plus de recherche parce qu'on est limité par certaines conventions et certains aspects législatifs et tout cela nous paraît assez décourageant. Je sais que toutes ces positions se défendent mais à elles toutes, elles sont parfois paralysantes.

Me tromperais-je en disant que l'on en sait moins au sujet du cannabis, pour ce qui est des statistiques, de choses mesurables et de recherches fiables, qu'à propos de toutes les autres drogues? N'est-ce pas vrai?

M. Perron: C'est très probable. On peut le dire, en particulier, quand on considère les zones grises entourant le cannabis. Y a-t-il une utilisation thérapeutique? Quand on le fume, est-ce que cela déséquilibre son effet ou est-ce que nous voulons examiner les cas particuliers? Il y a des tas d'informations fausses et trompeuses en ce qui concerne le cannabis.

Le sénateur Banks: Nous savons beaucoup de choses à propos de l'héroïne qui a eu des essais à double feinte aux trois stades. Parlons un instant de l'usage du cannabis à des fins thérapeutiques. Personne ne fait la recherche sérieuse, à long terme et à grande échelle dont vous parliez, qui nous permettrait, comme vous l'indiquiez, d'être un modèle pour le reste du monde, pour que l'on dise que les décisions prises au Canada sont fondées sur des recherches importantes et irréfutables quant aux applications médicales des cannabinoïdes sous n'importe quelle forme. Il faut que quelqu'un le fasse et nous savons très bien pourquoi les compagnies pharmaceutiques ne le font pas. Cela va revenir soit à un philanthrope richissime, ce qui n'est pas tellement probable, soit aux gouvernements.

Est-ce qu'il serait logique d'accorder à votre organisme un contrat à long terme et à grande échelle pour la recherche sur les effets thérapeutiques ou non thérapeutiques des cannabinoïdes?

M. Perron: Je vous dirais certainement que le mandat qui nous a été accordé en 1988 est approprié. Évidemment, nous n'avons pas la capacité à l'interne de faire cela, ni le financement. Bien sûr, nous ne travaillerions pas en vase clos, hors du cadre des processus gouvernementaux. Si vous cherchez un organisme autonome et quasi indépendant, car nous recevons du financement, un organisme comme le nôtre pourrait être très utile pour faire ce genre de travail. Il faut également faire appel aux autres compétences que nous avons, et aux ressources investies au Canada pour ces services, et je parle ici des instituts de recherche en santé du Canada. Comment assurer la collaboration entre le CCLAT, les instituts de recherche en santé du Canada, Santé Canada, et d'autres? On n'est pas seul, mais je pense, étant donné notre indépendance, notre impartialité et notre objectivité, ou du moins notre intention à être objectif, que notre organisme serait certainement un bon départ.

Le sénateur Banks: Quelqu'un doit piloter l'affaire. Ce qui est frustrant, c'est que tout le monde dit que nous devons coordonner le tout avec les autres, mais il faut être prudent de ne pas empiéter sur leurs plates-bandes, et nous devons inclure ce qu'ils ont trouvé, mais quelqu'un doit mener l'affaire. Autrement, rien ne se passe.

Je crois que vous avez répondu oui à ma question. Votre organisme serait en mesure de faire cela, surtout si vous receviez un financement qui était absolument fiable, ou assez considérable, ou garanti d'être à long terme pour que vous puissiez entreprendre ce projet sans d'autres crédits parlementaires pour cette fin. Vous pourriez donc mener l'affaire et tenir compte de ce que l'IRSC et les autres disent.

M. Perron: Au bout du compte, celui qui mènera l'affaire c'est le ministre de la Santé. Nous parlons de recherche qui aura une incidence sur la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et la décision de tenir compte de ces conseils appartient au ministre de la Santé.

Le sénateur Banks: Je ne parle pas de modifier une loi; je parle de la recherche pure. Que l'on agisse ou pas est une autre question.

M. Perron: Vous demandez qui mène l'affaire. Nous pouvons effectuer la recherche; que l'on nous permette de le faire est une autre question.

Le sénateur Banks: Une fois que vous avez le financement nécessaire — et peut-être que l'une des conditions de financement serait l'autonomie —, la recherche que vous effectueriez ne ferait pas l'objet de questions quant à l'influence politique.

M. Perron: Je suis sûr qu'on poserait des questions. Ne pas du tout faire l'objet de questions serait louable, et serait certainement un moyen de parvenir au but.

Le président: Pour alimenter la discussion, comparons cela au vérificateur général. Le vérificateur général obtient son financement du Parlement par le truchement du Budget principal des dépenses, mais personne ne remet en question le budget du vérificateur général, sauf les parlementaires. Cependant, personne ne remet en question la pertinence d'examiner Travaux publics. Personne ne le remet en question. Évidemment, au bout du compte, quelqu'un a un contrôle sur le crédit parlementaire. Ce serait le Parlement.

Le mot «politique» n'est probablement pas le bon. Ce n'est pas politique au niveau des partis; c'est politique lorsqu'on se demande si faire une telle chose compromettrait la réélection d'un député, et évidemment, les députés à la Chambre des communes veulent être réélus. Ils sont là pour ça.

Ce qui nous préoccupe c'est de modifier leur perception de ce qui serait bon dans 10 ans, au lieu de ce qui sera bon pour nous, peu importe qui forme le gouvernement, dans quatre ans. Nous comparons ce genre d'indépendance à celle du vérificateur général.

Le sénateur Banks: Permettez-moi d'ajouter une autre comparaison possible à la fondation pour l'innovation, par exemple, où il s'agit d'un crédit parlementaire qui est suffisant pour entreprendre tout un programme de recherche comme celui-ci en fonction d'une projection de coûts raisonnable, l'argent étant versé d'un coup. Selon le montant calculé, les crédits accordés correspondraient aux coûts réels.

C'est peut-être même assez d'argent pour faire en sorte que si on combine les ressources produites par cette somme et une partie du capital, dans 10 ans on pourrait peut-être faire le genre de recherche irréfutable qu'il faut sur cette question.

Voilà donc les deux genres de comparaison: L'une serait un crédit parlementaire, qui serait annuel et jamais remis en question, et l'autre serait un montant forfaitaire, semblable à celui de la Fondation canadienne pour l'innovation. L'un de ces modèles serait-il efficace?

M. Perron: Je suis certain qu'on pourrait mettre les deux modèles en place sous une forme ou une autre. À cause des compressions budgétaires au CCLAT, nous avons dû nous concentrer sur notre survie à long terme et avons pensé à créer une fondation comme celle que vous décrivez — plutôt pour garder nos portes ouvertes que d'entreprendre le genre de recherche que vous avez proposé.

Au bout du compte, nous revenons à la loi de 1988, qui est toujours actuelle et pertinente, pour voir ce que le gouvernement de l'époque voulait qu'on fasse. Si vous tenez compte de ces facteurs lors des délibérations sur la révision de la loi, vous constaterez que notre mandat consiste à travailler dans le cadre du mandat du ministre de la Santé. Je trouve cela tout à fait raisonnable, étant donné que le ministre de la Santé a été nommé ministre responsable de la stratégie canadienne antidrogue. C'est devenu un peu flou puisque nous n'avons aucune stratégie antidrogue nationale. Si nous en avions une, je crois que nous pourrions faire beaucoup plus de travail avec la ministre. Je crois qu'elle comprend tout ça.

Pour ce qui est de nos activités de recherche, il serait également utile que nous travaillions toujours sous les auspices du ministère de la Santé, mais à titre quasi indépendant. Il existe, toutefois, plusieurs variations de ce schéma. Au fur et à mesure que nous allons de l'avant avec la nouvelle stratégie antidrogue, nous devons nous assurer que les sommes et procédures mises en place garantiront le plus possible l'indépendance et la transparence en ce qui concerne la collecte de fonds de recherche et les procédures de recherche qui vont au-delà de l'intérêt du gouvernement fédéral, mais qui sont quand même d'intérêt national. Le même principe s'applique à la collecte de données, aux programmes et politiques, aux meilleures pratiques — une multitude de sujets. Nous ne sommes pas tout simplement un organisme de recherche.

Je ne suis pas sûr d'avoir répondu à votre question, et je m'en excuse. Nous pouvons porter plusieurs chapeaux, mais nous devons aussi respecter la raison d'être initiale du CCLAT.

Le sénateur Banks: Je veux justement parler du ministère de la Santé, parce que je ne veux pas poser de questions à propos des données sur d'autres aspects des drogues: l'usage récréatif, le trafic, l'illégalité et l'immoralité, si cela existe. Je parle de la recherche sur les bienfaits médicaux du cannabis. Mais vous avez bien répondu à ma question.

[Français]

Le président: Je comprends votre réponse. La filière du ministre de la Santé est celle que vous avez depuis 1988. Nous avons une préoccupation quant à l'indépendance d'un organisme qui serait un observatoire des substances psychoactives et de la recherche. C'est plus que ce que l'on retrouve en Europe. Un seul organisme indépendant suivrait l'évolution des tendances et assurerait l'état des connaissances.

Pour nous, l'indépendance d'un tel organisme est fondamental. Tantôt, j'ai parlé de la politique intérieure. La politique extérieure a comme vilain défaut d'impliquer l'intérêt national. Verriez-vous un ministre de la Santé imposer à un organisme quasi indépendant, au nom de l'intérêt national, des obligations relatives à cet intérêt national? Ce serait peut-être contraire aux objectifs législatifs de l'organisme. On ne veut pas que cela arrive.

Voyez-vous où nous en sommes dans notre réflexion sur l'indépendance? Nous désirons connaître ce qui se passe et nous nous demandons où nous devrions aller pour combler les lacunes.

M. Perron: Il est important de travailler en partenariat avec les joueurs clés et non de façon quasi indépendante. On ne peut pas être complètement divorcé du gouvernement fédéral vu le rôle qu'on devrait assumer. Sinon, on serait un centre de recherche complètement indépendant. À mon avis, il y a une certaine indépendance appropriée selon la loi qui nous a constitué. Le fait que je me rapporte à un conseil d'administration dont la majorité des membres sont nommés de façon indépendante révèle qu'il y a une certaine indépendance dans cette structure. Elle peut quand même répondre à des questions d'indépendance. La question serait de savoir si on devrait être plus indépendant et à quelles fins? C'est une question difficile.

Le président: Je comprends. Nous allons essayer de réconcilier ces points de vue. Vous avez une longue expérience et le centre en a une sur la question touchant les substances psychoactives. En matière de cannabis, nous tentons de définir les groupes. Nous voulons aller au-delà des substances pour essayer de définir les termes «usage», «usage à risque» et «usage excessif». Ce sont les trois grandes familles d'usagers sur lesquelles nous voulons nous pencher. Pourriez-vous nous éclairer?

M. Perron: Le CCLAT, en 1998, a élaboré sa propre politique sur le cannabis. Nous avons identifié quatre recommandations que le conseil a adoptées. Je vais les lire:

[Traduction]

1. La peine pour possession de cannabis doit être réduite. Plus précisément, la possession du cannabis devrait devenir une infraction civile en vertu de la Loi sur les contraventions.

2. Il devrait être possible de diriger les contrevenants vers des centres de traitement ou de services communautaires, dans le cas des grands utilisateurs et de ceux ayant des problèmes liés à l'utilisation d'autres drogues illicites, mais cette déjudiciarisation ne réglera pas les difficultés associées à l'exécution de la loi sur le cannabis.

3. Tout changement à la loi doit faire l'objet d'une évaluation systémique de l'impact sur l'utilisation du cannabis et sur le dommage causé par le cannabis, ainsi que sur les effets sur les pratiques et coûts de la justice pénale.

4. Tout changement à la loi qui réduirait les conséquences d'une infraction liée au cannabis devrait être accompagné d'un message bien clair que cela ne veut pas dire que nous nous préoccupons moins des problèmes éventuels causés par la consommation du cannabis.

[Français]

Le président: Il nous faut segmenter notre réflexion. Nous constatons que nous avons une loi qui englobe tout le monde. Ce ne sont pas tous les usagers qui ont des problèmes de santé. Les problèmes de santé sont relativement importants pour qu'on s'en préoccupe adéquatement, d'où la question de prévention. Cependant, on s'aperçoit qu'il est peu réaliste de faire de la prévention pour tous les usagers, compte tenu des tendances d'usages au Canada. On réduit donc la grandeur du champ de préoccupation.

Deux groupes nous préoccupent plus que les usagers réguliers illégaux. Si on va derrière cette barrière de l'illégalité, on s'aperçoit que ce ne sont pas eux qui doivent nous préoccuper, mais le groupe d'abuseurs et les façons de prévenir cet abus. C'est là que se situe notre problème. Comment définit-on tout cela?

M. Perron: Je vais répondre en posant une question. Mon allocution pose la question: quels méfaits tentez-vous de réduire? Tente-t-on de réduire l'impact sur la santé des abuseurs? Quels moyens devrait-on entreprendre? Pour les usagers, quels méfaits notre politique tente-t-elle de solutionner? Nous tentons de réduire l'impact d'un casier judiciaire pour la possession simple de marijuana. Je crois qu'on devrait penser à une décriminalisation.

Lorsque vous approfondissez votre discussion, vous devez vous poser la question: quels méfaits tentez-vous de rejoindre et quelle est la meilleure façon de le faire avec les abuseurs. C'est important de les rejoindre avant qu'ils ne deviennent abuseurs.

De plus, pourquoi ces gens prennent-ils de la drogue? Il faut mettre en contexte la population des usagers. On a vu que 30 p. 100 des jeunes ont consommé de la marijuana dans les dernières années. Une grande majorité ne continuera pas de consommer. Une certaine minorité continuera à consommer. Si on parle avec des toxicomanes aujourd'hui, une grande partie de ceux qui prennent de la drogue de façon chronique le font afin d'essayer d'aller rejoindre un mal qui va au-delà de l'expérimentation pour jeune. On parle d'un mal de violence, un mal d'abus sexuel, entre autres, mal qui est apparu dans leur vie beaucoup plus tôt.

Le groupe d'abuseurs est différent du groupe d'usagers mais quand même, il faut des moyens en place pour les aider. L'accès aux traitements n'est pas évident au Canada. Si on détermine qu'on a un problème de cannabis et qu'on veut trouver un traitement quelque part, ce n'est pas facile. Si ce l'est, quelquefois, il y a des listes d'attente. Lorsqu'on veut arrêter notre consommation, on a besoin d'une aide immédiate. Il faut avoir en place des programmes de traitement et des messages clairs de prévention pour les abuseurs, dans la mesure du possible.

Lorsque M. Allan Rock était ministre de la Santé, il a annoncé une nouvelle stratégie antitabac de 400 millions de dollars. La journée suivante, on a annoncé l'utilisation de cannabis à des fins thérapeutiques. Je comprends que peu de jeunes visionnent CPAC mais ceux qui le font se demanderont quel est le message qu'on veut faire passer? Il faut déterminer le but de notre politique antidrogue.

Le président: Je comprends.

M. Perron: Je n'ai pas de réponse à vous donner.

Le président: On avait une politique, faute de mieux, mais on en avait une. Maintenant, il s'agit d'une nouvelle génération. Il faut être plus pragmatique et essayer d'étudier le vrai problème.

Dans votre terminologie, vous utilisez dans le nom de votre organisme le mot «toxicomanie retrouvée». On va tenter de ne pas utiliser ce mot parce que l'Organisation mondiale de la santé nous a presque envoyé ce message en 1964. Alors on ne le fera pas. Mais vous n'êtes pas le seul.

Le lexique des mots a beaucoup d'importance, ne serait-ce que le mot «drogue».

M. Perron: «Harm reduction»

Le président: Effectivement, «harm reduction» est un mot qui nous apparaît un peu négatif. Donc, on comprend les objectifs et on tente de l'expliquer différemment. La terminologie est importante.

En ce qui concerne la question du financement, je reviens à cette indépendance. Dans un seul organisme versus deux — je vais vous demander d'essayer d'être objectif dans votre réponse — est-il préférable d'avoir un observatoire et un organisme de recherche, donc deux organismes indépendants qui se rapportent tous les deux au Parlement ou un seul?

Lorsque je parle de financement, oubliez le coût. Il faut se préoccuper uniquement des objectifs.

M. Perron: Si on veut un organisme de recherche indépendant et intouchable, il est important de le garder le plus possible concentré sur sa mission actuelle. S'il est préférable d'avoir deux organismes, un pour la recherche et l'autre pour l'observatoire, je dirais que oui, en avoir deux ferait du sens.

Cependant, on a déjà une organisation des instituts de recherche en santé qui est déjà développé pour cette raison, promouvoir une recherche novatrice au Canada et qui se sert de toutes sortes de processus pour s'assurer d'une certaine indépendance.

On pourrait combiner ces deux fonctions: recherche et observatoire dans le même organisme, en ayant recours à d'autres organismes tels que des instituts de recherche en santé et autres pour s'assurer de l'indépendance.

Le président: La recherche du cannabis à des fins médicales est une de nos préoccupations. Nous en arrivons à la conclusion que comme les sociétés pharmaceutiques ne la financeront pas, ce devra être l'État. Si un seul organisme en vient à la conclusion qu'il y a une série de recherches identifiées qui doivent être entreprises, l'organisme indépendant laissera-t-il au bon vouloir des différentes organisations de recherches scientifiques le soin d'élaborer le protocole de recherche ? Quelles recherches veut-on entreprendre ? Comment atteindre ce résultat ? Est-ce que l'organisme indépendant établit dès le départ ce qu'il veut ? Les protocoles et les organismes de recherche ne sont-ils que les exécutants de cette recherche? Comprenez-vous?

M. Perron: Oui.

Le président: On veut que la recherche soit indépendante et qu'elle se fasse. Mais on ne veut pas qu'elle flotte au bon vouloir; même si les conclusions risquent d'être sensibles.

M. Perron: L'élaboration de l'agenda de recherche, l'élaboration d'une priorité de recherches requise au Canada ne devrait pas être faite seulement par l'organisme responsable de la recherche. Cela devrait être fait en reflétant les opinions de divers partenaires, divers experts dans le domaine une fois que nous avons établi ce que nous avons entendu et ce que nous devons faire dans la recherche et le protocole qu'on veut financer. Le processus de priorité devrait comprendre les opinions d'une variété de partenaires et non seulement de cette organisation en recherche.

Le président: Essayons de nous comparer aux Américains. Que se passe-t-il aux États-Unis sur le plan de leur modèles?

M. Perron: Ce serait NIDA.

Le président: Cette organisation bénéficie de cette indépendance selon vous?

M. Perron: C'est l'organisation la plus proche de celle que vous nous décrivez.

Le président: Ils agissent comme observatoire et font faire de la recherche.

M. Perron: Il est certain qu'ils font beaucoup de recherche. Je ne sais pas jusqu'à quel point ils jouent le rôle d'observatoire. Le ONDCP joue un peu le rôle d'observatoire à l'échelle nationale américaine.

Aux États-Unis, le NIAAA, National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism, fait la distinction entre drogue et alcool. Au Canada, nous devrions jumeler ces organisations. Nous ne devrions pas avoir deux organisations distinctes. Je ne sais pas jusqu'à quel point cet organisme jouerait le rôle d'observatoire.

Le président: Selon vous, le NIDA est-il suffisamment indépendant? Comme nous avons été les premiers à en créer un, étant donné que nous avons perdu notre objectif original, ne faudrait-il pas corriger la situation aussitôt que possible?

M. Perron: Le NIDA n'est pas assez indépendant. Cela dit, je crois quand même que la majorité des gens ont confiance dans leurs recherches, entre autres à cause des processus mis en place pour l'élaboration des protocoles. Je suis certain qu'ils ne plaisent pas à tout le monde. Le NIDA verse environ un milliard de dollars par année en recherche. Je ne crois pas que vous devriez créer un NIDA similaire au Canada sans avoir au moins consulté ceux qui connaissent bien l'organisation: sa structure, son rapport au Congrès, ses fonds disponibles pour s'assurer d'une certaine indépendance. Je ne connais pas assez bien la structure.

Le président: On leur posera la question. En ce qui concerne les différents paliers, fédéral, provincial et municipal, comment pourrait-on coordonner le tout?

M. Perron: Pour commencer, il serait intéressant d'initier un dialogue avec les provinces et que tous les ministres de la Santé discutent de l'élaboration d'une stratégie nationale antidrogue. Il faudrait faire la même chose avec tous les ministres de la Justice. Il serait important, dans le développement de notre nouvelle stratégie nationale, qu'on demande aux provinces de nommer quelqu'un qui leur servirait de porte-parole sur l'élaboration d'une nouvelle stratégie pour laquelle les provinces seraient prêtes à signer une entente avec le gouvernement fédéral et à déterminer leurs responsabilités.

On pourrait en premier lieu déterminer les rôles et les responsabilités des gouvernements fédéral et provinciaux. Si on le demandait aux provinces, je suis certain qu'elles seraient d'accord avec le traitement, mais avec des fonds versés par le gouvernement fédéral. On recommence un débat perpétuel.

Premièrement, il faut réunir les intervenants clés fédéraux pour connaître le rôle approprié que le gouvernement fédéral doit jouer et, deuxièmement, discuter avec les provinces de ce qu'elles croient être leur rôle. Si les deux s'entendent, il restera à déterminer les responsabilités municipales ou régionales. La division des rôles et des responsabilités entre les divers paliers n'est pas bien connue et cela nous complique beaucoup la vie.

[Traduction]

Le sénateur Banks: C'est une observation, et non pas une question. Je comprends bien ce que vous venez de dire, mais à mon avis, il est inutile de songer à mettre sur pied un processus selon lequel les provinces décident des aspects juridiques de la question et de qui sera responsable de la recherche. Il nous incombe à nous de le faire.

Je dois rappeler à tout le monde que nous parlons de la recherche. Nous ne parlons pas de l'imposition d'une loi ni du partage des responsabilités. La recherche doit être si irréprochable, irréfutable et claire dans sa méthodologie...

M. Perron: Mes excuses, sénateur. J'ai mal compris votre question; je croyais que vous m'aviez demandé comment les autres paliers de gouvernement pourraient participer à l'élaboration d'une nouvelle stratégie nationale.

Le sénateur Banks: Exactement. Moi aussi je vous offre mes excuses. Je faisais allusion à ma question précédente. Vous avez entièrement raison.

[Français]

Le président: Vous devez être d'accord avec le fait qu'on doive avoir dès le tout début un partenariat avec les provinces et les municipalités. Chaque palier de gouvernement, selon les responsabilités qui leur échoient, a un rôle de premier plan à jouer face à un des problèmes que sont les soins de santé, que ce soit dans les villes ou les provinces. Tous les partenaires réunis autour de la table établiraient un plan quinquennal. Que penseriez-vous d'une telle recommandation?

M. Perron: Ce serait apprécié de tout le monde. On a tenté une pareille approche à Winnipeg en décembre 2000. On a regroupé 70 intervenants d'organismes clés pour élaborer les premier pas: où devrait-on aller et comment commencer?

Le président: Les Australiens ont adopté cette approche.

M. Perron: Oui, et ils travaillent de cette façon régulièrement. C'est en démontrant un sens du partenariat que vous vous alliez à d'autres personnes. En sortant de votre comité et de celui Mme Torsney, vous allez également inciter les gens à collaborer avec vous.

Le président: Ce n'est pas parce que je ne veux pas.

M. Perron: Je voulais soulever ce point parce que lorsqu'on est à Winnipeg ou a Regina, on veut s'assurer que cela donne des résultats. Je le dis avec beaucoup de respect. Cela dit, une conférence nationale de priorité est entièrement appropriée. Un forum mondial sur les drogues aura lieu le 23 septembre à Montréal. On invite les gens à venir nous voir pour nous dire ce qu'ils pensent de ce sujet au Canada. Cela nous donnera peut-être l'élan suffisant pour entreprendre le travail que vous nous suggérez.

Le président: Merci beaucoup, M. Perron. C'est avec votre témoignage que nous terminons nos audiences. Nous entendrons privément deux témoins américains dans les prochains jours. Sans aucun doute, le fruit de ces rencontres sera pris en considération et apprécié dans l'élaboration de nos recommandations.

Je remercie toutes les personnes qui ont travaillé avec nous tout au long des 24 derniers mois. Sur ces derniers mots, je mets fin à ces délibérations publiques du Comité du Sénat sur les drogues illicites.

La séance est levée.


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